LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA

Transcription

LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA
UNIVERSITE LYON 2
Institut d’Etudes Politiques de Lyon
Clémentine METIER
Section Politique et administration
Carrières européennes.
LES PARTIS POLITIQUES DANS
LA JURISPRUDENCE DE LA COUR
EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME
Sous la direction de Hélène Surrel
Soutenance le 27 août 2007
Jury : Marc Frangi
Table des matières
Remerciements : . .
Liste des abréviations : . .
Introduction: . .
§1 Définitions. . .
§2 L’association en droit français. . .
§3 La protection européenne et internationale des associations. . .
§4 La fin de l’association. . .
§5 Problématique. . .
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE
L’HOMME AUX PARTIS POLITIQUES . .
Titre premier : Les partis politiques, des associations au sens de l'article 11. . .
Chapitre I/ Une conception extensive de la liberté d'association qui inclut les
partis politiques : la reconnaissance de l’applicabilité de l’article 11 aux partis.
..
Chapitre II / Les partis politiques au coeur de la société démocratique. . .
Titre deuxième : L’application de l’article 11 aux partis politiques. . .
Chapitre I / La liberté de pensée, de conscience et de religion (article 9) et la
liberté d’expression (article 10) : un complément de protection pour les partis
politiques. . .
Chapitre II / Les spécificités de la protection de l’association politique. . .
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION . .
Titre premier : Les conditions imposées aux partis dans l’exercice de leur liberté
d’association. . .
Chapitre I / Principe démocratique et respect de la légalité. . .
Chapitre II / L’article 17 et l’obligation de conciliation entre les libertés. . .
Titre Deuxième : Le cadre de l’ingérence de État dans la liberté d’association
politique. . .
Chapitre I / Les deux premières conditions de l’article 11 paragraphe deux de
la Convention. . .
Chapitre II / La nécessité dans une société démocratique. . .
Conclusion . .
Bibliographie : . .
Manuels de droit : . .
Ouvrages sur les droits de l’homme et les libertés publiques : . .
Ouvrages sur la Convention et la Cour européenne des Droits de l’homme : . .
Périodiques : . .
Sites internet : . .
Index de la jurisprudence citée : . .
4
5
6
6
7
10
15
17
19
19
19
25
32
32
37
48
48
48
54
63
65
71
83
85
85
85
86
88
90
92
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Remerciements :
Je tiens à exprimer ma gratitude à Hélène Surrel, à qui je dois l’idée première de ce mémoire. Je la
remercie pour ses conseils précieux, ses remarques enrichissantes et sa disponibilité. Merci d’avoir
su m’écouter, m’orienter, et me conseiller avec patience tout au long de mon travail. Merci aussi
de m’avoir fait partager un peu de sa connaissance.
Mes remerciements vont ensuite à mon entourage : ceux qui m’ont soutenu moralement et
m’ont apporté confiance et courage ; ceux qui ont traversé la même “ épreuve ” avec qui j’ai partagé
mes doutes et mes découvertes…
4
METIER Clémentine_2007
Liste des abréviations :
Liste des abréviations :
AJDA Actualité juridique du droit administratif
AE Association européenne
CEDH Convention européenne des Droits de l’homme
Commission EDH Commission européenne des Droits de l’homme
Cour EDH Cour européenne des Droits de l’homme
CIDH Convention interaméricaine des Droits de l’homme
DDP Parti de la démocratie et de l’évolution
DEP Dicle pour le Parti de la démocratie
DKP Demokratik Kitle Partisi
DUDH Déclaration universelle des Droits de l’homme
FN Front National
H.E.P. Parti du travail du peuple
JCP G La semaine juridique, édition générale
JDI Journal du Droit international
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
ONU Organisation des Nations Unies
ÖZDEP Parti de la liberté et de la démocratie
PUF Presses universitaires de France
RDP Revue du Droit public RDP (et de la science politique en France et à l’étranger)
RFA République Fédérale allemande
RFDA Revue Française de Droit administratif
RFDC Revue Française du droit constitutionnel
RTDH Revue trimestrielle des Droits de l’homme
RUDH Revue universelle des Droits de l’homme
SP Parti socialiste
STP Parti socialiste de Turquie
TBKP Parti communiste unifié de Turquie
TCE Traité des Communautés européennes
U.E. Union Européenne
METIER Clémentine_2007
5
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Introduction:
Les partis politiques sont des acteurs fondamentaux de la démocratie. A ce titre, ils sont
protégés par les principaux textes relatifs aux droits de l’homme en général, et par la
Convention et la Cour européenne des Droits de l’homme en particulier. Si on examine
conjointement la définition de la notion de parti politique et les origines des théories des
droits de l’homme, on comprendra les raisons pour lesquelles les formations politiques
jouissent d’une protection spécifique non seulement au niveau interne, mais aussi au niveau
régional et international.
§1 Définitions.
Un parti politique se définit comme une association de particuliers constituée en vue
d’une action politique. Le but d’un parti peut être à la fois la conquête et l’exercice du
pouvoir, mais aussi, plus modestement, de communiquer et développer certaines idées
et opinions. Or, leur participation et leur contribution directes au pouvoir leur confèrent
une place prééminente dans tout Etat. Si un régime totalitaire se caractérise le plus
souvent par un système de parti unique, les régimes démocratiques, au contraire, reposent
sur le multipartisme. En démocratie, il importe que soient exprimées et représentées
toutes les idées et les opinions qui circulent dans la société. Parce-qu’ils permettent
au citoyen de participer à l’exercice de la souveraineté, les droits politiques forment la
substance même de la citoyenneté. Pourtant, le nombre croissant d’électeurs combiné à la
complexité institutionnelle des régimes démocratiques contemporains empêche d’envisager
une démocratie directe telle qu’elle existait en Grèce antique par exemple. C’est pourquoi,
dans un système de démocratie indirecte, les formations politiques détiennent une place
essentielle en tant que représentants des citoyens au sein des institutions étatiques.
Il revient alors au législateur, sous contrôle du juge, de prévoir un mécanisme de
protection particulier en faveur des partis politiques, afin qu’ils puissent remplir leur rôle
d’intermédiaires entre le pouvoir politique et la masse des électeurs. C’est ce rôle que
remplissent, ou cherchent à remplir, les textes nationaux et internationaux de protection des
droits de l’homme.
En soi, l’expression “ droits de l’homme ” ne constitue pas une “ catégorie intemporelle
” dans la mesure où ces droits dits “ de l’homme ” ont émergé d’une profonde réflexion
philosophique dans une région et à une époque données : l’Europe du XVIIème et du
1
XVIIIème siècles . Comme l’expose Yadh Ben Achour, “ si l’Occident n’existait pas, la
question des Droits de l’homme, en Islam ou ailleurs, ne se serait certainement jamais posée
2
” . Les droits de l’homme sont apparus sur les terrain des idées, proclamés formellement
par la Déclaration de 1789, puis se sont insérés progressivement dans les pratiques jusqu’à
sembler être chose acquise aujourd’hui. Ils postulent l’égalité entre les hommes, l’existence
1
2
6
D. Lochak, Les Droits de l’homme, La découverte, collection Repères, Paris : 2005, p.1.
Y. Ben Achour, in J. Ferrand et H. Petit (dir.), Fondations et naissances des Droits de l’homme, L’Harmattan, Paris : 2003, p.113.
METIER Clémentine_2007
Introduction:
de droit subjectifs opposables au pouvoir ainsi que la primauté des droits des individus sur
ceux de la collectivité. D’autre part, ils possèdent une dimension proprement politique en ce
3
qu’ils interviennent dans les rapports entre les particuliers et l’Etat .
§2 L’association en droit français.
De façon générale, la protection des libertés publiques s’organise en premier lieu à l’échelle
interne. En France, comme dans la plupart des autres pays occidentaux, les partis politiques
sont soumis au même régime juridique que les autres associations. En l’occurrence, c’est la
4
loi relative au contrat d’association, du 1er juillet 1901, qui régit leur existence . Son article
un définit l’association comme “ la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes
mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un
5
but autre que de partager des bénéfices” .
Pendant longtemps, la liberté d’association, corollaire de la liberté de réunion, a fait
l’objet de suspicion en France, que ce soit de la part de l’Etat royal qui craignait ce
contre-pouvoir, ou des révolutionnaires, qui combattaient, au nom de l’individualisme, toute
tentative de restauration de l’ordre ancien, venant notamment des corporations. De la même
façon, sous l’Empire, l’article 291 du Code Pénal de 1810 interdisait toute association de
plus de vingt personnes. Il faudra attendre 1848 pour que cette liberté soit proclamée par
la Constitution, à la fois dans son Préambule et dans son article 8, sous réserve du respect
des droits et libertés d’autrui et de la sécurité publique. Précisément, ces deux restrictions
permettront de limiter rapidement la liberté ainsi proclamée, puisque par une la loi du 19
juin 1849, le législateur prohibe les clubs et réunions publiques. Sous le Second Empire,
les associations étaient officiellement interdites, mais certains groupements mutualistes,
6
ouvriers ou paysans étaient tolérés, si bien qu’en 1867 fut aboli le délit de coalition .
C’est enfin sous la IIIème République que la liberté d’association a obtenu une véritable
reconnaissance juridique. Pourtant, à l’époque, cette liberté n’était toujours pas envisagée
comme étant une liberté fondamentale et l’hypothèse de sa reconnaissance fut la source
d’importants débats entre 1875 et 1901, les conservateurs y étant hostiles par crainte de
menaces sur l’ordre public, tandis que les libéraux et les républicains craignaient une remise
7
en cause de l’individualisme hérité de la Révolution et un renforcement du cléricalisme .
Le texte fut malgré tout adopté par 312 suffrages contre 216 à la Chambre des députés et
8
169 contre 95 au Sénat . Mais si la loi de 1901 se veut libérale vis-à-vis des associations
ordinaires, elle est plus sévère à l’égard des congrégations religieuses. En fait, la question
religieuse avait tenu une place centrale dans les débats précédant l’adoption de la loi, ce
3
4
5
D. Lochak, op. cit., p.2.
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=334682&indice=4&table=LEX&ligneDeb=1 (consulté le mardi 14 août 2007).
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=101790&indice=1&table=LEX_SIMPLE_AP90&ligneDeb=1 (consulté le jeudi 19
juillet 2007).
6
M. Frangi, in G. Chianéa et J-L. Chabot (dir.), Les droits de l’homme et le suffrage universel, L’Harmattan, Paris : 2000,
pp.223-224.
7
8
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff, M. Frangi et M. Kdhir, Droit des associations, PUF, Droit fondamentaux, Paris : 1996, p.36.
Ibid, p.38.
METIER Clémentine_2007
7
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
qui transparaît dans le texte lui-même, et ce qui explique aussi qu’il ait ensuite été complété
par la loi du 9 décembre 1905 qui soumet les associations cultuelles à un régime juridique
9
particulier .
Progressivement, le droit positif a évolué et, en l’absence d’un texte constitutionnel clair,
la jurisprudence a retenu une conception extensive tant de l’association que de la liberté
de s’associer. Le Conseil d’Etat avait déjà affirmé le caractère constitutionnel de la liberté
d’association lors de deux arrêts connus : “ Amicale de Annamiste de Paris ” le 11 juillet
10
1956, et “ Association des anciens combattants ” le 24 janvier 1958 . Cependant, cette
11
reconnaissance ne revêtait qu’une valeur jurisprudentielle . C’est véritablement la décision
du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971 qui a permis d’insérer la liberté d’association
dans le bloc de constitutionnalité. En effet, cette décision, “ vu la Constitution, et notamment
son Préambule ”, consacre la liberté d’association, telle que définie par la loi de 1901,
comme un des “ principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ”, la faisant
12
alors entrer dans le bloc de constitutionnalité . Par la suite, le Conseil constitutionnel a
eu l’occasion de confirmer le caractère fondamental de la liberté d’association, rappelant
que seul le pouvoir législatif a compétence pour définir l’organisation juridique d’une liberté
13
publique . Notons qu’à l’époque de la rédaction du texte de 1901, les groupements laïcs
constituaient une forme relativement marginale d’association. Or c’est justement ce type
de formation qui a permis le développement considérable du monde associatif tel qu’on le
connaît actuellement, et notamment aussi la création des premiers partis politiques. Comme
le prévoit l’article 2 de la loi de 1901, la possibilité de créer une association n’est en effet
soumise à aucune autorisation préalable par les autorités publiques, ce qui laisse aux
individus une large liberté : “ Les associations de personnes pourront se former librement
sans autorisation ni déclaration préalable ”. Sous réserve que l’objet et le but de l’association
soient licites et non lucratif, il suffit que soient réunis au moins deux particuliers, pour
qu’une association laïque, même sous forme de parti politique, existe légalement. Ainsi,
la déclaration préalable à la préfecture ou à la sous-préfecture n’est pas obligatoire pour
former valablement une association. Néanmoins, l’association non déclarée, dite simple,
ne bénéficie pas de la personnalité morale et ne possède pas de capacité juridique, ce
14
qui limite clairement son champ d’action . Aussi les associations déclarées sont-elles
plus nombreuses. Celles-ci ont pour seule obligation, pour se déclarer, de déposer leurs
15
statuts à la préfecture ou à la sous-préfecture du lieu de création . En ce sens, le Conseil
Constitutionnel dans la décision de 1971 précitée interdit à l’administration d’exercer tout
9
La loi de 1905 réglemente les organisations religieuses de façon plus stricte que la loi 1901. Celles-ci appartiennent à une
catégorie juridique spécifique : l’association cultuelle, laquelle est notamment soumise à un régime d’autorisation préalable. Voir à ce
propos M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.40-41.
10
Décision Conseil d’État, 11 juillet 1956, Amicale des Annamites de Paris : Rec. CE, p.317; et Décision Conseil d’Etat,
Association des anciens combattants, 24 janvier 1958, Rec., p.38.
11
12
13
14
15
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., p.45.
Décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, n°71-44 DC.
Décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1996, Statut de la Polynésie française, n°96-373 DC, Rec. p.58.
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.55 à 59.
L’article 5 de la loi 1901 définit la forme que doivent revêtir les statuts de l’association déclarée. Voir M. Frangi, in A-S.
Mescheriakoff et al., op. cit., pp.60 à 62.
8
METIER Clémentine_2007
Introduction:
16
contrôle préalable de l’objet ou du but de l’association . C’est ce régime juridique très libéral
qui permet le dynamisme du milieu associatif tel qu’il existe aujourd’hui en France.
Cependant, la loi de 1901 laisse planer une certaine ambiguïté concernant le statut
des syndicats et des partis politiques. La généralité des termes du texte de loi peut laisser
penser que ces deux types d’entités sont protégés par le texte, mais sans le préciser
clairement, et alors même que ces formations sont traditionnellement régies par des règles
de droit spécifiques. En réalité, c’est le cas des syndicats puisque la liberté syndicale a
été juridiquement reconnue en France par la loi du 21 mars 1884, soit avant la liberté
d’association. Cette loi garantit aux salariés le droit de pouvoir fonder librement une
association professionnelle en vue de défendre leurs intérêts. La liberté de constitution des
syndicats est totale dans la mesure ou la loi exige uniquement le dépôt des statuts et des
noms des dirigeants à la mairie. Les syndicats sont donc reconnus comme des associations
professionnelles, bénéficiant d’un régime juridique spécifique, favorable à leur formation et à
17
leur exercice . Sur ce point, la Convention EDH se distingue du droit français puisque, selon
elle, la liberté syndicale est un droit dérivé de la liberté d’association proclamée à l’article
18
11 . La protection assurée par le droit français et le droit européen n’en est pas moins
similaire. Ces deux ordres juridiques consacrent notamment le droit de ne pas participer à
19
un syndicat .
En revanche, la place des partis politiques, elle, est moins claire. Paradoxalement,
er
l’adoption de la loi du 1 juillet 1901, alors même que le texte lui-même ne fait aucune
mention des formations politiques, concorde avec l’apparition des grands partis politiques
nationaux en France : le Parti radical socialiste a été crée en 1901, suivi du Parti socialiste
SFIO en 1905, et en 1913se forment les groupes parlementaires à la chambre des
20
députés . Ainsi, la reconnaissance de la liberté d’association semble avoir permis le
développement des formations politiques, ce sans pourtant leur accorder de statut juridique.
La Constitution de la Vème République met un terme à ce flou juridique en soumettant ces
associations particulières à des textes spécifiques. L’article 4 de la Constitution du 4 octobre
1958 énonce en effet que “ les partis et groupements politiques concourent à l’expression
du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les
21
principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ”
. La formulation de cette
disposition rappelle le mode de formation des associations de la loi 1901, et particulièrement
son article 2 qui postule que les associations de personnes peuvent se former librement,
sans autorisation préalable. Ainsi, on peut affirmer qu’en pratique, les partis politiques
sont “ constitués en forme associative ”, c’est-à-dire que l’association fournit une structure
22
juridique aux partis politique . D’autres textes complètent la disposition constitutionnelle :
la loi organique “ relative à la transparence financière de la vie politique ” du 11 mars 1988,
16
17
Ibid., p.60.
Claude Leclercq, Libertés publiques, Litec, Éditions du Juris-Classeur, collection Manuel, 5
ème
édition, Paris : 2003,
pp.303-304.
18
19
Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 8
ème
édition, Paris : 2006, p.517.
Sur le “ droit de ne pas se syndiquer ” ou le “ droit d’association négatif ”, voir respectivement arrêt Cour EDH Gustafsson
c/ Suède, 25 avril 1996, §45 ;et arrêt Cour EDH Sigurdur A. Sirgurjonsson c/ Islande, 30 juin 1993, §36.
20
21
22
M. Frangi, in G. Chianéa et al., op. cit., p.226.
http://www.legifrance.gouv.fr/html/constitution/constitution2.htm#titre1 (consulté le mardi 14 août 2007).
M. Frangi, in G. Chianéa et al., op. cit, pp.225-226.
METIER Clémentine_2007
9
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
prolongée et précisée par les lois du 15 janvier 1990 et du 19 janvier 1995, attribue un
véritable statut aux partis, tout en les rapprochant du régime des syndicats, dans la mesure
23
ou ces les partis peuvent bénéficier d’un financement public de l’État .
§3 La protection européenne et internationale des
associations.
Suite aux échecs des constitutions libérales face aux totalitarismes en Italie, en Allemagne,
puis en France, est née l’idée d’inscrire les droits à protéger à l’extérieur de l’ordre juridique
24
interne et au-dessus de lui, c’est-à-dire dans les normes du droit international . Bien que
l’universalisme dont se réclame la doctrine des droits de l’homme soit parfois mis en doute,
depuis l’après Seconde Guerre mondiale, la scène internationale a donc vu se multiplier
les initiatives visant à assurer le respect des droits de l’homme. Mais le développement
des instruments de protection a aussi amené une certaine confusion. Comme le remarque
Patrick Wachsmann, la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1989
est souvent confondue avec la Déclaration universelle des Droits de l’homme adoptée
par une résolution de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU)
le 10 décembre 1948. S’ajoute à ces deux textes majeurs une multitude d’autres traités,
pactes, conventions et autres déclarations qui accroissent encore la confusion : le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, celui relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels du 3 janvier 1975, l’Acte final d’Helsinki signé le
1er août 1975, et même la Convention interaméricaine des Droits de l’homme (CIDH) du
22 novembre 1969, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples adoptée le
27 juin 1981, sans oublier bien sûr la Convention de sauvegarde des Droits de l’homme et
25
des libertés fondamentales . Ce dernier texte, plus communément qualifié de Convention
européenne des Droits de l’homme, fonde “ un audacieux mécanisme ” de protection
26
internationale des libertés fondamentales . Le projet d’une telle Convention avait été lancé
lors du Congrès de La Haye, en mai 1948, et devait se réaliser dans le cadre du Conseil
de l’Europe créé à Londres le 5 mai 1949. Signée à Rome le 4 novembre 1950 et entrée
en vigueur le 3 septembre 1953, le mécanisme conventionnel européen offre aujourd’hui le
27
système “ le plus perfectionné ” de protection effective des Droits de l’homme .
La Cour européenne des Droits de l’homme, au fil de sa jurisprudence, a adopté une
conception large de la liberté d’association :
23
Pour
la
loi
organique
n°88-226
cid=352369&indice=1&table=LEX&ligneDeb=1
du
11
mars
1988,
voir
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?
(consulté le 15 août 2007). Voir aussi la loi ordinaire n°90-55, “ relative à
la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques ”, du 15 janvier 1990,
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?cid=353179&indice=4&table=LEX&ligneDeb=1
et la loi ordinaire “ relative au financement de la vie politique ”, n°95-65,
(consulté le mardi 14 août 2007) ;
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/Visu?
cid=355519&indice=10&table=LEX&ligneDeb=1 (consulté le mardi 14 août 2007).
24
ème
P. Wachsmann, Les Droits de l’homme, Dalloz, Connaissance du droit, 2
édition, Paris : 2002, p.3.
25
P. Wachsmann, op. cit., p.1.
26
ème
J-P. Marguénaud, La Cour européenne des Droits de l’homme, Dalloz, 4
édition, Paris : 2002, p.1.
27
ème
F. Sudre, La Convention européenne des Droits de l ’ homme, PUF, collection Que sais-je ?, 6
édition, Paris: 2004, p.3.
10
METIER Clémentine_2007
Introduction:
“ 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association
(…) ”.
En d’autres termes, une association est “ un groupement volontaire en vue d’un but
28
commun ” . Malgré la formulation individuelle du droit à la liberté d’association, c’est
un droit essentiellement collectif. En effet, une des conditions préalables à la formation
d’une association est qu’elle se compose d’au moins deux personnes, d’où le terme de
29
“ groupement ” . Mais ce droit revêt aussi un aspect individuel, en particulier le droit de
30
l’individu de s’affilier à une association . D’ailleurs, l’article 11 de la Convention EDH, tout
comme la loi 1901, protègent individuellement les membres de l’association. Étant donné
que celle-ci repose sur une base contractuelle, c’est-à-dire sur le libre consentement de ses
membres, les fondateurs et les adhérents ont le droit de décider des modalités d’adhésion
de nouveaux individus, mais ne peuvent contraindre personne à adhérer à leur association.
De même, les membres doivent pouvoir choisir de se retirer librement de l’association. La
dimension “ volontaire ” de l’association revêt donc une importance particulière, notamment
dans le cas de l’approche “ négative ” de la liberté d’association. Dans l’arrêt Young,
James et Webster c/ Royaume-Uni du 13 août 1981 qui a fait autorité depuis, la Cour
européenne avait reconnu le droit de ne pas s’associer. Dans cette affaire, les requérants
se plaignaient d’une violation de leur liberté d’association du fait d’un accord conclu entre
British Rail et certains syndicats de cheminots subordonnant l’emploi à l’adhésion à l’un
de ces syndicats. La Cour, partageant leur avis, avait déclaré qu’un individu ne peut être
contraint, pour conserver son poste, de s’affilier à un syndicat : “ (…) une certaine liberté
de choix quant à l’exercice de [la liberté d’association] est inhérente à la notion de celle-ci
31
(…) ” . La notion de volonté de s’associer est donc centrale dans l’article 11. Cependant,
la Commission et la Cour ont aussi rappelé que l’adhésion à une association peut être
rendue obligatoire. Dans l’affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere c/ Belgique, la
Cour avait jugé que les autorités publiques peuvent légitimement contraindre les médecins
à appartenir à l’Ordre belge des médecins afin de “ veiller au respect de la déontologie
médicale et au maintien de l’honneur, de la discrétion, de la probité et de la dignité des
32
membres de l’Ordre ” . L’association dans ce cadre, ne résulte ni d’une volonté ni d’un but
commun aux fondateurs mais est l’émanation d’un choix imposé par le législateur. Dans
ce cas de figure, les associés ne le sont que par obligation. Pour certains, l’hypothèse
d’une association obligatoire introduit un manque de clarté dans la mesure ou cela semble
entrer en contradiction avec le principe général du “ groupement volontaire ” dans un “ but
33
commun ” . Malgré tout, ce principe demeure la règle, bien qu’il puisse être écarté, de
façon exceptionnelle, pour des raisons d’intérêt général. En ce sens, la Cour EDH refuse
de reconnaître l’incompatibilité en soi d’un système d’autorisation préalable avec la liberté
34
d’association . Les Etats disposent d’une certaine liberté quant aux moyens de mettre en
œuvre les droits et libertés reconnus par le système de la Convention EDH. Le seul impératif
28
29
30
Rapport de la Commission EDH, Young, James and Webster c/ Royaume-Uni, 14 décembre 1979, §167.
Ibid, §167.
N. Valticos, in L-E. Pettiti, E. Decaux et P-H. Imbert (dir.), La Convention européenne des Droits de l’homme. Commentaire
ème
édition, p.419.
article par article, Economica, Paris : 1999, 2
31
32
33
34
Arrêt Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, 13 août 1981, §52.
Arrêt du 23 juin 1981, §§62 à 65.
J-L. Charrier, Code de la Convention EDH, LexisNexis Litec, collection Juris Code, Paris : 2005, p.196.
G. Lebreton, L’Islam devant la Cour EDH, p.1497.
METIER Clémentine_2007
11
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
qui s’impose à eux est celui de la neutralité et de l’impartialité. L’arrêt Zana affirme par
exemple qu’“ un juste équilibre [doit être] respecté entre le droit fondamental d'un individu à
la liberté d'expression et le droit légitime d'une société démocratique de se protéger contre
35
les agissements d'organisations terroristes ” . Il s’ensuit que le législateur et les autorités
publiques doivent exclure tout jugement de valeur afin d’offrir à toutes les opinions et idées
la possibilité d’être exprimées également.
Particulièrement, la liberté d’expression, le droit à des élections libres et la liberté
d’association des partis politiques constituent des droits caractéristiques de la société
démocratique en ceci qu’ils garantissent le pluralisme, eu égard à leur “ contribution
36
irremplaçable au débat politique ” . Aussi, ils doivent bénéficier d’une protection particulière
de leurs droits par État, tant qu’ils respectent les règles démocratiques. Aux yeux du juge
européen, les partis politiques représentent donc “ la forme la plus vitale ” pour l’exercice
37
de la démocratie . La jurisprudence de la Cour EDH à ce sujet est abondante. Mais avant
d‘exposer le rôle particulier des partis dans une société démocratique, encore faut-il justifier
de leur protection au titre de la liberté d’association et de réunion. Or La Convention EDH
semble omettre les partis politiques de la liste des droits et libertés qu’elle proclame. En
effet, l'article 11 de la Convention EDH qui garantit la liberté d'association, ne les mentionne
pas. Le paragraphe premier de cet article postule seulement que :
“ Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y
compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour
la défense de ses intérêts. ”
A la lecture de la Convention, le statut des partis politiques est donc ambigu. La
Convention EDH ressemble en cela à la Déclaration universelle des Droits de l’homme
38
(DUDH) du 10 décembre 1948 dont l’article 20 omet lui aussi les partis politiques :
“ 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.
2. Nul ne peut être obligé de faire partie d'une association ”.
De la même façon, l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
39
du 19 décembre 1966 , dans une formulation similaire à celle de l’article 11 de la Convention
et à l’article 20 de la DUDH, affirme que :
“ 1. Toute personne a le droit de s'associer librement avec d'autres, y compris le droit
de constituer des syndicats et d'y adhérer pour la protection de ses intérêts. ”
La plupart des textes conventionnels modernes proclame cette double liberté, sans
pour autant véritablement la définir ni préciser si elles s’appliquent ou non aux partis
40
41
politiques . C’est le cas par exemple des articles 15 et 16 de la CIDH .
35
36
37
38
Arrêt Zana c/ Turquie, 25 novembre 1997, §55.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie c/ Turquie, 30 janvier 1998, §44.
Formule de Claude Leclerq, op. cit., p.289.
Résolution 217 A(III) adoptée à Paris le 10 décembre 1948. Voir http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm (accès le
jeudi 24 avril 2007).
39
40
41
http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm (accès le mercredi 23 juin 2007).
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l ’ homme, op. cit., pp.510-511.
Article 15 de la CIDH, liberté de réunion : “ Le droit de réunion pacifique et sans armes est reconnu. L’exercice de ce droit
ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi sont nécessaires dans une société démocratique dans l’intérêt
12
METIER Clémentine_2007
Introduction:
Plus récente, la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre
42
2000 nous apporte un éclairage important au sujet de la protection des partis politiques .
Elle adopte en effet une démarche différente en protégeant explicitement, au titre de la
liberté de réunion et d'association, non seulement les syndicats, mais surtout les partis
politiques. Préalablement à l’adoption de cette Charte, le droit communautaire avait déjà
développé une législation abondante relativement aux associations. Le règlement du 6 juillet
1993, proposé à l’origine par le député M. Fontaine, confère à l’association européenne
(AE) un statut “ optionnel ”, proposé aux groupements permanents de personnes physiques
et morales dont les membres mettent en commun leurs connaissances ou activités dans
un but d’intérêt général ou en vue de la promotion d’intérêts sectoriels ou professionnels
er 43
dans les domaines les plus variés (article 1 ) . Par ailleurs, les associations européennes
bénéficient de la personnalité juridique (article 2) et doivent exclure le partage de bénéfices
er
entre associés (article 1 ). En revanche, l’association européenne se distingue de
l’association française en cela qu’elle doit être composée d’au moins sept personnes
physiques résidentes dans un Etat membre de l’Union Européenne (U.E.), ou de deux
entités juridiques d’au moins deux Etats membres. L’article 44 de ce règlement ajoute que
ce sont les autorités de l’Etat du siège de l’association européenne qui sont compétentes
44
pour le contrôle et l’éventuelle dissolution de l’association . Toutefois, parce-qu’elle est
largement soumise au droit de l’Etat du siège, cette réglementation communautaire
demeurait plutôt symbolique. En ceci, la Charte des droits fondamentaux de l’Union apporte
une avancée significative. Elle permet de définir précisément et de façon homogène le statut
des associations de l’U.E., et particulièrement, elle apporte des précisions quant à la place
des partis politiques. En ce sens, l'article 12, paragraphe 1, énonce tout d’abord que :
“ Toute personne a droit à liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association à tous
les niveaux, et notamment dans les domaines politique, syndical et civique, ce qui implique
le droit de toute personne de fonder avec d'autres des syndicats et de s'y affilier pour la
défense de ses intérêts ”.
Mais c'est plus particulièrement le paragraphe 2 de ce même article qui consacre, sans
équivoque possible, la liberté d'association politique :
“ Les partis politiques au niveau de l'Union contribuent à l'expression de la volonté
politique des citoyens et citoyennes de l'Union. ”
Ce principe se retrouve également dans le Traité des Communautés européennes
45
(TCE) . Il ne fait alors aucun doute alors que les partis politiques sont une forme légitime, et
même essentielle, d'association dans des régimes démocratiques tels que ceux des États
de la sécurité nationale, de la sûreté et de l’ordre publics ou pour protéger la santé ou la moralités publiques, ou les droits ou les
libertés d’autrui ”.
42
Article 16, liberté d’association : “ 1. Toute personne a le droit de s’associer librement à d’autres à des fins idéologiques,
religieuses, politiques économiques, professionnelles, sociales, culturelles, sportives ou à toute autre fin. 2. L'exercice de ce droit ne
peut faire l'objet que des seules restrictions qui, prévues par la loi, sont nécessaires dans une société démocratique dans l'intérêt de
la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits ou les
libertés d'autrui. 3. Les dispositions du présent article n'empêchent pas l'imposition de restrictions légales, ni même l'interdiction de
l'exercice du droit d'association, aux membres des forces armées et de la police ”. Voir http://www.cidh.oas.org/Basicos/frbas3.htm
(consulté le mardi 14 août 2007). http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf (accès le mercredi 23 mai 2007).
43
er
Voir règlement du Conseil des ministres, 6 juillet 1993, entré en vigueur le 1 janvier 1994, JOCE, n°C236a, 31 août 1993.
44
45
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., p.49.
Voir http://europa.eu.int/eur-lex/fr/treaties/dat/C_2002325FR.003301.html (consulté le mardi 14 août 2007).
METIER Clémentine_2007
13
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
membres de l’U.E. Pourtant, cette formulation rappelle très fortement certaines positions
tenues par la Cour EDH. En effet, si la Charte des droits fondamentaux de l’Union proclame
explicitement la liberté d'association politique, les travaux préparatoires montrent qu’elle
est, tout comme l’ensemble du droit communautaire, largement influencée par les principes
de la Convention EDH et de la jurisprudence de la Cour EDH. En ce sens, tous les États
membres de l’U.E. sont aussi membres du Conseil de l’Europe, parties à la Convention
EDH et à la Cour EDH, ce qui explique que ces instruments constituent une référence pour
l’Union Européenne. Les quatre principes constitutionnels de l’Union, définis par l’article 6,
46
paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne (TUE) , correspondent exactement aux
trois principes qui forment le “ patrimoine commun ” de valeurs énoncé par le Statut du
Conseil de l’Europe et la Convention EDH : le respect des Droits de l’homme, la démocratie
47
et la prééminence du droit . Le respect de ces normes directrices est d’ailleurs aussi une
48
condition statutaire pour l’adhésion des nouveaux États membres à l’Union européenne .
En ce sens, le renvoi à la Convention est formel. D’ailleurs, l’hypothèse de l’adhésion de
l’U.E. à la Convention se pose depuis longtemps. Non seulement cette hypothèse a été
rendue possible par l’adoption du Protocole 14 CEDH, mais ce projet a aussi été inscrit dans
49
le Traité établissant une Constitution pour l’Europe .
Autant d’éléments qui expliquent que les rédacteurs de la Charte des droits
fondamentaux de l’Union aient été influencés par la position défendue par le Cour EDH et
d’une certaine manière, la Charte de droits fondamentaux de l’Union ne fait que reprendre
une jurisprudence constante de la Cour EDH en matière d’association politique. Bien que la
CEDH ne nomme pas expressément les partis politiques, la Cour a pu affirmer à plusieurs
reprises que ce type d'association bénéficie de sa protection. La démarche de la Cour se
comprend aisément si l’on considère que l’article 11 de la CEDH s’inspire aussi largement
50
de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 . En particulier, le Préambule
de la CEDH vise clairement la DUDH dans la mesure ou la Convention a pour objectif
d’assurer la mise en œuvre des droits de la DUDH. Par conséquent, si les partis politiques
n’apparaissent pas dans la formulation de l’article 20 de cette déclaration, les travaux
préparatoires montrent que ses auteurs avaient pourtant l’intention d’inclure les associations
51
politiques dans le champ d’application de la liberté d’association et de réunion . De la même
façon, alors que les partis politiques ne sont pas mentionnés par l’article 11 de la Convention,
les auteurs ne souhaitaient pas pour autant les exclure de sa protection.
Ainsi, les formations politiques relèvent-elles de la liberté d’association au sens de
l’article 11 de la Convention EDH. Toutefois, aucune liberté n’existe sans limite. La protection
de la liberté d’association des partis politiques est donc soumise à certaines conditions ou
restrictions à son exercice. En effet, si en démocratie, l’activité politique et sociale est en
46
Article 6§1 du TUE : “ L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et
des libertés fondamentales, ainsi que de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres ”. Voir http://eur-lex.europa.eu/
LexUriServ/site/fr/oj/2006/ce321/ce32120061229fr00010331.pdf (consulté le lundi 13 août 2007).
47
48
49
F. Sudre, La CEDH, op. cit., p.7.
Article 49 du Traité sur l’Union Européenne.
Voir P-H. Imbert, “ De l’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH (Symposium des Juges au Château de Bourglinster –
16 septembre 2002) ”, p.1, http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df2imbuecedh.pdf (consulté le vendredi 22 juin 2007).
50
51
ème
10
14
Voir supra, p.14.
er
B. Duarté, “ Les partis politiques, la démocratie et la Convention européenne des Droits de l’homme ”, RTDH, 1 avril 1999,
année, n°38/1999, pp.318-319.
METIER Clémentine_2007
Introduction:
principe totalement libre, certaines réserves aux libertés publiques sont bien évidemment
nécessaires afin d’assurer la prise en compte d’intérêts supérieurs, comme l’ordre et la
52
sécurité publique .
§4 La fin de l’association.
Face à une association qui enfreint les principes démocratiques fondamentaux, la solution
se trouve d’abord à l’échelle nationale, puisque, selon le principe de subsidiarité, les cours
internationales, et notamment la Cour européenne des Droits de l’homme, ne peuvent
53
intervenir qu’en dernier ressort, lorsque les voies de recours internes sont épuisées .
Ainsi, pour réguler l’activité des formations politiques, les autorités publiques nationales
usent le plus souvent d’outils juridiques, parmi lesquels le plus radical est la dissolution
ou l’interdiction forcée de la formation politique estimée dangereuse. A ce propos, la
jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande, le Bundesverfassungsgericht, nous
apporte nombre d’exemples désormais classiques. L’article 21 paragraphe 2 de la loi
54
fondamentale allemande prévoit en effet la possibilité d’interdire un parti politique . Cette
disposition a été utilisée par exemple à l’encontre du Sozialistische Reichpartei, interdit le
21 octobre 1952, et du Kommunistische Partei Deutschland interdit le 17 août 1956. Outre
l’Allemagne, de nombreux États européens prévoient un “ contrôle de constitutionnalité des
55
partis politiques ” : Croatie, Bulgarie, Pologne, Albanie, Portugal ou Slovénie .
En droit français, outre l’interdiction judiciaire qui sanctionne un vice de contrat, les
associations peuvent être dissoutes pour des raison extrinsèques au contrat prévue par le
législateur. La première raison tient au but de l’association qui ne peut être le partage de
er
bénéfices (article 1 de la loi de 1901). La seconde interdiction a rapport avec l’objet ou les
activités de l’association (article 3) qui ne doivent pas porter atteinte “ aux bonnes mœurs
56
” ni à “ l’intégrité du territoire et à la forme républicaine du gouvernement ” . De sa propre
initiative, une association peut certes décider de se dissoudre volontairement, mais le plus
souvent, la dissolution est prononcée de force par l’administration, selon une procédure
52
53
J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, LGDJ, collection Manuel, Paris : 1999, p.143.
Article 35§1 de la CEDH : “ La Cour ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes, tel qu’il est entendu
selon les principes de droit international généralement reconnus, et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne
définitive ”. Voir http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (consulté
le mardi 14 août 2007).
54
Selon l’article 21§2 de la loi fondamentale allemande, “ les partis qui, d'après leurs buts ou d'après le comportement de
leurs adhérents, tendent à porter atteinte à l'ordre constitutionnel libéral et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril
l'existence de la République fédérale d'Allemagne, sont inconstitutionnels. La Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question
de l'inconstitutionnalit é ”. Voir
http://www.bundesregierung.de/Webs/Breg/FR/Loifondamentale/02__LaFederationetlesLaender/
lafederationetleslaender.html__nnn=true#doc194812bodyText3 (consulté le mercredi 15 août 2007).
55
S. Sottiaux et D. de Prins, “ La Cour européenne des Droits de l’Homme et les organisations antidémocratiques. Observations
er
sur l’arrêt CEDH (troisième section), 31 juillet 2001, Refah Partisi (Parti de la Prospérité c/ la Turquie ”, RTDH, 1 octobre 2002,
ème
13
année, n°52/2002, p.1009.
56
M. Frangi, in A-S Mescheriakoff et al., op. cit., p.87.
METIER Clémentine_2007
15
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
57
prévue par la loi de 1901 . Une dissolution forcée peut être prononcée si l’association
enfreint l’article 3 de cette loi :
“ Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois,
aux bonnes mœurs, où qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national
et à la forme républicaine du gouvernement est nulle et de nul effet ”.
L’article 7 de la loi 1901 précise par ailleurs que “ la dissolution de l’association est
prononcée par le tribunal de grande instance, soit à la requête de tout intéressé, soit à la
diligence du ministère public ”.
La dissolution forcée d’une association peut aussi être décidée si celle-ci enfreint
les dispositions de l’article 5 de la loi de 1901, c’est-à-dire si l’association ne respecte
pas certaines formalités comme la déclaration à la préfecture de modifications survenues
dans l’administration ou les statuts de l’association, dans un délai de trois mois. Enfin, la
dissolution peut également être prononcée en cas d’absence réelle de fonctionnement des
58
organes, c’est-à-dire en cas de fonctionnement irrégulier de l’association . Outre la loi de
1901, d’autres textes prévoient des limites à la liberté d’association. Ainsi la loi du 2 octobre
1943, modifiée par l’ordonnance du 5 février 1944 puis par la loi du 29 octobre 1975, autorise
la dissolution par arrêté ministériel des associations de jeunesse qui poursuivent un but
lucratif, ont une activité contraire à la liberté des cultes ou de conscience, ont une activité
allant à l’encontre des institutions républicaines et démocratiques, ou dont l’organisation
ne présente pas de garanties techniques suffisantes par rapport au but déclaré dans les
59
statuts . D’autre part, la loi du 10 janvier 1936, complétée par l’ordonnance du 30 décembre
er
1944, puis l’article 29 de la loi du 5 janvier 1951, l’article 9 de la loi du 1 juillet 1972 et
l’article 7 de la loi du 3 septembre 1986, interdit les associations ou groupements de fait qui
s’apparentent à des milices privées ou des groupes de combat. Cette disposition prévoit
la dissolution administrative, par décret du Président de la République pris en Conseil des
ministres, de telles associations au motif qu’elles provoquent des manifestations armées
dans la rue et menacent l’État démocratique, l’intégrité du territoire national et la légalité
60
républicaine . La dissolution de l’association constitue donc une mesure radicale qui doit
être motivée et peut faire l’objet d’un recours gracieux.
Comme en droit français, le droit européen prévoit la possibilité pour l’Etat de
limiter l’action de toute association qui poursuivrait des buts contraires aux principes
démocratiques et à l’intérêt général. Devant la Cour EDH, les affaires relatives à la
dissolution des partis politiques constituent désormais un corpus fourni. La Cour a
progressivement défini l’ampleur de la liberté d’association politique et les limites dans
lesquelles les partis politiques peuvent mener leurs activités tout en bénéficiant légitimement
de la protection de la Convention. Elle a aussi eu à préciser les conditions dans lesquelles
les trois arguments du paragraphe 2 de cet article peuvent être invoqués par l’État pour
restreindre l’activité d’un parti politique, voire même le dissoudre. Les principes qu’a établit la
Cour au fil des affaires forment aujourd’hui une jurisprudence claire en matière de dissolution
des partis politiques.
57
58
Ibid., pp.88 à 89.
A propos de la dissolution forcée de l’association en droit français, voir M. Kdhir, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit.,
pp.203-204.
59
60
16
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff et al., op. cit., pp.96 à 98.
Ibid, pp.89-90 et pp.97-98.
METIER Clémentine_2007
Introduction:
La plupart des affaires de dissolution de partis politiques concernent la Turquie. Cela
s’explique sans doute par le fait que le régime républicain en vigueur dans le pays
aujourd’hui soit né d’une rupture violente avec l’ordre ancien, fondé sur la religion, et accusé
de la décadence de l’empire Ottoman. Alain Bockel parle d’une “ République autoritaire ”,
61
dans la mesure où elle a été imposée à une société qui était alors peu prête à l’accueillir .
Le régime s’orientait autour des “ six principes du Kémalisme ”, c’est-à-dire une République
forte et centralisée, un nationalisme vigoureux fondé sur l’unité de la Nation, et le principe
de la laïcité (lâiklik en turc). Même si la période postérieure à la Seconde Guerre Mondiale a
ouvert le début d’une nouvelle ère, avec l’avènement de la démocratie et la perte du pouvoir
par les héritiers directs du Kémalisme, il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui encore, la
société civile se montre réticente à cet ordre imposé et est souvent tentée par la réhabilitation
62
des valeurs anciennes, fondées sur l’Islam et la tradition . Alors que la République turque a
déjà 84 ans, les mêmes querelles politiques subsistent depuis 1925-1926 : le séparatisme
ethnique, ou “ question kurde ”, et le fondamentalisme musulman menacent toujours le
63
régime démocratique, ce qu’ont par exemple rappelé les élections du 22 juillet 2007 .
Ainsi, à plusieurs reprises, la Cour européenne s’est trouvée confrontée aux interrogations
existentielles qui agitent la République turque par le biais d’affaires concernant la dissolution
de partis qui soit défendaient la minorité kurde, soit convoyaient les idées des islamistes.
Chaque fois, la Cour constitutionnelle d’Ankara, craignant un danger pour l’ordre républicain,
l’unité nationale ou l’intégrité du territoire, choisissait de dissoudre le parti politique en cause.
Mais une mesure aussi radicale doit être soumise à un contrôle rigoureux du juge, ce que
la Cour européenne ne cesse de rappeler.
§5 Problématique.
De façon plus générale, étudier la place des partis politiques dans la jurisprudence de la
Cour EDH revient d’abord à définir les modalités et le champ d’application de la liberté
d’association des partis politiques. Il convient aussi de répondre à la difficile question
de savoir comment un régime démocratique peut gérer des formations politiques dont
le programme et les activités entrent en tension avec les principes fondamentaux de
la démocratie. En d’autres termes, notre sujet traite de la protection des partis et ses
conditions, ainsi que des restrictions possibles à leur liberté. Ceci pose deux interrogations
majeures : jusqu’où un parti peut-il aller dans ses revendications de changement ? Et
comment la démocratie peut-elle se protéger des acteurs antidémocratiques qui viseraient
sa destruction ?
Alors que la Convention EDH nulle part ne mentionne les partis politiques, la Cour
EDH a pourtant reconnu que, parce qu’ils contribuent activement à la démocratie, les partis
politiques sont des associations au sens de l'article 11 de la Convention. A ce titre, la Cour a
eu a définir l’ampleur de leur liberté d’association politique, précisant qu’elle bénéfice d’une
protection particulière. Pour autant, aucune liberté n’est sans limite, et la dissolution, mesure
d’ingérence contrôlée rigoureusement par la Cour, peut constituer un moyen légitime pour
61
62
63
A. Bockel, op. cit., p.919.
Ibid, pp.919-920.
E. Karakas, in Le Courrier International, Elections. Les deux Turquie s’affrontent. Deux pays, un Etat, n°872, du 19 au 25
juillet 2007, p.15.
METIER Clémentine_2007
17
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
l’État de limiter la liberté d’association de groupements menaçants pour la démocratie.
Aussi convient-il d’aborder le sujet en deux temps : dans un premier temps, l’étude de la
raison d’être de la protection des partis politiques par l’article 11 de la Convention permet
ensuite de cerner les modalités de la protection de la liberté d’association des partis, à la
fois sous l’angle des obligations qui pèsent sur les formations politiques et sous l’angle de
l’encadrement par la Cour des éventuelles restrictions.
18
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA
CONVENTION EUROPEENNE DES
DROITS DE L’HOMME AUX PARTIS
POLITIQUES
Nulle disposition de la CEDH ne fait référence aux partis politiques, ce qui pourrait laisser
entendre que celle-ci ne s’applique pas. Pourtant, malgré cette apparente lacune du texte
conventionnel, la Cour a estimé que l’article 11 de la Convention, qui protège la liberté
d’association et de réunion, est formulé de telle façon qu’il vaut pour les partis politiques (titre
premier). Caractéristique de la société démocratique en ce qu’elle garantit le pluralisme et
le bon fonctionnement du régime, la liberté d’association des formations politiques bénéficie
d’une attention particulière de la part de la Cour (titre deuxième).
.
Titre premier : Les partis politiques, des associations
au sens de l'article 11.
Bien que la CEDH ne fasse aucune allusion aux partis politiques, la Cour EDH, pour assurer
leur protection, a recours à l'article 11 de la Convention qui garantit la liberté de réunion
et d'association pacifique. Dans les arrêts à ce sujet, le juge européen procède en deux
temps : d'abord, il analyse les termes même de l'article 11, paragraphe 1, afin d’affirmer
que cette disposition vaut bien pour les formations politiques; ensuite, il souligne la place
prépondérante qu'occupent ces derniers dans un régime démocratique, ce qui renforce la
nécessité de les protéger au titre de la Convention.
Chapitre I/ Une conception extensive de la liberté d'association qui
inclut les partis politiques : la reconnaissance de l’applicabilité de
l’article 11 aux partis.
Section une : L’examen des termes de l’article 11 de la Convention.
Les partis politiques n’apparaissent protégés par aucune disposition, à aucun endroit dans
la CEDH. Alors que l’on pourrait penser que leur existence et leurs activités relèvent de la
liberté d’association, l’article 11 de la Convention, qui protège cette liberté, ne les mentionne
pas et ne donne pas non plus de définition de l’association :
METIER Clémentine_2007
19
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
“ Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y
compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour
64
la défense de ses intérêts ” .
Pourtant, la Commission EDH, suivie par la Cour EDH, ont estimé que la formulation
de cette disposition n’est pas restrictive, ce qui justifie que soient protégées les associations
politiques. En d’autres termes, l’article 11 doit être compris de façon extensive, si bien que
les partis politiques entrent dans son champ d’application.
§1 Une position amorcée par l'ancienne Commission européenne des Droits
de l’homme.
C’est l’ancienne Commission EDH qui, la première, a reconnu l’applicabilité de l’article 11
de la Convention aux partis politiques. Elle a tout d’abord émis cet argument de façon
implicite, considérant que la formulation de l'article 11 ne limite pas son champ d'application
à une forme donnée d'association ou de groupement, et partant, ne permet pas non
plus d'exclure les partis politiques. Lors de l'examen de restrictions à l'activité de partis
politiques, et plus exactement dans le cas de dissolution, l’ancienne Commission s'était
prononcée implicitement en faveur de la protection de telles formations au sens de l'article
11. La première requête fut celle du Parti communiste d’Allemagne dissous en 1956 par
la Cour fédérale de justice constitutionnelle de la République fédérale allemande (RFA).
Dans sa décision du 20 juillet 1956, la Commission avait écarté les articles 9, 10 et 11
au profit de l’article 17. Considérant que l’objectif du Parti communiste allemand d’imposer
la dictature du prolétariat et d’organiser la révolution afin d’instaurer un nouveau régime
était incompatible avec les principes de la Convention, la Commission avait alors jugé
65
la requête irrecevable sur le terrain de l’article 17 de la Convention . Néanmoins, cette
affaire avait donné à la Commission l'occasion de reconnaître, certes de manière implicite,
66
l'applicabilité de l'article 11 de la Convention aux partis politiques . La Commission a ensuite
eu à statuer sur deux autres affaires de dissolution de partis politiques dans lesquels elle
a pu confirmer sa démarche. Premièrement, dans son rapport du 5 novembre 1969 relatif
à l'affaire grecque, elle a déclaré que la dissolution du parti incriminé violait l'article 11,
laissant donc entendre que cette disposition s’appliquait aux associations politiques. Par
la suite, la décision de la Commission a même été approuvée par le Comité des ministres
67
du Conseil de l’Europe, lui conférant une autorité supplémentaire . De la même façon, la
dernière affaire de dissolution d'un parti politique portée devant l’ancienne Commission fut
celle intitulée France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c/ Turquie qui s'est soldée
68
par un règlement à l'amiable . La Commission a, une fois encore, saisi cette opportunité
pour déclarer qu’en raison de la généralité de ses termes, l’article 11 de la Convention EDH
trouve à s’applique aux formations politiques. En 1996, dans son rapport Parti communiste
unifié de Turquie, la Commission a confirmé sa position, estimant qu’” il ne saurait être
déduit de la mention du terme “ syndicats à l’article 11 de la Convention que les autres
64
http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (accès le lundi
23 juillet 2007). Voir aussi supra, pp. 12 et 14.
65
66
67
68
Voir infra, pp.64 à 66.
Affaire du Parti communiste d’Allemagne, requête n° 250/57, Annuaire 1, p.222.
Affaire grecque, Annuaire 12, p. 170, §392.
Rapport de la Commission EDH, 7 décembre 1985, affaire France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, requêtes
n° 9940–9944/82, D. R. 35, p.143.
20
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
types d’associations sont exclus de son champ d’application ou que le mot d’association
doit être interprété plus strictement que selon son sens ordinaire. ”. Et elle ajoutait que “ la
dernière phrase de l’article 11 [paragraphe 1] de la Convention ne fournit aucun argument qui
permettrait de conclure que les partis politiques sont exclus du champ d’application de cette
disposition. De surcroît, rien n’indique que les auteurs de la Convention aient eu l’intention
69
de soustraire les partis politiques à la protection de l’article 11 de la Convention ” .
§2 Une démarche reprise et précisée par la Cour EDH : l'affaire Parti
communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie du 30 janvier 1998.
Suivant la technique employée par la Commission, la Cour EDH a admis l’applicabilité de
l’article 11 de la Convention aux partis politiques. L’arrêt Schmidt et Dahström avait déjà
affirmé que l’article 11 ne vise pas uniquement les syndicats, mais sans pour autant donner
70
de définition positive de l’association . Si cette lacune n’a pas été comblée par l'arrêt Parti
communiste unifié de Turquie et autres c/ Turquie, rendu en Grande Chambre le 30 janvier
1998, la Cour y affirme toutefois clairement l’applicabilité de l’article 11 de la CEDH aux
partis politiques, reprenant à son compte la “ doctrine ” exprimée par l’ancienne Commission.
Jusqu’à cet arrêt, 15 autres avaient été prononcés en rapport avec la liberté d’association
et de réunion protégée par l’article 11, mais ils portaient principalement sur les activités
syndicales, et aucun n’abordait de front la question des partis politiques.
L’arrêt Parti communiste unifié de Turquie expose, lui, pour la première fois, des
principes clairs en matière de droit à la liberté d’association politique et permet d’affirmer
que la liberté d’association au sens de l’article 11 vaut “ au premier chef ” pour les
71
partis politiques . L’affaire concernait le Parti communiste unifié de Turquie, fondé le 4
juin 1990 par Nihat Sargin et Nabi Yagci. Ce parti avait fait l’objet d’une demande de
dissolution déposée par le procureur général près la Cour de cassation le 14 juin 1990
devant la Cour constitutionnelle d'Ankara. Le procureur accusait notamment le parti de
soutenir la domination d'une certaine classe sociale, le prolétariat, sur les autres, et lui
reprochait de succéder à un parti dissout antérieurement. Rejetant ces deux moyens,
la Cour constitutionnelle turque repris pourtant l’argument du procureur selon lequel le
seul fait qu'un parti politique use, dans son appellation, d’un terme interdit par la loi, en
72
l’espèce le terme “ communiste ”, suffisait à justifier la dissolution du parti en question .
Par ailleurs, reprenant encore le propos du procureur général, la Cour constitutionnelle
condamna le Parti communiste unifié pour atteinte à l'intégrité territoriale de l'État et à
l'unité de la nation dans la mesure où ses statuts et son programme distinguaient deux
nations, les Kurdes et les Turcs. Selon elle, des objectifs, tels que ceux du Parti communiste
unifié, favorisant le séparatisme et la division de la nation turque justifient la dissolution
du parti. En conséquence, la Cour constitutionnelle d'Ankara prononça la dissolution du
Parti communiste unifié de Turquie le 16 juillet 1991, laquelle entraîna la liquidation et le
69
Rapport de la Commission EDH, 3 septembre 1996, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), N. Sargin et N. Yâgci c/ Turquie,
requête n° 19392192, §37.
70
Arrêt Schmidt et Dahström, 6 février 1976.
71
72
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.514.
La loi n° 2820 réglementant l’existence des partis politiques en Turquie détaille les interdits qui leur sont faits, notamment
dans sa quatrième partie. Son article 96 §3 prohibe l’usage de certaines dénominations. Ainsi, il ne peut être créé de parti politique
portant le terme de “ communiste ”, “ anarchiste ”, “ fasciste ”, “ théocratique ”, “ national socialiste ”, ou empruntant le nom d’une
religion, d’une langue, d’une race, d’une secte ou d’une région. Voir arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §12.
METIER Clémentine_2007
21
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
transfert au Trésor public des biens du parti, assortie d'une interdiction faite aux fondateurs
et dirigeants du parti, Nihat Sargin et Nabi Yagci, d'exercer des fonctions similaires dans
73
toute autre formation politique .
Bien que la dissolution apparaissent comme une mesure radicale, le contexte
politique particulier qui règne en Turquie peut expliquer en partie la posture de la Cour
constitutionnelle. Le régime républicain, imposé au pays de façon arbitraire en 1923 et
toujours en vigueur dans le pays, fait, depuis ses origines, l’objet d’importantes contestations
de la part des islamistes et des minorités ethniques. Plus particulièrement, l’Etat centralisé
doit faire face aux virulentes remises en cause des séparatistes kurdes et arméniens qui
74
revendiquent une plus grande indépendance de leurs communautés . C’est dans ce climat
tensions politiques que, le 7 janvier 1992, une requête fut introduite devant la Commission
dans laquelle les requérants de l’affaire Parti communiste unifié de Turquie, à savoir le
parti lui-même ainsi que Nihat Sargin et Nabi Yagci, contestaient la décision de la Cour
constitutionnelle turque, se plaignant d’une atteinte aux droits et libertés garantis par l’article
6, paragraphe 2, et les articles 9, 10 et 11 de la CEDH, seuls et combinés avec son article
14, et par les articles 1 et 3 du Protocole n°1.
Dans une décision du 6 décembre 1994, la Commission a alors déclaré leur requête
recevable, ne retenant que l'allégation de violation de leur droit à liberté d'association.
Or, la question qui se posait avant tout en l’espèce était de savoir si l'article 11 de la
Convention s'appliquait, ou non, aux partis politiques. Le gouvernement turc continuait à
plaider pour l’inapplicabilité de cette disposition aux formations politiques, affirmant qu’”
un examen même superficiel de la Convention ferait ressortir que ni l’article 11 ni aucun
75
autre article ne cite les partis politiques ” . Mais refusant cet argumentaire, la Commission
considèrait que l'article 11 vaut pour les partis en raison de leurs spécificités. Partant, “
elle [a formulé] à l'unanimité l'avis qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention
76
” . La Cour, poursuivant la logique avancée par la Commission, a affirmé explicitement
l’existence d’une liberté d’association politique protégée par la Convention, et partant, que
les partis politiques sont des associations aux fins de l’article 11. De l’avis de la Cour, celuici s’applique au-delà des organisations syndicales. Même si cette disposition ne donne pas
de définition précise du mot “ association ”, et ne cite pas les partis politiques, il apparaît
pourtant légitime que ces derniers puissent se prévaloir des droits et libertés proclamés dans
cet article. Afin de justifier sa démarche, le juge européen procède à l’examen des termes
de l’article 11 de la Convention et note que “ le libellé de [cette disposition] fournit un premier
élément de réponse à la question de savoir si les partis politiques peuvent se prévaloir
77
de cette disposition ” . La mention des seuls syndicats ne circonscrit pas pour autant la
78
portée de la notion d’association . Au contraire, “ l’article 11, paragraphe 1, présente la
79
liberté syndicale comme une forme ou un aspect particulier de la liberté d’association ” .
Si ce paragraphe désigne directement les syndicats, la conjonction “ y compris ” montre “
clairement ” qu’il ne s’agit que d’un exemple parmi d’autres de la forme que peut prendre
73
74
75
76
77
78
79
22
Conformément à l'article 107 §1 de la loi n° 2820 précitée. Voir arrêt Parti Communiste Unifié de Turquie précité, §12.
Le Courrier international, op. cit., p.13.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §19.
Ibid, §15.
Ibid, §24.
Arrêt Gustafsson précité, §45.
Arrêt Schmidt et Dahström précité, § 34.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
80
la liberté d’association . Cette formule suppose que les organisations syndicales n’étaient
pas les seules visées par les rédacteurs de la Convention. L’étude des travaux préparatoires
de la Convention confirme cette hypothèse. Les discussions s’étaient alors essentiellement
orientées autour de la place des activités syndicales, mais pour autant, on ne peut en
déduire que les auteurs aient voulu exclure les partis politiques. D’ailleurs, l’article 11 de
la Convention s’inspire directement de l’article 20 de la Déclaration Universelle des Droits
de l’homme pour lequel les auteurs avaient voulu inclure les associations politiques lors
81
de la rédaction . Même si la Cour européenne n’utilise pas cet argument dans l’arrêt
Parti communiste unifié, il est clair qu’au sens de la Convention, l’association n’est pas
soluble dans le syndicat. Le juge en déduit que la référence aux syndicats ne fait office que
d’exemple, et qu'à ce titre, elle ne peut pas induire l'exclusion d'autres formes d'associations
ou de groupement comme les partis politiques.
L’arrêt Parti communiste unifié de Turquie est le premier à affirmer clairement
l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques. Les affaires suivantes
permettront au juge européen non seulement de confirmer son propos mais surtout d’ériger
ce principe en évidence.
Section deux : L’applicabilité de l’article 11 aux partis politiques, un principe
devenu jurisprudence.
§1 La confirmation par la Cour de l'applicabilité de l'article 11 aux partis
politiques et les conséquences de ce principe.
Les principes affirmés par la Cour dans l'arrêt Parti communiste unifié ont été confirmés
assez rapidement, quelques mois plus tard, par l'arrêt Parti socialiste et autres c/ Turquie
rendu le 25 mai 1998. Suivant la méthode utilisée en l'affaire Parti communiste unifié et
utilisant une formulation similaire, la Cour confirme que l'article 11 de la CEDH protège
effectivement les partis politiques, et en l'espèce le Parti socialiste dissous le 10 juillet
1992 par la Cour constitutionnelle turque. La dissolution se fondait sur le fait que, selon le
gouvernement turc, le parti incriminé incitait les kurdes au séparatisme et à l'insurrection
afin de supprimer l'État unitaire actuel pour le remplacer par un État fédéral. De plus,
le gouvernement turc refusait toujours d’admettre l’applicabilité de l’article 11 aux partis
politiques, puisque selon lui, comme en l’affaire Parti communiste unifié de Turquie, “
82
l’article 11 ne s’applique pas en tout état de cause aux partis politiques ” . Au contraire, le
gouvernement soulignait que “ lorsque leurs statuts et leur programme sont dirigés contre
l’ordre constitutionnel d’un État, il faudrait, au lieu d’appliquer cette disposition, conclure à
83
l’inapplicabilité ratione materiae de la Convention ou appliquer l’article 17 de celle-ci ” .
Mais après avoir rappelé la position de la Commission selon laquelle “ rien dans le libellé de
l’article 11 ne limite son champ d’application à une forme particulière d’associations ou de
84
groupements, ni ne permet de considérer que les partis politiques en seraient exclus ” , la
80
81
82
83
84
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §24.
B. Duarté, op. cit., pp.318-319.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §19 ; et arrêt Parti socialiste et autres c/ Turquie, 25 mai 1998, §26.
Arrêt Parti socialiste précité, §26.
Ibid, §28.
METIER Clémentine_2007
23
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Cour refuse d’appliquer l’article 17 et répète qu’” il ne saurait faire aucun doute que lesdits
85
partis relèvent de l’article 11 ” .
Soulignons que les mesures de dissolution restent exceptionnelles dans l'Europe
libérale contemporaine, ce qui explique que la Commission ait directement transmis les deux
affaires de 1998 à la Cour qui, pour juger de mesures aussi radicales, s'est alors constituée
en Grande Chambre. D'autre part, ces deux arrêts sont significatifs en droit puisque
jusqu'alors, nous l'avons évoqué, seule la Commission avait examiné la compatibilité
d'une dissolution de parti politique à la Convention. Pendant un temps, la Cour EDH
86
avait semblé éviter d'affronter directement la question sous l'angle de l'article 11 . Ceci
apparaissait déjà être le cas lors de l'affaire Vogt c/ Allemagne du 26 septembre 1995
(Grande Chambre), dans laquelle Mme Vogt, enseignante, avait été exclue de ses fonctions
en raison de ses activités politiques au sein du Parti communiste allemand, le DKP. Le
juge européen semblait alors avoir délibérément choisi d'aborder la question sous l'angle
de la liberté d'expression, évacuant rapidement l'allégation de violation de l'article 11,
87
considérant inutile de statuer sur les griefs fondés sur les article 9, 10, 14 et 18 . Dans les
arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998, la Cour a adopté la
technique inverse puisqu'elle a statué uniquement sur l'allégation de violation de la liberté
d'association, considérant qu'il était inutile d’examiner les griefs fondés sur les articles 9, 10,
14 et 18. Le gouvernement turc, dans ces deux affaires, affirmait que les partis politiques
doivent être exclus du champ d’application de l’article 11. Mais rejetant l'argumentaire
du gouvernement turc assez succinctement, la Cour EDH estime que le droit à la liberté
d'association politique est garantit et qu’il s'appliquait directement aux requérants des deux
affaires. De plus, ni le Parti communiste unifié ni le Parti socialiste ne pouvaient être
assimilés à des organisations de droit public au même titre que les ordres professionnels
88
par exemple, qui, eux, sont exclus de la protection de l’article 11 . Les partis politiques
sont assimilés par la Cour à des formations de droit privé, ce qui justifie de les qualifier
d’associations au sens de l’article 11 de la CEDH. En définitive, la Cour comble le silence
de la Convention qui ne mentionne pas les partis à l’article 11 en apportant une réponse
claire à la question de l’applicabilité de cet article aux formations politiques.
§2 L’application systématique du principe par la Cour.
Depuis les affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998, la Cour
n’a cessé de réaffirmer l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques,
si bien que ceci constitue désormais un principe jurisprudentiel acquis. L’affaire Parti de la
Liberté et de la Démocratie (ÖZDEP) c/ Turquie du 8 décembre 1999 a donné à la Cour
une nouvelle occasion d’user de la liberté d’association de l’article 11 pour protéger les
partis politiques contre une dissolution injustifiée. Dans cette affaire, le Parti de la Liberté
et de la Démocratie avait été dissous par la Cour constitutionnelle turque au motif que
ses statuts portaient atteinte à l’intégrité territoriale, à l’unité nationale et à la laïcité. Le
juge national considérait que les statuts du parti en cause, qui prônaient la lutte contre
l’oppression des minorités, et notamment la minorité kurde, étaient incompatibles avec
85
Ibid, §29.
86
87
88
B. Duarté, op. cit., p.315.
Ibid, pp.315-316.
Arrêt Le Compte, Van Leuven, et de Meyer, 23 juin 1981, confirmé ensuite par l’arrêt Albert et Le Compte, 10 février 1983.
La Cour estime que les ordres professionnels sont exclus du champ d’application de l’article 11 pour deux raisons : parce-que ce sont
des organismes publics institués, et parce-que leurs activités sont strictement encadrées par les autorités publiques.
24
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
la Constitution turque qui proclame l’indivisibilité de la République. Aux yeux de la Cour
constitutionnelle d’Ankara, les kurdes bénéficient des mêmesdroits que les autres citoyens
turcs et ne sont pas empêchés d’exprimer leur identité. A cela s’ajoutait le fait que les statuts
du parti incriminé entraient en contradiction avec la loi sur les partis politiques précitée selon
laquelle ceux-ci ne doivent pas mettre en danger l’existence de la République et de l’État
ni “ défendre ou [tenter] d’établir la domination d’une classe sociale sur les autres, ou la
89
domination d’une communauté, ou encore d’instaurer toute forme de dictature ” . Aussi la
dissolution du Parti de la Liberté et de la Démocratie fut-elle prononcée par la Cour le 14
juillet 1993. Alors que l’affaire était encore pendante devant la juridiction constitutionnelle,
l’assemblée des fondateurs a décidé, le 30 avril 1993, de dissoudre le parti. Le 21 mars
1994, alléguant une violation de leurs droits fondamentaux garantis par les articles 9,
10, 11 et 14 de la CEDH, les requérants saisirent la Commission EDH. Celle-ci ayant
déclaré la requête recevable et conclut à une violation de l’article 11, la Cour européenne
a donc été amenée à juger d’une nouvelle affaire de dissolution d’un parti pro-kurde par la
Cour constitutionnelle d’Ankara. En se référençant aux deux arrêts précédents, la Cour a
confirmé sa jurisprudence en considérant les dispositions de l’article 11 applicable aux partis
politiques, sur les mêmes fondements. En fait, les deux premiers cas de dissolution de partis
90
politiques portés devant la Cour EDH ont permis de définir des principes directeurs en
matière de liberté d’association politique, principes que le juge a appliqué dans les affaires
suivantes, sans plus trouver nécessaire de s’attarder aussi amplement sur l’applicabilité de
l’article 11 aux partis. Désormais, la jurisprudence de la Cour ne laisse plus aucun doute
quant à savoir si cette disposition vaut ou non pour les formations politiques, si bien que
les gouvernements eux-mêmes, dans les affaires les plus récentes, ne reviennent plus sur
91
ce principe .
En définitive, comme le souligne Irène Kitsou-Milonas, à partir de 1998, l’applicabilité
92
de l’article 11 aux partis politiques est devenue inéluctable ” . Or celle-ci est d’autant plus
inéluctable que les partis politiques apportent “ une contribution irremplaçable au débat
démocratique ” et tiennent “ un rôle essentiel dans le maintien du pluralisme et le bon
93
fonctionnement de la société démocratique ” .
Chapitre II / Les partis politiques au coeur de la société démocratique.
Si la justification faite par la Cour EDH de l’applicabilité de l’article 11 aux partis politiques
repose en premier lieu sur la formulation de l’article 11 lui-même, elle réside, en second lieu,
dans le rôle crucial que jouent les partis politiques dans la “ société démocratique ”. Cette
notion est centrale à la fois dans le texte de la Convention et dans la jurisprudence de la
Cour, ce qui justifie la place prépondérante que la Cour reconnaît aux partis.
89
90
91
Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie c/ Turquie, 8 décembre 1999, §16.
Voir notamment arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, Parti socialiste, et Parti de la liberté et de la démocratie.
Par exemple, il n’est fait aucun commentaire sur le principe de l’applicabilité de l’article 11 de la CEDH aux partis dans l’arrêt
Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c/ Turquie, 31 juillet 2001 (IIIème section) (renvoyé à la Grande Chambre qui a ellemême rendu son arrêt 13 février 2003c/ Turquie).
92
I. Kitsou-Milonas, “ Convention européenne des Droits de l’homme. Liberté d’association (article 11) ”, Revue Europe, n°11,
novembre 2001, commentaire n°344, p.20.
93
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§43-44.
METIER Clémentine_2007
25
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Section une : La notion de société démocratique au sens de la Convention et
de la Cour.
§1 Définir la société démocratique.
Le Préambule de la Convention mentionne le “ patrimoine commun ” d’idéaux et de principes
qui prévalent dans les États membres et qui forment ensemble la notion d’“ ordre public
94
européen ” . Ce concept désigne un ensemble de règles perçues comme fondamentales
pour la société européenne et s’imposant aux membres de la CEDH. Au cœur de cet ordre
se trouve la “ société démocratique ”, que le Préambule lie étroitement à la Convention. La
relation est claire entre “ la sauvegarde et le développement des Droits de l’homme et des
95
libertés fondamentales ” et le cadre d’“ un régime politique véritablement démocratique ” .
C’est aussi ce que précise la Cour EDH, formée en Grande Chambre, dans son arrêt
Loizidou c/ Turquie en définissant la démocratie comme “ un élément fondamental de
l’ordre public européen ” et la Convention comme “ l’instrument constitutionnel de cet
96
ordre européen ” . De la même façon, l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie affirme
que “ la démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de “l’ordre public
97
européen” (…) ” .
Conformément à la philosophie du Conseil de l’Europe qui s’est construit comme “ le
98
club de démocraties ” , “ la démocratie est l’unique modèle envisagé par la Convention, et
99
partant, le seul qui soit compatible avec elle ” . En effet, l’idée d’une Convention européenne
protégeant et développant les droits de l’homme avait été lancée à la Haye en mai 1948
dans l’objectif de promouvoir la démocratie et la liberté. Le projet de CEDH était alors
envisagé comme un outil pour atteindre le but annoncé au paragraphe quatre du Statut
du Conseil de l’Europe d’une “ union plus étroite entre les membres ” face à la fragilité du
100
système démocratique . D’ailleurs, la Cour elle-même affirme que la notion de société
101
démocratique “ domine la Convention toute entière ” . C’est le système politique le plus
“ apte ” à protéger les droits et libertés fondamentaux, parce que dans un tel système,
“ seules peuvent être investies des pouvoirs et de l’autorité de l’État des institutions créées
102
par et pour le peuple ” . A l’inverse, la démocratie n’existe plus lorsque “ la population
d’un État, même majoritairement, renonce à ses pouvoirs législatifs et judiciaires au profit
94
95
96
97
http://www.echr.coe.int (consulté le mercredi 15 juillet 2007)
F. Sudre, La CEDH, op. cit., p.5-7.
Arrêt Loizidou c/ Turquie, Grande Chambre, 23 mai 1995. Propos repris par l’arrêt Parti communiste unifié précité.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. Repris notamment au §86 de l’arrêt Refah Partisi et autres c/ Turquie,
Grande Chambre, 13 février 2003.
98
ème
F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme, PUF, collection Que sais-je ?, 3
édition,
Paris : 2005, p.55.
99
100
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45.
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=001&CM=8&DF=7/24/2007&CL=FRE (consulté le
mardi 24 juillet 2007)
101
Arrêt Lingens c/ Autriche, 8 juillet 1986, §42. Voir aussi le Préambule, alinéa 4 de la Convention : le maintien de l’ensemble
des droits de la Convention “ repose essentiellement sur un régime véritablement démocratique ”.
102
26
Arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt c/Belgique, 2 mars 1987, §47.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
d’une entité qui n’est pas responsable devant le peuple qu’elle gouverne, que cette entité
103
soit laïque ou religieuse ” .
Certains auteurs comme Gilles Lebreton ont pourtant critiqué la définition que donne la
Cour de la démocratie. En effet, la Cour semble mettre l’accent sur une vision procédurale,
aussi dite matérielle, de la démocratie, c’est-à-dire à une définition en termes de règles de
prise de décision, sans étude sur le fond de ces décisions. Cette conception met l’accent
sur l’importance d’élections libres, qui permettent la prise de décision par la majorité, et
sur les “ droits démocratiques ”, comme le droit de vote égalitaire ou le droit de se réunir
en partis politiques et groupes de pression, qui rendent cela possible. Cette approche
s’attache donc avant tout à l’étude de la prise de décision et au principe de participation
du citoyen à la prise de décision. Dans cette perspective, la liberté de former des partis
est importante pour le bon fonctionnement du régime démocratique. Plus précisément,
ce qui importe est que le peuple puisse participer au processus décisionnel, c’est-à-dire
104
que “ la démocratie suppose de donner un rôle au peuple ” . Or une telle définition peut
paraître restrictive. En effet, le principe de la souveraineté du peuple semble être écarté.
Gilles Lebreton considère que cette conception n’accorde qu’un rôle subsidiaire au peuple
dans la conduite de son destin, puisque ce dernier ne pourrait choisir de se conformer ou
non à des principes “ réputés fondamentaux ”, ni redéfinir leur contenu. Selon cet auteur,
cette définition est le reflet de la méfiance exprimée par les libéraux vis-à-vis de la masse
populaire, ce qui expliquerait la subordination de la démocratie au principe de prééminence
105
du droit . Toutefois, la jurisprudence de la Cour européenne prouve au contraire que son
acceptation de la démocratie est relativement large. D’ailleurs, la définition de la démocratie
comme donnant un rôle au peuple avait été proposée par la IIIème section lors de l’affaire
Refah Partisi en 2001, mais elle n’avait pas été reprise par la Grande Chambre en 2003,
106
peut être pour ne pas figer la définition des “ principes démocratiques fondamentaux ” .
De plus, la Cour fait tout autant référence à l’approche fondamentale de la démocratie
107
( “ substantive democracy ”) . Dans cette analyse, les procédures décisionnelles ne sont
pas un but en soi, mais plutôt un moyen de réaliser certains objectifs, comme la réalisation
des droits et libertés de chacun par exemple. L’intérêt ne réside pas seulement dans la façon
dont la décision est prise, mais également dans le résultat de la procédure de décision.
Ce raisonnement se fonde sur l’institutionnalisation des Droits de l’homme, ainsi protégés
contre leur révision selon la conception procédurale de la démocratie. La jurisprudence de la
Cour contient plusieurs références à la vision fondamentale de la démocratie. Notamment,
l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie c/ Turquie établit un lien évident entre les droits
108
de l’homme de la CEDH et le régime démocratique .
Afin de réellement comprendre ce qu’entend la Cour par la notion de société
démocratique, il faut aussi considérer que la Convention “ doit se comprendre et s’interpréter
103
104
105
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43.
Ibid., §75. Voir aussi arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §42.
G. Lebreton, “ Laïcité et Convention européenne des Droits de l’homme. L’Islam devant la Cour européenne des Droits
de l’homme ”, RDP, n°5-2002, p.1510.
106
J-Y. Dupeux, P. Lambert (dir.), Les partis liberticides et le Convention européenne des Droits de l’homme. Actes du colloque
du 8 octobre 2004 organisé par les Instituts des droits de l’homme des barreaux de Bordeaux, Bruxelles et Paris, Némésis-Bruylant,
collection Droit et justice, Bruxelles : 2005, p.85.
107
108
A propos des deux conceptions de la démocratie envisagées par la Cour, voir S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1029-1030.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45.
METIER Clémentine_2007
27
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
comme un tout […] visant à protéger la dignité de l’être humain; la démocratie et la
109
prééminence du droit (rule of law) tienne à cet égard un rôle clé ” . Pour définir ce “ tout ”,
Michel Clapié reprend les trois pôles autour desquels s’organisent les droits reconnus et
protégés par la CEDH : l’intégrité de la personne, la prééminence du droit, et le pluralisme
110
et la tolérance . Cette interprétation de la Convention doit être conciliée avec “ l’esprit
général ” du texte, c’est-à-dire avec la volonté de “ sauvegarder et promouvoir les idéaux
111
et valeurs d’une société démocratique ” .
§2 Le principe de la prééminence du droit.
L’alinéa 5 du Préambule de la Convention reconnaît le principe de la prééminence du
droit en affirmant que les “ gouvernements d’États européens, animés d’un même esprit et
possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté
et de prééminence du droit ”, s’engagent à respecter les droits et libertés la Convention
112
EDH . De la même façon, l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe reconnaît que “ tout
membre du Conseil de l'Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit et le principe
en vertu duquel toute personne placée sous sa juridiction doit jouir des droits de l'homme
113
et des libertés fondamentales ” . La notion de prééminence du droit est donc clairement
liée aux principes fondateurs de la CEDH, ce qui justifie que la Cour lui accorde une
attention particulière. Aux yeux de celle-ci, la prééminence du droit est “ l’un des principes
114
fondamentaux ” de la démocratie . Cette exigence est aussi “ garant[e] des Droits de
l’homme ” en ce que le renforcement de l’État de droit va de pair avec un respect accru des
115
droits des individus . Le principe de la prééminence du droit comprend le droit à la liberté et
à la sûreté, le droit à un procès équitable et à la sécurité juridique, et s’appuie sur la justice,
116
“ institution essentielle à toute société démocratique ” . Le Préambule de la Convention
consacre une conception à la fois formelle et substantielle de l’État de droit. Cela signifie
que l’État est soumis formellement au droit d’une part, et substantiellement à des valeurs
essentielles caractérisées notamment par l’“ obligation de respecter les droits de l’homme ”
117
. Ce principe suppose que “ tous les être humains [soient] égaux devant la loi, en droits
118
comme en devoirs ” . Tout individu ainsi que tout État partie, sont contraints de veiller
à respecter de cette règle dans l’exercice de leurs droits respectifs. Sans cette condition,
la démocratie ne pourrait exister pleinement. Fidèles à la jurisprudence antérieure établie
par la Cour, les observations préliminaires de l’arrêt de Chambre Refah Partisi et autres c/
Turquie rendu en 2001 insiste sur le lien étroit qu’entretient la démocratie avec le principe de
109
110
111
112
113
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43.
M. Clapié, Manuel d’institutions européennes, Flammarion, 2ème édition, Paris : 2006,p.106.
Arrêt Kjeldsen, Bsuk Madsen et Pedersen c/ Danemark, 7 décembre 1976, §53.
http://www.echr.coe.int (consulté le mercredi 15 juillet 2007).
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/QueVoulezVous.asp?NT=001&CM=8&DF=7/24/2007&CL=FRE (consulté le mardi
24 juillet 2007).
114
115
116
117
118
28
Arrêt Brogan c/ Royaume Uni, 29 novembre 1988, §58 et arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §69.
D. Lochak, op. cit., p.58-59.
Arrêt Prager et Oberschlick c/ Autriche, 26 avril 1995, §34.
er
Article 1 de la CEDH. Voir http://www/echr.coe.int (consulté le mercredi 15 août 2007)
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
prééminence du droit. C’est sur ce fondement que la Cour européenne juge que tout régime
constitutionnel fondé sur l’absence de responsabilité politique des gouvernants devant les
119
gouvernés est incompatible avec la Convention . Dans une démocratie, le régime juridique
institué par le peuple est le seul possible, et la prééminence du droit ne peut s’entendre que
120
conformément à ce préalable . Cet exemple démontre justement que la démocratie est,
comme le rappelle l’étymologie grecque du terme, le gouvernement du peuple, par le peuple,
et pour le peuple. Jean Jacques Rousseau la désignait comme un régime politique dans
lequel la souveraineté appartient au peuple, c’est-à-dire le triomphe de la volonté générale
résultant de la capacité de chaque citoyen à dépasser ses intérêts individuels pour découvrir
un intérêt général transcendant.
Si la notion de société démocratique est clairement au cœur de la Convention, la Cour
ajoute qu’une telle société ne peut exister sans partis politiques. En effet, ces derniers
concourent à garantir la souveraineté du peuple et la réalisation de l’intérêt général, tout en
assurant le maintien du pluralisme à travers l’expression d’idées et opinions diverses.
Section deux : Les partis politiques au cœur la société démocratique.
§1 Une contribution irremplaçable à la démocratie.
Pour qu’un régime véritablement démocratique soit réalisable, et donc pour que le peuple
soit souverain, ce dernier doit pouvoir participer, directement ou indirectement, au pouvoir
et au choix de la politique à mener. Dans un système de démocratie indirecte comme en
connaît l’Europe actuelle, les partis politiques remplissent le rôle d’intermédiaires entre le
peuple souverain et le pouvoir. Ils sont les représentants directs de l’opinion populaire.
C’est-ce que rappelle la résolution 800 (1983) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de
er
l’Europe adoptée le 1 juillet 1983 relative aux principes démocratiques : aujourd’hui, les
partis politiques ont une place d’autant plus importante dans les sociétés européennes que
l’élargissement du droit de vote a rendu plus difficiles les relations directes entre élus et
121
électeurs . Ceci implique que soit accordée aux partis politiques une place spécifique, vu
le rôle qu’ils tiennent dans la société démocratique. Pour cela, il convient de lire l’article
11 à la lumière de l’objet et du but de la Convention. En effet, L’influence que les partis
exercent sur le système politique en fait des organisations particulières : eux seuls ont la
capacité de former et de réaliser des projets proprement politiques, et surtout, ce sont les
seules associations pouvant accéder au pouvoir. Aussi, les partis politiques “ représentent
122
une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie ” , ce légitime
leur pleine protection par la Convention au titre de la liberté d’association et de réunion.
En l’affaire Parti socialiste et autres c/ Turquie, la Commission avait même énoncé que
“ si l’on considère l’article 11 comme une garantie légale assurant le bon fonctionnement
de la démocratie, les partis politiques constituent l’une des formes les plus importantes
123
d’associations protégées par cette disposition ” . En ce sens, Joël Andriantsimbazovina
119
120
121
122
Ibid, §42.
Ibid, §42.
B. Duarté, op. cit., pp.319-320.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §25, et Parti socialiste §29. Voir aussi arrêt Yazar, Karatas et Aksoy, au nom
du Parti du peuple démocratique c/ Turquie, 9 avril 2002, §30.
123
Arrêt Parti socialiste précité, §28.
METIER Clémentine_2007
29
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
124
qualifie les partis de “ poumons indispensables ” de la société démocratique . Il s’ensuit
que les partis peuvent se prévaloir de la liberté d’association, et ce alors même qu’ils ne
sont pas cités expressément par l’article 11 de la CEDH. Or, leur place est d’autant plus
prégnante aujourd’hui que la technologie et les techniques de communication évoluent
rapidement, bouleversant les données du débat politique. Aussi, en décidant d’inclure
les partis politiques dans champ d’application de l’article 11, la Cour illustre sa volonté
d’opérer l’adaptation de la Convention au changement social, à l’évolution des mœurs
et des mentalités, ainsi qu’à l’évolution des droits internes des Etats parties, afin de
la préserver de tout anachronisme. La Convention est un “ instrument vivant ” qui doit
125
“ s’interpréter à la lumière prévalant de nos jours dans les États démocratiques ” . Les
droits et libertés fondamentaux ne constituent pas seulement des droits subjectifs, mais
126
expriment également un ordre objectif de valeurs . Cette conception du droit propre à la
127
Cour, dominée par “ l’évolution incessante des libertés publiques ” , a d’ailleurs amené
128
Michel Clapié, à qualifier sa jurisprudence d’audacieuse . Plus encore, on peut estimer que
129
la Cour est véritablement “ créatrice de droit ” . Son œuvre prétorienne est considérable
et ceci permet une interprétation dynamique de la Convention. La doctrine désigne cette
méthode de téléologique, c’est-à-dire que l’interprétation de la Convention par la Cour se
130
fait en fonction du but du traité . En ce sens, la Cour donne à la CEDH un caractère
évolutif et progressiste. L’arrêt Wemhoff signale que la Cour doit “ rechercher quelle est
l’interprétation la plus propre à atteindre le but et à réaliser l’objet du traité et non pas celle
131
qui donnerait l’étendue la plus limitée aux engagements des parties ” . L’objectif est de
garantir l’effectivité des droits et libertés reconnus, c’est-à-dire non seulement d’assurer la
sauvegarde des droits de l’homme, mais aussi de permettre leur développement.
§2 Les partis politiques sont essentiels au maintien du pluralisme.
Caractéristique de la société démocratique, la notion de pluralisme est elle aussi
particulièrement importante pour comprendre la place des partis politiques aux yeux de la
Cour. L’arrêt Handyside a déjà affirmé que“ le maintien du pluralisme ” constitue “ un des
132
principes propres à une société démocratique ” . Cet arrêt affirme aussi que le pluralisme
vaut “ non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées
comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent , choquent ou
133
inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ” . Après avoir utilisé ces
124
125
126
J. Andriantsimbazovina, in F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit. p.491.
Arrêt Tyrer, 25 avril 1978, §31.
M. Levinet, Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’État théocratique et la Convention EDH. A propos
de l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Refah Partisi et autres c/ Turquie, RFDC, n°57, janvier
2004, p.213.
127
128
129
130
131
132
133
30
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §72, repris par l’arrêt de Grande Chambre précité, §123.
M. Clapié, op. cit., p.109.
Voir l’arrêt Johnston et autres c/ Irlande, 18 décembre 1986.
Voir B. Duarté, op. cit., p. 319. Voir aussi M. Clapié, op. cit., p.108.
Arrêt Wemhoff c/ Allemagne, 27 juin 1968, §8.
Arrêt Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, §49. Voir aussi Arrêt Parti communiste unifié de Turquie, §43.
Arrêt Handyside précité, §49. Repris notamment par l’arrêt Vogt c/ Allemagne, 26 septembre 1995,§52.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
134
principes pour protéger la liberté de la presse ou encore celle des parlementaires , la
Cour les a appliqué au contentieux relatif aux partis politiques. Cette notion induit à la fois
le pluralisme des comportements, le pluralisme des idées, et le pluralisme institutionnel.
La démocratie suppose que le peuple puisse choisir ses gouvernants. Or, il n’y a de choix
véritable que si l’électeur peut se prononcer entre plusieurs possibilités, ce qui implique
135
notamment que les partis politiques puissent se former et agir librement . Dans la mesure
où ils animent et participent au débat politique, les partis ont un rôle central à jouer pour
garantir le maintien du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture dans la société.
Les partis représentent “ les courants d’opinion qui traversent la population d’un pays et
les répercutent dans les institutions politiques et à tous les niveau de la société grâce aux
136
médias ” . En d’autres termes, l’arrêt Lingens le rappelle, le “ jeu du débat politique ”
constitue “ le cœur de la notion de société démocratique qui domine la Convention tout
137
138
entière ” . Etant donné qu’ils contribuent de manière constante au débat politique ,
139
les partis politiques sont les garants du pluralisme dans une démocratie . En ce sens,
l’arrêt Parti communiste unifié souligne l’insistance de la Cour sur le rôle des associations
politiques et marque le début d’une évolution jurisprudentielle favorable à une protection
renforcée des partis, notamment ceux défendant une minorité nationale. Le juge européen
estime que non seulement les partis en eux-mêmes contribuent au pluralisme, mais aussi
que la pluralité des partis est fondamentale en démocratie pour permettre un choix libre et
éclairé de la part des électeurs. Comme le fait remarquer la Cour, “ bien qu’il faille parfois
subordonner les intérêts d’individus ceux d’un groupe, la démocratie ne se ramène pas à
la suprématie constante de l’opinion d’une majorité; elle commande un équilibre qui assure
140
aux minorités un juste traitement et qui évite tout abus d’une position dominante ” . La
présence d’une multitude de partis est une garantie pour l’expression et la représentation
de la diversité des opinion et des tendances politiques. Il n’est pas de société démocratique
sans reconnaissance de ces trois valeurs centrales que sont “ le pluralisme, la tolérance
141
et l’ouverture d’esprit ” . En ce sens, les partis politiques apportent une “ contribution
irremplaçable au débat politique, lequel se trouve au cœur même de la notion de société
142
démocratique ” .
Usant de la généralité des termes de l’article 11 de la CEDH et de la place
prépondérante des partis politiques dans la société démocratique, la Cour leur a reconnu la
protection de la liberté d’association au sens de l’article 11. Il s’agit maintenant de définir les
modalités de l’application de cette disposition aux partis politiques. Le juge européen estime
134
Au sujet de la liberté de la presse, voir l’arrêt Sunday Times, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni, 26 novembre 1991, §59. A
propos de la liberté d’expression des parlementaires, voir les arrêts Castells c/ Espagne, 23 avril 1992, §43, et Piermont c/ France,
27 avril 1995, §§76-77.
135
136
137
138
139
140
ème
P. Pactet et F. Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Sirey, Dalloz, 25
édition, Paris : 2006, p.81.
Arrêt Parti communiste unifié précité, §43-44. Plus brièvement, arrêt Parti socialiste précité, §41.
Arrêt Lingens précité , §42.
Arrêt Parti communiste unifié, §44.
Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) précité, §37.
Arrêt Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, 13 août 1981, §63 ; et arrêt Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden
c/ Bulgarie, 2 octobre 2001, §107.
141
142
Arrêt Handyside précité, §49.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §44.
METIER Clémentine_2007
31
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
qu’au vu de leurs spécificités, les partis politiques doivent bénéficier d’une liberté ainsi que
d’une protection renforcée par les juridictions internes et par la Cour européenne.
Titre deuxième : L’application de l’article 11 aux partis
politiques.
Chapitre I / La liberté de pensée, de conscience et de religion (article
9) et la liberté d’expression (article 10) : un complément de protection
pour les partis politiques.
Pour assurer aux partis la protection qui leur revient, l’article 11 ne saurait s’envisager seul.
Malgré son rôle autonome et la spécificité de sa sphère d’application, la liberté d’association
et de réunion se comprend à la lumière de la liberté de pensée, de conscience et de religion
prévue à l’article 9, et comme un des objectifs de la liberté d’expression garantie à l’article
10 de la CEDH. Non seulement la liberté d’association, qui protège les partis, constitue
un élément fondamental de la démocratie, mais elle est aussi une facette des autres
libertés de la pensée. Aussi, les articles 9 et 10 de la Convention apportent une protection
complémentaire à ces associations particulières que sont les formations politiques.
Section une : “ La communauté des trois libertés ” : liberté de pensée, de
conscience et de religion.
§1 La liberté de pensée et ses implications.
Le texte de la Convention consacre dans son article 9 ce que Yadh Ben Achour désigne
143
comme “ la communauté des trois libertés ” . En effet, cette disposition de la Convention
définit d’abord un droit, auquel correspondent trois libertés. Ce droit est “ celui de l’être
doué de raison et de raisonnement de disposer individuellement et collectivement de cette
144
aptitude à raisonner ” . Ce droit est conçu comme le droit d’exercer une liberté déterminée.
Ceci induit et englobe les trois libertés qui sont proclamées par l’article 9, à savoir la liberté
de pensée, la liberté de conscience et la liberté de religion, qui participent ensemble au
145
pluralisme des idées, “ chèrement conquis au cours des siècles ” . Aussi, dans les affaires
de dissolution de partis politiques, la Cour examine les conditions de la liberté d’association
des partis politiques au regard de l’article 9.
Particulièrement, la liberté de religion, protégée par cet article, semble être une liberté
146
privilégiée par la Cour, notamment dans les affaires relatives aux partis politiques . Elle
143
Y. Ben Achour, La Cour européenne des droits de l’Homme et la liberté de religion, Cours et travaux n°3, Institut des hautes
études internationales de Paris, université Panthéon-Assas (Paris II), éditions A. Pedone, Paris : 2005, p.13.
144
145
Ibid, p14.
Arrêt Kokkinakis c/ Grèce, 25 mai 1993, §31 et arrêt Manoussakis c/ Grèce, 26 septembre 1996, §44.
146
32
Y. Ben Achour, op. cit., p.15.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
est définie comme “ l’une des assises d’une société démocratique ” non seulement pour
les croyants, mais “ elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les
147
sceptiques ou les indifférents ” . Or la notion de société démocratique “ irrigue l’intégralité
148
du dispositif conventionnel , et c’est donc à l’aune de ces exigences que doit être comprise
l’étendue de la liberté de manifester ses convictions religieuses. La liberté religieuse est
une liberté constitutive de la démocratie. La liberté religieuse implique à la fois l’ensemble
des croyances mais aussi les signes extérieurs, les cultes et les rites qui en découlent.
Par conséquent, la liberté de religion implique la liberté de conscience et la libre pratique
du culte et des rites. La question de la protection des partis politiques se réclamant d’une
religion a été soulevée pour la première fois devant la Cour européenne à l’occasion de
la dissolution du Parti de la prospérité (Refah Partisi). Se posait alors la problématique du
rapport entre politique et religieux.
§2 De la délicate définition des rapports entre politique et religieux.
Comme le souligne Yadh Ben Achour, la religion a “ une tendance naturelle à accaparer
le domaine politique, à le manipuler ou à y chercher refuge ”. Inversement, la politique
a tendance à accaparer la religion, la manipuler et l’exploiter en fonction de ses propres
149
intérêts . Un parti politique représentant une religion peut alors devenir le centre de l’une
ou l’autre des causes. Certaines constitutions prohibent explicitement l’existence de partis
150
à caractère religieux . C’est le cas notamment de la Constitution turque qui annonce, en
son article 24, paragraphe 4, que “ nul ne peut, de quelque manière que ce soit, exploiter la
religion, les sentiments religieux ou les choses considérées comme sacrées par la religion,
ne en abuser dans le but de faire reposer, même partiellement, l’ordre social, économique,
politique ou juridique de l’État sur des préceptes religieux ou de s’assurer un intérêt ou une
influence sur le plan politique ou personnel ”. Plus encore, l’article 68, paragraphe 4, de la
Constitution déclare que “ […] le statut, le règlement et les activités des partis politiques ne
peuvent être contraires […] aux principes de la République démocratique et laïque. On ne
peut instaurer des partis politiques ayant pour but de préconiser et d’instaurer la domination
d’une classe sociale ou d’un groupe, ou d’une forme quelconque de dictature […] ”
151
. Dans les deux affaires concernant le Parti de la prospérité, jugées d’abord en
Chambre en 2001, puis en Grande Chambre en 2003, la Cour européenne envisage la
laïcité comme une valeur au service de la “ société démocratique ” européenne dans la
mesure où ce principe est garant de la paix civile et religieuse. Plus encore, avec les
principes de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme et de la démocratie,
152
le principe de laïcité est “ un principe de l’Etat ” . La Cour a définit la laïcité comme
la séparation du politique et juridique d’une part, et du religieux d’autre part. Ce concept
147
148
Arrêt Kokkinakis précité, §31.
M. Levinet, in G. Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits de l’homme. Actes du
colloque du 18 novembre 2005 organisé par l’Institut de droit européen des droits de l’homme (IDEDH), Némésis-Bruylant, collection
Droit et justice, Bruxelles : 2006, p.84.
149
150
Y. Ben Achour, op. cit.,p.73.
Par exemple, article 8 alinéa 5 de la Constitution tunisienne (révisée le 1er juin 2002) : “ Un parti politique ne peut s’appuyer
fondamentalement dans ses principes, objectifs, activités ou programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une
région ”. Voir Y. Ben Achour, op. cit., p.74.
151
152
Y. Ben Achour, op. cit., p.75.
J-F Flauss, “ Laïcité et Convention EDH ”, RDP, n°2-2004, p.317.
METIER Clémentine_2007
33
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
s’étend à tous les modes d’expression du politique, en particulier les partis. En effet, tout
parti politique étant un gouvernement en puissance, il doit être soumis à l’exigence de
laïcité, comme tout gouvernement l’est dans un régime démocratique. En apparence, ce
principe s’oppose donc à la formation de partis politiques à caractère religieux. La liberté
religieuse ne peut s’accomplir que dans une société pluraliste tolérante, c’est-à-dire une
société démocratique. L’État démocratique doit se faire “ organisateur neutre et impartial de
153
l’exercice des diverses religion, cultes et croyances ” . Dans l’arrêt de Grande Chambre,
le juge reprend la jurisprudence de l’ancienne Commission EDH qui avait déjà assuré la
154
protection de la neutralité confessionnelle dans les universités publiques ou armée turque .
Suivant cette démarche, la Cour rappelle son attachement au principe d’un État laïc qui
est, selon elle, une condition de l’ordre public, de la paix religieuse et de la tolérance dans
155
une société démocratique . Ce principe est “ assurément un des principes fondateurs
de l’État qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l’homme et
156
de la démocratie ” . En énonçant que tout régime constitutionnel fondé sur l’absence de
responsabilité politique des gouvernants devant les gouvernés est incompatible avec la
Convention, elle semble viser avant tout les régimes politiques fondés sur la religion. De
tels régimes sont, par définition, discriminatoires et structurellement contraires au principe
157
de la prééminence du droit .
Certains auteurs comme Jean-François Flauss ont vu dans ces propos un
aboutissement, estimant que “ la laïcité (était) passée de l’état de valeur nationale au statut
158
de valeur européenne ” . Dans l’arrêt de Grande Chambre, la Cour avait déclaré qu’“ un
parti politique qui s’inspire des valeurs morales imposées par une religion ne saurait être
considéré d’emblée comme une formation enfreignant les principes fondamentaux de la
159
démocratie, tels qu’ils ressortent de la Convention ” . Pourtant, si la Cour rappelle le
160
“ devoir de neutralité et d’impartialité de l’État ” , cette formule n’oblige pas nécessairement
l’État à la neutralité confessionnelle, c’est-à-dire à la traduction du principe de laïcité. Il
convient d’ailleurs de se souvenir que ce principe est absent du texte de la Convention,
161
162
et que, sauf exception , la Cour a limité son usage au contentieux relatif à la Turquie .
Pour autant, le juge européen n’en définit pas moins un modèle de comportement, lequel se
rapproche de la laïcité. L’impératif de neutralité des autorités publiques et le rejet absolu de
153
154
155
156
157
158
159
160
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §50.
Décision de la Commission EDH Karaduman, 3 mai 1993.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §41.
Ibid, §93.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §42.
J-F. Flauss, “ La laïcité et la CEDH ”, RDP, 2004, p.318. Voir aussi M. Levinet, in G. Gonzalez (dir.), op. cit., p.86.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §100.
Arrêt Leyla Sahin c/ Turquie, 10 novembre 2005, Grande Chambre, §107 : à propos d’une circulaire du Recteur de l’université
d’Istanbul interdisant l’accès des cours, stages et travaux dirigés aux étudiantes ayant la tête couverte ainsi qu’aux étudiants portant
la barbe. La Grande Chambre confirme la solution retenue par l’arrêt de Chambre du 29 juin 2004. Cet arrêt illustre la controverse
européenne liée au port de signes d’appartenance religieuse dans les établissements d’enseignement : “ depuis plus d’une vingtaine
d‘années, la place du voile islamique dans l‘enseignement public suscite en Europe la controverse ”.
161
Rapport de la Commission Buscarini c/ Saint-Marin, 2 décembre 1997, §43 : “ dans une société démocratique, laïque et
pluraliste, la liberté de conscience et de religion constitue un élément essentiel du mandat parlementaire ”.
162
34
M. Levinet, in G. Gonzalez (dir), op. cit., pp.85-87.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
l’État théocratique se conjugue à la reconnaissance par la Cour d’une marge d’appréciation
163
relative laissée à l’État quant à l’organisation de ses rapports avec l’Église . Dans le cadre
du contentieux turc, la Cour a avalisé la lutte contre le fondamentalisme religieux, au nom du
principe de laïcité. Le projet du Refah Partisi d’instaurer ou de rétablir la Charia et d’adopter
un système juridique autorisant les discriminations fondées sur la religion et sur le sexe ont
164
par exemple été jugés incompatibles avec le texte et l’esprit de la CEDH par la Cour .
Mais dans le même temps, le droit à la libre critique est large dans la sphère du politique.
Ceci témoigne de l’esprit tolérant de la Cour. En définitive, le juge européen que le respect
d’un principe proche de celui de la laïcité est une condition pour pouvoir prétendre au droit
à la liberté de religion, composante de la liberté de pensée et de conscience assurée par
l’article 9 de la Convention.
Mais la liberté de l’article 9 ne peut se comprendre sans la liberté d’expression
garantie par l’article 10. D’ailleurs, la liberté d’expression de l’article 10 découlent des
libertés garanties à l’article qui le précède. Ainsi, tant qu’il s’inscrit dans le débat public et
démocratique, le discours anti-laïc, est protégé par l’article 10.
Section deux : L’article 10 de la Convention protège la liberté d’expression
des partis politiques.
§1 L’article 10 de la Convention mis en perspective de la liberté
d’associaiton des partis politiques.
L’article 10 de la Convention fait l’objet d’une jurisprudence abondante. La liberté
d’expression constitue l’une des conditions de base pour le progrès des sociétés
165
démocratiques et pour le développement de chaque individu . L’article 10 définit la liberté
d’expression à la fois comme la liberté d’opinion et comme celle de recevoir des informations
ou idées, sans ingérence de la part des autorités publiques et sans considérations de
frontières. Une distinction peut s’opérer entre opinion et information, laquelle introduit
une distinction entre deux types de média. D’une part, les médias de tendance diffusent
les idées ou opinions des groupements partisans, par exemple un parti politique. Ils
participent au pluralisme et bénéficient le plus souvent de la protection des autorités
publiques. Par ailleurs, les médias d’information communiquent sur des questions d’intérêt
166
public et répondent au droit des individus à recevoir les informations . Dans le cas des
partis politiques, la liberté d’expression s’analyse donc plutôt comme celle d’exprimer des
opinions. Justement, la Cour accorde un protection particulière de la liberté d’expression
dans les affaires d’intérêt public. Mais l’arrêt Handyside c/ Royaume-Uni a permis à la
Cour de préciser que quelque soit l’angle envisagé, la liberté d’expression “ constitue l’un
des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’un de conditions primordiales
163
Arrêt Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, Grande Chambre, 27 juin 2000. §84 : L’Etat possède une marge d’appréciation
relativement à l’établissement de “ délicats rapports entre l’Etat et les religions ”.
164
165
166
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §72, repris dans l’arrêt de Grande Chambre précité, §123.
Voir les arrêts précités Handyside et Lingens.
Arrêt Sunday Times, Observer et Guardian précité, §50 b. Voir aussi l’arrêt Barthold c/ Allemagne du 25 mars 1985 sur la tâche
d’information et de contrôle qui incombe aux médias, et arrêt Lingens précité, §42 : la liberté de la presse est “ l’un des meilleurs
moyens de connaître et juger les idées et attitudes des dirigeants ”.
METIER Clémentine_2007
35
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
167
de son progrès et de l’épanouissement de chacun ” . Elle “ vaut non seulement pour
les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives
indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent
le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société
démocratique ”. Le juge se montre d’autant plus vigilant quand la liberté d’expression a
168
rapport avec la liberté de la presse ou du discours politique . L’article 11, de la Convention
qui protège la liberté d’association politique, doit, malgré son rôle autonome et la spécificité
de sa sphère d’application, […] s’envisager à la lumière de l’article 10 ”. “ La protection des
opinions et de la liberté de les exprimer constitue l’un des objectifs de la liberté de réunion et
169
d’association consacrée par l’article 11 ” . La démarche de la Cour EDH rejoint d’ailleurs
celle choisie par les rédacteurs de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. En effet,
l’article 12 de ce texte rappelle que la liberté d’association des partis politiques résultent
de leur participation “ à l’expression de la volonté politique des citoyens et citoyennes de
170
l’Union ” . L’interaction entre liberté d’expression et liberté d’association est donc claire.
§2 L’article 3 du Protocole n°1 à la Convention, complément de l’article 10.
L’article 3 du Protocole n°1 vise “ la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix
du corps législatif ” et requiert donc “ le concours d’une pluralité de partis politiques ”
171
afin de représenter les diverses opinions des électeurs . Or les exigences de la société
démocratique dictent une profonde synergie entre élections libres et liberté d’expression :
172
ces deux principes “ sont interdépendants et se renforcent l’un l’autre ” . Or le droit à
de libres élections est un “ principe caractéristique d’un régime politique authentiquement
173
démocratique ” et il “ ne saurait se concevoir sans le concours d’une pluralité de partis
174
politiques représentant les courants d’opinion qui traversent la population d’un pays ” .
L’arrêt Incal c/ Turquie ajoute que les partis “ représentent les électeurs, signalent leurs
175
préoccupation et défendent leurs intérêts ” . Aussi la liberté d’expression politique estelle particulièrement protégée, dans la mesure ou elle permet la défense du libre jeu des
opinions, exprimées dans le cadre d’élections libres, et portées par les partis politiques.
C’est pour cette raison que la Cour EDH met l’accent sur le lien étroit entre liberté
d’expression et liberté de réunion et d’association tout en accordant la plus haute importance
167
168
Arrêt Handyside précité, §49.
Sur la liberté de la presse et les droits des journalistes (protection de la diffusion d’idées et des sources journalistiques), voir
l’arrêt Lingens précité. Sur la liberté du discours et du débat politiques voir l’arrêt Nilsen c/ Norvège du (date). Voir aussi l’analyse
de P. de Fontbressin, P. Lambert (dir.), Les partis liberticides et le Convention européenne des Droits de l’homme. Actes du colloque
du 8 octobre 2004 organisé par les Instituts des droits de l’homme des barreaux de Bordeaux, Bruxelles et Paris, Némésis-Bruylant,
collection Droit et justice, Bruxelles : 2005, p.15.
169
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie §§42-43 ; Parti socialiste §41 ; Refah Partisi de Chambre, §44, et de Grande
Chambre, §88. Voir aussi arrêt Partidul Communistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c/ Roumanie, 3 février 2005, §44.
170
171
172
173
http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf (consulté le vendredi 17 août 2007).
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §44. Voir aussi arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt précité.
Arrêt Bowman c/ Royaume-Uni, 19 février 1998, §42.
F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.57. Voir aussi l’arrêt Mathieu-Mohin et Cerfaryt précité, §47 : l’article
3 du Protocole 1 qui garantit le droit à des élections libres revêt une “ importance capitale ”.
174
175
36
Arrêt Parti communiste unifié précité, §44.
Arrêt Incal c/ Turquie, 9 juin 1998, §46.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
à la liberté d’expression dans le contexte du débat politique. La protection des opinions
et la liberté de les exprimer doit donc être, selon la Cour, un des objectifs de la liberté
de réunion et d’association. Les activités des partis politiques, associations aux fins de
l’article 11, participent à l’exercice collectif de la liberté d’expression, et à ce titre, ils
doivent donc bénéficier des garanties de l’article 10, comme l’ont rappelé notamment les
arrêts Parti socialiste et Parti de la liberté et de la démocratie. Puisqu’“ il n’est pas de
démocratie sans pluralisme ”, il n’est pas non plus de liberté d’association politique sans
176
liberté d’expression . Sans libre expression des opinions, les partis n’auraient plus lieu
d’être puisqu’ils ne pourraient remplir leur rôle de proposition et la discussion d’opinions
diverses et de projets politiques variés. Or “ l’une des principales caractéristiques de la
démocratie réside dans la possibilité qu’elle offre de résoudre par le dialogue et sans recours
à la violence les problèmes que rencontre un pays, et cela même quand ils dérangent.
177
La démocratie se nourrit en effet de la liberté d’expression ” . Précisément, comme les
partis politiques participent au bon fonctionnement de la démocratie et ils représentent
les différentes tendances et opinions existantes dans un pays, ils doivent donc pouvoir
participer librement au débat politique, lequel “ est au cœur même de la notion de société
178
démocratique ” et dans le respect de la pluralité des points de vue .
La liberté d’association politique, garantie aux partis par l’article 11 de la Convention,
est donc une liberté de premier rang : elle est “ l’un des fondements essentiels d’une société
179
démocratique et l’une des conditions primordiales de son progrès ” . La lecture combinée
de l’article 11 avec les articles 9 et 10 de la Convention, ainsi qu’avec l’article 3 du Protocole
n°1 confère aux partis politiques un rôle central non seulement dans le débat politique mais
surtout dans la société démocratique, laquelle anime la Convention toute entière.
Chapitre II / Les spécificités de la protection de l’association politique.
L’article 11 consacre la liberté d’association ainsi que la liberté de réunion pacifique. Ce
sont deux droits voisins et complémentaires, mais aux contenus différents. Dans le cadre
de la jurisprudence relative aux partis politiques, c’est la liberté d’association qui s’applique.
De manière générale, le contentieux lié à l’article 11 concerne principalement la liberté
d’association syndicale. Mais dans nombre de ces affaires, la Cour s’est penchée sur la
question de la liberté d’association en général plutôt que strictement sur celle des syndicats
180
afin d’établir un principe global, également applicable en dehors du contexte du syndicat .
Comme elle l’a fait pour la liberté d’association syndicale, la Cour a définit l’étendue du
champ d’application de la liberté d’association politique au fil de sa jurisprudence. La Cour
EDH reconnaît à l’article 11 une portée autonome, ce qui lui confère une force juridique
importante. Par ailleurs, cette disposition protège l’association, et donc les partis politiques,
durant toute leur durée de vie.
176
Voir parmi d’autres les arrêts précités Parti de la liberté et de la démocratie précité, §37; arrêt Yazar et autres, §46; arrêt Partidul
communistilor (Nepeceristi) et Ungureanu, §45. Voir aussi arrêt Dicle pour le parti de la démocratie (DEP) c/ Turquie, 10 décembre
2002, §43; arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) et autres c/ Turquie, 12 novembre 2003, §37.
177
178
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Repris par l’arrêt Parti socialiste et autres précité, §45.
Arrêt Lingens précité, §42.
179
180
Rapport de la Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP) et autres précité, §76.
D. Gomien, D. Harris, L. Zwaak, La Convention européenne des Droits de l’homme et Charte sociale européenne : droit et
pratique, Éditions du Conseil de l’Europe/ Council of Europe Publishing, Strasbourg : 1997, pp.328-329.
METIER Clémentine_2007
37
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Section une : La recherche d’effectivité dans la protection de la liberté
d’association.
§1 La liberté d’association, une notion de “ portée autonome ”
Aux yeux de la Cour EDH, la notion d’association a un “ portée autonome ”, c’est-àdire que sa signification ne saurait varier selon les qualifications juridiques propres aux
différents droits nationaux. Une telle qualification s’inscrit dans la volonté affichée par
la Cour d’assurer l’uniformité de l’interprétation de la Convention EDH. Cette démarche
permet une définition uniforme des engagements étatiques et assure l’égalité de traitement
entre les États contractants. La qualité de “ notion autonome ” a d’abord été attribuée
pour étendre le champ d’application du droit à un procès équitable. Mais la Cour confère
aussi à la liberté d’association un sens européen autonome par rapport au droit national,
c’est-à-dire que cette liberté ne peut pas être interprétée par simple référence au droit
interne. Cette idée confirme la conception élastique de la notion d’association envisagée
par la Cour. Cette dernière définit son exigence en la matière au regard de l’indispensable
181
uniformité d’interprétation de la Convention . Étant donnée la diversité des statuts attribués
aux partis politiques en Europe, l’article 11 les protège, qu’ils soient ou non érigés au
rang d’organes constitutionnels. Fidèle à sa technique d’interprétation théléologique de la
Convention, la Cour refuse de conditionner l’application des droits et libertés qu’elle protège
à la qualification juridique des faits donnée en droit interne. Il s’agit en fait d’éviter que les
Etats n’enfreignent la Convention en qualifiant arbitrairement une association de publique
182
afin de la faire échapper au champ d’application de l’article 11 . Cette technique lui a
permis par exemple d’inclure les groupes dits para-administratifs, ou même les associations
183
communales de chasse, pourtant exclues du droit commun français des associations .
Rien dans les termes de l’article 11 ne précise la forme juridique de l’association.
Cette disposition ne permet pas de conclure à l’existence d’un droit à l’acquisition de la
personnalité morale au profit des associations. Mais selon la Cour, si le droit national ne
permettait pas à un organisme ne disposant pas de la personnalité morale d’exercer les
184
libertés reconnues par l’article 11, un tel droit pourrait alors être revendiqué . En ce sens,
le refus par les autorités publiques d’enregistrer une association n’est pas en soi contraire à
185
l’article 11 si celle-ci peut poursuivre ses activités malgré tout . La législation de la plupart
des Etats parties à la CEDH reconnaît la personnalité morale aux associations. C’est le cas
er
par exemple de la loi du 1 juillet 1901 qui en France, confère, aux association déclarées, la
“ petite personnalité morale ”, ce qui leur permet notamment d’ester en justice ou d’acquérir
186
les biens meubles ou immeubles nécessaires à l‘accomplissement de leurs buts . Mais
pour la Cour, la forme juridique que peut prendre une association demeure indifférente tant
que l’exercice de la liberté est assuré effectivement. La façon dont le droit national organise
181
182
183
Voir F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.36.
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.513.
En France, les associations communales de chasse sont régies par la loi Verdeille du 10 juillet 1964. La Cour EDH, dans son
arrêt Chassagnou et autres c/ France, rendu en Grande Chambre le 29 avril 1999, les inclut dans la protection garantie par l’article
11 de la Convention.
184
185
186
38
J-L. Charrier, Code de la Convention EDH, LexisNexis Litec, collection Juris Code, Paris : 2005, p.196.
Rapport de la Commission EDH, Lavisse c/ France, 5 juin 1991.
M. Frangi, in A-S. Mescheriakoff, op. cit., pp.63 à 65.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
la protection de l’association importe peu. C’est véritablement l’effectivité de la protection
qui est recherchée par la Cour.
§2 Une protection qui s'étend à toute la durée de vie de l'association.
L’arrêt Parti communiste unifié précise que la protection conventionnelle de la liberté
187
d’association s’étend à “ toute la durée de vie des associations ” . La Cour ne circonscrit
pas sa protection à la création de l’association, mais protège sa naissance, sa vie et sa mort.
Une telle garantie se rapproche de celle assurée par le droit français. Au regard de la loi
de 1901, une des caractéristiques essentielles de l’association tient dans sa permanence.
Cet élément la différencie de la réunion, qui ne possède qu’une existence ponctuelle. En
ce sens, l’association est une “ institution ” qui bénéficie de la protection du juge à tous les
188
stades de son existence .
En droit français comme en droit européen, la liberté d’association recouvre donc
d’abord le droit à la liberté de création. Dès 1998, la première affaire de dissolution d’un
parti politique, l’affaire Parti communiste unifié, a donné l’occasion à la Cour d’affirmer
indirectement que l’article 11 de la CEDH protège d’abord le droit de fonder un parti politique.
Pour autant, le juge européen ne précise pas les modalités selon lesquelles ce droit doit
s’exercer. Ainsi, la majorité des droits nationaux consacre un régime sans déclaration
préalable. Par exemple, la loi française de 1901 n’impose aucune obligation de déclaration
préalable, ce qui permet l’existence d’associations de fait, dites non déclarées, lesquelles
n’ont pas la personnalité morale. Les associations déclarées bénéficient elles de certaines
garanties, et ont pour seule obligation le respect de certaines formalités procédurales
au moment du dépôt de leurs statuts en préfecture, exception faite des associations
reconnues d’utilité publique à qui des conditions supplémentaires s’imposent. Mais la Cour
européenne n’impose pas de règles quant aux modalités de création de l’association. Il
importe seulement que la protection de la liberté de création soit efficace, l’Etat restant libre
des moyens à mettre en œuvre pour assurer ce droit. La Cour rappelle qu’il ne pèse sur
l’Etat qu’une obligation de résultat : il est le gardien des droits et libertés reconnus par la
189
Convention et doit, à ce titre, assurer leur protection effective .
En second lieu, la protection de l’association politique inclut la protection de ses
activités. En ce sens, la loi française de 1901 garantit, au titre de la liberté d’association,
la liberté d’organisation et de fonctionnement de celle-ci. Ainsi, les fondateurs d’une
association sont libres de choisir l’état civil de celle-ci, à savoir son nom et son siège
social, ainsi que son objet et ses règles de fonctionnement, comme par exemple les
190
compétences des différents organes ou les règles de votes . Suivant cette démarche,
la liberté d’association doit s’entendre non seulement comme le droit de fonder un parti
politique mais aussi comme le droit pour ce dernier de “ mener librement ses activités
191
politiques ” . Sans cela, la liberté d’association politique serait privée d’effectivité et se
192
révélerait illusoire . Les partis doivent pouvoir mener toute activité bénéficiant de la
187
188
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §33.
J. Fialaire et E. Mondelli, Droits fondamentaux et libertés publiques, Ellipses, collection universités, Paris : 2005, p.530.
189
190
191
192
Arrêt Ouriano Toxo et autres c/ Grèce, 20 octobre 2005, §37.
J. Fialaire et É. Mondelli, op. cit., p.532.
Arrêt Parti Communiste unifié de Turquie précité, §33.
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.515.
METIER Clémentine_2007
39
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
193
protection des dispositions de la Convention , de même que la Cour exerce son contrôle
quant à la possibilité d’une interdiction faite par les autorités nationales d’exercer une activité
194
politique . En ce point, le droit de la Convention rejoint le droit français qui considère
que “ le caractère de liberté fondamentale s’attache également au droit d’un parti politique
195
légalement constitué de tenir des réunions ” . En ce sens, l’arrêt Ahmed et autres c/
Royaume-Uni a souligné que le droit à la liberté d’association politique inclut celui d’adhérer
196
librement à un parti , mais tout en précisant que ceci n’inclut pas “ le droit de déployer
197
une activité organisationnelle et administrative dans (un) parti et d’y détenir un poste ” .
Le juge européen n’émet pas de distinction en fonction de la nature politique ou non
de l’association. Ainsi, l’article 11, paragraphe 1, n’accorde pas de droits spécifiques ni
198
aux syndicats ni aux partis politiques. Dans les affaires Parti communiste unifié et Parti
socialiste précitées, la Cour avait eu à examiner la mesure de confiscation des biens des
partis ainsi que l’interdiction faite aux dirigeants de participer à des élections. La Cour avait
estimé que ces mesures n’étaient que des effets accessoires de la dissolution, et non pas
une ingérence dans la liberté d’association des requérants. Pour Bernadette Duarté, ceci
constitue un refus implicite de protéger les association contre de telles mesures. Dans
cette perspective, l’article 11 ne garantirait aux partis politiques ni le droit de participer aux
199
élections, ni celui de détenir des biens . En effet, la Cour ne reconnaît de “ droits implicites ”
que sous deux conditions, qui ne sont pas remplies en l’espèce : de tels droits doivent
être des éléments indispensables à l’exercice efficace de la liberté en cause, et ils doivent
aussi être consacrés par la majorité des Etats européens dans leurs législations et leurs
pratiques nationales. Cette technique a notamment permis à la Cour EDH de reconnaître
le droit d’accès à un tribunal alors même qu’il n’apparaît pas expressément dans l’article 6,
200
paragraphe 1, de la CEDH . Or, étant donnée la grande diversité des régimes juridiques
applicables aux partis politiques, la Commission a clairement énoncé l’article 11, paragraphe
1, “ ne donne (…) pas droit à un statut particulier ni celui de participer à des élections, ni
encore celui d’exclure le paiement de subvention à des partis politiques pour leur campagne
201
électorale ” . Néanmoins, la Cour ne s’est pas prononcée aussi clairement en ce sens.
Elle se borne à affirmer que l’article 11, paragraphe 1, ne garantit pas clairement aux partis
politiques le droit de mener des activités spécifiques. Pour autant, même si l’article 11
paragraphe un tel que l’interprète la Cour ne leur reconnaît pas ce droit, les partis politiques
ne demeurent pas sans protection en cas d’abus de la part des autorités publiques. D’autres
dispositions de la Convention peuvent jouer en leur faveur. Suivant le même raisonnement
que dans l’arrêt Ahmed et autres c/ Royaume-Uni précité, la Cour, pour les affaires Parti
communiste unifié et du Parti socialiste, avait examiné les griefs concernant la confiscation
193
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57; Arrêts Refah Partisi (Parti de la prospérité) précités, de Chambre
§46 ; et de Grande Chambre, §97.
194
195
196
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46 ; et Yazar, §46-49.
Décision du Conseil d’Etat, Ord. Référé, 19 août 2002, Front National et institut de formation des élus locaux, req. n°249666.
Arrêt Ahmed c/ Royaume-Uni, 2 février 1998, §70. Confirmation et explication de ce qui avait été admis dans l’arrêt Vogt
c/ Allemagne précité.
197
198
199
200
201
40
Arrêt Ahmed précité, §§67 et 70.
Voir notamment arrêt Syndicat national de la police belge, 27 octobre 1975.
B. Duarté, op. cit., p. 324.
Arrêt Golder c/Royaume-Uni, 21 février 1975.
Décision Commission EDH du 18 mai 1976.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
des biens des deux partis ainsi que l’interdiction de participer aux élections, la sur le terrain
des articles un et trois du Protocole un. De la même façon, le juge européen a aussi reconnu
la possibilité d’appliquer l’article 10 afin de protéger la liberté des membres d’un parti de
202
distribuer des tracts . De la même façon, pour les activités courantes des partis politiques,
la liberté de manifester ses convictions politiques garantie par l’article 9 ou encore la liberté
de réunion de l’article 11 jouent aussi un rôle. En définitive, sans reconnaître de droits
spécifiques aux associations politiques, la Cour protège leurs activités au titre de l’article 11
mais aussi du reste de la Convention. D’autre part, la Cour reconnaît le droit aux individus de
203
s’affilier ou d’adhérer à un parti de son choix. . Ceci constitue une protection individuelle
vitale à l’exercice collective de la liberté d’association politique. Ceci est d’autant plus vrai
qu’un parti politique fonde sa légitimité non seulement sur son électorat mais aussi sur ses
adhérents qui permettent au parti de fonctionner. Les individus possèdent donc la liberté
de s’affilier à un parti politique qu’ils doivent pouvoir choisir, tout comme ils ont aussi le
droit de n’adhérer à aucun parti. C’est-ce que la Cour désigne comme la liberté “ négative ”
d’association.
Enfin, au sens du droit français, les associations bénéficient d’une garantie d’existence
contenue dans le régime applicable à leur dissolution. Celle-ci ne peut intervenir que
postérieurement à la création et ne peut être prononcée que par le juge civil. Une telle
mesure n’intervient que si l’association “ est fondée sur une cause ou en vue d’un objet
illicite contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à
204
l’intégrité du territoire nationale et à la forme républicaine du gouvernement ” . Pour la
Cour EDH, la dissolution d’un parti politique doit être soumise à un contrôle restreint. Elle
est sujette aux conditions de l’article 11, et notamment aux conditions de son paragraphe 2.
Par exemple, l’interdiction faite par la Cour Constitutionnelle turque aux dirigeants du Parti
communiste unifié dissous de fonder un nouveau parti constitue ingérence dans la liberté
205
d’association des requérants au sens du paragraphe 2 . Confirmant sa jurisprudence
206
antérieure , le juge européen utilise la méthode de l’effet utile pour rejeter clairement
l’argument évoqué alors par le gouvernement turc, selon lequel l’article 11§1 n’empêcherait
pas la dissolution a posteriori d’un parti politique. En effet, “ le droit consacré par l’article
11 se révèlerait éminemment théorique et illusoire s’il ne couvrait que la fondation d’une
association, les autorités nationales pouvant aussitôt mettre fin à son existence sans avoir à
207
se conformer à la Convention ” . L’objectif de cette démarche consiste à assurer l’effectivité
de la protection de l’article 11 en particulier, et de la protection européenne des droits
fondamentaux en général. En effet, l’idée d’effectivité des droits et libertés garantis par la
Convention est une préoccupation dominante du juge européen, ce qui s’inscrit d’ailleurs
208
dans une démarche novatrice . Le dynamisme interprétatif dont fait preuve la Cour a
209
permis la reconnaissance d’“ éléments nécessairement inhérents ” aux droits proclamés ,
comme par exemple le droit d’accès à un tribunal déduit du droit à un procès équitable de
202
203
204
205
206
207
208
209
Arrêt Incal précité.
Arrêt Ahmed précité, §70.
Loi 1er juillet 1901, art.3. Voir à ce propos Jacques Fialaire et Éric Mondelli, op. cit., pp.531-532.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §36 et Parti socialiste, §30.
Voir arrêt Le Compte, Van Leuven et de Meyer, §65 ; et arrêt Sidiropoulos, 10 juillet 1998, §40.
Arrêt Parti communiste unifié précité, §33.
F. Sudre, La Convention EDH, op. cit., p.31.
Arrêt Airey, 9 octobre 1979.
METIER Clémentine_2007
41
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
210
l’article 6 . Le juge assure ainsi le développement des droits garantis. La protection de
l’article 11 vaut donc “ pour toute la durée de vie des association, y compris leur dissolution
211
par les autorités d’un pays ” . Par cette formule, le juge garantit aux partis politiques le
droit de ne pas être dissous arbitrairement.
Section deux : Une certaine bienveillance vis-à-vis des associations
politiques.
§1 Le cas particulier des partis politiques plaidant en faveur des minorités
nationales.
Nous l’avons abordé, les partis politiques participent directement au maintien du pluralisme,
de la tolérance et de l’esprit d’ouverture “ sans lesquels il n’est pas de société
212
démocratique ” . Considérant que leur présence vitale pour la démocratie justifie une
conception extensive de la liberté d’association politique, la Cour estime que même “ les
adversaires des idées et positions officielles doivent pouvoir trouver leur place dans l’arène
213
politique ” . Par exemple, le programme Parti communiste unifié de Turquie, tout comme
les discours du Président du Parti socialiste, avaient comme but clairement avoué de
214
critiquer l’action des dirigeants turcs face au problème kurde . Or la Cour estime que
cet objectif était sans conséquences et que “ les limites de la critique admissibles sont
plus larges à l’égard d’un gouvernement que d’un simple particulier ou même d’un homme
215
politique ” . La liberté de contestation est donc plus étendue si elle vise le pouvoir politique,
et non la police ou le pouvoir judiciaire. A ce titre, les partis jouent en quelque sorte le
216
rôle d’“ avant-garde de la liberté d’opinion politique ” . Dans une société démocratique
fondée sur les principes de l’Etat de droit, les idées politiques qui contestent l’ordre établi
sans remettre en cause les fondements de la démocratie elle-même et dont la réalisation
est recherchée par le biais de moyens pacifiques doivent se voir conférer une opportunité
adéquate d’être exprimées, notamment via la participation au processus politique. La
proposition et le débat de programmes politiques divers, tant qu’ils ne portent pas atteinte
à la démocratie elle-même, participent de l’essence de la démocratie. C’est la raison pour
laquelle la Cour avait estimé que les revendications du Parti communiste unifié étaient
légitimes, dans la mesure ou il proposait une réponse pacifique, démocratique et équitable
à la question kurde. Une formation politique ne saurait être inquiétée “ pour le seul fait de
vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un Etat ” et trouver une
217
solution dans le respect des règles démocratiques .Une des conséquences du pluralisme
210
211
212
213
Arrêt Golder précité.
Arrêt Parti communiste unifié précité, §33.
Arrêt Handyside c/ Royaume-Uni précité, §49.
Rapport de la Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), et autres précité, §83 ; et rapport Parti socialiste,
D. Pirincek et I. Kirit c/ Turquie, requête n°21237193. Voir aussi l’arrêt Piermont précité, §76.
214
215
216
B. Duarté, op. cit., p.339.
Arrêt Incal précité, §54, qui reprend l’arrêt Castells précité, §46.
J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne des Droits de l’homme. Le droit constitutionnel national devant la
Cour européenne des Droits de l’homme (actualité jurisprudentielle 1997-1998-1999-2000) ”, RFDC, n°44, 2000, p.399.
217
42
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Arrêt Parti socialiste précité, §45.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
est justement de permettre aux partis d’exprimer leur point de vue sur les problèmes
minoritaires d’un Etat. Comme l’a souligné l’arrêt Yazar, Karatas, Akoy et Parti du travail
du peuple (HEP) c/ Turquie précité, les formations politiques doivent pouvoir introduire
dans le débat public des questions en contradiction avec lignes directrices de la politique
gouvernementale ou les convictions majoritaires dans l’opinion publique. Précisément, la
présence des partis politiques divers permet l’expression de toutes les opinions et idées.
Cela garantit le maintien du pluralisme et contribue à la recherche de solutions à des
questions générales qui concernent l’ensemble des acteurs de la société démocratique. A
ce titre, les partis politiques endossent une fonction de “ contrôle attentif ” des actions ou
des omissions du gouvernement qu’ils partagent avec les “ pouvoirs législatif et judiciaire,
218
la presse et l’opinion publique ” . En l’occurrence, le Parti communiste unifié appelait la
population kurde à se regrouper et à faire valoir certaines revendications politiques mais
sans aucune incitation à la violence ou au non respect de la démocratie. Alors que le
gouvernement reprochait au parti l’usage d’expressions telle que “ identité nationale kurde ”
ou “ nation kurde ” et la revendication d’une reconnaissance constitutionnelle, la Cour
européenne a conclu que cette démarche s’inscrivait légitimement dans le cadre de la liberté
219
d’expression reconnue aux partis politiques .
La Cour se montre relativement bienveillante vis-à-vis des partis politiques qui
soutiennent les minorités nationales. Elle va même jusqu’à affirmer que les formations
politiques possèdent le droit de contester leur Etat, tant qu’ils ne remettent pas en cause
les fondements de la démocratie.
§2 Le droit de contester Etat
Ni la Convention, ni la Commission, ni la Cour n’imposent de devoir de “ fidélité
constitutionnelle ”, c’est-à-dire qu’un parti peut légitimement remettre en cause la structure
de l’État, à condition que son programme idéologique ne soit pas fondamentalement
220
négateur des valeurs de la démocratie . Une formation politique ne saurait donc être
condamnée “ pour le seul fait de vouloir débattre publiquement du sort d’une partie de la
population d’un État et de se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver, dans le
respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire tous les acteurs
221
concernés ” . En réalité, la Cour s’est trouvée confrontée à cet argumentaire de la part
du gouvernement turc dans de nombreuses affaires de dissolution de partis politiques
qui concernait des organisations sanctionnées pour avoir voulu favoriser le séparatisme,
ou au moins pour avoir défendu une minorité nationale. A plusieurs reprises, le juge
222
européen a dû juger de l’attitude de la Turquie face à la question kurde . Dans le
système constitutionnel turc, la nation est instituée comme une entité unique et indivisible,
transcendant les appartenances culturelles des individus qui la composent. Par conséquent,
la reconnaissance de l’existence d’un “ peuple ” kurde revient à remettre en cause les
223
fondements même de Etat, ce qui est contraire à la Constitution . Comme le souligne
218
219
220
221
222
Arrêt Yazar, §59. Voir aussi arrêt Castells précité, §46.
Parti communiste unifié de Turquie précité, §21.
J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.876.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57. Repris par l’arrêt Parti socialiste précité, §45.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie; Parti socialiste et autres; Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP);
Yazar et autres ; Dicle pour le parti de la démocratie (DEP); et Parti socialiste de Turquie (STP).
223
Parti communiste unifié de Turquie précité, §21.
METIER Clémentine_2007
43
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Julie Ringelheim, cette position s’inspire du modèle français. En France, les principes
constitutionnels d’égalité des citoyens et d’indivisibilité de la République s’opposent à la
224
reconnaissance de l’existence de minorités ethniques, religieuses ou linguistiques . En
ce sens, le Conseil Constitutionnel affirme que mentionner dans une loi “ le peuple corse,
composante du peuple français ” est inconstitutionnel dans la mesure ou la Constitution
225
proclame l’unicité du peuple français “ sans distinction d’origine, de race ou de religion ” .
Cependant, la démarche française se distingue de celle du gouvernement turc en cela que
la Constitution française n’interdit pas aux individus, associations ou partis politiques de
qualifier un groupe de peuple ou de minorité, ni même d’agir en faveur de la reconnaissance
de ses droits. D’ailleurs, s’il refuse la référence au “ peuple corse ”, le Conseil Constitutionnel
226
accepte toutefois le statut d’autonomie renforcée prévue par la loi pour la Corse . Au
contraire, en Turquie, le seul fait pour un parti politique de soutenir l’existence d’une minorité
est contraire à l’ordre constitutionnel. Selon les termes de la loi turque n°2820, relative aux
partis politiques, il est interdit d’affirmer “ l’existence, sur le territoire de la République de
Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse,
à l’appartenance à une secte, à la race ou à la langue ”. De plus, il est défendu de viser
“ la destruction de l’intégrité de la nation en se proposant de [créer des minorités] sur le
227
territoire de la République de Turquie ” .
Mais un tel argumentaire s’oppose clairement à la CEDH et à la position défendue
par la Cour européenne. En effet, la démocratie, valeur centrale de la Convention suppose
que puissent être proposés et discutés des projets politiques divers, “ même quand ils
228
dérangent ”, pourvu qu’ils ne portent pas atteinte à la démocratie elle-même . “ Une
association, fut-ce un parti politique, ne se trouve pas soustraite à l’empire de la Convention
par cela seul que ses activités passent aux des autorités nationales pour porter atteinte
229
aux structures constitutionnelles d’un État et appeler des mesures restrictives ” . La Cour
rejoint en ce sens la vision de la démocratie par Voltaire : “ je détestes vos idées mais je
donnerai ma vie pour que vous puissiez les exprimer ”. En l’espèce, le Parti socialiste avait
été dissout pour avoir proposé une fédération kurdo-turque, fondée sur une union entre les
deux peuples afin de mettre fin à l’oppression et à la discrimination. Ce projet allait plus
loin que celui du Parti communiste unifié de Turquie avant lui dans la mesure où l’égalité
totale entre turcs et kurdes, intégrés à un système fédéral, était clairement revendiquée.
Selon la Cour constitutionnelle d’Ankara, cet objectif remettait en cause l’unité de la Nation
turque et l’intégrité de Etat Mais pour le juge européen, une telle fédération constituait un
projet respectable dans une démocratie, notamment dans la mesure ou la forme de Etat
est un choix d’une majorité qui peut devenir minoritaire à tout moment. En effet, comme l’a
rappelé l’arrêt Young, James et Webster du 13 août 1981, “ la démocratie ne se ramène pas
à la suprématie constante d’une majorité ”. Aussi, les autorités nationales ont pour tâche
230
d’“ assurer aux minorités un juste traitement ” . En ce sens, la liberté d’association se
224
225
226
J. Ringelheim, Diversité culturelle et Droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention EDH, p.367
Décision du 9 mai 1991 à propos de la Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, §13.
J. Ringelheim, Diversité culturelle et Droits de l’homme. La protection des minorités par la Convention européenne des Droits de
l’homme, Bruylant, collection du Centre des Droits de l’home de l’université catholique de Louvain, Bruxelles : 2006, p.368.
227
Loi n°2820 sur les partis politiques précitée. Voir A. Bockel, op. cit., pp.921-922.
228
229
230
44
Arrêt Parti socialiste précité, §45.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27.
Arrêt Young, James et Webster précité, §63. Repris par l’arrêt Dudgeon c/Royaume-Uni, 22 octobre 1981, §59.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
231
comprend comme une garantie contre la tyrannie de la majorité . Or, le rôle des partis
est justement de représenter aussi les courants d’opinion minoritaires. Le juge européen
reprend en droit la position retenue à ce propos par l’Assemblée parlementaire du Conseil
de l’Europe dans ses résolutions critiquant le gouvernement turc à l’égard des mouvements
232
d’opposition . Dans le cas du Parti socialiste, son programme mentionnait le “ droit à
l’autodétermination de la nation kurde ” et son “ droit de se séparer ”, mais pour autant, le
juge européen considère qu’il n’encourageait pas directement la séparation. Le but était,
semble-t-il, simplement de souligner que la fédération turco-kurde “ ne pourrait exister sans
233
libre consentement des kurdes, lequel devrait s’exprimer par la voie d’un référendum ” .
Le projet ne constituait donc pas une incitation à la violence et à l’inverse, il s’appuyait
sur la liberté d’expression, la représentation et l’égalité. Si ce projet “ peut passer pour
incompatible avec les principes et structures actuels de l’État turc ”, il ne s’oppose en rien
234
aux règles démocratiques . Le programme du Parti socialiste s’inscrivait parfaitement dans
235
la perspective d’un “ dialogue (…) sans recours à la violence ” .
Mais la Cour pousse son raisonnement plus loin : la contestation voire même la
destruction des structures étatiques existantes constituent, selon elle, des objectifs louables
pour les formations politiques. Comme elle l’avait déjà énoncé dans l’arrêt Parti communiste
unifié de Turquie, tant que “ l’organisation institutionnelle et politique des Etats membres ”
respecte “ les droits et principes inscrits dans la Convention ”, “ il importe peu à cet égard que
236
se trouvent en cause des dispositions constitutionnelles (…) ou simplement législatives ” .
En ce sens, la réalisation du projet du Parti socialiste aurait aboutit à la remise en cause du
mode d’organisation actuelle de l’Etat, mais tout régime politique doit pouvoir être critiqué
au nom du pluralisme, d’autant qu’il n’existe pas d’uniformité sur le type de régime dans les
différents droits constitutionnels européens. En vertu de l’article 11, un parti politique devrait
pouvoir proposer un retour à la monarchie et une révision constitutionnelle en ce sens,
237
bien que le droit français par exemple l’interdise . Pour la Cour EDH, un parti politique
ne peut être sanctionné du seul fait qu’il propage certaines idées susceptibles de modifier
l’organisation constitutionnelle du pays. Au paragraphe 47 de l’ arrêt Parti socialiste précité,
le juge européen reconnaît directement aux partis le droit de remettre en cause le “ mode
actuel d’organisation d’un État ” en proposant, comme en l’espèce, la substitution d’un État
fédéral à un État unitaire, sans atteinte à l’intégrité territoriale, et donc implicitement aux buts
légitimes définis à l’article 11 §2, sous réserve de ne pas “ porter atteinte à la démocratie ellemême ”. Mais surtout, la Cour reconnaît indirectement sinon un droit à l’autodétermination,
qui causerait la sécession et donc violerait le principe d’intégrité territoriale, du moins celui
de la détermination de son sort par une minorité à l’issue d’un processus politique négocié
231
232
A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Gallimard, Paris : 1961, p.291. Cité par B. Duarté, op. cit., p.340.
Notamment résolution 985 (1992) relative aux Droits de l’homme; résolution 1030 (1994) sur la détention de six membres
de la Grande Assemblée nationale turque les 2 et 3 mars 1994; résolution 1041 (1994) sur les conséquences de la dissolution du
Parti de la démocratie (DEP) adoptée le 30 juin 1994. Voir B. Duarté, op. cit., p.341.
233
Arrêt Parti socialiste précité, §47, reprenant l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §56. Voir F. Benoît-Rohmer,
“ La Cour EDH et la défense des minorités nationales ”, RTDH, n°51/2002, p.569. Voir aussi S. Wohlfahrt, in E. Decaux et P. Tavernier
(dir.) Chronique de jurisprudence de la Cour EDH (année 1998), J.D.I.1, 1999, p.215.
234
235
236
237
Arrêt Parti socialiste précité, §47.
Ibid, §45.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §30.
Néanmoins, cette interdiction pourrait être contournée puisqu’il n’existe pas de sanction. Voir P. Pactet et al., op. cit., p.551.
METIER Clémentine_2007
45
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
238
“ par la voie du référendum ” . Par conséquent, un parti peut promouvoir un programme
autonomiste et même séparatiste, puisqu’une telle revendication participe de l’essence de
239
la démocratie . Si la Cour autorisait la sanction des partis politiques pour avoir remis
en cause l’organisation de l’État, cela reviendrait à accepter le délit d’opinion. Le respect
du droit relève de la responsabilité morale des individus : ceux-ci peuvent décider euxmêmes de ce qui est bien ou mal, peuvent s’exprimer à ce sujet et peuvent se réunir
avec des personnes de même opinion. Une communauté qui ne permet plus l’expression
d’opinion choquantes, inquiétantes ou blessantes, ou la formation d’association qui refusent
240
les principes démocratiques nie la responsabilité morale des citoyens . La Cour émet
toutefois une réserve liée à l’éventualité d’un danger tangible pour l’ordre existant. La “ ligne
rouge ” qu’aucun individu ou groupement ne peut et ne doit pas franchir reste celle du
241
terrorisme . Au yeux de la Cour, l’usage de moyens pacifiques est donc central pour fonder
la légitimité d’une action politique.
Par la suite, la jurisprudence de la Cour reprendra la même démarche, confirmant que
des prises de positions incompatibles avec les principes et structures constitutionnelles d‘un
pays ne peuvent justifier de la dissolution d’un parti tant que celui-ci n’appelle pas à la
violence, ni au soulèvement, ni à toute autre forme de rejet des principes démocratiques.
Rappelant les principes élémentaires de la démocratie, l’arrêt Parti de la liberté et de la
démocratie rappelle que l’incompatibilité d’un projet politique avec la structure actuelle
de l’État turc n’est pas contraire à la Convention. La Cour n’a cessé de répéter que la
démocratie suppose “ la proposition et la discussion de projets politiques divers, même
ceux qui remettent en cause le mode d’organisation d’un État, pourvu qu’ils en visent
242
pas à porter atteinte à la démocratie ” . Dans cette affaire, ce parti défendait un projet
similaire à celui du Parti socialiste. Son objectif principal consistait en la mise en place
243
d’“ un ordre social englobant les peuples kurdes et turcs ” . Pour ce faire, le parti militait
244
“ pour l’unification volontaire des peuples turcs et kurdes ” . Or, ce projet s’appuyait sur
le libre consentement des Kurdes et ne faisait ni appel au terrorisme, comme l’annonçait
pourtant le gouvernement turc, ni à la violence, mais au contraire, s’inscrivait dans le
contexte démocratique. Alors que la Cour Constitutionnelle d’Ankara avait jugé que le parti
souhaitait mettre fin à l’unité nationale en poussant les kurdes à l’autodétermination, y
compris en soutenant les mouvements terroristes, le juge européen avait insisté sur le fait
que l’ÖZDEP était constitué comme un parti démocratique à la recherche d’une solution
pacifique. Par conséquent, un tel projet politique ne pouvait être sanctionné par les autorités
nationales. De la même façon, l’arrêt Yazar Karatas et Aksoy, au nom du Parti du peuple
démocratique c/ Turquie (9 avril 2002) corrobore cette jurisprudence, dans la mesure ou les
revendications défendues par ce parti, à savoir l’autodétermination et la reconnaissance de
droits linguistiques aux kurdes, n’étaient pas contraires aux principes fondamentaux de la
245
démocratie et de la Convention . Enfin, dans l’affaire Organisation macédonienne unie,
238
239
240
241
242
243
244
245
46
Arrêt Parti socialiste précité, §47.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §47.
S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit. p.1028.
J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.877
Arrêt Parti socialiste précité, §47. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §41.
Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §§8 et 41.
Ibid, §§8 et 41.
Arrêt Yazar et autres précité, §57.
METIER Clémentine_2007
PARTIE I : L’APPLICABILITE DE LA CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME AUX
PARTIS POLITIQUES
Pirin et autres c/ Bulgarie la Cour a encore confirmé que le seul fait pour un parti d’appeler
à l’autonomie, voire même de revendiquer la sécession d’une partie du territoire national,
ne constitue pas un motif suffisant en soi pour justifier sa dissolution au nom de la sécurité
246
nationale .
La Cour fait preuve d’une certaine bienveillance vis-à-vis des partis politiques, même
non-démocratiques, dès lors que ceux-ci restent dans le cadre du débat pluraliste et qu’ils
247
refusent la violence . Aussi, le respect des règles démocratiques est un critère important
pour déterminer la légitimité de l’action d’un parti. Si l’article 11, paragraphe 2, détermine
les conditions dans lesquelles la liberté d’association peut être contrôlée voire limitée par
les autorités publiques nationales, c’est la jurisprudence de la Cour qui leur donne forme,
délimitant ainsi les frontières de la liberté d’association des partis politiques.
246
247
Arrêt Organisation macédonienne unie, Pirin et autres c/ Bulgarie (Ière section), 20 octobre 2005, §61.
R. Blet, in P. Lambert (dir.), op. cit.,p.34.
METIER Clémentine_2007
47
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
PARTIE II : LES MODALITES DE LA
PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES
AU SENS DE L’ARTICLE 11 DE LA
CONVENTION
Si la Cour EDH admet l’applicabilité de l’article 11 de la Convention aux partis politiques,
leur liberté n’est pas pour autant sans bornes. La jurisprudence de la Cour a précisé les
limites dans lesquelles les partis peuvent mener des activités bénéficiant de la protection
de la Convention (titre premier). Par ailleurs, la Cour définit les modalités d’une éventuelle
ingérence de l’Etat dans les activités des partis au regard des exigences du paragraphe
2 de l’article 11, n’accordant aux gouvernements qu’une marge d’appréciation réduite
pour décider de potentielles restrictions au droit à la liberté d’association politique (titre
deuxième).
Titre premier : Les conditions imposées aux partis
dans l’exercice de leur liberté d’association.
Chapitre I / Principe démocratique et respect de la légalité.
Une importante part des affaires relatives aux partis politiques portées devant la Cour
concernait des partis turcs défendant la minorité kurde. La Cour a appliqué chaque
fois le même raisonnement : la protection de la CEDH vaut uniquement pour les
acteurs respectueux de la démocratie. Partant, la bienveillance de la Cour pour les
formations politiques prend fin lorsque leurs propos et leurs activités se heurtent aux règles
démocratiques. Jusqu’en 2001, les partis politiques semblaient jouir d’une “ présomption de
248
bonne foi ” . En effet, un poids décisif était accordé par la Cour aux objectifs statutaires
des partis, ce qui soustrayait a priori au jeu de l’article 17. Cette jurisprudence paraissait
d’ailleurs être un excellent argument pour les partis représentatifs d’une minorité. Mais
l’introduction de la requête du Refah Partisi le 22 mai 1998 devant la Commission EDH a
249
introduit une nouvelle donne dans la jurisprudence de la Cour européenne .
En l’affaire Refah Partisi, contrairement aux affaires antérieures, la Cour prend
clairement position sur la situation des partis antidémocratiques en définissant des limites
claires à l’intérieur desquelles les formations politiques doivent mener leurs actions pour
pouvoir revendiquer la protection de la CEDH. Après avoir étudié sa jurisprudence établie,
248
249
48
J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention EDH ”, op. cit., p.877.
Ibid, p.878.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
la Cour propose deux conditions à la liberté des propos et des activités des partis politiques.
Ainsi, “ un parti peut mener campagne en faveur d’un changement de la législation ou des
structures légales ou constitutionnelles d’un Etat à deux conditions :
(1) les moyens utilisés à cet effet doivent être à tous points de vue légaux et
démocratiques;
(2) le changement proposé doit lui-même être compatible avec les principes
250
démocratiques fondamentaux. ” .
Section 1 : L’utilisation par le parti de “ moyens légaux et démocratiques ”.
§1 Principe démocratique et respect de la légalité.
Vu la récurrence de la notion de société démocratique dans la jurisprudence de la Cour
européenne, on pourrait penser que le devoir de respecter la démocratie imposé aux partis
251
politiques va dans le sens de la reconnaissance d’un “ droit de l’homme à la démocratie ” .
Dans les affaires relatives aux partis politiques, la Cour n’a eu de cesse de répéter que la
société démocratique est une valeur centrale du système conventionnel, et que les partis
252
politiques sont essentiels à son bon fonctionnement . En outre, elle ajoute qu’en vertu
des articles 10 et 11 de la CEDH, les formations politiques possèdent le droit de critiquer
253
l’Etat, tant qu’ils le font sans “ porter atteinte à la démocratie elle-même ” . Les arrêts
Refah Partisi rappellent l’instansigeance du juge européen à ce sujet : toute proposition
de changement, que ce soit au niveau de la forme ou du fond, doit se faire dans ce
cadre. L’interprétation de la Cour va donc dans le sens de la volonté des rédacteurs de la
Convention d’” assurer aux Etats membres du Conseil de l’Europe un régime démocratique,
254
et qui demeure démocratique ” . Par exemple, la défense d’un système multi juridique
qui établirait une distinction entre particuliers, catégorisés en fonction de leur appartenance
255
religieuse, s’oppose à certains principes fondateurs du système démocratique . Un tel
projet, envisagé par le Refah Partisi, contredirait notamment le principe de l’Etat de droit
et celui de non discrimination des individus dans la jouissance des libertés publiques. Par
conséquent, ce parti n’apparaissait pas comme légitime au sens de la Convention.
Le second critère élaboré par le juge européen dans la jurisprudence Refah Partisi est
celui de la légalité. Si cette condition paraît relativement claire, la Cour précise néanmoins
qu’“ il n’est pas nécessaire de rechercher un risque actuel de violence ou un lien de causalité
256
avec un acte de violence qui en fût directement inspiré ” . En ce sens, les arrêts Parti
communiste unifié de Turquie et Parti socialiste de 1998 débutent sur un constat : les
décisions litigieuses de la Cour constitutionnelle turque reposaient sur une qualification des
faits et une lecture du droit interne incompatibles avec article 11 de la CEDH, qui garantit
250
251
252
253
254
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, § 46. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98.
O. Jacot-Guillarmod, Démocratie et Droits de l’homme, pp.70-71. Citée par B. Duarté, op. cit., p.346.
Voir supra, pp.34-35.
Arrêt Parti socialiste précité, §47.
M. Ungoed-Thomas, propos tenus lors de la 18ème séance de la 1ère session de l’assemblée consultative. Recueil des travaux
préparatoires, vol.II, éd. Martinus Nijhoff, La Haye : 1975, p.60. Cité par B. Duarté, op. cit., p.346.
255
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §70.
256
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie, §49.
METIER Clémentine_2007
49
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
257
aux partis le droit de participer au débat public, et même de critiquer leur Etat . En effet,
258
aucun de ces deux partis n’avaient l’intention d’utiliser la violence comme moyen politique .
Dans le cas du parti socialiste, il n’existait “ rien qui (…) puisse passer pour un appel à la
259
violence ” . Bien qu’ils contestaient l’organisation constitutionnelle en vigueur en Turquie,
le Parti communiste unifié comme le Parti socialiste se montraient respectueux de la légalité,
et devaient pouvoir, à ce titre, jouir pleinement de leur liberté d’association. Lors des affaires
Refah Partisi, à l’occasion de l’étude de la légitimité des revendications du parti incriminé, la
Chambre puis la Grande Chambre ont insisté sur le fait que les formations politiques doivent
260
impérativement utiliser des “ moyens légaux ” pour parvenir à leurs fins . Il s’ensuit qu’un
parti, comme le Parti de la prospérité, dont le programme prévoit la domination totale de la
religion musulmane non seulement sur les autres religions, mais aussi sur l’ensemble de la
société, ne peut exciper de la protection de la Convention.
§2 La mise en œuvre du double critère dans la jurisprudence de la Cour
européenne.
L’application du double critère de respect des règles démocratiques et de la légalité pose
des questions importantes, et notamment celle de savoir dans quelle proportion ils doivent
être utilisés. Le juge semble vouloir signaler son intransigeance en répondant que ces
261
critères valent “ à tous points de vue ” . Toutefois, ceci pourrait être compris comme
une interprétation limitative de la liberté d’association des partis politiques. En effet, la
formulation de ces deux conditions semble induire que la protection de la Convention se
limite à des situations dans lesquelles le parti a respecté le texte européen en tous points.
Dès lors, toute action visant à changer les droits et libertés reconnus par la Convention
262
ferait perdre au parti sa protection ipso facto . C’est d’ailleurs ce que souligne l’opinion
concordante des juges Ress et Rozakis en indiquant que la lecture de l’arrêt de 2003 ignore
263
le principe de proportionnalité . Les exigences sont donc sévères, sans pour autant que
le juge n’établisse de liste claire des principes démocratiques fondamentaux qu’il invoque.
Quoi qu’il en soit, l’affaire Refah Partisi donne une “ magistrale leçon sur les droits
et libertés susceptibles d’être revendiqués au titre de la CEDH par un parti politique
264
religieux fondamentaliste ” . Depuis les arrêts de 2001 et 2003, le juge européen
265
utilise systématiquement cette jurisprudence dans les affaires liées aux partis politiques .
Adoptant cette démarche pour juger de la légitimité de la dissolution du Parti de la
démocratie et de l’évolution (DDP), la Cour fait expressément référence aux critères
257
258
259
260
261
262
263
B. Duarté, op. cit., p.338. Voir aussi supra, pp.50 à 55.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57.
Arrêt Parti socialiste précité, §46.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, § 46. Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §47.
J-F. Flauss, Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003), AJDA, n°12/2003, p. 610.
Opinion concordante des juges Ress et Rozakis, arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité.
264
265
J-F. Flauss, Actualité de la Cour EDH, AJDA, n°12/2001, p.1068
Voir notamment arrêts précités Dicle pour le parti de la démocratie (DEP) précité, §46 ; et Parti socialiste (STP), §38. Voir
aussi arrêt Emek Partisi et Şenol c/ Turquie, 31 mai 2005, §25 ; et arrêt Demokratik Kitle Partisi (DKP) et Elçi c/ Turquie, 3 mai 2007, §29.
50
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
266
élaborés dans les affaires Refah Partisi . Eu égard aux objectifs du DDP, la Cour
constitutionnelle turque reprochait au parti de viser la division en deux de la nation turque,
séparant turcs et kurdes, et donc de porter atteinte à l’intégrité territoriale du territoire
national. Mais rejetant cet argument, la Cour EDH a souligné que les objectifs du parti
en cause ne portaient pas atteinte, en tant que tels, aux principes fondamentaux de la
démocratie et que le projet politique du DDP n’était donc pas “ de nature à compromettre
267
le régime démocratique dans le pays ” . D’autre part, son programme n’envisageait pas
le recours à la force comme moyen politique, et à ce titre, s’inscrivait dans le cadre de la
268
légalité . De la même façon, pour ce qui est de la question de savoir si le Demokratik Kitle
Partisi (DKP) poursuivait ou non des buts contraires aux principes de la Convention, “ la Cour
constate que les parties litigieuses du programme du DKP comportent une analyse de la
question kurde en Turquie et une critique de la manière dont le gouvernement lutte contre les
269
activités séparatistes ” . Toutefois, contrairement à l’analyse du juge constitutionnel turc, le
juge européen admet cette possibilité, estimant qu’elle ne constituait pas en soi un objectif
contraire au principes fondamentaux de la démocratie. Par ailleurs, la Cour EDH estime que
le programme du DKP ne constituait pas “ une invitation ou d'une justification de recours
à la force à des fins politiques ” et qu‘en conséquence, le parti bénéficiait légitimement de
270
la protection de la Convention .
Section 2 : La compatibilité du projet lui-même aux règles démocratiques.
§1 Le critère du non recours à la violence.
Alors que la décision Refah Partisi n’expose pas ce qu il en serait par exemple d’un parti
dont les membres participeraient individuellement à des manifestations interdites ou un
271
particulier qui inciterait à la désobéissance civile , la Cour interprète la Convention à la
lumière de l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui
inclut la résistance à l’oppression dans les droits naturels et imprescriptibles de l‘homme
272
” . Comme le rappelle Jean-Yves Dupeux, l’histoire a prouvé que les actes illégaux ont
souvent permis des avancées majeurs en terme de droit, par exemple dans le cas du droit de
273
grève ou des droits des femmes . La désobéissance civile ne semble pourtant pas entrer
dans le cadre du critère général, mais la Cour paraît penser que seuls des délits violents
graves doivent être sanctionnés. Le juge européen avait déjà laissé entendre que plutôt que
le principe de légalité stricto sensu, il privilégie le critère de la non violence pour statuer sur
la légitimité d’une restriction à la liberté d’association. Ainsi, l’arrêt Incal précité affirmait que
la condamnation pour “ incitation à créer des comités de résistance ” n’était pas considérée
266
267
268
269
270
271
272
273
Arrêt Parti de la Démocratie et de l’évolution et autres c/ Turquie, 26 avril 2005, §22.
Ibid., §26. Voir aussi arrêt Demokratik Kitle Partisi et Elçi précité, §33.
Arrêt Parti de la Démocratie et de l’évolution et autres précité, §24.
Arrêt Demokratik Kitle Partisi et Elçi précité, §30.
Ibid, §33.
S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1019.
http://www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm (consulté le jeudi 28 juin 2007).
J-Y. Dupeux, op. cit., p.86.
METIER Clémentine_2007
51
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
274
comme “ nécessaire ” à la sauvegarde de l’ordre public dans une société démocratique .
D’ailleurs, nous avons évoqué précédemment la possibilité pour une formation politique
de remettre en cause l’organisation de État, dans le respect du pluralisme et de la non
275
violence . En effet, dans l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, la Cour a admis que le
non recours à la violence rend légitime toute action politique, ce qu’elle a confirmé dans sa
276
jurisprudence postérieure . En l’espèce, le programme du parti s’opposait expressément à
l’emploi de la force pour tenter de résoudre le problème kurde, ce qui justifiait sa protection
277
par la Convention . Sur ce point, la position du président du Parti socialiste, M. Perinçek,
paraissait, elle, plus ambiguë. Il annonçait par exemple qu’ “ en se levant, le peuple kurde
a commencé à révéler le combat qu’il menait depuis des années ” et qu’il “ accomplira une
278
nouvelle révolution ” . Mais M. Perinçek prennait également fermement position en faveur
d’une solution pacifique à la question kurde : “ ni par les soldats, ni par les balles ”, et c’est-ce
279
que retient la Cour pour fonder sa décision . Il semble donc que le juge européen privilégie
le caractère pacifique de l’action politique sur le fond du but visé. Il en découle que des
partis politiques visant à propager la haine et tenant un discours violent ne sont pas protégés
par la Convention. Précisément, le Refah, parce-qu’il n’écartait pas la possibilité de recourir
à des moyens violents pour accomplir son projet, se heurtait à la CEDH, qui interdit aux
associations le recours à la force. Il en découle que les partis politiques ne saurait utiliser la
violence pour accéder au pouvoir et s’y maintenir. En l’occurrence, le Parti de la prospérité
n’écartait pas le recours à la Djihâd, laquelle se définit, au sens premier, comme “ la guerre
sainte et la lutte à mener jusqu’à la domination totale de la religion musulmane dans la
280
société ” . Sans interdire aux partis politiques de se fonder sur le discours religieux, la Cour
estime néanmoins que le Refah, “ dont les responsables incitent à recourir à la violence ”,
enfreint les conditions de légalité et de respect de la démocratie relatives aux moyens et
281
aux objectifs énoncées plus haut .
De plus, un régime théocratique est strictement incompatible avec la Convention. Dans
l’arrêt Refah de 2003, la Grande Chambre prend parti pour un Etat laïc, lequel se fonde
sur une communauté politique qui refuse d’organiser la société selon les principes religieux
et garantit véritablement le respect de la liberté de religion. D’ailleurs, c’est de ce constat
qu’était partie le raisonnement de la Chambre dans l’arrêt de 2001 : “ le principe de laïcité est
282
indispensable dans le maintien et la protection de la démocratie en Turquie ” . Or, parce
que la Charia reflète “ fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion ”,
elle présente un caractère stable et invariable en contradiction avec “ des principes tels que
le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques
274
275
276
277
278
I. Ozden Kaboglu, “ La liberté d’expression en Turquie ”, RTDH, n°38/1999, p.275.
Voir supra, pp.50 à 55.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §57.
Ibid, §56.
Déclaration du président du Parti socialiste, lors d’une réunion publique, le 16 octobre 1991 à Şirnak. Arrêt Parti socialiste précité,
§13 in fine.
279
280
281
Ibid, §13 in fine.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre, §130.
Voir supra, p.57.
282
52
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §64.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
283
” . Un tel système enfreint indubitablement le principe fondamental de non discrimination
des particuliers dans la jouissance de leurs libertés, et notamment leur liberté de religion.
§2 Le principe de non discrimination
La Cour exige que les partis politiques prennent en considération le principe de non
discrimination. Déjà, les arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste
reconnaissaient qu’un projet politique se fondant sur la représentation égalitaire et
démocratique des populations composant la Turquie était légitimement protégé par le
284
mécanisme conventionnel . Plus particulièrement, le cas du Refah Partisi rappelle que
le principe de non-discrimination doit être une préoccupation centrale des partis politiques
dans la définition de leurs objectifs. Or, le projet du Refah, et surtout deux de ses
revendications, enfreignaient cetterègle. Premièrement, la Cour a condamné sans appel
la volonté du Refah d’instaurer un système multi-juridique et de mettre en place la Charia
(ou Shari’a), lesquels conduisent à une discrimination basée sur les croyances religieuses.
Bien que la Cour n’ai pas été “ invitée à se prononcer dans l’abstrait sur les avantages et
285
les inconvénients d’un système multi-juridique ” , ni même sur la légitimité du pluralisme
juridique des statuts personnels, son arrêt de 2001 rappelle tout de même que “ la
prééminence du droit signifie que tous les êtres humains sont égaux devant la loi, en
286
droits comme en devoirs ” . L’arrêt de Grande Chambre, reprenant les conclusions du
paragraphe 70 de l’arrêt de Chambre, condamnait un tel dispositif, discriminatoire par
essence, qui “ introduisait dans l’ensemble des rapports de droit une distinction entre les
particuliers fondée sur la religion, les catégoriserait selon leur appartenance religieuse et
leur reconnaîtrait des droits et libertés non pas en tant qu’individus, mais en fonction de leur
287
appartenance à un mouvement religieux ” . Cet objectif “ enfreint [donc] indéniablement
le principe de non discrimination des individus dans leur jouissance des libertés publiques
288
” . Comme le système multi-juridique, le régime de la Charia (ou Shar’ia) “ se démarque
nettement des valeurs de la Convention ”, notamment par “ ses règles de droit pénal et de
289
procédure pénale ” . Le problème fondamental que posait à la Cour ce programme réside
dans l’unité de pensée qu’il impose à travers “ des règles statiques de droit imposées par la
290
religion concernée ” . Dans un Etat régit pas la Charia, la loi islamique vaut pour tous, si
bien que la religion musulmane, même si elle ne s’impose pas en droit, régit en fait la société
et le quotidien des citoyens. Dès lors, seuls ceux qui adhèrent à cette religion peuvent jouir
de leurs droits et libertés. Ce régime représente l’antithèse de la démocratie, de la raison
et de la liberté humaine.
Par ailleurs, le régime de la Charia et le système multi-juridique induisent aussi une
discrimination entre les individus fondée sur le sexe. En effet, “ la place qu’il réserve aux
283
284
285
286
287
288
289
290
Ibid, §72.
Arrêt Parti socialiste précité, §47.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §127.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §43.
Ibid, §70.
Ibid, §69.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §123.
Ibid, §119.
METIER Clémentine_2007
53
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
291
292
femmes dans l’ordre juridique ” constitue une “ autre inconventionnalité majeure ” .
D’ailleurs, la Cour avait déjà montré sa vigilance en matière de différences de traitement
293
fondées sur le sexe, qui selon elle, ne se justifient que pour “ des raisons très fortes ” .
En instaurant le régime de la Charia, le Refah aurait imposé des “ règles permettant la
discrimination basée sur le sexe des intéressés ” comme “ la polygamie (ou) les privilèges
294
pour le sexe masculin dans le divorce et la succession ” . La position d’infériorité faite à la
femme dans un tel régime paraît “ difficilement compatible avec les principes fondamentaux
295
de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout ” . Par
conséquent, la Cour européenne se range au point de vue du juge constitutionnel turc. Le
modèle politique que proposait ce parti induisait la négation de principes démocratiques
fondamentaux, par l’éventualité d’un recours à des moyens violents comme moyen politique
296
et des objectifs impliquant une discrimination entre les individus .
Au-delà des références religieuses, dans le cas du Refah Partisi, le juge européen ne
pouvait que constater les “ antinomies irréductibles ” entre les conséquences de l’application
de la Charia, telle que le souhaitait le Refah Partisi, et les valeurs qui irriguent la Convention,
notamment concernant la place des femmes, le non recours à la force ou le principe
de singularité des règles pénales. Précisément, c’est du danger de la manipulation de la
Convention par des acteurs violents et anti-démocratiques que l’article 17 tente de prémunir
le système démocratique.
Chapitre II / L’article 17 et l’obligation de conciliation entre les
libertés.
Section 1 : “ Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ”
La société démocratique peut-elle tout admettre ? La loi de la majorité, définie par Thoreau
comme “ le plus un ”, peut-elle inclure le droit de mettre fin à la démocratie ? L’article 17 de
la Convention EDH et la Cour elle-même répondent clairement non
§1 Les termes de l’article 17.
L’article 17 répond à la difficile question des frontières de la démocratie et des libertés
qu’elle proclame. . La défense de la démocratie, notion chère à la Cour européenne,
passe aussi par le recours à l’article 17 qui postule que : “ nul ne doit être autorisé à se
prévaloir des dispositions de la Convention pour affaiblir ou détruire les idéaux et valeurs
d’une société démocratique ”. Cette disposition interdit tout État, groupement ou individu
d’accomplir un acte visant la destruction, ou ne serait-ce que la limitation, des droits et
libertés de la Convention. Elle place la démocratie dans un Etat de légitime défense contre
le danger totalitaire. En effet, le régime démocratique suppose le maintien du pluralisme
291
292
293
294
295
296
54
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §123.
M. Levinet, “ Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’Etat théocratique et la CEDH ”, op. cit., p.216.
Arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/ Royaume-Uni, 28 mai 1985, §78.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §128.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §71.
S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1015.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
des idées et des opinions, assuré notamment par la libre expression, ainsi que par la libre
297
association . Cela implique donc notamment un système relativement libéral vis-à-vis du
discours politique et de ses “ convoyeurs ”, les partis politiques.
Par conséquent, un État peut “ raisonnablement empêcher la réalisation d’un (…)
projet politique, incompatible avec les normes de la Convention, avant qu’il ne soit en mis
en pratique par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime
298
démocratique dans le pays ” . Dans le cadre de la participation politique, État est le garant
du pluralisme. Aussi, les convictions religieuses des dirigeants du Parti de la prospérité
ainsi que la volonté du parti d’organiser un système multi juridique basé sur la Charia
étaient jugés contraires à la neutralité et impartialité nécessaires à un État En effet, ce projet
politique aurait supprimé “ le rôle de l’État en tant que garant des droits et libertés individuels
” et “ organisateur impartial de l’exercice des diverses convictions et religions dans une
société démocratique ”, remplacé par les instances religieuses qui édicteraient les lois/
299
règles juridiques à sa place . C’est notamment sur ce fondement que la Cour européenne
a déclaré l’incompatibilité du projet proposé par le Refah Partisi avec le modèle de société
qui sous-tend la Convention.
Or, la propagation du discours raciste ou liberticide au nom de la liberté d’expression
a souvent été utilisée comme stratégie de communication des “ ennemis de la liberté ”. On
peut citer par exemple le leader nazi, Goebbels, qui ironisait sur le régime démocratique :
“ une des meilleures farces de la démocratie est d’avoir elle-même fourni à ses ennemis
mortels le moyen par lequel elle fut détruite ”. Mais la Cour européenne insiste sur le
fait que les expressions visant à propager la haine fondée sur l’intolérance ne bénéficient
pas de la protection de l’article 10, car ils sont les vecteurs du rejet des principes de la
démocratie. En effet, “ la tolérance et le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains
300
constituent le fondement d'une société démocratique et pluraliste ” . Par cette formule, le
juge européen vise aussi les partis qui prônent la violence, ont des discours de haine fondée
sur l’intolérance, notamment religieuse, et des projets anti-démocratiques. Le problème de
la récupération du droit par des organisations rejetant la démocratie a déjà été abordée
par la Cour EDH : l’affaire Jersibld c/ Danemark du 23 septembre 1994 par exemple, au
sujet de la diffusion télévisuelle de propos attentatoires à la dignité humaine, ou encore
l’affaire Lehideux et Isorni c/ France relative à la présentation pseudo-scientifique d’une
histoire falsifiée sous couvert d’une liberté. De la même façon, certains partis politiques
n’hésitent pas à manipuler l’opinion publique pour parvenir à leurs fins. En France, le
Président du Front National, Jean-Marie Le Pen, illustre cet technique quand il se réfère au
“ complot ” monté contre lui par la classe politique et les médias. Bien souvent, lorsqu’ils
sont condamnés pour des propos haineux, leurs auteurs se posent en victimes. Or, les
évolutions technologiques modernes favorisent la diffusion de masse à des destinataires qui
301
ne disposent pas toujours des “ antidotes culturels ” contre le racisme, la xénophobie ” .
Précisément, l’article 17 de la CEDH a été pensé par les rédacteurs comme un moyen
de préserver la démocratie et la Convention de l’instrumentalisation des droits et libertés
qu’elles reconnaissent par des acteurs antidémocratiques qui les mettent en danger ou
297
Voir supra, pp.40 à 43.
298
299
300
301
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §81.
M. Levinet, “ Droit constitutionnel et Convention EDH. L’incompatibilité entre l’Etat théocratique et la CEDH ”, op. cit., p. 211.
Arrêt Müslüm Gündüz c/ Turquie, 4 décembre 2003, §40. Voir aussi arrêt Müslüm Gündüz c/ Turquie (n°2), 12 juillet 2005.
P. de Fontbressin, in P. Lambert (dir.), op. cit., pp.17-19
METIER Clémentine_2007
55
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
visent leur destruction. Le juge européen utilise l’article 17 de deux façons : soit directement,
soit indirectement dans le cadre du contrôle de proportionnalité pour apprécier la nécessité
302
de l’ingérence étatique . Quoi qu’il en soit, l’article 17 prohibe l’abus de droit, et il ne
s’applique que si l’intéressé entend se prévaloir de la Convention pour justifier ou accomplir
303
des actes contraires aux droits et libertés que la Convention consacre , mais ne prive
les individus ni des droits intangible, ni du droit à la liberté et à la sûreté, ni des droits
304
inhérents au principe de la prééminence du droit . Cette disposition met en œuvre la
fameuse formule de St Just selon laquelle il n’est “ pas de liberté des ennemis de la liberté ”.
Le but de l’article 17 est bien d’” empêcher des esprits totalitaires d’abuser de la Convention
305
pour parvenir à leurs fins ” . Ainsi, aucune disposition de la Convention, et notamment
“ la liberté d’expression telle qu’elle est garantie par la Convention EDH, ne peut être
306
invoquée en contradiction avec l’article 17 ” . Le sujet est d’autant plus délicat pour une
cour supranationale comme la Cour EDH que l'organisation constitutionnelle et le traitement
des minorités relèvent avant tout de la compétence exclusive des États. Mais comme le
souligne Bertrand Favreau, l’intolérance inspirée du racisme et de la xénophobie ne peut
307
être légitimée par aucun droit, aucune liberté, aucun principe .
Il découle de cette disposition que les partis politiques ont l’obligation de ne pas
proposer un programme politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la
308
démocratie . Au regard de certaines exigences démocratiques, comme celle de l’utilisation
de moyens non violents pour la conquête et l’exercice du pouvoir, la dissolution d’une
formation politique est donc envisageable, voire nécessaire, et ce quelque soit sa popularité.
Pour les États, il s’agit de savoir comment un régime politique démocratique peut gérer
des partis politiques dont le programme et les activités entrent en conflit avec le principe
même de la démocratie, et dans quelle mesure les autorités publiques peuvent restreindre
leurs activités. Pour la Cour, il s’agit de contrôler les ingérences étatiques dans les droits et
libertés des partis politiques afin de mesurer si elles s’avèrent nécessaires dans une société
démocratique.
§2 Une utilisation rare dans le cadre de la jurisprudence relative aux partis
politiques.
Comme l’affirme Pierre Esplugas, “ l’étude de l’interdiction des partis politiques est a priori
309
surprenante dans le cadre d’une démocratie ” . Pourtant, la question de la légitimité des
acteurs antidémocratiques au sein de la société démocratique et des limites dans lesquelles
ils peuvent agir, voire même exister, se pose à toute démocratie. Notamment, le problème
de la remise en cause des institutions démocratiques par des partis politiques extrêmes
intervient de façon récurrente dans les démocraties européennes. En France, on s’était
interrogé à l’issue des élections régionales de mars 1998, après que le président de la
302
303
304
305
306
307
308
309
56
Arrêt Lehideux et Isormi c/ France, 23 septembre 1998, §47.
Arrêt Lawless c/ Irlande, 1er juillet 1961, §7.
Articles 6, 7 et 13 de la Convention EDH. Voir M. Levinet, in F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour EDH, op. cit., p.61.
P. de Fontbressin, in P. Lambert, op. cit., p.20
Décision Cour d’arbitrage belge, Verbeke et Delbouille, 12 juillet 1996, §B.7.16.
B. Favreau, in P.Lambert (dir.), op. cit., p.121
Ibid, p.124.
P. Esplugas, “ L’interdiction des partis politiques ”, RFDC, n°36, 1998, p.675.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
République, M. Chirac, ait indiqué au cours d’une allocution officielle le 23 mars 1998 que
le Front National était un parti “ raciste et xénophobe ”. Cette déclaration avait alors suscité
des questionnements quant à l’hypothèse d’une interdiction du FN. Mais une telle procédure
aurait été d’autant plus délicate que ce parti représentait alors une part non négligeable
de l’électorat français. L’affaire Refah Partisi a mis la Cour constitutionnelle d’Ankara, puis
la Cour EDH, face à une problématique similaire. Le Parti de la prospérité constituait “
310
le quatrième avatar de l’expression politique du mouvement islamiste ” en Turquie . Sa
base populaire était large. Son électorat se compsait principalement de personnes en
difficulté attachées aux traditions (paysans, laissés pour compte de la société, déracinés
des banlieues des grandes villes), mais aussi de commerçants, de petits industriels et de
311
cadre moyens. Surtout, le parti était soutenu par les régions kurdes du sud-est anatolien .
La place du Refah Partisi dans la vie politique turque s’est accrue progressivement : alors
qu’il avait obtenu 16% des voix en s’alliant avec l’extrême droite nationaliste en 1991, le
Refah Partisi obtint à lui seul 19% des voix aux élections municipales de 1994, conquérant
notamment les villes d’Ankara et d’Istanbul grâce au scrutin majoritaire. Mais surtout, lors
des élections législatives de 1995, le parti a obtenu 6 millions de voix aux législatives de
1995, soit 22% des suffrages, ce qui faisait de lui le premier parti du pays. Cette victoire,
qui reposait aussi sur les 4,2 millions d’adhérents du Refah, lui a permis d’occuper 148
des 550 sièges à l’Assemblée nationale. En conséquence, en juillet 1996, M. Erbakan
fut légitimement nommé Premier ministre d’un gouvernement de coalition avec un parti
312
de centre-droit . Malgré cette importante popularité, la Cour constitutionnelle turque a
dissout le parti par sa décision du 16 janvier 1998, alors même que ce dernier avait accédé
au pouvoir par les voies démocratiques. Cependant, comme le fait justement remarquer
le sociologue George Gurvitch, on peut considérer que le nombre d’électeurs revêt peu
d’importance étant donné que “ la démocratie n’est pas règne du nombre mais le règne
313
du droit ” . La démocratie ne peut être un système de domination par une majorité. Il
est de l’essence de la démocratie d’accepter les oppositions, sans quoi elle serait détruite,
et en même temps, la démocratie doit se faire accepter de tous, sans quoi ce serait ses
opposants qui parviendraient à la détruire. Sans libertés démocratiques, il n’y aurait plus de
droits. Le principe démocratique doit donc être privilégié : il convient de protéger l’institution
314
démocratique pour préserver les droits et les libertés, et donc l’homme . Aussi il importe de
savoir si un parti non démocratique peut légitimement prétendre à la protection de la CEDH.
Un tel questionnement est apparu très tôt devant l’ancienne Commission EDH. En 1957,
lors de l’affaire Parti communiste allemand précitée, le parti concerné avait pour but avoué
de mener la révolution prolétarienne et d’installer la dictature du prolétariat afin d’instaurer
315
finalement un ordre social communiste . Selon le gouvernement allemand, suivi en ce sens
par la Commission, un tel but était incompatible avec la Convention, et le Parti communiste
allemand était donc condamnable au titre des articles 9, 10, 11 et 17 de la Convention. La
Commission, elle, avait simplement privilégié l’article 17 pour sa généralité au détriment des
articles 9, 10 et 11 dont les paragraphes deux avaient servi à justifier la dissolution. Sur
ce terrain, elle avait conclu à l’irrecevabilité de la requête du parti puisqu’il avait pour but
310
311
312
313
314
315
A. Bockel, op. cit., p.912.
Ibid., p.912.
Ibid, pp.912-913.
G. Gurvitch, cité par P. Esplugas, op. cit., p.676.
J.-Y. Dupeux, op. cit., p.89.
Décision de la Commission EDH précitée, Parti communiste allemand. Voir supra, p.23.
METIER Clémentine_2007
57
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
la destruction des droits et libertés de la Convention. Depuis cette décision, on mentionne
la “ jurisprudence Parti communiste Allemand ” selon laquelle est incompatible avec les
dispositions conventionnelles tout projet politique niant les valeurs de la Convention. Devant
la Cour, les affaires de dissolution de partis politiques ont reposé cette même problématique.
En effet, certaines organisations partisanes n’hésitent pas à contester ouvertement l’action
du gouvernement et la forme unitaire de leur État. Dans le cas du Refah Partisi, la Cour
avait reconnu le droit pour un État de protéger ses institutions démocratiques contre une
association qui les met en danger, à condition qu’” un juste équilibre [soit] respecté entre
le droit fondamental d'un individu à la liberté d'expression et le droit légitime d'une société
316
démocratique de se protéger contre les agissements d'organisations terroristes ” . Ainsi,
les autorités nationales peuvent refuser d’enregistrer une association si cela est justifié
par la volonté de sauvegarder les institutions et procédures démocratiques existantes. Par
conséquent, un État peut empêcher “ un projet politique incompatible avec les normes
de la Convention avant qu’il ne soit mis en pratique par des actes concrets risquant de
317
compromettre la paix civile et le régime démocratique dans le pays ” . Notamment, tout
État partie “ peut légitimement empêcher que les règles de droit privé d’inspiration religieuse
portant atteinte à l’ordre public et aux valeurs de la démocratie ” telle que celles instaurant
318
des discrimination fondées sur le sexe, trouvent application sous sa juridiction . Plus
319
largement, l’Etat possède le “ devoir de protéger ” ses institutions démocratiques . De la
même façon, la question de la légitimité des partis pro-kurdes en Turquie qui revendiquaient
l’autodétermination et la reconnaissance de droits linguistiques au profit des population
kurdes de Turquie s’est posée à plusieurs reprises devant la Cour EDH. Par exemple, le
Parti du travail du peuple (H.E.P.) avait été dissout par la Cour constitutionnelle d’Ankara au
320
motif qu’il mettait en danger l’unité de État et son intégrité territoriale . Pourtant, ce parti se
montrait respectueux des règles démocratiques, et à ce titre, le juge européen avait estimé
son action légitime et donc injustement interdite. Mais surtout, d’autres partis politiques,
certes plus rares, visent la destruction de la démocratie, principe fondamental de l’ordre
public européen. Devant la Cour, la situation ne s’est produite qu’une seule fois, à l’occasion
des arrêts Refah Partisi de 2001 et 2003 qui l’avaient amenée à conclure à la légitimité de
la dissolution, au motif que ce parti niait les libertés reconnues par la Convention et visait
la fin du régime démocratique en Turquie.
Mais même si le gouvernement turc s’est fondé à plusieurs reprise sur l’article 17 pour
321
justifier la dissolution de partis politiques , la Cour européenne a considéré chaque fois
que l’examen de cette disposition n’était pas nécessaire. Dans la majorité des cas, les
partis en cause étant respectueux du principe de la légalité et du cadre démocratique,
l’article 17 n’était pas applicable. En effet, la Cour, tout comme avant elle la Commission,
conditionne l’application de l’article 17 à une menace sur l’ordre démocratique. Dans l’arrêt
Parti communiste unifié de Turquie, la Cour s’est réfèrée à la décision de la Commission
du 20 juillet 1957 relative au Parti communiste allemand précitée afin de confirmer son
refus d’examiner in abstracto l’applicabilité de l’article 17. S’opposant au juge constitutionnel
316
317
318
319
320
Arrêt Zana précité, §55.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §81.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §128.
H. Labayle et F. Sudre, Jurisprudence de la Cour EDH et droit administratif, p.798.
Arrêt Yazar et autres précité.
321
Voir notamment les affaires précitées : Parti communiste unifié de Turquie, Parti socialiste, Parti de la liberté et de la
démocratie, et Refah Partisi (Chambre et Grande Chambre).
58
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
turc, le juge européen estime que l’idéologie communiste a évoluée depuis la rédaction
de l’article 17 et donc que le parti ne mettait pas en danger la démocratie, contrairement
322
au Parti communiste allemand en 1957 . Dès lors, le Parti communiste unifié de Turquie
ne mettant pas en danger la société démocratique, l’article 17 ne jouait pas. Ensuite, la
Cour a appliqué cette démarche pour les responsables du Parti socialiste ou de l’ÖZDEP,
323
vu “ leur attachement déclaré à la démocratie et leur rejet explicite de la violence ” . On
pourrait penser que l’article 17 est plus adapté aux formations politiques que la Cour qualifie
324
de “ hors la loi ” : les partis révolutionnaires, racistes ou fondamentalistes . Pourtant,
dans le cadre des affaires liées au Refah Partisi, dans lesquelles la Cour avait pourtant
conclu à l’inconventionnalité du parti, elle n’avait pas non plus trouvé utile de prendre
en compte l’article 17 dans sa décision. Elle avait jugé uniquement au regard de l’article
11, estimant que les griefs relatifs à l’article 17 “ portaient sur les mêmes faits que ceux
examinés sur le terrain de l’article 11 ”, et qu’il n’était alors “ pas nécessaire de les examiner
325
séparément ” . Partant, même si a priori l’article 17 aurait pu s’appliquer à ce parti non
respectueux des exigences démocratiques, la Cour considérait s’être déjà prononcée sur
ce thème lors de son examen des conditions de l’article 11. En ce sens, on peut estimer que
l’interprétation que donne la Cour de l’article 11 de la CEDH est éclairée par l’article 17. En
fait, le juge européen a toujours refusé de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 17 avant
326
d’avoir procédé au contrôle du respect des condition de l’article 11 . Alors que la Cour
constitutionnelle turque se montrait le plus souvent favorable à application de l’article 17 et
à une application littérale du droit positif, la Cour européenne tend à favoriser à l’application
des articles 10 et 11. Ainsi, le juge européen utilise peu la méthode de l’article 17 pour
défendre la démocratie dans le cadre de l’activité des partis politiques.
De façon générale, la Cour adopte une attitude bienveillante vis-à-vis des partis
non démocratiques, tant qu’ils respectent les principes directeurs de la démocratie et
restent dans le cadre d’un débat pluraliste. D’ailleurs, la Cour est inversement vigilante
concernant les mesures restrictives à la liberté d’association et d’expression politique. Plus
particulièrement, elle envisage la dissolution ou l’interdiction d’un parti comme une mesure
extrêmement sévère qui requiert un contrôle particulier de sa part.
Section 2 : La nécessaire conciliation entre les libertés.
Tout parti politique, parce-qu’il possède une place centrale dans l’ordre démocratique, doit,
à ce titre, bénéficier d’une protection spécifique. Toutefois, aucune liberté n’est sans borne.
L’article 11, paragraphe 2, définit le cadre dans lequel un Etat peut restreindre la liberté de
réunion et d’association, mais passe sous silence les exigences qu’impose cette liberté à
ses bénéficiaires. Il revient donc à la Cour de définir les conditions dans lesquelles un parti
peut agir légitimement au regard de la CEDH.
§1 Le devoir d’auto-limitation.
322
323
324
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54.
Arrêt Parti socialiste précité, §52. Voir aussi arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §47.
ère
J-F. Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne EDH (1
partie). Le droit constitutionnel devant les instances
de contrôle de la Convention EDH (actualité jurisprudentielle 1994-1995-1996) ”, RFDC n°30-1997, p.399.
325
326
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §85.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §32 ; et Parti socialiste, §29.
METIER Clémentine_2007
59
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Le juge européen impose d’abord à tout individu ou tout groupement une obligation d’autolimitation dans l’exercice de ses droits et libertés. En effet, aucun n’est absolu. D’ailleurs,
la Cour “ juge inhérente au système de la Convention une certaine forme de conciliation
entre les impératifs de la défense de la société démocratique et ceux de la sauvegarde des
327
droits individuels ” . Le pluralisme et la démocratie demandent aux individus d’accepter de
“ limiter certaines de leurs libertés afin de garantir une plus grande stabilité du pays dans son
328
ensemble ” . Dans ces conditions, la liberté d’association doit être conciliée non seulement
avec les autres libertés fondamentales, ainsi qu’avec les libertés d’autrui et avec certaines
exigences de la société démocratique, comme celle de la sécurité publique. Tel que définit
par la Cour, le pluralisme se fonde sur un compromis qui exige de la part des individus
certaines concessions. A chaque droit correspond un devoir. Les droits et libertés que la
Convention protège sont contrebalancés par des obligations qui pèsent sur les individus ou
groupements privés, et non uniquement sur les Etats. Sans cet équilibre, “ l’ordre public
329
européen des droits de l’homme ” serait dévalorisé .
Par exemple, la liberté d’expression implique aussi le devoir d’éviter des expressions
gratuitement offensantes par exemple. Ou encore la liberté religieuse peut nécessiter des
330
aménagements dans une société où coexistent plusieurs religions . De la même manière,
la liberté d’association politique exige le respect de certaines conditions, relatives à la
société démocratique, que la Cour a définit progressivement. Mise en perspective de la
CEDH dans son ensemble, cette interprétation se comprend comme une consécration de la
vision substantielle de l’Etat de droit. En effet, le Préambule met l’accent sur le principe de la
“ prééminence du droit ” (article 5), tout comme l’article premier de la Convention insiste sur
“ l’obligation de respecter les DH ”. Mais le système de la Convention consacre tout autant
une conception formelle de l’Etat de droit, c’est-à-dire que la Convention est conçue comme
331
un ordre juridique hiérarchisé qui garantit un ensemble de droits et libertés . Ainsi, cette
double conception de l’Etat de droit s’impose à la fois aux Etats eux-mêmes et aux individus.
En l’occurrence, les partis politiques sont soumis à l’obligation de respecter la démocratie
et de s’inscrire dans le débat pluraliste. Mise en perspective de la Convention dans son
ensemble, cette démarche consacre une vision substantielle de l’État de droit. En effet, le
Préambule met l’accent sur le principe de la “ prééminence du droit ” (article 5), tout comme
l’article un de la Convention insiste sur l’“ obligation de respecter les droits de l’homme ”.
Mais le système de la Convention consacre tout autant une conception formelle de l’Etat de
droit, c’est-à-dire que la Convention est conçue comme un ordre juridique hiérarchisé qui
332
garantit un ensemble de droits et libertés . En ce sens, le juge européen se réfère à des
“ principes ”, des “ règles ”, ou des “ exigences ”, qui s’imposent comme des limitations à la
libre activité des acteurs de la Convention. A ce titre, les partis politiques sont-ils directement
soumis à la double obligation de respecter la démocratie et de s’inscrire dans le débat
pluraliste.
§2 La théorie des “ obligations positives ” de l’Etat
327
328
329
Arrêt Klass et autre c/ RFA, 6 septembre 1978, § 59.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §99. Arrêt Gorzelik et autres c/ Pologne, 20 décembre 2001, §66.
J-F Flauss, “ Actualité de la Cour EDH (novembre 2000-octobre 2001) ”, op. cit., p.1068.
330
331
332
60
Arrêt Kokkinakis précité.
G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1506.
Ibid, p.1506.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
L’article un de la CEDH impose aux Etats l’obligation de respecter les Droits de l’homme en
ces termes : “ les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de
leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention ”. A ce sujet, le
juge O’Donoghue, dans son opinion séparée en l’affaire Irlande c/ Royaume-Uni, a rappelé “
qu’un Etat qui ne s’acquitte pas de son obligation de garantie interne enfreint par là même la
333
Convention ” . Il leur appartient d’intervenir en première ligne dans le domaine des droits
de l’homme, d’autant plus que “ le mécanisme international de garantie collective instauré
par la Convention ” revêt un “ caractère subsidiaire ”, tant au niveau de la protection que des
334
restrictions aux droits . La Cour considère que les Etats nationaux sont a priori les meilleurs
juges quant à la légitimité de toute restriction aux libertés publiques. Aussi, non seulement
les autorités publiques doivent respecter les droits et libertés de la Convention, mais elles
ont aussi l’obligation de les garantir aux individus sous leurs ordres juridiques, en tentant
d’empêcher toute violation et en déterminant la nécessité d’une éventuelle restriction. L’Etat
rempli donc le rôle de garant et d’organisateur des droits et libertés de la Convention.
Ceci implique qu’il doit protéger la société démocratique et ses institutions contre des
mouvements liberticides, tout en assurant aux individus la jouissance effective de leurs
droits et libertés. C’est ce que la Cour désigne comme les “ obligations positives ” de l’Etat.
Ce concept, dont le contenu a été progressivement éclairci par la jurisprudence, a permit de
définir plus précisément la vision de la Cour sur les notions de démocratie et de pluralisme.
L’arrêt Sidiropoulos dans lequel était en cause le refus d’enregistrement d’une association
par les autorités nationales, avait déjà établit que “ les Etats disposent d’un droit de regard
sur la conformité du but et des activités d’une association avec les règles fixées par la
législation ”, lequel s’exerce certes dans le respect de “ leurs obligations au titre de la
335
Convention et sous réserve du contrôle des organes de celle-ci ” . Les Etats peuvent donc
user de leurs prérogatives constitutionnelles, dans le respect de la Convention et sous le
336
contrôle de la Cour, afin de faire respecter les principes fondamentaux de la démocratie .
L’Etat possède l’obligation d’assurer aux particuliers la possibilité d’exercer
effectivement leurs droits, ce qui peut induire l’adoption de mesures régulatrices des
337
relations entre individus . La Cour ajoute qu’“ il peut ainsi exister des obligations positives
338
inhérentes à un respect effectif de la liberté d’association ” . En généralisant la théorie
des “ obligations positives ” au fil de sa jurisprudence, la Cour illustre sa vision exigeante
de la “ société démocratique ”. Elle considère que repose sur les Etats l’obligation positive
de mettre en œuvre et protéger les droits et libertés garantis par la Convention contre des
atteintes par des tiers. Puisque l’Etat est le gardien du pluralisme effectif, il doit veiller à la
339
“ reconnaissance et le respect véritables de la diversité ” . Il revient donc aux autorités
publiques d’adopter les actes susceptibles de garantir l’effectivité des principes et droits
constitutifs de la société démocratique. L’Etat doit adopter des mesures positives afin de
mettre en pratique les droits proclamés par la Convention. Par exemple, l’arrêt Plattform “
Arzte für das Leben ” c/ Autriche avait souligné que “ dans une démocratie, le droit de contre333
334
335
336
Opinion séparée du juge O’Donoghue, in fine de l’arrêt Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978.
Affaire “ relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique ” c/ Belgique, 23 juillet 1968, §10.
Arrêt Sidiropoulos précité, §40.
Arrêt Open Door et Dublin Well Woman c/ Ireland, 29 octobre 1992. Voir aussi arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27.
337
338
339
P. Van Dijk and G.J.H. Van Hoof, Theory and practice of the ECHR, p.589.
Arrêt Ouranio Toxo précité, §37.
Ibid, §35.
METIER Clémentine_2007
61
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
340
manifester ne saurait aller jusqu’à paralyser l’exercice effectif du droit de manifester ” . En
l’espèce, la Cour vérifiait si l’Etat avait véritablement permis le déroulement pacifique d’une
manifestation licite. Contrairement aux règles classiques établies en droit international,
l’obligation qui repose sur l’Etat n’est pas soumise au principe de réciprocité et ce dernier ne
pourrait donc pas invoquer le principe de la compétence nationale exclusive pour échapper
à son obligation. La Cour a en effet admis que l’attitude de l’Etat ne conditionne pas la
341
jouissance des droits de l’homme . De même, la protection des droits et libertés offerte par
l’Etat ne pourrait se limiter à ses nationaux. Il incombe aux autorités publiques d’avoir une
attitude identique à l’égard de tous les individus sur le territoire national. Enfin, le principe
de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays est lui aussi écarté puisque tous
les Etats membres de la CEDH, et surtout les individus sous leurs juridictions, possèdent la
possibilité d’effectuer un recours devant la Cour EDH. Cette règle spécifique au système de
la Convention s’inscrit dans la logique d’universalité des droits de l’homme : ces droits ne
relèvent pas uniquement du domaine national, mais ils revêtent au contraire un “ caractère
342
objectif et une singularité substantielle ” . Particulièrement, eu égard au rôle essentiel
des partis politiques dans la “ société démocratique ”, la “ protection des opinions et de la
liberté de les exprimer ” étant “ un des objectifs de la liberté de réunion et d‘association
343
” , l’Etat se doit de respecter des obligations positives substantielles et procédurales
344
inhérentes au respect effectif de la liberté d’association , et ce jusque dans les relations
345
interindividuelles . Les partis politiques doivent faire l’objet d’attentions spécifiques en ce
qu’ils fondent le débat pluraliste et orientent l’avenir politique d’un pays. A ce titre, la Cour
avait notamment souligné l’obligation qui pèse sur l’Etat d’organiser, conformément à l’article
3 du Protocole n°1 qui reconnaît le droit à des élections libres, les conditions qui assurent
346
la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif . Parce-qu’ils
représentent les différentes tendances présentes dans le pays, les partis politiques doivent
pouvoir participer au débat politique. Partant, l’État a en charge de garantir efficacement,
au titre de l’article 11, la liberté d’association politique. Néanmoins, l’obligation qui repose
sur État se caractérise par une obligation de moyen plutôt que de résultat.
Lorsqu’il faillit à ces obligations, l’Etat encourre le risque d’être sanctionné par la Cour
européenne. En l’affaire Ouriano Toxo et autres c/ Grèce 20 octobre 2005, le parti Ouriano
Toxo, qui défendait la minorité macédonienne, et ses deux membres invoquaient une
violation de leur liberté d’association. En effet, suite à l’installation d’un panneau au siège
du parti, ils avaient subi les hostilités des habitants, des brutalités ainsi que des saccages.
Parce que de telles actions les empêchaient d’exercer librement leur liberté d’association
politique alors même que le parti avait été constitué légalement, les autorités publiques
auraient du intervenir. Pourtant, elles n’ont pas organisé de conciliation, ni protégé le parti,
340
341
Arrêt Plattform “ Arzte fur das Leben ” c/ Autriche, 21 juin 1988, §32.
Rapport “ Droit international et droit français ” (1986). Cité par J-F. Renucci Droit européen des Droits de l’homme, op.
cit., p.27.
342
343
344
345
346
62
J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.27
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §§42-43 ; et Parti socialiste §41.
Arrêt Wilson et autre c/ Royaume-Uni, 2 juillet 2002.
Arrêt Palttform “ Ärzte fur das Laben ” précité.
Voir opinion dissidente in fine de l’arrêt Refah Partisi de Chambre précité. Voir supra, pp.42-43.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
347
ni enquêté efficacement afin de sanctionner les auteurs des violences . Partant, la Cour
avait conclu au manquement de l’Etat vis-à-vis de ses obligations positives.
Il appartient à l’Etat de créer les conditions de tolérance mutuelle entre les différents
partis politiques, à condition bien sur que le parti soit créé légalement et ne mette pas en
348
danger la démocratie . Tout en apportant une synthèse de la jurisprudence antérieure,
l’arrêt Refah Partisi illustre une approche novatrice de la théorie des “ obligations positives
349
” . La Cour affirme qu’“ un Etat […] en se fondant sur ses obligations positives peut
imposer aux partis politiques […] le devoir de respecter et sauvegarder les droits et
libertés garantis par la Convention ainsi que l’obligation de ne pas proposer un programme
350
politique en contradiction avec les principes fondamentaux de la démocratie ” . Ainsi,
la Cour retourne sa théorie en faveur de l’intervention étatique. Alors qu’originellement,
les obligations positives sont celles qui s’imposent à l’Etat, en l’espèce, la théorie est
interprétée par le juge européen comme autorisant une éventuelle intervention préventive,
dans l’hypothèse où le parti menacerait explicitement l’ordre démocratique. Néanmoins,
cette hypothèse n’est réalisable qu’“ en conformité avec les obligation positives pesant sur
les Parties contractantes dans le cadre de l’article un de la Convention pour le respect
351
des droits et libertés des personnes relevant de leur juridiction ” . Selon Jean-François
Flauss, cette approche semble aussi légitimer les législations nationales qui établissent un
régime d’interdiction préalable des partis anti-démocratiques, et même, semble encourager
352
les autres Etats à le faire . Dans un contexte de montée des extrêmes sur la scène politique
en Europe, la Cour montre en tous cas sa fermeté, autant face à la situation des Etats
d’Europe centrale et orientale, que ceux de la vieille Europe.
Titre Deuxième : Le cadre de l’ingérence de État dans
la liberté d’association politique.
Outre l’article 16 qui autorise un Etat à restreindre l’activité politique des étrangers, mais
n’a jamais été invoqué devant la Cour, et l’article 17, qui permet la restrictions des
droits des acteurs antidémocratiques, certaines dispositions de la Convention envisagent
l’hypothèse de l’intervention de l’Etat dans un souci de protection de l’ordre public et des
353
intérêts supérieurs de la nation . A l’exception du “ noyau dur ” des droits de l’homme,
comme par exemple le droit à la vie, tous les droits protégés par la Convention sont
des droits conditionnels, c’est-à-dire que l’ingérence étatique est possible, dans certaines
conditions et sous réserve de contrôle par les organes de la Convention. Particulièrement,
les paragraphes deux des articles 8 à 10 de la Convention prévoient explicitement
347
H. Surrel, in F. Sudre, “ Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (année 2005) ”, RDP,
2006, n°3, p.811.
348
349
350
351
352
353
Arrêt Ouranio Toxo et autres précité, §40.
J-F Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003) ”, op. cit., p.611.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §103.
Ibid., §103.
J-F Flauss, “ Actualité de la Convention EDH ”, op. cit., p.611.
Au sujet de l’article 17, voir supra, pp.64 à 70.
METIER Clémentine_2007
63
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
les circonstances dans lesquelles les autorités nationales peuvent restreindre les droits
proclamés. L’atteinte en cause doit être le fait de l’Etat lui-même, c’est-à-dire d’organes ou
d’agents intervenant officiellement, ou du juge. L’ingérence est généralement un acte positif,
par exemple une mesure prise, mais le manquement à une obligation positive peut aussi
être une ingérence. Quoi qu’il en soit, toute ingérence fait obstacle à l’exercice d’un droit
ou d’une liberté, et partant, est non seulement soumise à certaines règles, mais fait aussi
l’objet d’un contrôle strict de la part du juge européen.
L’article 11 de la Convention européenne définit la liberté d’association, qui, depuis
l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie, est reconnue comme s’appliquant aux partis
politiques. Contrairement à d’autres articles de structure similaire de la Convention, le
second paragraphe de cette disposition contient une disposition qui confère directement
à l’Etat le pouvoir de restriction, par certaines catégories de personnes, de l’exercice des
droits énoncés au paragraphe un :
“ Le présent article n’interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées
à l’exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de
354
l’administration de l’Etat ” .
L’article 11 protège les formations politiques contre toute “ restriction ” infondée au
sens de son paragraphe deux, c’est-à-dire contre les ingérences des autorités nationales
les empêchant illégitimement d’exercer leur droit. Encore faut-il pouvoir définir clairement
la notion d’ingérence étatique. Par exemple, une mesure qui se limiterait “ à restreindre
la possibilité pour [des particuliers] d’exercer des fonctions administratives au sein d’un
355
parti politique dont ils [sont] membres ” ne constitue pas une ingérence . En revanche,
juridiquement, une mesure de dissolution ou d’interdiction forcée d’un parti politique
356
constitue une “ ingérence ” dans la liberté d’association .
Dans son interprétation de l’article 11, et particulièrement du paragraphe deux, la Cour
européenne, conformément à sa position classique, privilégie le régime démocratique et le
principe de liberté. Plus précisément, la Cour insiste sur le rôle prééminent des formations
politiques dans la société démocratique et laisse entendre que celles-ci bénéficient d’une
357
protection renforcée . La Cour fait preuve d’un certain libéralisme vis-à-vis des partis
358
politiques, considérant que l’ingérence de l’Etat est le plus souvent injustifiée . Aussi le
juge européen adopte-t-il une interprétation stricte des limites à la liberté d’association des
359
partis politiques, estimant que seules des raisons “ convaincantes et impératives ” et des
360
motifs “ pertinents et suffisants ” peuvent justifier de restrictions. Le contrôle par la Cour
des limitations à cette liberté est rigoureux, et laisse une marge d’appréciation réduite aux
361
Etats, nous y reviendrons . Ainsi, la liberté d’association politique n’accepte de limitations
que dans le strict cadre du paragraphe deux de l’article 11. Ce paragraphe émet trois
354
355
356
357
358
359
360
D. Gomien, et al., op. cit., pp.332-333.
Arrêt Ahmed précité, §70
Voir notamment les arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §36 ; et Parti socialiste, §30.
F. Benoît-Rohmer, op. cit., p.566.
Voir arrêt Handyside précité.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46 ; et Parti socialiste, §50.
Arrêt Olson c/ Suède, 24 mars 1988, §68. Voir aussi arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, 18 juin 1971, §§71 et 95 : une
ingérence doit avoir des “ raisons plausibles ” pour être justifiée.
361
64
Voir infra, pp. 95 à 97.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
conditions selon lesquelles un Etat peut légitimement restreindre la liberté de réunion et
d’association des personnes. Pour être admissible, l’ingérence doit être “ prévue par la loi
”, motivée par un “ but légitime ”, et “ nécessaire dans une société démocratique ”. Pour
traiter des conditions dans lesquelles une ingérence dans la liberté d’association des partis
politiques est envisageable, nous suivrons le raisonnement adopté par la Cour dans ses
arrêts. Il conviendra donc d’étudier en premier lieu les deux premières conditions de l’article
11, paragraphe 2, lesquelles sont le plus souvent respectées par les Etats, pour ensuite
aborder la question majeure de la “ nécessité dans une société démocratique ”.
Chapitre I / Les deux premières conditions de l’article 11 paragraphe
deux de la Convention.
Nous avons choisit d’aborder les deux premières conditions du paragraphe deux ensemble
afin de suivre la démarche de la Cour. Dans la majorité des cas de dissolution de formations
politiques, le juge européen a reconnu que la mesure d’ingérence était “ prévue par la loi ”
et répondait à au moins un “ but légitime ”. Comme ces deux exigences sont le plus souvent
respectées par l’Etat, elles font l’objet d’un traitement relativement succinct de la part de
la Cour.
Section 1 : L’ingérence doit être “ prévue par la loi ”.
En premier lieu donc, toute restriction à la liberté d’association par les autorités nationales
doit être “ prévue par la loi ”. Cette condition peut se décomposer en deux éléments : d’abord,
il importe de définir ce que la Convention entend par “ loi ” ; ensuite, le terme “ prévue ”
implique un certain nombre d’obligations pour les autorités nationales.
§1 Une définition extensive de la “ loi ”.
La Cour définit la “ loi ” comme “ le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’on
interprété en ayant égard, au besoin, à des données techniques nouvelles ”, ce qui signifie
que le contrôle de l’ingérence étatique par la Cour porte à la fois “ sur la loi et sur les décisions
362
qui l’appliquent, y compris celles d’une juridiction indépendante ” . La loi s’entend donc
363
comme l’ensemble du droit positif, qu’il soit législatif, réglementaire ou jurisprudentiel .
Pour certains, comme Patrick de Fontbressin, cette conception est la source de certaines
364
incertitudes . Pourtant, la démarche du juge européen répond à la volonté de “ ne pas
365
forcer la distinction entre pays de common law et pays continentaux ” . La Cour EDH
adopte une conception “ souple ” de la légalité dans la mesure où elle considère que la
366
jurisprudence peut pallier aux lacunes du droit écrit . Aussi, “ le texte de la disposition
367
légale [doit être] lu à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle accompagne ” .
362
363
Arrêt Parti socialiste précité, §50. Voir aussi arrêt Lingens précité, §39.
La Cour inclut sous la dénomination “ loi ” les conventions internationales applicables en droit interne. Arrêt Groppera Radio AG
et autres c/ Suisse, 28 mars 1990, §68.
364
365
366
367
P. De Fontbressin, in P. Lambert (dir.), op. cit., p.20.
Arrêt Kruslin c/ France, 24 avril 1990, §29.
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.211.
Arrêt Cantoni c/ France, 15 novembre 1996, §§32 et 35.
METIER Clémentine_2007
65
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
En ce sens, la loi est envisagée au sens matériel et non formel, afin d’éviter tout clivage
entre les pays où le droit est essentiellement d’origine jurisprudentielle, et ceux où il est
368
principalement d’origine législative ou réglementaire .
Rapidement, la question s’est posée de savoir si le texte constitutionnel, cadre juridique
suprême en droit interne, est soumis où non aux exigences de la Convention, et donc
au contrôle de la Cour. Dans le cas de la dissolution du Parti communiste unifié de
Turquie, qui établit la jurisprudence en la matière, les autorités turques considéraient que
l’ingérence ne relevait pas de la CEDH dans la mesure où le Parti remettait directement en
cause une disposition constitutionnelle. Mais contrairement à l’argumentaire avancé par le
gouvernement, la Cour a jugé que l’article 11 trouvait à s’appliquer en l’espèce puisque la
Constitution est soumise aux exigences de la Conventions européenne, au même titre que
toute autre règle de droit national. Cela se justifie par le fait que la Constitution représente
369
le mode premier d’exercice de la juridiction d’un Etat . A ce sujet, l’arrêt Parti communiste
unifié de Turquie reprend l’arrêt Open Door : “ si les autorités nationales ont en principe la
faculté de choisir les mesures qu’elles jugent nécessaires au respect de la prééminence
du droit ou pour donner effet à des droits constitutionnels, elles doivent en user d’une
manière conciliable avec leurs obligations au titre de la Convention et sous réserve du
370
contrôle des organes de celle-ci ” . La Cour se reconnaît donc le droit d’examiner, et
éventuellement de déclarer contraire à la Convention, n’importe quelle disposition nationale,
même constitutionnelle, ou au moins l’interprétation qui en est faite par les juridictions
internes. La jurisprudence de la Cour rejoint là les termes de l’article un de la CEDH qui
impose aux Etats le respect de la Convention “ dans l’ensemble de leur juridiction ”.
Lors de l’affaire Refah Partisi par exemple, la Cour avait reconnu que l’ingérence
dans la liberté d’association de ce parti remplissait la première condition de l’article 11,
paragraphe deux. En effet, la mesure attaquée se fondait sur la Constitution turque et sur la
loi réglementant les partis politiques, lesquelles sont bien des “ lois ” au sens de l’article 11,
371
paragraphe deux . De même, reprenant les termes exacts de l’arrêt Parti de la démocratie
et de l’évolution, la Cour note, dans l’arrêt Emek Partisi et Şenol, qu’aucune des parties ne
372
contestait que “ l’ingérence était prévue par la loi ” .
§2 L’exigence de prévisibilité de la loi.
Par ailleurs, l’article 11, paragraphe deux, précise que l’ingérence doit être “ prévue ”. Pour
reprendre la formulation du juge européen, “ les mots “ prévue par la loi ” veulent d’abord
que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité
de la loi en question ”. Ceci suppose l’accessibilité de la loi aux citoyens, ainsi qu’“ une
formulation assez précise pour leur permettre de prévoir, à un degré raisonnable dans les
373
circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé ” . En
d’autres termes, la loi doit être à la fois accessible et prévisible dans ses effets. Elle doit aussi
368
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.208. Voir aussi J-F. Renucci, Droit européen des Droits
de l’homme, op. cit., p.377.
369
370
371
372
373
66
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§29-30.
Arrêt Open Door et Dublin Well Woman précité, § 69. Repris par l’arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §27.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §34.
Arrêt Parti de la démocratie et de l’évolution précité, §19. Voir aussi arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §47.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
définir les conditions et les modalités de toute limitation aux droits fondamentaux afin d’éviter
374
l’arbitraire . L’adjectif “ prévue ” renvoie donc à l’exigence de précision et de prévisibilité
de la règle de droit. Ce exigence vise à sauvegarder “ le principe général de la sécurité
375
juridique ” qui s’impose aux Etats contractants. En effet, ces derniers se doivent d’assurer
la permanence de leurs institutions et la continuité de leur législation. Conformément au
principe de prééminence du droit, la loi doit revêtir une certaine constance, critère qui se
combine à celui d’accessibilité du droit : le texte de loi doit pouvoir être connu facilement
tout en étant clair et précis.
En d’autres termes, “ la qualité de la loi doit être compatible avec la prééminence du
376
droit ” . Ce principe est garanti notamment par le paragraphe cinq du Préambule de la
377
Convention et utilisé de façon récurrente par la Cour . Comme le fait remarquer la Cour
européenne, l’Etat est le seul ordre juridique légitime au regard de la Convention. Le règne
de l’Etat de droit est une préoccupation centrale du juge européen. Les Etats signataires
de la Convention sont contraints d’assurer le respect de la légalité, à la fois dans leur
propre activité et dans celle de leurs sujets de droit. Ainsi, l’exigence de l’Etat de droit
s’applique d’abord aux particuliers ou aux groupes de particuliers. A ce titre, la dissolution
du Parti de la prospérité par les autorités turques était légitime puisqu’“ on ne saurait dire
que la prééminence du droit règne […] lorsque des groupes de personnes subissent une
discrimination au seul motif qu’ils représentent des sexes différents ou des convictions
politiques et/ou religieuses différentes. Elle ne règne pas non plus lorsque des système
378
juridique entièrement différents sont créés pour de tels groupes ” .
C’est de l’exigence de respect de la légalité découle l’“ exigence de prévisibilité ” et
de précision de la loi. Pourtant, comme le remarque Gilles Lebreton, dans l’affaire Refah
Partisi, la Turquie a violé cette exigence, sans même que la Cour ne le relève ni ne la
condamne. En effet, huit jours avant l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle turque,
l’article 103, paragraphe deux, de la loi turque sur les partis politiques était encore en
vigueur. Or, cet article aurait rendu impossible la dissolution du Refah pour deux raisons :
d’abord, il imposait que la dissolution d’un parti intervienne après condamnation pénale
de ses membres; il prévoyait ensuite que la procédure soit abandonnée si les membres
condamnés étaient exclus du parti dans les 30 jours suivant la procédure de dissolution. Or,
la Cour constitutionnelle d’Ankara s’était réunie avant de statuer sur l’affaire Refah Partisi
afin de rendre un arrêt préliminaire, le 9 janvier 1998, déclarant inconstitutionnel l’article 103,
paragraphe deux. Cette décision bafoue indéniablement l’exigence de prévisibilité du droit.
Gilles Lebreton qualifie même cette décision de “ basse manœuvre politique ”, destinée à
interdire à tout prix le Parti de la prospérité, quitte à violer le principe de la prééminence
379
du droit . Toutefois, mis à part les “ doutes ” exprimés par les opinions dissidentes des
trois juges minoritaires de l’arrêt de Chambre, la Cour européenne n’a pas relevé cette
circonstance dans ses arrêts. Cette lacune est d’autant plus inquiétante que la Cour a fondé
sa décision sur des actes ou propos “ ambigus ”, qui lui donnent une mauvaise “ impression
374
375
Voir notamment arrêt Olson c/ Suède, 24 mars 1988, §61 et s. Voir aussi arrêt Hentrich c/ France, 22 septembre 1994, §42.
Arrêt Baranowski c/ Pologne, 28 mars 2000, §52.
376
377
378
379
Arrêt Halford c/ Royaume-Uni, 25 juin 1997, §49.
Voir supra, pp.32-33.
Arrêt Refah Partisi de Chambre, §43.
G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1507-1508.
METIER Clémentine_2007
67
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
380
” et laissent “ planer un doute ” sur les intentions réelles du parti . En ignorant une telle
violation de l’exigence de prévisibilité, l’arrêt de la Cour européenne remet en question un
principe central de la Convention, celui de la prééminence du droit alors même qu’il n’est
pas de démocratie sans règne du droit.
En définitive, dans la plupart des cas de dissolution de partis politiques, l’Etat avait
respecté la première condition de l’article 11, paragraphe deux. Toutefois, cette exigence ne
saurait suffir à rendre légitime une restriction à la liberté d’association des partis politiques.
L’ingérence doit aussi viser un but légitime, tel que définit par la même disposition.
Section 2 : Le respect des “ buts légitimes ”.
§1 Le contenu des “ buts légitimes ”.
L’article 11, paragraphe deux, énumère les buts légitimes nécessaires “ à la sécurité
nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la
381
protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ” .
Ces buts relèvent à la fois de l’intérêt public et d’intérêts privés dans la mesure où une
restriction à la liberté d’association doit être décidée eu égard à l’intérêt de la vie étatique
et sociale et à l’intérêt des individus au sein de la société.
Dans le cas des affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste, comme
pour les autres partis pro-kurdes, le gouvernement turc invoquait plusieurs buts légitimes :
le maintien de la sécurité nationale, l’intégrité du territoire, la sûreté publique et la protection
382
des droits et libertés d’autrui . Dans ses deux rapports, la Commission EDH n’avait
retenu chaque fois que les deux premiers buts, estimant que “ l’interdiction de toute activité
destructrice visant à démanteler un Etat ou à partager son territoire ” suffit à protéger
383
les autres buts invoqués par la Turquie . Pourtant, l’intégrité territoriale n’apparaît pas
au paragraphe deux de l’article 11, mais au paragraphe deux de l’article 10. Mais en
invoquant l’intégrité territoriale, la Commission donne l’impression que les buts légitimes
384
sont fongibles d’une clause de restriction à l’autre . Or, la Cour ne semble pas partager cet
avis. Lorsqu’elle résume la position de la Commission dans ses arrêts de 1998, elle utilise le
385
terme de “ sécurité nationale ” et non pas d’“ intégrité territoriale ” . Une fois la terminologie
clarifiée, la Cour a conclu que la dissolution de ces deux partis poursuivait au moins un “
386
but légitime ”, celui de la protection de la “ sécurité nationale ” .
380
381
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §§71, 73, 75 et 80.
http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FrenchFrançais.pdf (accès le samedi 14
juillet 2007).
382
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie; Parti socialiste; Parti de la liberté et de la démocratique (ÖZDEP); Dicle
pour le Parti de la démocratie (DEP) ; Yazar et autres ; Parti socialiste de Turquie ; Emek Partisi et Şenol ; Parti de la démocratie et
de l’évolution ; Demokratik Kitle Partisi (DKP) et Elçi. Voir aussi arrêt Selim Sadak et autres c/ Turquie, 11 juin 2002.
383
Rapport Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie précité, §75. Rapport Commission EDH, Parti socialiste
précité, §73.
384
385
386
68
B. Duarté, op. cit., p.342.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §40 ; et Parti socialiste, §35.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §41 ; et Parti socialiste, §36.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
De même, lors de l’affaire Dicle pour le Parti de la démocratie, après avoir reconnu
l’existence d’une ingérence dans la liberté d’association et que celle-ci était “ prévue par la
loi ”, la Cour européenne examine les “ buts légitimes ” invoqués par le gouvernement turc.
Ce dernier justifiait la mesure de dissolution en vertu de la sûreté publique, la protection
des droits d’autrui, la sécurité nationale et l’intégrité territoriale, motifs que le parti en cause
rejetait en bloc. Pour la Cour en revanche, la mesure d’ingérence des autorités nationales
répondait à au moins deux buts légitimes : ceux de l’intégrité du territoire et de la sécurité
nationale.
Dans le cas de l’affaire Parti socialiste de Turquie (STP), le Gouvernement affirmait
que l’ingérence litigieuse visait les buts légitimes de “ la défense de la sûreté publique, la
protection des droits d'autrui, la sécurité nationale et l'intégrité territoriale du pays ”, ce que
les requérants niaient, considérant n’avoir “ aucunement prôné la séparation des Kurdes de
387
la Turquie, ni la fondation d'un Etat nouveau kurde ” . En revanche, les parties de l’affaire
Emek Partisi s’accordaient à reconnaître que la mesure de dissolution du parti poursuivait
“ un but légitime, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, au sens de l’article 11,
388
paragraphe deux ” . Dans les deux cas, aux yeux de la Cour, les mesures de l’Etat turc
répondaient à au moins un des buts légitimes au sens de l’article paragraphe 2 : la protection
389
de la “ sécurité nationale ” dans le cas du Parti socialiste de Turquie , et la protection
390
de “ l’intégrité territoriale ” pour la dissolution de l’Emek Partisi . Partant, dans les deux
affaires, le différend portait sur la question de savoir si l’ingérence était “ nécessaire dans
une société démocratique ”.
En définitive, dans la majorité des affaires de restrictions aux libertés des partis
politiques, la mesure d’ingérence étatique remplit au minimum un but légitime au sens
de l’article 11, paragraphe deux. Mais dans le cadre de la jurisprudence concernant la
dissolution des formations politiques, la question de la légitimité des buts de l’interdiction
s’est particulièrement posée vis-à-vis du statut des minorités.
§2 Intégrité territoriale, sécurité nationale, sûreté publique et droits des
minorités.
Dans les Etats européens, la question des minorités est particulièrement sensible. Dans
toutes les affaires relatives à la dissolution des partis politiques, la Cour européenne a
eu à préciser les modalités de la protection des minorités, qu’elles soient ethniques ou
391
religieuses . Notamment, le juge européen s’est trouvé confronté au cas des populations
kurdes de Turquie qui militent en faveur de leur autodétermination, notamment par le biais
de groupements politiques. Dans les affaires Parti communiste unifié et le Parti socialiste
par exemple, la Cour constitutionnelle turque reprochait aux requérants de chercher la
séparation des kurdes du reste des turcs. Précisément, le juge constitutionnel interdit,
au nom de l’unité nationale, toute revendication prônant une discrimination fondée sur
l’appartenance ethnique ou simplement mentionnant le “ peuple kurde ”. Or, en l’occurrence,
ces deux partis revendiquaient une plus grande autonomie, notamment linguistique, des
387
388
389
390
391
Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §§28-29.
Arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22.
Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §30.
Arrêt Emek Partisi et Şenol précité, §22.
La Cour a eu à traiter de la dissolution de partis pro-kurdes à plusieurs reprises. Mais le Refah Partisi plaidait lui, en faveur de la
communauté musulmane en Turquie. Voir arrêts précités Refah Partisi de Chambre et de Grande Chambre.
METIER Clémentine_2007
69
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Kurdes en Turquie. En conséquence, aux yeux de la Cour constitutionnelle, leur dissolution
se justifiait afin de protéger l’intégrité territoriale. Mais la Cour EDH, comme la Commission
avant elle, ne retient pas cette interprétation. Elle adopte au contraire une vision restrictive
du but légitime de l’intégrité du territoire : pour elle, cette notion implique le maintien des
frontières, mais n’interdit pas, sous cette réserve, la contestation de la forme d’organisation
politique choisie par un État et les conditions de participation au pouvoir de certaines parties
392
de la population . Refusant d’examiner les expressions “ peuple ” et “ nation ” kurde,
son “ droit à l’autodétermination ” ou “ de se séparer ” en dehors de leurs contextes, la
Cour évalue la portée de ces termes à la lumière de l’ensemble du texte en cause. En
393
l’occurrence, le Parti socialiste “ n’encourageait pas à la séparation avec la Turquie ” ,
et, comme le Parti communiste unifié de Turquie avant lui, son objectif était clairement de
promouvoir un débat public afin que les kurdes puissent véritablement participer à la vie
politique. En cherchant si les deux partis dissous avaient réellement l’intention de modifier
les frontières de l’Etat turc, la Cour laisse entendre que les impératifs de la sécurité nationale
comprennent la préservation de l’intégrité du territoire, impression qu’elle avait déjà donné
394
en l’affaire Sidiropoulos c/ Grèce . Mais en l’espèce, le Parti communiste unifié et le
Parti socialiste ne prônaient pas le séparatisme, et surtout, se montraient respectueux des
règles démocratiques et de l’intégrité territoriale. Par conséquent, la Cour a conclu que leur
dissolution n’était pas “ nécessaire dans une société démocratique ”. La liberté d’association
est une “ valeur trop importante pour qu’elle puisse être sacrifiée à la défense des intérêts
395
de l’Etat ” .
Néanmoins, les arguments évoqués par le gouvernement turc au sujet de
l’interprétation de l’intégrité du territoire et la sécurité nationale trahissent l’inquiétude
partagée par les Etats face aux minorités. Ce type d’arguments a été invoqué par certains
Etats, comme la France, la Bulgarie ou la Turquie, pour justifier leur opposition à la
396
ratification de la Convention-cadre pour la protection de minorités, du 10 novembre 1994 .
Ces notions touchent en effet au sujet délicat de la souveraineté nationale. Malgré tout, à la
lecture des arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste, on peut conclure que
les restrictions visant à éviter la séparation de l’Etat national d’une partie de la population
poursuivent un but légitime au sens des paragraphes deux des articles 10 et 11. En outre,
la Cour n’impose pas aux autorités publiques la reconnaissance du statut de minorités ni
l’octroi de droits particuliers à ces “ peuples ”. Contrairement au Pacte International relatif
aux droits civils et politiques dont l’article 27 proclame que “ dans les États où il existe
des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces
minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres
de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion,
ou d'employer leur propre langue ”, la Convention EDH ne contient aucune disposition en
397
ce sens . La Cour se contente de contrôler l’exercice des libertés qui ne peut être interdit
aux particuliers ou personnes morales sous prétexte qu’ils revendiquent une “ conscience
392
393
394
395
Voir supra, pp.50 à 55.
Arrêt Parti socialiste précité, §47.
B. Duarté, op. cit., p.342.
Rapport Commission EDH, Parti communiste unifié de Turquie précité, §§84-85, et rapport Commission EDH Parti socialiste
précité, §§82-83.
396
397
J-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p.12
Article 27 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm
le mercredi 25 juillet 2007).
70
METIER Clémentine_2007
(accès
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
398
minoritaire ” reconnue ou non par leur Etat national . Il convient aussi de rappeler que
les rédacteurs de la Convention avaient accepté de mentionner “ l’intégrité nationale ” au
paragraphe deux de l’article 10 à condition qu’“ une restriction […] portant atteinte aux droits
des minorités nationales de faire valoir leurs aspirations par des moyens démocratiques ”
399
ne puisse être introduite . La jurisprudence de la Cour respecte cette idée en affirmant que
les partis politiques sont autorisés à véhiculer l’opinion des groupes minoritaires du pays,
sauf s’ils contestent l’intégrité territoriale par des revendications séparatistes.
Cependant, la poursuite des buts légitimes ne constitue pas une condition suffisante
en soi pour justifier de la dissolution d’un parti politique. La Cour applique dans un dernier
temps le critère de la “ nécessité dans une société démocratique ”.
Chapitre II / La nécessité dans une société démocratique.
L’article 11, paragraphe deux, impose comme troisième et dernière condition à une
restriction de la liberté d’association que l’ingérence soit “ nécessaire dans une société
démocratique ”. Même si la notion même de “ société démocratique ” reste floue, elle est
centrale dans le système conventionnel. Elle se caractérise par le pluralisme, la tolérance
400
et l’esprit d’ouverture . Par ailleurs, la nécessité de la mesure implique à la fois qu’elle
réponde à un “ besoin social impérieux ” et qu’elle soit proportionnée au(x) but(s) légitime(s)
poursuivi(s).
Section 1 : Le fondement de la “ nécessité dans une société démocratique ”.
§1 Le critère de la société démocratique : une démarche “ socio-historique ”.
L’exigence de “ nécessité dans la société démocratique ” pourrait découler de l’interprétation
de la clause de restriction à la lumière de l’article 17, mais aucun arrêt de la Cour n’est
clair à ce sujet. Pour déterminer si une mesure de dissolution répond à une “ nécessité
dans une société démocratique ”, il faut d’abord évaluer si le projet politique du parti est
démocratique dans toutes ses dimensions. Pour cela, la Cour étudie de façon globale
le discours propagé, les propositions aux adhérents et électeurs, mais aussi les arrière401
pensées contenues dans le programme et les propos des responsables . Notamment, elle
compare le programme ou les déclarations officielles du parti avec l’ensemble des actes
et prises de position des dirigeants et des adhérents. Contrairement à la jurisprudence
de la Cour constitutionnelle turque, la Cour européenne se centre sur l’impact de “ l’acte
commis ”, c’est-à-dire sur des déclarations ou des actes susceptibles de provoquer tel
ou tel effet, plutôt que sur “ l’acte fait ”, c’est-à-dire l’acte en lui-même. Dès l’affaire du
Parti communiste allemand de 1957, la Commission avait déjà adopté cette démarche
402
que certains auteurs qualifient de sociologique . Cette technique permet de dépasser les
apparences : selon la Cour, la convergence des différentes prises de position des dirigeants
398
399
B. Duarté, op. cit., p.344.
Rapport de la Conférence des hauts fonctionnaires au Comité des ministres, Recueil des “ Travaux préparatoires ”, vol/
IV. Voir B. Duarté, op. cit., p.345.
400
401
402
Voir supra, pp.30 à 32.
Bertrand Favreau, in P. Lambert, op. cit., p.124.
J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (février-juillet 2006) ”, AJDA, n°31/2006, p.1719.
METIER Clémentine_2007
71
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
révèle le programme réel et prouve, ou non, la bonne foie du parti. En effet, on ne saurait
exclure qu’il peut exister certaines différences entre les objectifs affichés par un parti et ses
403
intentions réelles . “ Dans le passé, les partis politiques ayant des buts contraires aux
principes fondamentaux de la démocratie ne les ont pas dévoilés dans des textes officiels
404
jusqu’à ce qu’ils s’approprient le pouvoir ” . Partant, la Cour doit s’assurer que les intentions
annoncées publiquement par un parti ne sont pas contredites par les faits, ni par les propos
405
ou les actes de ses responsables .
Dans le cas du Parti communiste unifié de Turquie, cette méthode a joué en faveur des
requérants. Alors que la Cour constitutionnelle turque avait condamné le parti pour s’être
406
intitulé “ communiste ” , conformément à la loi turque réglementant les partis politiques, la
Cour estimait au contraire que le parti dissout “ ne visait pas, malgré son appellation, à établir
407
la domination d’une classe sociale sur les autres ” . Etant donné que le parti incriminé
respectait les “ exigences de la démocratie parmi lesquelles, le pluralisme politique, le
suffrage universel et la libre participation à la vie politique ”, son existence et ses activités
n’étaient pas contraire à l’ordre démocratique, et ce alors même qu’il se dénommait “
408
communiste ” . Pour la Cour, les faits reprochés au Parti relevaient seulement de l’exercice
collectif de sa liberté d’expression. Or, “ le seul fait de vouloir débattre publiquement du
sort d’une partie de la population d’un Etat et de se mêler à la vie politique de celui-ci afin
de trouver, dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent satisfaire
409
tous les acteurs concernés ” ne saurait être sanctionné par les autorités publiques . De
plus, la dissolution d’un parti politique ne saurait se justifier par un seul mot. En ce sens, la
Cour procède à ce qu’elle qualifie d’“ appréciation acceptable des faits pertinents ”, c’est-àdire à une étude d’ensemble des phrases et expressions employées, associée à l’examen
410
global des statuts et du programme du parti . Seule cette démarche permet de restituer le
contexte et d’évaluer la sincérité du programme et des statuts du parti au regard des actes
et prises de positions réels de ses dirigeants et adhérents. Aux yeux du juge européen,
les actes et discours des membres d’un parti sont imputables au parti lui-même, mais à
la condition qu’ils soient concordants quant aux buts et aux intentions du parti et qu’ils
soient assez fréquents pour qu’aux yeux des électeurs, ils soient le reflet du modèle de
société proposé par le parti lui-même, et cela même si le statut ou programme n’y fait pas
411
une référence expresse . Par exemple, dans le cas du Refah Partisi, “ les propos et les
prises de positions en cause des responsables du Parti de la prospérité [constituaient] un
ensemble et [formaient] une image assez nette d’un modèle d’Etat et de société organisée
412
selon les règles religieuses, conçu et proposé par le parti ” . De ce constat, la Cour
déduit que le projet de ce parti était incompatible avec les principes fondamentaux de
403
404
405
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §79.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §58 ; et Parti socialiste, §48.
406
407
408
409
410
411
412
72
Au sujet de la loi turque n°2820 réglementant l’existence des partis politiques, voir supra p.24.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54.
Ibid, §54.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie § 57, et Parti socialiste §45.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §47, et Parti socialiste, §44.
J-Y. Dupeux, op. cit., p.78.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §75.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
la démocratie et les valeurs sous-jacentes de la Convention. Les actes et discours des
membres d’un parti, “ à condition de former un tout révélateur du but et des intentions du
413
parti ”, sont autant d’indices quant au projet à long terme d’un parti . Bien souvent, les
partis non démocratiques tiennent deux langages : celui de la légalité d’une part, et les
actes et discours des responsables d’autre part. Dans la plupart des cas, les statuts et le
programme du parti, respectueux de la légalité, font office de “ vitrine ” du mouvement, mais
les actes et discours trahissent les véritables intentions des dirigeants du parti. A ce sujet,
Raymond Blet rappelle le rôle essentiel que tiennent les médias en tant que rapporteurs des
actes et vecteurs des discours fondamentaux pour le développement des idéaux, même
414
néfastes, d’un parti .
Ainsi, le programme d’une formation politique peut cacher des objectifs et des intentions
415
différents de ceux affichés officiellement . Il revient donc aux juridictions nationales
d’évaluer si le parti incriminé constitue une menace effective sur la démocratie. A ce
sujet, la jurisprudence de la Cour européenne se distingue clairement de celle de la Cour
constitutionnelle turque. En effet, la Cour nationale insiste d’abord sur les objectifs et
l’activité même du parti. Pour le juge constitutionnel, l’essentiel est l’intégrité de l’Etat.
Par contre, la Cour EDH met plutôt en avant le programme, le propos, le discours des
partis politiques. Dans cette démarche, elle tend à dépasser le principe de légalité stricto
416
sensu, tant que l’acte réprimé n’est pas lié à la violence .L’essentiel, à ses yeux, est la
démocratie et la “ solution démocratique ”. C’est pourquoi le jugement de la Cour s’effectue in
concreto, c’est-à-dire que la Cour examine systématiquement les particularités de l’espèce.
Elle juge au cas par cas, sans application automatique ni des principes directeurs de la
Convention ni de sa jurisprudence. Cette technique est particulièrement importante vu la
spécificité et la rigueur du contrôle des restrictions aux droits civils et politiques. En ce sens,
Jean-François Flauss parle d’“ individualisation du contrôle européen ”, qui suppose aussi
l’“ individualisation ” de la mesure limitative ou privative ”, c’est-à-dire que la Cour EDH dans
son jugement, et les autorités nationales dans leur décision de limiter un droit ou une liberté,
417
doivent analyser chaque cas particulier à la lumière des circonstances particulières .
Parmi les facteurs que le juge européen prend en compte dans son examen, “
418
l’évolution historique dans laquelle se situe la dissolution ” et les circonstances entourant
l’espèce jouent un rôle important. Par exemple, lors des affaires Parti communiste unifié
et Parti socialiste de 1998, la Cour avait mentionné qu’elle “ est prête à tenir compte des
circonstances entourant les cas soumis à son examen, en particulier des difficultés liées
419
à la lutte contre le terrorisme ” . De la même manière, dans le cas du Refah Partisi,
la Cour estimait que la menace de la mise en place d’un régime théocratique n’est pas
complètement négligeable en Turquie étant donné non seulement l’évolution historique de
la Turquie, mais aussi l’histoire européenne contemporaine. Pour chaque affaire, la Cour
évalue la situation non seulement au regard du contexte particulier de l’espèce, mais aussi
en fonction de ce que les autres Etats membres de la CEDH ont l’habitude de tolérer,
413
414
415
416
417
418
419
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101.
R. Blet, in P. Lambert, op. cit., p.28
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §101.
Voir supra, pp.60-62.
J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (février-juillet 2006) ”, op. cit., p.1719.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §105.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §59, et arrêt Parti socialiste, §52.
METIER Clémentine_2007
73
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
mais sans préciser s’il s’agit de la technique qui consiste à faire appel au droit interne
pour interpréter et appliquer les dispositions la Convention. Dans cette perspective, “ les
déclarations litigieuses [du Parti socialiste] ne se distingu[aient] guère de celles de certaines
formations politiques actives dans d’autres pays du Conseil de l’Europe ”, ce qui faisait
420
de la dissolution une mesure d’une radicalité injustifiée . De même, dans le cas du Parti
de la prospérité, la Grande Chambre rappelle qu’en Europe, un nombre non négligeable
de mouvements totalitaires s’organisent sous forme de partis, ce qui appelle une certaine
421
vigilance . La Cour européenne fait donc référence aux développements législatifs et
jurisprudentiels nationaux afin de restituer le contexte européen général.
Ensuite, la Cour prend aussi en compte le contexte national propre à l’espèce. Dans
sa décision de dissolution du Refah Partisi, le 16 janvier 1998, la Cour constitutionnelle
turque avait déjà utilisé le contexte de “ combat politique ”, entre défenseur de l’ordre
constitutionnel actuel hérité du Kémalisme et mouvement islamiste radical, pour justifier sa
422
décision . Après avoir constaté que la décision de la Cour constitutionnelle remplissait les
deux premières conditions de l’article 11, paragraphe deux, la seule question majeure qui
subsistait devant la Cour européenne était de juger si la mesure était nécessaire ou non
dans une société démocratique. Après avoir éxaminé les circonstances, le juge européen
a confirmé point par point la conventionnalité de la décision de la Cour constitutionnelle
423
turque . En effet, à la lumière du contexte, il existait un intérêt général à préserver la
424
démocratie et le principe de laïcité . Partant, la mesure de dissolution du Refah Partisi
425
constituait une ingérence légitime au regard de l’article 11, paragraphe deux . Cependant,
il convient de préciser, au sujet du Refah Partisi, que les sources de l’analyse de la
Cour EDH laissent planer certains doutes. En effet, les arguments qui fondent la décision
du juge européen n’apparaissent dans aucun document officiel. Ni le programme, ni les
statuts, ni même l’action politique du parti une fois au pouvoir ne confortent les positions
personnelles relevées à la charge des responsables et des membres de cette formation
politique. Comme le souligne l’opinion dissidente commune de l’arrêt de Chambre, “ la
dissolution s’est exclusivement fondée sur des déclarations publiques et/ou des actions de
426
dirigeants, de membres ou d’anciens membres du parti ” . Il semblerait alors que le parti
ait été condamné pour les faits et gestes de personnes privées n’agissant pas pour son
compte. D’ailleurs, on peut se demander pourquoi les particuliers auteurs de ces propos
ou d’actes dangereux pour la laïcité et la démocratie n’ont jamais été condamnés par une
procédure pénale. Une seule procédure avait été menée contre le “ discours à l’anniversaire
de la chaîne Kanal 7 ” prononcé par M. Necmettin Erbakan, mais elle avait finalement été
427
classée sans suite après les enquêtes . Par ailleurs, l’absence d’unanimité des juges lors
420
421
422
Arrêt Parti socialiste précité, §46.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §98.
A. Bockel, op. cit., p.912.
423
H. Labayle et F. Sudre, “ Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme et droit administratif ”, RFDA, n
ème
°5, septembre-octobre 2004, 20
année, p.987.
424
425
426
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §105.
Ibid, §135.
Opinion dissidente commune à M. Fuhrmann, M. Loucaides, et Sir N. Bratza, in fine de l’arrêt Refah Partisi de Chambre
précité.
427
R. Adjovi, in E. Decaux et P. Tavernier (dir.), “ Chronique de jurisprudence de la Cour EDH (année 2001) ”, JDI 1, 2002,
T.129 (janvier-février-mars), p.309.
74
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
de l’arrêt de Chambre en 2001 laissait s’ouvrir une brèche dans le caractère certain de la
protection des droits politiques, brèche semble-t-il refermée par l’unanimité de la Grande
Chambre en 2003. Quoi qu’il en soit, les preuves apportées par la cour Constitutionnelle
428
turque et la Cour européenne peuvent passer pour “ douteuses ” . Par exemple, au sujet
de la volonté du parti d’instaurer un système multi-juridique, les deux Cours se fondent sur
deux discours anciens, datant de 3 ans avant l’accession du parti au pouvoir, alors même
que tous les autres éléments du dossier plaidaient au contraire en faveur de l’innocence
du parti. Aucun autre discours ou document n’a jamais repris le thème du système multijuridique par la suite et le programme officiel du parti une fois au gouvernement proclamait
429
son attachement au principe de laïcité . De la même façon, dans ses conclusions, la Cour
semble ignorer le fait que le parti ait jusqu’ici eu recours à des “ moyens légitimes ” et
430
que le programme officiel du parti écarte le recours à la violence . Elle considère aussi
que l’exclusion par le parti des députés auteurs des propos extrêmes mis en cause après
l’ouverture de l’action en dissolution n’a pas eu lieu suffisamment en “ temps utile ” et ne
431
faisait que refléter “ l’espoir [du parti] d’échapper à la dissolution ” . En d’autres termes, le
fondement juridique des décisions Refah interroge. Rejoignant l’opinion dissidente de l’arrêt
de Chambre qui considérait que les intentions antidémocratiques du Refah Partisi étaient
432
insuffisamment démontrées , Gilles Lebreton dénonce à ce propos une double trahison
433
de la Cour, sur les plans juridique et philosophique, et regrette sa sévérité injustifiée .
En dehors de ce cas particulier, la Cour se montre malgré tout vigilante quant à
l’existence d’une menace sur la société démocratique qui justifierait l’ingérence. Après cet
examen, la Cour vérifie, dans un second temps, si la mesure étatique respectait le critère
de “ nécessité ” et répondait à un “ besoin social impérieux ”.
§2 L’examen de la nécessité de l’ingérence : la recherche d’un “ besoin
social impérieux ”.
Selon la Cour, le terme “ nécessité ” implique que seules des raisons “ convaincantes
434
et impératives ” puissent légitimer une restriction à la liberté d’association politique . En
d’autres termes, “ le seul type de nécessité capable de justifier une ingérence dans l’un
de ces droits est donc celle qui peut se réclamer de la société démocratique ”, à moins
que la défense de la démocratie ne participe en fait à la protection de la sécurité nationale.
La Cour a utilisé le critère de nécessité dès les premières affaires de dissolution en 1998,
435
concernant le Parti communiste unifié de Turquie et le Parti socialiste . Au sens de l’article
436
11, paragraphe deux, l’adjectif “ nécessaire ” implique un “ besoin social impérieux ” . Après
avoir déterminé si le parti respecte ou non les exigences démocratiques dans l’ensemble
428
429
430
431
432
433
434
435
436
G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1497.
Ibid, p.1500.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §73.
Ibid, §§73 et 77.
Opinion dissidente commune à M. Fuhrmann, M. Loucaides, et Sir N. Bratza, arrêt Refah Partisi de Chambre précité.
G. Lebreton, “ L’Islam devant la Cour EDH ”, op. cit., p.1501.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46, et Parti socialiste, §50.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§42 et 46 : énoncé des principes généraux applicables.
Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §48.
METIER Clémentine_2007
75
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
de son programme, ses statuts, ses activités et ses propos, la Cour évalue si la dissolution
répond ou non à un “ besoin social impérieux ”. Pour qu’une mesure de dissolution soit
légitime au sens de l’article 11, paragraphe deux, elle doit avant tout constituer l’ultime
recours possible pour les autorités nationales, c’est-à-dire qu’elle ne peut avoir lieu que
lorsque le parti menace de façon claire l’ordre politique libre et démocratique d’un pays.
En ce sens, la Cour européenne semble s’inspirer de la jurisprudence de la Cour
suprême américaine qui utilise le critère du clear and present danger. Même si la Cour fait
rarement référence à la jurisprudence d’autres Cours, supranationales ou constitutionnelles,
certains droits fondamentaux comme celui à la liberté d’association, revêtent une dimension
437
universelle . C’est pour cette raison qu’une étude juridique comparative peut contribuer
à mieux comprendre l’interprétation que la Cour EDH fait des droits de l’homme.
Relativement à la notion de “ besoin social impérieux ”, la jurisprudence de la Cour suprême
américaine nous apporte un éclairage intéressant. En effet, depuis l’après Première
Guerre mondiale, cette Cour a développé, le critère du clear and present danger. Elle
l’utilise particulièrement en matière de liberté d’expression, et notamment pour l’interdiction
438
d’organisations antidémocratiques . Sans faire expressément référence à la jurisprudence
de la Cour américaine, la Cour EDH reprend l’idée centrale selon laquelle le contenu d’une
expression ou l’objectif d’une association en soi n’offre aucun motif suffisant pour justifier
une intervention pénale. Par exemple, le juge européen a utilisé cette thèse dans l’arrêt Parti
439
Communiste unifié de Turquie afin de déclarer inconventionnelle la dissolution . Outre
le caractère subversif et antidémocratique de l’opinion ou de l’organisation, il doit y avoir
un danger tangible et immédiat, pour l’ordre démocratique existant. Le danger peut se
manifester de différentes façons. Par exemple, les idées soutenues par une faible proportion
de la population présente un faible danger. A l’inverse, plus l’organisation mobilise une
audience large, plus le danger en lui-même doit être grave et menaçant pour que soit
440
reconnue la nécessité d’une interdiction et que la mesure soit légitime démocratiquement .
La Cour suprême américaine apprécie à la fois le contexte et la proximité du danger afin
d’établir si la formation en cause représente un danger tangible et immédiat. Le critère de
la Cour Suprême américaine permet de compléter l’analyse de la Cour européenne, en la
pondérant par la prise en compte du public susceptible d’être touché par la formation en
441
cause .
Pour la Cour européenne, il s’agit donc de déterminer la portée du danger que
représente éventuellement le parti pour l’ordre démocratique. Pour rechercher si l’ingérence
poursuivait un “ besoin social impérieux ”, le juge européen évalue les chances réelles du
parti d’accéder au pouvoir, c’est-à-dire s’il représentait un “ danger tangible et immédiat ”
pour l’ordre démocratique du pays. Cela permet d’établir si le parti incriminé représente une
véritable menace pour l’ordre démocratique et donc si la dissolution est “ nécessaire dans
une société démocratique ”. Comme le souligne Bertrand Favreau, les partis “ liberticides
” n’attentent véritablement aux libertés qu’en fonction du résultat électoral, le “ verdict
442
des urnes ” . Aussi la Cour vérifie-t-elle la probabilité que le parti en cause accède au
437
438
439
440
441
442
76
S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1021.
Ibid., pp.1021-1022.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §54.
S. Sottiaux et D. de Prins, op. cit., p.1025.
F. Sudre, Droit de la Convention EDH, JCP G 1999, I 105, p.143.
B. Favreau, in P. Lambert, op. cit., p.124.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
pouvoir et mette son projet politique en pratique. Toutefois, l’arrêt Parti communiste unifié de
Turquie précise qu’une dissolution préventive serait inconventionnelle. En l’occurrence, le
programme et les statuts de ce parti ne dévoilaient aucun danger tangible. Or, la dissolution
par la Cour constitutionnelle turque avait eu lieu avant même toute activité politique. Il était
donc impossible de prouver l’inconventionnalité des objectifs réels du parti. Au contraire,
la Cour EDH instituée en Grande Chambre a souligné que le Refah Partisi détenait un “
potentiel réel de s’emparer du pouvoir politique, sans être limité par les compromis inhérents
443
à une coalition ” . En effet, le projet politique proposé par le Parti de la prospérité n’était
444
“ ni théorique, ni illusoire ”, mais réalisable, pour deux raisons majeures . D’abord, c’était
un mouvement politique important : le Parti de la prospérité avait remporté d’importantes
victoires électorales entre 1993 et 1997, période ou ont eu lieu les déclaration incriminées,
et au moment de la dissolution, il détenait à lui seul un tiers des sièges, soit 157 députés,
à la Chambre législative. De plus, il était devenu un parti gouvernemental au moment de
sa dissolution, puisqu’il participait à un gouvernement de coalition et son président, M.
445
Erbakan, avait été nommé Premier ministre en juillet 1996 . Ensuite s’ajoutent les facteurs
historiques propres à la Turquie dont nous venons de parler : dans ce pays, des mouvements
politiques basés sur le fondamentalisme religieux se sont déjà emparé du pouvoir par le
passé. Les organisation religieuses intégristes ont en effet trouvé un terreau fertile pour
imposer leur projet social. “ La Cour en déduit que les chances réelles qu’avait le Parti
de la prospérité de mettre en application ses projets politiques donnent sans nul doute un
caractère plus tangible et immédiat au danger que représentaient ces projets pour l’ordre
446
public ” . Par conséquent, le parti mettant en danger l’ordre public démocratique, les
mesures d’ingérence répondaient bien à un “ besoin social impérieux ”.
En définitive, la tâche de la Cour européenne est non pas de “ se substituer aux
juridictions internes compétentes ”, mais de vérifier si la mesure nationale d’ingérence est
conforme à la Convention en général, et à l’article 11 en particulier, et si le parti accusé
447
prônait des buts contraires aux principes de la démocratie . Plus le programme du parti
est dangereux et plus ce parti a des chances de le mettre en application, plus la mesure
adoptée se justifie au regard de la “ nécessité dans une société démocratique ”. En d’autres
termes, lorsqu’il existe un danger “ tangible et immédiat ” ou un “ besoin social impérieux ”,
l’Etat peut légitimement dissoudre le parti politique en cause.
L’expression “ nécessaire dans une société démocratique ” implique non seulement “ la
compatibilité entre la mesure et l’esprit démocratique ” et “ la nécessité de la mesure prise
”, mais elle induit un ultime “ sous-critère ” : “ le lien et la proportionnalité entre la mesure
448
et le but légitime invoqué ” .
Section 2 : Le principe de proportionnalité de la mesure.
§1 Toute mesure de dissolution doit être proportionnée au but visé.
443
444
445
446
447
448
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §§107-108.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §77.
Voir supra, p.67.
Arrêts précités Refah Partisi de Chambre, §76 ; et de Grande Chambre, §132.
Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §§48 et 51.
J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l‘homme, op. cit., p.380.
METIER Clémentine_2007
77
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Conformément à l’article 11, paragraphe deux, la Cour veille à ce que toute mesure de
restriction à une liberté soit proportionnelle au but légitime poursuivi. Ce principe a été
affirmé par la Cour lors des arrêts Parti communiste unifié de Turquie et Parti socialiste
en 1998. Ces partis avaient été dissous avant même toute activité politique, ce que le
449
juge européen avait estimé disproportionné au but visé . De la même manière, le juge
européen considérait que la façon expéditive dont le Parti de la démocratie et de la liberté
450
a été dissout était le signe d’une extrême sévérité . Alors même que le parti respectait
les règles fondatrices de la démocratie, la décision de dissoudre avait un effet immédiat
et définitif, et était assortie d’un transfert des biens du parti au Trésor Public, ainsi que
de l’interdiction faite aux dirigeants d’exercer des activités politiques. Partant, la mesure
d’interdiction était disproportionnée aux buts légitimes poursuivis, et donc non nécessaire
451
dans une société démocratique, ce qui fondait donc une violation de l’article 11 . Reprenant
cette jurisprudence, l’arrêt majeur, Refah Partisi, confirme le principe de proportionnalité de
452
l’ingérence à la gravité de l’atteinte du parti incriminé . Le but de la mesure étatique doit
être compatible avec le principe de prééminence du droit et les objectifs généraux de la
Convention, ce qui implique que l’ingérence soit proportionnée, et justifiée de façon objective
et raisonnable. Dans cette décision, la Cour européenne ajoutait que “ la nature et la
lourdeur des ingérences sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit
453
de mesurer leur proportionnalité ” . Non seulement un parti ne peut être sanctionné pour
454
“ un comportement relevant uniquement de l’exercice de la liberté d’expression ” , mais
surtout, toute restriction doit être adaptée à la gravité du danger posé par le parti incriminé.
Ainsi, la dissolution d’un parti avant même toute activité politique est particulièrement sévère
et ne saurait être mise en œuvre que dans des cas extrêmes. Sur ce fondement, la Cour
avait notamment constaté le caractère disproportionné de la décision de dissolution du
Parti communiste unifié, alors même qu’il avait pour seul but de débattre publiquement
du sort des kurdes. En conséquence, la Cour avait conclu à l’unanimité à la violation de
455
la liberté d’association de ce parti . Dans les affaires suivantes, la Cour a poursuivi ce
raisonnement. Ainsi, “ une mesure aussi radicale que la dissolution immédiate et définitive
du STP, prononcée avant même ses premières activités, apparaît disproportionnée au but
456
visé et, partant, non nécessaire dans une société démocratique ” . La dissolution doit rester
l’ultime recours, sans quoi la protection de la liberté d’association politique ne serait plus
assurée effectivement. En ce sens, le critère de la proportionnalité induit un juste équilibre
entre les différents intérêts en présence. Une mesure aussi radicale qu’une dissolution
définitive d’un parti politique, en raison de son seul programme et avant même qu’il ait
entamé ses activités, constitue, en raison de son caractère disproportionné, une violation de
457
l’article 11 . De la même façon, l’interdiction faite à un parti politique d’exercer ses activités
449
450
451
452
453
454
455
456
457
78
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §61, et Parti socialiste, §54.
S. Perez, in J-F. Renucci, “ Droit européen des Droits de l’homme ”, Dalloz I 2000, p.191.
Décision à l’unanimité. Arrêt Parti de la liberté et de la démocratie précité, §48.
Arrêts précités Refah Partisi de Chambre, §82, et de Grande Chambre, §133-134.
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §84. Voir aussi l’arrêt Sürek c/ Turquie, 8 juillet 1999, §64.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §58.
Ibid, §61.
Arrêt Parti socialiste de Turquie (STP) précité, §50. Voir aussi arrêt Yazar précité, §§59-60.
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.515.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
pendant un mois viole l’article 11 en raison de l’“ effet inhibiteur ” qu’une telle mesure produit
458
sur la faculté du parti d’exercer sa liberté d’expression et de poursuivre ses buts politiques .
Le contrôle de proportionnalité va de pair avec la recherche d’un besoin social impérieux
justifiant l’ingérence. L’arrêt Dicle pour le parti de la démocratie fournit un exemple très
intéressant à cet égard. Si les positions et les actions du parti en faveur de “ la lutte
pour la reconnaissance de l’identité kurde ” n’étaient pas “ comme tels, contraires aux
459
principes fondamentaux de la démocratie ” , certaines déclarations de l’ex-président de
ce parti posait plus particulièrement problème au regard des exigences démocratiques
définies par la Cour. Dans un discours de 1993, l’ex-président déclarait qu’il approuvait,
et même qu’il appelait au recours à la violence comme moyen politique contre ceux qu’il
460
présentait comme les “ ennemis ” de la population kurde . Dans ces circonstances, une
mesure étatique à l’encontre de l’ex-président aurait bien répondu à un “ besoin social
461
impérieux ” . Cependant, les seuls propos de l’ex-président ne suffisaient pas à justifier
la dissolution du parti tout entier. Selon la Cour, ce seul discours, prononcé par un ancien
dirigeant, qui plus est, à l’étranger, dans une autre langue, et devant un public concerné
seulement indirectement, revêt un impact limité. Cette déclaration ne constituait donc pas
une raison suffisante à “ une sanction aussi générale que la dissolution de tout un parti
politique ”, d’autant plus que la responsabilité individuelle de l’auteur était déjà engagée
462
au plan pénal . En conséquence, la mesure de dissolution n’était pas proportionnelle, et
partant ne répondait pas à un “ besoin social impérieux ”, et donc n’était pas “ nécessaire
dans une société démocratique ”.
A l’inverse, dans le cas du Refah Partisi, la Cour reprend à son compte les arguments
de la Cour constitutionnelle d’Ankara, estimant que les ingérences en cause ne peuvent
être considérées comme étant disproportionnées aux buts visés. Parce-que le Parti de la
prospérité menaçait la société démocratique, sa dissolution, “ assortie d’une interdiction
temporaire pour ses dirigeants d’exercer des responsabilités politiques ”, était une restriction
proportionnée au but de “ maintien de la sécurité nationale et [de] la sûreté publique,
[de] la défense de l’ordre et/ou la prévention du crime, ainsi [que de] la protection des
463
droits et libertés d’autrui ” . En d’autres termes, “ les ingérences litigieuses étaient
proportionnées aux buts légitimes poursuivis, compte tenu du besoin social impérieux
464
auquel elles répondait ” .
Ensemble, le “ besoin social impérieux ” et l’exigence de proportionnalité de la mesure
prise forment une double condition qui s’impose à toute restriction à la liberté d’association
des partis politiques. Par un examen minutieux du programme et des statuts, régulé par la
recherche d’un besoin social impérieux et le principe proportionnalité de la mesure prise,
la Cour illustre sa volonté de faire valoir un ordre public européen favorable à la liberté
d’expression et la liberté d’association, notamment dans la sphère politique. Néanmoins,
458
“ (…) even a temporary ban could reasonably be said to have a “chilling effect” on the party’s freedom to exercise its freedom of
expression and to pursue its political goals ”. Arrêt Parti populaire démocrate chrétien c/ Moldavie, 14 février 2006, §77.
459
460
461
462
463
464
Arrêt Dicle pour le parti de la démocratie précité, §§51 et 53.
Ibid, §62.
Ibid, §63.
Ibid., §64.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §§42 et 82. Repris par l’arrêt de Grande Chambre, §133.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §82.
METIER Clémentine_2007
79
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
la notion de marge d’appréciation nationale implique la recherche d’un équilibre délicat. La
liberté d’association des partis politiques, en ce qu’elle garantit le pluralisme, bénéficie d’une
protection particulière, les Etats ne disposant alors que d’une marge d’appréciation réduite
dans l’évaluation de la nécessité des restrictions au droit garanti par l’article 11.
§2 La marge d’appréciation l’Etat
Le système conventionnel reconnaît aux autorités nationales, parce-qu’elles sont les mieux
placées pour se prononcer sur d’éventuelles restriction des droits et libertés, une certaine
marge d’appréciation. Malgré cela, la Cour exerce son contrôle afin d’éviter tout risque
d’arbitraire. D’ailleurs, si le contrôle est purement formel à l’origine, désormais le juge
européen vérifie l’existence de raisons plausibles à l’ingérence et la proportionnalité de la
mesure. L’appréciation de la marge d’appréciation s’effectue par rapport aux circonstances
et aux moyens des autorités internes (voir supra), ce qui laisse penser à une forme de
465
contrôle d’opportunité . Aussi revient-il à la Cour de définir, dans le cadre du contrôle
de proportionnalité, l’ampleur de la marge d’appréciation des Etats qui se prévalent des
exceptions au droit d’association. Dès les premiers arrêts relatifs à la dissolution des partis
466
politiques, la Cour a souligné son attachement à une marge d’appréciation réduite . La
Cour reconnaît certes le droit de l’Etat d’“ empêcher la réalisation d’un projet politique
incompatible avec les normes de la Convention, avant même qu’il ne soit mis en pratique
par des actes concrets risquant de compromettre la paix civile et le régime démocratique
467
dans le pays ” . Toutefois, la liberté d’association en général, et celle des partis politiques
en particulier, ne saurait être limitée que lorsque sont remplies les trois conditions du
paragraphe deux de l’article 11, et notamment lorsqu’une telle mesure est nécessaire dans
une société démocratique. Par ailleurs, toute mesure de dissolution ou d’interdiction forcée
d’un parti politique est une “ mesure radicale ” qui ne peut avoir lieu que dans des cas
extrêmes : “ des mesures d’une telle sévérité ne [peuvent] s’appliquer qu’aux cas les plus
468
graves ” . En ce sens, la jurisprudence de la Cour poursuit le raisonnement amorcé par
l’ancienne Commission EDH lors des affaires Parti communiste unifié de Turquie et Parti
socialiste de 1998. La Commission avait alors rappelé que la liberté d’association constitue
une “ valeur trop importante pour qu’elle puisse être sacrifiée à la défense des intérêts de
469
État ” . C’est pourquoi le juge européen fait une application restrictive de la théorie de la
marge d’appréciation.
Comme l’a souvent répété la Cour, “ pour juger […] de l'existence d'une nécessité
au sens de l'article 11, paragraphe deux, les Etats contractants ne disposent que d'une
marge d'appréciation réduite, laquelle se double d'un contrôle européen rigoureux portant
à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, y compris celles d'une juridiction
470
indépendante ” . L’objectif de la marge d’appréciation définie par la Cour est de laisser
à l’Etat la possibilité de concilier l’intérêt général et les droits individuels afin de répondre
à l’obligation qui pèse sur lui de rendre effectif l’exercice des droits fondamentaux. Cela
465
466
467
468
469
J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit., p.381.
Par exemple, arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §46, et Parti socialiste de Turquie, §44.
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §82.
Ibid, §82.
Rapports de la Commission précités Parti communiste unifié de Turquie, §§84-85 ; et Parti socialiste, §§82-83.
470
80
Arrêt Parti communiste unifié précité, §46.
METIER Clémentine_2007
PARTIE II : LES MODALITES DE LA PROTECTION DES PARTIS POLITIQUES AU SENS DE
L’ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
471
suppose donc une vigilance particulière de la part du juge européen . Dans l’esprit de la
Convention, les limitations prévues à certaines libertés, notamment celles des articles 8 à
10 de la Convention, constituent un garde fou pour éviter l’individualisme libéral. En ce sens,
la Convention s’inspire de la philosophie du libéralisme politique selon laquelle il convient
de mesurer les droits et libertés individuels à l’aune de l’intérêt général. La notion de marge
d’appréciation illustre le vaste débat qui existe entre principe libéral et l’Etat de droit, ainsi
472
qu’entre principe démocratique et souveraineté nationale . Laisser une certaine marge
d’appréciation à État est indispensable, dans la mesure ou il n’existe “ pas d’authentique
473
unification malgré l’harmonie européenne ” . Des différences peuvent et doivent subsister
entre les divers Etats membres. Cela suppose néanmoins que soit recherché un équilibre
entre la marge de manœuvre nationale et le contrôle de la Cour afin que le système
474
de protection soit viable . C’est ce que la Cour avait déjà énoncé dans l’arrêt Leander
c/ Suède : “ les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation dont l’ampleur
475
dépend non seulement de la finalité, mais encore du caractère propre de l’ingérence ” .
Notamment, l’expérience historique particulière de certains Etats européens peut justifier
une augmentation de la marge d’appréciation face à un parti politique extrémiste. La Cour
estime par exemple que c’est le cas du gouvernement turc face à une formation comme le
476
Refah Partisi, parti religieux fondamentaliste qui souhaite établir la Charia, . En ce sens,
la jurisprudence souligne qu’un Etat contractant “ peut prendre position, en fonction de son
expérience historique, contre des mouvements politiques basés sur le fondamentalisme
477
religieux ” .
En définitive, il convient de mettre en balance “ l’intérêt de l’Etat défendeur à protéger
sa sécurité nationale avec la gravité de l’atteinte au droit du requérant au respect de
478
sa vie privée ” . L’Etat possède certes une relative marge de manœuvre quant à la
détermination de restrictions aux libertés publiques, mais celle-ci n’existe que sous réserve
du contrôle de ses juridictions internes et de la Cour européenne. Précisément, les affaires
Parti communiste unifié et Parti socialiste ont posé la question de l’intensité du contrôle de la
Cour, laquelle est liée à l’étendue de la marge d’appréciation des Etats. Lors de ces affaires,
le gouvernement turc considérait que les deux mesures de dissolution entraient dans sa
marge d’appréciation puisqu’au nom du but légitime de protection de la sécurité nationale
et dans un contexte d’activisme terroriste, les autorités turques estimaient nécessaire
479
l’interdiction du Parti communiste unifié et du Parti socialiste . La Cour européenne a jugé
au contraire que les autorités turques avaient dépassé leur liberté d’appréciation. Partant,
le juge européen avait considéré l’ingérence “ disproportionnée au but visé ”, donc “ non
nécessaire dans une société démocratique ”, ce qui permettait de conclure à la violation de
471
472
473
474
475
476
477
478
479
M. Clapié, op. cit., p.107.
Ibid., p.108.
A-J. Arnaud, cité par J-F. Renucci, Droit européen des droits de l’homme, op. cit., p.4
J-F. Renucci, Droit européen des Droits de l’homme, op. cit. p.4.
Arrêt Leander c/ Suède, §59.
J-F. Flauss, “ Actualité de la Convention EDH (octobre 2002-février 2003) ”, op. cit., p.611
Arrêt Refah Partisi de Grande Chambre précité, §124.
Arrêt Leander précité, §59.
Arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §§39 et 49 ; et Parti socialiste, §39.
METIER Clémentine_2007
81
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
480
l’article 11 de la CEDH . En définitive, la notion de marge d’appréciation est étroitement
liée à celle de proportionnalité de la mesure d’ingérence et donc de nécessité dans une
société démocratique. La vigilance du juge européen montre une tendance générale à
l’élargissement des droits et à la réduction de la marge d’appréciation. Vu l’importance
de l’activité des partis dans la société démocratique, la Cour européenne a renforcé son
attention vis-à-vis de l’utilisation par les Etats de la théorie de la marge d’appréciation pour
justifier des restrictions aux droits des partis politiques.
480
82
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §61. Voir aussi arrêt Parti socialiste précité, §54.
METIER Clémentine_2007
Conclusion
Conclusion
Puisque aucune disposition de la Convention EDH ne fait pas explicitement référence aux
partis politiques, c’est la jurisprudence de la Cour EDH qui a permis d’éclaircir les modalités
de leur protection par le mécanisme conventionnel. Quant à interpréter le travail de la Cour,
la doctrine adopte deux positions. D’une part, on peut considérer, comme Gérard CohenJonathan, que les droits et libertés énoncés dans la Convention et les principes déduits de
son préambule, comme le pluralisme politique, constituent les règles minimales que doit
respecter toute démocratie. Dans cette optique, la Convention, telle qu’interprétée par la
Cour, formerait le “ standard minimum ” de protection des libertés fondamentales dans les
481
Etats parties au Conseil de l’Europe . D’autre part et à l’inverse, certains autres auteurs
comme Frédéric Sudre avancent que les droits et libertés de la Convention constituent une
liste d’“ origine prétorienne (…) nécessairement variable et mouvante dans son contenu ”,
482
et qui dépend de l’évolution de la société européenne et du rôle de la Cour .
Cette deuxième approche semble correspondre assez fidèlement à la démarche
adoptée par la Cour EDH dans les affaires relatives aux partis politiques. Alors que ceuxci n’apparaissent nulle part dans le texte de la Convention, la Cour affirme que la liberté
483
d‘association vaut “ au premier chef ” pour les partis politiques . Etant donné tout d’abord la
formulation large de l’article 11 de la CEDH, qui protège la liberté de réunion et d’association,
et considérant ensuite la contribution “ irremplaçable ” des partis au débat politique et
leur participation “ essentielle ” au bon fonctionnement de la société démocratique, la
Cour a reconnu l’applicabilité de l’article 11 à ces formations, si bien que ce principe ne
484
fait désormais plus aucun doute . Dès lors, la liberté d’association doit s’entendre non
seulement comme le droit de fonder un parti mais aussi comme le droit pour ce dernier
de “ mener librement ses activités politiques ”, sans quoi la liberté d’association de telles
485
formations serait privée d’effectivité et serait illusoire .
“ La démocratie représente sans nul doute un élément fondamental de “l’ordre public
486
européen”(…) ” . Ceci ressort d’abord du Préambule à la Convention, qui établit un lien très
clair entre la Convention et la démocratie : la sauvegarde et le développement des libertés
fondamentaux reposent à la fois sur un régime politique véritablement démocratique, et
sur une conception commune et un respect commun des droits de l’homme. Le Préambule
énonce ensuite que les Etats européens partagent un patrimoine d’idéaux et de traditions
politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. La Cour a vu dans ce
patrimoine les valeurs sous-jacentes à la Convention. A plusieurs reprises, elle a rappelé
481
482
G. Cohen-Jonathan, “Quelle Europe pour les Droits de l’homme ?”, p.481. cité par B. Duarté, op. cit., p.349.
F. Sudre, “ Existe-t il un ordre public européen ? Quelle Europe pour les Droits de l’homme ? ”, pp.54-57. Cité par B. Duarté,
op. cit., p.349.
483
484
485
486
F. Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, op. cit., p.514.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §§25 et 44.
Ibid, §33.
Arrêt Parti communiste unifié de Turquie précité, §45. Repris notamment au §86 de l’arrêt Refah Partisi de Grande Chambre
précité.
METIER Clémentine_2007
83
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
que cette dernière est destinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une
société démocratique. Aussi le contrôle de la Cour s’exerce-t-il non seulement sur la
nécessité d’une ingérence dans la liberté des partis politiques, mais aussi sur la légitimité de
l’activité et des buts poursuivis des partis. En ce sens, une formation qui viserait la division de
la société en plusieurs mouvements religieux, chacun étant soumis aux droit et obligations
découlant de la religion de sa communauté, “ ne peut passer pour compatible avec le
487
système de la Convention ” . En effet, les articles 8, 9, 10 et 11 de la Convention requièrent
d’apprécier les ingérences dans l’exercice des droits qu’ils consacrent à l’aune de ce qui est
“ nécessaire dans une société démocratique ”. En effet, la seule forme de nécessité capable
de justifier une ingérence dans l’un de ces droits, dont notamment le droit d’association
politique, est donc celle qui peut se réclamer de la “ société démocratique ”. La démocratie
apparaît ainsi comme l’unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant,
488
le seul qui soit compatible avec elle . En conséquence, un certain nombre d’exigences
s’impose aux Etats comme aux formations politiques. Si ces dernières possèdent l’obligation
de respecter le principe de la légalité et les règles démocratiques, toute ingérence étatique
dans la liberté des partis se trouve elle soumise à des conditions énumérées par le
paragraphe deux de l’article 11 de la CEDH et précisées par la Cour. Ces exigences sont
au nombre de trois : toute restriction à liberté d’association doit être “ prévue par la loi ”,
poursuivre un ou plusieurs “ but(s) légitime(s) ”, et surtout répondre à une “ nécessité dans
une société démocratique ”. Si dans la majorité des affaires concernant la protection des
partis politiques, les gouvernements nationaux respectent les deux premières conditions,
ils ont parfois bafoué le troisième critère. Il s’est alors agit pour la Cour de définir, et surtout
de faire respecter ce principe de base : il ne peut exister absolument aucune restriction à la
liberté d’association des partis politiques sans “ nécessité dans une société démocratique ”.
487
488
84
Arrêt Refah Partisi de Chambre précité, §69.
Voir notamment les arrêts précités Parti communiste unifié de Turquie, §45, et arrêt Dicle pour le parti de la démocratie, §44.
METIER Clémentine_2007
Bibliographie :
Bibliographie :
Manuels de droit :
Michel Clapié, Manuel d’institutions européennes, Flammarion, 2ème édition, Paris :
2006, 415 pages.
ème
Pierre-Marie Dupuy, Droit International Public, Précis Dalloz, 8
édition, Paris : 2006,
849 pages.
Dinh Nguyen Quoc, Patrick Daillier et Alain Pellet, Droit International Public, LGDJ,
ème
6
édition, Paris : 1999, 1269 pages.
Pierre Pactet et Ferdinand Mélin-Soucramanien, Droit constitutionnel, Sirey, Dalloz,
ème
Paris : 2006, 25
édition, 639 pages.
Ouvrages sur les droits de l’homme et les libertés
publiques :
ème
Claude-Albert Colliard et Roseline Letteron, Libertés publiques, Dalloz, Précis, 8
édition, Paris : 2005, 569 pages.
Jérôme Ferrand et Hugues Petit (dir.), Fondations et naissances des Droits de l’homme,
L’Harmattan, Paris : 2003, 447 pages.
Jacques Fialaire et Eric Mondielli, Droits fondamentaux et libertés publiques, Ellipses,
collection universités, Paris : 2005, 558 pages.
Gilles Lebreton, Libertés Publiques et Droits de l’Homme, Dalloz, Armand Collin,
ème
collection U, 5
édition, Paris 2001, 527 pages.
Claude Leclercq, Libertés publiques, Litec, Éditions du Juris-Classeur, collection
ème
Manuel, 5
édition, Paris : 2003, 363 pages.
Danièle Lochak, Les Droits de l’homme, La Découverte, collection Repères, Paris :
2005, 127 pages.
Alain-Serge Mescheriakoff, Marc Frangi et Moncef Kdhir, Droit des associations, PUF,
collection Droit fondamental, Paris : 1996, 335 pages.
Jean Morange, Droits de l’Homme et libertés publiques, Presses Universitaires de
ème
France, 5
édition, Paris 2000, 460 pages.
Yves Madiot, Droits de l’Homme et libertés publiques, Masson, Paris : 1976, 298 pages.
METIER Clémentine_2007
85
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Louis-Edmond Pettiti, Emmanuel Decaux et Pierre-Henri Imbert (dir.), La Convention
européenne des Droits de l’homme. Commentaire article par article, Economica,
ème
Paris : 1999, 2
édition, 1230 pages.
Jean-François Renucci, Droit européen des droits de l’homme, LGDJ, collection
Manuel, Paris : 1999, 570 pages.
ème
Frédéric Sudre, Droit européen et international des Droits de l’homme, 8
édition,
PUF, Paris : 2006, 786 pages.
ème
Patrick Wachsmann, Les Droits de l’Homme, Dalloz, 4
édition, Paris : 2002, 180
pages.
Ouvrages sur la Convention et la Cour européenne
des Droits de l’homme :
Yadh Ben Achour, La Cour européenne des droits de l’Homme et la liberté de religion,
Cours et travaux n°3, Institut des hautes études internationales de Paris, université
Panthéon-Assas (Paris II), éditions A. Pedone, Paris : 2005, 95 pages.
Vincent Berger, Jurisprudence de la Cour Européenne de droits de l’homme, Sirey,
ème
10
édition, Paris : 2007, 818 pages.
Jean-Loup Charrier, Code de la Convention européenne des Droits de l’homme,
LexisNexis Litec, collection Juris Code, Paris : 2005, 429 pages.
Gérard Chianéa et Jean-Luc Chabot (dir.), Les droits de l’homme et le suffrage
universel, 1848-1948-1998. Actes du Colloque de Grenoble, avril 1998, L’Harmattan,
Paris : 2000, 392pages.
Gérard Cohen-Jonathan et Jean-François Flauss (dir. ), Le rayonnement international
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, Némésis Bruylant,
collection Droit et justice, Bruxelles : 2005, 276 pages.
P. Van Dijk and G.J.H. Van Hoof, Theory and practice of the European Convention on
Human Rights, Kluwer Law International, 3rd edition, The Hague : 1998, 850 pages.
Olivier Dord, Les cours européennes : Luxembourg et Strasbourg, Seuil, Paris : 2001,
221 pages.
Gilles Dutertre, Extraits clés de jurisprudence, Cour européenne des droits de
l'homme/Key Case-Law extracts - European Court of Human Rights (Extraits clés de
jurisprudence – Cour européenne des Droits de l’Homme), Éditions du Conseil de
l'Europe/ Council of Europe Publishing, Strasbourg : 2003, 410 pages.
Donna Gomien, David Harris, Leo Zwaak, La Convention européenne des Droits de
l’homme et Charte sociale européenne : droit et pratique, Éditions du Conseil de
l’Europe/ Council of Europe Publishing, Strasbourg : 1997, 498 pages.
Gérard Gonzalez (dir.), Laïcité, liberté de religion et Convention européenne des droits
de l’homme. Actes du colloque du 18 novembre 2005 organisé par l’Institut de droit
86
METIER Clémentine_2007
Bibliographie :
européen des droits de l’homme (IDEDH), Némésis-Bruylant, collection Droit et
justice, Bruxelles : 2006, 266 pages.
Pierre-Henri Imbert (dir.), De l’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH (Symposium
des Juges au Château de Bourglinster – 16 septembre 2002), p.1, http://www.droitsfondamentaux.org/IMG/pdf/df2imbuecedh.pdf (accès en ligne le vendredi 22 juin
2007).
Pierre Lambert (dir.), Les partis liberticides et le Convention européenne des Droits de
l’homme. Actes du colloque du 8 octobre 2004 organisé par les Instituts des droits de
l’homme des barreaux de Bordeaux, Bruxelles et Paris, Némésis-Bruylant, collection
Droit et justice, Bruxelles : 2005, 212 pages.
Jean-Pierre Marguénaud, La Cour Européenne des Droits de l’Homme, Dalloz,
ème
collection Connaissance du Droit, 2
édition, Paris : 2002, 141 pages.
Alastair R. Mowbray, The development of positive obligations under the European
Convention on Human Rights by the European Court of Human Rights, Portland :
2004, 239 pages.
Julie Ringelheim, Diversité culturelle et Droits de l’homme. La protection des minorités
par la Convention européenne des Droits de l’homme, Bruylant, collection du Centre
des Droits de l’home de l’université catholique de Louvain, Bruxelles : 2006, 490
pages.
Dominique Rousseau et Fréderic Sudre (dir.), Conseil constitutionnel et Cour
européenne des droits de l'homme : droits et libertés en Europe. Actes du colloque
de Montpellier (20-21 janvier 1989), Centre d'études et de recherches comparatives
constitutionnelles et politiques et l'Institut européen des droits de l'homme, éditions
Sciences et techniques humaines (STH), collection Les grands colloques STH, Paris :
1990, 232 pages.
Alphonse Spielmann, “ La Convention européenne des droits de l’homme et l’abus de
droit ”, in Mélanges en hommage à Louis Edmond Petiti, 683 pages.
Frédéric Sudre (dir.), L’interprétation de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Actes du colloque de Montpellier des 13 et 14 mars 1998 organisé par l’Institut de
droit européen des droits de l‘homme (IDEDH), Némésis Bruylant, Bruxelles : 1998,
354 pages.
Frédéric Sudre, Jean-Pierre Marguénaud, Joël Andriantsimbazovina et al., Les grands
arrêts de la Cour européenne des Droits de l'Homme, PUF, collection Thémis, Paris :
e
2004, 2 édition, 645 pages.
Frédéric Sudre, Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, recueil de
ème
décisions, PUF, collection Que sais-je ?, 3
édition, Paris : 2005, 127 pages.
Frédéric Sudre, La Convention européenne des Droits de l'Homme, Presses
universitaires de France, collection Que sais-je ?, 6ème édition, Paris: 2004, 126
pages.
Rebecca M.M. Wallace, Companion to the European Convention on Human Rights,
vol.2, The Cases, Trenton Publishing, London : 1999.
METIER Clémentine_2007
87
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Périodiques :
“ Liberté d’association et Partis politiques. La Turquie une nouvelle fois condamnée par
la CEDH pour la dissolution d’un parti politique ”, Le journal électronique des Droits
de l’Homme, Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Bordeaux, n°04/2005,
pp.7-8.
“ Conseil de l’Europe. Convention. Cour européenne. Dissolution d’un parti politique ”,
ème
Journal des tribunaux. Droit européen, n°123, 13
année, Bruxelles : Novembre
2005, p.285.
R. Adjovi, “ Partis politiques ”, in Emmanuel Decaux et Paul Tavernier (dir.), Chronique
de jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (année 2001), JDI 1,
2002, T.129 (janvier-février-mars), pp.308-309
Ed Bates, “ Case of Refah Partisi (The Welfare Party) and Others v. Turkey. Judgement
of July 31, 2001 ”, in John Andrews, Ed Bates and Ian Wallace (dir.), Judgements of
the Court of Human Rights, European Law Review Human Rights Survey, (2002)27,
pp.196-199.
Florence Benoît-Rohmer, “ La Cour européenne des Droits de l’Homme et la défense
er
ème
des minorités nationales ”, RTDH, 1 juillet 2002, 13
année, n°51/2002,
pp.563-586.
Alain Bockel, “ Le droit constitutionnel turc à l’épreuve européenne. Réflexions à
parti d’une décision de la Cour constitutionnelle turque portant dissolution du Parti
islamique REFAH ”, RFDC, n°40, 1999, pp.911-927.
Le Courrier International, “ Elections. Les deux Turquie s’affrontent. Deux pays, un
Etat ”, n°872, du 19 au 25 juillet 2007, pp.12 à 15.
Bernadette Duarté, “ Observation sur l’arrêt Cour EDH (Grande Chambre), 30 janvier
1998, Affaire Parti communiste unifié de Turquie et autres c/ la Turquie. Les partis
politiques, la démocratie et la Convention européenne des Droits de l’Homme ”,
er
ème
RTDH, , 1 avril 1999, 10
année, n°38/1999, pp.301-350.
Pierre Espuglas, “ L'interdiction des partis politiques ”, RFDC, n°36, 1998, pp.675-709.
Jean-François Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne des droits
ère
de l’homme, 1
partie. Le droit constitutionnel national devant les instances
de contrôle de la Convention européenne des droits de l’homme (Actualité
jurisprudentielle 1994-1995-1996) ”, RFDC, n° 30, 1997, pp.377-399.
Jean-François Flauss, “ Droit constitutionnel et Convention européenne des Droits de
l’homme. Le droit constitutionnel national devant la Cour européenne des Droits de
l’homme (actualité jurisprudentielle 1997-1998-1999-2000) ”, RFDC, n°44, 2000,
pp.843-877.
Jean-François Flauss, “ Actualité de la Convention européenne des Droits de
l’Homme (novembre 2000-octobre 2001) ”,AJDA, n°12/2001, 20 décembre 2001,
pp.1009-1104.
88
METIER Clémentine_2007
Bibliographie :
Jean-François Flauss, “ Actualité de la Convention européenne des Droits de l’Homme
(octobre 2002-février 2003) ”, AJDA, n°12/2003, 31 mars 2003, pp.577-632.
Jean-François Flauss, “ Laïcité et Convention européenne des Droits de l’Homme ”,
RDP, n°2-2004, pp.317-324.
Jean-François Flauss, “ Actualité de la Convention européenne des Droits de l’Homme
(février-juillet 2006) ”, AJDA, n°31/2006, 25 septembre 2006, pp.1689-1744.
Paul Harvey, “ Militant democracy and the European Convention on Human Rights ”,
European Law Review, vol. 29, n°3, June 2004, pp.407-420.
Pierre-Henri Imbert, “ De l’adhésion de l’Union Européenne à la CEDH (Symposium des
Juges au Château de Bourglinster. 16 septembre 2002) ”, Droits fondamentaux, n
° 2, janvier-décembre 2002, pp.1-9, http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/
df2imbuecedh.pdf (consulté le vendredi 22 juin 2007).
Henri Labayle et Frédéric Sudre, “ Jurisprudence de la Cour européenne des Droits
ème
de l’Homme et droit administratif ”, RFDA, n°4, juillet-août 1999, 15
année,
pp.713-904.
Henri Labayle et Frédéric Sudre, “ Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de
ème
l’Homme et droit administratif ”, RFDA, n°5, septembre-octobre 2000, 16
année,
pp.921-1174.
Henri Labayle et Frédéric Sudre, “ Jurisprudence de la Cour européenne des Droits de
ème
l’Homme et droit administratif ”, RFDA, n°5, septembre-octobre 2004, 20
année,
pp.879-1052.
Gilles Lebreton, “ Laïcité et Convention européenne des Droits de l’homme. L’islam
devant la Cour européenne des Droits de l’Homme ”, RDP, n°5-2002, pp. 1493-1510.
Jean Le Gloan, “ L’influence croissante de la jurisprudence de la Cour européenne des
Droits de l’homme sur les droits nationaux ”, RDP, G-1999, pp.1765-1783.
Michel Levinet, “ Droit constitutionnel et Convention européenne des droits de l’homme.
L’incompatibilité entre l’Etat théocratique et la Convention européenne des droits de
l’homme. A propos de l’arrêt rendu le 13 février 2003 par la Cour de Strasbourg dans
l’affaire Refah Partisi et autres c/Turquie ”, RFDC, n°57, janvier 2004, pp.206-221.
Michel Levinet, “ VI. Droit à la liberté de réunion et d’association (art. 11). Cour EDH,
Gd. Ch., 13 février 2003, Refah Partisi (Parti de la Prospérité) et a. c/ Turquie ”, in
Frédéric Sudre (dir.), Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des Droits
de l’Homme (année 2003), RDP, n° 3-2004, Jacques Robert et Yves Gaudemet (ed.),
pp.836-839.
Irène Kitsou-Milonas, “ Convention européenne des Droits de l’Homme. Liberté
ème
d’association (article 11) ”, Revue Europe, 11
année, n°11, novembre 2001,
Commentaire n°344, pp.20-21.
Ibrahim Ozden Kaboglu, “ La liberté d’expression en Turquie ”, RTDH, 1
ème
10
année, n°38/1999, pp.253-276.
METIER Clémentine_2007
er
avril 1999,
89
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Sophie Perez, “ Observation sur l’arrêt CEDH, 8 décembre 1999, Parti de la liberté et
de la démocratie (ÖZDEP) c/ Turquie. Dissolution d’un parti politique et article 11 de
la Convention européenne. ”, in Jean-François Renucci (dir.), Droit européen des
Droits de l’Homme, Sommaires Commentés, Recueil Dalloz Sirey, n°18, pp.179-193.
Michèle de Salvia, “ Jurisprudence de la Cour européenne de Droits de l’Homme pour
les années 2001 et 2002. Extraits des principes directeurs ”, RUDH, 30 octobre 2003,
vol.15, n°3-6, pp.85-248.
Stéphan Sottiaux et Dajo de Prins, “ La Cour européenne des Droits de l’Homme et les
organisations antidémocratiques. Observations sur l’arrêt CEDH (troisième section),
er
31 juillet 2001, Refah Partisi (Parti de la Prospérité c/ la Turquie ”, RTDH, 1 octobre
ème
2002, 13
année, n°52/2002, pp.983-1034.
Frédéric Sudre, “ La déclaration universelle des Droits de l’homme, aperçu rapide ”,
Actualité, JCP G 1998, n°52 (28 décembre 1998), pp.2249-2251.
Frédéric Sudre, “ Droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme ”, JCP G
1999, n°3 (20 janvier 1999), I 105, p.143.
Frédéric Sudre, “ Droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme ”, JCP G
2000, n°5 (02 février 2000), I 203, pp 198-199.
Frédéric Sudre, “ Droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme ”, JCP G
2001, n°4 (24 janvier 2001), I 291, p.193.
Frédéric Sudre, “ Droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme ”, JCP G
2002, n°3 (16 janvier 2002), I 105, pp.128-132.
Frédéric Sudre, “ Droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme ”, JCP G
2003, n°37 (10 septembre 2003), I 160, pp.1569-1574.
Hélène Surrel, “ VIII Les libertés de l’action sociale et politique ”, in Frédéric Sudre (dir.),
Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme (année
2005), RDP, 2006, n°3, pp.810-812.
Stéphane Wohlfahrt, “ Dissolution de partis politiques ”, in Emmanuel Decaux et Paul
Tavernier (dir.), Chronique de jurisprudence de la Cour européenne des Droits de
l’Homme (année 1998), JDI. 1, 1999, T. 126 (janvier-février-mars), pp.213-215.
Sites internet :
http://www/echr.coe.int (Site de la Cour européenne des Droits de l’homme).
http://conventions.coe.int/ (Site du bureau des traités du Conseil de l’Europe).
http://www.ohchr.org/french/law/ccpr.htm (Lien vers le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques du 19 décembre 1966).
http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf (Lien vers la Charte des Droits
fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000).
90
METIER Clémentine_2007
Bibliographie :
http://www.un.org/french/aboutun/dudh.htm (Site de l’ONU, lien vers la Déclaration
universelle des Droits de l’homme du 10 décembre 1948).
http://www.conseil-constitutionnel.fr (Site du Conseil Constitutionnel).
http://www.vie-publique.fr (site de la Documentation Française).
http://www.legifrance.gouv.fr (Site du service public de la diffusion du droit).
METIER Clémentine_2007
91
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Index de la jurisprudence citée :
Jurisprudence européenne
Arrêts de la Cour européenne des Droits de l’homme :
Abdulaziz, Cabales et Balkandali c/ Royaume-Uni, 28 mai 1985 : p.63.
Ahmed c/ Royaume-Uni, 2 février 1998 : pp.47, 48, 76.
Airey, 9 octobre 1979 : p.49.
Albert et Le Compte, 10 février 1983 : p.28.
Baranowski c/ Pologne, 28 mars 2000 : p.79.
Barthold c/ Allemagne du 25 mars 1985 : p.41.
Affaire “ relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en
Belgique ” c/ Belgique, 23 juillet 1968 : p.72.
Bowman c/ Royaume-Uni, 19 février 1998 : p.42.
Brogan c/ Royaume Uni, 29 novembre 1988 : p.33.
Cantoni c/ France, 15 novembre 1996 : p.78.
Castells c/ Espagne, 23 avril 1992 : pp.36, 49, 50.
Cha’are Shalom Ve Tsedek c/ France, Grande Chambre, 27 juin 2000 : p.40.
Chassagnou et autres c/ France, 29 avril 1999, Grande Chambre : p.45.
Demokratik Kitle Partisi (DKP) et Elçi c/ Turquie, 3 mai 2007 : pp.59-60, 81.
De Wilde, Ooms et Versyp, 18 juin 1971 : p.76.
Dicle pour le Parti de la démocratie (DEP) c/ Turquie, 10 décembre 2002 : p.43, 51,
59, 81, 90, 92, 94, 99.
Dudgeon c/Royaume-Uni, 22 octobre 1981 : p.52.
Emek Partisi et Şenol c/ Turquie, 31 mai 2005 : pp.59, 79, 81-82.
Golder c/Royaume-Uni, 21 février 1975 : pp.47, 49.
Gorzelik et autres c/ Pologne, 20 décembre 2001 : p.71.
Groppera Radio AG et autres c/ Suisse, 28 mars 1990 : p.78.
Gustafsson c/ Suède, 25 avril 1996 : pp.10, 26.
Halford c/ Royaume-Uni, 25 juin 1997 : p.79.
Handyside c/ Royaume-Uni, 7 décembre 1976 : pp.35, 36, 37, 41-42, 49, 76.
Hentrich c/ France, 22 septembre 1994 : p.79.
Incal c/ Turquie, 9 juin 1998 : pp.43, 48-49.
Irlande c/ Royaume-Uni, 18 janvier 1978 : p.72.
Johnston et autres c/ Irlande, 18 décembre 1986 : p.35.
92
METIER Clémentine_2007
Index de la jurisprudence citée :
Kjeldsen, Bsuk Madsen et Pedersen c/ Danemark, 7 décembre 1976 : p.32.
Klass et autre c/ RFA, 6 septembre 1978 : p.71.
Kokkinakis c/ Grèce, 25 mai 1993 : pp.38, 71.
Kruslin c/ France, 24 avril 1990 : p.78.
Lawless c/ Irlande, 1er juillet 1961 : p.66.
Le Compte, Van Leuven, et de Meyer, 23 juin 1981 : pp.28, 48.
Lehideux et Isormi c/ France, 23 septembre 1998 : p.66.
Leander c/ Suède, 26 mars 1987 : pp.96-97.
Leyla Sahin c/ Turquie, 29 juin 2004, Chambre : p.40.
Leyla Sahin c/ Turquie, 10 novembre 2005, Grande Chambre : p.40.
Lingens c/ Autriche, 8 juillet 1986 : pp.31, 36, 41-43, 77.
Loizidou c/ Turquie, Grande Chambre, 23 mai 1995 : p.30.
Manoussakis c/ Grèce, 26 septembre 1996 : p.38.
Mathieu-Mohin et Clerfayt c/Belgique, 2 mars 1987 : pp.31, 42.
Müslüm Gündüz c/ Turquie, 4 décembre 2003 : p.65.
Müslüm Gündüz c/ Turquie (n°2), 12 juillet 2005 : p.65.
Olson c/ Suède,24 mars 1988 : p.76.
Open Door et Dublin Well Woman c/ Ireland, 29 octobre 1992 : pp.73, 78.
Organisation macédonienne unie, Pirin et autres c/ Bulgarie (Ière section), 20 octobre
2005 : p.55.
Ouriano Toxo et autres c/ Grèce, 20 octobre 2005 : pp.46, 73-74.
Parti communiste unifié de Turquie c/ Turquie, 30 janvier 1998 : pp.14, 25-26, 29-30,
32, 34-37, 42-43, 46, 48-54, 58, 61, 69-70, 73-74, 76, 78, 81-82, 85-87, 90-91, 93, 95-99.
Parti de la Démocratie et de l’évolution et autres c/ Turquie, 26 avril 2005 : pp.59-60,
79, 81.
Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c/ Turquie, 8 décembre 1999 : pp.29,
36, 43, 48, 51, 54-55, 69, 81, 93.
43.
Partidul Communistilor (Nepeceristi) et Ungureanu c/ Roumanie, 3 février 2005 : pp.42,
Parti populaire démocrate chrétien c/ Moldavie, 14 février 2006 : p.94.
Parti socialiste de Turquie (STP) et autres c/ Turquie, 12 novembre 2003 : pp.43, 51,
81-82, 93.
Parti socialiste et autres c/ Turquie, 25 mai 1998 : pp.27, 29, 34, 36, 42-43, 50-54, 58,
61-62, 69-70, 74, 76-77, 81-83, 85-88, 90, 93, 95, 97.
Piermont c/ France, 27 avril 1995 : pp.36, 49.
Plattform “ Arzte fur das Leben ” c/ Autriche, 21 juin 1988 : p.73.
Prager et Oberschlick c/ Autriche, 26 avril 1995 : p.33.
METIER Clémentine_2007
93
LES PARTIS POLITIQUES DANS LA JURISPRUDENCE DE LA COUR EUROPEENNE DES DROITS
DE L’HOMME
Refah Partisi (Parti de la prospérité) c/ Turquie, Chambre, 31 juillet 2001 : pp.29, 31-35,
39, 40- 42, 46, 57-59, 62-64, 68-70, 74-75, 79-80, 82, 85-86, 88-89, 91-93, 95, 99.
Refah Partisi (Parti de la prospérité) de Grande Chambre, 13 février 2003 : pp.30-31,
35, 39- 42, 46, 57, 59, 61-63, 68-69, 71, 74-75, 79, 82, 85, 87-88, 91-93, 95-98.
Schmidt et Dahström, 6 février 1976 : pp.24, 26.
Selim Sadak et autres c/ Turquie, 11 juin 2002 : p.81.
Sidiropoulos, 10 juillet 1998 : pp.48, 72.
Sigurdur A. Sirgurjonsson c/ Islande, 30 juin 1993 : p.10.
Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c/ Bulgarie, 2 octobre 2001 : p.36.
Sunday Times, Observer et Guardian c/ Royaume-Uni, 26 novembre 1991 : pp.36, 41.
Sürek c/ Turquie, 8 juillet 1999 : p.93.
Syndicat national de la police belge, 27 octobre 1975 : p.47.
Tyrer, 25 avril 1978 : p.35.
Vogt c/ Allemagne, 26 septembre 1995 : pp.36, 47.
Wemhoff c/ Allemagne, 27 juin 1968 : p.35.
Wilson et autre c/ Royaume-Uni, 2 juillet 2002 : p.74.
Yazar, Karatas et Aksoy, au nom du Parti du peuple démocratique c/ Turquie, 9 avril
2002 : pp.34, 43, 46, 50, 51, 55, 69, 81, 93.
Young, James et Webster c/ Royaume-Uni, 13 août 1981, : pp.36, 52.
Zana c/ Turquie, 25 novembre 1997 : p.14.
Rapports de la Commission européenne des Droits de l’homme :
Affaire Buscarini c/ Saint-Marin, 2 décembre 1997 : p.40.
septembre 1996, requête n° 19392192, §37 : p.24.
Affaire France, Norvège, Danemark, Suède et Pays-Bas c. Turquie, 7 décembre 1985,
requêtes n° 9940–9944/82, D. R. 35, p.143 : p.23.
Affaire Karaduman, 3 mai 1993 : p.23.
Affaire Lavisse c/ France, 5 juin 1991 : p.45.
Affaire Grecque, Annuaire 12, p. 170, §392 : p.23.
Affaire Parti communiste d’Allemagne, requête n° 250/57, Annuaire 1, p.222 : p.23.
Affaire Parti communiste unifié de Turquie (TBKP), N. Sargin et N. Yâgci c/ Turquie, 3
septembre 1996 : pp.24, 49, 81, 83, 96.
Affaire Affaire Young, James and Webster c/ Royaume-Uni, 14 décembre 1979 : p.12.
Affaire Parti socialiste, D. Pirincek et I. Kirit c/ Turquie, requête n°21237193 : pp.49,
81, 83, 96.
Jurisprudence française
Décisions du Conseil d’Etat :
Amicale des Annamites de Paris, 11 juillet 1956, : Rec. CE, p.317 : p.9.
Association des anciens combattants, 24 janvier 1958, Rec., p.38 : p.9.
94
METIER Clémentine_2007
Index de la jurisprudence citée :
Front National et institut de formation des élus locaux,, Ord. Référé, 19 août 2002, req.
n°249666 : p.47.
Décisions du Conseil Constitutionnel :
Liberté d’association, 16 juillet 1971, n°71-44 DC : p.9.
Statut de la Polynésie française, 9 avril 1996, n°96-373 DC, Rec. p.58 : p.10.
Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, 9 mai 1991 : p.51.
Autres jurisprudences nationales
Décision Cour d’arbitrage belge, Verbeke et Delbouille, 12 juillet 1996, §B.7.16 : p.66.
METIER Clémentine_2007
95