LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA
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LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA
UNIVERSITE LYON 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Clémentine METIER Section Politique et administration Carrières européennes. LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Sous la direction de Hélène Surrel Soutenance le 27 août 2007 Jury : Marc Frangi Table des matières Remerciements : . . Liste des abréviations : . . Introduction: . . §1 Définitions. . . §2 L’association en droit français. . . §3 La protection européenne et internationale des associations. . . §4 La fin de l’association. . . §5 Problématique. . . PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES . . Titre premier : Les partis politiques, des associations au sens de l'article 11. . . Chapitre I/ Une conception extensive de la liberté d'association qui inclut les partis politiques : la reconnaissance de l’applicabilité de l’article 11 aux partis. .. Chapitre II / Les partis politiques au coeur de la société démocratique. . . Titre deuxième : L’application de l’article 11 aux partis politiques. . . Chapitre I / La liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) et la liberté d’expression (article 10) : un complément de protection pour les partis politiques. . . Chapitre II / Les spécificités de la protection de l’association politique. . . PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION . . Titre premier : Les conditions imposées aux partis dans l’exercice de leur liberté d’association. . . Chapitre I / Principe démocratique et respect de la légalité. . . Chapitre II / L’article 17 et l’obligation de conciliation entre les libertés. . . Titre Deuxième : Le cadre de l’ingérence de État dans la liberté d’association politique. . . Chapitre I / Les deux premières conditions de l’article 11 paragraphe deux de la Convention. . . Chapitre II / La nécessité dans une société démocratique. . . Conclusion . . Bibliographie : . . Manuels de droit : . . Ouvrages sur les droits de l’homme et les libertés publiques : . . Ouvrages sur la Convention et la Cour européenne des Droits de l’homme : . . Périodiques : . . Sites internet : . . Index de la jurisprudence citée : . . 4 5 6 6 7 10 15 17 19 19 19 25 32 32 37 48 48 48 54 63 65 71 83 85 85 85 86 88 90 92 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Remerciements : Je tiens à exprimer ma gratitude à Hélène Surrel, à qui je dois l’idée première de ce mémoire. Je la remercie pour ses conseils précieux, ses remarques enrichissantes et sa disponibilité. Merci d’avoir su m’écouter, m’orienter, et me conseiller avec patience tout au long de mon travail. Merci aussi de m’avoir fait partager un peu de sa connaissance. Mes remerciements vont ensuite à mon entourage : ceux qui m’ont soutenu moralement et m’ont apporté confiance et courage ; ceux qui ont traversé la même “ épreuve ” avec qui j’ai partagé mes doutes et mes découvertes… 4 METIER Clémentine_2007 Liste des abréviations : Liste des abréviations : AJDA Actualité juridique du droit administratif AE Association européenne CEDH Convention européenne des Droits de l’homme Commission EDH Commission européenne des Droits de l’homme Cour EDH Cour européenne des Droits de l’homme CIDH Convention interaméricaine des Droits de l’homme DDP Parti de la démocratie et de l’évolution DEP Dicle pour le Parti de la démocratie DKP Demokratik Kitle Partisi DUDH Déclaration universelle des Droits de l’homme FN Front National H.E.P. Parti du travail du peuple JCP G La semaine juridique, édition générale JDI Journal du Droit international JOCE Journal officiel des Communautés européennes ONU Organisation des Nations Unies ÖZDEP Parti de la liberté et de la démocratie PUF Presses universitaires de France RDP Revue du Droit public RDP (et de la science politique en France et à l’étranger) RFA République Fédérale allemande RFDA Revue Française de Droit administratif RFDC Revue Française du droit constitutionnel RTDH Revue trimestrielle des Droits de l’homme RUDH Revue universelle des Droits de l’homme SP Parti socialiste STP Parti socialiste de Turquie TBKP Parti communiste unifié de Turquie TCE Traité des Communautés européennes U.E. Union Européenne METIER Clémentine_2007 5 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Introduction: Les partis politiques sont des acteurs fondamentaux de la démocratie. A ce titre, ils sont protégés par les principaux textes relatifs aux droits de l’homme en général, et par la Convention et la Cour européenne des Droits de l’homme en particulier. Si on examine conjointement la définition de la notion de parti politique et les origines des théories des droits de l’homme, on comprendra les raisons pour lesquelles les formations politiques jouissent d’une protection spécifique non seulement au niveau interne, mais aussi au niveau régional et international. §1 Définitions. Un parti politique se définit comme une association de particuliers constituée en vue d’une action politique. Le but d’un parti peut être à la fois la conquête et l’exercice du pouvoir, mais aussi, plus modestement, de communiquer et développer certaines idées et opinions. Or, leur participation et leur contribution directes au pouvoir leur confèrent une place prééminente dans tout Etat. Si un régime totalitaire se caractérise le plus souvent par un système de parti unique, les régimes démocratiques, au contraire, reposent sur le multipartisme. En démocratie, il importe que soient exprimées et représentées toutes les idées et les opinions qui circulent dans la société. Parce-qu’ils permettent au citoyen de participer à l’exercice de la souveraineté, les droits politiques forment la substance même de la citoyenneté. Pourtant, le nombre croissant d’électeurs combiné à la complexité institutionnelle des régimes démocratiques contemporains empêche d’envisager une démocratie directe telle qu’elle existait en Grèce antique par exemple. C’est pourquoi, dans un système de démocratie indirecte, les formations politiques détiennent une place essentielle en tant que représentants des citoyens au sein des institutions étatiques. Il revient alors au législateur, sous contrôle du juge, de prévoir un mécanisme de protection particulier en faveur des partis politiques, afin qu’ils puissent remplir leur rôle d’intermédiaires entre le pouvoir politique et la masse des électeurs. C’est ce rôle que remplissent, ou cherchent à remplir, les textes nationaux et internationaux de protection des droits de l’homme. En soi, l’expression “ droits de l’homme ” ne constitue pas une “ catégorie intemporelle ” dans la mesure où ces droits dits “ de l’homme ” ont émergé d’une profonde réflexion philosophique dans une région et à une époque données : l’Europe du XVIIème et du 1 XVIIIème siècles . Comme l’expose Yadh Ben Achour, “ si l’Occident n’existait pas, la question des Droits de l’homme, en Islam ou ailleurs, ne se serait certainement jamais posée 2 ” . Les droits de l’homme sont apparus sur les terrain des idées, proclamés formellement par la Déclaration de 1789, puis se sont insérés progressivement dans les pratiques jusqu’à sembler être chose acquise aujourd’hui. Ils postulent l’égalité entre les hommes, l’existence 1 2 6 D. Lochak, Les Droits de l’homme, La découverte, collection Repères, Paris : 2005, p.1. Y. Ben Achour, in J. Ferrand et H. Petit (dir.), Fondations et naissances des Droits de l’homme, L’Harmattan, Paris : 2003, p.113. METIER Clémentine_2007 Introduction: de droit subjectifs opposables au pouvoir ainsi que la primauté des droits des individus sur ceux de la collectivité. D’autre part, ils possèdent une dimension proprement politique en ce 3 qu’ils interviennent dans les rapports entre les particuliers et l’Etat . §2 L’association en droit français. De façon générale, la protection des libertés publiques s’organise en premier lieu à l’échelle interne. En France, comme dans la plupart des autres pays occidentaux, les partis politiques sont soumis au même régime juridique que les autres associations. En l’occurrence, c’est la 4 loi relative au contrat d’association, du 1er juillet 1901, qui régit leur existence . Son article un définit l’association comme “ la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un 5 but autre que de partager des bénéfices” . Pendant longtemps, la liberté d’association, corollaire de la liberté de réunion, a fait l’objet de suspicion en France, que ce soit de la part de l’Etat royal qui craignait ce contre-pouvoir, ou des révolutionnaires, qui combattaient, au nom de l’individualisme, toute tentative de restauration de l’ordre ancien, venant notamment des corporations. De la même façon, sous l’Empire, l’article 291 du Code Pénal de 1810 interdisait toute association de plus de vingt personnes. Il faudra attendre 1848 pour que cette liberté soit proclamée par la Constitution, à la fois dans son Préambule et dans son article 8, sous réserve du respect des droits et libertés d’autrui et de la sécurité publique. Précisément, ces deux restrictions permettront de limiter rapidement la liberté ainsi proclamée, puisque par une la loi du 19 juin 1849, le législateur prohibe les clubs et réunions publiques. Sous le Second Empire, les associations étaient officiellement interdites, mais certains groupements mutualistes, 6 ouvriers ou paysans étaient tolérés, si bien qu’en 1867 fut aboli le délit de coalition . C’est enfin sous la IIIème République que la liberté d’association a obtenu une véritable reconnaissance juridique. Pourtant, à l’époque, cette liberté n’était toujours pas envisagée comme étant une liberté fondamentale et l’hypothèse de sa reconnaissance fut la source d’importants débats entre 1875 et 1901, les conservateurs y étant hostiles par crainte de menaces sur l’ordre public, tandis que les libéraux et les républicains craignaient une remise 7 en cause de l’individualisme hérité de la Révolution et un renforcement du cléricalisme . Le texte fut malgré tout adopté par 312 suffrages contre 216 à la Chambre des députés et 8 169 contre 95 au Sénat . Mais si la loi de 1901 se veut libérale vis-à-vis des associations ordinaires, elle est plus sévère à l’égard des congrégations religieuses. En fait, la question religieuse avait tenu une place centrale dans les débats précédant l’adoption de la loi, ce 3 4 5 D. Lochak, op. cit., p.2. http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=334682&indice=4&table=LEX&ligneDeb=1 (consulté le mardi 14 août 2007). http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=101790&indice=1&table=LEX_SIMPLE_AP90&ligneDeb=1 (consulté le jeudi 19 juillet 2007). 6 M. Frangi, in G. Chianéa et J-L. Chabot (dir.), Les droits de l’homme et le suffrage universel, L’Harmattan, Paris : 2000, pp.223-224. 7 8 M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff, M. Frangi et M. Kdhir, Droit des associations, PUF, Droit fondamentaux, Paris : 1996, p.36. Ibid, p.38. METIER Clémentine_2007 7 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME qui transparaît dans le texte lui-même, et ce qui explique aussi qu’il ait ensuite été complété par la loi du 9 décembre 1905 qui soumet les associations cultuelles à un régime juridique 9 particulier . Progressivement, le droit positif a évolué et, en l’absence d’un texte constitutionnel clair, la jurisprudence a retenu une conception extensive tant de l’association que de la liberté de s’associer. Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé le caractère constitutionnel de la liberté d’association lors de deux arrêts connus : “ Amicale de Annamiste de Paris ” le 11 juillet 10 1956, et “ Association des anciens combattants ” le 24 janvier 1958 . Cependant, cette 11 reconnaissance ne revêtait qu’une valeur jurisprudentielle . C’est véritablement la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 qui a permis d’insérer la liberté d’association dans le bloc de constitutionnalité. En effet, cette décision, “ vu la Constitution, et notamment son Préambule ”, consacre la liberté d’association, telle que définie par la loi de 1901, comme un des “ principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ”, la faisant 12 alors entrer dans le bloc de constitutionnalité . Par la suite, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de confirmer le caractère fondamental de la liberté d’association, rappelant que seul le pouvoir législatif a compétence pour définir l’organisation juridique d’une liberté 13 publique . Notons qu’à l’époque de la rédaction du texte de 1901, les groupements laïcs constituaient une forme relativement marginale d’association. Or c’est justement ce type de formation qui a permis le développement considérable du monde associatif tel qu’on le connaît actuellement, et notamment aussi la création des premiers partis politiques. Comme le prévoit l’article 2 de la loi de 1901, la possibilité de créer une association n’est en effet soumise à aucune autorisation préalable par les autorités publiques, ce qui laisse aux individus une large liberté : “ Les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable ”. Sous réserve que l’objet et le but de l’association soient licites et non lucratif, il suffit que soient réunis au moins deux particuliers, pour qu’une association laïque, même sous forme de parti politique, existe légalement. Ainsi, la déclaration préalable à la préfecture ou à la sous-préfecture n’est pas obligatoire pour former valablement une association. Néanmoins, l’association non déclarée, dite simple, ne bénéficie pas de la personnalité morale et ne possède pas de capacité juridique, ce 14 qui limite clairement son champ d’action . Aussi les associations déclarées sont-elles plus nombreuses. Celles-ci ont pour seule obligation, pour se déclarer, de déposer leurs 15 statuts à la préfecture ou à la sous-préfecture du lieu de création . En ce sens, le Conseil Constitutionnel dans la décision de 1971 précitée interdit à l’administration d’exercer tout 9 La loi de 1905 réglemente les organisations religieuses de façon plus stricte que la loi 1901. Celles-ci appartiennent à une catégorie juridique spécifique : l’association cultuelle, laquelle est notamment soumise à un régime d’autorisation préalable. Voir à ce propos M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.40-41. 10 Décision Conseil d’État, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris : Rec. CE, p.317; et Décision Conseil d’Etat, Association des anciens combattants, 24 janvier 1958, Rec., p.38. 11 12 13 14 15 M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., p.45. Décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, n°71-44 DC. Décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996, Statut de la Polynésie française, n°96-373 DC, Rec. p.58. M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.55 à 59. L’article 5 de la loi 1901 définit la forme que doivent revêtir les statuts de l’association déclarée. Voir M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.60 à 62. 8 METIER Clémentine_2007 Introduction: 16 contrôle préalable de l’objet ou du but de l’association . C’est ce régime juridique très libéral qui permet le dynamisme du milieu associatif tel qu’il existe aujourd’hui en France. Cependant, la loi de 1901 laisse planer une certaine ambiguïté concernant le statut des syndicats et des partis politiques. La généralité des termes du texte de loi peut laisser penser que ces deux types d’entités sont protégés par le texte, mais sans le préciser clairement, et alors même que ces formations sont traditionnellement régies par des règles de droit spécifiques. En réalité, c’est le cas des syndicats puisque la liberté syndicale a été juridiquement reconnue en France par la loi du 21 mars 1884, soit avant la liberté d’association. Cette loi garantit aux salariés le droit de pouvoir fonder librement une association professionnelle en vue de défendre leurs intérêts. La liberté de constitution des syndicats est totale dans la mesure ou la loi exige uniquement le dépôt des statuts et des noms des dirigeants à la mairie. Les syndicats sont donc reconnus comme des associations professionnelles, bénéficiant d’un régime juridique spécifique, favorable à leur formation et à 17 leur exercice . Sur ce point, la Convention EDH se distingue du droit français puisque, selon elle, la liberté syndicale est un droit dérivé de la liberté d’association proclamée à l’article 18 11 . La protection assurée par le droit français et le droit européen n’en est pas moins similaire. Ces deux ordres juridiques consacrent notamment le droit de ne pas participer à 19 un syndicat . En revanche, la place des partis politiques, elle, est moins claire. Paradoxalement, er l’adoption de la loi du 1 juillet 1901, alors même que le texte lui-même ne fait aucune mention des formations politiques, concorde avec l’apparition des grands partis politiques nationaux en France : le Parti radical socialiste a été crée en 1901, suivi du Parti socialiste SFIO en 1905, et en 1913se forment les groupes parlementaires à la chambre des 20 députés . Ainsi, la reconnaissance de la liberté d’association semble avoir permis le développement des formations politiques, ce sans pourtant leur accorder de statut juridique. La Constitution de la Vème République met un terme à ce flou juridique en soumettant ces associations particulières à des textes spécifiques. L’article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 énonce en effet que “ les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les 21 principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ” . La formulation de cette disposition rappelle le mode de formation des associations de la loi 1901, et particulièrement son article 2 qui postule que les associations de personnes peuvent se former librement, sans autorisation préalable. Ainsi, on peut affirmer qu’en pratique, les partis politiques sont “ constitués en forme associative ”, c’est-à-dire que l’association fournit une structure 22 juridique aux partis politique . D’autres textes complètent la disposition constitutionnelle : la loi organique “ relative à la transparence financière de la vie politique ” du 11 mars 1988, 16 17 Ibid., p.60. Claude Leclercq, Libertés publiques, Litec, Éditions du Juris-Classeur, collection Manuel, 5 ème édition, Paris : 2003, pp.303-304. 18 19 Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 8 ème édition, Paris : 2006, p.517. Sur le “ droit de ne pas se syndiquer ” ou le “ droit d’association négatif ”, voir respectivement arrêt Cour EDH Gustafsson c/ Suède, 25 avril 1996, §45 ;et arrêt Cour EDH Sigurdur A. Sirgurjonsson c/ Islande, 30 juin 1993, §36. 20 21 22 M. Frangi, in G. Chianéa et al., op. cit., p.226. http://www.legifrance.gouv.fr/html/constitution/constitution2.htm#titre1 (consulté le mardi 14 août 2007). M. Frangi, in G. Chianéa et al., op. cit, pp.225-226. METIER Clémentine_2007 9 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME prolongée et précisée par les lois du 15 janvier 1990 et du 19 janvier 1995, attribue un véritable statut aux partis, tout en les rapprochant du régime des syndicats, dans la mesure 23 ou ces les partis peuvent bénéficier d’un financement public de l’État . §3 La protection européenne et internationale des associations. Suite aux échecs des constitutions libérales face aux totalitarismes en Italie, en Allemagne, puis en France, est née l’idée d’inscrire les droits à protéger à l’extérieur de l’ordre juridique 24 interne et au-dessus de lui, c’est-à-dire dans les normes du droit international . Bien que l’universalisme dont se réclame la doctrine des droits de l’homme soit parfois mis en doute, depuis l’après Seconde Guerre mondiale, la scène internationale a donc vu se multiplier les initiatives visant à assurer le respect des droits de l’homme. Mais le développement des instruments de protection a aussi amené une certaine confusion. Comme le remarque Patrick Wachsmann, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1989 est souvent confondue avec la Déclaration universelle des Droits de l’homme adoptée par une résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) le 10 décembre 1948. S’ajoute à ces deux textes majeurs une multitude d’autres traités, pactes, conventions et autres déclarations qui accroissent encore la confusion : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, celui relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 3 janvier 1975, l’Acte final d’Helsinki signé le 1er août 1975, et même la Convention interaméricaine des Droits de l’homme (CIDH) du 22 novembre 1969, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples adoptée le 27 juin 1981, sans oublier bien sûr la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et 25 des libertés fondamentales . Ce dernier texte, plus communément qualifié de Convention européenne des Droits de l’homme, fonde “ un audacieux mécanisme ” de protection 26 internationale des libertés fondamentales . Le projet d’une telle Convention avait été lancé lors du Congrès de La Haye, en mai 1948, et devait se réaliser dans le cadre du Conseil de l’Europe créé à Londres le 5 mai 1949. Signée à Rome le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953, le mécanisme conventionnel européen offre aujourd’hui le 27 système “ le plus perfectionné ” de protection effective des Droits de l’homme . La Cour européenne des Droits de l’homme, au fil de sa jurisprudence, a adopté une conception large de la liberté d’association : 23 Pour la loi organique n°88-226 cid=352369&indice=1&table=LEX&ligneDeb=1 du 11 mars 1988, voir http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu? (consulté le 15 août 2007). Voir aussi la loi ordinaire n°90-55, “ relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ”, du 15 janvier 1990, http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=353179&indice=4&table=LEX&ligneDeb=1 et la loi ordinaire “ relative au financement de la vie politique ”, n°95-65, (consulté le mardi 14 août 2007) ; http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu? cid=355519&indice=10&table=LEX&ligneDeb=1 (consulté le mardi 14 août 2007). 24 ème P. Wachsmann, Les Droits de l’homme, Dalloz, Connaissance du droit, 2 édition, Paris : 2002, p.3. 25 P. Wachsmann, op. cit., p.1. 26 ème J-P. Marguénaud, La Cour européenne des Droits de l’homme, Dalloz, 4 édition, Paris : 2002, p.1. 27 ème F. Sudre, La Convention européenne des Droits de l ’ homme, PUF, collection Que sais-je ?, 6 édition, Paris: 2004, p.3. 10 METIER Clémentine_2007 Introduction: “ 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association (…) ”. En d’autres termes, une association est “ un groupement volontaire en vue d’un but 28 commun ” . Malgré la formulation individuelle du droit à la liberté d’association, c’est un droit essentiellement collectif. En effet, une des conditions préalables à la formation d’une association est qu’elle se compose d’au moins deux personnes, d’où le terme de 29 “ groupement ” . Mais ce droit revêt aussi un aspect individuel, en particulier le droit de 30 l’individu de s’affilier à une association . D’ailleurs, l’article 11 de la Convention EDH, tout comme la loi 1901, protègent individuellement les membres de l’association. Étant donné que celle-ci repose sur une base contractuelle, c’est-à-dire sur le libre consentement de ses membres, les fondateurs et les adhérents ont le droit de décider des modalités d’adhésion de nouveaux individus, mais ne peuvent contraindre personne à adhérer à leur association. De même, les membres doivent pouvoir choisir de se retirer librement de l’association. La dimension “ volontaire ” de l’association revêt donc une importance particulière, notamment dans le cas de l’approche “ négative ” de la liberté d’association. Dans l’arrêt Young, James et Webster c/ Royaume-Uni du 13 août 1981 qui a fait autorité depuis, la Cour européenne avait reconnu le droit de ne pas s’associer. Dans cette affaire, les requérants se plaignaient d’une violation de leur liberté d’association du fait d’un accord conclu entre British Rail et certains syndicats de cheminots subordonnant l’emploi à l’adhésion à l’un de ces syndicats. La Cour, partageant leur avis, avait déclaré qu’un individu ne peut être contraint, pour conserver son poste, de s’affilier à un syndicat : “ (…) une certaine liberté de choix quant à l’exercice de [la liberté d’association] est inhérente à la notion de celle-ci 31 (…) ” . La notion de volonté de s’associer est donc centrale dans l’article 11. Cependant, la Commission et la Cour ont aussi rappelé que l’adhésion à une association peut être rendue obligatoire. Dans l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, la Cour avait jugé que les autorités publiques peuvent légitimement contraindre les médecins à appartenir à l’Ordre belge des médecins afin de “ veiller au respect de la déontologie médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des 32 membres de l’Ordre ” . L’association dans ce cadre, ne résulte ni d’une volonté ni d’un but commun aux fondateurs mais est l’émanation d’un choix imposé par le législateur. Dans ce cas de figure, les associés ne le sont que par obligation. Pour certains, l’hypothèse d’une association obligatoire introduit un manque de clarté dans la mesure ou cela semble entrer en contradiction avec le principe général du “ groupement volontaire ” dans un “ but 33 commun ” . Malgré tout, ce principe demeure la règle, bien qu’il puisse être écarté, de façon exceptionnelle, pour des raisons d’intérêt général. En ce sens, la Cour EDH refuse de reconnaître l’incompatibilité en soi d’un système d’autorisation préalable avec la liberté 34 d’association . Les Etats disposent d’une certaine liberté quant aux moyens de mettre en œuvre les droits et libertés reconnus par le système de la Convention EDH. Le seul impératif 28 29 30 Rapport de la Commission EDH, Young, James and Webster c/ Royaume-Uni, 14 décembre 1979, §167. Ibid, §167. N. Valticos, in L-E. Pettiti, E. Decaux et P-H. Imbert (dir.), La Convention européenne des Droits de l’homme. Commentaire ème édition, p.419. article par article, Economica, Paris : 1999, 2 31 32 33 34 Arrêt Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, 13 août 1981, §52. Arrêt du 23 juin 1981, §§62 à 65. J-L. Charrier, Code de la Convention EDH, LexisNexis Litec, collection Juris Code, Paris : 2005, p.196. G. Lebreton, L’Islam devant la Cour EDH, p.1497. METIER Clémentine_2007 11 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME qui s’impose à eux est celui de la neutralité et de l’impartialité. L’arrêt Zana affirme par exemple qu’“ un juste équilibre [doit être] respecté entre le droit fondamental d'un individu à la liberté d'expression et le droit légitime d'une société démocratique de se protéger contre 35 les agissements d'organisations terroristes ” . Il s’ensuit que le législateur et les autorités publiques doivent exclure tout jugement de valeur afin d’offrir à toutes les opinions et idées la possibilité d’être exprimées également. Particulièrement, la liberté d’expression, le droit à des élections libres et la liberté d’association des partis politiques constituent des droits caractéristiques de la société démocratique en ceci qu’ils garantissent le pluralisme, eu égard à leur “ contribution 36 irremplaçable au débat politique ” . Aussi, ils doivent bénéficier d’une protection particulière de leurs droits par État, tant qu’ils respectent les règles démocratiques. Aux yeux du juge européen, les partis politiques représentent donc “ la forme la plus vitale ” pour l’exercice 37 de la démocratie . La jurisprudence de la Cour EDH à ce sujet est abondante. Mais avant d‘exposer le rôle particulier des partis dans une société démocratique, encore faut-il justifier de leur protection au titre de la liberté d’association et de réunion. Or La Convention EDH semble omettre les partis politiques de la liste des droits et libertés qu’elle proclame. En effet, l'article 11 de la Convention EDH qui garantit la liberté d'association, ne les mentionne pas. Le paragraphe premier de cet article postule seulement que : “ Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. ” A la lecture de la Convention, le statut des partis politiques est donc ambigu. La Convention EDH ressemble en cela à la Déclaration universelle des Droits de l’homme 38 (DUDH) du 10 décembre 1948 dont l’article 20 omet lui aussi les partis politiques : “ 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. 2. Nul ne peut être obligé de faire partie d'une association ”. De la même façon, l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques 39 du 19 décembre 1966 , dans une formulation similaire à celle de l’article 11 de la Convention et à l’article 20 de la DUDH, affirme que : “ 1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts. ” La plupart des textes conventionnels modernes proclame cette double liberté, sans pour autant véritablement la définir ni préciser si elles s’appliquent ou non aux partis 40 41 politiques . C’est le cas par exemple des articles 15 et 16 de la CIDH . 35 36 37 38 Arrêt Zana c/ Turquie, 25 novembre 1997, §55. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie c/ Turquie, 30 janvier 1998, §44. Formule de Claude Leclerq, op. cit., p.289. Résolution 217 A(III) adoptée à Paris le 10 décembre 1948. Voir http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm (accès le jeudi 24 avril 2007). 39 40 41 http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm (accès le mercredi 23 juin 2007). F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l ’ homme, op. cit., pp.510-511. Article 15 de la CIDH, liberté de réunion : “ Le droit de réunion pacifique et sans armes est reconnu. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi sont nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt 12 METIER Clémentine_2007 Introduction: Plus récente, la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 42 2000 nous apporte un éclairage important au sujet de la protection des partis politiques . Elle adopte en effet une démarche différente en protégeant explicitement, au titre de la liberté de réunion et d'association, non seulement les syndicats, mais surtout les partis politiques. Préalablement à l’adoption de cette Charte, le droit communautaire avait déjà développé une législation abondante relativement aux associations. Le règlement du 6 juillet 1993, proposé à l’origine par le député M. Fontaine, confère à l’association européenne (AE) un statut “ optionnel ”, proposé aux groupements permanents de personnes physiques et morales dont les membres mettent en commun leurs connaissances ou activités dans un but d’intérêt général ou en vue de la promotion d’intérêts sectoriels ou professionnels er 43 dans les domaines les plus variés (article 1 ) . Par ailleurs, les associations européennes bénéficient de la personnalité juridique (article 2) et doivent exclure le partage de bénéfices er entre associés (article 1 ). En revanche, l’association européenne se distingue de l’association française en cela qu’elle doit être composée d’au moins sept personnes physiques résidentes dans un Etat membre de l’Union Européenne (U.E.), ou de deux entités juridiques d’au moins deux Etats membres. L’article 44 de ce règlement ajoute que ce sont les autorités de l’Etat du siège de l’association européenne qui sont compétentes 44 pour le contrôle et l’éventuelle dissolution de l’association . Toutefois, parce-qu’elle est largement soumise au droit de l’Etat du siège, cette réglementation communautaire demeurait plutôt symbolique. En ceci, la Charte des droits fondamentaux de l’Union apporte une avancée significative. Elle permet de définir précisément et de façon homogène le statut des associations de l’U.E., et particulièrement, elle apporte des précisions quant à la place des partis politiques. En ce sens, l'article 12, paragraphe 1, énonce tout d’abord que : “ Toute personne a droit à liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association à tous les niveaux, et notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique le droit de toute personne de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la défense de ses intérêts ”. Mais c'est plus particulièrement le paragraphe 2 de ce même article qui consacre, sans équivoque possible, la liberté d'association politique : “ Les partis politiques au niveau de l'Union contribuent à l'expression de la volonté politique des citoyens et citoyennes de l'Union. ” Ce principe se retrouve également dans le Traité des Communautés européennes 45 (TCE) . Il ne fait alors aucun doute alors que les partis politiques sont une forme légitime, et même essentielle, d'association dans des régimes démocratiques tels que ceux des États de la sécurité nationale, de la sûreté et de l’ordre publics ou pour protéger la santé ou la moralités publiques, ou les droits ou les libertés d’autrui ”. 42 Article 16, liberté d’association : “ 1. Toute personne a le droit de s’associer librement à d’autres à des fins idéologiques, religieuses, politiques économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin. 2. L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi, sont nécessaires dans une société démocratique dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou les libertés d'autrui. 3. Les dispositions du présent article n'empêchent pas l'imposition de restrictions légales, ni même l'interdiction de l'exercice du droit d'association, aux membres des forces armées et de la police ”. Voir http://www.cidh.oas.org/Basicos/frbas3.htm (consulté le mardi 14 août 2007). http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf (accès le mercredi 23 mai 2007). 43 er Voir règlement du Conseil des ministres, 6 juillet 1993, entré en vigueur le 1 janvier 1994, JOCE, n°C236a, 31 août 1993. 44 45 M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., p.49. Voir http://europa.eu.int/eur-lex/fr/treaties/dat/C_2002325FR.003301.html (consulté le mardi 14 août 2007). METIER Clémentine_2007 13 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME membres de l’U.E. Pourtant, cette formulation rappelle très fortement certaines positions tenues par la Cour EDH. En effet, si la Charte des droits fondamentaux de l’Union proclame explicitement la liberté d'association politique, les travaux préparatoires montrent qu’elle est, tout comme l’ensemble du droit communautaire, largement influencée par les principes de la Convention EDH et de la jurisprudence de la Cour EDH. En ce sens, tous les États membres de l’U.E. sont aussi membres du Conseil de l’Europe, parties à la Convention EDH et à la Cour EDH, ce qui explique que ces instruments constituent une référence pour l’Union Européenne. Les quatre principes constitutionnels de l’Union, définis par l’article 6, 46 paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne (TUE) , correspondent exactement aux trois principes qui forment le “ patrimoine commun ” de valeurs énoncé par le Statut du Conseil de l’Europe et la Convention EDH : le respect des Droits de l’homme, la démocratie 47 et la prééminence du droit . Le respect de ces normes directrices est d’ailleurs aussi une 48 condition statutaire pour l’adhésion des nouveaux États membres à l’Union européenne . En ce sens, le renvoi à la Convention est formel. D’ailleurs, l’hypothèse de l’adhésion de l’U.E. à la Convention se pose depuis longtemps. Non seulement cette hypothèse a été rendue possible par l’adoption du Protocole 14 CEDH, mais ce projet a aussi été inscrit dans 49 le Traité établissant une Constitution pour l’Europe . Autant d’éléments qui expliquent que les rédacteurs de la Charte des droits fondamentaux de l’Union aient été influencés par la position défendue par le Cour EDH et d’une certaine manière, la Charte de droits fondamentaux de l’Union ne fait que reprendre une jurisprudence constante de la Cour EDH en matière d’association politique. Bien que la CEDH ne nomme pas expressément les partis politiques, la Cour a pu affirmer à plusieurs reprises que ce type d'association bénéficie de sa protection. La démarche de la Cour se comprend aisément si l’on considère que l’article 11 de la CEDH s’inspire aussi largement 50 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 . En particulier, le Préambule de la CEDH vise clairement la DUDH dans la mesure ou la Convention a pour objectif d’assurer la mise en œuvre des droits de la DUDH. Par conséquent, si les partis politiques n’apparaissent pas dans la formulation de l’article 20 de cette déclaration, les travaux préparatoires montrent que ses auteurs avaient pourtant l’intention d’inclure les associations 51 politiques dans le champ d’application de la liberté d’association et de réunion . De la même façon, alors que les partis politiques ne sont pas mentionnés par l’article 11 de la Convention, les auteurs ne souhaitaient pas pour autant les exclure de sa protection. Ainsi, les formations politiques relèvent-elles de la liberté d’association au sens de l’article 11 de la Convention EDH. Toutefois, aucune liberté n’existe sans limite. La protection de la liberté d’association des partis politiques est donc soumise à certaines conditions ou restrictions à son exercice. En effet, si en démocratie, l’activité politique et sociale est en 46 Article 6§1 du TUE : “ L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres ”. Voir http://eur-lex.europa.eu/ LexUriServ/site/fr/oj/2006/ce321/ce32120061229fr00010331.pdf (consulté le lundi 13 août 2007). 47 48 49 F. Sudre, La CEDH, op. cit., p.7. Article 49 du Traité sur l’Union Européenne. Voir P-H. Imbert, “ De l’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH (Symposium des Juges au Château de Bourglinster – 16 septembre 2002) ”, p.1, http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df2imbuecedh.pdf (consulté le vendredi 22 juin 2007). 50 51 ème 10 14 Voir supra, p.14. er B. Duarté, “ Les partis politiques, la démocratie et la Convention européenne des Droits de l’homme ”, RTDH, 1 avril 1999, année, n°38/1999, pp.318-319. METIER Clémentine_2007 Introduction: principe totalement libre, certaines réserves aux libertés publiques sont bien évidemment nécessaires afin d’assurer la prise en compte d’intérêts supérieurs, comme l’ordre et la 52 sécurité publique . §4 La fin de l’association. Face à une association qui enfreint les principes démocratiques fondamentaux, la solution se trouve d’abord à l’échelle nationale, puisque, selon le principe de subsidiarité, les cours internationales, et notamment la Cour européenne des Droits de l’homme, ne peuvent 53 intervenir qu’en dernier ressort, lorsque les voies de recours internes sont épuisées . Ainsi, pour réguler l’activité des formations politiques, les autorités publiques nationales usent le plus souvent d’outils juridiques, parmi lesquels le plus radical est la dissolution ou l’interdiction forcée de la formation politique estimée dangereuse. A ce propos, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande, le Bundesverfassungsgericht, nous apporte nombre d’exemples désormais classiques. L’article 21 paragraphe 2 de la loi 54 fondamentale allemande prévoit en effet la possibilité d’interdire un parti politique . Cette disposition a été utilisée par exemple à l’encontre du Sozialistische Reichpartei, interdit le 21 octobre 1952, et du Kommunistische Partei Deutschland interdit le 17 août 1956. Outre l’Allemagne, de nombreux États européens prévoient un “ contrôle de constitutionnalité des 55 partis politiques ” : Croatie, Bulgarie, Pologne, Albanie, Portugal ou Slovénie . En droit français, outre l’interdiction judiciaire qui sanctionne un vice de contrat, les associations peuvent être dissoutes pour des raison extrinsèques au contrat prévue par le législateur. La première raison tient au but de l’association qui ne peut être le partage de er bénéfices (article 1 de la loi de 1901). La seconde interdiction a rapport avec l’objet ou les activités de l’association (article 3) qui ne doivent pas porter atteinte “ aux bonnes mœurs 56 ” ni à “ l’intégrité du territoire et à la forme républicaine du gouvernement ” . De sa propre initiative, une association peut certes décider de se dissoudre volontairement, mais le plus souvent, la dissolution est prononcée de force par l’administration, selon une procédure 52 53 J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, LGDJ, collection Manuel, Paris : 1999, p.143. Article 35§1 de la CEDH : “ La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive ”. Voir http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (consulté le mardi 14 août 2007). 54 Selon l’article 21§2 de la loi fondamentale allemande, “ les partis qui, d'après leurs buts ou d'après le comportement de leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l'ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l'existence de la République fédérale d'Allemagne, sont inconstitutionnels. La Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question de l'inconstitutionnalit é ”. Voir http://www.bundesregierung.de/Webs/Breg/FR/Loifondamentale/02__LaFederationetlesLaender/ lafederationetleslaender.html__nnn=true#doc194812bodyText3 (consulté le mercredi 15 août 2007). 55 S. Sottiaux et D. de Prins, “ La Cour européenne des Droits de l’Homme et les organisations antidémocratiques. Observations er sur l’arrêt CEDH (troisième section), 31 juillet 2001, Refah Partisi (Parti de la Prospérité c/ la Turquie ”, RTDH, 1 octobre 2002, ème 13 année, n°52/2002, p.1009. 56 M. Frangi, in A-S Mescheriakoff et al., op. cit., p.87. METIER Clémentine_2007 15 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 57 prévue par la loi de 1901 . Une dissolution forcée peut être prononcée si l’association enfreint l’article 3 de cette loi : “ Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, où qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement est nulle et de nul effet ”. L’article 7 de la loi 1901 précise par ailleurs que “ la dissolution de l’association est prononcée par le tribunal de grande instance, soit à la requête de tout intéressé, soit à la diligence du ministère public ”. La dissolution forcée d’une association peut aussi être décidée si celle-ci enfreint les dispositions de l’article 5 de la loi de 1901, c’est-à-dire si l’association ne respecte pas certaines formalités comme la déclaration à la préfecture de modifications survenues dans l’administration ou les statuts de l’association, dans un délai de trois mois. Enfin, la dissolution peut également être prononcée en cas d’absence réelle de fonctionnement des 58 organes, c’est-à-dire en cas de fonctionnement irrégulier de l’association . Outre la loi de 1901, d’autres textes prévoient des limites à la liberté d’association. Ainsi la loi du 2 octobre 1943, modifiée par l’ordonnance du 5 février 1944 puis par la loi du 29 octobre 1975, autorise la dissolution par arrêté ministériel des associations de jeunesse qui poursuivent un but lucratif, ont une activité contraire à la liberté des cultes ou de conscience, ont une activité allant à l’encontre des institutions républicaines et démocratiques, ou dont l’organisation ne présente pas de garanties techniques suffisantes par rapport au but déclaré dans les 59 statuts . D’autre part, la loi du 10 janvier 1936, complétée par l’ordonnance du 30 décembre er 1944, puis l’article 29 de la loi du 5 janvier 1951, l’article 9 de la loi du 1 juillet 1972 et l’article 7 de la loi du 3 septembre 1986, interdit les associations ou groupements de fait qui s’apparentent à des milices privées ou des groupes de combat. Cette disposition prévoit la dissolution administrative, par décret du Président de la République pris en Conseil des ministres, de telles associations au motif qu’elles provoquent des manifestations armées dans la rue et menacent l’État démocratique, l’intégrité du territoire national et la légalité 60 républicaine . La dissolution de l’association constitue donc une mesure radicale qui doit être motivée et peut faire l’objet d’un recours gracieux. Comme en droit français, le droit européen prévoit la possibilité pour l’Etat de limiter l’action de toute association qui poursuivrait des buts contraires aux principes démocratiques et à l’intérêt général. Devant la Cour EDH, les affaires relatives à la dissolution des partis politiques constituent désormais un corpus fourni. La Cour a progressivement défini l’ampleur de la liberté d’association politique et les limites dans lesquelles les partis politiques peuvent mener leurs activités tout en bénéficiant légitimement de la protection de la Convention. Elle a aussi eu à préciser les conditions dans lesquelles les trois arguments du paragraphe 2 de cet article peuvent être invoqués par l’État pour restreindre l’activité d’un parti politique, voire même le dissoudre. Les principes qu’a établit la Cour au fil des affaires forment aujourd’hui une jurisprudence claire en matière de dissolution des partis politiques. 57 58 Ibid., pp.88 à 89. A propos de la dissolution forcée de l’association en droit français, voir M. Kdhir, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.203-204. 59 60 16 M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.96 à 98. Ibid, pp.89-90 et pp.97-98. METIER Clémentine_2007 Introduction: La plupart des affaires de dissolution de partis politiques concernent la Turquie. Cela s’explique sans doute par le fait que le régime républicain en vigueur dans le pays aujourd’hui soit né d’une rupture violente avec l’ordre ancien, fondé sur la religion, et accusé de la décadence de l’empire Ottoman. Alain Bockel parle d’une “ République autoritaire ”, 61 dans la mesure où elle a été imposée à une société qui était alors peu prête à l’accueillir . Le régime s’orientait autour des “ six principes du Kémalisme ”, c’est-à-dire une République forte et centralisée, un nationalisme vigoureux fondé sur l’unité de la Nation, et le principe de la laïcité (lâiklik en turc). Même si la période postérieure à la Seconde Guerre Mondiale a ouvert le début d’une nouvelle ère, avec l’avènement de la démocratie et la perte du pouvoir par les héritiers directs du Kémalisme, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore, la société civile se montre réticente à cet ordre imposé et est souvent tentée par la réhabilitation 62 des valeurs anciennes, fondées sur l’Islam et la tradition . Alors que la République turque a déjà 84 ans, les mêmes querelles politiques subsistent depuis 1925-1926 : le séparatisme ethnique, ou “ question kurde ”, et le fondamentalisme musulman menacent toujours le 63 régime démocratique, ce qu’ont par exemple rappelé les élections du 22 juillet 2007 . Ainsi, à plusieurs reprises, la Cour européenne s’est trouvée confrontée aux interrogations existentielles qui agitent la République turque par le biais d’affaires concernant la dissolution de partis qui soit défendaient la minorité kurde, soit convoyaient les idées des islamistes. Chaque fois, la Cour constitutionnelle d’Ankara, craignant un danger pour l’ordre républicain, l’unité nationale ou l’intégrité du territoire, choisissait de dissoudre le parti politique en cause. Mais une mesure aussi radicale doit être soumise à un contrôle rigoureux du juge, ce que la Cour européenne ne cesse de rappeler. §5 Problématique. De façon plus générale, étudier la place des partis politiques dans la jurisprudence de la Cour EDH revient d’abord à définir les modalités et le champ d’application de la liberté d’association des partis politiques. Il convient aussi de répondre à la difficile question de savoir comment un régime démocratique peut gérer des formations politiques dont le programme et les activités entrent en tension avec les principes fondamentaux de la démocratie. En d’autres termes, notre sujet traite de la protection des partis et ses conditions, ainsi que des restrictions possibles à leur liberté. Ceci pose deux interrogations majeures : jusqu’où un parti peut-il aller dans ses revendications de changement ? Et comment la démocratie peut-elle se protéger des acteurs antidémocratiques qui viseraient sa destruction ? Alors que la Convention EDH nulle part ne mentionne les partis politiques, la Cour EDH a pourtant reconnu que, parce qu’ils contribuent activement à la démocratie, les partis politiques sont des associations au sens de l'article 11 de la Convention. A ce titre, la Cour a eu a définir l’ampleur de leur liberté d’association politique, précisant qu’elle bénéfice d’une protection particulière. Pour autant, aucune liberté n’est sans limite, et la dissolution, mesure d’ingérence contrôlée rigoureusement par la Cour, peut constituer un moyen légitime pour 61 62 63 A. Bockel, op. cit., p.919. Ibid, pp.919-920. E. Karakas, in Le Courrier International, Elections. Les deux Turquie s’affrontent. Deux pays, un Etat, n°872, du 19 au 25 juillet 2007, p.15. METIER Clémentine_2007 17 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME l’État de limiter la liberté d’association de groupements menaçants pour la démocratie. Aussi convient-il d’aborder le sujet en deux temps : dans un premier temps, l’étude de la raison d’être de la protection des partis politiques par l’article 11 de la Convention permet ensuite de cerner les modalités de la protection de la liberté d’association des partis, à la fois sous l’angle des obligations qui pèsent sur les formations politiques et sous l’angle de l’encadrement par la Cour des éventuelles restrictions. 18 METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES Nulle disposition de la CEDH ne fait référence aux partis politiques, ce qui pourrait laisser entendre que celle-ci ne s’applique pas. Pourtant, malgré cette apparente lacune du texte conventionnel, la Cour a estimé que l’article 11 de la Convention, qui protège la liberté d’association et de réunion, est formulé de telle façon qu’il vaut pour les partis politiques (titre premier). Caractéristique de la société démocratique en ce qu’elle garantit le pluralisme et le bon fonctionnement du régime, la liberté d’association des formations politiques bénéficie d’une attention particulière de la part de la Cour (titre deuxième). . Titre premier : Les partis politiques, des associations au sens de l'article 11. Bien que la CEDH ne fasse aucune allusion aux partis politiques, la Cour EDH, pour assurer leur protection, a recours à l'article 11 de la Convention qui garantit la liberté de réunion et d'association pacifique. Dans les arrêts à ce sujet, le juge européen procède en deux temps : d'abord, il analyse les termes même de l'article 11, paragraphe 1, afin d’affirmer que cette disposition vaut bien pour les formations politiques; ensuite, il souligne la place prépondérante qu'occupent ces derniers dans un régime démocratique, ce qui renforce la nécessité de les protéger au titre de la Convention. Chapitre I/ Une conception extensive de la liberté d'association qui inclut les partis politiques : la reconnaissance de l’applicabilité de l’article 11 aux partis. Section une : L’examen des termes de l’article 11 de la Convention. Les partis politiques n’apparaissent protégés par aucune disposition, à aucun endroit dans la CEDH. Alors que l’on pourrait penser que leur existence et leurs activités relèvent de la liberté d’association, l’article 11 de la Convention, qui protège cette liberté, ne les mentionne pas et ne donne pas non plus de définition de l’association : METIER Clémentine_2007 19 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME “ Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour 64 la défense de ses intérêts ” . Pourtant, la Commission EDH, suivie par la Cour EDH, ont estimé que la formulation de cette disposition n’est pas restrictive, ce qui justifie que soient protégées les associations politiques. En d’autres termes, l’article 11 doit être compris de façon extensive, si bien que les partis politiques entrent dans son champ d’application. §1 Une position amorcée par l'ancienne Commission européenne des Droits de l’homme. C’est l’ancienne Commission EDH qui, la première, a reconnu l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques. Elle a tout d’abord émis cet argument de façon implicite, considérant que la formulation de l'article 11 ne limite pas son champ d'application à une forme donnée d'association ou de groupement, et partant, ne permet pas non plus d'exclure les partis politiques. Lors de l'examen de restrictions à l'activité de partis politiques, et plus exactement dans le cas de dissolution, l’ancienne Commission s'était prononcée implicitement en faveur de la protection de telles formations au sens de l'article 11. La première requête fut celle du Parti communiste d’Allemagne dissous en 1956 par la Cour fédérale de justice constitutionnelle de la République fédérale allemande (RFA). Dans sa décision du 20 juillet 1956, la Commission avait écarté les articles 9, 10 et 11 au profit de l’article 17. Considérant que l’objectif du Parti communiste allemand d’imposer la dictature du prolétariat et d’organiser la révolution afin d’instaurer un nouveau régime était incompatible avec les principes de la Convention, la Commission avait alors jugé 65 la requête irrecevable sur le terrain de l’article 17 de la Convention . Néanmoins, cette affaire avait donné à la Commission l'occasion de reconnaître, certes de manière implicite, 66 l'applicabilité de l'article 11 de la Convention aux partis politiques . La Commission a ensuite eu à statuer sur deux autres affaires de dissolution de partis politiques dans lesquels elle a pu confirmer sa démarche. Premièrement, dans son rapport du 5 novembre 1969 relatif à l'affaire grecque, elle a déclaré que la dissolution du parti incriminé violait l'article 11, laissant donc entendre que cette disposition s’appliquait aux associations politiques. Par la suite, la décision de la Commission a même été approuvée par le Comité des ministres 67 du Conseil de l’Europe, lui conférant une autorité supplémentaire . De la même façon, la dernière affaire de dissolution d'un parti politique portée devant l’ancienne Commission fut celle intitulée France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c/ Turquie qui s'est soldée 68 par un règlement à l'amiable . La Commission a, une fois encore, saisi cette opportunité pour déclarer qu’en raison de la généralité de ses termes, l’article 11 de la Convention EDH trouve à s’applique aux formations politiques. En 1996, dans son rapport Parti communiste unifié de Turquie, la Commission a confirmé sa position, estimant qu’” il ne saurait être déduit de la mention du terme “ syndicats à l’article 11 de la Convention que les autres 64 http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (accès le lundi 23 juillet 2007). Voir aussi supra, pp. 12 et 14. 65 66 67 68 Voir infra, pp.64 à 66. Affaire du Parti communiste d’Allemagne, requête n° 250/57, Annuaire 1, p.222. Affaire grecque, Annuaire 12, p. 170, §392. Rapport de la Commission EDH, 7 décembre 1985, affaire France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, requêtes n° 9940–9944/82, D. R. 35, p.143. 20 METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES types d’associations sont exclus de son champ d’application ou que le mot d’association doit être interprété plus strictement que selon son sens ordinaire. ”. Et elle ajoutait que “ la dernière phrase de l’article 11 [paragraphe 1] de la Convention ne fournit aucun argument qui permettrait de conclure que les partis politiques sont exclus du champ d’application de cette disposition. De surcroît, rien n’indique que les auteurs de la Convention aient eu l’intention 69 de soustraire les partis politiques à la protection de l’article 11 de la Convention ” . §2 Une démarche reprise et précisée par la Cour EDH : l'affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie du 30 janvier 1998. Suivant la technique employée par la Commission, la Cour EDH a admis l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques. L’arrêt Schmidt et Dahström avait déjà affirmé que l’article 11 ne vise pas uniquement les syndicats, mais sans pour autant donner 70 de définition positive de l’association . Si cette lacune n’a pas été comblée par l'arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie, rendu en Grande Chambre le 30 janvier 1998, la Cour y affirme toutefois clairement l’applicabilité de l’article 11 de la CEDH aux partis politiques, reprenant à son compte la “ doctrine ” exprimée par l’ancienne Commission. Jusqu’à cet arrêt, 15 autres avaient été prononcés en rapport avec la liberté d’association et de réunion protégée par l’article 11, mais ils portaient principalement sur les activités syndicales, et aucun n’abordait de front la question des partis politiques. L’arrêt Parti communiste unifié de Turquie expose, lui, pour la première fois, des principes clairs en matière de droit à la liberté d’association politique et permet d’affirmer que la liberté d’association au sens de l’article 11 vaut “ au premier chef ” pour les 71 partis politiques . L’affaire concernait le Parti communiste unifié de Turquie, fondé le 4 juin 1990 par Nihat Sargin et Nabi Yagci. Ce parti avait fait l’objet d’une demande de dissolution déposée par le procureur général près la Cour de cassation le 14 juin 1990 devant la Cour constitutionnelle d'Ankara. Le procureur accusait notamment le parti de soutenir la domination d'une certaine classe sociale, le prolétariat, sur les autres, et lui reprochait de succéder à un parti dissout antérieurement. Rejetant ces deux moyens, la Cour constitutionnelle turque repris pourtant l’argument du procureur selon lequel le seul fait qu'un parti politique use, dans son appellation, d’un terme interdit par la loi, en 72 l’espèce le terme “ communiste ”, suffisait à justifier la dissolution du parti en question . Par ailleurs, reprenant encore le propos du procureur général, la Cour constitutionnelle condamna le Parti communiste unifié pour atteinte à l'intégrité territoriale de l'État et à l'unité de la nation dans la mesure où ses statuts et son programme distinguaient deux nations, les Kurdes et les Turcs. Selon elle, des objectifs, tels que ceux du Parti communiste unifié, favorisant le séparatisme et la division de la nation turque justifient la dissolution du parti. En conséquence, la Cour constitutionnelle d'Ankara prononça la dissolution du Parti communiste unifié de Turquie le 16 juillet 1991, laquelle entraîna la liquidation et le 69 Rapport de la Commission EDH, 3 septembre 1996, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), N. Sargin et N. Yâgci c/ Turquie, requête n° 19392192, §37. 70 Arrêt Schmidt et Dahström, 6 février 1976. 71 72 F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.514. La loi n° 2820 réglementant l’existence des partis politiques en Turquie détaille les interdits qui leur sont faits, notamment dans sa quatrième partie. Son article 96 §3 prohibe l’usage de certaines dénominations. Ainsi, il ne peut être créé de parti politique portant le terme de “ communiste ”, “ anarchiste ”, “ fasciste ”, “ théocratique ”, “ national socialiste ”, ou empruntant le nom d’une religion, d’une langue, d’une race, d’une secte ou d’une région. Voir arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §12. METIER Clémentine_2007 21 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME transfert au Trésor public des biens du parti, assortie d'une interdiction faite aux fondateurs et dirigeants du parti, Nihat Sargin et Nabi Yagci, d'exercer des fonctions similaires dans 73 toute autre formation politique . Bien que la dissolution apparaissent comme une mesure radicale, le contexte politique particulier qui règne en Turquie peut expliquer en partie la posture de la Cour constitutionnelle. Le régime républicain, imposé au pays de façon arbitraire en 1923 et toujours en vigueur dans le pays, fait, depuis ses origines, l’objet d’importantes contestations de la part des islamistes et des minorités ethniques. Plus particulièrement, l’Etat centralisé doit faire face aux virulentes remises en cause des séparatistes kurdes et arméniens qui 74 revendiquent une plus grande indépendance de leurs communautés . C’est dans ce climat tensions politiques que, le 7 janvier 1992, une requête fut introduite devant la Commission dans laquelle les requérants de l’affaire Parti communiste unifié de Turquie, à savoir le parti lui-même ainsi que Nihat Sargin et Nabi Yagci, contestaient la décision de la Cour constitutionnelle turque, se plaignant d’une atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 6, paragraphe 2, et les articles 9, 10 et 11 de la CEDH, seuls et combinés avec son article 14, et par les articles 1 et 3 du Protocole n°1. Dans une décision du 6 décembre 1994, la Commission a alors déclaré leur requête recevable, ne retenant que l'allégation de violation de leur droit à liberté d'association. Or, la question qui se posait avant tout en l’espèce était de savoir si l'article 11 de la Convention s'appliquait, ou non, aux partis politiques. Le gouvernement turc continuait à plaider pour l’inapplicabilité de cette disposition aux formations politiques, affirmant qu’” un examen même superficiel de la Convention ferait ressortir que ni l’article 11 ni aucun 75 autre article ne cite les partis politiques ” . Mais refusant cet argumentaire, la Commission considèrait que l'article 11 vaut pour les partis en raison de leurs spécificités. Partant, “ elle [a formulé] à l'unanimité l'avis qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention 76 ” . La Cour, poursuivant la logique avancée par la Commission, a affirmé explicitement l’existence d’une liberté d’association politique protégée par la Convention, et partant, que les partis politiques sont des associations aux fins de l’article 11. De l’avis de la Cour, celuici s’applique au-delà des organisations syndicales. Même si cette disposition ne donne pas de définition précise du mot “ association ”, et ne cite pas les partis politiques, il apparaît pourtant légitime que ces derniers puissent se prévaloir des droits et libertés proclamés dans cet article. Afin de justifier sa démarche, le juge européen procède à l’examen des termes de l’article 11 de la Convention et note que “ le libellé de [cette disposition] fournit un premier élément de réponse à la question de savoir si les partis politiques peuvent se prévaloir 77 de cette disposition ” . La mention des seuls syndicats ne circonscrit pas pour autant la 78 portée de la notion d’association . Au contraire, “ l’article 11, paragraphe 1, présente la 79 liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association ” . Si ce paragraphe désigne directement les syndicats, la conjonction “ y compris ” montre “ clairement ” qu’il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres de la forme que peut prendre 73 74 75 76 77 78 79 22 Conformément à l'article 107 §1 de la loi n° 2820 précitée. Voir arrêt Parti Communiste Unifié de Turquie précité, §12. Le Courrier international, op. cit., p.13. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §19. Ibid, §15. Ibid, §24. Arrêt Gustafsson précité, §45. Arrêt Schmidt et Dahström précité, § 34. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES 80 la liberté d’association . Cette formule suppose que les organisations syndicales n’étaient pas les seules visées par les rédacteurs de la Convention. L’étude des travaux préparatoires de la Convention confirme cette hypothèse. Les discussions s’étaient alors essentiellement orientées autour de la place des activités syndicales, mais pour autant, on ne peut en déduire que les auteurs aient voulu exclure les partis politiques. D’ailleurs, l’article 11 de la Convention s’inspire directement de l’article 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme pour lequel les auteurs avaient voulu inclure les associations politiques lors 81 de la rédaction . Même si la Cour européenne n’utilise pas cet argument dans l’arrêt Parti communiste unifié, il est clair qu’au sens de la Convention, l’association n’est pas soluble dans le syndicat. Le juge en déduit que la référence aux syndicats ne fait office que d’exemple, et qu'à ce titre, elle ne peut pas induire l'exclusion d'autres formes d'associations ou de groupement comme les partis politiques. L’arrêt Parti communiste unifié de Turquie est le premier à affirmer clairement l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques. Les affaires suivantes permettront au juge européen non seulement de confirmer son propos mais surtout d’ériger ce principe en évidence. Section deux : L’applicabilité de l’article 11 aux partis politiques, un principe devenu jurisprudence. §1 La confirmation par la Cour de l'applicabilité de l'article 11 aux partis politiques et les conséquences de ce principe. Les principes affirmés par la Cour dans l'arrêt Parti communiste unifié ont été confirmés assez rapidement, quelques mois plus tard, par l'arrêt Parti socialiste et autres c/ Turquie rendu le 25 mai 1998. Suivant la méthode utilisée en l'affaire Parti communiste unifié et utilisant une formulation similaire, la Cour confirme que l'article 11 de la CEDH protège effectivement les partis politiques, et en l'espèce le Parti socialiste dissous le 10 juillet 1992 par la Cour constitutionnelle turque. La dissolution se fondait sur le fait que, selon le gouvernement turc, le parti incriminé incitait les kurdes au séparatisme et à l'insurrection afin de supprimer l'État unitaire actuel pour le remplacer par un État fédéral. De plus, le gouvernement turc refusait toujours d’admettre l’applicabilité de l’article 11 aux partis politiques, puisque selon lui, comme en l’affaire Parti communiste unifié de Turquie, “ 82 l’article 11 ne s’applique pas en tout état de cause aux partis politiques ” . Au contraire, le gouvernement soulignait que “ lorsque leurs statuts et leur programme sont dirigés contre l’ordre constitutionnel d’un État, il faudrait, au lieu d’appliquer cette disposition, conclure à 83 l’inapplicabilité ratione materiae de la Convention ou appliquer l’article 17 de celle-ci ” . Mais après avoir rappelé la position de la Commission selon laquelle “ rien dans le libellé de l’article 11 ne limite son champ d’application à une forme particulière d’associations ou de 84 groupements, ni ne permet de considérer que les partis politiques en seraient exclus ” , la 80 81 82 83 84 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §24. B. Duarté, op. cit., pp.318-319. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §19 ; et arrêt Parti socialiste et autres c/ Turquie, 25 mai 1998, §26. Arrêt Parti socialiste précité, §26. Ibid, §28. METIER Clémentine_2007 23 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Cour refuse d’appliquer l’article 17 et répète qu’” il ne saurait faire aucun doute que lesdits 85 partis relèvent de l’article 11 ” . Soulignons que les mesures de dissolution restent exceptionnelles dans l'Europe libérale contemporaine, ce qui explique que la Commission ait directement transmis les deux affaires de 1998 à la Cour qui, pour juger de mesures aussi radicales, s'est alors constituée en Grande Chambre. D'autre part, ces deux arrêts sont significatifs en droit puisque jusqu'alors, nous l'avons évoqué, seule la Commission avait examiné la compatibilité d'une dissolution de parti politique à la Convention. Pendant un temps, la Cour EDH 86 avait semblé éviter d'affronter directement la question sous l'angle de l'article 11 . Ceci apparaissait déjà être le cas lors de l'affaire Vogt c/ Allemagne du 26 septembre 1995 (Grande Chambre), dans laquelle Mme Vogt, enseignante, avait été exclue de ses fonctions en raison de ses activités politiques au sein du Parti communiste allemand, le DKP. Le juge européen semblait alors avoir délibérément choisi d'aborder la question sous l'angle de la liberté d'expression, évacuant rapidement l'allégation de violation de l'article 11, 87 considérant inutile de statuer sur les griefs fondés sur les article 9, 10, 14 et 18 . Dans les arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998, la Cour a adopté la technique inverse puisqu'elle a statué uniquement sur l'allégation de violation de la liberté d'association, considérant qu'il était inutile d’examiner les griefs fondés sur les articles 9, 10, 14 et 18. Le gouvernement turc, dans ces deux affaires, affirmait que les partis politiques doivent être exclus du champ d’application de l’article 11. Mais rejetant l'argumentaire du gouvernement turc assez succinctement, la Cour EDH estime que le droit à la liberté d'association politique est garantit et qu’il s'appliquait directement aux requérants des deux affaires. De plus, ni le Parti communiste unifié ni le Parti socialiste ne pouvaient être assimilés à des organisations de droit public au même titre que les ordres professionnels 88 par exemple, qui, eux, sont exclus de la protection de l’article 11 . Les partis politiques sont assimilés par la Cour à des formations de droit privé, ce qui justifie de les qualifier d’associations au sens de l’article 11 de la CEDH. En définitive, la Cour comble le silence de la Convention qui ne mentionne pas les partis à l’article 11 en apportant une réponse claire à la question de l’applicabilité de cet article aux formations politiques. §2 L’application systématique du principe par la Cour. Depuis les affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998, la Cour n’a cessé de réaffirmer l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques, si bien que ceci constitue désormais un principe jurisprudentiel acquis. L’affaire Parti de la Liberté et de la Démocratie (ÖZDEP) c/ Turquie du 8 décembre 1999 a donné à la Cour une nouvelle occasion d’user de la liberté d’association de l’article 11 pour protéger les partis politiques contre une dissolution injustifiée. Dans cette affaire, le Parti de la Liberté et de la Démocratie avait été dissous par la Cour constitutionnelle turque au motif que ses statuts portaient atteinte à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale et à la laïcité. Le juge national considérait que les statuts du parti en cause, qui prônaient la lutte contre l’oppression des minorités, et notamment la minorité kurde, étaient incompatibles avec 85 Ibid, §29. 86 87 88 B. Duarté, op. cit., p.315. Ibid, pp.315-316. Arrêt Le Compte, Van Leuven, et de Meyer, 23 juin 1981, confirmé ensuite par l’arrêt Albert et Le Compte, 10 février 1983. La Cour estime que les ordres professionnels sont exclus du champ d’application de l’article 11 pour deux raisons : parce-que ce sont des organismes publics institués, et parce-que leurs activités sont strictement encadrées par les autorités publiques. 24 METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES la Constitution turque qui proclame l’indivisibilité de la République. Aux yeux de la Cour constitutionnelle d’Ankara, les kurdes bénéficient des mêmesdroits que les autres citoyens turcs et ne sont pas empêchés d’exprimer leur identité. A cela s’ajoutait le fait que les statuts du parti incriminé entraient en contradiction avec la loi sur les partis politiques précitée selon laquelle ceux-ci ne doivent pas mettre en danger l’existence de la République et de l’État ni “ défendre ou [tenter] d’établir la domination d’une classe sociale sur les autres, ou la 89 domination d’une communauté, ou encore d’instaurer toute forme de dictature ” . Aussi la dissolution du Parti de la Liberté et de la Démocratie fut-elle prononcée par la Cour le 14 juillet 1993. Alors que l’affaire était encore pendante devant la juridiction constitutionnelle, l’assemblée des fondateurs a décidé, le 30 avril 1993, de dissoudre le parti. Le 21 mars 1994, alléguant une violation de leurs droits fondamentaux garantis par les articles 9, 10, 11 et 14 de la CEDH, les requérants saisirent la Commission EDH. Celle-ci ayant déclaré la requête recevable et conclut à une violation de l’article 11, la Cour européenne a donc été amenée à juger d’une nouvelle affaire de dissolution d’un parti pro-kurde par la Cour constitutionnelle d’Ankara. En se référençant aux deux arrêts précédents, la Cour a confirmé sa jurisprudence en considérant les dispositions de l’article 11 applicable aux partis politiques, sur les mêmes fondements. En fait, les deux premiers cas de dissolution de partis 90 politiques portés devant la Cour EDH ont permis de définir des principes directeurs en matière de liberté d’association politique, principes que le juge a appliqué dans les affaires suivantes, sans plus trouver nécessaire de s’attarder aussi amplement sur l’applicabilité de l’article 11 aux partis. Désormais, la jurisprudence de la Cour ne laisse plus aucun doute quant à savoir si cette disposition vaut ou non pour les formations politiques, si bien que les gouvernements eux-mêmes, dans les affaires les plus récentes, ne reviennent plus sur 91 ce principe . En définitive, comme le souligne Irène Kitsou-Milonas, à partir de 1998, l’applicabilité 92 de l’article 11 aux partis politiques est devenue inéluctable ” . Or celle-ci est d’autant plus inéluctable que les partis politiques apportent “ une contribution irremplaçable au débat démocratique ” et tiennent “ un rôle essentiel dans le maintien du pluralisme et le bon 93 fonctionnement de la société démocratique ” . Chapitre II / Les partis politiques au coeur de la société démocratique. Si la justification faite par la Cour EDH de l’applicabilité de l’article 11 aux partis politiques repose en premier lieu sur la formulation de l’article 11 lui-même, elle réside, en second lieu, dans le rôle crucial que jouent les partis politiques dans la “ société démocratique ”. Cette notion est centrale à la fois dans le texte de la Convention et dans la jurisprudence de la Cour, ce qui justifie la place prépondérante que la Cour reconnaît aux partis. 89 90 91 Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie c/ Turquie, 8 décembre 1999, §16. Voir notamment arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, Parti socialiste, et Parti de la liberté et de la démocratie. Par exemple, il n’est fait aucun commentaire sur le principe de l’applicabilité de l’article 11 de la CEDH aux partis dans l’arrêt Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c/ Turquie, 31 juillet 2001 (IIIème section) (renvoyé à la Grande Chambre qui a ellemême rendu son arrêt 13 février 2003c/ Turquie). 92 I. Kitsou-Milonas, “ Convention européenne des Droits de l’homme. Liberté d’association (article 11) ”, Revue Europe, n°11, novembre 2001, commentaire n°344, p.20. 93 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§43-44. METIER Clémentine_2007 25 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Section une : La notion de société démocratique au sens de la Convention et de la Cour. §1 Définir la société démocratique. Le Préambule de la Convention mentionne le “ patrimoine commun ” d’idéaux et de principes qui prévalent dans les États membres et qui forment ensemble la notion d’“ ordre public 94 européen ” . Ce concept désigne un ensemble de règles perçues comme fondamentales pour la société européenne et s’imposant aux membres de la CEDH. Au cœur de cet ordre se trouve la “ société démocratique ”, que le Préambule lie étroitement à la Convention. La relation est claire entre “ la sauvegarde et le développement des Droits de l’homme et des 95 libertés fondamentales ” et le cadre d’“ un régime politique véritablement démocratique ” . C’est aussi ce que précise la Cour EDH, formée en Grande Chambre, dans son arrêt Loizidou c/ Turquie en définissant la démocratie comme “ un élément fondamental de l’ordre public européen ” et la Convention comme “ l’instrument constitutionnel de cet 96 ordre européen ” . De la même façon, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie affirme que “ la démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de “l’ordre public 97 européen” (…) ” . Conformément à la philosophie du Conseil de l’Europe qui s’est construit comme “ le 98 club de démocraties ” , “ la démocratie est l’unique modèle envisagé par la Convention, et 99 partant, le seul qui soit compatible avec elle ” . En effet, l’idée d’une Convention européenne protégeant et développant les droits de l’homme avait été lancée à la Haye en mai 1948 dans l’objectif de promouvoir la démocratie et la liberté. Le projet de CEDH était alors envisagé comme un outil pour atteindre le but annoncé au paragraphe quatre du Statut du Conseil de l’Europe d’une “ union plus étroite entre les membres ” face à la fragilité du 100 système démocratique . D’ailleurs, la Cour elle-même affirme que la notion de société 101 démocratique “ domine la Convention toute entière ” . C’est le système politique le plus “ apte ” à protéger les droits et libertés fondamentaux, parce que dans un tel système, “ seules peuvent être investies des pouvoirs et de l’autorité de l’État des institutions créées 102 par et pour le peuple ” . A l’inverse, la démocratie n’existe plus lorsque “ la population d’un État, même majoritairement, renonce à ses pouvoirs législatifs et judiciaires au profit 94 95 96 97 http://www.echr.coe.int (consulté le mercredi 15 juillet 2007) F. Sudre, La CEDH, op. cit., p.5-7. Arrêt Loizidou c/ Turquie, Grande Chambre, 23 mai 1995. Propos repris par l’arrêt Parti communiste unifié précité. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. Repris notamment au §86 de l’arrêt Refah Partisi et autres c/ Turquie, Grande Chambre, 13 février 2003. 98 ème F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme, PUF, collection Que sais-je ?, 3 édition, Paris : 2005, p.55. 99 100 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=001&CM=8&DF=7/24/2007&CL=FRE (consulté le mardi 24 juillet 2007) 101 Arrêt Lingens c/ Autriche, 8 juillet 1986, §42. Voir aussi le Préambule, alinéa 4 de la Convention : le maintien de l’ensemble des droits de la Convention “ repose essentiellement sur un régime véritablement démocratique ”. 102 26 Arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c/Belgique, 2 mars 1987, §47. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES d’une entité qui n’est pas responsable devant le peuple qu’elle gouverne, que cette entité 103 soit laïque ou religieuse ” . Certains auteurs comme Gilles Lebreton ont pourtant critiqué la définition que donne la Cour de la démocratie. En effet, la Cour semble mettre l’accent sur une vision procédurale, aussi dite matérielle, de la démocratie, c’est-à-dire à une définition en termes de règles de prise de décision, sans étude sur le fond de ces décisions. Cette conception met l’accent sur l’importance d’élections libres, qui permettent la prise de décision par la majorité, et sur les “ droits démocratiques ”, comme le droit de vote égalitaire ou le droit de se réunir en partis politiques et groupes de pression, qui rendent cela possible. Cette approche s’attache donc avant tout à l’étude de la prise de décision et au principe de participation du citoyen à la prise de décision. Dans cette perspective, la liberté de former des partis est importante pour le bon fonctionnement du régime démocratique. Plus précisément, ce qui importe est que le peuple puisse participer au processus décisionnel, c’est-à-dire 104 que “ la démocratie suppose de donner un rôle au peuple ” . Or une telle définition peut paraître restrictive. En effet, le principe de la souveraineté du peuple semble être écarté. Gilles Lebreton considère que cette conception n’accorde qu’un rôle subsidiaire au peuple dans la conduite de son destin, puisque ce dernier ne pourrait choisir de se conformer ou non à des principes “ réputés fondamentaux ”, ni redéfinir leur contenu. Selon cet auteur, cette définition est le reflet de la méfiance exprimée par les libéraux vis-à-vis de la masse populaire, ce qui expliquerait la subordination de la démocratie au principe de prééminence 105 du droit . Toutefois, la jurisprudence de la Cour européenne prouve au contraire que son acceptation de la démocratie est relativement large. D’ailleurs, la définition de la démocratie comme donnant un rôle au peuple avait été proposée par la IIIème section lors de l’affaire Refah Partisi en 2001, mais elle n’avait pas été reprise par la Grande Chambre en 2003, 106 peut être pour ne pas figer la définition des “ principes démocratiques fondamentaux ” . De plus, la Cour fait tout autant référence à l’approche fondamentale de la démocratie 107 ( “ substantive democracy ”) . Dans cette analyse, les procédures décisionnelles ne sont pas un but en soi, mais plutôt un moyen de réaliser certains objectifs, comme la réalisation des droits et libertés de chacun par exemple. L’intérêt ne réside pas seulement dans la façon dont la décision est prise, mais également dans le résultat de la procédure de décision. Ce raisonnement se fonde sur l’institutionnalisation des Droits de l’homme, ainsi protégés contre leur révision selon la conception procédurale de la démocratie. La jurisprudence de la Cour contient plusieurs références à la vision fondamentale de la démocratie. Notamment, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie c/ Turquie établit un lien évident entre les droits 108 de l’homme de la CEDH et le régime démocratique . Afin de réellement comprendre ce qu’entend la Cour par la notion de société démocratique, il faut aussi considérer que la Convention “ doit se comprendre et s’interpréter 103 104 105 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43. Ibid., §75. Voir aussi arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §42. G. Lebreton, “ Laïcité et Convention européenne des Droits de l’homme. L’Islam devant la Cour européenne des Droits de l’homme ”, RDP, n°5-2002, p.1510. 106 J-Y. Dupeux, P. Lambert (dir.), Les partis liberticides et le Convention européenne des Droits de l’homme. Actes du colloque du 8 octobre 2004 organisé par les Instituts des droits de l’homme des barreaux de Bordeaux, Bruxelles et Paris, Némésis-Bruylant, collection Droit et justice, Bruxelles : 2005, p.85. 107 108 A propos des deux conceptions de la démocratie envisagées par la Cour, voir S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1029-1030. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. METIER Clémentine_2007 27 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME comme un tout […] visant à protéger la dignité de l’être humain; la démocratie et la 109 prééminence du droit (rule of law) tienne à cet égard un rôle clé ” . Pour définir ce “ tout ”, Michel Clapié reprend les trois pôles autour desquels s’organisent les droits reconnus et protégés par la CEDH : l’intégrité de la personne, la prééminence du droit, et le pluralisme 110 et la tolérance . Cette interprétation de la Convention doit être conciliée avec “ l’esprit général ” du texte, c’est-à-dire avec la volonté de “ sauvegarder et promouvoir les idéaux 111 et valeurs d’une société démocratique ” . §2 Le principe de la prééminence du droit. L’alinéa 5 du Préambule de la Convention reconnaît le principe de la prééminence du droit en affirmant que les “ gouvernements d’États européens, animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ”, s’engagent à respecter les droits et libertés la Convention 112 EDH . De la même façon, l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe reconnaît que “ tout membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme 113 et des libertés fondamentales ” . La notion de prééminence du droit est donc clairement liée aux principes fondateurs de la CEDH, ce qui justifie que la Cour lui accorde une attention particulière. Aux yeux de celle-ci, la prééminence du droit est “ l’un des principes 114 fondamentaux ” de la démocratie . Cette exigence est aussi “ garant[e] des Droits de l’homme ” en ce que le renforcement de l’État de droit va de pair avec un respect accru des 115 droits des individus . Le principe de la prééminence du droit comprend le droit à la liberté et à la sûreté, le droit à un procès équitable et à la sécurité juridique, et s’appuie sur la justice, 116 “ institution essentielle à toute société démocratique ” . Le Préambule de la Convention consacre une conception à la fois formelle et substantielle de l’État de droit. Cela signifie que l’État est soumis formellement au droit d’une part, et substantiellement à des valeurs essentielles caractérisées notamment par l’“ obligation de respecter les droits de l’homme ” 117 . Ce principe suppose que “ tous les être humains [soient] égaux devant la loi, en droits 118 comme en devoirs ” . Tout individu ainsi que tout État partie, sont contraints de veiller à respecter de cette règle dans l’exercice de leurs droits respectifs. Sans cette condition, la démocratie ne pourrait exister pleinement. Fidèles à la jurisprudence antérieure établie par la Cour, les observations préliminaires de l’arrêt de Chambre Refah Partisi et autres c/ Turquie rendu en 2001 insiste sur le lien étroit qu’entretient la démocratie avec le principe de 109 110 111 112 113 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43. M. Clapié, Manuel d’institutions européennes, Flammarion, 2ème édition, Paris : 2006,p.106. Arrêt Kjeldsen, Bsuk Madsen et Pedersen c/ Danemark, 7 décembre 1976, §53. http://www.echr.coe.int (consulté le mercredi 15 juillet 2007). http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=001&CM=8&DF=7/24/2007&CL=FRE (consulté le mardi 24 juillet 2007). 114 115 116 117 118 28 Arrêt Brogan c/ Royaume Uni, 29 novembre 1988, §58 et arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §69. D. Lochak, op. cit., p.58-59. Arrêt Prager et Oberschlick c/ Autriche, 26 avril 1995, §34. er Article 1 de la CEDH. Voir http://www/echr.coe.int (consulté le mercredi 15 août 2007) Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES prééminence du droit. C’est sur ce fondement que la Cour européenne juge que tout régime constitutionnel fondé sur l’absence de responsabilité politique des gouvernants devant les 119 gouvernés est incompatible avec la Convention . Dans une démocratie, le régime juridique institué par le peuple est le seul possible, et la prééminence du droit ne peut s’entendre que 120 conformément à ce préalable . Cet exemple démontre justement que la démocratie est, comme le rappelle l’étymologie grecque du terme, le gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple. Jean Jacques Rousseau la désignait comme un régime politique dans lequel la souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire le triomphe de la volonté générale résultant de la capacité de chaque citoyen à dépasser ses intérêts individuels pour découvrir un intérêt général transcendant. Si la notion de société démocratique est clairement au cœur de la Convention, la Cour ajoute qu’une telle société ne peut exister sans partis politiques. En effet, ces derniers concourent à garantir la souveraineté du peuple et la réalisation de l’intérêt général, tout en assurant le maintien du pluralisme à travers l’expression d’idées et opinions diverses. Section deux : Les partis politiques au cœur la société démocratique. §1 Une contribution irremplaçable à la démocratie. Pour qu’un régime véritablement démocratique soit réalisable, et donc pour que le peuple soit souverain, ce dernier doit pouvoir participer, directement ou indirectement, au pouvoir et au choix de la politique à mener. Dans un système de démocratie indirecte comme en connaît l’Europe actuelle, les partis politiques remplissent le rôle d’intermédiaires entre le peuple souverain et le pouvoir. Ils sont les représentants directs de l’opinion populaire. C’est-ce que rappelle la résolution 800 (1983) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de er l’Europe adoptée le 1 juillet 1983 relative aux principes démocratiques : aujourd’hui, les partis politiques ont une place d’autant plus importante dans les sociétés européennes que l’élargissement du droit de vote a rendu plus difficiles les relations directes entre élus et 121 électeurs . Ceci implique que soit accordée aux partis politiques une place spécifique, vu le rôle qu’ils tiennent dans la société démocratique. Pour cela, il convient de lire l’article 11 à la lumière de l’objet et du but de la Convention. En effet, L’influence que les partis exercent sur le système politique en fait des organisations particulières : eux seuls ont la capacité de former et de réaliser des projets proprement politiques, et surtout, ce sont les seules associations pouvant accéder au pouvoir. Aussi, les partis politiques “ représentent 122 une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie ” , ce légitime leur pleine protection par la Convention au titre de la liberté d’association et de réunion. En l’affaire Parti socialiste et autres c/ Turquie, la Commission avait même énoncé que “ si l’on considère l’article 11 comme une garantie légale assurant le bon fonctionnement de la démocratie, les partis politiques constituent l’une des formes les plus importantes 123 d’associations protégées par cette disposition ” . En ce sens, Joël Andriantsimbazovina 119 120 121 122 Ibid, §42. Ibid, §42. B. Duarté, op. cit., pp.319-320. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §25, et Parti socialiste §29. Voir aussi arrêt Yazar, Karatas et Aksoy, au nom du Parti du peuple démocratique c/ Turquie, 9 avril 2002, §30. 123 Arrêt Parti socialiste précité, §28. METIER Clémentine_2007 29 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 124 qualifie les partis de “ poumons indispensables ” de la société démocratique . Il s’ensuit que les partis peuvent se prévaloir de la liberté d’association, et ce alors même qu’ils ne sont pas cités expressément par l’article 11 de la CEDH. Or, leur place est d’autant plus prégnante aujourd’hui que la technologie et les techniques de communication évoluent rapidement, bouleversant les données du débat politique. Aussi, en décidant d’inclure les partis politiques dans champ d’application de l’article 11, la Cour illustre sa volonté d’opérer l’adaptation de la Convention au changement social, à l’évolution des mœurs et des mentalités, ainsi qu’à l’évolution des droits internes des Etats parties, afin de la préserver de tout anachronisme. La Convention est un “ instrument vivant ” qui doit 125 “ s’interpréter à la lumière prévalant de nos jours dans les États démocratiques ” . Les droits et libertés fondamentaux ne constituent pas seulement des droits subjectifs, mais 126 expriment également un ordre objectif de valeurs . Cette conception du droit propre à la 127 Cour, dominée par “ l’évolution incessante des libertés publiques ” , a d’ailleurs amené 128 Michel Clapié, à qualifier sa jurisprudence d’audacieuse . Plus encore, on peut estimer que 129 la Cour est véritablement “ créatrice de droit ” . Son œuvre prétorienne est considérable et ceci permet une interprétation dynamique de la Convention. La doctrine désigne cette méthode de téléologique, c’est-à-dire que l’interprétation de la Convention par la Cour se 130 fait en fonction du but du traité . En ce sens, la Cour donne à la CEDH un caractère évolutif et progressiste. L’arrêt Wemhoff signale que la Cour doit “ rechercher quelle est l’interprétation la plus propre à atteindre le but et à réaliser l’objet du traité et non pas celle 131 qui donnerait l’étendue la plus limitée aux engagements des parties ” . L’objectif est de garantir l’effectivité des droits et libertés reconnus, c’est-à-dire non seulement d’assurer la sauvegarde des droits de l’homme, mais aussi de permettre leur développement. §2 Les partis politiques sont essentiels au maintien du pluralisme. Caractéristique de la société démocratique, la notion de pluralisme est elle aussi particulièrement importante pour comprendre la place des partis politiques aux yeux de la Cour. L’arrêt Handyside a déjà affirmé que“ le maintien du pluralisme ” constitue “ un des 132 principes propres à une société démocratique ” . Cet arrêt affirme aussi que le pluralisme vaut “ non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent , choquent ou 133 inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ” . Après avoir utilisé ces 124 125 126 J. Andriantsimbazovina, in F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit. p.491. Arrêt Tyrer, 25 avril 1978, §31. M. Levinet, Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’État théocratique et la Convention EDH. A propos de l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Refah Partisi et autres c/ Turquie, RFDC, n°57, janvier 2004, p.213. 127 128 129 130 131 132 133 30 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §72, repris par l’arrêt de Grande Chambre précité, §123. M. Clapié, op. cit., p.109. Voir l’arrêt Johnston et autres c/ Irlande, 18 décembre 1986. Voir B. Duarté, op. cit., p. 319. Voir aussi M. Clapié, op. cit., p.108. Arrêt Wemhoff c/ Allemagne, 27 juin 1968, §8. Arrêt Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, §49. Voir aussi Arrêt Parti communiste unifié de Turquie, §43. Arrêt Handyside précité, §49. Repris notamment par l’arrêt Vogt c/ Allemagne, 26 septembre 1995,§52. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES 134 principes pour protéger la liberté de la presse ou encore celle des parlementaires , la Cour les a appliqué au contentieux relatif aux partis politiques. Cette notion induit à la fois le pluralisme des comportements, le pluralisme des idées, et le pluralisme institutionnel. La démocratie suppose que le peuple puisse choisir ses gouvernants. Or, il n’y a de choix véritable que si l’électeur peut se prononcer entre plusieurs possibilités, ce qui implique 135 notamment que les partis politiques puissent se former et agir librement . Dans la mesure où ils animent et participent au débat politique, les partis ont un rôle central à jouer pour garantir le maintien du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture dans la société. Les partis représentent “ les courants d’opinion qui traversent la population d’un pays et les répercutent dans les institutions politiques et à tous les niveau de la société grâce aux 136 médias ” . En d’autres termes, l’arrêt Lingens le rappelle, le “ jeu du débat politique ” constitue “ le cœur de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout 137 138 entière ” . Etant donné qu’ils contribuent de manière constante au débat politique , 139 les partis politiques sont les garants du pluralisme dans une démocratie . En ce sens, l’arrêt Parti communiste unifié souligne l’insistance de la Cour sur le rôle des associations politiques et marque le début d’une évolution jurisprudentielle favorable à une protection renforcée des partis, notamment ceux défendant une minorité nationale. Le juge européen estime que non seulement les partis en eux-mêmes contribuent au pluralisme, mais aussi que la pluralité des partis est fondamentale en démocratie pour permettre un choix libre et éclairé de la part des électeurs. Comme le fait remarquer la Cour, “ bien qu’il faille parfois subordonner les intérêts d’individus ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité; elle commande un équilibre qui assure 140 aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d’une position dominante ” . La présence d’une multitude de partis est une garantie pour l’expression et la représentation de la diversité des opinion et des tendances politiques. Il n’est pas de société démocratique sans reconnaissance de ces trois valeurs centrales que sont “ le pluralisme, la tolérance 141 et l’ouverture d’esprit ” . En ce sens, les partis politiques apportent une “ contribution irremplaçable au débat politique, lequel se trouve au cœur même de la notion de société 142 démocratique ” . Usant de la généralité des termes de l’article 11 de la CEDH et de la place prépondérante des partis politiques dans la société démocratique, la Cour leur a reconnu la protection de la liberté d’association au sens de l’article 11. Il s’agit maintenant de définir les modalités de l’application de cette disposition aux partis politiques. Le juge européen estime 134 Au sujet de la liberté de la presse, voir l’arrêt Sunday Times, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni, 26 novembre 1991, §59. A propos de la liberté d’expression des parlementaires, voir les arrêts Castells c/ Espagne, 23 avril 1992, §43, et Piermont c/ France, 27 avril 1995, §§76-77. 135 136 137 138 139 140 ème P. Pactet et F. Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Sirey, Dalloz, 25 édition, Paris : 2006, p.81. Arrêt Parti communiste unifié précité, §43-44. Plus brièvement, arrêt Parti socialiste précité, §41. Arrêt Lingens précité , §42. Arrêt Parti communiste unifié, §44. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) précité, §37. Arrêt Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, 13 août 1981, §63 ; et arrêt Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c/ Bulgarie, 2 octobre 2001, §107. 141 142 Arrêt Handyside précité, §49. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §44. METIER Clémentine_2007 31 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME qu’au vu de leurs spécificités, les partis politiques doivent bénéficier d’une liberté ainsi que d’une protection renforcée par les juridictions internes et par la Cour européenne. Titre deuxième : L’application de l’article 11 aux partis politiques. Chapitre I / La liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) et la liberté d’expression (article 10) : un complément de protection pour les partis politiques. Pour assurer aux partis la protection qui leur revient, l’article 11 ne saurait s’envisager seul. Malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, la liberté d’association et de réunion se comprend à la lumière de la liberté de pensée, de conscience et de religion prévue à l’article 9, et comme un des objectifs de la liberté d’expression garantie à l’article 10 de la CEDH. Non seulement la liberté d’association, qui protège les partis, constitue un élément fondamental de la démocratie, mais elle est aussi une facette des autres libertés de la pensée. Aussi, les articles 9 et 10 de la Convention apportent une protection complémentaire à ces associations particulières que sont les formations politiques. Section une : “ La communauté des trois libertés ” : liberté de pensée, de conscience et de religion. §1 La liberté de pensée et ses implications. Le texte de la Convention consacre dans son article 9 ce que Yadh Ben Achour désigne 143 comme “ la communauté des trois libertés ” . En effet, cette disposition de la Convention définit d’abord un droit, auquel correspondent trois libertés. Ce droit est “ celui de l’être doué de raison et de raisonnement de disposer individuellement et collectivement de cette 144 aptitude à raisonner ” . Ce droit est conçu comme le droit d’exercer une liberté déterminée. Ceci induit et englobe les trois libertés qui sont proclamées par l’article 9, à savoir la liberté de pensée, la liberté de conscience et la liberté de religion, qui participent ensemble au 145 pluralisme des idées, “ chèrement conquis au cours des siècles ” . Aussi, dans les affaires de dissolution de partis politiques, la Cour examine les conditions de la liberté d’association des partis politiques au regard de l’article 9. Particulièrement, la liberté de religion, protégée par cet article, semble être une liberté 146 privilégiée par la Cour, notamment dans les affaires relatives aux partis politiques . Elle 143 Y. Ben Achour, La Cour européenne des droits de l’Homme et la liberté de religion, Cours et travaux n°3, Institut des hautes études internationales de Paris, université Panthéon-Assas (Paris II), éditions A. Pedone, Paris : 2005, p.13. 144 145 Ibid, p14. Arrêt Kokkinakis c/ Grèce, 25 mai 1993, §31 et arrêt Manoussakis c/ Grèce, 26 septembre 1996, §44. 146 32 Y. Ben Achour, op. cit., p.15. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES est définie comme “ l’une des assises d’une société démocratique ” non seulement pour les croyants, mais “ elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les 147 sceptiques ou les indifférents ” . Or la notion de société démocratique “ irrigue l’intégralité 148 du dispositif conventionnel , et c’est donc à l’aune de ces exigences que doit être comprise l’étendue de la liberté de manifester ses convictions religieuses. La liberté religieuse est une liberté constitutive de la démocratie. La liberté religieuse implique à la fois l’ensemble des croyances mais aussi les signes extérieurs, les cultes et les rites qui en découlent. Par conséquent, la liberté de religion implique la liberté de conscience et la libre pratique du culte et des rites. La question de la protection des partis politiques se réclamant d’une religion a été soulevée pour la première fois devant la Cour européenne à l’occasion de la dissolution du Parti de la prospérité (Refah Partisi). Se posait alors la problématique du rapport entre politique et religieux. §2 De la délicate définition des rapports entre politique et religieux. Comme le souligne Yadh Ben Achour, la religion a “ une tendance naturelle à accaparer le domaine politique, à le manipuler ou à y chercher refuge ”. Inversement, la politique a tendance à accaparer la religion, la manipuler et l’exploiter en fonction de ses propres 149 intérêts . Un parti politique représentant une religion peut alors devenir le centre de l’une ou l’autre des causes. Certaines constitutions prohibent explicitement l’existence de partis 150 à caractère religieux . C’est le cas notamment de la Constitution turque qui annonce, en son article 24, paragraphe 4, que “ nul ne peut, de quelque manière que ce soit, exploiter la religion, les sentiments religieux ou les choses considérées comme sacrées par la religion, ne en abuser dans le but de faire reposer, même partiellement, l’ordre social, économique, politique ou juridique de l’État sur des préceptes religieux ou de s’assurer un intérêt ou une influence sur le plan politique ou personnel ”. Plus encore, l’article 68, paragraphe 4, de la Constitution déclare que “ […] le statut, le règlement et les activités des partis politiques ne peuvent être contraires […] aux principes de la République démocratique et laïque. On ne peut instaurer des partis politiques ayant pour but de préconiser et d’instaurer la domination d’une classe sociale ou d’un groupe, ou d’une forme quelconque de dictature […] ” 151 . Dans les deux affaires concernant le Parti de la prospérité, jugées d’abord en Chambre en 2001, puis en Grande Chambre en 2003, la Cour européenne envisage la laïcité comme une valeur au service de la “ société démocratique ” européenne dans la mesure où ce principe est garant de la paix civile et religieuse. Plus encore, avec les principes de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme et de la démocratie, 152 le principe de laïcité est “ un principe de l’Etat ” . La Cour a définit la laïcité comme la séparation du politique et juridique d’une part, et du religieux d’autre part. Ce concept 147 148 Arrêt Kokkinakis précité, §31. M. Levinet, in G. Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme. Actes du colloque du 18 novembre 2005 organisé par l’Institut de droit européen des droits de l’homme (IDEDH), Némésis-Bruylant, collection Droit et justice, Bruxelles : 2006, p.84. 149 150 Y. Ben Achour, op. cit.,p.73. Par exemple, article 8 alinéa 5 de la Constitution tunisienne (révisée le 1er juin 2002) : “ Un parti politique ne peut s’appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activités ou programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région ”. Voir Y. Ben Achour, op. cit., p.74. 151 152 Y. Ben Achour, op. cit., p.75. J-F Flauss, “ Laïcité et Convention EDH ”, RDP, n°2-2004, p.317. METIER Clémentine_2007 33 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME s’étend à tous les modes d’expression du politique, en particulier les partis. En effet, tout parti politique étant un gouvernement en puissance, il doit être soumis à l’exigence de laïcité, comme tout gouvernement l’est dans un régime démocratique. En apparence, ce principe s’oppose donc à la formation de partis politiques à caractère religieux. La liberté religieuse ne peut s’accomplir que dans une société pluraliste tolérante, c’est-à-dire une société démocratique. L’État démocratique doit se faire “ organisateur neutre et impartial de 153 l’exercice des diverses religion, cultes et croyances ” . Dans l’arrêt de Grande Chambre, le juge reprend la jurisprudence de l’ancienne Commission EDH qui avait déjà assuré la 154 protection de la neutralité confessionnelle dans les universités publiques ou armée turque . Suivant cette démarche, la Cour rappelle son attachement au principe d’un État laïc qui est, selon elle, une condition de l’ordre public, de la paix religieuse et de la tolérance dans 155 une société démocratique . Ce principe est “ assurément un des principes fondateurs de l’État qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme et 156 de la démocratie ” . En énonçant que tout régime constitutionnel fondé sur l’absence de responsabilité politique des gouvernants devant les gouvernés est incompatible avec la Convention, elle semble viser avant tout les régimes politiques fondés sur la religion. De tels régimes sont, par définition, discriminatoires et structurellement contraires au principe 157 de la prééminence du droit . Certains auteurs comme Jean-François Flauss ont vu dans ces propos un aboutissement, estimant que “ la laïcité (était) passée de l’état de valeur nationale au statut 158 de valeur européenne ” . Dans l’arrêt de Grande Chambre, la Cour avait déclaré qu’“ un parti politique qui s’inspire des valeurs morales imposées par une religion ne saurait être considéré d’emblée comme une formation enfreignant les principes fondamentaux de la 159 démocratie, tels qu’ils ressortent de la Convention ” . Pourtant, si la Cour rappelle le 160 “ devoir de neutralité et d’impartialité de l’État ” , cette formule n’oblige pas nécessairement l’État à la neutralité confessionnelle, c’est-à-dire à la traduction du principe de laïcité. Il convient d’ailleurs de se souvenir que ce principe est absent du texte de la Convention, 161 162 et que, sauf exception , la Cour a limité son usage au contentieux relatif à la Turquie . Pour autant, le juge européen n’en définit pas moins un modèle de comportement, lequel se rapproche de la laïcité. L’impératif de neutralité des autorités publiques et le rejet absolu de 153 154 155 156 157 158 159 160 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §50. Décision de la Commission EDH Karaduman, 3 mai 1993. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §41. Ibid, §93. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §42. J-F. Flauss, “ La laïcité et la CEDH ”, RDP, 2004, p.318. Voir aussi M. Levinet, in G. Gonzalez (dir.), op. cit., p.86. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §100. Arrêt Leyla Sahin c/ Turquie, 10 novembre 2005, Grande Chambre, §107 : à propos d’une circulaire du Recteur de l’université d’Istanbul interdisant l’accès des cours, stages et travaux dirigés aux étudiantes ayant la tête couverte ainsi qu’aux étudiants portant la barbe. La Grande Chambre confirme la solution retenue par l’arrêt de Chambre du 29 juin 2004. Cet arrêt illustre la controverse européenne liée au port de signes d’appartenance religieuse dans les établissements d’enseignement : “ depuis plus d’une vingtaine d‘années, la place du voile islamique dans l‘enseignement public suscite en Europe la controverse ”. 161 Rapport de la Commission Buscarini c/ Saint-Marin, 2 décembre 1997, §43 : “ dans une société démocratique, laïque et pluraliste, la liberté de conscience et de religion constitue un élément essentiel du mandat parlementaire ”. 162 34 M. Levinet, in G. Gonzalez (dir), op. cit., pp.85-87. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES l’État théocratique se conjugue à la reconnaissance par la Cour d’une marge d’appréciation 163 relative laissée à l’État quant à l’organisation de ses rapports avec l’Église . Dans le cadre du contentieux turc, la Cour a avalisé la lutte contre le fondamentalisme religieux, au nom du principe de laïcité. Le projet du Refah Partisi d’instaurer ou de rétablir la Charia et d’adopter un système juridique autorisant les discriminations fondées sur la religion et sur le sexe ont 164 par exemple été jugés incompatibles avec le texte et l’esprit de la CEDH par la Cour . Mais dans le même temps, le droit à la libre critique est large dans la sphère du politique. Ceci témoigne de l’esprit tolérant de la Cour. En définitive, le juge européen que le respect d’un principe proche de celui de la laïcité est une condition pour pouvoir prétendre au droit à la liberté de religion, composante de la liberté de pensée et de conscience assurée par l’article 9 de la Convention. Mais la liberté de l’article 9 ne peut se comprendre sans la liberté d’expression garantie par l’article 10. D’ailleurs, la liberté d’expression de l’article 10 découlent des libertés garanties à l’article qui le précède. Ainsi, tant qu’il s’inscrit dans le débat public et démocratique, le discours anti-laïc, est protégé par l’article 10. Section deux : L’article 10 de la Convention protège la liberté d’expression des partis politiques. §1 L’article 10 de la Convention mis en perspective de la liberté d’associaiton des partis politiques. L’article 10 de la Convention fait l’objet d’une jurisprudence abondante. La liberté d’expression constitue l’une des conditions de base pour le progrès des sociétés 165 démocratiques et pour le développement de chaque individu . L’article 10 définit la liberté d’expression à la fois comme la liberté d’opinion et comme celle de recevoir des informations ou idées, sans ingérence de la part des autorités publiques et sans considérations de frontières. Une distinction peut s’opérer entre opinion et information, laquelle introduit une distinction entre deux types de média. D’une part, les médias de tendance diffusent les idées ou opinions des groupements partisans, par exemple un parti politique. Ils participent au pluralisme et bénéficient le plus souvent de la protection des autorités publiques. Par ailleurs, les médias d’information communiquent sur des questions d’intérêt 166 public et répondent au droit des individus à recevoir les informations . Dans le cas des partis politiques, la liberté d’expression s’analyse donc plutôt comme celle d’exprimer des opinions. Justement, la Cour accorde un protection particulière de la liberté d’expression dans les affaires d’intérêt public. Mais l’arrêt Handyside c/ Royaume-Uni a permis à la Cour de préciser que quelque soit l’angle envisagé, la liberté d’expression “ constitue l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’un de conditions primordiales 163 Arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, Grande Chambre, 27 juin 2000. §84 : L’Etat possède une marge d’appréciation relativement à l’établissement de “ délicats rapports entre l’Etat et les religions ”. 164 165 166 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §72, repris dans l’arrêt de Grande Chambre précité, §123. Voir les arrêts précités Handyside et Lingens. Arrêt Sunday Times, Observer et Guardian précité, §50 b. Voir aussi l’arrêt Barthold c/ Allemagne du 25 mars 1985 sur la tâche d’information et de contrôle qui incombe aux médias, et arrêt Lingens précité, §42 : la liberté de la presse est “ l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants ”. METIER Clémentine_2007 35 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 167 de son progrès et de l’épanouissement de chacun ” . Elle “ vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique ”. Le juge se montre d’autant plus vigilant quand la liberté d’expression a 168 rapport avec la liberté de la presse ou du discours politique . L’article 11, de la Convention qui protège la liberté d’association politique, doit, malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, […] s’envisager à la lumière de l’article 10 ”. “ La protection des opinions et de la liberté de les exprimer constitue l’un des objectifs de la liberté de réunion et 169 d’association consacrée par l’article 11 ” . La démarche de la Cour EDH rejoint d’ailleurs celle choisie par les rédacteurs de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. En effet, l’article 12 de ce texte rappelle que la liberté d’association des partis politiques résultent de leur participation “ à l’expression de la volonté politique des citoyens et citoyennes de 170 l’Union ” . L’interaction entre liberté d’expression et liberté d’association est donc claire. §2 L’article 3 du Protocole n°1 à la Convention, complément de l’article 10. L’article 3 du Protocole n°1 vise “ la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ” et requiert donc “ le concours d’une pluralité de partis politiques ” 171 afin de représenter les diverses opinions des électeurs . Or les exigences de la société démocratique dictent une profonde synergie entre élections libres et liberté d’expression : 172 ces deux principes “ sont interdépendants et se renforcent l’un l’autre ” . Or le droit à de libres élections est un “ principe caractéristique d’un régime politique authentiquement 173 démocratique ” et il “ ne saurait se concevoir sans le concours d’une pluralité de partis 174 politiques représentant les courants d’opinion qui traversent la population d’un pays ” . L’arrêt Incal c/ Turquie ajoute que les partis “ représentent les électeurs, signalent leurs 175 préoccupation et défendent leurs intérêts ” . Aussi la liberté d’expression politique estelle particulièrement protégée, dans la mesure ou elle permet la défense du libre jeu des opinions, exprimées dans le cadre d’élections libres, et portées par les partis politiques. C’est pour cette raison que la Cour EDH met l’accent sur le lien étroit entre liberté d’expression et liberté de réunion et d’association tout en accordant la plus haute importance 167 168 Arrêt Handyside précité, §49. Sur la liberté de la presse et les droits des journalistes (protection de la diffusion d’idées et des sources journalistiques), voir l’arrêt Lingens précité. Sur la liberté du discours et du débat politiques voir l’arrêt Nilsen c/ Norvège du (date). Voir aussi l’analyse de P. de Fontbressin, P. Lambert (dir.), Les partis liberticides et le Convention européenne des Droits de l’homme. Actes du colloque du 8 octobre 2004 organisé par les Instituts des droits de l’homme des barreaux de Bordeaux, Bruxelles et Paris, Némésis-Bruylant, collection Droit et justice, Bruxelles : 2005, p.15. 169 Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie §§42-43 ; Parti socialiste §41 ; Refah Partisi de Chambre, §44, et de Grande Chambre, §88. Voir aussi arrêt Partidul Communistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c/ Roumanie, 3 février 2005, §44. 170 171 172 173 http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf (consulté le vendredi 17 août 2007). Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §44. Voir aussi arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt précité. Arrêt Bowman c/ Royaume-Uni, 19 février 1998, §42. F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.57. Voir aussi l’arrêt Mathieu-Mohin et Cerfaryt précité, §47 : l’article 3 du Protocole 1 qui garantit le droit à des élections libres revêt une “ importance capitale ”. 174 175 36 Arrêt Parti communiste unifié précité, §44. Arrêt Incal c/ Turquie, 9 juin 1998, §46. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique. La protection des opinions et la liberté de les exprimer doit donc être, selon la Cour, un des objectifs de la liberté de réunion et d’association. Les activités des partis politiques, associations aux fins de l’article 11, participent à l’exercice collectif de la liberté d’expression, et à ce titre, ils doivent donc bénéficier des garanties de l’article 10, comme l’ont rappelé notamment les arrêts Parti socialiste et Parti de la liberté et de la démocratie. Puisqu’“ il n’est pas de démocratie sans pluralisme ”, il n’est pas non plus de liberté d’association politique sans 176 liberté d’expression . Sans libre expression des opinions, les partis n’auraient plus lieu d’être puisqu’ils ne pourraient remplir leur rôle de proposition et la discussion d’opinions diverses et de projets politiques variés. Or “ l’une des principales caractéristiques de la démocratie réside dans la possibilité qu’elle offre de résoudre par le dialogue et sans recours à la violence les problèmes que rencontre un pays, et cela même quand ils dérangent. 177 La démocratie se nourrit en effet de la liberté d’expression ” . Précisément, comme les partis politiques participent au bon fonctionnement de la démocratie et ils représentent les différentes tendances et opinions existantes dans un pays, ils doivent donc pouvoir participer librement au débat politique, lequel “ est au cœur même de la notion de société 178 démocratique ” et dans le respect de la pluralité des points de vue . La liberté d’association politique, garantie aux partis par l’article 11 de la Convention, est donc une liberté de premier rang : elle est “ l’un des fondements essentiels d’une société 179 démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès ” . La lecture combinée de l’article 11 avec les articles 9 et 10 de la Convention, ainsi qu’avec l’article 3 du Protocole n°1 confère aux partis politiques un rôle central non seulement dans le débat politique mais surtout dans la société démocratique, laquelle anime la Convention toute entière. Chapitre II / Les spécificités de la protection de l’association politique. L’article 11 consacre la liberté d’association ainsi que la liberté de réunion pacifique. Ce sont deux droits voisins et complémentaires, mais aux contenus différents. Dans le cadre de la jurisprudence relative aux partis politiques, c’est la liberté d’association qui s’applique. De manière générale, le contentieux lié à l’article 11 concerne principalement la liberté d’association syndicale. Mais dans nombre de ces affaires, la Cour s’est penchée sur la question de la liberté d’association en général plutôt que strictement sur celle des syndicats 180 afin d’établir un principe global, également applicable en dehors du contexte du syndicat . Comme elle l’a fait pour la liberté d’association syndicale, la Cour a définit l’étendue du champ d’application de la liberté d’association politique au fil de sa jurisprudence. La Cour EDH reconnaît à l’article 11 une portée autonome, ce qui lui confère une force juridique importante. Par ailleurs, cette disposition protège l’association, et donc les partis politiques, durant toute leur durée de vie. 176 Voir parmi d’autres les arrêts précités Parti de la liberté et de la démocratie précité, §37; arrêt Yazar et autres, §46; arrêt Partidul communistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, §45. Voir aussi arrêt Dicle pour le parti de la démocratie (DEP) c/ Turquie, 10 décembre 2002, §43; arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) et autres c/ Turquie, 12 novembre 2003, §37. 177 178 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Repris par l’arrêt Parti socialiste et autres précité, §45. Arrêt Lingens précité, §42. 179 180 Rapport de la Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP) et autres précité, §76. D. Gomien, D. Harris, L. Zwaak, La Convention européenne des Droits de l’homme et Charte sociale européenne : droit et pratique, Éditions du Conseil de l’Europe/ Council of Europe Publishing, Strasbourg : 1997, pp.328-329. METIER Clémentine_2007 37 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Section une : La recherche d’effectivité dans la protection de la liberté d’association. §1 La liberté d’association, une notion de “ portée autonome ” Aux yeux de la Cour EDH, la notion d’association a un “ portée autonome ”, c’est-àdire que sa signification ne saurait varier selon les qualifications juridiques propres aux différents droits nationaux. Une telle qualification s’inscrit dans la volonté affichée par la Cour d’assurer l’uniformité de l’interprétation de la Convention EDH. Cette démarche permet une définition uniforme des engagements étatiques et assure l’égalité de traitement entre les États contractants. La qualité de “ notion autonome ” a d’abord été attribuée pour étendre le champ d’application du droit à un procès équitable. Mais la Cour confère aussi à la liberté d’association un sens européen autonome par rapport au droit national, c’est-à-dire que cette liberté ne peut pas être interprétée par simple référence au droit interne. Cette idée confirme la conception élastique de la notion d’association envisagée par la Cour. Cette dernière définit son exigence en la matière au regard de l’indispensable 181 uniformité d’interprétation de la Convention . Étant donnée la diversité des statuts attribués aux partis politiques en Europe, l’article 11 les protège, qu’ils soient ou non érigés au rang d’organes constitutionnels. Fidèle à sa technique d’interprétation théléologique de la Convention, la Cour refuse de conditionner l’application des droits et libertés qu’elle protège à la qualification juridique des faits donnée en droit interne. Il s’agit en fait d’éviter que les Etats n’enfreignent la Convention en qualifiant arbitrairement une association de publique 182 afin de la faire échapper au champ d’application de l’article 11 . Cette technique lui a permis par exemple d’inclure les groupes dits para-administratifs, ou même les associations 183 communales de chasse, pourtant exclues du droit commun français des associations . Rien dans les termes de l’article 11 ne précise la forme juridique de l’association. Cette disposition ne permet pas de conclure à l’existence d’un droit à l’acquisition de la personnalité morale au profit des associations. Mais selon la Cour, si le droit national ne permettait pas à un organisme ne disposant pas de la personnalité morale d’exercer les 184 libertés reconnues par l’article 11, un tel droit pourrait alors être revendiqué . En ce sens, le refus par les autorités publiques d’enregistrer une association n’est pas en soi contraire à 185 l’article 11 si celle-ci peut poursuivre ses activités malgré tout . La législation de la plupart des Etats parties à la CEDH reconnaît la personnalité morale aux associations. C’est le cas er par exemple de la loi du 1 juillet 1901 qui en France, confère, aux association déclarées, la “ petite personnalité morale ”, ce qui leur permet notamment d’ester en justice ou d’acquérir 186 les biens meubles ou immeubles nécessaires à l‘accomplissement de leurs buts . Mais pour la Cour, la forme juridique que peut prendre une association demeure indifférente tant que l’exercice de la liberté est assuré effectivement. La façon dont le droit national organise 181 182 183 Voir F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.36. F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.513. En France, les associations communales de chasse sont régies par la loi Verdeille du 10 juillet 1964. La Cour EDH, dans son arrêt Chassagnou et autres c/ France, rendu en Grande Chambre le 29 avril 1999, les inclut dans la protection garantie par l’article 11 de la Convention. 184 185 186 38 J-L. Charrier, Code de la Convention EDH, LexisNexis Litec, collection Juris Code, Paris : 2005, p.196. Rapport de la Commission EDH, Lavisse c/ France, 5 juin 1991. M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff, op. cit., pp.63 à 65. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES la protection de l’association importe peu. C’est véritablement l’effectivité de la protection qui est recherchée par la Cour. §2 Une protection qui s'étend à toute la durée de vie de l'association. L’arrêt Parti communiste unifié précise que la protection conventionnelle de la liberté 187 d’association s’étend à “ toute la durée de vie des associations ” . La Cour ne circonscrit pas sa protection à la création de l’association, mais protège sa naissance, sa vie et sa mort. Une telle garantie se rapproche de celle assurée par le droit français. Au regard de la loi de 1901, une des caractéristiques essentielles de l’association tient dans sa permanence. Cet élément la différencie de la réunion, qui ne possède qu’une existence ponctuelle. En ce sens, l’association est une “ institution ” qui bénéficie de la protection du juge à tous les 188 stades de son existence . En droit français comme en droit européen, la liberté d’association recouvre donc d’abord le droit à la liberté de création. Dès 1998, la première affaire de dissolution d’un parti politique, l’affaire Parti communiste unifié, a donné l’occasion à la Cour d’affirmer indirectement que l’article 11 de la CEDH protège d’abord le droit de fonder un parti politique. Pour autant, le juge européen ne précise pas les modalités selon lesquelles ce droit doit s’exercer. Ainsi, la majorité des droits nationaux consacre un régime sans déclaration préalable. Par exemple, la loi française de 1901 n’impose aucune obligation de déclaration préalable, ce qui permet l’existence d’associations de fait, dites non déclarées, lesquelles n’ont pas la personnalité morale. Les associations déclarées bénéficient elles de certaines garanties, et ont pour seule obligation le respect de certaines formalités procédurales au moment du dépôt de leurs statuts en préfecture, exception faite des associations reconnues d’utilité publique à qui des conditions supplémentaires s’imposent. Mais la Cour européenne n’impose pas de règles quant aux modalités de création de l’association. Il importe seulement que la protection de la liberté de création soit efficace, l’Etat restant libre des moyens à mettre en œuvre pour assurer ce droit. La Cour rappelle qu’il ne pèse sur l’Etat qu’une obligation de résultat : il est le gardien des droits et libertés reconnus par la 189 Convention et doit, à ce titre, assurer leur protection effective . En second lieu, la protection de l’association politique inclut la protection de ses activités. En ce sens, la loi française de 1901 garantit, au titre de la liberté d’association, la liberté d’organisation et de fonctionnement de celle-ci. Ainsi, les fondateurs d’une association sont libres de choisir l’état civil de celle-ci, à savoir son nom et son siège social, ainsi que son objet et ses règles de fonctionnement, comme par exemple les 190 compétences des différents organes ou les règles de votes . Suivant cette démarche, la liberté d’association doit s’entendre non seulement comme le droit de fonder un parti politique mais aussi comme le droit pour ce dernier de “ mener librement ses activités 191 politiques ” . Sans cela, la liberté d’association politique serait privée d’effectivité et se 192 révélerait illusoire . Les partis doivent pouvoir mener toute activité bénéficiant de la 187 188 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §33. J. Fialaire et E. Mondelli, Droits fondamentaux et libertés publiques, Ellipses, collection universités, Paris : 2005, p.530. 189 190 191 192 Arrêt Ouriano Toxo et autres c/ Grèce, 20 octobre 2005, §37. J. Fialaire et É. Mondelli, op. cit., p.532. Arrêt Parti Communiste unifié de Turquie précité, §33. F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.515. METIER Clémentine_2007 39 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 193 protection des dispositions de la Convention , de même que la Cour exerce son contrôle quant à la possibilité d’une interdiction faite par les autorités nationales d’exercer une activité 194 politique . En ce point, le droit de la Convention rejoint le droit français qui considère que “ le caractère de liberté fondamentale s’attache également au droit d’un parti politique 195 légalement constitué de tenir des réunions ” . En ce sens, l’arrêt Ahmed et autres c/ Royaume-Uni a souligné que le droit à la liberté d’association politique inclut celui d’adhérer 196 librement à un parti , mais tout en précisant que ceci n’inclut pas “ le droit de déployer 197 une activité organisationnelle et administrative dans (un) parti et d’y détenir un poste ” . Le juge européen n’émet pas de distinction en fonction de la nature politique ou non de l’association. Ainsi, l’article 11, paragraphe 1, n’accorde pas de droits spécifiques ni 198 aux syndicats ni aux partis politiques. Dans les affaires Parti communiste unifié et Parti socialiste précitées, la Cour avait eu à examiner la mesure de confiscation des biens des partis ainsi que l’interdiction faite aux dirigeants de participer à des élections. La Cour avait estimé que ces mesures n’étaient que des effets accessoires de la dissolution, et non pas une ingérence dans la liberté d’association des requérants. Pour Bernadette Duarté, ceci constitue un refus implicite de protéger les association contre de telles mesures. Dans cette perspective, l’article 11 ne garantirait aux partis politiques ni le droit de participer aux 199 élections, ni celui de détenir des biens . En effet, la Cour ne reconnaît de “ droits implicites ” que sous deux conditions, qui ne sont pas remplies en l’espèce : de tels droits doivent être des éléments indispensables à l’exercice efficace de la liberté en cause, et ils doivent aussi être consacrés par la majorité des Etats européens dans leurs législations et leurs pratiques nationales. Cette technique a notamment permis à la Cour EDH de reconnaître le droit d’accès à un tribunal alors même qu’il n’apparaît pas expressément dans l’article 6, 200 paragraphe 1, de la CEDH . Or, étant donnée la grande diversité des régimes juridiques applicables aux partis politiques, la Commission a clairement énoncé l’article 11, paragraphe 1, “ ne donne (…) pas droit à un statut particulier ni celui de participer à des élections, ni encore celui d’exclure le paiement de subvention à des partis politiques pour leur campagne 201 électorale ” . Néanmoins, la Cour ne s’est pas prononcée aussi clairement en ce sens. Elle se borne à affirmer que l’article 11, paragraphe 1, ne garantit pas clairement aux partis politiques le droit de mener des activités spécifiques. Pour autant, même si l’article 11 paragraphe un tel que l’interprète la Cour ne leur reconnaît pas ce droit, les partis politiques ne demeurent pas sans protection en cas d’abus de la part des autorités publiques. D’autres dispositions de la Convention peuvent jouer en leur faveur. Suivant le même raisonnement que dans l’arrêt Ahmed et autres c/ Royaume-Uni précité, la Cour, pour les affaires Parti communiste unifié et du Parti socialiste, avait examiné les griefs concernant la confiscation 193 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57; Arrêts Refah Partisi (Parti de la prospérité) précités, de Chambre §46 ; et de Grande Chambre, §97. 194 195 196 Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46 ; et Yazar, §46-49. Décision du Conseil d’Etat, Ord. Référé, 19 août 2002, Front National et institut de formation des élus locaux, req. n°249666. Arrêt Ahmed c/ Royaume-Uni, 2 février 1998, §70. Confirmation et explication de ce qui avait été admis dans l’arrêt Vogt c/ Allemagne précité. 197 198 199 200 201 40 Arrêt Ahmed précité, §§67 et 70. Voir notamment arrêt Syndicat national de la police belge, 27 octobre 1975. B. Duarté, op. cit., p. 324. Arrêt Golder c/Royaume-Uni, 21 février 1975. Décision Commission EDH du 18 mai 1976. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES des biens des deux partis ainsi que l’interdiction de participer aux élections, la sur le terrain des articles un et trois du Protocole un. De la même façon, le juge européen a aussi reconnu la possibilité d’appliquer l’article 10 afin de protéger la liberté des membres d’un parti de 202 distribuer des tracts . De la même façon, pour les activités courantes des partis politiques, la liberté de manifester ses convictions politiques garantie par l’article 9 ou encore la liberté de réunion de l’article 11 jouent aussi un rôle. En définitive, sans reconnaître de droits spécifiques aux associations politiques, la Cour protège leurs activités au titre de l’article 11 mais aussi du reste de la Convention. D’autre part, la Cour reconnaît le droit aux individus de 203 s’affilier ou d’adhérer à un parti de son choix. . Ceci constitue une protection individuelle vitale à l’exercice collective de la liberté d’association politique. Ceci est d’autant plus vrai qu’un parti politique fonde sa légitimité non seulement sur son électorat mais aussi sur ses adhérents qui permettent au parti de fonctionner. Les individus possèdent donc la liberté de s’affilier à un parti politique qu’ils doivent pouvoir choisir, tout comme ils ont aussi le droit de n’adhérer à aucun parti. C’est-ce que la Cour désigne comme la liberté “ négative ” d’association. Enfin, au sens du droit français, les associations bénéficient d’une garantie d’existence contenue dans le régime applicable à leur dissolution. Celle-ci ne peut intervenir que postérieurement à la création et ne peut être prononcée que par le juge civil. Une telle mesure n’intervient que si l’association “ est fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à 204 l’intégrité du territoire nationale et à la forme républicaine du gouvernement ” . Pour la Cour EDH, la dissolution d’un parti politique doit être soumise à un contrôle restreint. Elle est sujette aux conditions de l’article 11, et notamment aux conditions de son paragraphe 2. Par exemple, l’interdiction faite par la Cour Constitutionnelle turque aux dirigeants du Parti communiste unifié dissous de fonder un nouveau parti constitue ingérence dans la liberté 205 d’association des requérants au sens du paragraphe 2 . Confirmant sa jurisprudence 206 antérieure , le juge européen utilise la méthode de l’effet utile pour rejeter clairement l’argument évoqué alors par le gouvernement turc, selon lequel l’article 11§1 n’empêcherait pas la dissolution a posteriori d’un parti politique. En effet, “ le droit consacré par l’article 11 se révèlerait éminemment théorique et illusoire s’il ne couvrait que la fondation d’une association, les autorités nationales pouvant aussitôt mettre fin à son existence sans avoir à 207 se conformer à la Convention ” . L’objectif de cette démarche consiste à assurer l’effectivité de la protection de l’article 11 en particulier, et de la protection européenne des droits fondamentaux en général. En effet, l’idée d’effectivité des droits et libertés garantis par la Convention est une préoccupation dominante du juge européen, ce qui s’inscrit d’ailleurs 208 dans une démarche novatrice . Le dynamisme interprétatif dont fait preuve la Cour a 209 permis la reconnaissance d’“ éléments nécessairement inhérents ” aux droits proclamés , comme par exemple le droit d’accès à un tribunal déduit du droit à un procès équitable de 202 203 204 205 206 207 208 209 Arrêt Incal précité. Arrêt Ahmed précité, §70. Loi 1er juillet 1901, art.3. Voir à ce propos Jacques Fialaire et Éric Mondelli, op. cit., pp.531-532. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §36 et Parti socialiste, §30. Voir arrêt Le Compte, Van Leuven et de Meyer, §65 ; et arrêt Sidiropoulos, 10 juillet 1998, §40. Arrêt Parti communiste unifié précité, §33. F. Sudre, La Convention EDH, op. cit., p.31. Arrêt Airey, 9 octobre 1979. METIER Clémentine_2007 41 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 210 l’article 6 . Le juge assure ainsi le développement des droits garantis. La protection de l’article 11 vaut donc “ pour toute la durée de vie des association, y compris leur dissolution 211 par les autorités d’un pays ” . Par cette formule, le juge garantit aux partis politiques le droit de ne pas être dissous arbitrairement. Section deux : Une certaine bienveillance vis-à-vis des associations politiques. §1 Le cas particulier des partis politiques plaidant en faveur des minorités nationales. Nous l’avons abordé, les partis politiques participent directement au maintien du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture “ sans lesquels il n’est pas de société 212 démocratique ” . Considérant que leur présence vitale pour la démocratie justifie une conception extensive de la liberté d’association politique, la Cour estime que même “ les adversaires des idées et positions officielles doivent pouvoir trouver leur place dans l’arène 213 politique ” . Par exemple, le programme Parti communiste unifié de Turquie, tout comme les discours du Président du Parti socialiste, avaient comme but clairement avoué de 214 critiquer l’action des dirigeants turcs face au problème kurde . Or la Cour estime que cet objectif était sans conséquences et que “ les limites de la critique admissibles sont plus larges à l’égard d’un gouvernement que d’un simple particulier ou même d’un homme 215 politique ” . La liberté de contestation est donc plus étendue si elle vise le pouvoir politique, et non la police ou le pouvoir judiciaire. A ce titre, les partis jouent en quelque sorte le 216 rôle d’“ avant-garde de la liberté d’opinion politique ” . Dans une société démocratique fondée sur les principes de l’Etat de droit, les idées politiques qui contestent l’ordre établi sans remettre en cause les fondements de la démocratie elle-même et dont la réalisation est recherchée par le biais de moyens pacifiques doivent se voir conférer une opportunité adéquate d’être exprimées, notamment via la participation au processus politique. La proposition et le débat de programmes politiques divers, tant qu’ils ne portent pas atteinte à la démocratie elle-même, participent de l’essence de la démocratie. C’est la raison pour laquelle la Cour avait estimé que les revendications du Parti communiste unifié étaient légitimes, dans la mesure ou il proposait une réponse pacifique, démocratique et équitable à la question kurde. Une formation politique ne saurait être inquiétée “ pour le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un Etat ” et trouver une 217 solution dans le respect des règles démocratiques .Une des conséquences du pluralisme 210 211 212 213 Arrêt Golder précité. Arrêt Parti communiste unifié précité, §33. Arrêt Handyside c/ Royaume-Uni précité, §49. Rapport de la Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), et autres précité, §83 ; et rapport Parti socialiste, D. Pirincek et I. Kirit c/ Turquie, requête n°21237193. Voir aussi l’arrêt Piermont précité, §76. 214 215 216 B. Duarté, op. cit., p.339. Arrêt Incal précité, §54, qui reprend l’arrêt Castells précité, §46. J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne des Droits de l’homme. Le droit constitutionnel national devant la Cour européenne des Droits de l’homme (actualité jurisprudentielle 1997-1998-1999-2000) ”, RFDC, n°44, 2000, p.399. 217 42 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Arrêt Parti socialiste précité, §45. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES est justement de permettre aux partis d’exprimer leur point de vue sur les problèmes minoritaires d’un Etat. Comme l’a souligné l’arrêt Yazar, Karatas, Akoy et Parti du travail du peuple (HEP) c/ Turquie précité, les formations politiques doivent pouvoir introduire dans le débat public des questions en contradiction avec lignes directrices de la politique gouvernementale ou les convictions majoritaires dans l’opinion publique. Précisément, la présence des partis politiques divers permet l’expression de toutes les opinions et idées. Cela garantit le maintien du pluralisme et contribue à la recherche de solutions à des questions générales qui concernent l’ensemble des acteurs de la société démocratique. A ce titre, les partis politiques endossent une fonction de “ contrôle attentif ” des actions ou des omissions du gouvernement qu’ils partagent avec les “ pouvoirs législatif et judiciaire, 218 la presse et l’opinion publique ” . En l’occurrence, le Parti communiste unifié appelait la population kurde à se regrouper et à faire valoir certaines revendications politiques mais sans aucune incitation à la violence ou au non respect de la démocratie. Alors que le gouvernement reprochait au parti l’usage d’expressions telle que “ identité nationale kurde ” ou “ nation kurde ” et la revendication d’une reconnaissance constitutionnelle, la Cour européenne a conclu que cette démarche s’inscrivait légitimement dans le cadre de la liberté 219 d’expression reconnue aux partis politiques . La Cour se montre relativement bienveillante vis-à-vis des partis politiques qui soutiennent les minorités nationales. Elle va même jusqu’à affirmer que les formations politiques possèdent le droit de contester leur Etat, tant qu’ils ne remettent pas en cause les fondements de la démocratie. §2 Le droit de contester Etat Ni la Convention, ni la Commission, ni la Cour n’imposent de devoir de “ fidélité constitutionnelle ”, c’est-à-dire qu’un parti peut légitimement remettre en cause la structure de l’État, à condition que son programme idéologique ne soit pas fondamentalement 220 négateur des valeurs de la démocratie . Une formation politique ne saurait donc être condamnée “ pour le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un État et de se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver, dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire tous les acteurs 221 concernés ” . En réalité, la Cour s’est trouvée confrontée à cet argumentaire de la part du gouvernement turc dans de nombreuses affaires de dissolution de partis politiques qui concernait des organisations sanctionnées pour avoir voulu favoriser le séparatisme, ou au moins pour avoir défendu une minorité nationale. A plusieurs reprises, le juge 222 européen a dû juger de l’attitude de la Turquie face à la question kurde . Dans le système constitutionnel turc, la nation est instituée comme une entité unique et indivisible, transcendant les appartenances culturelles des individus qui la composent. Par conséquent, la reconnaissance de l’existence d’un “ peuple ” kurde revient à remettre en cause les 223 fondements même de Etat, ce qui est contraire à la Constitution . Comme le souligne 218 219 220 221 222 Arrêt Yazar, §59. Voir aussi arrêt Castells précité, §46. Parti communiste unifié de Turquie précité, §21. J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.876. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Repris par l’arrêt Parti socialiste précité, §45. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie; Parti socialiste et autres; Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP); Yazar et autres ; Dicle pour le parti de la démocratie (DEP); et Parti socialiste de Turquie (STP). 223 Parti communiste unifié de Turquie précité, §21. METIER Clémentine_2007 43 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Julie Ringelheim, cette position s’inspire du modèle français. En France, les principes constitutionnels d’égalité des citoyens et d’indivisibilité de la République s’opposent à la 224 reconnaissance de l’existence de minorités ethniques, religieuses ou linguistiques . En ce sens, le Conseil Constitutionnel affirme que mentionner dans une loi “ le peuple corse, composante du peuple français ” est inconstitutionnel dans la mesure ou la Constitution 225 proclame l’unicité du peuple français “ sans distinction d’origine, de race ou de religion ” . Cependant, la démarche française se distingue de celle du gouvernement turc en cela que la Constitution française n’interdit pas aux individus, associations ou partis politiques de qualifier un groupe de peuple ou de minorité, ni même d’agir en faveur de la reconnaissance de ses droits. D’ailleurs, s’il refuse la référence au “ peuple corse ”, le Conseil Constitutionnel 226 accepte toutefois le statut d’autonomie renforcée prévue par la loi pour la Corse . Au contraire, en Turquie, le seul fait pour un parti politique de soutenir l’existence d’une minorité est contraire à l’ordre constitutionnel. Selon les termes de la loi turque n°2820, relative aux partis politiques, il est interdit d’affirmer “ l’existence, sur le territoire de la République de Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse, à l’appartenance à une secte, à la race ou à la langue ”. De plus, il est défendu de viser “ la destruction de l’intégrité de la nation en se proposant de [créer des minorités] sur le 227 territoire de la République de Turquie ” . Mais un tel argumentaire s’oppose clairement à la CEDH et à la position défendue par la Cour européenne. En effet, la démocratie, valeur centrale de la Convention suppose que puissent être proposés et discutés des projets politiques divers, “ même quand ils 228 dérangent ”, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à la démocratie elle-même . “ Une association, fut-ce un parti politique, ne se trouve pas soustraite à l’empire de la Convention par cela seul que ses activités passent aux des autorités nationales pour porter atteinte 229 aux structures constitutionnelles d’un État et appeler des mesures restrictives ” . La Cour rejoint en ce sens la vision de la démocratie par Voltaire : “ je détestes vos idées mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez les exprimer ”. En l’espèce, le Parti socialiste avait été dissout pour avoir proposé une fédération kurdo-turque, fondée sur une union entre les deux peuples afin de mettre fin à l’oppression et à la discrimination. Ce projet allait plus loin que celui du Parti communiste unifié de Turquie avant lui dans la mesure où l’égalité totale entre turcs et kurdes, intégrés à un système fédéral, était clairement revendiquée. Selon la Cour constitutionnelle d’Ankara, cet objectif remettait en cause l’unité de la Nation turque et l’intégrité de Etat Mais pour le juge européen, une telle fédération constituait un projet respectable dans une démocratie, notamment dans la mesure ou la forme de Etat est un choix d’une majorité qui peut devenir minoritaire à tout moment. En effet, comme l’a rappelé l’arrêt Young, James et Webster du 13 août 1981, “ la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante d’une majorité ”. Aussi, les autorités nationales ont pour tâche 230 d’“ assurer aux minorités un juste traitement ” . En ce sens, la liberté d’association se 224 225 226 J. Ringelheim, Diversité culturelle et Droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention EDH, p.367 Décision du 9 mai 1991 à propos de la Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, §13. J. Ringelheim, Diversité culturelle et Droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention européenne des Droits de l’homme, Bruylant, collection du Centre des Droits de l’home de l’université catholique de Louvain, Bruxelles : 2006, p.368. 227 Loi n°2820 sur les partis politiques précitée. Voir A. Bockel, op. cit., pp.921-922. 228 229 230 44 Arrêt Parti socialiste précité, §45. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27. Arrêt Young, James et Webster précité, §63. Repris par l’arrêt Dudgeon c/Royaume-Uni, 22 octobre 1981, §59. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES 231 comprend comme une garantie contre la tyrannie de la majorité . Or, le rôle des partis est justement de représenter aussi les courants d’opinion minoritaires. Le juge européen reprend en droit la position retenue à ce propos par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans ses résolutions critiquant le gouvernement turc à l’égard des mouvements 232 d’opposition . Dans le cas du Parti socialiste, son programme mentionnait le “ droit à l’autodétermination de la nation kurde ” et son “ droit de se séparer ”, mais pour autant, le juge européen considère qu’il n’encourageait pas directement la séparation. Le but était, semble-t-il, simplement de souligner que la fédération turco-kurde “ ne pourrait exister sans 233 libre consentement des kurdes, lequel devrait s’exprimer par la voie d’un référendum ” . Le projet ne constituait donc pas une incitation à la violence et à l’inverse, il s’appuyait sur la liberté d’expression, la représentation et l’égalité. Si ce projet “ peut passer pour incompatible avec les principes et structures actuels de l’État turc ”, il ne s’oppose en rien 234 aux règles démocratiques . Le programme du Parti socialiste s’inscrivait parfaitement dans 235 la perspective d’un “ dialogue (…) sans recours à la violence ” . Mais la Cour pousse son raisonnement plus loin : la contestation voire même la destruction des structures étatiques existantes constituent, selon elle, des objectifs louables pour les formations politiques. Comme elle l’avait déjà énoncé dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, tant que “ l’organisation institutionnelle et politique des Etats membres ” respecte “ les droits et principes inscrits dans la Convention ”, “ il importe peu à cet égard que 236 se trouvent en cause des dispositions constitutionnelles (…) ou simplement législatives ” . En ce sens, la réalisation du projet du Parti socialiste aurait aboutit à la remise en cause du mode d’organisation actuelle de l’Etat, mais tout régime politique doit pouvoir être critiqué au nom du pluralisme, d’autant qu’il n’existe pas d’uniformité sur le type de régime dans les différents droits constitutionnels européens. En vertu de l’article 11, un parti politique devrait pouvoir proposer un retour à la monarchie et une révision constitutionnelle en ce sens, 237 bien que le droit français par exemple l’interdise . Pour la Cour EDH, un parti politique ne peut être sanctionné du seul fait qu’il propage certaines idées susceptibles de modifier l’organisation constitutionnelle du pays. Au paragraphe 47 de l’ arrêt Parti socialiste précité, le juge européen reconnaît directement aux partis le droit de remettre en cause le “ mode actuel d’organisation d’un État ” en proposant, comme en l’espèce, la substitution d’un État fédéral à un État unitaire, sans atteinte à l’intégrité territoriale, et donc implicitement aux buts légitimes définis à l’article 11 §2, sous réserve de ne pas “ porter atteinte à la démocratie ellemême ”. Mais surtout, la Cour reconnaît indirectement sinon un droit à l’autodétermination, qui causerait la sécession et donc violerait le principe d’intégrité territoriale, du moins celui de la détermination de son sort par une minorité à l’issue d’un processus politique négocié 231 232 A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Gallimard, Paris : 1961, p.291. Cité par B. Duarté, op. cit., p.340. Notamment résolution 985 (1992) relative aux Droits de l’homme; résolution 1030 (1994) sur la détention de six membres de la Grande Assemblée nationale turque les 2 et 3 mars 1994; résolution 1041 (1994) sur les conséquences de la dissolution du Parti de la démocratie (DEP) adoptée le 30 juin 1994. Voir B. Duarté, op. cit., p.341. 233 Arrêt Parti socialiste précité, §47, reprenant l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §56. Voir F. Benoît-Rohmer, “ La Cour EDH et la défense des minorités nationales ”, RTDH, n°51/2002, p.569. Voir aussi S. Wohlfahrt, in E. Decaux et P. Tavernier (dir.) Chronique de jurisprudence de la Cour EDH (année 1998), J.D.I.1, 1999, p.215. 234 235 236 237 Arrêt Parti socialiste précité, §47. Ibid, §45. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §30. Néanmoins, cette interdiction pourrait être contournée puisqu’il n’existe pas de sanction. Voir P. Pactet et al., op. cit., p.551. METIER Clémentine_2007 45 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 238 “ par la voie du référendum ” . Par conséquent, un parti peut promouvoir un programme autonomiste et même séparatiste, puisqu’une telle revendication participe de l’essence de 239 la démocratie . Si la Cour autorisait la sanction des partis politiques pour avoir remis en cause l’organisation de l’État, cela reviendrait à accepter le délit d’opinion. Le respect du droit relève de la responsabilité morale des individus : ceux-ci peuvent décider euxmêmes de ce qui est bien ou mal, peuvent s’exprimer à ce sujet et peuvent se réunir avec des personnes de même opinion. Une communauté qui ne permet plus l’expression d’opinion choquantes, inquiétantes ou blessantes, ou la formation d’association qui refusent 240 les principes démocratiques nie la responsabilité morale des citoyens . La Cour émet toutefois une réserve liée à l’éventualité d’un danger tangible pour l’ordre existant. La “ ligne rouge ” qu’aucun individu ou groupement ne peut et ne doit pas franchir reste celle du 241 terrorisme . Au yeux de la Cour, l’usage de moyens pacifiques est donc central pour fonder la légitimité d’une action politique. Par la suite, la jurisprudence de la Cour reprendra la même démarche, confirmant que des prises de positions incompatibles avec les principes et structures constitutionnelles d‘un pays ne peuvent justifier de la dissolution d’un parti tant que celui-ci n’appelle pas à la violence, ni au soulèvement, ni à toute autre forme de rejet des principes démocratiques. Rappelant les principes élémentaires de la démocratie, l’arrêt Parti de la liberté et de la démocratie rappelle que l’incompatibilité d’un projet politique avec la structure actuelle de l’État turc n’est pas contraire à la Convention. La Cour n’a cessé de répéter que la démocratie suppose “ la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d’organisation d’un État, pourvu qu’ils en visent 242 pas à porter atteinte à la démocratie ” . Dans cette affaire, ce parti défendait un projet similaire à celui du Parti socialiste. Son objectif principal consistait en la mise en place 243 d’“ un ordre social englobant les peuples kurdes et turcs ” . Pour ce faire, le parti militait 244 “ pour l’unification volontaire des peuples turcs et kurdes ” . Or, ce projet s’appuyait sur le libre consentement des Kurdes et ne faisait ni appel au terrorisme, comme l’annonçait pourtant le gouvernement turc, ni à la violence, mais au contraire, s’inscrivait dans le contexte démocratique. Alors que la Cour Constitutionnelle d’Ankara avait jugé que le parti souhaitait mettre fin à l’unité nationale en poussant les kurdes à l’autodétermination, y compris en soutenant les mouvements terroristes, le juge européen avait insisté sur le fait que l’ÖZDEP était constitué comme un parti démocratique à la recherche d’une solution pacifique. Par conséquent, un tel projet politique ne pouvait être sanctionné par les autorités nationales. De la même façon, l’arrêt Yazar Karatas et Aksoy, au nom du Parti du peuple démocratique c/ Turquie (9 avril 2002) corrobore cette jurisprudence, dans la mesure ou les revendications défendues par ce parti, à savoir l’autodétermination et la reconnaissance de droits linguistiques aux kurdes, n’étaient pas contraires aux principes fondamentaux de la 245 démocratie et de la Convention . Enfin, dans l’affaire Organisation macédonienne unie, 238 239 240 241 242 243 244 245 46 Arrêt Parti socialiste précité, §47. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §47. S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit. p.1028. J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.877 Arrêt Parti socialiste précité, §47. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §41. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §§8 et 41. Ibid, §§8 et 41. Arrêt Yazar et autres précité, §57. METIER Clémentine_2007 PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES Pirin et autres c/ Bulgarie la Cour a encore confirmé que le seul fait pour un parti d’appeler à l’autonomie, voire même de revendiquer la sécession d’une partie du territoire national, ne constitue pas un motif suffisant en soi pour justifier sa dissolution au nom de la sécurité 246 nationale . La Cour fait preuve d’une certaine bienveillance vis-à-vis des partis politiques, même non-démocratiques, dès lors que ceux-ci restent dans le cadre du débat pluraliste et qu’ils 247 refusent la violence . Aussi, le respect des règles démocratiques est un critère important pour déterminer la légitimité de l’action d’un parti. Si l’article 11, paragraphe 2, détermine les conditions dans lesquelles la liberté d’association peut être contrôlée voire limitée par les autorités publiques nationales, c’est la jurisprudence de la Cour qui leur donne forme, délimitant ainsi les frontières de la liberté d’association des partis politiques. 246 247 Arrêt Organisation macédonienne unie, Pirin et autres c/ Bulgarie (Ière section), 20 octobre 2005, §61. R. Blet, in P. Lambert (dir.), op. cit.,p.34. METIER Clémentine_2007 47 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION Si la Cour EDH admet l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques, leur liberté n’est pas pour autant sans bornes. La jurisprudence de la Cour a précisé les limites dans lesquelles les partis peuvent mener des activités bénéficiant de la protection de la Convention (titre premier). Par ailleurs, la Cour définit les modalités d’une éventuelle ingérence de l’Etat dans les activités des partis au regard des exigences du paragraphe 2 de l’article 11, n’accordant aux gouvernements qu’une marge d’appréciation réduite pour décider de potentielles restrictions au droit à la liberté d’association politique (titre deuxième). Titre premier : Les conditions imposées aux partis dans l’exercice de leur liberté d’association. Chapitre I / Principe démocratique et respect de la légalité. Une importante part des affaires relatives aux partis politiques portées devant la Cour concernait des partis turcs défendant la minorité kurde. La Cour a appliqué chaque fois le même raisonnement : la protection de la CEDH vaut uniquement pour les acteurs respectueux de la démocratie. Partant, la bienveillance de la Cour pour les formations politiques prend fin lorsque leurs propos et leurs activités se heurtent aux règles démocratiques. Jusqu’en 2001, les partis politiques semblaient jouir d’une “ présomption de 248 bonne foi ” . En effet, un poids décisif était accordé par la Cour aux objectifs statutaires des partis, ce qui soustrayait a priori au jeu de l’article 17. Cette jurisprudence paraissait d’ailleurs être un excellent argument pour les partis représentatifs d’une minorité. Mais l’introduction de la requête du Refah Partisi le 22 mai 1998 devant la Commission EDH a 249 introduit une nouvelle donne dans la jurisprudence de la Cour européenne . En l’affaire Refah Partisi, contrairement aux affaires antérieures, la Cour prend clairement position sur la situation des partis antidémocratiques en définissant des limites claires à l’intérieur desquelles les formations politiques doivent mener leurs actions pour pouvoir revendiquer la protection de la CEDH. Après avoir étudié sa jurisprudence établie, 248 249 48 J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.877. Ibid, p.878. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION la Cour propose deux conditions à la liberté des propos et des activités des partis politiques. Ainsi, “ un parti peut mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des structures légales ou constitutionnelles d’un Etat à deux conditions : (1) les moyens utilisés à cet effet doivent être à tous points de vue légaux et démocratiques; (2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes 250 démocratiques fondamentaux. ” . Section 1 : L’utilisation par le parti de “ moyens légaux et démocratiques ”. §1 Principe démocratique et respect de la légalité. Vu la récurrence de la notion de société démocratique dans la jurisprudence de la Cour européenne, on pourrait penser que le devoir de respecter la démocratie imposé aux partis 251 politiques va dans le sens de la reconnaissance d’un “ droit de l’homme à la démocratie ” . Dans les affaires relatives aux partis politiques, la Cour n’a eu de cesse de répéter que la société démocratique est une valeur centrale du système conventionnel, et que les partis 252 politiques sont essentiels à son bon fonctionnement . En outre, elle ajoute qu’en vertu des articles 10 et 11 de la CEDH, les formations politiques possèdent le droit de critiquer 253 l’Etat, tant qu’ils le font sans “ porter atteinte à la démocratie elle-même ” . Les arrêts Refah Partisi rappellent l’instansigeance du juge européen à ce sujet : toute proposition de changement, que ce soit au niveau de la forme ou du fond, doit se faire dans ce cadre. L’interprétation de la Cour va donc dans le sens de la volonté des rédacteurs de la Convention d’” assurer aux Etats membres du Conseil de l’Europe un régime démocratique, 254 et qui demeure démocratique ” . Par exemple, la défense d’un système multi juridique qui établirait une distinction entre particuliers, catégorisés en fonction de leur appartenance 255 religieuse, s’oppose à certains principes fondateurs du système démocratique . Un tel projet, envisagé par le Refah Partisi, contredirait notamment le principe de l’Etat de droit et celui de non discrimination des individus dans la jouissance des libertés publiques. Par conséquent, ce parti n’apparaissait pas comme légitime au sens de la Convention. Le second critère élaboré par le juge européen dans la jurisprudence Refah Partisi est celui de la légalité. Si cette condition paraît relativement claire, la Cour précise néanmoins qu’“ il n’est pas nécessaire de rechercher un risque actuel de violence ou un lien de causalité 256 avec un acte de violence qui en fût directement inspiré ” . En ce sens, les arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998 débutent sur un constat : les décisions litigieuses de la Cour constitutionnelle turque reposaient sur une qualification des faits et une lecture du droit interne incompatibles avec article 11 de la CEDH, qui garantit 250 251 252 253 254 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, § 46. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98. O. Jacot-Guillarmod, Démocratie et Droits de l’homme, pp.70-71. Citée par B. Duarté, op. cit., p.346. Voir supra, pp.34-35. Arrêt Parti socialiste précité, §47. M. Ungoed-Thomas, propos tenus lors de la 18ème séance de la 1ère session de l’assemblée consultative. Recueil des travaux préparatoires, vol.II, éd. Martinus Nijhoff, La Haye : 1975, p.60. Cité par B. Duarté, op. cit., p.346. 255 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §70. 256 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie, §49. METIER Clémentine_2007 49 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 257 aux partis le droit de participer au débat public, et même de critiquer leur Etat . En effet, 258 aucun de ces deux partis n’avaient l’intention d’utiliser la violence comme moyen politique . Dans le cas du parti socialiste, il n’existait “ rien qui (…) puisse passer pour un appel à la 259 violence ” . Bien qu’ils contestaient l’organisation constitutionnelle en vigueur en Turquie, le Parti communiste unifié comme le Parti socialiste se montraient respectueux de la légalité, et devaient pouvoir, à ce titre, jouir pleinement de leur liberté d’association. Lors des affaires Refah Partisi, à l’occasion de l’étude de la légitimité des revendications du parti incriminé, la Chambre puis la Grande Chambre ont insisté sur le fait que les formations politiques doivent 260 impérativement utiliser des “ moyens légaux ” pour parvenir à leurs fins . Il s’ensuit qu’un parti, comme le Parti de la prospérité, dont le programme prévoit la domination totale de la religion musulmane non seulement sur les autres religions, mais aussi sur l’ensemble de la société, ne peut exciper de la protection de la Convention. §2 La mise en œuvre du double critère dans la jurisprudence de la Cour européenne. L’application du double critère de respect des règles démocratiques et de la légalité pose des questions importantes, et notamment celle de savoir dans quelle proportion ils doivent être utilisés. Le juge semble vouloir signaler son intransigeance en répondant que ces 261 critères valent “ à tous points de vue ” . Toutefois, ceci pourrait être compris comme une interprétation limitative de la liberté d’association des partis politiques. En effet, la formulation de ces deux conditions semble induire que la protection de la Convention se limite à des situations dans lesquelles le parti a respecté le texte européen en tous points. Dès lors, toute action visant à changer les droits et libertés reconnus par la Convention 262 ferait perdre au parti sa protection ipso facto . C’est d’ailleurs ce que souligne l’opinion concordante des juges Ress et Rozakis en indiquant que la lecture de l’arrêt de 2003 ignore 263 le principe de proportionnalité . Les exigences sont donc sévères, sans pour autant que le juge n’établisse de liste claire des principes démocratiques fondamentaux qu’il invoque. Quoi qu’il en soit, l’affaire Refah Partisi donne une “ magistrale leçon sur les droits et libertés susceptibles d’être revendiqués au titre de la CEDH par un parti politique 264 religieux fondamentaliste ” . Depuis les arrêts de 2001 et 2003, le juge européen 265 utilise systématiquement cette jurisprudence dans les affaires liées aux partis politiques . Adoptant cette démarche pour juger de la légitimité de la dissolution du Parti de la démocratie et de l’évolution (DDP), la Cour fait expressément référence aux critères 257 258 259 260 261 262 263 B. Duarté, op. cit., p.338. Voir aussi supra, pp.50 à 55. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Arrêt Parti socialiste précité, §46. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, § 46. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §47. J-F. Flauss, Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003), AJDA, n°12/2003, p. 610. Opinion concordante des juges Ress et Rozakis, arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité. 264 265 J-F. Flauss, Actualité de la Cour EDH, AJDA, n°12/2001, p.1068 Voir notamment arrêts précités Dicle pour le parti de la démocratie (DEP) précité, §46 ; et Parti socialiste (STP), §38. Voir aussi arrêt Emek Partisi et Şenol c/ Turquie, 31 mai 2005, §25 ; et arrêt Demokratik Kitle Partisi (DKP) et Elçi c/ Turquie, 3 mai 2007, §29. 50 METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION 266 élaborés dans les affaires Refah Partisi . Eu égard aux objectifs du DDP, la Cour constitutionnelle turque reprochait au parti de viser la division en deux de la nation turque, séparant turcs et kurdes, et donc de porter atteinte à l’intégrité territoriale du territoire national. Mais rejetant cet argument, la Cour EDH a souligné que les objectifs du parti en cause ne portaient pas atteinte, en tant que tels, aux principes fondamentaux de la démocratie et que le projet politique du DDP n’était donc pas “ de nature à compromettre 267 le régime démocratique dans le pays ” . D’autre part, son programme n’envisageait pas le recours à la force comme moyen politique, et à ce titre, s’inscrivait dans le cadre de la 268 légalité . De la même façon, pour ce qui est de la question de savoir si le Demokratik Kitle Partisi (DKP) poursuivait ou non des buts contraires aux principes de la Convention, “ la Cour constate que les parties litigieuses du programme du DKP comportent une analyse de la question kurde en Turquie et une critique de la manière dont le gouvernement lutte contre les 269 activités séparatistes ” . Toutefois, contrairement à l’analyse du juge constitutionnel turc, le juge européen admet cette possibilité, estimant qu’elle ne constituait pas en soi un objectif contraire au principes fondamentaux de la démocratie. Par ailleurs, la Cour EDH estime que le programme du DKP ne constituait pas “ une invitation ou d'une justification de recours à la force à des fins politiques ” et qu‘en conséquence, le parti bénéficiait légitimement de 270 la protection de la Convention . Section 2 : La compatibilité du projet lui-même aux règles démocratiques. §1 Le critère du non recours à la violence. Alors que la décision Refah Partisi n’expose pas ce qu il en serait par exemple d’un parti dont les membres participeraient individuellement à des manifestations interdites ou un 271 particulier qui inciterait à la désobéissance civile , la Cour interprète la Convention à la lumière de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui inclut la résistance à l’oppression dans les droits naturels et imprescriptibles de l‘homme 272 ” . Comme le rappelle Jean-Yves Dupeux, l’histoire a prouvé que les actes illégaux ont souvent permis des avancées majeurs en terme de droit, par exemple dans le cas du droit de 273 grève ou des droits des femmes . La désobéissance civile ne semble pourtant pas entrer dans le cadre du critère général, mais la Cour paraît penser que seuls des délits violents graves doivent être sanctionnés. Le juge européen avait déjà laissé entendre que plutôt que le principe de légalité stricto sensu, il privilégie le critère de la non violence pour statuer sur la légitimité d’une restriction à la liberté d’association. Ainsi, l’arrêt Incal précité affirmait que la condamnation pour “ incitation à créer des comités de résistance ” n’était pas considérée 266 267 268 269 270 271 272 273 Arrêt Parti de la Démocratie et de l’évolution et autres c/ Turquie, 26 avril 2005, §22. Ibid., §26. Voir aussi arrêt Demokratik Kitle Partisi et Elçi précité, §33. Arrêt Parti de la Démocratie et de l’évolution et autres précité, §24. Arrêt Demokratik Kitle Partisi et Elçi précité, §30. Ibid, §33. S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1019. http://www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm (consulté le jeudi 28 juin 2007). J-Y. Dupeux, op. cit., p.86. METIER Clémentine_2007 51 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 274 comme “ nécessaire ” à la sauvegarde de l’ordre public dans une société démocratique . D’ailleurs, nous avons évoqué précédemment la possibilité pour une formation politique de remettre en cause l’organisation de État, dans le respect du pluralisme et de la non 275 violence . En effet, dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, la Cour a admis que le non recours à la violence rend légitime toute action politique, ce qu’elle a confirmé dans sa 276 jurisprudence postérieure . En l’espèce, le programme du parti s’opposait expressément à l’emploi de la force pour tenter de résoudre le problème kurde, ce qui justifiait sa protection 277 par la Convention . Sur ce point, la position du président du Parti socialiste, M. Perinçek, paraissait, elle, plus ambiguë. Il annonçait par exemple qu’ “ en se levant, le peuple kurde a commencé à révéler le combat qu’il menait depuis des années ” et qu’il “ accomplira une 278 nouvelle révolution ” . Mais M. Perinçek prennait également fermement position en faveur d’une solution pacifique à la question kurde : “ ni par les soldats, ni par les balles ”, et c’est-ce 279 que retient la Cour pour fonder sa décision . Il semble donc que le juge européen privilégie le caractère pacifique de l’action politique sur le fond du but visé. Il en découle que des partis politiques visant à propager la haine et tenant un discours violent ne sont pas protégés par la Convention. Précisément, le Refah, parce-qu’il n’écartait pas la possibilité de recourir à des moyens violents pour accomplir son projet, se heurtait à la CEDH, qui interdit aux associations le recours à la force. Il en découle que les partis politiques ne saurait utiliser la violence pour accéder au pouvoir et s’y maintenir. En l’occurrence, le Parti de la prospérité n’écartait pas le recours à la Djihâd, laquelle se définit, au sens premier, comme “ la guerre sainte et la lutte à mener jusqu’à la domination totale de la religion musulmane dans la 280 société ” . Sans interdire aux partis politiques de se fonder sur le discours religieux, la Cour estime néanmoins que le Refah, “ dont les responsables incitent à recourir à la violence ”, enfreint les conditions de légalité et de respect de la démocratie relatives aux moyens et 281 aux objectifs énoncées plus haut . De plus, un régime théocratique est strictement incompatible avec la Convention. Dans l’arrêt Refah de 2003, la Grande Chambre prend parti pour un Etat laïc, lequel se fonde sur une communauté politique qui refuse d’organiser la société selon les principes religieux et garantit véritablement le respect de la liberté de religion. D’ailleurs, c’est de ce constat qu’était partie le raisonnement de la Chambre dans l’arrêt de 2001 : “ le principe de laïcité est 282 indispensable dans le maintien et la protection de la démocratie en Turquie ” . Or, parce que la Charia reflète “ fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion ”, elle présente un caractère stable et invariable en contradiction avec “ des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques 274 275 276 277 278 I. Ozden Kaboglu, “ La liberté d’expression en Turquie ”, RTDH, n°38/1999, p.275. Voir supra, pp.50 à 55. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Ibid, §56. Déclaration du président du Parti socialiste, lors d’une réunion publique, le 16 octobre 1991 à Şirnak. Arrêt Parti socialiste précité, §13 in fine. 279 280 281 Ibid, §13 in fine. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre, §130. Voir supra, p.57. 282 52 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §64. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION 283 ” . Un tel système enfreint indubitablement le principe fondamental de non discrimination des particuliers dans la jouissance de leurs libertés, et notamment leur liberté de religion. §2 Le principe de non discrimination La Cour exige que les partis politiques prennent en considération le principe de non discrimination. Déjà, les arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste reconnaissaient qu’un projet politique se fondant sur la représentation égalitaire et démocratique des populations composant la Turquie était légitimement protégé par le 284 mécanisme conventionnel . Plus particulièrement, le cas du Refah Partisi rappelle que le principe de non-discrimination doit être une préoccupation centrale des partis politiques dans la définition de leurs objectifs. Or, le projet du Refah, et surtout deux de ses revendications, enfreignaient cetterègle. Premièrement, la Cour a condamné sans appel la volonté du Refah d’instaurer un système multi-juridique et de mettre en place la Charia (ou Shari’a), lesquels conduisent à une discrimination basée sur les croyances religieuses. Bien que la Cour n’ai pas été “ invitée à se prononcer dans l’abstrait sur les avantages et 285 les inconvénients d’un système multi-juridique ” , ni même sur la légitimité du pluralisme juridique des statuts personnels, son arrêt de 2001 rappelle tout de même que “ la prééminence du droit signifie que tous les êtres humains sont égaux devant la loi, en 286 droits comme en devoirs ” . L’arrêt de Grande Chambre, reprenant les conclusions du paragraphe 70 de l’arrêt de Chambre, condamnait un tel dispositif, discriminatoire par essence, qui “ introduisait dans l’ensemble des rapports de droit une distinction entre les particuliers fondée sur la religion, les catégoriserait selon leur appartenance religieuse et leur reconnaîtrait des droits et libertés non pas en tant qu’individus, mais en fonction de leur 287 appartenance à un mouvement religieux ” . Cet objectif “ enfreint [donc] indéniablement le principe de non discrimination des individus dans leur jouissance des libertés publiques 288 ” . Comme le système multi-juridique, le régime de la Charia (ou Shar’ia) “ se démarque nettement des valeurs de la Convention ”, notamment par “ ses règles de droit pénal et de 289 procédure pénale ” . Le problème fondamental que posait à la Cour ce programme réside dans l’unité de pensée qu’il impose à travers “ des règles statiques de droit imposées par la 290 religion concernée ” . Dans un Etat régit pas la Charia, la loi islamique vaut pour tous, si bien que la religion musulmane, même si elle ne s’impose pas en droit, régit en fait la société et le quotidien des citoyens. Dès lors, seuls ceux qui adhèrent à cette religion peuvent jouir de leurs droits et libertés. Ce régime représente l’antithèse de la démocratie, de la raison et de la liberté humaine. Par ailleurs, le régime de la Charia et le système multi-juridique induisent aussi une discrimination entre les individus fondée sur le sexe. En effet, “ la place qu’il réserve aux 283 284 285 286 287 288 289 290 Ibid, §72. Arrêt Parti socialiste précité, §47. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §127. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43. Ibid, §70. Ibid, §69. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §123. Ibid, §119. METIER Clémentine_2007 53 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 291 292 femmes dans l’ordre juridique ” constitue une “ autre inconventionnalité majeure ” . D’ailleurs, la Cour avait déjà montré sa vigilance en matière de différences de traitement 293 fondées sur le sexe, qui selon elle, ne se justifient que pour “ des raisons très fortes ” . En instaurant le régime de la Charia, le Refah aurait imposé des “ règles permettant la discrimination basée sur le sexe des intéressés ” comme “ la polygamie (ou) les privilèges 294 pour le sexe masculin dans le divorce et la succession ” . La position d’infériorité faite à la femme dans un tel régime paraît “ difficilement compatible avec les principes fondamentaux 295 de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout ” . Par conséquent, la Cour européenne se range au point de vue du juge constitutionnel turc. Le modèle politique que proposait ce parti induisait la négation de principes démocratiques fondamentaux, par l’éventualité d’un recours à des moyens violents comme moyen politique 296 et des objectifs impliquant une discrimination entre les individus . Au-delà des références religieuses, dans le cas du Refah Partisi, le juge européen ne pouvait que constater les “ antinomies irréductibles ” entre les conséquences de l’application de la Charia, telle que le souhaitait le Refah Partisi, et les valeurs qui irriguent la Convention, notamment concernant la place des femmes, le non recours à la force ou le principe de singularité des règles pénales. Précisément, c’est du danger de la manipulation de la Convention par des acteurs violents et anti-démocratiques que l’article 17 tente de prémunir le système démocratique. Chapitre II / L’article 17 et l’obligation de conciliation entre les libertés. Section 1 : “ Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ” La société démocratique peut-elle tout admettre ? La loi de la majorité, définie par Thoreau comme “ le plus un ”, peut-elle inclure le droit de mettre fin à la démocratie ? L’article 17 de la Convention EDH et la Cour elle-même répondent clairement non §1 Les termes de l’article 17. L’article 17 répond à la difficile question des frontières de la démocratie et des libertés qu’elle proclame. . La défense de la démocratie, notion chère à la Cour européenne, passe aussi par le recours à l’article 17 qui postule que : “ nul ne doit être autorisé à se prévaloir des dispositions de la Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs d’une société démocratique ”. Cette disposition interdit tout État, groupement ou individu d’accomplir un acte visant la destruction, ou ne serait-ce que la limitation, des droits et libertés de la Convention. Elle place la démocratie dans un Etat de légitime défense contre le danger totalitaire. En effet, le régime démocratique suppose le maintien du pluralisme 291 292 293 294 295 296 54 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §123. M. Levinet, “ Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’Etat théocratique et la CEDH ”, op. cit., p.216. Arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/ Royaume-Uni, 28 mai 1985, §78. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §128. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §71. S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1015. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION des idées et des opinions, assuré notamment par la libre expression, ainsi que par la libre 297 association . Cela implique donc notamment un système relativement libéral vis-à-vis du discours politique et de ses “ convoyeurs ”, les partis politiques. Par conséquent, un État peut “ raisonnablement empêcher la réalisation d’un (…) projet politique, incompatible avec les normes de la Convention, avant qu’il ne soit en mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime 298 démocratique dans le pays ” . Dans le cadre de la participation politique, État est le garant du pluralisme. Aussi, les convictions religieuses des dirigeants du Parti de la prospérité ainsi que la volonté du parti d’organiser un système multi juridique basé sur la Charia étaient jugés contraires à la neutralité et impartialité nécessaires à un État En effet, ce projet politique aurait supprimé “ le rôle de l’État en tant que garant des droits et libertés individuels ” et “ organisateur impartial de l’exercice des diverses convictions et religions dans une société démocratique ”, remplacé par les instances religieuses qui édicteraient les lois/ 299 règles juridiques à sa place . C’est notamment sur ce fondement que la Cour européenne a déclaré l’incompatibilité du projet proposé par le Refah Partisi avec le modèle de société qui sous-tend la Convention. Or, la propagation du discours raciste ou liberticide au nom de la liberté d’expression a souvent été utilisée comme stratégie de communication des “ ennemis de la liberté ”. On peut citer par exemple le leader nazi, Goebbels, qui ironisait sur le régime démocratique : “ une des meilleures farces de la démocratie est d’avoir elle-même fourni à ses ennemis mortels le moyen par lequel elle fut détruite ”. Mais la Cour européenne insiste sur le fait que les expressions visant à propager la haine fondée sur l’intolérance ne bénéficient pas de la protection de l’article 10, car ils sont les vecteurs du rejet des principes de la démocratie. En effet, “ la tolérance et le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains 300 constituent le fondement d'une société démocratique et pluraliste ” . Par cette formule, le juge européen vise aussi les partis qui prônent la violence, ont des discours de haine fondée sur l’intolérance, notamment religieuse, et des projets anti-démocratiques. Le problème de la récupération du droit par des organisations rejetant la démocratie a déjà été abordée par la Cour EDH : l’affaire Jersibld c/ Danemark du 23 septembre 1994 par exemple, au sujet de la diffusion télévisuelle de propos attentatoires à la dignité humaine, ou encore l’affaire Lehideux et Isorni c/ France relative à la présentation pseudo-scientifique d’une histoire falsifiée sous couvert d’une liberté. De la même façon, certains partis politiques n’hésitent pas à manipuler l’opinion publique pour parvenir à leurs fins. En France, le Président du Front National, Jean-Marie Le Pen, illustre cet technique quand il se réfère au “ complot ” monté contre lui par la classe politique et les médias. Bien souvent, lorsqu’ils sont condamnés pour des propos haineux, leurs auteurs se posent en victimes. Or, les évolutions technologiques modernes favorisent la diffusion de masse à des destinataires qui 301 ne disposent pas toujours des “ antidotes culturels ” contre le racisme, la xénophobie ” . Précisément, l’article 17 de la CEDH a été pensé par les rédacteurs comme un moyen de préserver la démocratie et la Convention de l’instrumentalisation des droits et libertés qu’elles reconnaissent par des acteurs antidémocratiques qui les mettent en danger ou 297 Voir supra, pp.40 à 43. 298 299 300 301 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §81. M. Levinet, “ Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’Etat théocratique et la CEDH ”, op. cit., p. 211. Arrêt Müslüm Gündüz c/ Turquie, 4 décembre 2003, §40. Voir aussi arrêt Müslüm Gündüz c/ Turquie (n°2), 12 juillet 2005. P. de Fontbressin, in P. Lambert (dir.), op. cit., pp.17-19 METIER Clémentine_2007 55 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME visent leur destruction. Le juge européen utilise l’article 17 de deux façons : soit directement, soit indirectement dans le cadre du contrôle de proportionnalité pour apprécier la nécessité 302 de l’ingérence étatique . Quoi qu’il en soit, l’article 17 prohibe l’abus de droit, et il ne s’applique que si l’intéressé entend se prévaloir de la Convention pour justifier ou accomplir 303 des actes contraires aux droits et libertés que la Convention consacre , mais ne prive les individus ni des droits intangible, ni du droit à la liberté et à la sûreté, ni des droits 304 inhérents au principe de la prééminence du droit . Cette disposition met en œuvre la fameuse formule de St Just selon laquelle il n’est “ pas de liberté des ennemis de la liberté ”. Le but de l’article 17 est bien d’” empêcher des esprits totalitaires d’abuser de la Convention 305 pour parvenir à leurs fins ” . Ainsi, aucune disposition de la Convention, et notamment “ la liberté d’expression telle qu’elle est garantie par la Convention EDH, ne peut être 306 invoquée en contradiction avec l’article 17 ” . Le sujet est d’autant plus délicat pour une cour supranationale comme la Cour EDH que l'organisation constitutionnelle et le traitement des minorités relèvent avant tout de la compétence exclusive des États. Mais comme le souligne Bertrand Favreau, l’intolérance inspirée du racisme et de la xénophobie ne peut 307 être légitimée par aucun droit, aucune liberté, aucun principe . Il découle de cette disposition que les partis politiques ont l’obligation de ne pas proposer un programme politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la 308 démocratie . Au regard de certaines exigences démocratiques, comme celle de l’utilisation de moyens non violents pour la conquête et l’exercice du pouvoir, la dissolution d’une formation politique est donc envisageable, voire nécessaire, et ce quelque soit sa popularité. Pour les États, il s’agit de savoir comment un régime politique démocratique peut gérer des partis politiques dont le programme et les activités entrent en conflit avec le principe même de la démocratie, et dans quelle mesure les autorités publiques peuvent restreindre leurs activités. Pour la Cour, il s’agit de contrôler les ingérences étatiques dans les droits et libertés des partis politiques afin de mesurer si elles s’avèrent nécessaires dans une société démocratique. §2 Une utilisation rare dans le cadre de la jurisprudence relative aux partis politiques. Comme l’affirme Pierre Esplugas, “ l’étude de l’interdiction des partis politiques est a priori 309 surprenante dans le cadre d’une démocratie ” . Pourtant, la question de la légitimité des acteurs antidémocratiques au sein de la société démocratique et des limites dans lesquelles ils peuvent agir, voire même exister, se pose à toute démocratie. Notamment, le problème de la remise en cause des institutions démocratiques par des partis politiques extrêmes intervient de façon récurrente dans les démocraties européennes. En France, on s’était interrogé à l’issue des élections régionales de mars 1998, après que le président de la 302 303 304 305 306 307 308 309 56 Arrêt Lehideux et Isormi c/ France, 23 septembre 1998, §47. Arrêt Lawless c/ Irlande, 1er juillet 1961, §7. Articles 6, 7 et 13 de la Convention EDH. Voir M. Levinet, in F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.61. P. de Fontbressin, in P. Lambert, op. cit., p.20 Décision Cour d’arbitrage belge, Verbeke et Delbouille, 12 juillet 1996, §B.7.16. B. Favreau, in P.Lambert (dir.), op. cit., p.121 Ibid, p.124. P. Esplugas, “ L’interdiction des partis politiques ”, RFDC, n°36, 1998, p.675. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION République, M. Chirac, ait indiqué au cours d’une allocution officielle le 23 mars 1998 que le Front National était un parti “ raciste et xénophobe ”. Cette déclaration avait alors suscité des questionnements quant à l’hypothèse d’une interdiction du FN. Mais une telle procédure aurait été d’autant plus délicate que ce parti représentait alors une part non négligeable de l’électorat français. L’affaire Refah Partisi a mis la Cour constitutionnelle d’Ankara, puis la Cour EDH, face à une problématique similaire. Le Parti de la prospérité constituait “ 310 le quatrième avatar de l’expression politique du mouvement islamiste ” en Turquie . Sa base populaire était large. Son électorat se compsait principalement de personnes en difficulté attachées aux traditions (paysans, laissés pour compte de la société, déracinés des banlieues des grandes villes), mais aussi de commerçants, de petits industriels et de 311 cadre moyens. Surtout, le parti était soutenu par les régions kurdes du sud-est anatolien . La place du Refah Partisi dans la vie politique turque s’est accrue progressivement : alors qu’il avait obtenu 16% des voix en s’alliant avec l’extrême droite nationaliste en 1991, le Refah Partisi obtint à lui seul 19% des voix aux élections municipales de 1994, conquérant notamment les villes d’Ankara et d’Istanbul grâce au scrutin majoritaire. Mais surtout, lors des élections législatives de 1995, le parti a obtenu 6 millions de voix aux législatives de 1995, soit 22% des suffrages, ce qui faisait de lui le premier parti du pays. Cette victoire, qui reposait aussi sur les 4,2 millions d’adhérents du Refah, lui a permis d’occuper 148 des 550 sièges à l’Assemblée nationale. En conséquence, en juillet 1996, M. Erbakan fut légitimement nommé Premier ministre d’un gouvernement de coalition avec un parti 312 de centre-droit . Malgré cette importante popularité, la Cour constitutionnelle turque a dissout le parti par sa décision du 16 janvier 1998, alors même que ce dernier avait accédé au pouvoir par les voies démocratiques. Cependant, comme le fait justement remarquer le sociologue George Gurvitch, on peut considérer que le nombre d’électeurs revêt peu d’importance étant donné que “ la démocratie n’est pas règne du nombre mais le règne 313 du droit ” . La démocratie ne peut être un système de domination par une majorité. Il est de l’essence de la démocratie d’accepter les oppositions, sans quoi elle serait détruite, et en même temps, la démocratie doit se faire accepter de tous, sans quoi ce serait ses opposants qui parviendraient à la détruire. Sans libertés démocratiques, il n’y aurait plus de droits. Le principe démocratique doit donc être privilégié : il convient de protéger l’institution 314 démocratique pour préserver les droits et les libertés, et donc l’homme . Aussi il importe de savoir si un parti non démocratique peut légitimement prétendre à la protection de la CEDH. Un tel questionnement est apparu très tôt devant l’ancienne Commission EDH. En 1957, lors de l’affaire Parti communiste allemand précitée, le parti concerné avait pour but avoué de mener la révolution prolétarienne et d’installer la dictature du prolétariat afin d’instaurer 315 finalement un ordre social communiste . Selon le gouvernement allemand, suivi en ce sens par la Commission, un tel but était incompatible avec la Convention, et le Parti communiste allemand était donc condamnable au titre des articles 9, 10, 11 et 17 de la Convention. La Commission, elle, avait simplement privilégié l’article 17 pour sa généralité au détriment des articles 9, 10 et 11 dont les paragraphes deux avaient servi à justifier la dissolution. Sur ce terrain, elle avait conclu à l’irrecevabilité de la requête du parti puisqu’il avait pour but 310 311 312 313 314 315 A. Bockel, op. cit., p.912. Ibid., p.912. Ibid, pp.912-913. G. Gurvitch, cité par P. Esplugas, op. cit., p.676. J.-Y. Dupeux, op. cit., p.89. Décision de la Commission EDH précitée, Parti communiste allemand. Voir supra, p.23. METIER Clémentine_2007 57 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME la destruction des droits et libertés de la Convention. Depuis cette décision, on mentionne la “ jurisprudence Parti communiste Allemand ” selon laquelle est incompatible avec les dispositions conventionnelles tout projet politique niant les valeurs de la Convention. Devant la Cour, les affaires de dissolution de partis politiques ont reposé cette même problématique. En effet, certaines organisations partisanes n’hésitent pas à contester ouvertement l’action du gouvernement et la forme unitaire de leur État. Dans le cas du Refah Partisi, la Cour avait reconnu le droit pour un État de protéger ses institutions démocratiques contre une association qui les met en danger, à condition qu’” un juste équilibre [soit] respecté entre le droit fondamental d'un individu à la liberté d'expression et le droit légitime d'une société 316 démocratique de se protéger contre les agissements d'organisations terroristes ” . Ainsi, les autorités nationales peuvent refuser d’enregistrer une association si cela est justifié par la volonté de sauvegarder les institutions et procédures démocratiques existantes. Par conséquent, un État peut empêcher “ un projet politique incompatible avec les normes de la Convention avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de 317 compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays ” . Notamment, tout État partie “ peut légitimement empêcher que les règles de droit privé d’inspiration religieuse portant atteinte à l’ordre public et aux valeurs de la démocratie ” telle que celles instaurant 318 des discrimination fondées sur le sexe, trouvent application sous sa juridiction . Plus 319 largement, l’Etat possède le “ devoir de protéger ” ses institutions démocratiques . De la même façon, la question de la légitimité des partis pro-kurdes en Turquie qui revendiquaient l’autodétermination et la reconnaissance de droits linguistiques au profit des population kurdes de Turquie s’est posée à plusieurs reprises devant la Cour EDH. Par exemple, le Parti du travail du peuple (H.E.P.) avait été dissout par la Cour constitutionnelle d’Ankara au 320 motif qu’il mettait en danger l’unité de État et son intégrité territoriale . Pourtant, ce parti se montrait respectueux des règles démocratiques, et à ce titre, le juge européen avait estimé son action légitime et donc injustement interdite. Mais surtout, d’autres partis politiques, certes plus rares, visent la destruction de la démocratie, principe fondamental de l’ordre public européen. Devant la Cour, la situation ne s’est produite qu’une seule fois, à l’occasion des arrêts Refah Partisi de 2001 et 2003 qui l’avaient amenée à conclure à la légitimité de la dissolution, au motif que ce parti niait les libertés reconnues par la Convention et visait la fin du régime démocratique en Turquie. Mais même si le gouvernement turc s’est fondé à plusieurs reprise sur l’article 17 pour 321 justifier la dissolution de partis politiques , la Cour européenne a considéré chaque fois que l’examen de cette disposition n’était pas nécessaire. Dans la majorité des cas, les partis en cause étant respectueux du principe de la légalité et du cadre démocratique, l’article 17 n’était pas applicable. En effet, la Cour, tout comme avant elle la Commission, conditionne l’application de l’article 17 à une menace sur l’ordre démocratique. Dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, la Cour s’est réfèrée à la décision de la Commission du 20 juillet 1957 relative au Parti communiste allemand précitée afin de confirmer son refus d’examiner in abstracto l’applicabilité de l’article 17. S’opposant au juge constitutionnel 316 317 318 319 320 Arrêt Zana précité, §55. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §81. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §128. H. Labayle et F. Sudre, Jurisprudence de la Cour EDH et droit administratif, p.798. Arrêt Yazar et autres précité. 321 Voir notamment les affaires précitées : Parti communiste unifié de Turquie, Parti socialiste, Parti de la liberté et de la démocratie, et Refah Partisi (Chambre et Grande Chambre). 58 METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION turc, le juge européen estime que l’idéologie communiste a évoluée depuis la rédaction de l’article 17 et donc que le parti ne mettait pas en danger la démocratie, contrairement 322 au Parti communiste allemand en 1957 . Dès lors, le Parti communiste unifié de Turquie ne mettant pas en danger la société démocratique, l’article 17 ne jouait pas. Ensuite, la Cour a appliqué cette démarche pour les responsables du Parti socialiste ou de l’ÖZDEP, 323 vu “ leur attachement déclaré à la démocratie et leur rejet explicite de la violence ” . On pourrait penser que l’article 17 est plus adapté aux formations politiques que la Cour qualifie 324 de “ hors la loi ” : les partis révolutionnaires, racistes ou fondamentalistes . Pourtant, dans le cadre des affaires liées au Refah Partisi, dans lesquelles la Cour avait pourtant conclu à l’inconventionnalité du parti, elle n’avait pas non plus trouvé utile de prendre en compte l’article 17 dans sa décision. Elle avait jugé uniquement au regard de l’article 11, estimant que les griefs relatifs à l’article 17 “ portaient sur les mêmes faits que ceux examinés sur le terrain de l’article 11 ”, et qu’il n’était alors “ pas nécessaire de les examiner 325 séparément ” . Partant, même si a priori l’article 17 aurait pu s’appliquer à ce parti non respectueux des exigences démocratiques, la Cour considérait s’être déjà prononcée sur ce thème lors de son examen des conditions de l’article 11. En ce sens, on peut estimer que l’interprétation que donne la Cour de l’article 11 de la CEDH est éclairée par l’article 17. En fait, le juge européen a toujours refusé de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 17 avant 326 d’avoir procédé au contrôle du respect des condition de l’article 11 . Alors que la Cour constitutionnelle turque se montrait le plus souvent favorable à application de l’article 17 et à une application littérale du droit positif, la Cour européenne tend à favoriser à l’application des articles 10 et 11. Ainsi, le juge européen utilise peu la méthode de l’article 17 pour défendre la démocratie dans le cadre de l’activité des partis politiques. De façon générale, la Cour adopte une attitude bienveillante vis-à-vis des partis non démocratiques, tant qu’ils respectent les principes directeurs de la démocratie et restent dans le cadre d’un débat pluraliste. D’ailleurs, la Cour est inversement vigilante concernant les mesures restrictives à la liberté d’association et d’expression politique. Plus particulièrement, elle envisage la dissolution ou l’interdiction d’un parti comme une mesure extrêmement sévère qui requiert un contrôle particulier de sa part. Section 2 : La nécessaire conciliation entre les libertés. Tout parti politique, parce-qu’il possède une place centrale dans l’ordre démocratique, doit, à ce titre, bénéficier d’une protection spécifique. Toutefois, aucune liberté n’est sans borne. L’article 11, paragraphe 2, définit le cadre dans lequel un Etat peut restreindre la liberté de réunion et d’association, mais passe sous silence les exigences qu’impose cette liberté à ses bénéficiaires. Il revient donc à la Cour de définir les conditions dans lesquelles un parti peut agir légitimement au regard de la CEDH. §1 Le devoir d’auto-limitation. 322 323 324 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54. Arrêt Parti socialiste précité, §52. Voir aussi arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §47. ère J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne EDH (1 partie). Le droit constitutionnel devant les instances de contrôle de la Convention EDH (actualité jurisprudentielle 1994-1995-1996) ”, RFDC n°30-1997, p.399. 325 326 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §85. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §32 ; et Parti socialiste, §29. METIER Clémentine_2007 59 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Le juge européen impose d’abord à tout individu ou tout groupement une obligation d’autolimitation dans l’exercice de ses droits et libertés. En effet, aucun n’est absolu. D’ailleurs, la Cour “ juge inhérente au système de la Convention une certaine forme de conciliation entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des 327 droits individuels ” . Le pluralisme et la démocratie demandent aux individus d’accepter de “ limiter certaines de leurs libertés afin de garantir une plus grande stabilité du pays dans son 328 ensemble ” . Dans ces conditions, la liberté d’association doit être conciliée non seulement avec les autres libertés fondamentales, ainsi qu’avec les libertés d’autrui et avec certaines exigences de la société démocratique, comme celle de la sécurité publique. Tel que définit par la Cour, le pluralisme se fonde sur un compromis qui exige de la part des individus certaines concessions. A chaque droit correspond un devoir. Les droits et libertés que la Convention protège sont contrebalancés par des obligations qui pèsent sur les individus ou groupements privés, et non uniquement sur les Etats. Sans cet équilibre, “ l’ordre public 329 européen des droits de l’homme ” serait dévalorisé . Par exemple, la liberté d’expression implique aussi le devoir d’éviter des expressions gratuitement offensantes par exemple. Ou encore la liberté religieuse peut nécessiter des 330 aménagements dans une société où coexistent plusieurs religions . De la même manière, la liberté d’association politique exige le respect de certaines conditions, relatives à la société démocratique, que la Cour a définit progressivement. Mise en perspective de la CEDH dans son ensemble, cette interprétation se comprend comme une consécration de la vision substantielle de l’Etat de droit. En effet, le Préambule met l’accent sur le principe de la “ prééminence du droit ” (article 5), tout comme l’article premier de la Convention insiste sur “ l’obligation de respecter les DH ”. Mais le système de la Convention consacre tout autant une conception formelle de l’Etat de droit, c’est-à-dire que la Convention est conçue comme 331 un ordre juridique hiérarchisé qui garantit un ensemble de droits et libertés . Ainsi, cette double conception de l’Etat de droit s’impose à la fois aux Etats eux-mêmes et aux individus. En l’occurrence, les partis politiques sont soumis à l’obligation de respecter la démocratie et de s’inscrire dans le débat pluraliste. Mise en perspective de la Convention dans son ensemble, cette démarche consacre une vision substantielle de l’État de droit. En effet, le Préambule met l’accent sur le principe de la “ prééminence du droit ” (article 5), tout comme l’article un de la Convention insiste sur l’“ obligation de respecter les droits de l’homme ”. Mais le système de la Convention consacre tout autant une conception formelle de l’Etat de droit, c’est-à-dire que la Convention est conçue comme un ordre juridique hiérarchisé qui 332 garantit un ensemble de droits et libertés . En ce sens, le juge européen se réfère à des “ principes ”, des “ règles ”, ou des “ exigences ”, qui s’imposent comme des limitations à la libre activité des acteurs de la Convention. A ce titre, les partis politiques sont-ils directement soumis à la double obligation de respecter la démocratie et de s’inscrire dans le débat pluraliste. §2 La théorie des “ obligations positives ” de l’Etat 327 328 329 Arrêt Klass et autre c/ RFA, 6 septembre 1978, § 59. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §99. Arrêt Gorzelik et autres c/ Pologne, 20 décembre 2001, §66. J-F Flauss, “ Actualité de la Cour EDH (novembre 2000-octobre 2001) ”, op. cit., p.1068. 330 331 332 60 Arrêt Kokkinakis précité. G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1506. Ibid, p.1506. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION L’article un de la CEDH impose aux Etats l’obligation de respecter les Droits de l’homme en ces termes : “ les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ”. A ce sujet, le juge O’Donoghue, dans son opinion séparée en l’affaire Irlande c/ Royaume-Uni, a rappelé “ qu’un Etat qui ne s’acquitte pas de son obligation de garantie interne enfreint par là même la 333 Convention ” . Il leur appartient d’intervenir en première ligne dans le domaine des droits de l’homme, d’autant plus que “ le mécanisme international de garantie collective instauré par la Convention ” revêt un “ caractère subsidiaire ”, tant au niveau de la protection que des 334 restrictions aux droits . La Cour considère que les Etats nationaux sont a priori les meilleurs juges quant à la légitimité de toute restriction aux libertés publiques. Aussi, non seulement les autorités publiques doivent respecter les droits et libertés de la Convention, mais elles ont aussi l’obligation de les garantir aux individus sous leurs ordres juridiques, en tentant d’empêcher toute violation et en déterminant la nécessité d’une éventuelle restriction. L’Etat rempli donc le rôle de garant et d’organisateur des droits et libertés de la Convention. Ceci implique qu’il doit protéger la société démocratique et ses institutions contre des mouvements liberticides, tout en assurant aux individus la jouissance effective de leurs droits et libertés. C’est ce que la Cour désigne comme les “ obligations positives ” de l’Etat. Ce concept, dont le contenu a été progressivement éclairci par la jurisprudence, a permit de définir plus précisément la vision de la Cour sur les notions de démocratie et de pluralisme. L’arrêt Sidiropoulos dans lequel était en cause le refus d’enregistrement d’une association par les autorités nationales, avait déjà établit que “ les Etats disposent d’un droit de regard sur la conformité du but et des activités d’une association avec les règles fixées par la législation ”, lequel s’exerce certes dans le respect de “ leurs obligations au titre de la 335 Convention et sous réserve du contrôle des organes de celle-ci ” . Les Etats peuvent donc user de leurs prérogatives constitutionnelles, dans le respect de la Convention et sous le 336 contrôle de la Cour, afin de faire respecter les principes fondamentaux de la démocratie . L’Etat possède l’obligation d’assurer aux particuliers la possibilité d’exercer effectivement leurs droits, ce qui peut induire l’adoption de mesures régulatrices des 337 relations entre individus . La Cour ajoute qu’“ il peut ainsi exister des obligations positives 338 inhérentes à un respect effectif de la liberté d’association ” . En généralisant la théorie des “ obligations positives ” au fil de sa jurisprudence, la Cour illustre sa vision exigeante de la “ société démocratique ”. Elle considère que repose sur les Etats l’obligation positive de mettre en œuvre et protéger les droits et libertés garantis par la Convention contre des atteintes par des tiers. Puisque l’Etat est le gardien du pluralisme effectif, il doit veiller à la 339 “ reconnaissance et le respect véritables de la diversité ” . Il revient donc aux autorités publiques d’adopter les actes susceptibles de garantir l’effectivité des principes et droits constitutifs de la société démocratique. L’Etat doit adopter des mesures positives afin de mettre en pratique les droits proclamés par la Convention. Par exemple, l’arrêt Plattform “ Arzte für das Leben ” c/ Autriche avait souligné que “ dans une démocratie, le droit de contre333 334 335 336 Opinion séparée du juge O’Donoghue, in fine de l’arrêt Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978. Affaire “ relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique ” c/ Belgique, 23 juillet 1968, §10. Arrêt Sidiropoulos précité, §40. Arrêt Open Door et Dublin Well Woman c/ Ireland, 29 octobre 1992. Voir aussi arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27. 337 338 339 P. Van Dijk and G.J.H. Van Hoof, Theory and practice of the ECHR, p.589. Arrêt Ouranio Toxo précité, §37. Ibid, §35. METIER Clémentine_2007 61 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 340 manifester ne saurait aller jusqu’à paralyser l’exercice effectif du droit de manifester ” . En l’espèce, la Cour vérifiait si l’Etat avait véritablement permis le déroulement pacifique d’une manifestation licite. Contrairement aux règles classiques établies en droit international, l’obligation qui repose sur l’Etat n’est pas soumise au principe de réciprocité et ce dernier ne pourrait donc pas invoquer le principe de la compétence nationale exclusive pour échapper à son obligation. La Cour a en effet admis que l’attitude de l’Etat ne conditionne pas la 341 jouissance des droits de l’homme . De même, la protection des droits et libertés offerte par l’Etat ne pourrait se limiter à ses nationaux. Il incombe aux autorités publiques d’avoir une attitude identique à l’égard de tous les individus sur le territoire national. Enfin, le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays est lui aussi écarté puisque tous les Etats membres de la CEDH, et surtout les individus sous leurs juridictions, possèdent la possibilité d’effectuer un recours devant la Cour EDH. Cette règle spécifique au système de la Convention s’inscrit dans la logique d’universalité des droits de l’homme : ces droits ne relèvent pas uniquement du domaine national, mais ils revêtent au contraire un “ caractère 342 objectif et une singularité substantielle ” . Particulièrement, eu égard au rôle essentiel des partis politiques dans la “ société démocratique ”, la “ protection des opinions et de la liberté de les exprimer ” étant “ un des objectifs de la liberté de réunion et d‘association 343 ” , l’Etat se doit de respecter des obligations positives substantielles et procédurales 344 inhérentes au respect effectif de la liberté d’association , et ce jusque dans les relations 345 interindividuelles . Les partis politiques doivent faire l’objet d’attentions spécifiques en ce qu’ils fondent le débat pluraliste et orientent l’avenir politique d’un pays. A ce titre, la Cour avait notamment souligné l’obligation qui pèse sur l’Etat d’organiser, conformément à l’article 3 du Protocole n°1 qui reconnaît le droit à des élections libres, les conditions qui assurent 346 la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif . Parce-qu’ils représentent les différentes tendances présentes dans le pays, les partis politiques doivent pouvoir participer au débat politique. Partant, l’État a en charge de garantir efficacement, au titre de l’article 11, la liberté d’association politique. Néanmoins, l’obligation qui repose sur État se caractérise par une obligation de moyen plutôt que de résultat. Lorsqu’il faillit à ces obligations, l’Etat encourre le risque d’être sanctionné par la Cour européenne. En l’affaire Ouriano Toxo et autres c/ Grèce 20 octobre 2005, le parti Ouriano Toxo, qui défendait la minorité macédonienne, et ses deux membres invoquaient une violation de leur liberté d’association. En effet, suite à l’installation d’un panneau au siège du parti, ils avaient subi les hostilités des habitants, des brutalités ainsi que des saccages. Parce que de telles actions les empêchaient d’exercer librement leur liberté d’association politique alors même que le parti avait été constitué légalement, les autorités publiques auraient du intervenir. Pourtant, elles n’ont pas organisé de conciliation, ni protégé le parti, 340 341 Arrêt Plattform “ Arzte fur das Leben ” c/ Autriche, 21 juin 1988, §32. Rapport “ Droit international et droit français ” (1986). Cité par J-F. Renucci Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.27. 342 343 344 345 346 62 J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.27 Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §§42-43 ; et Parti socialiste §41. Arrêt Wilson et autre c/ Royaume-Uni, 2 juillet 2002. Arrêt Palttform “ Ärzte fur das Laben ” précité. Voir opinion dissidente in fine de l’arrêt Refah Partisi de Chambre précité. Voir supra, pp.42-43. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION 347 ni enquêté efficacement afin de sanctionner les auteurs des violences . Partant, la Cour avait conclu au manquement de l’Etat vis-à-vis de ses obligations positives. Il appartient à l’Etat de créer les conditions de tolérance mutuelle entre les différents partis politiques, à condition bien sur que le parti soit créé légalement et ne mette pas en 348 danger la démocratie . Tout en apportant une synthèse de la jurisprudence antérieure, l’arrêt Refah Partisi illustre une approche novatrice de la théorie des “ obligations positives 349 ” . La Cour affirme qu’“ un Etat […] en se fondant sur ses obligations positives peut imposer aux partis politiques […] le devoir de respecter et sauvegarder les droits et libertés garantis par la Convention ainsi que l’obligation de ne pas proposer un programme 350 politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la démocratie ” . Ainsi, la Cour retourne sa théorie en faveur de l’intervention étatique. Alors qu’originellement, les obligations positives sont celles qui s’imposent à l’Etat, en l’espèce, la théorie est interprétée par le juge européen comme autorisant une éventuelle intervention préventive, dans l’hypothèse où le parti menacerait explicitement l’ordre démocratique. Néanmoins, cette hypothèse n’est réalisable qu’“ en conformité avec les obligation positives pesant sur les Parties contractantes dans le cadre de l’article un de la Convention pour le respect 351 des droits et libertés des personnes relevant de leur juridiction ” . Selon Jean-François Flauss, cette approche semble aussi légitimer les législations nationales qui établissent un régime d’interdiction préalable des partis anti-démocratiques, et même, semble encourager 352 les autres Etats à le faire . Dans un contexte de montée des extrêmes sur la scène politique en Europe, la Cour montre en tous cas sa fermeté, autant face à la situation des Etats d’Europe centrale et orientale, que ceux de la vieille Europe. Titre Deuxième : Le cadre de l’ingérence de État dans la liberté d’association politique. Outre l’article 16 qui autorise un Etat à restreindre l’activité politique des étrangers, mais n’a jamais été invoqué devant la Cour, et l’article 17, qui permet la restrictions des droits des acteurs antidémocratiques, certaines dispositions de la Convention envisagent l’hypothèse de l’intervention de l’Etat dans un souci de protection de l’ordre public et des 353 intérêts supérieurs de la nation . A l’exception du “ noyau dur ” des droits de l’homme, comme par exemple le droit à la vie, tous les droits protégés par la Convention sont des droits conditionnels, c’est-à-dire que l’ingérence étatique est possible, dans certaines conditions et sous réserve de contrôle par les organes de la Convention. Particulièrement, les paragraphes deux des articles 8 à 10 de la Convention prévoient explicitement 347 H. Surrel, in F. Sudre, “ Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (année 2005) ”, RDP, 2006, n°3, p.811. 348 349 350 351 352 353 Arrêt Ouranio Toxo et autres précité, §40. J-F Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003) ”, op. cit., p.611. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §103. Ibid., §103. J-F Flauss, “ Actualité de la Convention EDH ”, op. cit., p.611. Au sujet de l’article 17, voir supra, pp.64 à 70. METIER Clémentine_2007 63 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME les circonstances dans lesquelles les autorités nationales peuvent restreindre les droits proclamés. L’atteinte en cause doit être le fait de l’Etat lui-même, c’est-à-dire d’organes ou d’agents intervenant officiellement, ou du juge. L’ingérence est généralement un acte positif, par exemple une mesure prise, mais le manquement à une obligation positive peut aussi être une ingérence. Quoi qu’il en soit, toute ingérence fait obstacle à l’exercice d’un droit ou d’une liberté, et partant, est non seulement soumise à certaines règles, mais fait aussi l’objet d’un contrôle strict de la part du juge européen. L’article 11 de la Convention européenne définit la liberté d’association, qui, depuis l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, est reconnue comme s’appliquant aux partis politiques. Contrairement à d’autres articles de structure similaire de la Convention, le second paragraphe de cette disposition contient une disposition qui confère directement à l’Etat le pouvoir de restriction, par certaines catégories de personnes, de l’exercice des droits énoncés au paragraphe un : “ Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de 354 l’administration de l’Etat ” . L’article 11 protège les formations politiques contre toute “ restriction ” infondée au sens de son paragraphe deux, c’est-à-dire contre les ingérences des autorités nationales les empêchant illégitimement d’exercer leur droit. Encore faut-il pouvoir définir clairement la notion d’ingérence étatique. Par exemple, une mesure qui se limiterait “ à restreindre la possibilité pour [des particuliers] d’exercer des fonctions administratives au sein d’un 355 parti politique dont ils [sont] membres ” ne constitue pas une ingérence . En revanche, juridiquement, une mesure de dissolution ou d’interdiction forcée d’un parti politique 356 constitue une “ ingérence ” dans la liberté d’association . Dans son interprétation de l’article 11, et particulièrement du paragraphe deux, la Cour européenne, conformément à sa position classique, privilégie le régime démocratique et le principe de liberté. Plus précisément, la Cour insiste sur le rôle prééminent des formations politiques dans la société démocratique et laisse entendre que celles-ci bénéficient d’une 357 protection renforcée . La Cour fait preuve d’un certain libéralisme vis-à-vis des partis 358 politiques, considérant que l’ingérence de l’Etat est le plus souvent injustifiée . Aussi le juge européen adopte-t-il une interprétation stricte des limites à la liberté d’association des 359 partis politiques, estimant que seules des raisons “ convaincantes et impératives ” et des 360 motifs “ pertinents et suffisants ” peuvent justifier de restrictions. Le contrôle par la Cour des limitations à cette liberté est rigoureux, et laisse une marge d’appréciation réduite aux 361 Etats, nous y reviendrons . Ainsi, la liberté d’association politique n’accepte de limitations que dans le strict cadre du paragraphe deux de l’article 11. Ce paragraphe émet trois 354 355 356 357 358 359 360 D. Gomien, et al., op. cit., pp.332-333. Arrêt Ahmed précité, §70 Voir notamment les arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §36 ; et Parti socialiste, §30. F. Benoît-Rohmer, op. cit., p.566. Voir arrêt Handyside précité. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46 ; et Parti socialiste, §50. Arrêt Olson c/ Suède, 24 mars 1988, §68. Voir aussi arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, 18 juin 1971, §§71 et 95 : une ingérence doit avoir des “ raisons plausibles ” pour être justifiée. 361 64 Voir infra, pp. 95 à 97. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION conditions selon lesquelles un Etat peut légitimement restreindre la liberté de réunion et d’association des personnes. Pour être admissible, l’ingérence doit être “ prévue par la loi ”, motivée par un “ but légitime ”, et “ nécessaire dans une société démocratique ”. Pour traiter des conditions dans lesquelles une ingérence dans la liberté d’association des partis politiques est envisageable, nous suivrons le raisonnement adopté par la Cour dans ses arrêts. Il conviendra donc d’étudier en premier lieu les deux premières conditions de l’article 11, paragraphe 2, lesquelles sont le plus souvent respectées par les Etats, pour ensuite aborder la question majeure de la “ nécessité dans une société démocratique ”. Chapitre I / Les deux premières conditions de l’article 11 paragraphe deux de la Convention. Nous avons choisit d’aborder les deux premières conditions du paragraphe deux ensemble afin de suivre la démarche de la Cour. Dans la majorité des cas de dissolution de formations politiques, le juge européen a reconnu que la mesure d’ingérence était “ prévue par la loi ” et répondait à au moins un “ but légitime ”. Comme ces deux exigences sont le plus souvent respectées par l’Etat, elles font l’objet d’un traitement relativement succinct de la part de la Cour. Section 1 : L’ingérence doit être “ prévue par la loi ”. En premier lieu donc, toute restriction à la liberté d’association par les autorités nationales doit être “ prévue par la loi ”. Cette condition peut se décomposer en deux éléments : d’abord, il importe de définir ce que la Convention entend par “ loi ” ; ensuite, le terme “ prévue ” implique un certain nombre d’obligations pour les autorités nationales. §1 Une définition extensive de la “ loi ”. La Cour définit la “ loi ” comme “ le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’on interprété en ayant égard, au besoin, à des données techniques nouvelles ”, ce qui signifie que le contrôle de l’ingérence étatique par la Cour porte à la fois “ sur la loi et sur les décisions 362 qui l’appliquent, y compris celles d’une juridiction indépendante ” . La loi s’entend donc 363 comme l’ensemble du droit positif, qu’il soit législatif, réglementaire ou jurisprudentiel . Pour certains, comme Patrick de Fontbressin, cette conception est la source de certaines 364 incertitudes . Pourtant, la démarche du juge européen répond à la volonté de “ ne pas 365 forcer la distinction entre pays de common law et pays continentaux ” . La Cour EDH adopte une conception “ souple ” de la légalité dans la mesure où elle considère que la 366 jurisprudence peut pallier aux lacunes du droit écrit . Aussi, “ le texte de la disposition 367 légale [doit être] lu à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle accompagne ” . 362 363 Arrêt Parti socialiste précité, §50. Voir aussi arrêt Lingens précité, §39. La Cour inclut sous la dénomination “ loi ” les conventions internationales applicables en droit interne. Arrêt Groppera Radio AG et autres c/ Suisse, 28 mars 1990, §68. 364 365 366 367 P. De Fontbressin, in P. Lambert (dir.), op. cit., p.20. Arrêt Kruslin c/ France, 24 avril 1990, §29. F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.211. Arrêt Cantoni c/ France, 15 novembre 1996, §§32 et 35. METIER Clémentine_2007 65 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME En ce sens, la loi est envisagée au sens matériel et non formel, afin d’éviter tout clivage entre les pays où le droit est essentiellement d’origine jurisprudentielle, et ceux où il est 368 principalement d’origine législative ou réglementaire . Rapidement, la question s’est posée de savoir si le texte constitutionnel, cadre juridique suprême en droit interne, est soumis où non aux exigences de la Convention, et donc au contrôle de la Cour. Dans le cas de la dissolution du Parti communiste unifié de Turquie, qui établit la jurisprudence en la matière, les autorités turques considéraient que l’ingérence ne relevait pas de la CEDH dans la mesure où le Parti remettait directement en cause une disposition constitutionnelle. Mais contrairement à l’argumentaire avancé par le gouvernement, la Cour a jugé que l’article 11 trouvait à s’appliquer en l’espèce puisque la Constitution est soumise aux exigences de la Conventions européenne, au même titre que toute autre règle de droit national. Cela se justifie par le fait que la Constitution représente 369 le mode premier d’exercice de la juridiction d’un Etat . A ce sujet, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie reprend l’arrêt Open Door : “ si les autorités nationales ont en principe la faculté de choisir les mesures qu’elles jugent nécessaires au respect de la prééminence du droit ou pour donner effet à des droits constitutionnels, elles doivent en user d’une manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du 370 contrôle des organes de celle-ci ” . La Cour se reconnaît donc le droit d’examiner, et éventuellement de déclarer contraire à la Convention, n’importe quelle disposition nationale, même constitutionnelle, ou au moins l’interprétation qui en est faite par les juridictions internes. La jurisprudence de la Cour rejoint là les termes de l’article un de la CEDH qui impose aux Etats le respect de la Convention “ dans l’ensemble de leur juridiction ”. Lors de l’affaire Refah Partisi par exemple, la Cour avait reconnu que l’ingérence dans la liberté d’association de ce parti remplissait la première condition de l’article 11, paragraphe deux. En effet, la mesure attaquée se fondait sur la Constitution turque et sur la loi réglementant les partis politiques, lesquelles sont bien des “ lois ” au sens de l’article 11, 371 paragraphe deux . De même, reprenant les termes exacts de l’arrêt Parti de la démocratie et de l’évolution, la Cour note, dans l’arrêt Emek Partisi et Şenol, qu’aucune des parties ne 372 contestait que “ l’ingérence était prévue par la loi ” . §2 L’exigence de prévisibilité de la loi. Par ailleurs, l’article 11, paragraphe deux, précise que l’ingérence doit être “ prévue ”. Pour reprendre la formulation du juge européen, “ les mots “ prévue par la loi ” veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en question ”. Ceci suppose l’accessibilité de la loi aux citoyens, ainsi qu’“ une formulation assez précise pour leur permettre de prévoir, à un degré raisonnable dans les 373 circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé ” . En d’autres termes, la loi doit être à la fois accessible et prévisible dans ses effets. Elle doit aussi 368 F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.208. Voir aussi J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.377. 369 370 371 372 373 66 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§29-30. Arrêt Open Door et Dublin Well Woman précité, § 69. Repris par l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §34. Arrêt Parti de la démocratie et de l’évolution précité, §19. Voir aussi arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §47. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION définir les conditions et les modalités de toute limitation aux droits fondamentaux afin d’éviter 374 l’arbitraire . L’adjectif “ prévue ” renvoie donc à l’exigence de précision et de prévisibilité de la règle de droit. Ce exigence vise à sauvegarder “ le principe général de la sécurité 375 juridique ” qui s’impose aux Etats contractants. En effet, ces derniers se doivent d’assurer la permanence de leurs institutions et la continuité de leur législation. Conformément au principe de prééminence du droit, la loi doit revêtir une certaine constance, critère qui se combine à celui d’accessibilité du droit : le texte de loi doit pouvoir être connu facilement tout en étant clair et précis. En d’autres termes, “ la qualité de la loi doit être compatible avec la prééminence du 376 droit ” . Ce principe est garanti notamment par le paragraphe cinq du Préambule de la 377 Convention et utilisé de façon récurrente par la Cour . Comme le fait remarquer la Cour européenne, l’Etat est le seul ordre juridique légitime au regard de la Convention. Le règne de l’Etat de droit est une préoccupation centrale du juge européen. Les Etats signataires de la Convention sont contraints d’assurer le respect de la légalité, à la fois dans leur propre activité et dans celle de leurs sujets de droit. Ainsi, l’exigence de l’Etat de droit s’applique d’abord aux particuliers ou aux groupes de particuliers. A ce titre, la dissolution du Parti de la prospérité par les autorités turques était légitime puisqu’“ on ne saurait dire que la prééminence du droit règne […] lorsque des groupes de personnes subissent une discrimination au seul motif qu’ils représentent des sexes différents ou des convictions politiques et/ou religieuses différentes. Elle ne règne pas non plus lorsque des système 378 juridique entièrement différents sont créés pour de tels groupes ” . C’est de l’exigence de respect de la légalité découle l’“ exigence de prévisibilité ” et de précision de la loi. Pourtant, comme le remarque Gilles Lebreton, dans l’affaire Refah Partisi, la Turquie a violé cette exigence, sans même que la Cour ne le relève ni ne la condamne. En effet, huit jours avant l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle turque, l’article 103, paragraphe deux, de la loi turque sur les partis politiques était encore en vigueur. Or, cet article aurait rendu impossible la dissolution du Refah pour deux raisons : d’abord, il imposait que la dissolution d’un parti intervienne après condamnation pénale de ses membres; il prévoyait ensuite que la procédure soit abandonnée si les membres condamnés étaient exclus du parti dans les 30 jours suivant la procédure de dissolution. Or, la Cour constitutionnelle d’Ankara s’était réunie avant de statuer sur l’affaire Refah Partisi afin de rendre un arrêt préliminaire, le 9 janvier 1998, déclarant inconstitutionnel l’article 103, paragraphe deux. Cette décision bafoue indéniablement l’exigence de prévisibilité du droit. Gilles Lebreton qualifie même cette décision de “ basse manœuvre politique ”, destinée à interdire à tout prix le Parti de la prospérité, quitte à violer le principe de la prééminence 379 du droit . Toutefois, mis à part les “ doutes ” exprimés par les opinions dissidentes des trois juges minoritaires de l’arrêt de Chambre, la Cour européenne n’a pas relevé cette circonstance dans ses arrêts. Cette lacune est d’autant plus inquiétante que la Cour a fondé sa décision sur des actes ou propos “ ambigus ”, qui lui donnent une mauvaise “ impression 374 375 Voir notamment arrêt Olson c/ Suède, 24 mars 1988, §61 et s. Voir aussi arrêt Hentrich c/ France, 22 septembre 1994, §42. Arrêt Baranowski c/ Pologne, 28 mars 2000, §52. 376 377 378 379 Arrêt Halford c/ Royaume-Uni, 25 juin 1997, §49. Voir supra, pp.32-33. Arrêt Refah Partisi de Chambre, §43. G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1507-1508. METIER Clémentine_2007 67 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 380 ” et laissent “ planer un doute ” sur les intentions réelles du parti . En ignorant une telle violation de l’exigence de prévisibilité, l’arrêt de la Cour européenne remet en question un principe central de la Convention, celui de la prééminence du droit alors même qu’il n’est pas de démocratie sans règne du droit. En définitive, dans la plupart des cas de dissolution de partis politiques, l’Etat avait respecté la première condition de l’article 11, paragraphe deux. Toutefois, cette exigence ne saurait suffir à rendre légitime une restriction à la liberté d’association des partis politiques. L’ingérence doit aussi viser un but légitime, tel que définit par la même disposition. Section 2 : Le respect des “ buts légitimes ”. §1 Le contenu des “ buts légitimes ”. L’article 11, paragraphe deux, énumère les buts légitimes nécessaires “ à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la 381 protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ” . Ces buts relèvent à la fois de l’intérêt public et d’intérêts privés dans la mesure où une restriction à la liberté d’association doit être décidée eu égard à l’intérêt de la vie étatique et sociale et à l’intérêt des individus au sein de la société. Dans le cas des affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste, comme pour les autres partis pro-kurdes, le gouvernement turc invoquait plusieurs buts légitimes : le maintien de la sécurité nationale, l’intégrité du territoire, la sûreté publique et la protection 382 des droits et libertés d’autrui . Dans ses deux rapports, la Commission EDH n’avait retenu chaque fois que les deux premiers buts, estimant que “ l’interdiction de toute activité destructrice visant à démanteler un Etat ou à partager son territoire ” suffit à protéger 383 les autres buts invoqués par la Turquie . Pourtant, l’intégrité territoriale n’apparaît pas au paragraphe deux de l’article 11, mais au paragraphe deux de l’article 10. Mais en invoquant l’intégrité territoriale, la Commission donne l’impression que les buts légitimes 384 sont fongibles d’une clause de restriction à l’autre . Or, la Cour ne semble pas partager cet avis. Lorsqu’elle résume la position de la Commission dans ses arrêts de 1998, elle utilise le 385 terme de “ sécurité nationale ” et non pas d’“ intégrité territoriale ” . Une fois la terminologie clarifiée, la Cour a conclu que la dissolution de ces deux partis poursuivait au moins un “ 386 but légitime ”, celui de la protection de la “ sécurité nationale ” . 380 381 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §§71, 73, 75 et 80. http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (accès le samedi 14 juillet 2007). 382 Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie; Parti socialiste; Parti de la liberté et de la démocratique (ÖZDEP); Dicle pour le Parti de la démocratie (DEP) ; Yazar et autres ; Parti socialiste de Turquie ; Emek Partisi et Şenol ; Parti de la démocratie et de l’évolution ; Demokratik Kitle Partisi (DKP) et Elçi. Voir aussi arrêt Selim Sadak et autres c/ Turquie, 11 juin 2002. 383 Rapport Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie précité, §75. Rapport Commission EDH, Parti socialiste précité, §73. 384 385 386 68 B. Duarté, op. cit., p.342. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §40 ; et Parti socialiste, §35. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §41 ; et Parti socialiste, §36. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION De même, lors de l’affaire Dicle pour le Parti de la démocratie, après avoir reconnu l’existence d’une ingérence dans la liberté d’association et que celle-ci était “ prévue par la loi ”, la Cour européenne examine les “ buts légitimes ” invoqués par le gouvernement turc. Ce dernier justifiait la mesure de dissolution en vertu de la sûreté publique, la protection des droits d’autrui, la sécurité nationale et l’intégrité territoriale, motifs que le parti en cause rejetait en bloc. Pour la Cour en revanche, la mesure d’ingérence des autorités nationales répondait à au moins deux buts légitimes : ceux de l’intégrité du territoire et de la sécurité nationale. Dans le cas de l’affaire Parti socialiste de Turquie (STP), le Gouvernement affirmait que l’ingérence litigieuse visait les buts légitimes de “ la défense de la sûreté publique, la protection des droits d'autrui, la sécurité nationale et l'intégrité territoriale du pays ”, ce que les requérants niaient, considérant n’avoir “ aucunement prôné la séparation des Kurdes de 387 la Turquie, ni la fondation d'un Etat nouveau kurde ” . En revanche, les parties de l’affaire Emek Partisi s’accordaient à reconnaître que la mesure de dissolution du parti poursuivait “ un but légitime, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, au sens de l’article 11, 388 paragraphe deux ” . Dans les deux cas, aux yeux de la Cour, les mesures de l’Etat turc répondaient à au moins un des buts légitimes au sens de l’article paragraphe 2 : la protection 389 de la “ sécurité nationale ” dans le cas du Parti socialiste de Turquie , et la protection 390 de “ l’intégrité territoriale ” pour la dissolution de l’Emek Partisi . Partant, dans les deux affaires, le différend portait sur la question de savoir si l’ingérence était “ nécessaire dans une société démocratique ”. En définitive, dans la majorité des affaires de restrictions aux libertés des partis politiques, la mesure d’ingérence étatique remplit au minimum un but légitime au sens de l’article 11, paragraphe deux. Mais dans le cadre de la jurisprudence concernant la dissolution des formations politiques, la question de la légitimité des buts de l’interdiction s’est particulièrement posée vis-à-vis du statut des minorités. §2 Intégrité territoriale, sécurité nationale, sûreté publique et droits des minorités. Dans les Etats européens, la question des minorités est particulièrement sensible. Dans toutes les affaires relatives à la dissolution des partis politiques, la Cour européenne a eu à préciser les modalités de la protection des minorités, qu’elles soient ethniques ou 391 religieuses . Notamment, le juge européen s’est trouvé confronté au cas des populations kurdes de Turquie qui militent en faveur de leur autodétermination, notamment par le biais de groupements politiques. Dans les affaires Parti communiste unifié et le Parti socialiste par exemple, la Cour constitutionnelle turque reprochait aux requérants de chercher la séparation des kurdes du reste des turcs. Précisément, le juge constitutionnel interdit, au nom de l’unité nationale, toute revendication prônant une discrimination fondée sur l’appartenance ethnique ou simplement mentionnant le “ peuple kurde ”. Or, en l’occurrence, ces deux partis revendiquaient une plus grande autonomie, notamment linguistique, des 387 388 389 390 391 Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §§28-29. Arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22. Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §30. Arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22. La Cour a eu à traiter de la dissolution de partis pro-kurdes à plusieurs reprises. Mais le Refah Partisi plaidait lui, en faveur de la communauté musulmane en Turquie. Voir arrêts précités Refah Partisi de Chambre et de Grande Chambre. METIER Clémentine_2007 69 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Kurdes en Turquie. En conséquence, aux yeux de la Cour constitutionnelle, leur dissolution se justifiait afin de protéger l’intégrité territoriale. Mais la Cour EDH, comme la Commission avant elle, ne retient pas cette interprétation. Elle adopte au contraire une vision restrictive du but légitime de l’intégrité du territoire : pour elle, cette notion implique le maintien des frontières, mais n’interdit pas, sous cette réserve, la contestation de la forme d’organisation politique choisie par un État et les conditions de participation au pouvoir de certaines parties 392 de la population . Refusant d’examiner les expressions “ peuple ” et “ nation ” kurde, son “ droit à l’autodétermination ” ou “ de se séparer ” en dehors de leurs contextes, la Cour évalue la portée de ces termes à la lumière de l’ensemble du texte en cause. En 393 l’occurrence, le Parti socialiste “ n’encourageait pas à la séparation avec la Turquie ” , et, comme le Parti communiste unifié de Turquie avant lui, son objectif était clairement de promouvoir un débat public afin que les kurdes puissent véritablement participer à la vie politique. En cherchant si les deux partis dissous avaient réellement l’intention de modifier les frontières de l’Etat turc, la Cour laisse entendre que les impératifs de la sécurité nationale comprennent la préservation de l’intégrité du territoire, impression qu’elle avait déjà donné 394 en l’affaire Sidiropoulos c/ Grèce . Mais en l’espèce, le Parti communiste unifié et le Parti socialiste ne prônaient pas le séparatisme, et surtout, se montraient respectueux des règles démocratiques et de l’intégrité territoriale. Par conséquent, la Cour a conclu que leur dissolution n’était pas “ nécessaire dans une société démocratique ”. La liberté d’association est une “ valeur trop importante pour qu’elle puisse être sacrifiée à la défense des intérêts 395 de l’Etat ” . Néanmoins, les arguments évoqués par le gouvernement turc au sujet de l’interprétation de l’intégrité du territoire et la sécurité nationale trahissent l’inquiétude partagée par les Etats face aux minorités. Ce type d’arguments a été invoqué par certains Etats, comme la France, la Bulgarie ou la Turquie, pour justifier leur opposition à la 396 ratification de la Convention-cadre pour la protection de minorités, du 10 novembre 1994 . Ces notions touchent en effet au sujet délicat de la souveraineté nationale. Malgré tout, à la lecture des arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste, on peut conclure que les restrictions visant à éviter la séparation de l’Etat national d’une partie de la population poursuivent un but légitime au sens des paragraphes deux des articles 10 et 11. En outre, la Cour n’impose pas aux autorités publiques la reconnaissance du statut de minorités ni l’octroi de droits particuliers à ces “ peuples ”. Contrairement au Pacte International relatif aux droits civils et politiques dont l’article 27 proclame que “ dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue ”, la Convention EDH ne contient aucune disposition en 397 ce sens . La Cour se contente de contrôler l’exercice des libertés qui ne peut être interdit aux particuliers ou personnes morales sous prétexte qu’ils revendiquent une “ conscience 392 393 394 395 Voir supra, pp.50 à 55. Arrêt Parti socialiste précité, §47. B. Duarté, op. cit., p.342. Rapport Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie précité, §§84-85, et rapport Commission EDH Parti socialiste précité, §§82-83. 396 397 J-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p.12 Article 27 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques. http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm le mercredi 25 juillet 2007). 70 METIER Clémentine_2007 (accès PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION 398 minoritaire ” reconnue ou non par leur Etat national . Il convient aussi de rappeler que les rédacteurs de la Convention avaient accepté de mentionner “ l’intégrité nationale ” au paragraphe deux de l’article 10 à condition qu’“ une restriction […] portant atteinte aux droits des minorités nationales de faire valoir leurs aspirations par des moyens démocratiques ” 399 ne puisse être introduite . La jurisprudence de la Cour respecte cette idée en affirmant que les partis politiques sont autorisés à véhiculer l’opinion des groupes minoritaires du pays, sauf s’ils contestent l’intégrité territoriale par des revendications séparatistes. Cependant, la poursuite des buts légitimes ne constitue pas une condition suffisante en soi pour justifier de la dissolution d’un parti politique. La Cour applique dans un dernier temps le critère de la “ nécessité dans une société démocratique ”. Chapitre II / La nécessité dans une société démocratique. L’article 11, paragraphe deux, impose comme troisième et dernière condition à une restriction de la liberté d’association que l’ingérence soit “ nécessaire dans une société démocratique ”. Même si la notion même de “ société démocratique ” reste floue, elle est centrale dans le système conventionnel. Elle se caractérise par le pluralisme, la tolérance 400 et l’esprit d’ouverture . Par ailleurs, la nécessité de la mesure implique à la fois qu’elle réponde à un “ besoin social impérieux ” et qu’elle soit proportionnée au(x) but(s) légitime(s) poursuivi(s). Section 1 : Le fondement de la “ nécessité dans une société démocratique ”. §1 Le critère de la société démocratique : une démarche “ socio-historique ”. L’exigence de “ nécessité dans la société démocratique ” pourrait découler de l’interprétation de la clause de restriction à la lumière de l’article 17, mais aucun arrêt de la Cour n’est clair à ce sujet. Pour déterminer si une mesure de dissolution répond à une “ nécessité dans une société démocratique ”, il faut d’abord évaluer si le projet politique du parti est démocratique dans toutes ses dimensions. Pour cela, la Cour étudie de façon globale le discours propagé, les propositions aux adhérents et électeurs, mais aussi les arrière401 pensées contenues dans le programme et les propos des responsables . Notamment, elle compare le programme ou les déclarations officielles du parti avec l’ensemble des actes et prises de position des dirigeants et des adhérents. Contrairement à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle turque, la Cour européenne se centre sur l’impact de “ l’acte commis ”, c’est-à-dire sur des déclarations ou des actes susceptibles de provoquer tel ou tel effet, plutôt que sur “ l’acte fait ”, c’est-à-dire l’acte en lui-même. Dès l’affaire du Parti communiste allemand de 1957, la Commission avait déjà adopté cette démarche 402 que certains auteurs qualifient de sociologique . Cette technique permet de dépasser les apparences : selon la Cour, la convergence des différentes prises de position des dirigeants 398 399 B. Duarté, op. cit., p.344. Rapport de la Conférence des hauts fonctionnaires au Comité des ministres, Recueil des “ Travaux préparatoires ”, vol/ IV. Voir B. Duarté, op. cit., p.345. 400 401 402 Voir supra, pp.30 à 32. Bertrand Favreau, in P. Lambert, op. cit., p.124. J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (février-juillet 2006) ”, AJDA, n°31/2006, p.1719. METIER Clémentine_2007 71 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME révèle le programme réel et prouve, ou non, la bonne foie du parti. En effet, on ne saurait exclure qu’il peut exister certaines différences entre les objectifs affichés par un parti et ses 403 intentions réelles . “ Dans le passé, les partis politiques ayant des buts contraires aux principes fondamentaux de la démocratie ne les ont pas dévoilés dans des textes officiels 404 jusqu’à ce qu’ils s’approprient le pouvoir ” . Partant, la Cour doit s’assurer que les intentions annoncées publiquement par un parti ne sont pas contredites par les faits, ni par les propos 405 ou les actes de ses responsables . Dans le cas du Parti communiste unifié de Turquie, cette méthode a joué en faveur des requérants. Alors que la Cour constitutionnelle turque avait condamné le parti pour s’être 406 intitulé “ communiste ” , conformément à la loi turque réglementant les partis politiques, la Cour estimait au contraire que le parti dissout “ ne visait pas, malgré son appellation, à établir 407 la domination d’une classe sociale sur les autres ” . Etant donné que le parti incriminé respectait les “ exigences de la démocratie parmi lesquelles, le pluralisme politique, le suffrage universel et la libre participation à la vie politique ”, son existence et ses activités n’étaient pas contraire à l’ordre démocratique, et ce alors même qu’il se dénommait “ 408 communiste ” . Pour la Cour, les faits reprochés au Parti relevaient seulement de l’exercice collectif de sa liberté d’expression. Or, “ le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un Etat et de se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver, dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire 409 tous les acteurs concernés ” ne saurait être sanctionné par les autorités publiques . De plus, la dissolution d’un parti politique ne saurait se justifier par un seul mot. En ce sens, la Cour procède à ce qu’elle qualifie d’“ appréciation acceptable des faits pertinents ”, c’est-àdire à une étude d’ensemble des phrases et expressions employées, associée à l’examen 410 global des statuts et du programme du parti . Seule cette démarche permet de restituer le contexte et d’évaluer la sincérité du programme et des statuts du parti au regard des actes et prises de positions réels de ses dirigeants et adhérents. Aux yeux du juge européen, les actes et discours des membres d’un parti sont imputables au parti lui-même, mais à la condition qu’ils soient concordants quant aux buts et aux intentions du parti et qu’ils soient assez fréquents pour qu’aux yeux des électeurs, ils soient le reflet du modèle de société proposé par le parti lui-même, et cela même si le statut ou programme n’y fait pas 411 une référence expresse . Par exemple, dans le cas du Refah Partisi, “ les propos et les prises de positions en cause des responsables du Parti de la prospérité [constituaient] un ensemble et [formaient] une image assez nette d’un modèle d’Etat et de société organisée 412 selon les règles religieuses, conçu et proposé par le parti ” . De ce constat, la Cour déduit que le projet de ce parti était incompatible avec les principes fondamentaux de 403 404 405 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §79. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §58 ; et Parti socialiste, §48. 406 407 408 409 410 411 412 72 Au sujet de la loi turque n°2820 réglementant l’existence des partis politiques, voir supra p.24. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54. Ibid, §54. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie § 57, et Parti socialiste §45. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §47, et Parti socialiste, §44. J-Y. Dupeux, op. cit., p.78. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §75. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION la démocratie et les valeurs sous-jacentes de la Convention. Les actes et discours des membres d’un parti, “ à condition de former un tout révélateur du but et des intentions du 413 parti ”, sont autant d’indices quant au projet à long terme d’un parti . Bien souvent, les partis non démocratiques tiennent deux langages : celui de la légalité d’une part, et les actes et discours des responsables d’autre part. Dans la plupart des cas, les statuts et le programme du parti, respectueux de la légalité, font office de “ vitrine ” du mouvement, mais les actes et discours trahissent les véritables intentions des dirigeants du parti. A ce sujet, Raymond Blet rappelle le rôle essentiel que tiennent les médias en tant que rapporteurs des actes et vecteurs des discours fondamentaux pour le développement des idéaux, même 414 néfastes, d’un parti . Ainsi, le programme d’une formation politique peut cacher des objectifs et des intentions 415 différents de ceux affichés officiellement . Il revient donc aux juridictions nationales d’évaluer si le parti incriminé constitue une menace effective sur la démocratie. A ce sujet, la jurisprudence de la Cour européenne se distingue clairement de celle de la Cour constitutionnelle turque. En effet, la Cour nationale insiste d’abord sur les objectifs et l’activité même du parti. Pour le juge constitutionnel, l’essentiel est l’intégrité de l’Etat. Par contre, la Cour EDH met plutôt en avant le programme, le propos, le discours des partis politiques. Dans cette démarche, elle tend à dépasser le principe de légalité stricto 416 sensu, tant que l’acte réprimé n’est pas lié à la violence .L’essentiel, à ses yeux, est la démocratie et la “ solution démocratique ”. C’est pourquoi le jugement de la Cour s’effectue in concreto, c’est-à-dire que la Cour examine systématiquement les particularités de l’espèce. Elle juge au cas par cas, sans application automatique ni des principes directeurs de la Convention ni de sa jurisprudence. Cette technique est particulièrement importante vu la spécificité et la rigueur du contrôle des restrictions aux droits civils et politiques. En ce sens, Jean-François Flauss parle d’“ individualisation du contrôle européen ”, qui suppose aussi l’“ individualisation ” de la mesure limitative ou privative ”, c’est-à-dire que la Cour EDH dans son jugement, et les autorités nationales dans leur décision de limiter un droit ou une liberté, 417 doivent analyser chaque cas particulier à la lumière des circonstances particulières . Parmi les facteurs que le juge européen prend en compte dans son examen, “ 418 l’évolution historique dans laquelle se situe la dissolution ” et les circonstances entourant l’espèce jouent un rôle important. Par exemple, lors des affaires Parti communiste unifié et Parti socialiste de 1998, la Cour avait mentionné qu’elle “ est prête à tenir compte des circonstances entourant les cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées 419 à la lutte contre le terrorisme ” . De la même manière, dans le cas du Refah Partisi, la Cour estimait que la menace de la mise en place d’un régime théocratique n’est pas complètement négligeable en Turquie étant donné non seulement l’évolution historique de la Turquie, mais aussi l’histoire européenne contemporaine. Pour chaque affaire, la Cour évalue la situation non seulement au regard du contexte particulier de l’espèce, mais aussi en fonction de ce que les autres Etats membres de la CEDH ont l’habitude de tolérer, 413 414 415 416 417 418 419 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101. R. Blet, in P. Lambert, op. cit., p.28 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101. Voir supra, pp.60-62. J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (février-juillet 2006) ”, op. cit., p.1719. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §105. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §59, et arrêt Parti socialiste, §52. METIER Clémentine_2007 73 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME mais sans préciser s’il s’agit de la technique qui consiste à faire appel au droit interne pour interpréter et appliquer les dispositions la Convention. Dans cette perspective, “ les déclarations litigieuses [du Parti socialiste] ne se distingu[aient] guère de celles de certaines formations politiques actives dans d’autres pays du Conseil de l’Europe ”, ce qui faisait 420 de la dissolution une mesure d’une radicalité injustifiée . De même, dans le cas du Parti de la prospérité, la Grande Chambre rappelle qu’en Europe, un nombre non négligeable de mouvements totalitaires s’organisent sous forme de partis, ce qui appelle une certaine 421 vigilance . La Cour européenne fait donc référence aux développements législatifs et jurisprudentiels nationaux afin de restituer le contexte européen général. Ensuite, la Cour prend aussi en compte le contexte national propre à l’espèce. Dans sa décision de dissolution du Refah Partisi, le 16 janvier 1998, la Cour constitutionnelle turque avait déjà utilisé le contexte de “ combat politique ”, entre défenseur de l’ordre constitutionnel actuel hérité du Kémalisme et mouvement islamiste radical, pour justifier sa 422 décision . Après avoir constaté que la décision de la Cour constitutionnelle remplissait les deux premières conditions de l’article 11, paragraphe deux, la seule question majeure qui subsistait devant la Cour européenne était de juger si la mesure était nécessaire ou non dans une société démocratique. Après avoir éxaminé les circonstances, le juge européen a confirmé point par point la conventionnalité de la décision de la Cour constitutionnelle 423 turque . En effet, à la lumière du contexte, il existait un intérêt général à préserver la 424 démocratie et le principe de laïcité . Partant, la mesure de dissolution du Refah Partisi 425 constituait une ingérence légitime au regard de l’article 11, paragraphe deux . Cependant, il convient de préciser, au sujet du Refah Partisi, que les sources de l’analyse de la Cour EDH laissent planer certains doutes. En effet, les arguments qui fondent la décision du juge européen n’apparaissent dans aucun document officiel. Ni le programme, ni les statuts, ni même l’action politique du parti une fois au pouvoir ne confortent les positions personnelles relevées à la charge des responsables et des membres de cette formation politique. Comme le souligne l’opinion dissidente commune de l’arrêt de Chambre, “ la dissolution s’est exclusivement fondée sur des déclarations publiques et/ou des actions de 426 dirigeants, de membres ou d’anciens membres du parti ” . Il semblerait alors que le parti ait été condamné pour les faits et gestes de personnes privées n’agissant pas pour son compte. D’ailleurs, on peut se demander pourquoi les particuliers auteurs de ces propos ou d’actes dangereux pour la laïcité et la démocratie n’ont jamais été condamnés par une procédure pénale. Une seule procédure avait été menée contre le “ discours à l’anniversaire de la chaîne Kanal 7 ” prononcé par M. Necmettin Erbakan, mais elle avait finalement été 427 classée sans suite après les enquêtes . Par ailleurs, l’absence d’unanimité des juges lors 420 421 422 Arrêt Parti socialiste précité, §46. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98. A. Bockel, op. cit., p.912. 423 H. Labayle et F. Sudre, “ Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et droit administratif ”, RFDA, n ème °5, septembre-octobre 2004, 20 année, p.987. 424 425 426 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §105. Ibid, §135. Opinion dissidente commune à M. Fuhrmann, M. Loucaides, et Sir N. Bratza, in fine de l’arrêt Refah Partisi de Chambre précité. 427 R. Adjovi, in E. Decaux et P. Tavernier (dir.), “ Chronique de jurisprudence de la Cour EDH (année 2001) ”, JDI 1, 2002, T.129 (janvier-février-mars), p.309. 74 METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION de l’arrêt de Chambre en 2001 laissait s’ouvrir une brèche dans le caractère certain de la protection des droits politiques, brèche semble-t-il refermée par l’unanimité de la Grande Chambre en 2003. Quoi qu’il en soit, les preuves apportées par la cour Constitutionnelle 428 turque et la Cour européenne peuvent passer pour “ douteuses ” . Par exemple, au sujet de la volonté du parti d’instaurer un système multi-juridique, les deux Cours se fondent sur deux discours anciens, datant de 3 ans avant l’accession du parti au pouvoir, alors même que tous les autres éléments du dossier plaidaient au contraire en faveur de l’innocence du parti. Aucun autre discours ou document n’a jamais repris le thème du système multijuridique par la suite et le programme officiel du parti une fois au gouvernement proclamait 429 son attachement au principe de laïcité . De la même façon, dans ses conclusions, la Cour semble ignorer le fait que le parti ait jusqu’ici eu recours à des “ moyens légitimes ” et 430 que le programme officiel du parti écarte le recours à la violence . Elle considère aussi que l’exclusion par le parti des députés auteurs des propos extrêmes mis en cause après l’ouverture de l’action en dissolution n’a pas eu lieu suffisamment en “ temps utile ” et ne 431 faisait que refléter “ l’espoir [du parti] d’échapper à la dissolution ” . En d’autres termes, le fondement juridique des décisions Refah interroge. Rejoignant l’opinion dissidente de l’arrêt de Chambre qui considérait que les intentions antidémocratiques du Refah Partisi étaient 432 insuffisamment démontrées , Gilles Lebreton dénonce à ce propos une double trahison 433 de la Cour, sur les plans juridique et philosophique, et regrette sa sévérité injustifiée . En dehors de ce cas particulier, la Cour se montre malgré tout vigilante quant à l’existence d’une menace sur la société démocratique qui justifierait l’ingérence. Après cet examen, la Cour vérifie, dans un second temps, si la mesure étatique respectait le critère de “ nécessité ” et répondait à un “ besoin social impérieux ”. §2 L’examen de la nécessité de l’ingérence : la recherche d’un “ besoin social impérieux ”. Selon la Cour, le terme “ nécessité ” implique que seules des raisons “ convaincantes 434 et impératives ” puissent légitimer une restriction à la liberté d’association politique . En d’autres termes, “ le seul type de nécessité capable de justifier une ingérence dans l’un de ces droits est donc celle qui peut se réclamer de la société démocratique ”, à moins que la défense de la démocratie ne participe en fait à la protection de la sécurité nationale. La Cour a utilisé le critère de nécessité dès les premières affaires de dissolution en 1998, 435 concernant le Parti communiste unifié de Turquie et le Parti socialiste . Au sens de l’article 436 11, paragraphe deux, l’adjectif “ nécessaire ” implique un “ besoin social impérieux ” . Après avoir déterminé si le parti respecte ou non les exigences démocratiques dans l’ensemble 428 429 430 431 432 433 434 435 436 G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1497. Ibid, p.1500. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §73. Ibid, §§73 et 77. Opinion dissidente commune à M. Fuhrmann, M. Loucaides, et Sir N. Bratza, arrêt Refah Partisi de Chambre précité. G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1501. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46, et Parti socialiste, §50. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§42 et 46 : énoncé des principes généraux applicables. Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §48. METIER Clémentine_2007 75 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME de son programme, ses statuts, ses activités et ses propos, la Cour évalue si la dissolution répond ou non à un “ besoin social impérieux ”. Pour qu’une mesure de dissolution soit légitime au sens de l’article 11, paragraphe deux, elle doit avant tout constituer l’ultime recours possible pour les autorités nationales, c’est-à-dire qu’elle ne peut avoir lieu que lorsque le parti menace de façon claire l’ordre politique libre et démocratique d’un pays. En ce sens, la Cour européenne semble s’inspirer de la jurisprudence de la Cour suprême américaine qui utilise le critère du clear and present danger. Même si la Cour fait rarement référence à la jurisprudence d’autres Cours, supranationales ou constitutionnelles, certains droits fondamentaux comme celui à la liberté d’association, revêtent une dimension 437 universelle . C’est pour cette raison qu’une étude juridique comparative peut contribuer à mieux comprendre l’interprétation que la Cour EDH fait des droits de l’homme. Relativement à la notion de “ besoin social impérieux ”, la jurisprudence de la Cour suprême américaine nous apporte un éclairage intéressant. En effet, depuis l’après Première Guerre mondiale, cette Cour a développé, le critère du clear and present danger. Elle l’utilise particulièrement en matière de liberté d’expression, et notamment pour l’interdiction 438 d’organisations antidémocratiques . Sans faire expressément référence à la jurisprudence de la Cour américaine, la Cour EDH reprend l’idée centrale selon laquelle le contenu d’une expression ou l’objectif d’une association en soi n’offre aucun motif suffisant pour justifier une intervention pénale. Par exemple, le juge européen a utilisé cette thèse dans l’arrêt Parti 439 Communiste unifié de Turquie afin de déclarer inconventionnelle la dissolution . Outre le caractère subversif et antidémocratique de l’opinion ou de l’organisation, il doit y avoir un danger tangible et immédiat, pour l’ordre démocratique existant. Le danger peut se manifester de différentes façons. Par exemple, les idées soutenues par une faible proportion de la population présente un faible danger. A l’inverse, plus l’organisation mobilise une audience large, plus le danger en lui-même doit être grave et menaçant pour que soit 440 reconnue la nécessité d’une interdiction et que la mesure soit légitime démocratiquement . La Cour suprême américaine apprécie à la fois le contexte et la proximité du danger afin d’établir si la formation en cause représente un danger tangible et immédiat. Le critère de la Cour Suprême américaine permet de compléter l’analyse de la Cour européenne, en la pondérant par la prise en compte du public susceptible d’être touché par la formation en 441 cause . Pour la Cour européenne, il s’agit donc de déterminer la portée du danger que représente éventuellement le parti pour l’ordre démocratique. Pour rechercher si l’ingérence poursuivait un “ besoin social impérieux ”, le juge européen évalue les chances réelles du parti d’accéder au pouvoir, c’est-à-dire s’il représentait un “ danger tangible et immédiat ” pour l’ordre démocratique du pays. Cela permet d’établir si le parti incriminé représente une véritable menace pour l’ordre démocratique et donc si la dissolution est “ nécessaire dans une société démocratique ”. Comme le souligne Bertrand Favreau, les partis “ liberticides ” n’attentent véritablement aux libertés qu’en fonction du résultat électoral, le “ verdict 442 des urnes ” . Aussi la Cour vérifie-t-elle la probabilité que le parti en cause accède au 437 438 439 440 441 442 76 S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1021. Ibid., pp.1021-1022. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54. S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1025. F. Sudre, Droit de la Convention EDH, JCP G 1999, I 105, p.143. B. Favreau, in P. Lambert, op. cit., p.124. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION pouvoir et mette son projet politique en pratique. Toutefois, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie précise qu’une dissolution préventive serait inconventionnelle. En l’occurrence, le programme et les statuts de ce parti ne dévoilaient aucun danger tangible. Or, la dissolution par la Cour constitutionnelle turque avait eu lieu avant même toute activité politique. Il était donc impossible de prouver l’inconventionnalité des objectifs réels du parti. Au contraire, la Cour EDH instituée en Grande Chambre a souligné que le Refah Partisi détenait un “ potentiel réel de s’emparer du pouvoir politique, sans être limité par les compromis inhérents 443 à une coalition ” . En effet, le projet politique proposé par le Parti de la prospérité n’était 444 “ ni théorique, ni illusoire ”, mais réalisable, pour deux raisons majeures . D’abord, c’était un mouvement politique important : le Parti de la prospérité avait remporté d’importantes victoires électorales entre 1993 et 1997, période ou ont eu lieu les déclaration incriminées, et au moment de la dissolution, il détenait à lui seul un tiers des sièges, soit 157 députés, à la Chambre législative. De plus, il était devenu un parti gouvernemental au moment de sa dissolution, puisqu’il participait à un gouvernement de coalition et son président, M. 445 Erbakan, avait été nommé Premier ministre en juillet 1996 . Ensuite s’ajoutent les facteurs historiques propres à la Turquie dont nous venons de parler : dans ce pays, des mouvements politiques basés sur le fondamentalisme religieux se sont déjà emparé du pouvoir par le passé. Les organisation religieuses intégristes ont en effet trouvé un terreau fertile pour imposer leur projet social. “ La Cour en déduit que les chances réelles qu’avait le Parti de la prospérité de mettre en application ses projets politiques donnent sans nul doute un caractère plus tangible et immédiat au danger que représentaient ces projets pour l’ordre 446 public ” . Par conséquent, le parti mettant en danger l’ordre public démocratique, les mesures d’ingérence répondaient bien à un “ besoin social impérieux ”. En définitive, la tâche de la Cour européenne est non pas de “ se substituer aux juridictions internes compétentes ”, mais de vérifier si la mesure nationale d’ingérence est conforme à la Convention en général, et à l’article 11 en particulier, et si le parti accusé 447 prônait des buts contraires aux principes de la démocratie . Plus le programme du parti est dangereux et plus ce parti a des chances de le mettre en application, plus la mesure adoptée se justifie au regard de la “ nécessité dans une société démocratique ”. En d’autres termes, lorsqu’il existe un danger “ tangible et immédiat ” ou un “ besoin social impérieux ”, l’Etat peut légitimement dissoudre le parti politique en cause. L’expression “ nécessaire dans une société démocratique ” implique non seulement “ la compatibilité entre la mesure et l’esprit démocratique ” et “ la nécessité de la mesure prise ”, mais elle induit un ultime “ sous-critère ” : “ le lien et la proportionnalité entre la mesure 448 et le but légitime invoqué ” . Section 2 : Le principe de proportionnalité de la mesure. §1 Toute mesure de dissolution doit être proportionnée au but visé. 443 444 445 446 447 448 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §§107-108. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §77. Voir supra, p.67. Arrêts précités Refah Partisi de Chambre, §76 ; et de Grande Chambre, §132. Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §§48 et 51. J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l‘homme, op. cit., p.380. METIER Clémentine_2007 77 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME Conformément à l’article 11, paragraphe deux, la Cour veille à ce que toute mesure de restriction à une liberté soit proportionnelle au but légitime poursuivi. Ce principe a été affirmé par la Cour lors des arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste en 1998. Ces partis avaient été dissous avant même toute activité politique, ce que le 449 juge européen avait estimé disproportionné au but visé . De la même manière, le juge européen considérait que la façon expéditive dont le Parti de la démocratie et de la liberté 450 a été dissout était le signe d’une extrême sévérité . Alors même que le parti respectait les règles fondatrices de la démocratie, la décision de dissoudre avait un effet immédiat et définitif, et était assortie d’un transfert des biens du parti au Trésor Public, ainsi que de l’interdiction faite aux dirigeants d’exercer des activités politiques. Partant, la mesure d’interdiction était disproportionnée aux buts légitimes poursuivis, et donc non nécessaire 451 dans une société démocratique, ce qui fondait donc une violation de l’article 11 . Reprenant cette jurisprudence, l’arrêt majeur, Refah Partisi, confirme le principe de proportionnalité de 452 l’ingérence à la gravité de l’atteinte du parti incriminé . Le but de la mesure étatique doit être compatible avec le principe de prééminence du droit et les objectifs généraux de la Convention, ce qui implique que l’ingérence soit proportionnée, et justifiée de façon objective et raisonnable. Dans cette décision, la Cour européenne ajoutait que “ la nature et la lourdeur des ingérences sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit 453 de mesurer leur proportionnalité ” . Non seulement un parti ne peut être sanctionné pour 454 “ un comportement relevant uniquement de l’exercice de la liberté d’expression ” , mais surtout, toute restriction doit être adaptée à la gravité du danger posé par le parti incriminé. Ainsi, la dissolution d’un parti avant même toute activité politique est particulièrement sévère et ne saurait être mise en œuvre que dans des cas extrêmes. Sur ce fondement, la Cour avait notamment constaté le caractère disproportionné de la décision de dissolution du Parti communiste unifié, alors même qu’il avait pour seul but de débattre publiquement du sort des kurdes. En conséquence, la Cour avait conclu à l’unanimité à la violation de 455 la liberté d’association de ce parti . Dans les affaires suivantes, la Cour a poursuivi ce raisonnement. Ainsi, “ une mesure aussi radicale que la dissolution immédiate et définitive du STP, prononcée avant même ses premières activités, apparaît disproportionnée au but 456 visé et, partant, non nécessaire dans une société démocratique ” . La dissolution doit rester l’ultime recours, sans quoi la protection de la liberté d’association politique ne serait plus assurée effectivement. En ce sens, le critère de la proportionnalité induit un juste équilibre entre les différents intérêts en présence. Une mesure aussi radicale qu’une dissolution définitive d’un parti politique, en raison de son seul programme et avant même qu’il ait entamé ses activités, constitue, en raison de son caractère disproportionné, une violation de 457 l’article 11 . De la même façon, l’interdiction faite à un parti politique d’exercer ses activités 449 450 451 452 453 454 455 456 457 78 Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §61, et Parti socialiste, §54. S. Perez, in J-F. Renucci, “ Droit européen des Droits de l’homme ”, Dalloz I 2000, p.191. Décision à l’unanimité. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §48. Arrêts précités Refah Partisi de Chambre, §82, et de Grande Chambre, §133-134. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §84. Voir aussi l’arrêt Sürek c/ Turquie, 8 juillet 1999, §64. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §58. Ibid, §61. Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §50. Voir aussi arrêt Yazar précité, §§59-60. F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.515. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION pendant un mois viole l’article 11 en raison de l’“ effet inhibiteur ” qu’une telle mesure produit 458 sur la faculté du parti d’exercer sa liberté d’expression et de poursuivre ses buts politiques . Le contrôle de proportionnalité va de pair avec la recherche d’un besoin social impérieux justifiant l’ingérence. L’arrêt Dicle pour le parti de la démocratie fournit un exemple très intéressant à cet égard. Si les positions et les actions du parti en faveur de “ la lutte pour la reconnaissance de l’identité kurde ” n’étaient pas “ comme tels, contraires aux 459 principes fondamentaux de la démocratie ” , certaines déclarations de l’ex-président de ce parti posait plus particulièrement problème au regard des exigences démocratiques définies par la Cour. Dans un discours de 1993, l’ex-président déclarait qu’il approuvait, et même qu’il appelait au recours à la violence comme moyen politique contre ceux qu’il 460 présentait comme les “ ennemis ” de la population kurde . Dans ces circonstances, une mesure étatique à l’encontre de l’ex-président aurait bien répondu à un “ besoin social 461 impérieux ” . Cependant, les seuls propos de l’ex-président ne suffisaient pas à justifier la dissolution du parti tout entier. Selon la Cour, ce seul discours, prononcé par un ancien dirigeant, qui plus est, à l’étranger, dans une autre langue, et devant un public concerné seulement indirectement, revêt un impact limité. Cette déclaration ne constituait donc pas une raison suffisante à “ une sanction aussi générale que la dissolution de tout un parti politique ”, d’autant plus que la responsabilité individuelle de l’auteur était déjà engagée 462 au plan pénal . En conséquence, la mesure de dissolution n’était pas proportionnelle, et partant ne répondait pas à un “ besoin social impérieux ”, et donc n’était pas “ nécessaire dans une société démocratique ”. A l’inverse, dans le cas du Refah Partisi, la Cour reprend à son compte les arguments de la Cour constitutionnelle d’Ankara, estimant que les ingérences en cause ne peuvent être considérées comme étant disproportionnées aux buts visés. Parce-que le Parti de la prospérité menaçait la société démocratique, sa dissolution, “ assortie d’une interdiction temporaire pour ses dirigeants d’exercer des responsabilités politiques ”, était une restriction proportionnée au but de “ maintien de la sécurité nationale et [de] la sûreté publique, [de] la défense de l’ordre et/ou la prévention du crime, ainsi [que de] la protection des 463 droits et libertés d’autrui ” . En d’autres termes, “ les ingérences litigieuses étaient proportionnées aux buts légitimes poursuivis, compte tenu du besoin social impérieux 464 auquel elles répondait ” . Ensemble, le “ besoin social impérieux ” et l’exigence de proportionnalité de la mesure prise forment une double condition qui s’impose à toute restriction à la liberté d’association des partis politiques. Par un examen minutieux du programme et des statuts, régulé par la recherche d’un besoin social impérieux et le principe proportionnalité de la mesure prise, la Cour illustre sa volonté de faire valoir un ordre public européen favorable à la liberté d’expression et la liberté d’association, notamment dans la sphère politique. Néanmoins, 458 “ (…) even a temporary ban could reasonably be said to have a “chilling effect” on the party’s freedom to exercise its freedom of expression and to pursue its political goals ”. Arrêt Parti populaire démocrate chrétien c/ Moldavie, 14 février 2006, §77. 459 460 461 462 463 464 Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §§51 et 53. Ibid, §62. Ibid, §63. Ibid., §64. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §§42 et 82. Repris par l’arrêt de Grande Chambre, §133. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §82. METIER Clémentine_2007 79 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME la notion de marge d’appréciation nationale implique la recherche d’un équilibre délicat. La liberté d’association des partis politiques, en ce qu’elle garantit le pluralisme, bénéficie d’une protection particulière, les Etats ne disposant alors que d’une marge d’appréciation réduite dans l’évaluation de la nécessité des restrictions au droit garanti par l’article 11. §2 La marge d’appréciation l’Etat Le système conventionnel reconnaît aux autorités nationales, parce-qu’elles sont les mieux placées pour se prononcer sur d’éventuelles restriction des droits et libertés, une certaine marge d’appréciation. Malgré cela, la Cour exerce son contrôle afin d’éviter tout risque d’arbitraire. D’ailleurs, si le contrôle est purement formel à l’origine, désormais le juge européen vérifie l’existence de raisons plausibles à l’ingérence et la proportionnalité de la mesure. L’appréciation de la marge d’appréciation s’effectue par rapport aux circonstances et aux moyens des autorités internes (voir supra), ce qui laisse penser à une forme de 465 contrôle d’opportunité . Aussi revient-il à la Cour de définir, dans le cadre du contrôle de proportionnalité, l’ampleur de la marge d’appréciation des Etats qui se prévalent des exceptions au droit d’association. Dès les premiers arrêts relatifs à la dissolution des partis 466 politiques, la Cour a souligné son attachement à une marge d’appréciation réduite . La Cour reconnaît certes le droit de l’Etat d’“ empêcher la réalisation d’un projet politique incompatible avec les normes de la Convention, avant même qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique 467 dans le pays ” . Toutefois, la liberté d’association en général, et celle des partis politiques en particulier, ne saurait être limitée que lorsque sont remplies les trois conditions du paragraphe deux de l’article 11, et notamment lorsqu’une telle mesure est nécessaire dans une société démocratique. Par ailleurs, toute mesure de dissolution ou d’interdiction forcée d’un parti politique est une “ mesure radicale ” qui ne peut avoir lieu que dans des cas extrêmes : “ des mesures d’une telle sévérité ne [peuvent] s’appliquer qu’aux cas les plus 468 graves ” . En ce sens, la jurisprudence de la Cour poursuit le raisonnement amorcé par l’ancienne Commission EDH lors des affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998. La Commission avait alors rappelé que la liberté d’association constitue une “ valeur trop importante pour qu’elle puisse être sacrifiée à la défense des intérêts de 469 État ” . C’est pourquoi le juge européen fait une application restrictive de la théorie de la marge d’appréciation. Comme l’a souvent répété la Cour, “ pour juger […] de l'existence d'une nécessité au sens de l'article 11, paragraphe deux, les Etats contractants ne disposent que d'une marge d'appréciation réduite, laquelle se double d'un contrôle européen rigoureux portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, y compris celles d'une juridiction 470 indépendante ” . L’objectif de la marge d’appréciation définie par la Cour est de laisser à l’Etat la possibilité de concilier l’intérêt général et les droits individuels afin de répondre à l’obligation qui pèse sur lui de rendre effectif l’exercice des droits fondamentaux. Cela 465 466 467 468 469 J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.381. Par exemple, arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46, et Parti socialiste de Turquie, §44. Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §82. Ibid, §82. Rapports de la Commission précités Parti communiste unifié de Turquie, §§84-85 ; et Parti socialiste, §§82-83. 470 80 Arrêt Parti communiste unifié précité, §46. METIER Clémentine_2007 PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION 471 suppose donc une vigilance particulière de la part du juge européen . Dans l’esprit de la Convention, les limitations prévues à certaines libertés, notamment celles des articles 8 à 10 de la Convention, constituent un garde fou pour éviter l’individualisme libéral. En ce sens, la Convention s’inspire de la philosophie du libéralisme politique selon laquelle il convient de mesurer les droits et libertés individuels à l’aune de l’intérêt général. La notion de marge d’appréciation illustre le vaste débat qui existe entre principe libéral et l’Etat de droit, ainsi 472 qu’entre principe démocratique et souveraineté nationale . Laisser une certaine marge d’appréciation à État est indispensable, dans la mesure ou il n’existe “ pas d’authentique 473 unification malgré l’harmonie européenne ” . Des différences peuvent et doivent subsister entre les divers Etats membres. Cela suppose néanmoins que soit recherché un équilibre entre la marge de manœuvre nationale et le contrôle de la Cour afin que le système 474 de protection soit viable . C’est ce que la Cour avait déjà énoncé dans l’arrêt Leander c/ Suède : “ les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation dont l’ampleur 475 dépend non seulement de la finalité, mais encore du caractère propre de l’ingérence ” . Notamment, l’expérience historique particulière de certains Etats européens peut justifier une augmentation de la marge d’appréciation face à un parti politique extrémiste. La Cour estime par exemple que c’est le cas du gouvernement turc face à une formation comme le 476 Refah Partisi, parti religieux fondamentaliste qui souhaite établir la Charia, . En ce sens, la jurisprudence souligne qu’un Etat contractant “ peut prendre position, en fonction de son expérience historique, contre des mouvements politiques basés sur le fondamentalisme 477 religieux ” . En définitive, il convient de mettre en balance “ l’intérêt de l’Etat défendeur à protéger sa sécurité nationale avec la gravité de l’atteinte au droit du requérant au respect de 478 sa vie privée ” . L’Etat possède certes une relative marge de manœuvre quant à la détermination de restrictions aux libertés publiques, mais celle-ci n’existe que sous réserve du contrôle de ses juridictions internes et de la Cour européenne. Précisément, les affaires Parti communiste unifié et Parti socialiste ont posé la question de l’intensité du contrôle de la Cour, laquelle est liée à l’étendue de la marge d’appréciation des Etats. Lors de ces affaires, le gouvernement turc considérait que les deux mesures de dissolution entraient dans sa marge d’appréciation puisqu’au nom du but légitime de protection de la sécurité nationale et dans un contexte d’activisme terroriste, les autorités turques estimaient nécessaire 479 l’interdiction du Parti communiste unifié et du Parti socialiste . La Cour européenne a jugé au contraire que les autorités turques avaient dépassé leur liberté d’appréciation. Partant, le juge européen avait considéré l’ingérence “ disproportionnée au but visé ”, donc “ non nécessaire dans une société démocratique ”, ce qui permettait de conclure à la violation de 471 472 473 474 475 476 477 478 479 M. Clapié, op. cit., p.107. Ibid., p.108. A-J. Arnaud, cité par J-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p.4 J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit. p.4. Arrêt Leander c/ Suède, §59. J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003) ”, op. cit., p.611 Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §124. Arrêt Leander précité, §59. Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §§39 et 49 ; et Parti socialiste, §39. METIER Clémentine_2007 81 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME 480 l’article 11 de la CEDH . En définitive, la notion de marge d’appréciation est étroitement liée à celle de proportionnalité de la mesure d’ingérence et donc de nécessité dans une société démocratique. La vigilance du juge européen montre une tendance générale à l’élargissement des droits et à la réduction de la marge d’appréciation. Vu l’importance de l’activité des partis dans la société démocratique, la Cour européenne a renforcé son attention vis-à-vis de l’utilisation par les Etats de la théorie de la marge d’appréciation pour justifier des restrictions aux droits des partis politiques. 480 82 Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §61. Voir aussi arrêt Parti socialiste précité, §54. METIER Clémentine_2007 Conclusion Conclusion Puisque aucune disposition de la Convention EDH ne fait pas explicitement référence aux partis politiques, c’est la jurisprudence de la Cour EDH qui a permis d’éclaircir les modalités de leur protection par le mécanisme conventionnel. Quant à interpréter le travail de la Cour, la doctrine adopte deux positions. D’une part, on peut considérer, comme Gérard CohenJonathan, que les droits et libertés énoncés dans la Convention et les principes déduits de son préambule, comme le pluralisme politique, constituent les règles minimales que doit respecter toute démocratie. Dans cette optique, la Convention, telle qu’interprétée par la Cour, formerait le “ standard minimum ” de protection des libertés fondamentales dans les 481 Etats parties au Conseil de l’Europe . D’autre part et à l’inverse, certains autres auteurs comme Frédéric Sudre avancent que les droits et libertés de la Convention constituent une liste d’“ origine prétorienne (…) nécessairement variable et mouvante dans son contenu ”, 482 et qui dépend de l’évolution de la société européenne et du rôle de la Cour . Cette deuxième approche semble correspondre assez fidèlement à la démarche adoptée par la Cour EDH dans les affaires relatives aux partis politiques. Alors que ceuxci n’apparaissent nulle part dans le texte de la Convention, la Cour affirme que la liberté 483 d‘association vaut “ au premier chef ” pour les partis politiques . Etant donné tout d’abord la formulation large de l’article 11 de la CEDH, qui protège la liberté de réunion et d’association, et considérant ensuite la contribution “ irremplaçable ” des partis au débat politique et leur participation “ essentielle ” au bon fonctionnement de la société démocratique, la Cour a reconnu l’applicabilité de l’article 11 à ces formations, si bien que ce principe ne 484 fait désormais plus aucun doute . Dès lors, la liberté d’association doit s’entendre non seulement comme le droit de fonder un parti mais aussi comme le droit pour ce dernier de “ mener librement ses activités politiques ”, sans quoi la liberté d’association de telles 485 formations serait privée d’effectivité et serait illusoire . “ La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de “l’ordre public 486 européen”(…) ” . Ceci ressort d’abord du Préambule à la Convention, qui établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie : la sauvegarde et le développement des libertés fondamentaux reposent à la fois sur un régime politique véritablement démocratique, et sur une conception commune et un respect commun des droits de l’homme. Le Préambule énonce ensuite que les Etats européens partagent un patrimoine d’idéaux et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. La Cour a vu dans ce patrimoine les valeurs sous-jacentes à la Convention. A plusieurs reprises, elle a rappelé 481 482 G. Cohen-Jonathan, “Quelle Europe pour les Droits de l’homme ?”, p.481. cité par B. Duarté, op. cit., p.349. F. Sudre, “ Existe-t il un ordre public européen ? Quelle Europe pour les Droits de l’homme ? ”, pp.54-57. Cité par B. Duarté, op. cit., p.349. 483 484 485 486 F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.514. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§25 et 44. Ibid, §33. Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. Repris notamment au §86 de l’arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité. METIER Clémentine_2007 83 LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME que cette dernière est destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique. Aussi le contrôle de la Cour s’exerce-t-il non seulement sur la nécessité d’une ingérence dans la liberté des partis politiques, mais aussi sur la légitimité de l’activité et des buts poursuivis des partis. En ce sens, une formation qui viserait la division de la société en plusieurs mouvements religieux, chacun étant soumis aux droit et obligations découlant de la religion de sa communauté, “ ne peut passer pour compatible avec le 487 système de la Convention ” . En effet, les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention requièrent d’apprécier les ingérences dans l’exercice des droits qu’ils consacrent à l’aune de ce qui est “ nécessaire dans une société démocratique ”. En effet, la seule forme de nécessité capable de justifier une ingérence dans l’un de ces droits, dont notamment le droit d’association politique, est donc celle qui peut se réclamer de la “ société démocratique ”. La démocratie apparaît ainsi comme l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, 488 le seul qui soit compatible avec elle . En conséquence, un certain nombre d’exigences s’impose aux Etats comme aux formations politiques. Si ces dernières possèdent l’obligation de respecter le principe de la légalité et les règles démocratiques, toute ingérence étatique dans la liberté des partis se trouve elle soumise à des conditions énumérées par le paragraphe deux de l’article 11 de la CEDH et précisées par la Cour. Ces exigences sont au nombre de trois : toute restriction à liberté d’association doit être “ prévue par la loi ”, poursuivre un ou plusieurs “ but(s) légitime(s) ”, et surtout répondre à une “ nécessité dans une société démocratique ”. Si dans la majorité des affaires concernant la protection des partis politiques, les gouvernements nationaux respectent les deux premières conditions, ils ont parfois bafoué le troisième critère. Il s’est alors agit pour la Cour de définir, et surtout de faire respecter ce principe de base : il ne peut exister absolument aucune restriction à la liberté d’association des partis politiques sans “ nécessité dans une société démocratique ”. 487 488 84 Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §69. Voir notamment les arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §45, et arrêt Dicle pour le parti de la démocratie, §44. 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Affaire Karaduman, 3 mai 1993 : p.23. Affaire Lavisse c/ France, 5 juin 1991 : p.45. Affaire Grecque, Annuaire 12, p. 170, §392 : p.23. Affaire Parti communiste d’Allemagne, requête n° 250/57, Annuaire 1, p.222 : p.23. Affaire Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), N. Sargin et N. Yâgci c/ Turquie, 3 septembre 1996 : pp.24, 49, 81, 83, 96. Affaire Affaire Young, James and Webster c/ Royaume-Uni, 14 décembre 1979 : p.12. Affaire Parti socialiste, D. Pirincek et I. Kirit c/ Turquie, requête n°21237193 : pp.49, 81, 83, 96. Jurisprudence française Décisions du Conseil d’Etat : Amicale des Annamites de Paris, 11 juillet 1956, : Rec. CE, p.317 : p.9. Association des anciens combattants, 24 janvier 1958, Rec., p.38 : p.9. 94 METIER Clémentine_2007 Index de la jurisprudence citée : Front National et institut de formation des élus locaux,, Ord. Référé, 19 août 2002, req. n°249666 : p.47. Décisions du Conseil Constitutionnel : Liberté d’association, 16 juillet 1971, n°71-44 DC : p.9. Statut de la Polynésie française, 9 avril 1996, n°96-373 DC, Rec. p.58 : p.10. Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, 9 mai 1991 : p.51. Autres jurisprudences nationales Décision Cour d’arbitrage belge, Verbeke et Delbouille, 12 juillet 1996, §B.7.16 : p.66. METIER Clémentine_2007 95