Gildas Dacre-Wright, Claude-François-Étienne

Transcription

Gildas Dacre-Wright, Claude-François-Étienne
Francia­Recensio 2016/2
Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815)
Gildas Dacre­Wright, Claude­François­Étienne Dupin (1767–1828). De la Révolution à la Restauration, au service des administrés, Paris (L’Harmattan) 2015, 226 p., ISBN 978­2­343­05546­6, EUR 21,85.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Sven Ködel, Paris
Lorsqu’en 1800, Napoléon créa la fonction de préfet, il choisit 98 hommes censés incarner désormais le pouvoir central dans les départements et ancrer l’autorité de l’État dans l’ensemble du pays. Pierre angulaire d’un système administratif qui a survécu à tous les changements de régime jusqu’à nos jours, la fonction préfectorale a été largement forgée par cette première génération de préfets napoléoniens dont fit partie Claude François Étienne Dupin (1767–1828), premier préfet du département des Deux­Sèvres. Originaire de l’Est de la France, il commença sa carrière administrative à Paris à la veille de la Révolution. Personnalité à la fois habile et souple, il survit aux troubles révolutionnaires dont il fut un témoin privilégié, non seulement parce qu’il occupait une place centrale au sein de l’administration de la ville puis du département de Paris, mais encore comme époux de la veuve de Georges Danton. Commissaire central du département de la Seine sous le Directoire, Napoléon le nomma préfet des Deux­Sèvres en 1800. Il fut d’une longévité extraordinaire sur ce poste qu’il occupa jusqu’en 1813. Sa destitution peu avant la fin de l’Empire ne marqua nullement la fin de sa carrière. En effet, quelques mois plus tard, Dupin entra dans la magistrature de la Cour des comptes, place très convoitée qui signifia pour lui une promotion réelle et le début d’une deuxième carrière au service de l’État.
Cette trajectoire d’un grand commis d’État qui a traversé indemne les régimes successifs, de l’Ancien Régime à la Restauration, suscite plusieurs interrogations. Il y a d’abord l’intérêt biographique pour l’acteur et le témoin des bouleversements que la France a connus à partir de 1789, et ensuite l’intérêt qui concerne la fonction préfectorale et la trace que ce premier préfet a laissée dans le département qui lui a été confié. Ces questions ont déjà été posées par Pierre Arches, dans un excellent article paru en 20061. Sur un peu moins de 40 pages, Arches réussit à offrir une étude approfondie de la carrière et de la personne de Dupin, analysées dans le contexte de l’histoire de l’administration préfectorale et plus particulièrement de celle des Deux­Sèvres, sans négliger les origines, la formation et les capacités personnelles de Dupin. Tout travail portant sur Dupin doit se mesurer à cette étude.
Gildas Dacre­Wright, ancien officier de marine et magistrat, est maintenant le premier à consacrer une monographie à Claude François Étienne Dupin. Si le parcours de ce dernier mérite certainement une étude élargie, la tâche est d’autant plus difficile qu’il existe, d’un côté, des archives exhaustives Pierre Arches, Le premier préfet des Deux­Sèvres: Dupin (1767–1828). Une approche biographique, dans: Mémoires de la société des antiquaires de l’Ouest et des musées de Poitiers, série 5, tome 12, p. 13–50.
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produites par l’administration centrale et la préfecture, véritables machines à papier, mais, de l’autre, guère de papiers personnels qui permettraient de déceler l’homme derrière le préfet. Pour le dire clairement : Gildas Dacre­Wright n’a pas su relever ce défi.
Le plan de l’ouvrage suit l’évolution de la carrière de Dupin, mais les différentes périodes sont traitées de manière inégale. Le gros du volume est consacré à son itinéraire sous la Révolution et l’Empire, alors que seulement onze pages restent pour le passage de Dupin à la Cour des comptes et le rôle qu’il peut avoir joué dans la vie de la capitale sous la Restauration. En ce qui concerne la personnalité de Dupin, l’auteur s’intéresse essentiellement au serviteur de l’État et au mari et père de famille. D’autres aspects, tels que la participation de Dupin dans la sociabilité savante de l’époque ou dans la franc­maçonnerie, tout à fait éclairants pour comprendre le positionnement social des grands notables d’Empire, sont largement négligés par Dacre­Wright. L’auteur se propose donc de comprendre et de faire comprendre l’ethos et les valeurs de Dupin, véritable leitmotiv de l’ouvrage. Mais cette approche s’avère très problématique parce qu’elle est le plus souvent tendancieuse. Au lieu de faire découvrir la personnalité de Dupin, Dacre­Wright projette, dès le départ, ses propres valeurs et attitudes sur Dupin parce qu’il les juge »si proche de ses propres convictions«, selon la présentation sur la page de couverture. Ainsi, il estime qu’il »n’était pas dans la nature d’Étienne de laisser les grandes idées prendre dans son esprit le pas sur la réalité« (p. 37), il lui attribue »la passion de servir« (p. 67), et il croit savoir »ce qui habitait l’esprit du préfet des Deux­
Sèvres« (p. 181), sans pourtant jamais arriver à convaincre le lecteur du bien­fondé de ses affirmations. Également problématique sur le plan de la méthode, le recours fréquent à des conjectures afin de parer le silence des sources. Le lecteur a ainsi du mal à suivre l’auteur quand il base ses conclusions sur des arguments tels que »c’est possible mais nullement démontré par un document quelconque« (p. 46) ou »si aucun document ne permet de savoir précisément […], on peut tout de même avancer sans crainte de beaucoup se tromper« (p. 51). Quant à la vie et au parcours de Dupin, l’aperçu offert par cette monographie n’est pas assez riche et approfondi pour compenser ses faiblesses méthodiques. Ainsi, en retraçant la carrière préfectorale de Dupin, sans doute l’élément le plus central de cette biographie, Dacre­Wright insiste à juste titre sur les deux configurations spécifiques aux Deux­Sèvres: la difficile situation matérielle et sociale dans le Bocage, héritée de la guerre civile en Vendée, et le refus du Concordat de 1801 par la Petite Église. Ces deux phénomènes ont déjà fait l’objet d’une historiographie importante qui doit être prise en compte pour contextualiser l’action du préfet dans ces domaines. Malheureusement, elle n’est pas suffisamment reflétée dans l’ouvrage de Dacre­Wright. Afin de mesurer l’apport personnel et l’efficacité de Dupin dans l’administration des Deux­Sèvres, on souhaiterait en outre que l’auteur porte parfois le regard vers d’autres départements pour comparer l’action de Dupin à celle des autres préfets, et également pour mieux discerner ses propres mérites de ce qui n’était que l’exécution des instructions venant du ministère de l’Intérieur. Mais l’étude reste le plus souvent trop sommaire et Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/
manque d’une connaissance approfondie et des sources et de la littérature historiographique. Dans l’ensemble, l’auteur n’arrive pas à montrer l’originalité de la carrière de Dupin. En revanche, Gildas Dacre­Wright a le grand mérite d’avoir eu recours aux archives familiales, ce qui lui a notamment permis d’utiliser l’autobiographie manuscrite de Dupin. Malheureusement, il ne fait guère bénéficier le lecteur de l’exploitation de ces sources. Comme pour les fonds des archives départementales et nationales qu’il a consultés, les références sont données dans les notes en bas de page, le plus souvent sans indication précise de l’endroit où l’auteur a puisé ses informations. Les textes imprimés de la plume de Dupin – surtout trois publications, rédigées avec un co­auteur dans les années 1790, qui témoignent de ses convictions politiques – ne sont pas examinés avec l’attention qu’ils méritent. La bibliographie, ne contenant que 27 titres au total, est trop légère et superficielle pour pouvoir réellement nourrir un tel projet de biographie historique. Le style de l’ouvrage est plutôt romanesque2, mais sans jamais atteindre un niveau convaincant, ni celui d’une fresque historique bien rédigée, ni celui d’une étude biographique universitaire.
Signalons que Gildas Dacre­Wright est également l’auteur d’un roman historique sur le beau­frère de Georges Danton: Gildas Dacre­Wright, Le spectateur engagé ou Que faire sous la Révolution quand on est parisien et beau­frère de Georges Danton?, Paris 2012.
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