Le Chèvre-Feuille : beautés et difficultés d`un élevage caprin
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Le Chèvre-Feuille : beautés et difficultés d`un élevage caprin
Le Chèvre-Feuille : beautés et difficultés d'un élevage caprin La chèvre est un animal sympathique et docile. Son élevage demande des investissements plus réduits que pour la vache, par exemple. Elever des chèvres professionnellement n'est pourtant pas une sinécure ; c'est ce que nous expliquent Michel Hausse et Kathy Lanckriet, éleveurs et transformateurs au Chèvre-Feuille, à Haillot. La valorisation, très insuffisante, des produits fermiers est notamment un écueil important qu'ils pointent du doigt... Par Dominique Parizel et Hélène Deketelaere "Ma femme et moi sommes également salariés, annonce d'emblée Michel Hausse. Je viens du secteur de l'informatique et mon épouse de la communication. Nous sommes donc partis de rien : ni formation agricole, ni ferme héritée. Kathy a suivi des cours à Saint-Quentin, à Ciney, et moi une formation caprine d'une semaine organisée par la FICOW. Mais l'essentiel de notre savoir-faire est de l'auto-formation : tant en fromagerie qu'au niveau de l'élevage, énormément de choses doivent être découvertes sur le tas. La première année, nous avons par exemple perdu 20% des jeunes aux mises bas parce que le troupeau n'était pas dans un bon état sanitaire. Et parce que nous avons commis beaucoup d'erreurs - surtout au niveau alimentaire - auxquelles nous avons ensuite remédié peu à peu." Transformer soi-même tout le lait produit Tout commence en 2006. Michel et Kathy rachètent le troupeau et le matériel d'une exploitation qui arrête près de Ciney. Elle s'appelait le Chèvre-feuille, vendait son lait à la Fromagerie du Gros-Chêne et à la Fermière de Méan notamment. "J'en avais assez du stress de l'informaticien et du travail de bureau, avoue Michel. Nous avons acheté le terrain qui se trouve juste derrière chez nous sans savoir exactement ce que nous allions y faire. Nous pensions aux moutons, aux autruches, aux bisons... Mais la chèvre est un animal tellement sympathique qu'elle est restée notre premier choix, des Alpines qui donnent beaucoup de lait et de très bonne qualité. Nous avons ainsi une meilleure qualité fromagère qu'avec la Saanen; le fromage est plus goûteux et plus intéressant avec les Alpines." Le troupeau rentre à Haillot fin 2006 dans un bâtiment en auto-construction prévu pour cent chèvres et qui n'était pas encore tout à fait terminé. La ferme s'étend sur un peu plus de huit hectares et compte actuellement septante-deux chèvres en lactation, un multiple de vingtquatre qui représente le nombre de places disponibles aux quais de traite, un aspect de l'optimisation de l'élevage qui permet d'éviter les manutentions inutiles. Les premières naissances ont eu lieu début 2007. Michel et Kathy vendent d'abord tout leur lait à la Fromagerie du Gros-Chêne. "Quand nous vendions du lait, explique Michel, nous faisions environ 1.250 litres par chèvre et par an. Comme nous recherchons davantage la qualité, à présent, nous sommes aux alentours de 850 litres. Nous avons toujours fait du fromage pour notre consommation personnelle mais la véritable fabrication professionnelle n'a commencé qu'en 2008, avec l'agrément de l'AFSCA. Peu à peu la fromagerie a pris de l'ampleur et, depuis que nous sommes en bio - en 2012 -, nous transformons tout. Nous avons attendu pour passer en bio car, nous étions positifs à l'arthrite encéphalite caprine, comme la grande majorité des élevages. Elle se transmet par le lait. Assainir le troupeau avant de demander le label nous semblait donc indispensable puisque le cahier des charges prévoit de nourrir les jeunes au lait maternel. Nous sommes donc probablement le seul élevage wallon à être indemne de CAEV !" Vendre tout notre lait sous forme de fromage est une obligation pour un petit élevage comme celui de Michel et Kathy car le prix payé par les transformateurs ne permet pas de couvrir autre chose que la nourriture des chèvres et les frais de reproduction. Impossible donc de financer les prêts et de se rémunérer. D'un point de vue strictement économique, un minimum de trois ou quatre cents chèvres - et les primes qui vont avec ! - paraît indispensable pour se borner à vendre du lait. Et comme les primes sont octroyées à l'hectare, un élevage tel que le Chèvre-Feuille est vraiment trop petit pour que cela représente une part significative de son revenu. "Nous ne pouvons donc pas nous permettre de vendre le lait à perte comme le font les autres éleveurs, dit Michel. Et, de toute façon, envisager une aussi grosse exploitation n'est pas compatible avec notre philosophie..." Tout commence avec les prairies "Dès le départ, nous avons pensé bio, explique fièrement Michel. Nous avons trouvé normal de travailler d'abord le pâturage. La chèvre est un herbivore ; elle se nourrit d'herbe à l'extérieur ! Mais la gestion du pâturage est un travail pointu et concevoir ainsi l'agriculture n'amène pas de clients supplémentaires à l'heure où les gens cherchent avant tout du local. Le passage en bio nous a pourtant apporté beaucoup au niveau de la revente : nos trois principaux revendeurs représentent 60% de nos ventes, ce qui nous a permis de transformer toute notre production. Sans eux, nous en serions encore à chercher à écouler notre lait… Concernant les pâtures, nous ressemons certaines d'entre elles et nous faisons parfois des sursemis. Nous pratiquons surtout un pâturage tournant afin de mettre quotidiennement à disposition des animaux une nouvelle zone de pâture. Nos chèvres ont tous les jours une herbe fraîche et ne rebroutent pas là où elles ont uriné la veille. Le passage sur une même zone n'a lieu qu'un mois et demi plus tard car nous avançons bande après bande et, quand il faut recommencer, nous le faisons dans l'autre sens, perpendiculairement. J'estime - même si aucune étude ne le démontre - que le parasitisme est ainsi fortement réduit, dans le temps également, car les chèvres expulsent leurs parasites pratiquement en même temps. Pâturer en damier ne les remet donc en contact qu'avec une surface susceptible d'avoir été infectée qui est réduite au maximum. Cette technique est donc très porteuse pour gérer le parasitisme qui est le point le plus crucial en élevage de chèvres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la plupart des élevages sont hors sol. Même en bio, il est très rare qu'on puisse vraiment parler de pâturage concernant les chèvres..." Un complément alimentaire, fourni par la SCAM, est ajusté en fonction des prairies et de la végétation. Les prairies sont également ressemées avec un méteil d'orge, avoine et pois qui est également récolté. Malheureusement, l'élevage ne dispose pas d'assez de terres pour pouvoir être auto-suffisant. "La prairie reste le point crucial de la nourriture, insiste Michel ; c'est l'apport le plus important. Le complément permet seulement un ajustement mais il permet aussi de s'assurer que les chèvres mangent toutes la même chose et qu'elles expriment, par conséquent, leur potentiel laitier de manière optimale. Nous avons du fumier, plutôt trop, mais nous l'utilisons intégralement sur les prairies. Nous avons une bonne terre, surtout sur la prairie qui est pâturée, mais nous faisons aussi tout ce qu'il faut pour qu'elle reste productive…" La vente de lait à boire en bouteille à des particuliers reste un revenu très marginal. "Notre clientèle ignore souvent que la lactation d'une chèvre n'est pas constante, dit Michel. Elle démarre avec deux litres et demi en début de saison pour monter jusqu'à cinq litres au mois d'avril ; elle revient à deux litres et demi, en septembre, puis continue à baisser jusqu'à un litre en décembre. Nous devons donc produire des fromages qui se gardent différemment nous faisons en tout une bonne dizaine de fromages - et gérer cette fluctuation pour ne jamais jeter de lait. C'est peut-être l'aspect le plus difficile de notre travail car nous ne congelons jamais rien ; nous transformons tout le lait frais en veillant à faire aussi des fromages de longue conservation. Certains congèlent du caillé mais c'est une solution qui ne nous plaît pas outre mesure." Mieux valoriser les produits fermiers "Les débouchés pour la vente de nos fromages pose encore certains problèmes, regrette Michel, car il n'existe, chez nous, aucune protection des producteurs fermiers. Or beaucoup de transformateurs jouent énormément sur l'image fermière pour écouler leurs produits alors qu'ils acquièrent la matière première de qualité à un prix vraiment trop bas. C'est pareil pour les maraîchers : celui qui fait du chou sur cinq hectares sera fatalement moins cher que celui qui n'en fait que sur quelques ares… Mais, dans le commerce, tout se retrouve indistinctement sous le même label bio, et parfois même Nature & Progrès. Un label "produit fermier", ou quelque chose du genre, pourrait être une solution. En ce qui me concerne, rien n'impose aux transformateurs d'acheter local : leur lait peut venir de n'importe où..." Michel regrette que les seuls revenus de son exploitation soient insuffisants pour en vivre. Ce serait pourtant sans doute le cas s'il parvenait à écouler tous ses produits en vente directe. Pour l'heure, elle se fait principalement via le magasin - qui est ouvert le samedi matin - et par l'intermédiaire de groupements d'achats… "Nous essayons aussi de monter un marché, ici sur la commune, que nous voudrions démarrer au printemps de l'année prochaine. "Fermier, bio et local", ce serait magnifique mais c'est juste impensable car il faut avant tout que la clientèle soit là et il faut lui proposer, par conséquent, les produits des producteurs qui acceptent d'être présents. La priorité irait donc vraisemblablement au local. Et tant mieux si c'est du bio… Une autre solution serait de faire nous-mêmes les marchés mais il n'est jamais facile de trouver une bonne place dans un marché qui fonctionne ; il ne peut pas y avoir trop de fromagers à la place. Le producteur qui se déplace veut vendre, c'est normal... Nous avons, en somme, trois métiers à faire - produire, transformer et vendre - mais, quand on observe la plupart des chevriers français, c'est bien ce qu'ils font. La chèvre a toujours été associée à cela parce que c'est la vache du pauvre : petites superficies, petits troupeaux, tout rentabiliser au maximum… Septante-deux chèvres, c'est déjà un gros élevage. Un temps plein peut vivre de trente chèvres, et même moins si c'est un bon troupeau, si on produit soi-même ses fourrages et si on écoule tout en vente directe. Nous élevons aussi des cochons afin de valoriser le lacto-sérum qui attire beaucoup de mouches et est très difficile à épurer, d'autant plus que nous sommes en zone d'épuration individuelle. Nous en faisons une dizaine par an mais il en faudrait le double pour consommer tout le lacto-sérum. Nous les écoulons en colis, par demi-bête, et pensons également à fabriquer de la charcuterie… Nous élevons aussi des poulets et allons ouvrir prochainement un camping à la ferme pour valoriser davantage le site. Bienvenue également aux wwoofeurs, mais pour une durée minimale de trois semaines entre mars et novembre..." L'avenir du Chèvre-Feuille ? "Nous sommes à mi-temps, Kathy et moi, même si ces mi-temps sont très extensifs et s'apparentent davantage à des temps pleins, avoue Michel. Nous avons une salariée et des aides ponctuelles d'étudiants, des wwoofeurs très régulièrement, et des stagiaires qui sont surtout français. Nos filles nous aident également mais aucune des deux ne manifeste l'intention de reprendre : l'aînée travaille comme sage-femme et la cadette s'oriente vers la diététique. Les fromages l'intéressent beaucoup mais sans doute pas la reprise de l'exploitation. Il est encore un peu tôt pour songer à tout cela. Mais s'il faut revendre un jour, eh bien, nous vendrons…" Agrandir ne fait pas non plus partie des plans de Michel et Kathy qui devraient alors plutôt commencer par chercher de la terre. La vitesse de croisière semble donc atteinte même si vendre davantage en direct reste une priorité. "Elever des chèvres comporte beaucoup d'aspects positifs, conclut Michel : l'animal est docile et facile, pas trop lourd et aisé à manipuler, les investissements sont plus réduits que pour des vaches, par exemple. Mais, ici en Belgique, il faut être capable de faire son propre cheminement car peu d'experts sont susceptibles de bien vous conseiller. Celui qui veut s'installer doit donc d'abord multiplier les stages ; c'est absolument essentiel." --Que deviennent les chevreaux ? L'éleveur laitier - et fromager - conserve les femelles. Les reproducteurs sont souvent importés. Que deviennent donc les jeunes mâles, les chevreaux ? Ils sont élevés pour leur viande mais le Cahier des charges bio précise qu'ils doivent être nourris de manière naturelle. Cette disposition est interprétée, chez nous, comme une interdiction de les nourrir avec du lait en poudre d'origine bovine. Mais, en France, on pense... exactement le contraire ! "Si je devais nourrir mes chevreaux au lait de chèvre, je devrais vendre la viande 30 euros le kilo, explique Michel Hausse, et personne n'en voudrait. Il faut évidemment être strict sur la qualité mais rester cohérent par rapport à la concurrence. L'abattage des chevraux pose également problème chez nous ; en France, il est autorisé dans des abattoirs pour lapins..." L'abattage à la ferme, par un boucher agréé, semble donc être une solution intéressante, pour tous les petits animaux, en-dessous d'un certain nombre... "Même si mon envie n'est pas de faire de l'élevage viandeux, s'empresse d'ajouter Michel. Pour moi, la meilleure solution reste de vendre mes chevreaux à quelqu'un qui va les engraisser. Les vendre à deux jours pour qu'entre-temps ils puissent rester au pis de leur mère..." --Le Chèvre-Feuille Michel Hausse et Kathy Lanckriet Voie des gérons, 258 - 5351 Haillot 0476/35.37.28 (fromages) - 0476/97.57.12 (chèvres) www.chevre-feuille.be [email protected] magasin ouvert le samedi, de mars à décembre, de 10 à 13h