La gérance-mandat

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La gérance-mandat
La gérance-mandat
La gérance-mandat est un schéma d’exploitation de fonds de commerce élaboré par la
pratique sur la base du régime du mandat. Faisant l’objet de stipulations légales intégrées
dans le code de commerce depuis 2005, c’est un régime hybride susceptible d’entrainer des
conflits de qualifications qu’il convient d’anticiper tant dans la rédaction des contrats, que
dans sa mise en œuvre quotidienne
1.
Principales caractéristiques
Dans le cadre d’un contrat de gérance-mandat, un gérant mandataire est chargé d’exploiter
un fonds de commerce au nom et pour le compte d’un mandant. Contrairement au locatairegérant qui exploite le fonds confié pour son propre compte, le gérant-mandataire l’exploite
pour le compte du mandant. L’exigence d’une exploitation préalable de deux années
applicable en matière de location-gérance ne trouve pas à s’appliquer ici.
Plus précisément, l’article L. 146-1 du Code de commerce définit le gérant mandataire
comme une personne physique ou morale qui gère un fonds de commerce pour le compte
d’un mandant qui reste propriétaire du fonds et continue à supporter les risques liés à cette
exploitation moyennant une commission proportionnelle au chiffre d’affaires dans le cadre
d’un contrat qui :
•
lui fixe une mission, précisant le cas échéant les normes de gestion et d’exploitation
du fonds à respecter et les modalités du contrôle pouvant être effectué par le
mandant ;
•
tout en lui laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer ses
conditions de travail, d’embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants
dans son activité, à ses frais et sous sa responsabilité.
Le gérant-mandataire est inscrit au registre du commerce et le contrat est mentionné à ce
registre.
Le mandant est tenu de fournir au gérant mandataire une information précontractuelle
spécifique au moins 10 jours avant la signature du contrat qui, en application de l’article D
146-2 du Code de commerce, comporte les informations suivantes :
1.
L'identité du mandant s'il s'agit d'une personne physique ou des dirigeants s'il
s'agit d'une personne morale, son adresse ou son siège social et son numéro unique
d'identification
2.
L'adresse du siège de l'entreprise dont le fonds est mis en gérance-mandat, la
nature de ses activités, l'indication de sa forme juridique, le cas échéant le montant du
capital social ;
3.
Le cas échéant, le chiffre d'affaires annuel réalisé au cours des deux derniers
exercices du fonds mis en gérance-mandat, ainsi que le bilan annuel pour ces mêmes
périodes ;
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4.
La date de création de l'entreprise dont le fonds est mis en gérance-mandat,
ainsi qu'un rappel des principales étapes de son évolution depuis sa création ;
5.
Les affiliations éventuelles du mandant à un réseau d'exploitants ainsi que la
nature des contrats régissant les affiliations à ce réseau ;
6.
Les conditions générales de gestion du fonds ;
7.
Les taux, mode de calcul et tous autres éléments entrant en compte pour la
détermination de la commission versée au gérant-mandataire ;
8.
L'indication de la durée, des conditions de renouvellement, de cession et de
résiliation du contrat proposé.
Les textes ne prévoient aucune sanction en cas de non-respect de cette obligation.
Toutefois, l’article L. 146-2 du Code de commerce précise qu’elle doit permettre au gérantmandataire de « s’engager en connaissance de cause. » Sur cette base, le non-respect des
obligations d’information précontractuelle pourrait, comme dans le cadre de l’application de
la Loi Doubin, être à l'origine d'un vice du consentement pouvant entraîner l’annulation du
contrat.
Un accord-cadre doit être conclu entre le mandant et les gérants-mandataires auxquels il est
lié, afin de définir notamment le montant de la commission minimale garantie aux gérantsmandataires, laquelle doit tenir compte de l’importance de l’établissement et des modalités
son exploitation. A défaut d’accord-cadre, la commission minimale est fixée par le Ministre
en charge des PME.
Par ailleurs, le mandant est tenu de rembourser au gérant les avances et frais que celui-ci a
fait pour l’exploitation du fonds, dès lors que ces dépenses ne sont pas fautives et qu’elles
sont justifiées. Le mandant doit également indemniser le gérant des pertes que celui-ci a
essuyées du fait de sa gestion. En d’autres termes, le mandant supporte les risques
d’exploitation. Contrairement au droit commun du mandat, il ne sera pas possible de déroger
contractuellement au principe par l’article 2000 du Code civil dans un tel schéma et le
mandant supporte donc en toute hypothèse les pertes du fait de la gestion du gérant.
Le contrat de gérance mandat peut prendre fin à tout moment dans les conditions fixées par
les parties. Une indemnité sera due en cas de résiliation du contrat par le mandat, sauf si
celle-ci est justifiée par une faute grave du gérant-mandataire. L’interprétation du terme
résiliation doit être stricte et donc l’indemnité ne sera pas due en cas de survenance du
terme et de refus de conclusion d’un nouveau contrat par le mandant par exemple. Cette
indemnité sera au minimum équivalente aux commissions acquises, ou le cas échéant à la
commission minimale, pendant les six mois qui ont précédé la résiliation.
La notion de faute grave n’est pas définie, pas plus que les comportements pouvant
constituer une faute grave, mais il est possible de raisonner par analogie avec la notion telle
qu’elle est appliquée pour les agents commerciaux. La jurisprudence considère que la faute
grave est celle qui rend impossible le maintien du lien contractuel. Il s’agit d’une faute
caractérisée. Il appartient au seul juge, et non pas à la convention des parties, de qualifier de
faute grave les faits en cause. Elle doit s’appliquer strictement. La non-atteinte de quotas ne
peut ainsi constituer une faute grave. La vente non autorisée de produits concurrents, ou le
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refus d’appliquer les méthodes de vente du mandant peuvent par contre constituer une faute
grave.
Comme pour la location-gérance, le personnel attaché au fonds verra ses contrats de travail
transférés automatiquement au nouvel exploitant du fonds de commerce.
2. Risques de requalification, conflits de régime
L’exposé des motifs de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 qui a codifié le mécanisme de la
gérance-mandat, issu de la pratique, précisait que le but du mécanisme était de « sécuriser
les actifs exerçant une profession de manière autonome et développant des formes d’activité
intermédiaires entre le salariat et l’entreprenariat ». Il s’agissait de « combler un vide
juridique, confortant ainsi la situation des gérants mandataires qui disposent d’une très
grande latitude dans la conduite de leur activité sans être cependant propriétaires de leur
outil de travail ».
Il en ressort donc que le gérant-mandataire se situe à la frontière entre un entrepreneur qui
dispose de toute latitude pour déterminer ses conditions de travail ou embaucher du
personnel à ses frais et sous son pouvoir de direction et un salarié qui agit dans un cadre
tracé, le mandant lui fixant le cas échéant, des normes dans l’exploitation du fonds.
Le risque de requalification en contrat de travail, et donc d’application du droit du travail,
devra être anticipé. Le droit du travail pourrait également trouver à s’appliquer du fait de
l’application du statut de gérant de succursale. Un risque de requalification en contrat
d’agent commercial n’est par ailleurs pas à exclure.
Ces risques sont significatifs et difficilement maitrisables.
•
Requalification en contrat de travail
Un contrat de travail est caractérisé, indépendamment de la qualification donnée au contrat
par les parties, dès lors qu’il existe un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par
« l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres
et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son
subordonné » (Cass. Soc. 13 nov. 1996).
Or, dans la gérance-mandat ces trois conditions se trouve habituellement. En cas de
contentieux, l’appréciation de la nature de la relation est réalisée souverainement par le
juge.
Le degré d’autonomie du gérant-mandataire va ainsi être déterminant. La Cour de cassation
a pu juger qu’un gérant-mandataire ne jouissait d’aucune réelle liberté dans l’exploitation de
son commerce à raison de contrôles réguliers et fréquents par les inspecteurs du mandant,
lesquels étaient habilités à leur donner des ordres et à contrôler le détail de leur mode de
gestion, de l’obligation de rendre des comptes et d’envoyer des comptes à dates fixes et
étant passibles de sanctions en cas de modification ou de mauvaise qualité ou présentation
des produits (Cass. soc. 10 mai 2006, n°04-44.759).
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L’imposition des jours et horaires d’ouverture, la fixation des prix, les instructions données au
gérant mandataire quant à la gestion du stock, la répartition des invendus et plus
globalement la stratégie commerciale sont des critères retenus par la jurisprudence pour
apprécier le degré d’autonomie du gérant (CA Paris, 30 mai 2007, n° 05/11334). Il en est de
même quand sont imposés les prix et les clients, les procédures d’accueil, de promotion, de
publicité ou de tenue de la comptabilité (Cass. soc. 8 juin 2010, n°08-44.965).
Certes, depuis 2010 l’article L. 146-1 du Code de commerce relatif aux gérants mandataires,
précise : « la mission précise, le cas échéant, les normes de gestion et d’exploitation du
fonds à respecter et les modalités du contrôle susceptible d’être effectué par le mandant.
Ces clauses commerciales ne sont pas de nature à modifier la nature du contrat. »
Toutefois, cette précision n’empêche pas la requalification du contrat en contrat de travail
dès lors qu’un lien de subordination existe.
Un équilibre devra donc être trouvé entre consignes inhérentes au mandat, nécessaires pour
préserver la valeur du fonds, la performance financière de son exploitation, l'image de la
marque et maintenir la cohérence du réseau, sans basculer dans l’existence d’un lien de
subordination.
•
Application du statut de gérant de succursale
L’article L. 7321-2 du Code du travail dispose :
« Est gérant de succursale toute personne :
1.
2.
Chargée, par le chef d'entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition
des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de
l'entreprise, en vue de recevoir d'eux des dépôts de vêtements ou d'autres objets ou
de leur rendre des services de toute nature ;
Dont la profession consiste essentiellement :
1. Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies
exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque
ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par
cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ;
2. Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter,
manutentionner ou transporter, pour le compte d'une seule entreprise, lorsque
ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par
cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise. »
L’article L 7321-2 du Code du Travail n’implique aucune requalification du contrat de
gérance-mandat en contrat de travail. Il permet uniquement, lorsque les conditions qu’il fixe
sont remplies, de faire bénéficier les gérants de succursales de certaines dispositions du
Code du travail. C’est la raison pour laquelle, la jurisprudence n’exige pas, pour bénéficier du
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régime institué par l’article L. 7321-1 du Code du travail, la preuve de l’existence d’un lien de
subordination (Cass. soc. 4 déc. 2001).
Dès lors que les conditions sont corrélativement réunies en droit ou en fait, le gérant pourra
se prévaloir des dispositions du code du travail et ainsi revendiquer le paiement d’une
rémunération mensuelle minimale telle que fixée par les accords collectifs applicables, ou
encore le paiement des heures supplémentaires, le paiement d’un préavis, l’application des
stipulations relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse.
•
Application du statut d’agent commercial
L’agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante est chargé de
façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d’achat,
de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs,
d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux.
La distinction entre un gérant-mandataire et un agent commercial devient délicate lorsque le
gérant peut déterminer la politique promotionnelle et a, outre la gestion du fond, une mission
de négociation de contrat et de développement de la clientèle du mandant.
L’hypothèse d’une requalification d’un responsable de sites en agent commercial dépendra
fortement du point de savoir si le gérant-mandataire dispose ou non de faculté de
négociation des conditions de location.
La formule du gérant-mandataire est une formule qui peut présenter certains avantages pour
le développement d’un réseau. Il peut notamment s’envisager comme une période
transitoire, avant une exploitation aux risques et périls du seul exploitant dans le cadre d’une
location-gérance voire d’une reprise concomitamment à la conclusion d'un contrat
d'enseigne (franchise, concession ou autre). Toutefois, à la frontière de plusieurs statuts
c’est un schéma qui nécessite une certaine prudence dans sa conception et dans sa mise en
œuvre.
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