Chambre disciplinaire de 1ère instance de l`Ordre des Médecins de

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Chambre disciplinaire de 1ère instance de l`Ordre des Médecins de
ORDRE NATIONAL DES MEDECINS
Chambre disciplinaire de 1ère instance de
l’Ordre des Médecins de Franche-Comté
N° 12-08
__________
Mme B.
c/
Dr Jean-Marie X.
__________
Audience du 21 janvier 2013
Décision rendue publique
par affichage le 12 février 2013
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE DE PREMIERE INSTANCE,
1/
Vu, reçue au Conseil départemental du Doubs le 30 avril 2012, la plainte déposée par Mme
B., demeurant (…) ;
La plainte a été transmise à la chambre disciplinaire de 1ère instance de Franche-Comté, où elle
a été enregistrée le 24 juillet 2012, en exécution de la délibération du conseil départemental du Doubs
en date du 29 juin 2012, qui a décidé de transmettre la plainte, sans s’y associer ;
La plainte est dirigée contre le Dr Jean-Marie X., médecin qualifié en médecine générale,
actuellement sans activité, demeurant (…) ;
La plainte, qui est consécutive à plusieurs démarches antérieures de Mme B. auprès du conseil
départemental de l’ordre, et qui invoque la non-assistance à personne en danger et l’abus de confiance,
reproche au Docteur X. des négligences dans la prise en charge de M. Maurice B., et qui auraient
abouti au décès de celui-ci des suites d’un infarctus lié à l’hypertension artérielle et à
l’hypercholestérolémie ;
2/
La transmission de la plainte par le conseil départemental est accompagnée, outre les pièces
annexées à la plainte, du dossier d’instruction par ce conseil, qui comprend notamment :
- reçue au conseil départemental le 5 juin 2012, une lettre de Mme B. qui précise les griefs
entretenus contre le Dr X., auquel elle reproche d’avoir pratiqué une médecine non conventionnelle, et
d’avoir manqué aux relations d’amitié entretenues avec le Dr X. ;
- une lettre du Dr X. qui relate les relations qu’il avait avec M. B., et soutient que celui-ci ne
présentait aucun symptôme qui aurait pu faire soupçonner un risque de l’accident cardiaque auquel il a
succombé ; le Dr X., qui déclare comprendre et compatir à la douleur de Mme B., déplore qu’elle ne
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veuille pas entendre qu’un infarctus du myocarde n’est pas décelable préventivement et s’acharne à
rechercher sa responsabilité disciplinaire ;
- le procès-verbal de non conciliation signé à l’issue de la réunion de tentative de conciliation
du 8 juin 2012 ;
- une lettre de Mme B. reçue au conseil départemental le 12 juin 2012, et par laquelle, en
s’appuyant sur les avis qui lui auraient été donnés par d’autres médecins, elle reproche au Dr X. de
n’avoir pas ordonné les analyses qui auraient pu permettre de déceler les paramètres circulatoires qui
prédisposaient à l’infarctus ;
- les échanges de courriers antérieurs à la plainte entre le conseil départemental d’une part,
Mme B. ou le Dr X. d’autre part, ainsi que les comptes rendus d’entretien entre des membres du
conseil départemental et Mme B. ;
- le procès-verbal de la réunion du 29 juin 2012 du conseil départemental du Doubs ;
3/
Vu, enregistré le 23 août et régularisé le 5 septembre 2012, le mémoire en défense présenté par
le Dr X. ;
Il fait valoir qu’il peut accepter une sanction s’il a commis une faute ou une atteinte à la
déontologie, mais estime que Mme B., qui s’appuie sur les avis de médecins qui ne le connaissent pas,
reste obstinément inaccessible aux explications qui lui ont été données, notamment par les membres de
la commission de conciliation, au cours de la réunion du 29 juin 2012 ;
Il ajoute :
- qu’il est faux de prétendre qu’il aurait pour habitude de ne pas prescrire des examens
complémentaires ;
- qu’il résulte du récit fait par Mme B. au cours de la même réunion qu’elle n’a fait appel à un
concours médical qu’au terme d'un long délai après l’apparition des premiers symptômes d’infarctus
présentés par son mari ;
- que celui-ci, soigné à la clinique Saint-Vincent, l’aurait quittée contre avis médical, avant de
connaître la nouvelle crise qui devait l’emporter ;
4/
Vu, enregistré le 27 septembre 2012, le mémoire en réplique présenté pour Mme B., par Me
ROBERT, avocate au Barreau de la Haute-Saône ;
Mme B. y maintient sa plainte, par les mêmes arguments, et ajoute, après un historique du suivi
médical par le Dr X. de M. B. et des circonstances dans lesquelles celui-ci est décédé :
- que le Dr X. n’a jamais demandé d’analyse de sang ni fait procéder à des contrôles
supplémentaires relatifs à l’hypertension artérielle dont souffrait son époux ; qu’il n’a jamais fait
évaluer la glycémie et les triglycérides ;
- qu’il ne l’a jamais adressé à un cardiologue et ne lui a prescrit qu’un seul médicament
(MODUCREN) en vue de contrôler l’hypertension artérielle dont il souffrait, d’ailleurs plusieurs
années après que celle-ci ait été détectée ;
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- que le traitement par MODUCREN était inadapté, s’est avéré inefficace, et négligeait
plusieurs contre-indications ;
- que le Dr X. n’a pris aucune mesure autre que la prescription d’un régime pour contrôler
l’hyperglycémie et l’hypertriglycéridémie révélées par une analyse prescrite par un autre médecin ;
- que le Dr X. n’a pas davantage prescrit de traitement efficace, autre qu’homéopathique, pour
contrôler une pneumopathie qui ressort clairement du dossier médical du Dr X., et qui a pu jouer un
rôle dans le décès de M. B. ;
- que le Dr X. était adepte de la pratique de médecines non conventionnelles, assimilables à la
pratique du charlatanisme, et que Mme B. était fondée à s’inquiéter de l’emprise qu’il exerçait sur son
mari ;
- que le Dr X. a ainsi méconnu les articles R. 4127-3, R. 4127-9, R. 4217-32, R. 4127-33, R. 4127-35
et R. 4127-40 du code de la santé publique ;
5/
Vu, enregistré le 26 octobre 2012, le nouveau mémoire en défense produit pour le Dr X., par
Me Marie-Claire MATHIEU, avocate à Besançon ;
Le Dr X. y conclut au rejet de la plainte par les mêmes motifs, et ajoute :
- que, contrairement aux dires de Mme B., l’hypertension artérielle de son époux avait été
stabilisée à un niveau normal compte tenu de l’âge du patient, par médication associant MODUCREN
avec un médicament homéopathique ;
- que ne figure pas au dossier la fiche, établie par un médecin tiers, relative à l’antériorité de
l’hypertension artérielle et d’une dyslipidémie, ce qui ne le met pas en situation de la discuter ;
- que les reproches relatifs à l’absence de recherche relative à la glycémie et aux triglycérides
ne sont pas fondés ; qu’en effet, l’hyperglycémie légère constatée le 9 décembre 2010 a été ramenée à
la normale suite au régime prescrit, et les paramètres relatifs au cholestérol étaient normaux pour deux
facteurs de risque ; que, par ailleurs, M. B. faisait l’objet d’un traitement phytothérapique actif ; que la
forme physique manifestée par M. B. était totalement incompatible avec une pathologie
cardiovasculaire évolutive ; qu’en revanche, il n’existe pas d’examen biologique permettant de
prévoir, dans ce contexte, la survenue d’un accident cardio-vasculaire aigu ;
- que, contrairement aux dires de Mme B., son mari ne souffrait pas de pneumopathie ;
- que l’absence de recours à certaines analyses ne procède pas d’opinions personnelles du Dr
X., mais de la simple appréciation que l’état du patient ne les justifiait pas, ce que corrobore le résultat
des analyses pratiquées à l’hôpital ;
- qu’il est faux de prétendre que le Dr X. manifesterait publiquement son hostilité au dépistage
du cancer de la prostate, le seul manifeste signé par lui allant dans le sens des préconisations de
plusieurs autorités sanitaires reconnues ; que, de même, l’allégation de Mme B. selon laquelle il aurait
des liens avec l’association « Nouvelle Médecine » doit être relativisée, et doit être appréciée dans le
contexte d’une patiente présentant une pathologie que personne ne savait soigner, à une époque où les
dérives sectaires de l’association n’étaient pas connues ; que, d’une manière générale, le grief de
charlatanisme n’est pas fondé ;
6/
Vu, enregistré le 29 novembre 2012, le nouveau mémoire produit pour Mme B. ;
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Elle y maintient sa plainte par les mêmes motifs ;
Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux
articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 janvier 2013 :
- le rapport du Dr LORENTZ ;
- les observations orales de Me ROBERT, avocate de Mme B., ainsi que celle-ci en ses
explications ;
- les observations orales de Me MATHIEU, avocate du Dr X. ;
Le Dr X., bien que dûment convoqué, n’était pas présent ;
Le Conseil Départemental du Doubs, bien que dûment convoqué, n’était pas représenté ;
APRES EN AVOIR DELIBERE
Considérant que M. Maurice B. a présenté, le 6 mai 2011, à 22 h, des douleurs thoraciques
pour lesquelles il n’a consulté que le 7 mai, après 9 h du matin ; que le médecin appelé à son chevet
ayant diagnostiqué un infarctus du myocarde, M. B. a été pris en charge par le SAMU et hospitalisé à
11 h 15 au service de Cardiologie de la clinique Saint Vincent; qu’il est resté dans l’établissement
jusqu’au 14 mai 2012, date à laquelle il l’a quitté dans un état hémodynamique stable, avec
prescription d’une rééducation ambulatoire selon évolution et d’une consultation de contrôle dans le
délai d’un mois ; que très peu de temps après avoir regagné son domicile, les douleurs abdominales
ont repris ; que, toutefois, il n’a été fait appel au SAMU que le 15 mai à 6 h 45, ce qui a conduit à
l’hospitalisation de M. B. dans le même établissement, où a été constaté dés l’admission un état de
choc ; que M. B. sera transféré au service de réanimation du CHU de Besançon, où il décèdera le 21
mai ;
Considérant que Mme B., s’appuyant sur des réflexions des praticiens qui ont pris en charge
son mari à la suite de l’intervention du SAMU le 7 mai, soutient que le Dr X., qui était depuis de
nombreuses années le médecin traitant de son époux, l’aurait mal soigné, au bénéfice d’une conception
dogmatique de sa pratique de l’homéopathie qui l’aurait conduit à ne pas prendre en charge
correctement l’hypertension artérielle et l’hypercholestérolémie dont souffrait son mari, affections
dont elle estime qu’elles sont les causes principales de son décès ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble des données du dossier que M. B. avait fait le choix de
se faire suivre par un médecin homéopathe ; que la pratique dominante de l’homéopathie par un
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médecin, qui est parfaitement reconnue par les Autorités Sanitaires , ne le dispense pas de recourir à
des méthodes de soins plus conventionnelles lorsque l’état de santé de son patient l’exige, notamment
lorsque la mise en œuvre des méthodes de l’homéopathie échoue à traiter les pathologies présentées
par le patient ; qu’à cet égard, le reproche que fait Mme B. au Dr X. d’avoir eu une pratique de son
métier confinant au charlatanisme ne peut être regardé comme établi, la seule circonstance que le nom
du Dr X. a été cité dans une affaire judiciaire ancienne dans laquelle était en cause une personne non
médecin mettant en œuvre les méthodes du Dr HAMER, ne suffisant pas à établir que le Dr X. aurait
adhéré aux théories de ce médecin, et encore moins qu’il les aurait mises en pratique, ou aurait ainsi
manifesté un penchant pour des méthodes alternatives relevant de la charlatanerie ;
Considérant qu’il est établi par les pièces médicales du dossier de M. B. produites à l’instance
que celui-ci souffrait depuis de nombreuses années d’hypertension artérielle légère à modérée ; qu’en
revanche, au moment des faits, et selon le résultat des analyses pratiquées lors de ses hospitalisations,
M. B. n’était ni diabétique, ni dyslipidémique, en regard des définitions en usage de ces pathologies au
moment des faits (définitions établies par les Sociétés Savantes, en fonction des données acquises de
la science et validées par les autorités sanitaires) ; qu’en l’absence de facteurs de risque décelables, au
nombre desquels ne peuvent compter l’existence d’une toux, ou d'un écoulement auriculaire, d’ailleurs
pris en charge, il ne peut donc être reproché au Dr X. de ne pas avoir fait procéder aux examens
biologiques destinés à mettre en évidence un éventuel diabète ou une éventuelle
hypercholestérolémie ; que cette abstention à avoir fait pratiquer de tels examens peut d’ailleurs
expliquer les réactions des praticiens qui ont pris en charge en urgence M. B., qui semblent avoir
déploré le manque de documents médicaux susceptibles de les éclairer sur les paramètres du patient
qu’ils prenaient en charge ;
Considérant, par ailleurs, que l’hypertension artérielle dont M. B. était atteint a été prise en
charge par le Dr X. ; qu’après avoir constaté l’inefficacité d’un traitement selon les méthodes
thérapeutiques de l’homéopathie, le Dr X. a, dès 1997, prescrit un traitement par bêtabloquant, d’abord
en monothérapie (SECTRAL), puis, devant l’insuffisance du contrôle obtenu, et à compter de l’année
2000, en trithérapie (MODUCREN, le médicament sous lequel était encore M. B. en mai 2011) ; que,
pour répondre à l’argument de Mme B. selon lequel elle ne se souvient pas avoir vu son mari prendre
du SECTRAL, la prescription de ce médicament par le Dr X. est établie par les pièces du dossier
médical de M. B. ;
Considérant que cette prise en charge de l’HTA de M. B. était conforme aux données acquises
de la science et appropriée au caractère léger à modéré de l’hypertension ; que s’il est vrai que
l’administration du SECTRAL, puis du MODUCREN n’a qu’imparfaitement corrigé l’hypertension,
ainsi que le révèlent les relevés des mesures de tension artérielle effectuées par le Dr X., une analyse
de l’évolution de la tension artérielle et des durées de prescription de M. B. permet de tenir pour très
probable que l’insuffisance mineure de la correction obtenue était fonction du caractère intermittent du
suivi du traitement ;
Considérant en tout état de cause qu’en l'absence d'autre facteur de risque, et eu égard à la
légèreté de l’hypertension artérielle dont était atteint M. B., celle-ci, si elle a pu majorer dans une
proportion minime et non statistiquement significative le risque d’affection vasculaire ischémique, ne
peut être regardée comme étant le facteur causal de l’accident cardiovasculaire dont M. B. a été
victime, ni même comme en ayant été un facteur aggravant, la gravité de l’affection étant, quant à elle,
directement imputable au délai qui s’est écoulé entre l’apparition des premiers symptômes et leur prise
en charge, délai qui, dans le cas de M. B., a été supérieur à 12 h lors de l’épisode des 6 et 7 mai, et du
même ordre de grandeur lors de l’épisode des 14 et 15 mai ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il ne peut être reproché au Dr X.
d’avoir manqué au respect des articles R. 4127-3, R. 4127-9, R. 4217-32, R. 4127-33, R. 4127-35, R.
4127-39 et R. 4127-40 du code de la santé publique ; que, par suite, la plainte de Mme B. ne peut
qu’être rejetée ;
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Sur les dépens
Considérant que les dépens, qui se résument au timbre d’un montant de 35 € acquitté
par Mme B. qui, dans la présente instance, est la partie perdante, doivent être laissés à sa charge ;
PAR CES MOTIFS
DECIDE
Article 1er : La plainte de Mme B. est rejetée.
Article 2 : Les dépens, qui s’élèvent à la somme de 35 €, sont laissés à la charge de Mme B..
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B., au Dr X., à Me ROBERT, à Me MATHIEU,
au conseil départemental du Doubs, au préfet du Doubs, à la Directrice Générale de l’Agence
régionale de Santé de Franche-Comté, au procureur de la République près le tribunal de grande
instance de Besançon, au conseil national de l’ordre des médecins, au ministre chargé de la santé.
Ainsi fait et délibéré par :
Ainsi fait et délibéré par : M. José THOMAS, Président honoraire de tribunal administratif, Président,
les Drs Christian LORENTZ, François DUVERNE, Michel BOUVARD,Yves MERCELAT, Jean
STEFFANN membres.
Le Président honoraire de
tribunal administratif
Président de la chambre disciplinaire de première
instance
José THOMAS
La Greffière
Marianne PETIT