« temporaires », du pléonasme à son application
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« temporaires », du pléonasme à son application
IRPP d'un usufruit temporaire portant sur des cessions de valeurs mobilières ne peut être soumis à la retenue à la source libératoire prévue par l'article I 19 bis, 2 du CGl (BOI précité n° 220). ID El Enfin, ID toutes conditions étant par ailleurs remplies, le produit de cession d'un usufruit temporaire, imposé d'après le barème progressíf de l'impôt sur le revenu, peut bénéficier des dispositions prévues à l'article 163-0 A du CGI en faveur des revenus exceptionnels. Pour plus de précisions, voir lRPPVII-200 s. (BOI précité n? 220) Le produit de cession d'un usufruit temporaire supporte également les prélèvements sociaux, recouvrés par voie de rôle, dans les conditions de droit commun propres à la catégorie de revenus de rattachement (BOI précité n? 230). Enfin, ce produit est également soumis, dans les conditions de droit commun, à la contribution sur les hauts revenus prévue à l'article 223 sexies du CGI. Pour plus de précisions, voir BOl-lR-CHR : lRPP-III-21500 s. (BOI précité n? 240). 4IRPP-VII-33400 s. ; MF 4780 r~ Cession à titre onéreux d'usufruits « temporaires », du pléonasme à son application Par Luc Jaillais et Sophie Delplancke Depuis 2012, la cession à titre onéreux d'usufruits « temporaires» de biens de toute nature fait l'objet d'un régime d'imposition spécifique, qui soulève de nombreuses interrogations. Les commentaires administratifs publiés, dans la base Bofip, le 5 août 2015 sous la référence BOI-IR-BASE-10-10-30, dissipent certaines craintes mais suscitent également quelques frustrations. Revue (non exhaustive) du bon et du moins bon. La troisième loi de finances rectificative pour 2012 a eu notamment pour objet de lutter contre «les stratégies d'optimisation fiscale détournant l'esprit de la loi ». Le législateur a ainsi encadré les opérations dites d'« apportcessíon » en créant au sein du CGl un article 150-0 B ter directement inspiré de la jurisprudence du Conseil d'Etat. En revanche, on se souvient que les dispositionsadoptées en matière de donation-cession n'ont pas résisté à la censure du Conseil constitutionnel (hormis une scorie au sein de l'article 150-0 B ter, passée au travers du contrôle de constitutionnalité). Le troisième dispositif antiabus adopté à cette occasion vise les cessions à titre onéreux d'usufruit temporaire, désormais encadrées par un paragraphe 5 ajouté à l'article 13 du CGI. Il s'agit de faire échec à des opérations par lesquelles le propriétaire d'un bien perçoit, sous forme d'un prix de vente et selon un régime de plus-values bénéficiant d'abattements et/ou de taux d'imposition avantageux plusieurs annuités de revenus relevant d'une taxation plus lourde. Et ceci sans pour autant subir la dépossession définitive qui caractérise en principe une cession, puisque l'usufruit a vocation à faire retour au propriétaire lorsqu'il est constitué pour une durée fixe. Perception de numéraire et perspective de recouvrer à terme la pleine possession de son bien telles sont les deux caractéristiques Iondamentales des opérations ciblées par le législateur. .. II Ainsi, depuis le 14 novembre 2012, le « produit» - et non la plus-value- de la première cession à titre onéreux d'un usufruit temporaire subit l'impôt selon le régime applicable au revenu susceptible d'être généré par le bien (revenus fonciers et revenus de capitaux mobiliers, pour l'essentiel) : Luc JAILLAIS Sophie DELPLANCKE Avocat associé CMS Bureau Francis Lefebvre Avocat CMS Bureau Francis Lefebvre « 5.1 D Pour l'application du 3 et par dérogation aux dispositions du présent Code relativesà l'imposition des plus-values, le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement qui relève des articles 8 à 8 ter, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé ». L'usufruit« temporaire », modèle inédit de pléonasme législatif II Conformément aux dispositions de l'article 617 du Code civil. l'usufruit est par nature temporaire: en effet, il est constitué soit à titre viager,soit pour une durée fixe, selon qu'il s'éteint par la mort de l'usufruitier ou par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé. Le pléonasme congénital qui affecte l'article 13, 5 © Editions Francis Lefebvre· FR 34/15 11 du CGI ne peut dès lors qu'être source de confusion. L'administration apporte au BOI-IR-BASE-l 0-1 0- 30 (voir ~ une première clarificationen précisant que J'usufruittemporaire visé par J'article 13, 5 précité «s'entend de J'usufruit consenti pour une durée à terme fixe ». Elle confirme en toute logique que les cessions portant sur un usufruit víager ne sont pas concernées par le nouveau dispositif. L'administration indique qu'entre dans le champ d'application de J'article 13, 5 toute cession d'usufruit consenti pour une durée fixe, que le cédant le détache de sa pleine propriété ou qu'il soit titulaire d'un usufruit préconstitué, du fait d'un démembrement antérieur (801 précité n? 80). Cette dernière indication laisse sceptique. En effet, on ne peut jamais disposer de plus que son droit. Ainsi, l'usufruitier víager qui cède son droit pour une durée fixe ne peut en aucun cas garantir au cessionnaire une jouissance jusqu'au terme contractuel : le décès prématuré du cédant interrompra nécessairement l'usufruit temporaire accordé. Juridiquement, J'aléa inhérent au caractère viager de J'usufruitprimitif J'emporte sur la durée stipulée fixe de J'usufruit secondaire : J'usufruit est donc cédé à temps indéterminé avec une durée maximale, et non pour une durée à terme fixe. Contribuables visés II Il s'agit, indique J'administration, de toute personne à l'exception des personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés, lesquelles sont exclues du dispositifde J'article 13,5 du CG!. Sont ainsi concernés les personnes physiques agissant dans le cadre de la gestíon de leur patrimoine privé, mais également les exploitants individuels qui relèvent des bénéfices industrielset commerciaux, des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, ainsi que les sociétés translucides. II S'agissant des entrepreneurs, il est permis de s'interroger sur la portée de J'article 13, 5 précité. A cet égard, un rappel de la jurisprudence récente, rendue à J'égard d'un orthodontiste qui avait cédé en 2002 l'usufruit de son cabinet libéral pour une durée de 7 ans, apporte un éclairage intéressant. Alors que la cour administrative d'appel de Lyon avait confirmé la rectificationdu gain en produit d'exploitation imposable au barème de l'impôt sur le revenu, le Conseild'Etat a rétabli J'imposition sous le régime des plus-values professionnelles au taux proportionnel.justifiant ainsi que la cession « d'un usufruit à durée fixe procède bien d'une cession d'actif (CE 16-2-2015 n? 363223 RJF 5/15 n? 403). L'administration semble bien confirmer, implicitement, que J'article 13,5 rend obsolète cette jurisprudence. Les revenus que procure ou qu'est susceptible de procurer un bien inscrit à J'actif d'une entreprise individuelle relèvent du régime de J'activité professionnelle de son propriétaire : BIC, BNC, BA. La nature intrinsèque du bien est, à cet égard, indifférente (immeuble, valeurs mobilières, etc.). En conséquence, le produit de la première cession à titre onéreux de J'usufruit «temporaire» reste passible de cette même cédule d'imposition, mais sans bénéficier du régime des plus-values professionnelles. IJ Les non-résidents sont également visés, sous la réserve classique de J'application des conventions internationales. L'administration indique logiquement à cet égard qu'il convient « de se reporter aux stipulations relatives aux plus-values pour déterminer si la France dispose du droit de les imposer» (801 précité n? 50). Mais, lorsque le droit d'imposer sera conventionnellement attribué à la France, J'application de J'article 13, 5 conduirait à taxer les cessions d'usufruit « temporaire» non dans un régime de plus-values mais... comme des revenus immobiliers ou des revenus capitaux mobiliers, sur le montant du produit de la cession, et non sur le seul gain en capital ! Les intéressés seront-ils fondés à se plaindre de J'usage « détourné» que ferait ainsi la France du droit d'imposer reconnu par les conventions en imposant davantage que le strict gain en capital ? Première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire 13 L'administration précise à juste titre que les cessions à titre onéreux s'entendent de «toutes transmissions qui comportent une contrepartie en faveur du cédant", ce qui exclut bien entendu les mutations à titre gratuit, telles que les donations d'usufruit à durée fixe. Et, conformément à la lettre de la loi, seule la première cession du même usufruit temporaire est concernée. Dès lors, la vente d'un usufruit à durée fixe reçu par le donataire ou J'héritierde celui-ci devrait relever de J'article 13, S, s'agissant de la première cession à titre onéreux. Ce constat aboutit à soumettre malencontreusement aux dispositions de l'article 13, 5 des opérations qui ne poursuivent aucunement J'objectifabusif visé par le législateur. IJ Prenons l'exemple d'un parent qui cherche à assurer une source de revenu à un enfant impécunieux. Peu avant la vente de parts sociales A qu'il possède, le parent lui fait donation d'un usufruit à durée fixe sous la condition du remploi en démembrement du prix de vente des parts dans un portefeuilled'actions cotées. D'usufruitier temporaire de titres A, l'enfant devient usufruitier temporaire d'un portefeuílle-títres. Sa situation de contribuable ne change pas il reste redevable de J'impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers à raison des dividendes attachés aux titres considérés. Dans cette circonstance, on voit mal ce qui, d'un point de vue économique, justifie que le prix de vente de J'usufruit temporaire soit soumis à l'impôt dans la cédule des revenus de capitaux mobiliers... Et J'effet de purge des plus-values résultant de la donation de l'usufruit est potentiellement plus qu'anéanti par les conséquences de l'article 13, 5. Moralité: la donation d'usufruit à durée fixe est a priori à proscrire ou, en tout cas, à considérer avec la plus grande » circonspection.. En revanche, la vente par le donataire ou l'héritier d'un usufruit vìager devrait systématiquement échapper au régime de l'article 13, S, Y compris lorsque J'usufruit comporte une durée maximale et que le cessionnaire est une personne morale (voir n? 3), mais cette opinion constitue, semble-t-il, un sujet de désaccord avec l'administration fiscale. La donation d'usufruit à durée fixe est a priori à proscrire ou, en tout cas, à considérer avec la plus grande circonspection ... 1'1 En revanche, curieusement, en cas de donation par un exploitant individuel d'un usufruit à durée fíxe, la valeur dudit usufruit constituera certes un élément du résultat imposable, mais qui échappera au régime de J'article 13, 5 qui ne frappe que les cessions à titre onéreux. 12 FR 34/15 • © Editions Francis Lefebvre m Autre cas de figure : J'administration indique que lorsque J'usufruit temporaire consenti par un propriétaire s'éteint à J'arrivéedu terme et que le contribuable cède un nouvel usufruit IRPP temporaire, il Y a alors autant de première cession portant sur un usufruit temporaire (BOI précité n? 70). Bien que l'administration ne le précise pas, et alors que seule la première cession intervenue depuis le 14 novembre 2012 est imposable suivant le régime de l'article 13,5, il nous semble évident que la notion de première cession doit être appréciée en prenant en compte, le cas échéant, toute transmission à titre onéreux du même usufruit réalisé avant cette date, antérieurement donc à l'entrée en vigueur de ce texte. Ce point mériterait néanmoins d'être confirmé par l'administration. L'épineux sujet de la cession à une société III L'administration confirme ce que la lettre du texte, au rebours de son objectif, donne certes à penser: en ce qu'ils comportent une contrepartie en faveur du cédant, "les échanges et les apports en société» translucide ou passible de I'IS sont concernés (BOI précité n? 60). Pourtant, cette contrepartie consiste en des titres émis par la société bénéficiaire de l'apport et non en du numéraire (sous la réserve marginale d'une éventuelle soulte de IO %) et, de surcroît, l'intéressé reste titulaire de revenus de même nature (apport de l'usufruit de titres) ou de nature différente (apport de l'usufruit portant sur un immeuble), mais toujours imposables à l'iR en son nom, comme précédemment. Il n'y a donc aucune conversion de revenus futurs en capital immédiat. Alorsqu'une interprétation constructivedu texte commandée par l'objectif affiché par le législateurdevrait conduire à écarter tout apport du champ de l'article 13, 5, l'administration n'envisage favorablement qu'un seul cas. L'administration raisonne en considérant qu'en vertu de l'article 619 du Code civil [« L'usufruit qui n'est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans ») l'usufruit" constitué sur la tête» d'une personne morale ne pourrait excéder trente ans et serait donc nécessairement consenti pour une durée fixe. Cette analyse est incontestable lorsque l'usufruit vendu est détaché d'une pleine propriété pour une durée fixe l'article 13, 5 s'applique alors indéniablement. Dans le cas où il est accordé pour une durée viagère fixée sur la tête du propriétaire, cette position apparait moins évidente, puisqu'alors l'usufruit... n'est pas à durée fixe 1 lEI En revanche, l'administration admet que la cession à une personne morale d'un usufruit vìager «< usufruit préconstitué ») n'entre pas dans le champ de l'article 13, 5 (BOI précité n? 90). Ce qui confirme bien au passage que la règle prévue par l'article 619 du Code civil n'a pas une portée universelle... L'administration réserve enfin le cas où l'usufruitier vìager cède son usufruit pour une durée fixe, ce qui le rendrait passible du régime de l'article 13, 5, position discutable pour le motif exposé ci-dessus: si le cédant décède avant le terme fixé, l'usufruit s'éteindra immédiatement. mmet hors Quoi qu'il en soit, on retiendra surtout que l'administration de danger les opérations d'apport conjoint de l'usufruit viager et de la nue-propriété d'un bien, qu'il y ait ou non report du démembrement sur les titres reçus en échange. En cas d'apport de titres, l'usufruitier est ainsi assuré de pouvoir bénéficier d'un différé d'imposition de la plus-value. Cessions de la nue-propriété et de l'usufruit à deux personnes distinctes II Comme il était à craindre, l'administration fiscale confirme que la cession par un plein propriétaire de l'usufruit à durée fixe à un premier cessionnaire et de la nue-propriété à un second est soumise au régime de l'article 13, 5 (positiondéjà exprimée dans la réponse ministérielle Lambert AN 2 juillet 2013 p. 6919 nO 15540). Pour autant, le cédant se sépare bien de tous les attributs de son ancienne propriété, sans espoir de retour. Là encore, la position de l'administration est en total décalage avec l'objectif de lutte contre les" abus d'optimisation fiscale». Assiette imposable m- soit durevenu imposable s'entend : produit de cession, c'est-à-dire du prix ou de la valeur Le d'apport, à l'exclusion donc de toute déduction du prix de revient fiscal de l'usufruit temporaire concerné, - soit de la valeur vénale de l'usufruit si elle est supérieure. Cette dernière indication, a priori inédite en matière d'impôt sur le revenu, est directement inspirée des règles applicables en matière de droits de mutation. Elle donne la possibilité au fisc d'écarter le prix contractuel, sans même suspecter - ni a fortiori démontrer - l'existence d'un «dessous de table» ou d'une libéralité entre les parties. Pour autant, l'application du barème de l'article 669 du CGI ne s'impose pas. Ce texte détermine, pour chaque tranche d'usufruit d'une durée de 10ans au plus, une valeur fixe égale à 23 % de celle de la pleine propriété, sans modulation possible. L'administration admet cependant la possibilitéd'y avoir recours "à titre indicatif». II On regreuera enfin que lorsque le produit de cession d'un usufruit temporaire relève de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, l'administration n'admette pas l'application de l'abattement de 40 %. Elle s'en explique par le fait que l'abattement «a vocation à neutraliser le risque de double imposition économique des dividendes (taxation du résultat réalisé par la société distributrice à l'impôt sur les sociétés et taxation de la distribution perçue par l'actionnaire ou associé à l'impôt sur le revenu)» (BOI précité n? 210). Il est vrai que la société émettrice des titres dont l'usufruit est cédé ne distribue rigoureusement rien à cette occasion. Il est donc très étrange que l'administration qualifie précisément dans ce cas de «revenu distribué» le produit de cession de l'usufruit temporaire.. En réalité, la raison juridique de cette position rigoureuse se trouve à l'article 158, 3-20 du CGI, qui réserve certes le bénéfice de l'abattement aux distributions régulièrement opérées par les sociétés passibles de l'ISo Mais quitte à appliquer une pure fiction fiscalequi substitue un revenu à un gain, et puisque les opérations présumées abusives sont désormais déjouées, pourquoi ne pas pousser la figure jusqu'au bout afin de ne pas pénaliser les opérations qui répondraient à une vraie logique économique? © Editions Francis Lefebvre' FR 34/15 13