CFF - Arrêt Persche - Centre Français des Fonds et Fondations

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CFF - Arrêt Persche - Centre Français des Fonds et Fondations
CENTRE FRANÇAIS DES FONDATIONS
(05-03-2009)
Lorsque le don passe la frontière…
La reconnaissance du donateur européen
Depuis quelques années, les fondations sont, pour une part importante, à l’origine d’une
jurisprudence communautaire1 (et nationale2) qui contribue à façonner, pour les organismes sans
but lucratif à rayonnement européen, un régime fiscal intéressant.
En s’appuyant essentiellement sur les principes de libre circulation de capitaux et de non
discrimination (cf. articles 56, 73 B et 73 D du traité CE), cette jurisprudence nous a donné,
depuis 2006, quelques décisions remarquables.
A certains égards, il est possible de considérer que le récent arrêt « Persche » (du nom du
contribuable allemand concerné), rendu le 27 janvier 2009 par le Cour de justice des
Communautés européennes (CJCE), constitue le point d’orgue d’une heureuse évolution vers la
reconnaissance jurisprudentielle d’un « donateur européen ».
Se fondant, pour partie, sur des motivations similaires à celles contenues dans l’important arrêt
Stauffer3 (rendu en matière de revenus fonciers d’une fondation italienne possédant un immeuble
en Allemagne), la CJCE a décidé, dans la cadre qu’une question préjudicielle, qu'un donateur
allemand peut en principe obtenir de l'Etat dont il est le ressortissant un avantage fiscal pour le
don (y compris en nature) qu'il a consenti au profit d'une ONG portugaise reconnue d’intérêt
général.
Dans cette affaire, la demande avait donc été présentée par une juridiction allemande, dans le
cadre d'un litige opposant M. Persche, conseiller fiscal établi en Allemagne, au Finanzamt
Lüdenscheid qui avait refusé la déductibilité fiscale d'un don en nature fait à organisme reconnu
d’intérêt général portugais.
La loi allemande
En vertu de l’article 10b, paragraphe 1, de la loi allemande relative à l’impôt sur le revenu
(Einkommensteuergesetz) les contribuables peuvent déduire du total de leurs revenus, à titre de
charges exceptionnelles déductibles et dans certaines limites, les versements effectués au profit
d’œuvres ayant un caractère philanthropique, cultuel, religieux ou scientifique, ou d’œuvres
reconnues d’intérêt général. En vertu du paragraphe 3 du même article, une telle déductibilité
vaut également pour les dons en nature.
1
CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Rec. p. I-8203
Cf, par exemple, en matière de régime fiscal des plus-values : cour administrative d’appel de Paris, 6 décembre
2007, 5e ch A., min. c/ Fondation Stichting Unilever Pensioenfonds Progress) ; ou le régime des revenus de
patrimoine et de la retenue à la source : Conseil d’Etat, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 13 février 2009, n°298108,
STICHTING UNILEVER PENSIOENFONDS PROGRESS et autres contre Ministère du budget
3
Cf. note 1
2
1
Par ailleurs, l’article 49 du règlement d’application de la loi relative à l’impôt sur le revenu
(Einkommensteuer-Durchführungsverordnung), précise que la déductibilité fiscale est limitée
aux dons dont le bénéficiaire est soit une personne morale nationale de droit public ou un service
public national, soit une personne morale, un groupement de personnes ou une masse de biens au
sens de l’article 5, paragraphe 1, point 9, de la loi relative à l’impôt sur les sociétés
(Körperschaftsteuergesetz, ci-après le «KStG»).
Cette dernière disposition définit l’ensemble des organismes, à savoir les personnes morales, les
groupements de personnes et les masses de biens, qui sont exonérés de l’impôt sur les sociétés,
c’est-à-dire ceux qui, en application de leur statut et eu égard à leur gestion effective,
poursuivent exclusivement et directement des fins d’intérêt général, philanthropiques ou
cultuelles. Toutefois, en vertu de l’article 5, paragraphe 2, point 2, du KStG, cette exonération ne
s’applique qu’aux organismes établis sur le territoire allemand.
Enfin, les articles 51 à 68 du code général des impôts allemand (Abgabenordnung) définissent
les fins qu’un organisme doit poursuivre et la manière dont ces fins doivent être poursuivies pour
bénéficier de l’exonération fiscale.
La nature du don effectué
Dans sa déclaration de revenu pour l’année 2003, M. Persche avait demandé la déduction, au
titre de charge exceptionnelle déductible, d’un don en nature de linge de lit et de bain ainsi que
de déambulateurs et d’automobiles miniatures pour enfants qu’il a fait au Centro Popular de
Lagoa situé au Portugal pour une valeur totale de 18 180 euros (ce centre devant être une maison
de retraite à laquelle est rattaché un foyer d’enfants et qui se situe dans une localité où le
requérant posséderait un logement).
C'est donc dans le cadre du refus, par Le Finanzamt, d'accorder la déduction sollicitée par le
contribuable allemand (au motif que le bénéficiaire serait un organisme étranger) que la question
est arrivée devant le CJCE sous forme des questions préjudicielles.
Les questions posées à la CJCE
La juridiction allemande avait posé les questions suivantes à la CJCE :
-
les dons en nature sont-ils soumis à la libre circulation des capitaux ?
-
est-il possible de ne favoriser que les dons faits en faveur d’organismes d’intérêt
général ayant leur siège sur le territoire national4 ?
Les gouvernements qui avaient souhaité faire connaître leurs observations (France, Allemagne,
Espagne, Grèce, Irlande, Royaume-Uni) estimaient que la législation allemande était justifiée sur
le fondement :
-
de l’article 58 du traité CE, lequel énonce que le principe de liberté de circulation des
capitaux (posé par l’article 56) ne fait pas obstacle au droit qu'ont les États membres
4
En réalité, cette question faisait l’objet, dans le litige, de deux questions distinctes posées par la juridiction
allemande ; pour les besoins de la présente synthèse, nous traitons ces aspects de façon simplifiée, la CJCE ayant
traité ensemble ces deux questions.
2
d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une
distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce
qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ;
-
et de l’exigence impérieuse tenant à la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles
fiscaux.
Or, ladite Cour a jugé que :
"1) Lorsqu’un contribuable sollicite dans un État membre la déductibilité fiscale de dons
faits à des organismes établis et reconnus d’intérêt général dans un autre État membre,
de tels dons relèvent des dispositions du traité CE relatives à la libre circulation des
capitaux, même s’ils sont effectués en nature sous forme de biens de consommation
courants.
2) L’article 56 CE s’oppose à une législation d’un État membre en vertu de laquelle, en
ce qui concerne les dons faits à des organismes reconnus d’intérêt général, le bénéfice de
la déduction fiscale n’est accordé que par rapport aux dons effectués à des organismes
établis sur le territoire national, sans possibilité aucune pour le contribuable de
démontrer qu’un don versé à un organisme établi dans un autre État membre satisfait
aux conditions imposées par ladite législation pour l’octroi d’un tel bénéfice".
L’arrêt Persche ouvre donc de très intéressantes perspectives pour les fondations, associations et
fonds de dotation exerçant des activités d'intérêt général5. Elle en ouvre également pour ceux
dont le métier est d’aider ces organismes à trouver de nouvelles ressources.
Petit à petit, ce sont des aspects importants de la fiscalité applicable aux organismes sans but
lucratif qui sont ainsi revisités par le droit communautaire. Reste à voir comment
l’administration fiscale intégrera ces décisions dans sa doctrine…
S’agissant en particulier de l’arrêt Persche, il serait opportun que l’administration fiscale profite
des instructions qu’elle prépare sur le régime fiscal applicable aux fonds de dotation et aux dons
qu’ils peuvent recevoir pour intégrer dans sa doctrine, d’une façon ou d’une autre6 les
conséquences de l’arrêt précité (en précisant, par exemple, que les reçus fiscaux peuvent
également être adressés aux contribuables étrangers souhaitant justifier, auprès de l’Etat dont ils
sont les résidents, de la nature et du montant du don ainsi que de l’identité de l’organisme
bénéficiaire).
Lionel DEVIC
Avocat – Delsol & Associés
Directeur de la publication de www.fonds-dotation.fr
Ce texte est protégé par les droits d’auteurs. Toute reproduction sans autorisation est interdite.
5
Voir à cet égard la table ronde organisée par l’Academy of European Law Foundation (ERA) et le Centre européen
des fondations le 10 mars à Bruxelles
6
Même si cette question ne concernent pas tant les organismes bénéficiaires des dons que les particuliers euxmêmes (et les entreprises), dans le cadre de l’imposition de leurs revenus.
3