Ces minorités visibles invisibles

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Ces minorités visibles invisibles
27 OCT/03 NOV 11
Hebdomadaire Paris
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Ces minorités visibles invisibles
Une manifestation contre les «crimes coloniaux du passe» le 8 mai 2006 LABAN MATTEAFP
A
ujourd'hui, en France, « les minorités, visibles lorsqu'elles dérangent,
deviennent invisibles quand il
s'agit de représentation politique
ou d ascension sociale », écrit d'emblée
l'historienne Esther Benbassa en introduction au volume Minorités visibles en politique Rassemblant les actes d'un colloque en
décembre 2009 a l'Ecole normale supérieure
de la rue d'Ulm a Pans, a l'initiative de l'association du Pan(s) du vivre ensemble, avec
le concours du Centre Alberto-Benvemste,
référence désormais incontournable de
l'étude de l'histoire et de la sociologie des
minorités (dirige par Esther Benbassa), (.et
ouvrage délibérément comparatiste (I) fait
le point sur cette question du « fait minoritaire > qui embarrasse tant les cadres institutionnel et de pensée républicains français
Esther Benbassa ne craint pas d'en pointer les limites, hypocrisies et contradictions « En devenant français, écrit-elle,
il faudrait oublier d'où l'on vient, ses langues d'origine, ses coutumes, la culture de
ses pères Comme le requiert la paranoïa
nationaliste, c'est vierge qu on entre en fran
cite. » Cette exigence chargée d'une vraie
violence pour les individus censés s'intégrer
ou plutôt, dans ce cas, s'assimiler dans la
société française, est au mieux ignorée par
les < Français de souche », voire revendiquée au nom des va'eurs-de la République,
CNRS
6788499200524/XSB/ALA/2
Un ouvrage fait le point
sur les violences, politiques,
symboliques, faites aux
populations minoritaires
en France.
qui, entendues en ce sens, semblent sousentendre d'adhérer au vieux slogan d'ex
trême droite repris par Nicolas Sarkozy et
l'UMP lors de la campagne de 2007 « La
France, on l'aime ou on la quitte »
Ce refus de reconnaître et d'accepter l'existence de minorités dans la République a
souvent pour corollaire leur mise < en accusation » par le terme supposé infamant de
< communautés », bientôt a leur tour taxées
de « communautarisme », terme encore
plus infamant dans l'esprit des défenseurs
du modèle umversaliste dominant, qui, au
final, signifie en fait règne du plus fort
La encore, Esther Benbassa met les points
sur les i « Qui dit communauté, dit lien,
dit solidarite Or c'est cela qui fait peur,
comme si cette proximité pouvait mettre en
danger la nation française, alors qu'elle est
en fait au contraire un vecteur d'intégration,
puisqu'elle bâtit des ponts entre la minorité et la nation. » Loin de mer les dangers
Minorités
visibles on
politique Esther
Benbassa (sous
la du i CNRS
Éditions 364 p
24 euros
(I) Le Centre
Alberto
Benveniste
publie I ouvrage
L histoire des
minorités est
elle une histoire
marginale '
Benbassa
(Presses de
l'université
Pans-Sorbonne
2008)
Cf notre article
mPoMisn°993
du 13 mars 2008
du communautarisme, l'historienne décrypte
les mécanismes qui le produisent « On se
veut 'entre soi" et "contre eux", ce qui pro
voque un mouvement en retour parfaitement
symétrique, puisque "eux" se méfient de ce
"nous " hostile, le communautarisme dont
on se plaît a évoquer les ravages se nourrit de part et d autre de cette hostilité »
À l'instar des travaux reunis dans ce volume,
le < fait minoritaire » ne saurait se limiter aux
seuls groupes, « numériquement faibles,
que leur religion, leur origine ethnique et/
ou la couleur de leur peau distinguent de la
population dite majoritaire » Des groupes
comme Act Up-Pans ou la revue Vacarme
travaillent depuis longtemps sur cette ques
tion, et ont contribue a documenter combien,
par exemple, comme l'écrit Esther Benbassa,
« les femmes, moitié de I humanité, considérées longtemps comme des mineures,
sont elles aussi encore souvent perçues
comme des "minoritaires" », comme ceux
que l'on a coutume d'appeler désormais les
LGBT (pour lesbiennes, gays, bisexuels et
transgenres) - auxquels certains ajoutent
maintenant un I pour « Intersexes » .
À partir d'exemple* étrangers, en Europe ou
outre-Atlantique, d'études historiques, ou de
possibles mesures « capables d'influer positivement sur l'avenir » des différentes minorités en France - comme la mise en place de
statistiques ad hoc pour mesurer les discriminations ou l'octroi (enfin) du droit de vote (au
moins) aux élections municipales —, le travail
collecte des auteurs du volume vient surtout
appeler la gauche a s'emparer de ces sujets
Celle-ci aurait « tout intérêt, ne serait-ce que
pour de basses raisons de clientélisme électoral, a placer sur ses listes, en position ehgible,
des candidats capables de mobiliser les voix
des groupes minoritaires dits "visibles" »
Or, elle continue encore de craindre « de
déplaire a son électoral en mettant sur
les listes des '(m)vistbles" politiques »
Le chemin sera long. Mais en ces temps
de campagne électorale, il est temps que
la gauche, ou du moins la gauche de (la)
gauche, affronte rationnellement ces questions, vitales pour faire ce « pan du vivreensemble », comme le rappelle le titre de l'association fondée par Jean-Christophe Attias
et Esther Benbassa Sinon, il est a craindre
qu' « au lieu de négocier avec ses minorités,
la République, abstraite, [continuera a] se
cnspe[i] sur I application de normes figées
qui ne font qu'entretenir les crises récurrentes
dans les centres urbains, et jouent l'épreuve
de force la ou des aménagements seraient
possibles pour vivre autrement et mieux »
> Olivier Doubre
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