Sciences cognitives et évaluation des apprentissages

Transcription

Sciences cognitives et évaluation des apprentissages
Sciences cognitives et évaluation des apprentissages
en 4 points : intelligence émotionnelle / pédagogies alternatives /
apprentissages coopératifs / motivation et bienveillance
Dans son livre "Petite Poucette" (Manifeste Le Pommier - diffusion Belin 2013), Michel Serres pose
radicalement le problème des nouvelles générations présentes dans les classes :
"Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que
l’usage de la Toile, la lecture ou l’écriture au pouce des messages, la
consultation de Wikipédia ou Facebook n’excitent pas les mêmes neurones ni
les mêmes zones corticales que l’usage du livre, de l’ardoise et du cahier. Ils
peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent, ni
n’intègrent, ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants".
C’est pourquoi l’angle d’explication des sciences cognitives met à jour des fonctionnements du
cerveau qui actualisent ou infirment certaines connaissances (du champ social ou psychologique)
validées pendant toute la deuxième partie du XXe siècle. En lien avec le processus de l’évaluation,
quatre apports récents ou actualisés donnent des pistes à aborder.
1- L’intelligence émotionnelle et les apprentissages
En occident, particulièrement dans le pays de Descartes ("Je pense donc je suis"), parler de ses
émotions était vu comme une pratique privée, ni scolaire ni universitaire. Les progrès récents de la
connaissance du cerveau ont permis d’actualiser et d’élargir des travaux réalisés depuis 50 ans
au sujet des apprentissages dans le cadre de la psychologie sociale (comme par exemple l’effet
Pygmalion ou le facteur de reproduction sociale au sein de l’école).
Sur le site www.psychologie-sociale.com, différentes théories :
catégorisation, théorie des groupes, influence…
Un processus social peut être associé dorénavant à une émotion individuelle, ce qui permet d’agir
aussi bien au niveau de l’environnement de l’élève que de son niveau personnel. L’interaction
individu/environnement est ainsi perçue/corrigée doublement. Par exemple, le harcèlement est
combattu par les instances de l’école (CESC, CPE, direction, …) et par une prise en charge
émotionnelle des individus concernés (victime et bourreau). Au fur et à mesure de l’essor depuis 20
ans de la connaissance du cerveau émotionnel, le thème de l’intelligence émotionnelle, qui est la
capacité d’utiliser les émotions et les sentiments, s’est développé au point qu’il existe même un sous
thème intitulé "l’éducation émotionnelle".
Sur le site www.education-emotionnelle.com, des fiches pratiques
par âge ou par thème sont proposées.
Une bataille commence à pointer : QI (quotient intellectuel, dorénavant largement relativisé) contre
QE (quotient émotionnel, actuellement à la mode). Si les tentatives de mesure du QE ne sont pas
encore stabilisées (est-ce possible scientifiquement ?), un nouveau paradigme invite à harmoniser
les capacités en fait liées à la raison et à l’émotion. Il n’y a pas une seule catégorisation des
émotions (Descartes en comptait six, Darwin 5, des psychiatres français 8…).
Page 1 sur 4
Des tests (dès les années 1960) ont montré l’interaction émotions/résultats scolaires, et notamment
sur le fait de savoir gérer son impulsivité. De nos jours, un philosophe canadien (Joseph Chbat)
conclut que si les états émotionnels de l’élève sont positifs, comme la maîtrise des pulsions,
l’optimisme, l’espoir, le rire, la performance de l’élève est alors meilleure et le succès plus assuré. Si,
au contraire, ces états sont négatifs, comme l’anxiété, les soucis, le pessimisme, la performance
est alors inférieure et l’échec peut survenir.
2- L’apport des pédagogies "alternatives" ou dites "actives"
Le XXe siècle a vu éclore, en parallèle du développement des systèmes nationaux d’éducation, des
courants de pensée ou écoles qui misent sur d’autres mécanismes que le face à face pédagogique
maître/classe et le déroulement d’une journée/semaine/année selon un séquençage prévu et valable
pour tous les élèves, suivie d’une vérification des acquis sous forme de contrôle noté.
Ces mouvements alternatifs en France se sont développés soit à l’intérieur ou à l’extérieur de
l’Éducation nationale (cf. un article du journal Le Monde :
http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2014/09/15/la-methode-freinet-une-pedagogie-innovante-au-c-ur-de-lecole-publique_4487592_3224.html).
À l’extérieur, on compte principalement les écoles Montessori et la méthode dite "Steiner-Waldorf",
les premières mettant en œuvre un rythme des apprentissages conforme au rythme naturel de
l’enfant, la seconde étant ouverte sur le monde extérieur par des stages et l’apprentissage de langues
vivantes. Datant des années 1900, ces courants de pensée se distinguent aussi par la méthode
d’évaluation des acquis, notamment en primaire. La note est bannie et le bulletin remplacé par "une
feuille de route", dans le premier cas avec de l’autoévaluation et de la communication permanente
avec la famille, dans le second cas par un "portrait de l’enfant et de son comportement".
À l’intérieur de l’Éducation nationale, il existe des courants pédagogiques (regroupés au sein de
collectifs comme l’ICEM 1, le CRAP 2…) et des établissements expérimentaux dont les projets
pédagogiques sont souvent tournés vers les élèves décrocheurs. L’inspirateur essentiel de ces
mouvements reste Célestin Freinet (avec sa méthode édictée en 1920). La méthode Freinet estime
que chaque enfant doit apprendre à son rythme, "mais sa spécificité est l'entraide entre pairs",
explique Laurent Lescourach, maître de conférences en sciences de l'éducation. "Le notionnel arrive
comme une réponse à un problème qu'on rencontre. Freinet inverse l'ordre des choses en laissant
d'abord tâtonner l'enfant, pour ensuite faire une synthèse".
Sur le site du FESPI 3 (regroupant les établissements expérimentaux, www.fespi.fr/), parmi 9
ensembles de "propositions concrètes pour des alternatives dans l’école", le groupe 5 rassemble 4
propositions concernant l’évaluation : "Évaluer pour apprendre, pas pour sanctionner" :
1234-
promouvoir le risque d’apprendre, donc de se tromper, en toute sécurité ;
noter pour valider en offrant le plus souvent possible l’opportunité de "repasser" la validation ;
privilégier l’attention aux évolutions ;
mettre en place de nouvelles procédures d’évaluation.
3- Les apprentissages collaboratifs et coopératifs facilités par le numérique
L’évaluation chiffrée contribue à la compétition scolaire. Dans le monde de l’entreprise ou des jeux,
de nombreuses expériences ont démontré la meilleure plus-value de la coopération par rapport à
1
Institut Coopératif de l'École Moderne
Centre de Recherche et d'Action Pédagogique
3
Fédération des établissements scolaires publics innovants
2
Page 2 sur 4
celle issue de la compétition. La synergie de la coopération est donc supérieure à l’énergie qui
découle de la compétition.
Qu’il s’agisse de "serious games" (jeux pédagogiques) impliquant des équipes, de différents travaux
en groupe ou de la simple rédaction d’un exposé à plusieurs, les élèves doivent coopérer ou
collaborer ensemble.
Jean Heutte propose la distinction suivante : le mode coopératif résulte d’une division négociée
d’une tâche en actions qui seront attribuées entre les individus alors que le mode collaboratif ne
propose pas de répartition des tâches a priori mais au fur et à mesure du déroulement du travail. Si la
façon d’agir dans le premier cas est relativement autonome et la responsabilité limitée, dans le
second cas, il n’y a pas d’autonomie individuelle mais une responsabilité globale et collective.
L’implication et le degré d’autonomie ne sont pas les mêmes et l’évaluation doit prendre des formes
différentes.
De plus, que ce soit pour le déroulement du travail ou lors de l’évaluation, les nouveaux outils
numériques pratiqués en pédagogie multiplient les occasions d’apprentissage en coopération ou en
collaboration.
C’est notamment le cas pour l’évaluation permise par l’utilisation du logiciel Plickers. Bien qu’outil
numérique, il a la particularité de ne nécessiter qu’un code barre par élève. L’enseignant affiche un
questionnaire préparé en avance et propose 4 solutions. Les élèves doivent tendre leur code barre
personnel en le positionnant sur une des 4 faces. L’enseignant scanne ensuite les différentes
réponses, qui sont automatiquement reconnues personnellement et affichées en direct au
vidéoprojecteur. En plus de l’aspect ludique, cette évaluation a le mérite de pouvoir différencier
instantanément les réponses et donc les remédiations à effectuer auprès de chacun des élèves, ce
de manière différenciée et adaptée.
Ainsi, le statut de l’erreur et la position habituelle de l’élève (qui répond pour la classe) sont
entièrement revus et cette nouvelle forme d’évaluation, plus exigeante tout en restant bienveillante,
apporte une plus grande activité et une meilleure réactivité des élèves en cours.
4- La motivation scolaire et la bienveillance du professeur
Précurseur du courant de pensée de la motivation comme moteur de l’apprentissage, Carl Roger,
dans les années 1960-1970, a formalisé 3 conditions qui concourent au bon apprentissage côté
professeur face à l’élève : qu’il soit "vrai, qu’il valorise/accepte/fasse confiance" et qu’il soit positif.
C’est parce qu’un élève aura eu un référent motivant qu’il fera des progrès dans ses
apprentissages.
En France, Jacques André et d’autres, issus du monde sportif et/ou éducatif, ont vulgarisé cette
aptitude de motivation du maître en l’outillant de façon précise en situation d’apprentissage : codéfinition des règles de classe, explicitation des objectifs pédagogiques et du déroulé des séquences,
écoute active, variation et intérêt des tâches et bien sûr évaluation appropriée (conception et
correction).
J. André dit :
"La motivation est une force psychologique qui peut-être considérable… Ainsi,
motiver, c’est faciliter l’émergence des ressources de la personne, lui
permettre de réaliser l’accord entre ses besoins et des buts".
(cf. un document en PDF de 8 pages intitulé "Différenciation ou conformisation
différenciée" :
http://spirale-edurevue.fr/IMG/pdf/HS3_ANDRE_Jacques_Differenciation_ou_conformisation_d
ifferenciee_-_Spirale_HS1_1999_.pdf)
Page 3 sur 4
Rolland Viau schématise la "dynamique motivationnelle" d’un élève en trois sources : la
perception de la valeur d’une activité, la perception de sa compétence à l’accomplir, la perception de
contrôlabilité sur son déroulement.
Ces trois sources interagissent et vont produire différentes manifestations de l’élève : de
l’engagement cognitif de l’élève (qui va montrer persévérance et performance) à son abandon pur et
simple, sanctionné par l’échec.
(cf. un questionnaire sur la qualité motivationnelle d’une séquence à remplir
par les élèves établi par R. Viau : http://correspo.ccdmd.qc.ca/Corr53/Viau.html).
Rolland Viau poursuit ainsi :
"Faire de l’évaluation une composante de l’enseignement qui favorise la
motivation de tous les élèves, y compris ceux qui ont des difficultés
d’apprentissage, se révèle un défi de taille pour un enseignant, d’autant plus
qu’il doit souvent se plier aux règles et aux normes édictées par son
établissement scolaire.
Les six recommandations générales qui suivent pourraient aider les
enseignants à relever ce défi.
1- Choisir des critères d'évaluation sur :
a) les apprentissages réalisés,
b) le progrès accompli,
c) l'effort déployé,
d) les améliorations à apporter.
2- Formuler des commentaires sur les travaux plutôt que se contenter de
les noter.
3- Donner la possibilité à l’élève de savoir non seulement ce sur quoi il a
échoué, mais aussi ce qu’il a bien réussi et ce qu’il doit améliorer.
4- Utiliser un objet d'évaluation qui démontre le processus
d'apprentissage et le progrès accompli par l'élève (p. ex. : le portfolio).
5- Fournir à l’élève des outils qui lui permettront de s’autoévaluer.
6- Adopter une pratique évaluative qui élimine le plus possible la
compétition et la comparaison.
Ces recommandations ne résoudront sûrement pas tous les problèmes
motivationnels que l’évaluation provoque chez un grand nombre d’élèves.
Elles montrent cependant qu’il est possible d’amener l’élève à considérer
l’évaluation en classe non pas comme un simple instrument de sanction ou de
sélection, mais aussi comme un moyen d’apprécier plus adéquatement ce
qu’il a appris et ce qu’il lui reste à apprendre".
Page 4 sur 4