21 - Le langage scientifique - Pagesperso

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21 - Le langage scientifique - Pagesperso
21 - Le langage scientifique
Un langage qui fait percevoir le monde sous forme de phénomènes, qui invente des causes,
des relations, des fonctionnements de ce que l’on ne peut voir. Un langage aussi créatif.
Nous n’avons pas encore parlé du langage scientifique. Il s’agit bien d’un autre langage, c'est-à-dire
une autre façon d’interpréter les informations que l’on perçoit par les sens. C’est un langage, comme
l’écrit, comme le langage mathématique, qui crée un monde qu’il traduit dans des symboliques qui ont
leurs propres cohérences.
Nous avons vu que le langage mathématique crée un monde dont sont absents les êtres et les
choses. Les objets eux-mêmes y perdent leur caractéristique d’objets. 2+2 est une invention qui se
moque qu’il s’agisse de chèvres ou de vaches. Dans notre société dite moderne, un PIB n’est qu’une
invention mathématique qui ne recouvre aucune réalité tangible… en dehors de ceux qui en
bénéficient ou des chômeurs ou des SDF qui doivent s’y soumettre ou qui en résultent.
Le langage scientifique est celui qui fait percevoir le monde sous forme de phénomènes et en invente
des représentations. Il crée des théories qui cherchent des causes et leurs effets. Il établit une
cohérence et des conséquences successives que l’on prend alors pour la réalité, mais qui permettent
aussi de fabriquer un monde tangible qui lui devient réel.
Cette réalité peut être mise à mal quand la puissance de ce langage invente d’autres théories et
d’autres constructions symboliques qui ne correspondent plus tout à fait aux précédentes. Un bel
exemple est fourni par la physique quantique qui nous dit qu’une particule peut être alternativement
une onde ou qu’elle peut être là tout en étant simultanément ailleurs !
Je vais reprendre un exemple déjà utilisé, celui d’un orage la nuit. Un événement perturbant qui
provoque généralement de la crainte. L’enfant peut se cacher sous ses couvertures en attendant que
l’événement cesse. Il n’empêche que l’événement provoque toute une série complexe de réactions
neuronales et hormonales. Il va s’inscrire dans la mémoire cérébrale de l’enfant et influera sur ses
comportements immédiats, comme dans ceux qui adviendront quand l’événement se reproduira.
Les neurobiologistes nous ont appris que notre cerveau, face à une infinité d’informations, cherchera
une solution qu’Alain BERTHOZ appelle simplexe pour se tirer d’affaire. Soit il créera le réflexe de se
cacher à chaque reproduction de l’événement, soit il mettra en branle l’interface qui lui fait percevoir
l’événement comme un phénomène. Quelles relations peut-on imaginer entre les diverses
informations qui constituent l’événement ? L’enfant mettra en branle son langage scientifique qui se
traduit oralement par pourquoi ? Comment ?
Au vue de l’invraisemblable quantité de « pourquoi ? Comment ? » dont nous submergent les enfants,
on peut être certain qu’ils disposent tous de ce langage ! Vu l’embarras que la plupart de ces
questions provoquent chez ceux à qui il est demandé de répondre, et vu l’insatisfaction souvent
apportée par la réponse, on devrait se douter que les représentations portées par le langage oral sont
incompréhensibles si un autre langage n’a pas construit les interconnexions qui font voir différemment
un autre monde. Lorsque les physiciens me disent qu’une particule est là en n’étant pas là et qu’elle
peut être en même temps une onde, c’est simple… mais ça me fait une belle jambe comme on dit
vulgairement !
ème
Ce qui nous importe dans une école du 3
type, c’est le développement du langage scientifique
beaucoup plus que la mémorisation de connaissances scientifiques. Il s’agit de l’outil cérébral qui
permet de créer des représentations différentes de celles créées par les autres langages. C’est la
capacité qui permet de se représenter le monde des objets et des phénomènes dans des formes,
des images, des relations que l’on ne voit pas. C’est la capacité d’émettre des théories, de les vérifier
et de les réfuter, de rentrer dans les théories communément admises. C’est la capacité de mettre en
relation des observations, des événements pour en faire émerger une autre perception. C’est accepter
la curiosité et le questionnement comme moteur de cette construction. C’est considérer le doute et la
remise en question comme qualité première.
Ce n’est pas la notion qui nous intéresse mais l’outil cérébral qu’un enfant développe pour
appréhender le monde dans ce qu’il ne voit pas, dans ce qui aiguise sa curiosité ou dans ce qui peut
l’inquiéter. L’outil qui lui permettra d’émettre des tas d’hypothèses, d’en créer des représentations (par
exemple dessiner ce qui peut bien advenir de nos aliments), de confronter ses représentations à
celles d’autres et du coup faire évoluer les siennes. La capacité qui lui permettra de modifier
l’agencement d’une combinaison d’objets pour voir ce qui se passe, d’en tirer des conclusions
provisoires en admettant qu’elles ne peuvent être que provisoires, etc. La notion en elle-même n’a
que peu d’importance. Ce qui est primordial c’est l’outil qui permettra son accès, à elle et à d’autres.
Sans lui, les connaissances scientifiques apprises ne seront qu’un catéchisme.
« Mais alors, vous acceptez que les enfants aient des représentations erronées ? » Bien sûr ! Notre
intention n’est pas de faire réinventer les savoirs par les enfants. Elle est de leur permettre de se
forger les outils qui eux permettront d’accéder aux savoirs et aussi, éventuellement, de les remettre en
cause. Ce qu’ils doivent d’ailleurs pouvoir faire en permanence en ce qui concerne ce qu’ils pensent
être leurs propres savoirs qui ne resteront que des croyances tant qu’ils ne pourront pas les réfuter
eux-mêmes. Pouvoir réfuter ses propres savoirs.
Mais nous essaierons prochainement de voir comment cela se décline dans la pratique.
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