L`évolution de la politique étrangère chinoise

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L`évolution de la politique étrangère chinoise
DOSSIER
C H I N E , D ’ U N T O TA L I TA R I S M E À L’A U T R E
par Paul André *
L’évolution
de la politique étrangère chinoise
L
A CRISE ÉCONOMIQUE CONTEMPORAINE a joué, pour les opinions publiques occi-
dentales, le rôle de révélateur de la nouvelle importance gagnée par la Chine
sur la scène internationale. Considérée, il y a peu encore, comme un pays
émergent, la Chine fait désormais figure d’acteur incontournable des relations internationales. Si bien que des voix telles que celles de Zbigniew Brzeziński ou Henry
Kissinger ont publiquement envisagé la possibilité de l’instauration d’un G2 (Chine–
États-Unis) pour remplacer le G20.
Cette évolution de la place de la Chine dans les relations internationales relève tout
à la fois du poids pris par la République populaire de Chine (RPC) dans l’économie
mondiale et d’une évolution profonde de sa politique étrangère.
Il convient donc de comprendre les principales transformations de la diplomatie
chinoise. Si les changements économiques ont indubitablement joué un rôle dans la
mue de la politique étrangère chinoise, la modernisation militaire est un élément
non négligeable de l’équation. Si bien qu’on peut se demander si nous n’assistons pas
à l’émergence d’une hégémonie chinoise.
L’évolution de la diplomatie de Pékin
Trois décennies après le lancement de la politique de la « porte ouverte », la situation interne de la Chine a été profondément modifiée. Le pays a connu une
période de croissance soutenue qui lui permet d’envisager aujourd’hui de
rejoindre le club des « grandes puissances ». Mais au-delà des changements de la
situation économique du pays, cette ouverture de la Chine au monde a également
conduit à une modification des rapports qu’elle entretient avec les autres pays. La
Chine est dans une situation d’interdépendance accrue. Elle pèse sur la scène inter* Docteur en Sciences politiques; chargé d’enseignements à l’Université catholique de Lille.
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nationale du fait de son poids économique. Mais elle est également davantage liée
au reste du monde (besoin en matières premières, en ressources énergétiques, en
capitaux, nécessité d’exporter).
La montée en puissance de la diplomatie chinoise est ainsi une résultante de la
montée en puissance de la Chine. Cette diplomatie cherche à assurer l’essor du
pays. « Plus affirmée, plus sophistiquée, mais aussi plus complexe que lors des
décennies passées, cette diplomatie poursuit des objectifs multiples. Pérenniser la
stratégie de développement et d’intégration de la Chine à l’économie mondiale en
demeure l’axe majeur. Par conséquent, depuis l’adhésion du pays à l’Organisation
mondiale du Commerce (OMC), en décembre 2001, tant l’accès aux principaux
marchés d’exportations que la sécurisation des approvisionnements en pétrole et
autres produits essentiels constituent des impératifs qui pèsent chaque jour un peu
plus sur la politique étrangère chinoise. »[1] Mais en même temps, Pékin poursuit
deux autres objectifs primordiaux. Primo, affirmer une ambition de puissance qui
cherche, au moyen de l’arme diplomatique, à faire de la Chine « un Grand audessus des grands », c’est-à-dire la seule puissance à pouvoir faire contrepoids aux
États-Unis. Secundo, garantir la stabilité et l’avenir à long terme du régime via deux
moyens: continuer à assurer une croissance rapide et flatter le nationalisme.
Les bons résultats économiques ne doivent pas faire oublier que la politique étrangère chinoise demeure tributaire des priorités internes – en particulier le développement économique et la «stabilité sociale» (c’est-à-dire le monopole politique du
Parti communiste chinois). Si la politique étrangère chinoise est soucieuse d’établir
l’image internationale d’un État respectueux du droit international, elle n’en défend
pas moins ce que la direction du PCC estime constituer l’intérêt national.
La politique étrangère engagée par Deng Xiaoping à partir de 1978 suivait le slogan
tao guang yang hui, littéralement « cacher ses talents et entretenir l’obscurité ». Le
développement économique devenant la priorité, il importait de ne pas avoir de
« politique étrangère visible » ce qui invitait donc la Chine à rester neutre dans les
guerres. De plus, il fallait que Pékin perde l’habitude, contractée pendant la période
maoïste, de ne se lier d’amitié qu’avec d’autres pays socialistes. Désormais, le pays
devait ouvrir les bras à n’importe quel État susceptible de l’aider dans sa quête de
marchés, de ressources naturelles et de soutien politique. La « diplomatie de l’économie » imposait à Pékin d’adapter sa politique étrangère de façon à ne pas effrayer
les investisseurs étrangers du marché chinois. Mais cela nécessitait aussi d’entretenir
1 Jean-Pierre CABESTAN, « La montée en puissance de la diplomatie chinoise » in Sophie BOISSEAU DU ROCHER
(dir.), Asie dix ans après la crise, Paris, La Documentation française, 2007.
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© BRÜCKE-OSTEUROPA
Grand panneau à la gloire de Deng Xiaoping
au cœur du Lychee Park de Shenzhen (la province du Guangdong)
de bonnes relations avec tous les clients potentiels car l’économie chinoise demeure
très dépendante de ses exportations. La diplomatie du « profil bas », instaurée par
Deng, consistait à ce que la Chine ne se retrouve jamais, ou du moins l’évite autant
que faire se peut, sur le devant de la scène internationale. Cela lui procurait d’abord
l’avantage de ne pas être directement impliquée dans la confrontation entre les ÉtatsUnis et l’Union soviétique. À l’occasion, la Chine pouvait jouer la carte américaine
contre les Soviétiques ou inversement quand la situation l’exigeait. Mais le but était
surtout de rester focalisé sur le développement économique, qui devait demeurer
l’objectif numéro un des dirigeants chinois. En ne se mêlant pas des questions internationales, la Chine concentrait ses forces sur la construction économique.
Il est délicat de dater précisément le moment où la Chine a basculé d’une diplomatie du « profil bas » à celle de puissance en devenir. Toutefois, il semble clair que
cette évolution résulte de la volonté du président Jiang Zemin et ce, tant pour des
visées géopolitiques que pour des raisons de politique intérieure (c’est-à-dire, dans
une large mesure, des rapports de forces au sein du Parti communiste chinois).
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Quand il arrive à la tête de l’État, la position de Jiang est plus qu’incertaine. Il ne
doit sa place qu’au soutien de Deng Xiaoping; de plus, les difficultés économiques
se renforcent et la chute des « régimes frères » du bloc de l’Est rend la Chine bien
seule sur la scène internationale. Cet isolement est renforcé par les mesures de
boycott prises par l’Occident suite aux massacres de Tian’anmen. Autant le dire,
quand Deng Xiaoping relance le processus de réforme et d’ouverture en 1992, il
semblait hasardeux pour Jiang de prétendre être le « président du succès économique ». Dès 1992 (mais cela va s’intensifier après la mort de Deng en
février 1997), Jiang va tout faire pour rester le « Président de la politique étrangère »[2]. Son raisonnement était que, pour assurer sa légitimité, il ne pouvait rivaliser avec le bilan économique de Deng. Il était trop frileux et conservateur pour se
lancer dans une réforme du système politique. La politique étrangère devenait donc
le moyen pour lui d’entrer au « Panthéon du Parti ».
À partir du milieu des années quatre-vingt-dix (et pendant toute la suite de son
mandat), Jiang va élaborer ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler la diplomatie
de grande puissance ou daguo waijiao. L’idée maîtresse de cette ligne politique était
la suivante: dans les années 1990, la Chine n’est pas encore un acteur global du fait
de son poids limité tant au niveau économique que militaire ou géopolitique.
Cependant, elle peut chercher un rôle plus important notamment en Asie–
Pacifique. Avec Jiang, la diplomatie chinoise divise le monde en cinq blocs de puissance: les États-Unis, l’Union européenne, le Japon, la Chine et la Russie. Depuis la
chute de l’URSS, les États-Unis demeurent la seule superpuissance. Il en découle
une situation que les experts chinois qualifient de yichao duoqiang c’est-à-dire une
superpuissance et plusieurs puissances. Comme la Chine est la seule nation à la fois
en développement et socialiste parmi ces puissances, les dirigeants communistes
sont convaincus qu’elle va graduellement jouer le rôle de grande puissance.
Dans une large mesure, la politique étrangère chinoise actuelle est tout à la fois le
résultat de la politique de Jiang et une rupture avec celle-ci. Pour Jiang, la clé, si la
Chine veut assumer son statut de grande puissance mondiale, réside dans ses relations avec les États-Unis. Selon ses détracteurs au sein du Parti communiste, Jiang a
mené une politique pro-américaine. Pour le dire simplement, Jiang (et son équipe)
reconnaît la suprématie américaine dans le monde, y compris en Asie–Pacifique,
dans la mesure où Washington respecte la suzeraineté chinoise sur Taiwan et
continue de commercer avec la Chine et d’y investir. Malgré les profils très différents de Jiang Zemin et de Bill Clinton, les deux dirigeants sont parvenus à ce que
leurs pays établissent un « partenariat stratégique constructif » (a constructive stra2. LAM, Chinese Politics in the Hu Jintao Era, New York, ME Sharpe, 2006.
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tegic partnership). Cependant, ce partenariat n’a jamais vraiment été concluant.
Lam se demande même si ce n’est pas le plus gros échec de la politique étrangère de
Jiang. En effet, la politique extérieure de Jiang ainsi que sa stature au plan domestique ont pâti des nombreuses fois où Clinton a abandonné son « partenaire »
chinois. Citons tout d’abord l’exemple de 1995 lorsque le président Clinton autorisa le président taiwanais Lee Teng-hui à faire une visite aux États-Unis. Autre
exemple, en 1999: le Premier ministre Zhu Rongji fit des concessions sur le plan
commercial afin que la Chine accède à l’OMC. Un mois plus tard, les États-Unis
bombardaient l’ambassade de Chine à Belgrade.
Avant même qu’ils n’arrivent au pouvoir, Hu et ses conseillers avaient critiqué la
politique extérieure de Jiang, jugée « romantique ». Pour Hu Jintao, chaque
concession faite aux États-Unis devait s’accompagner d’une contrepartie pour
Pékin. Par exemple, les États-Unis devaient au préalable acquiescer à la politique
chinoise au Xinjiang et au Tibet pour que Pékin soutienne la guerre globale contre
le terrorisme.
Les dirigeants actuels, au premier rang desquels Hu Jintao et Wen Jiabao, sont
véritablement les premiers dirigeants du Parti communiste chinois à avoir une
approche d’ensemble des questions de sécurité et de diplomatie. En plus de se
préoccuper des questions traditionnelles comme la diplomatie ou les affaires militaires, « l’équipe Hu » attache beaucoup d’importance aux conséquences sur la
politique étrangère des questions de commerce, de coopération économique, de
technologie et d’énergie. Ainsi le livre blanc de la Défense de 2004, qui porte la
patte du nouveau chef de la Commission militaire centrale (qui n’est qu’autre que
Hu), précise qu’en plus des affaires étrangères et militaires, les cadres dirigeants
doivent prendre en considération des domaines comme les technologies de l’information, l’énergie, la finance et même la « sécurité environnementale ».
Modernisation militaire et ambitions géopolitiques
Forte des succès engendrés par l’ouverture du pays, la Chine a gagné une nouvelle
importance qui lui permet de nourrir de grands projets quant à son rôle sur la
scène internationale. Il s’agit pour Pékin d’affirmer une ambition de puissance qui,
si elle n’entend pas hisser le pays à une parité militaire avec les États-Unis – un but
hors d’atteinte et dont les résultats restent hasardeux comme l’a montré l’exemple
soviétique –, cherche néanmoins à faire de la Chine la seule puissance capable de
contrebalancer l’hégémonie américaine.
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Ainsi, la RPC s’est engagée dès le début de la politique de réformes dans une
modernisation en profondeur de son appareil militaire. La doctrine stratégique
chinoise jusqu’au début des années 1980 était la « guerre populaire ». La défense
reposait sur une infanterie pléthorique. Il est apparu assez vite pour les dirigeants
chinois que l’Armée Populaire de Libération (APL), tant au niveau stratégique que
matériel, était inapte à assurer la sécurité de la Chine à l’âge des conflits modernes.
Même si elle comptait beaucoup d’hommes, l’APL, à la fin des années 1970, était
obsolète dans sa structure, sa doctrine opérationnelle, son organisation, sa formation du personnel militaire, son matériel. La Chine s’est donc lancée dans une
modernisation de son armée qui ne la conduise pas à une ruineuse course aux
armements comme a pu le faire l’URSS, mais qui soit toutefois en mesure de lui
donner les moyens de ses ambitions internationales.
On peut résumer les éléments clés du programme de modernisation en quelques
points. Pour ce qui concerne les armes conventionnelles, cinq objectifs sont définis.
L’armée de terre doit réduire ses effectifs, être mieux entraînée (capable par exemple
de mener des opérations amphibies), plus flexible et surtout mieux équipée. La
marine doit développer une flotte de haute mer (centrée autour des nouvelles générations de frégates et de destroyers), améliorer ses capacités sous-marines et sa flotte
aéronavale. L’armée de l’air doit se diversifier. L’APL doit aussi développer sa capacité
à mener des opérations interarmes. Enfin, elle doit accroître et améliorer ses capacités
balistiques. Pour ce qui est des armes non-conventionnelles, quatre objectifs ont été
fixés. Primo, l’APL doit améliorer ses capacités balistiques pour les missiles intercontinentaux. Elle doit adapter les nouvelles générations de missiles balistiques. Il lui faut
acquérir des ogives plus petites. Enfin, dernier objectif l’arsenal nucléaire doit être
amélioré, notamment dans la capacité de communication et de contrôle. Pour cela le
programme spatial chinois est crucial.
Selon les spécialistes[3], la Chine a fait des avancées significatives dans son
programme de modernisation militaire au cours des années 1990. Cependant les
avancées les plus marquantes pour les armes et les systèmes de haute technologie ont
été permises par l’acquisition onéreuse de matériel étranger, principalement russe.
Malgré les progrès enregistrés, on est loin de l’objectif général assigné lors de la mise
en œuvre du plan de modernisation.
L’acquisition de telles capacités a de sérieuses conséquences sur la sécurité de la
zone Asie–Pacifique, surtout à moyen et long terme. Si on suppose que la Chine a
3. Pour une synthèse des progrès techniques réalisés par l’Armée Populaire de Libération au cours du programme
de modernisation voir Michael SWAINE, « The Modernization of the PLA: Implication for Asia Pacific security
and Chinese politics » in TIEN Hung-Mao & CHU Yun-han (dir.), China under Jiang, Londres, Lynne Rienner,
2000, p. 121 et 122.
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tenu, voire augmenté, le rythme de son programme de modernisation, on peut dire
qu’elle est capable aujourd’hui, ou du moins à très court terme (horizon 2010),
de mener des opérations de combat (et non plus seulement de contrôle) aériennes et
maritimes à plus de 250 miles de ses côtes; toucher un grand nombre de cibles civiles
et militaires en Asie orientale, du sud et du sud-ouest (soit environ mille cibles potentielles) avec des missiles balistiques nucléaires ou conventionnels de courte ou
moyenne portée; envoyer une ou deux divisions (soit 15000 à 30000 hommes en
armes) dans une zone de 100 miles autour de ses frontières –cet envoi de troupes
peut désormais être terrestre, naval ou aéroporté; résister à une première frappe
préemptive contre ses installations nucléaires; détruire tout système de missiles (y
compris spatial) basé en Asie.
ESTIMATION DES CAPACITÉS D’INTERVENTIONS MILITAIRES CHINOISES
EN 2010 ET 2020
JAPON
CHINE
TAIWAN
PHILIPPINES
INDONÉSIE
2010 : capacité d’envoyer 1 ou 2 divisions (15 000 à 30 000 h.)
2010 : capacité de mener des opérations de combats
2020 : capacité d’envoyer 3 ou 4 divisions (45 000 à 60 000 h.)
2020 : capacité de mener des opérations de combats
Cela signifie que d’ici dix ans (à l’horizon 2020) la Chine sera capable de mener
une guerre maritime et sous-marine dans un rayon de 1000 miles autour de ses
côtes; mener une opération air–mer dans un rayon de 500 miles autour de ses
côtes; faire un blocus naval, avec appui aérien, d’îles se trouvant dans un rayon de
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200 miles autour de ses côtes; envoyer trois ou quatre divisions (soit 45000 à 60000
hommes en armes) dans une zone de 200 miles autour de ses frontières. Cet envoi
de troupes pourra être terrestre, naval ou aérien.
Cette modernisation des capacités militaires, alliée à une diplomatie plus
affirmée, a renforcé la présence de la Chine en Asie orientale comme le montre la
carte de la page précédente. Mais l’un des aspects novateurs de la politique étrangère chinoise contemporaine est sans doute le fait que la Chine est de plus en plus
présente en Afrique et en Amérique latine, régions traditionnellement en dehors de
la zone d’influence de Pékin.
Visée hégémonique ou diplomatie économique?
Les impératifs économiques modifient la politique extérieure de la Chine. Celle-ci
cherche à entretenir de bonnes relations avec les grandes puissances – de second
rang – c’est-à-dire l’Union européenne, l’ASEAN, la Russie et le Japon tout en
essayant de ne pas avoir une relation conflictuelle avec les États-Unis. De plus, cela
permet à Pékin de jouer une carte contre une autre et de lui assurer un rôle sur la
scène internationale tout en sécurisant son voisinage. Il semble que ce soit cet impératif économique qui ait dicté les récents intérêts que Pékin porte désormais à
l’Afrique et l’Amérique latine.
Ainsi, le fait le plus marquant dans cette nouvelle page des relations sino-latinoaméricaines est indubitablement l’ampleur des échanges économiques. Le commerce
bilatéral entre la Chine et l’Amérique latine (essentiellement le Brésil, le Mexique, le
Chili et l’Argentine) a atteint quarante milliards de dollars américains[4]. Ces bons
résultats font de la Chine le troisième partenaire économique de la région. Pour
entretenir ces performances, Pékin a entrepris une politique très active auprès des
pays latino-américains. Un accord de libre-échange a été conclu entre la Chine et le
Chili. De même, le Pérou et la Chine ont convenu à la fin du mois de janvier 2005
d’établir un partenariat de coopération globale mettant l’accent essentiellement, dans
les faits, sur les questions d’ordre économique. Tout ceci est le fruit d’une intense activité diplomatique de Pékin envers les dirigeants latino-américains.
De même, la Chine s’est tournée vers l’Afrique où elle représente l’un des premiers
partenaires commerciaux de nombreux pays. « La fondation en 2000 du Forum sur la
Coopération sino-africaine (Focsa) marque cette volonté de rapprochement. La
quasi-totalité des États africains participent à cette organisation »[5]. L’arrivée de la
4. Ministère des Affaires étrangères, www.diplomatie.gouv.fr
5. François LAFARGUE, « La Chine, une puissance africaine », Perspectives chinoises, n° 90, 2005.
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Chine sur le continent est une aubaine pour de nombreux régimes africains. La RPC,
au nom du respect de la souveraineté nationale, n’impose pas de conditions politiques particulières, à la différence des puissances occidentales. La seule exigence de
Pékin, pour entretenir des relations commerciales, est que ses partenaires coupent
toutes relations diplomatiques avec Taiwan. Mais Pékin laisse les pays africains libres
de leur vote à l’Onu.
Trois raisons motivent la présence chinoise en Afrique et en Amérique latine: le
pétrole, le commerce et la diplomatie.
Afin de permettre sa croissance, la Chine doit faire face à d’importants besoins
énergétiques. Ces besoins sont d’autant plus forts que la hausse du niveau de vie
des Chinois a induit une demande accrue en énergie. La Chine, soucieuse de
préserver son indépendance, s’est tournée vers l’Amérique latine et l’Afrique.
Elle a d’abord cherché à combler ses besoins énergétiques auprès de la Russie et
des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Naturellement peu enclin à
être un tant soit peu dépendant de Moscou, Pékin a fini par être convaincue de la
nécessité de diversifier son approvisionnement en énergie lorsque les États-Unis
s’installèrent en Afghanistan en 2001. L’intervention en Iraq confirma cette idée.
Souhaitant échapper à un Moyen-Orient sous influence américaine et à une Asie
centrale peu sûre à leur goût, les Chinois se tournèrent vers l’Amérique latine et
l’Afrique. S’implanter en Amérique latine, chasse gardée des États-Unis et de ses
multinationales pétrolières, fut perçu comme une revanche face à la présence
américaine en Asie orientale (mer de Chine, Japon, Corée) et surtout au soutien
apporté par les Américains à Taiwan.
La présence chinoise s’explique aussi par des motivations d’ordre commercial. La
Chine a une spécialisation intermédiaire, c’est-à-dire qu’elle exporte des produits
peu intensifs en capital et en technologie vers les pays développés et des produits
intensifs en capital et technologie vers les pays en développement : Afrique et
Amérique latine. Par ces exportations, la RPC gagne en expérience et peut ainsi
pratiquer une politique commerciale dite de « remontée de filière ». De plus, ces
pays sont une occasion pour la Chine de s’approvisionner en matières premières
afin d’alimenter sa croissance.
Enfin cette expansion chinoise doit se comprendre dans l’optique de la confrontation diplomatique avec Taiwan. Sur les 23 États qui reconnaissent officiellement
le régime de Taipei, douze sont situés en Amérique du Sud ou centrale et quatre en
Afrique. L’Afrique a longtemps été un soutien du régime de la République de
Chine (RDC) à Taiwan. Pékin s’est donc employé à réduire cette reconnaissance du
régime insulaire. En 1998, l’Afrique du Sud a mis un terme à ses relations avec la
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RDC et établi des liens diplomatiques avec Pékin. La fin des relations diplomatiques avec le Sénégal en 2005 a marqué un coup pour la reconnaissance de Taiwan
sur le continent africain. Désormais, les pays d’Afrique et d’Amérique latine qui
reconnaissent Taiwan ont un poids économique et une influence limitée. Là encore,
la Chine joue sur l’attrait que représente son immense marché.
On doit au politologue américain David Lampton[6] d’avoir identifié quatre
tendances lourdes dans l’élaboration de la politique étrangère chinoise: la professionnalisation, la pluralisation institutionnelle (corporate pluralization), la décentralisation et la mondialisation. La politique étrangère chinoise est en effet plus
professionnelle qu’auparavant, de par la meilleure formation des cadres du Parti,
mais aussi par l’influence qu’ont désormais un certain nombre d’experts (en ce
sens, la reformulation de la politique étrangère chinoise autour de concepts tels que
« l’ascension pacifique » ou « l’harmonie » en sont des exemples parlants). On
assiste aussi à un pluralisme institutionnel mais non institutionnalisé. « Avec le
désengagement de la France et l’effondrement de la bipolarité, certains pays africains voient en la Chine un puissant protecteur moins exigeant quant aux normes
démocratiques et peu regardant sur l’usage fait des crédits accordés »[7]. Pour
autant, rien ne permet de conclure que la Chine envisage dans un futur immédiat
de jouer un rôle de premier plan hors d’Asie. Le développement économique
demeure la ligne directrice de sa politique étrangère. Ceci étant, on ne peut qu’être
prudent devant un régime non démocratique qui voit son budget militaire gonfler
d’année en année. Mais s’il faut être sans illusions sur la nature réelle du régime de
Pékin et de ses motivations, il ne faut pas, non plus, surestimer un régime qui a de
plus en plus de mal à gérer la situation intérieure.
6. David LAMPTON (dir.), The making of Chinese foreign and security policy in the era of reform, 1978-2000, Stanford,
Ca., Standford University Press, 2001.
7. François LAFARGUE, op. cit.
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