que faire du fmi et de la banque mondiale
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que faire du fmi et de la banque mondiale
CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 1 (1,1) CRID : 14, passage Dubail - 75010 Paris ISSN : en cours - Mars 2002 - Prix : 4,60 € Les Institutions financières internationales (IFI) ont pris au fil des décennies une importance croissante dans les politiques de développement des pays du Sud et, depuis la chute du mur de Berlin, dans celles des pays de l’Est. Conçues à l’origine pour prévenir les crises monétaires (Fond monétaire international) et financer le développement (Banque Mondiale), elles n’ont pu enrayer l’avènement de crises, et le “développement” qu’elles ont induit pèse lourdement sur les couches les plus vulnérables des populations d’un grand nombre de pays. QUE FAIRE DU FMI ET DE LA BANQUE MONDIALE ? Les citoyens engagés dans des démarches de solidarité internationale constatent les dégradations sociales dues aux ajustements structurels imposés par les IFI. Partenaires des acteurs du Sud, ils dénoncent avec eux l’évolution de ces institutions qui imposent à l’ensemble du monde une logique économique unique. La dénonciation porte à la fois sur cette conception économique et sur le fait qu’elle soit imposée par des institutions qui prétendent encore aujourd’hui ne pas avoir de vocation “politique”. La première tâche est donc de mettre en lumière le rôle exact des IFI, plus soucieuses d’assurer le remboursement des dettes que le bonheur des peuples. Les campagnes citoyennes successives sur la réforme des IFI ont pointé l’opacité de leur fonctionnement et leurs processus de décision inféodés aux Etats les plus riches. Plusieurs organisations de par le monde estiment d’ailleurs que “50 ans, ça suffit” et qu’il vaudrait mieux en rester là. Le CRID et ses alliés, pour leur part, considèrent qu’aucune institution n’atteindra la perfection. C’est donc par une vigilance active que les citoyens pourront contraindre ces institutions à s’ouvrir et à se démocratiser. Cette publication permettra aux acteurs de la solidarité internationale de mieux comprendre le contexte des actions menées, d’en mesurer l’efficacité et de percevoir le chemin qu’il reste à parcourir. L E S C A H I E R S D E L A S O L I D A R I T É CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 2 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ LE SYSTEME BRETTON WOODS, TEL QU’EN LUI-MEME Bretton Woods, juillet 1944 Examinons de plus près cette journée de l’été 1944 qui a vu naître les institutions avec lesquelles nous nous débattons aujourd’hui. Mille personnes, délégués de 44 pays, se retrouvent dans cette petite localité du New Hampshire qui ignorait alors qu’elle allait devenir célèbre. Harry D. White, responsable de la délégation américaine, arrive avec son plan tout bien ficelé : on crée le Fonds monétaire international (FMI) pour la stabilité monétaire, on crée la Banque mondiale pour la reconstruction et le développement, et on donne aux pays la possibilité d’émettre de la monnaie en fonction de leur stock d’or et de leur réserve en billets verts. Parité fixe, donc, entre l’or et le dollar, qui devient une monnaie internationale. Il y avait ce jour-là une autre vedette, John M. Keynes, l’économiste de Cambridge au faîte de sa gloire après la publication en 1936 de “Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie”. Lui aussi a un plan en poche. Il veut créer une monnaie internationale, le “bancor”, convertible dans les différentes monnaies nationales. Pour les pays débiteurs, sont prévus des prêts en bancors ainsi que des mesures de bonne conduite. Pour les pays excédentaires, on prévoit une taxe qui permet de financer une aide pour les pays en difficulté. Génie visionnaire, Keynes trouvait logique de mettre en place des mesures de stabilisation pour les pays “trop faibles” comme pour les pays “trop forts”... On connaît la fin de l’histoire. La conférence s’est bornée à discuter des modalités du plan White et tout le monde savait que c’était la seule solution pour avoir accès aux crédits américains. La guerre n’était pas finie, ce n’était pas le jeune Pierre MendèsFrance qui allait apporter la contradiction. Il était alors commissaire aux finances du gouvernement 2/3 provisoire d’Alger, nommé en 1943 par Charles de Gaulle. Le plan White partait du traumatisme que le monde était en train de subir. L’hyper-inflation avait mené Hitler au pouvoir en Allemagne, il fallait donc une stabilité monétaire. D’où le FMI. Le libre échange était vu comme une façon pragmatique d’éviter la guerre en obligeant toutes les nations à se parler et se connaître. Même si cette mesure mettait à mal les zones franc et sterling qui offraient un privilège aux anciennes puissances coloniales, elle répondait aux besoins du moment. D’où la Banque mondiale et d’où l’Organisation des Nations unies (ONU), quelques mois plus tard. Le plan White a pris fin lorsque le président américain Richard Nixon a décidé, le 15 août 1971, la fin de la convertibilité du dollar en or. Adieu l’espoir d’un accord mondial, bonjour les changes flottants et les accords régionaux. L’Euro allait pouvoir exister 40 ans plus tard. Et le FMI et la Banque mondiale s’autonomisaient de fait dans leurs choix politico-économiques. Au fil des ans, la légitimité historique a disparu et ces institutions se sont plus ou moins adaptées au changement des défis internationaux, à la mondialisation, et aux inégalités. Qui sait ce que serait aujourd’hui le monde si Keynes avait réussi à imposer son “bancor”, avec des prêts pour les “trop pauvres” et des taxes pour les “trop riches” ? La Banque mondiale, pour le meilleur et pour le pire La Banque internationale pour la reconstruction et le développement, BIRD Les activités de la BIRD ont débuté en 1946 avec des financements de projets d’infrastructures, puis de CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 3 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ projets d’équipements dans les pays en développement, lesquels sont actuellement les principaux bénéficiaires de son aide. Au fil du temps, la BIRD s’est vue adjoindre quatre structures complémentaires avec lesquelles elle forme aujourd’hui le groupe Banque mondiale : ■ la Société financière internationale (SFI), née en 1956 pour stimuler la croissance du secteur privé dans les pays en développement, ■ l’Association internationale de développement (AID) créée en 1960 afin d’octroyer des crédits aux pays ne pouvant accéder aux prêts de la BIRD, ■ le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) fondé en 1966, ■ l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) établie en 1988 afin de promouvoir l’investissement direct à l’étranger. Fonctionnant comme une banque classique, la BIRD ne sélectionne que des projets suffisamment rentables. Elle n’accorde des prêts qu’à des pays à revenu intermédiaire, le taux d’intérêt fixé étant trop élevé pour des Etats à faible revenu. La BIRD compte actuellement 183 Etats membres, qui doivent tous appartenir au Fonds monétaire international. Elle est dirigée par un Conseil des gouverneurs et des administrateurs. Le Conseil des gouverneurs est théoriquement l’instance souveraine. Il se réunit une fois par an en Assemblée générale. Chaque Etat membre est représenté par un gouverneur (souvent le ministre des Finances ou le directeur de la Banque centrale du pays membre) avec un suppléant. Le partage du pouvoir au sein de la BIRD se fait en fonction de la richesse de chacun et non de façon égalitaire entre les Etats : chaque gouverneur dispose en effet de 250 voix, auxquelles s’ajoute 1 voix par tranche de capital détenu, celui-ci étant proportionnel au niveau économique du pays. L’instance opérationnelle de la BIRD est le Conseil d’administration, dont les 24 participants siègent en permanence à Washington. Ils s’occupent de la gestion quotidienne de la Banque, approuvent les prêts et politiques, contrôlent les opérations et les performances du portefeuille d’actions ainsi que les stratégies d’assistance-pays. Les administrateurs désignent également un président, qui est nommé pour cinq ans. Celui-ci est traditionnellement américain. Depuis juin 1995, le poste est occupé par James Wolfensohn, dont c’est le deuxième mandat. La distribution des sièges se fait de la manière suivante : cinq pays, ceux dont la quote-part est la plus importante, disposent d’un siège permanent. Les Etats-Unis en détiennent 17,2 %, le Japon 6,1 %, la France, l’Allemagne et le Royaume Uni chacun un peu plus de 4,5 % (un total de près de 28 % pour l’Union européenne). Trois autres sièges sont dévolus à l’Arabie Saoudite, à la Chine et à la Russie. Les 16 sièges restants sont occupés par des administrateurs élus, pour deux ans, par les 175 autres pays répartis en 16 groupes (il peut y avoir de 4 à 24 pays par groupe). Les 52 pays africains représentent moins de 13 %, de même que les 33 pays d’Amérique latine. L’Asie, hormis le Japon et la Chine, totalise un peu plus de 5 % des droits de vote. L’Association internationale de développement (AID) Officiellement, l’AID est une structure juridiquement et financièrement indépendante de la BIRD. Force est de constater toutefois qu’il existe une très étroite imbrication entre les deux institutions. L’AID est conçue de manière à pouvoir être administrée par la BIRD. Elles ont le même président (James Wolfensohn), partagent le même personnel et réunissent globalement les mêmes pays : 160 pays appartenant à la BIRD ont, à ce jour, adhéré à l’AID. En tant qu’association, l’AID a pour vocation de financer des programmes de lutte contre la pauvreté en octroyant des crédits à long terme (35 à 40 ans), à un taux d’intérêt très faible, dont les remboursements peuvent être effectués en monnaie locale. Cela concerne principalement des pays dont le revenu ne dépassait pas 925 $ par an et par habitant en 1996, pour les Etats bénéficiaires de prêts en 1998 (environ 80 Etats au total). Certains pays reçoivent des prêts de la BIRD et de l’AID. Si cette dernière accorde des crédits à des conditions moins rigoureuses que celles de la BIRD, les projets doivent néanmoins être économiquement viables. CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 4 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ L’évolution de la Banque La Banque mondiale est aujourd’hui très contestée en tant qu’institution tentaculaire qui enserre l’économie des pays pauvres et en tant que suppôt du capitalisme mondial au service des pays riches. Pourtant, elle prétend lutter contre la pauvreté et encourager la bonne gouvernance. Qu’en est-il réellement ? Dans le tiers monde, dès sa fondation, elle a été appelée à soutenir et financer de grands projets d’infrastructures (routes, barrages, centrales...), considérés comme le soubassement du développement économique (les deux tiers des prêts en 1965). Au cours de sa longue présidence (entre 1968 et 1981) Robert Mc Namara orienta la Banque vers “les besoins essentiels”. Cette nouvelle orientation en faveur de l’éducation, l’aménagement urbain, les projets agricoles et les choix industriels conduisit la Banque mondiale à s’intéresser de plus en plus aux politiques économiques et commerciales, aux taux de change... et donc à poser des conditions, qui prirent la forme des fameux “programmes d’ajustement structurel” (PAS), avec une liste drastique de critères à respecter. Au cours des quarante dernières années, le volume des prêts de la Banque mondiale a été multiplié par dix. Ces opportunités financières sont essentielles pour les pays les plus pauvres, et tout le jeu a consisté à jouer au chat et à la souris. Sur 37 pays africains impliqués dans des PAS au cours des deux dernières décennies, les trois quarts n’ont pas ou peu respecté les conditions imposées. Bien que le couperet soit toujours menaçant (l’arrêt des prêts), la Banque mondiale n’a pas les moyens d’agir en dictateur avec les débiteurs, et les grands pays “incontournables” comme la Russie ou la Chine ne sont pas les seuls à ruser. La Banque mondiale a énormément évolué, passant des infrastructures (ressemblant fortement à l’épine dorsale d’une économie planifiée) à la satisfaction des besoins essentiels, aux plans d’ajustement structurel “à visage humain”, à la lutte contre la pauvreté et contre la corruption (ce qui ne semblait pas la gêner quelques décennies auparavant), tandis qu’aujourd’hui, on érige en dogme la “bonne gouvernance” et le développement durable. 4/5 Au-delà des idéologies, la Banque mondiale a suivi l’évolution des idées en se fondant dans le discours du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur la pauvreté, en essayant d’intégrer les demandes des ONG, en épousant les concepts de développement durable et de préservation de l’environnement mis en avant par l’ONU. Evidemment, les discours ont changé plus rapidement que les actes, et la Banque doit reconnaître ses erreurs, en particulier écologiques. Elle a par exemple soutenu, que ce soit au Brésil, en Indonésie ou en Côte d’Ivoire, des projets de déforestation, de vastes étendues d’agriculture extensive ou des barrages inadaptés, toutes formes de projets productifs qui “oubliaient” la population et l’environnement. Depuis, la Banque a fait de réels mea culpa mais elle doit faire face à des conservateurs américains qui regrettent la grande époque des infrastructures et trouvent que la Banque se disperse trop. Si les incohérences économiques sont nombreuses (difficulté d’infléchir un trop gros projet, consultation des populations inexistante ou inachevée, absence de stratégie de la part des autorités...), les incohérences politiques ne manquent pas : la Banque mondiale aide parfois des gouvernements qui violent allègrement les droits de l’Homme ou qui détournent ouvertement les fonds ou les ressources issues des projets (pétrole, pierres précieuses). La Banque mondiale semble perméable aux flux et reflux des réflexions sur le développement et aux contradictions des acteurs avec lesquels elle est en relation, des gouvernants bénéficiaires aux ONG en passant par les experts et les représentants des pays contributeurs. En ce sens, elle est en voie de démocratisation. Elle a notamment su s’adapter en “ humanisant” son action, c’est à dire en embauchant des spécialistes des sciences humaines : 180 sociologues, anthropologues et autres géographes travaillent actuellement parmi les 7 000 professionnels de la Banque, alors qu’ils n’étaient que 4 en 1990. En outre, la moitié de ses projets associent désormais des ONG, à des degrès divers et dans la mesure où elles ne remettent pas en cause le dogme libéral. Un réel effort a été entrepris depuis l’accession à la présidence de la Banque de James Wolfensohn, en 1995. CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 5 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Paroles de présidents (président de la Banque mondiale depuis 1995) “C’est un peu démoralisant de voir les gens se mobiliser contre nous pour plus de justice sociale alors que c’est exactement ce que nous faisons chaque jour. Il n’y a aucun thème dont je ne sois prêt à discuter. Je regrette seulement que ce débat soit bloqué par des tentatives de nous empêcher de nous réunir. La mondialisation représente le seul moyen de faire accéder la population mondiale au même niveau que celui des pays industrialisés. Ce que nous essayons de faire est d’aider les gens dans les pays pauvres à obtenir les mêmes chances que les gens des pays riches. Les habitants des pays riches y sont parvenus en ouvrant leurs frontières. Si l’on regarde les treize dernières années, nous avons probablement sorti de la misère absolue entre 300 et 400 millions de personnes. Mais le nombre de pauvres est resté à peu près le même en raison de la croissance démographique. Nous n’avons pas la direction de l’économie mondiale. Nous traitons les problèmes sociaux et de pauvreté par pays et par région. En Corée et en Thaïlande, nous avons mis sur pied des programmes pour l’enfance, les femmes, les chômeurs, pour diminuer les effets des crises sur les individus. Avec mon collègue du Fonds monétaire international, Horst Köhler, nous travaillons pour favoriser l’ouverture du commerce entre les pays en développement et les pays développés.” James Wolfensohn, (président de la Banque mondiale de 1968 à 1981) Ancien secrétaire d’Etat à la défense des présidents Kennedy et Johnson, il fait aujourd’hui partie, à 85 ans, de la Coalition mondiale pour l’Afrique, un forum qui milite pour une aide accrue en faveur de ce continent.) “Il est très difficile de mettre en place des politiques efficaces de lutte contre la pauvreté. Pour une raison que l’on oublie souvent : pour donner aux pauvres, il faut prélever une partie de la richesse d’un pays pour la redistribuer et cette idée est dans la plupart des cas rejetée par le reste de la population qui se sent pénalisée. La pensée économique, Robert McNamara, en tout cas aux Etats-Unis, reste dominée par l’idée que des politiques de redistribution importante nuisent à la croissance et qu’au bout du compte cette option pénalise le pays tout entier. Pour ma part, je n’en suis absolument pas convaincu, je pense que l’on peut consacrer des sommes importantes pour la pauvreté sans pénaliser la croissance. Au contraire, en investissant sur les pauvres, en leur donnant les moyens de se former ou de profiter du progrès technique, on enrichit à terme le pays. La mission de la Banque mondiale ne consiste pas seulement à faire du développement économique, elle doit aussi se préoccuper de développement humain. Ce sont les personnes à la limite de la subsistance, qui n’ont accès ni à l’éducation ni à la santé et dont les besoins alimentaires sont à peine assurés, qu’il faut aider en priorité. James Wolfensohn a repris avec passion ce combat de la lutte contre la pauvreté, il faut s’en réjouir, même si je redoute qu’il se heurte comme moi à la faiblesse des leaders politiques. Pour imposer la lutte contre la pauvreté comme une priorité nationale, il faut beaucoup de courage politique. Je ne jette pas la pierre aux pays en développement. Chez nous aux Etats Unis, nous sommes le pays le plus riche du monde et nous avons 40 millions de pauvres. Aucun homme politique n’a été jusqu’à présent capable de prendre des mesures pour résoudre cette situation. Beaucoup de gouvernements n’ont pas voulu prendre les mesures nécessaires. En 1968, par exemple, la plupart des pays d’Afrique et la Corée se trouvaient dans la même situation en terme de développement. Aujourd’hui, la Corée fait partie des pays industrialisés et les conditions de vie de l’ensemble de la population ont progressé. La Chine aussi s’est engagée depuis plusieurs années sur le chemin de la lutte contre la pauvreté par des mesures concrètes. Peu de leaders africains ont cette préoccupation aujourd’hui. Ceci dit, il est impératif de soulager les plus pauvres du fardeau de la dette et l’attitude des Etats Unis est pour moi honteuse. Le pays le plus riche du monde est celui qui fait le moins d’effort ! Mais je le répète, l’insuffisance de l’aide publique n’est pas la principale cause des échecs observés”. (Citations extraites de l’interview de John Wolfensohn par Babette Stern, Le Monde, 26 avril 2001, de l’article du 15 avril 2000, “Le rôle et l’efficacité du FMI et de la Banque mondiale contestés” et de l’interview de R. McNamara par Laurence Caramel dans le Monde du 19 septembre 2000) CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 6 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Le FMI, pour le moins bon et pour le pire Tout comme pour la BIRD, l’évolution de la conjoncture internationale a conduit le FMI à redéfinir son rôle. En effet, avec les crises pétrolières et la fin de la parité fixe entre le dollar et l’or - qui a signé l’effondrement du système mis en place après la guerre - la mission initiale qui lui avait été assignée a pris fin. Les banques commerciales étant devenues méfiantes vis-à-vis des pays en développement en raison de la crise de la dette, le FMI assure désormais la fonction de prêteur en dernier ressort. Il a pour vocation de renflouer les économies en difficulté, afin de rétablir la confiance de la sphère privée. Les prêts se font sous certaines conditions et sont assujettis à la mise en place de programmes d’ajustement structurel (PAS), qui imposent la libéralisation de l’économie. Le Fonds monétaire international - qui compte 183 Etats membres - s’organise pratiquement selon le même schéma que la Banque mondiale, avec la même répartition des sièges. Le Conseil d’administration est présidé par un Directeur général (sans droit de vote, sauf en cas de partage), élu pour cinq ans. Celui-ci est traditionnellement européen. Chef du personnel du FMI, il est investi d’un rôle diplomatique essentiel, organise la mise en œuvre des décisions et oriente la politique de l’institution. Horst Köhler a succédé en juin 2000 à Michel Camdessus qui occupa ce poste pendant 13 ans. Le Fonds monétaire International est à la base une grande tontine mondiale ouverte à tous ses membres, sachant que les cotisations sont évidemment inégales. De son pouvoir financier qui paraît technique, le FMI tire une grande influence politique. Que le FMI ait refusé de porter à bout de bras la déroute argentine récurrente serait plutôt bon signe, car l’argent du FMI ne doit pas servir à masquer les inepties gouvernementales et la fraude fiscale. Toutefois, force est de constater que la rigueur qu’il applique aux Etats présente deux poids, 6/7 deux mesures. La Russie est bénéficiaire de dizaines de milliards de prêts et connaît aussi un taux record de fuite des capitaux et de détournements de fonds. La mansuétude actuelle à l’égard du Pakistan est, elle aussi, éminemment conjoncturelle. Fin septembre 2001, le Pakistan a reçu un crédit de 135 millions de dollars . Ne serait-ce pas en remerciement de s’être placé du “bon côté” ? On voit bien souvent des prêts accordés ou refusés avant les élections, comme ce fut le cas en 1998 au Brésil pour favoriser l’élection du président Cardoso. Reconnaître que le FMI, à l’instar de la Banque mondiale, est une institution politique, rend caduque la légitimité de la répartition du pouvoir, purement financière. Les Etats doivent être mieux représentés et donc mieux impliqués et responsabilisés dans les actions de l’institution. En impliquant davantage les Etats, on renforcera la légitimité politique des institutions financières. Le FMI emploie 2 300 personnes. Excessivement centralisée, cette institution est par nature éloignée de la réalité des pays qui seront pourtant les premiers concernés par les décisions prises. Cela explique les erreurs grossières de certaines mesures d’accompagnement d’où découle la perte de crédibilité de l’institution, et la dégradation constante de la qualité des relations que le FMI entretient avec les pays bénéficiaires. On remarque en effet que la provenance des salariés recoupe grossièrement les quotes-parts, c’est à dire que les deux tiers d’entre eux viennent des pays industrialisés. Le manque de transparence de la comptabilité du FMI ne permet pas aux Etats membres de disposer d’une vision claire de la situation financière de l’institution. Le FMI est par exemple la seule organisation internationale dont les écritures comptables ne contiennent aucune information sur l’ampleur de ses actifs ni de ses passifs. Le FMI a franchi de grandes évolutions de langage jusqu’à sa notion fétiche du jour qu’est la “bonne gouvernance”. Ce terme fait référence à divers aspects de la vie publique dans une société CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 7 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ démocratique : respect de l’Etat de droit, gestion efficace et équitable des dépenses publiques (bonne administration), responsabilité des dirigeants politiques et transparence. Lancée au départ pour respecter chaque régime au pouvoir tout en exigeant une base minimale d’honnêteté (en particulier la lutte contre la corruption), les pays en développement refusent pour la plupart ce nouveau concept aux contours imprécis, soupçonné de masquer une vision unique du développement. Non dénué d’ambiguïté, ce terme a l’avantage de sortir le FMI du carcan économiciste derrière lequel il s’est longtemps protégé, pour le plonger si peu que ce soit dans l’altérité politique et culturelle. Les diverses crises financières qui se sont succédées en Asie, en Russie et en Argentine ont rendu le FMI plus modeste quant à son rôle (il n’est pas omnipotent) et plus humble quant à sa capacité à prévenir ces crises. Il peut ne pas en être responsable, mais on lui reprochera de ne pas avoir vu venir ces raz-de-marée car il est de son devoir originel de stabiliser les monnaies. Le FMI s’est donc attaché à renforcer ses instruments de détection, de prévention et de résolution des crises au sein d’un nouveau département, opérationnel depuis le 1er août 2001. Il s’est doté de nouvelles facilités, dont une ligne de crédit préventive pour décourager les attaques spéculatives. Mais peu d’Etats ont jusqu’alors utilisé ce mécanisme considéré comme signalant trop explicitement aux marchés les risques supportés par le pays. Le FMI appelle à la rescousse le secteur privé afin de lui faire jouer un rôle constructif dans le processus de résolution des crises. Il faut dire que les banques et les investisseurs financiers ont pris ces dernières années des risques inconsidérés, en comptant sur les pouvoirs publics pour venir les sauver en cas de problème. C’est d’ailleurs l’une des causes des crises financières internationales. Et c’est ce qui a conduit le FMI à obliger les banques privées à participer au plan de sauvetage de l’Argentine à hauteur de 1,5 milliard d’euros. Les brigands ne sont pas toujours ceux que l’on croit… Des fonds monétaires régionaux ? Malgré ces évolutions, le FMI n’entend pas lâcher prise quant à sa position hégémonique sur la gestion et la prévention des crises financières. C’est ce que nous montre l’expérience asiatique sur le projet de construction d’une structure régionale et autonome de gestion des crises. L’idée est née suite à la crise financière asiatique de 1997 et 1998. Devant la gestion catastrophique du FMI, les pays asiatiques ont essayé de mettre en place des instances régionales capables de gérer les crises financières sans avoir recours à la communauté internationale. En 1997, le Japon a envisagé alors de créer un “Fonds monétaire asiatique”. Il n’a pas pu voir le jour, sous la pression conjuguée du FMI et des Etats-Unis qui voyaient là un crime de lèse-majesté. Au début de l’année 2001, sous des abords plus modestes, l’initiative a été remise au goût du jour par treize pays asiatiques qui envisagent de faciliter les échanges de devises en cas de difficultés de paiements d’un des membres. Le FMI ne souffre pas la concurrence. Il s’est hâté de rappeler qu’il était le seul à pouvoir définir les conditions de sortie de crises. Sans s’opposer ouvertement à l’initiative, le FMI exige désormais que le processus d’ensemble soit soumis à ses exigences. Bien que diplomatique, le bras de fer n’est pas terminé, les pays asiatiques ayant de plus en plus de moyens pour résister à l’influence des institutions financières internationales et de leurs bailleurs principaux. CAHIER N°9 28/03/03 12:26 Page 8 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ LES PRINCIPALES CARENCES DU SYSTEME L’emprise des pays riches Comme le nombre de voix détenu au sein des Conseils d’administration de la Banque mondiale et du FMI est fonction des parts de capital et donc du niveau économique de chaque Etat, les riches décident et imposent aux pauvres les politiques à suivre. Le FMI régente les politiques des pays les plus pauvres mais ne s’immisce pas dans celles des plus riches. Les Etats-Unis, par exemple, sont le pays le plus endetté du monde, ce qui concourt à déstabiliser le système monétaire et financier international. Mais jamais le FMI ne s’est enhardi à exprimer la moindre suggestion de politique financière aux USA ! Les Etats-Unis sont du reste en mesure de s’opposer à tout projet. Bien que la majorité des décisions soient prises sur le mode du consensus, la minorité de blocage est de 15 % en cas de vote pour les décisions importantes. Or, les Etats Unis détiennent plus de 17 % des voix, ce qui leur permet, de fait, de disposer d’un droit de veto. Il faut dire que si l’Europe parlait d’une seule voix, elle disposerait d’une réelle influence car les pays de l’Union Européenne totalisent 28 % des voix. Des moyens de contrôle insuffisants L’attitude de la Banque mondiale se distingue de celle adoptée par le FMI car leurs conditions de travail sont bien différentes. Du fait que le FMI octroie des prêts aux gouvernements, l’institution n’est pas en contact direct avec la société civile. Les actions de la Banque, elles, concernent des projets concrets qui intéressent directement la population. La Banque mondiale s’avère donc plus sensible aux critiques exprimées par les citoyens. Toutefois, les institutions financières internationales restent opaques et aucun contrôle formel ne peut être réellement exercé par la population. Si les citoyens 8/9 nord-américains peuvent connaître la position de leur administrateur, il en va différemment pour la grande majorité des habitants des autres pays. Un administrateur représente souvent plusieurs Etats : le Mexicain, par exemple, représente un groupe de neuf pays - Costa Rica, Salvador, Espagne, Guatemala, Honduras, Mexique, Nicaragua, Venezuela. Sa position est-elle le résultat d’un consensus entre tous les pays du groupe ? Une décision prise à la majorité ? Est-ce le pays qui dispose du plus grand nombre de voix qui a imposé son choix ? Il n’existe pas de règle définie en la matière et donc pas de réponse claire. Qui plus est, bon nombre d’administrateurs se refusent à divulguer des informations, avec l’accord tacite des institutions, sous le prétexte d’une confidentialité des relations avec les pays emprunteurs. En réalité, on devine aisément qu’ils préfèrent conserver le secret sur les politiques économiques qui vont être appliquées dans leur pays. La communication de la Banque mondiale est constituée de nombreuses revues sur ses actions (Banque mondiale Actualités, OED Précis...) ou l’état d’avancement de ses recherches (World Bank Economic Review...) et elle organise des réunions avec des représentants de la société civile, au cours desquelles elle présente les documents importants (Rapport sur le développement dans le monde, Financement global du développement...). Un certain nombre d’informations sur la Banque demeurent toutefois inaccessibles, notamment celles qui se rapportent à l’orientation de sa politique, à l’affectation des prêts et à la mise en place des différentes évaluations (concernant les projets, les politiques mais aussi les départements de l’institution). Il est aussi difficile de se procurer les rapports des missions de supervision, de suivi, de conclusion et d’audit de performance, ainsi que les données se rapportant aux stratégies et études d’assistance-pays, qui établissent les orientations économiques d’un Etat. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 9 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ L’exemple caricatural du mauvais projet : l’oléoduc Tchad - Cameroun Un consortium international composé d’Elf Exxon et Shell s’est lancé en 1992 dans un gigantesque projet pétrolier au Tchad et au Cameroun. Il s’agissait d’exploiter le pétrole tchadien de la région de Doba, dans sud du pays, par la construction de 300 puits et d’un oléoduc de plus de 1 000 kilomètres de long traversant le Cameroun jusqu’au port de Kribi, sur l’Océan Atlantique. Ces entreprises ont fait appel à des financements publics dont ceux de l’Association internationale de développement, l’AID, filiale de la Banque mondiale chargée des programmes de lutte contre la pauvreté. Et la Banque mondiale n’a pas dit non ! Quid de la déforestation et des déplacements de populations consécutifs à la mise en œuvre de ce vaste oléoduc ? Quid de la redistribution des revenus pétroliers dans des kleptocraties aussi renommées ? Les dirigeants ayant souvent beaucoup de mal à faire la distinction entre biens publics et biens privés ont du être mis sous tutelle. Au Tchad, la direction du Trésor a été contrôlée pendant plusieurs années par une société suisse, la Cotechna, à la demande des bailleurs de fonds. Au Cameroun, pendant plus de vingt ans, les revenus du pétrole n’étaient pas comptabilisés dans le budget public ! Les levées de bouclier des ONG au niveau international dès 1997 (en France, avec la campagne “Banque mondiale, pompe A’frique des compagnies pétrolières”) ont eu un large écho, tant le projet était déconnecté des réels besoins de la population (le Tchad est l’un des pays les plus pauvres du monde avec un revenu annuel par habitant de moins de 200 dollars...). Après trois ans d’âpres bagarres entre les gouvernements pressés de toucher la manne pétrolière et les ONG soucieuses d’avoir toujours plus de garanties sur la répartition des revenus au profit des populations, Elf et Shell ont annoncé qu’elles se retiraient du consortium. Trop compliqué. De plus, le pétrole n’est pas de première qualité et les réserves sont moyennes. Alors si en plus il faut contrôler en aval les revenus... L’Américain Chevron et le Malaisien Petronas ont pris le relais. Ce dernier est fortement implanté au sud Soudan avec la bénédiction du régime de Khartoum, mais cela ne semble pas choquer les responsables de la Banque mondiale. Le temps a permis de prendre certaines précautions écologiques (l’oléoduc suivra la route pour éviter la déforestation) et il contournera les villages afin que les déménagements forcés soient réduits (seulement 160 familles dans la zone d’extraction disent les 19 volumes de rapports). En juin 2000, la Banque mondiale a donné son accord pour un financement de 293 millions de dollars sur les 3,7 milliards du coût total du projet, avec un drastique cahier des charges environnementales et sociales. La Banque mondiale a aujourd’hui bien du mal à faire respecter les “garanties” annoncées. Quelques semaines après la décision du Conseil d’administration, Idriss Déby confirmait sa détermination à détourner la rente pétrolière pour renforcer son régime militaire en achetant pour 4 millions de dollars d’armes avec l’argent versé par le consortium. L’armée terrorise la population dans la région de Mondou. Les violations du droit du travail sur les chantiers des sous-traitants ont donné lieu à des grèves au Cameroun et les opportunités d’emploi sont bien moindres que ce qui était annoncé. Enfin, les pygmées sont exclus des mécanismes d’indemnisation car ces nomades n’ont pas de titres fonciers ni de cartes d’identités. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 10 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Le problème du contrôle se pose aussi en termes plus proprement politiques. En principe l’ONU adresse des directives aux organisations qui lui sont rattachées. Mais le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont considérés comme des institutions à part : elles ne reçoivent que des recommandations, lesquelles sont rédigées après consultation des intéressés. Il n’existe donc, de ce point de vue, aucune surveillance véritable. Ceci étant, il faut reconnaître que la Banque mondiale s’efforce, depuis plusieurs années, de clarifier sa politique. En 1974, elle a créé un Département d’évaluation des opérations, qui examine les performances des projets et des stratégies. En 1993, la Banque mondiale a mis en place un Panel d’inspection destiné à améliorer la transparence et la fiabilité de ses opérations. Ce Panel permet à la société civile de se défendre contre les projets qu’elle considère comme néfastes pour la population et l’environnement. Depuis le début de ses activités, en septembre 1994, 22 requêtes ont été déposées. Elles portent sur l’évaluation environnementale, la réduction de la pauvreté, le déplacement involontaire et la réinstallation des populations, les mécanismes de consultation des populations... Ces initiatives constituent une avancée, mais demeurent insuffisantes. En effet, les organismes d’évaluation restent rattachés à l’institution, ce qui restreint leur indépendance. De plus, si la Banque mondiale reprend de plus en plus le discours des ONG dans ses directives, la mise en application laisse à désirer. De son côté le FMI s’est lui aussi doté d’une unité d’évaluation. Elle est opérationnelle depuis avril 2001, et se cantonne aux évaluations ex post, c’est à dire une fois le projet entièrement terminé. De nombreuses voix s’élèvent d’ores et déjà pour dénoncer le manque d’indépendance de l’unité d’évaluation vis à vis du FMI et plaident pour la mise en place d’une structure d’évaluation externe et indépendante, qui inclurait dans son champ de compétences les aspects sociaux et environnementaux des politiques du FMI et devrait être assortie d’un mécanisme de recours permettant aux populations affectées par les programmes du FMI de défendre leurs droits. 10 / 11 Des objectifs non respectés Initialement, la mission de la Banque mondiale était de fournir aux Etats membres une aide à la reconstruction dans le contexte de l’après-guerre. Aujourd’hui, elle s’est fixé comme objectifs la réduction de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie dans les pays en développement. Le titre du Rapport sur le développement dans le monde 2001 de la Banque mondiale, “Combattre la pauvreté”, illustre bien cette orientation. Plus précisément, les prêts de la BIRD et de l’AID doivent financer des projets et des programmes qui “stimuleront le progrès économique et social de sorte que les populations vivent mieux” (Rapport de la Banque mondiale 1998). Pourtant, la Banque mondiale applique une politique de libéralisation qui s’accompagne de coupes sévères dans les programmes sociaux et environnementaux. Du coup, celle-ci se retrouve obligée de mettre en place des “filets de protection sociale” afin de protéger les populations vulnérables. Le rôle de la Banque mondiale est pour le moins paradoxal : à la fois institution de lutte contre la pauvreté et banque, elle doit justifier les investissements en éducation, santé, environnement indispensables pour lutter de manière durable contre la misère - selon des critères économiques et financiers. Et comme elle est “bien gérée”, depuis 1948, elle réalise chaque année des bénéfices... Le FMI, chargé de veiller à l’amélioration de l’environnement économique mondial, préconise quant à lui des mesures qui entraînent une diminution du pouvoir d’achat des habitants des pays concernés. Ces mesures sont si brutales qu’elles provoquent parfois des émeutes populaires. Cela s’est produit dernièrement en Indonésie et en Corée du Sud, mais aussi auparavant au Venezuela, en Zambie... Quant à son action en matière de stabilité du système monétaire mondial, les crises survenues successivement en Asie, en Russie ou au Mexique ont témoigné assez clairement du peu de fiabilité de ses prévisions et de l’inefficacité de ses interventions. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 11 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Une influence croissante dans l’économie du développement Quel que soit le pays, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale appliquent les mêmes recettes économiques. Il n’existe pas de réel débat qui permette d’envisager des modèles alternatifs de développement. Certes, de temps à autre, au cas par cas, la société civile obtient parfois satisfaction sur des projets précis. Mais le modèle global de développement n’est jamais véritablement remis en question. Et pour cause, les institutions financières internationales dominent le monde de la recherche en économie du développement. Ainsi, est-il besoin de le rappeler, le Rapport sur le développement dans le monde, publié chaque année par la Banque mondiale, est l’un des documents les plus lus dans ce domaine (200 000 exemplaires diffusés). Le manque de publications alternatives de cette ampleur contribue du reste à conférer aux rapports de la Banque une autorité difficilement contestable. Au niveau du recrutement du personnel des deux institutions, il n’existe pas non plus d’ouverture vers d’autres modèles de développement. En effet, si le FMI et la Banque mondiale appliquent des quotas de recrutement par pays, cette représentativité n’est pas la garantie d’une pluralité intellectuelle car le personnel, quelle que soit sa nationalité, sort des mêmes universités : Harvard, Oxford, London School of Economics, MIT (Massachusetts Institute of Technology)... Sa conception du développement et de l’économie est donc très homogène. La Banque mondiale et le FMI sont également très puissants en raison de l’attraction qu’ils exercent sur les étudiants et les chercheurs, notamment ceux des pays du Sud. Parmi les personnes qui quittent ensuite ces institutions pour retourner dans leur pays, nombre d’entre elles se retrouvent à des postes importants (Banque centrale, ministères) en charge du financement du développement. Ce qui facilite les négociations... Enfin, la sphère d’influence de la Banque mondiale s’est également élargie aux principales agences de développement, en particulier au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et au Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Ce dernier organisme repose sur une association entre la Banque mondiale, le PNUD et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il a été créé en 1991 pour renforcer les investissements en faveur de la protection de l’environnement et devrait être indépendant de toute autre institution. Dans la réalité, son secrétariat est assuré par la Banque mondiale, qui agit comme administratrice du Fonds. Gérant plus de 60 % des projets du FEM, elle influe naturellement sur ses pratiques. Plus récemment, la Banque mondiale a étendu sa sphère d’influence par le biais de la mise en place de nombreux programmes de lutte contre le sida. Elle se positionne pour jouer un rôle central dans le futur Fonds multilatéral pour la santé destiné à lutter contre le sida, la malaria et la tuberculose. Pourtant, des agences des Nations unies, telles que l’OMS (Organisation mondiale pour la Santé) ou l’ONUSIDA, sont, par nature, à même de remplir cette mission. La Banque mondiale est donc bien dans une stratégie d’extension de son domaine de compétence au détriment d’autres institutions susceptibles de promouvoir un autre modèle de développement. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 12 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ LES ACTIONS DES ONG POUR PLUS DE TRANSPARENCE ET DE DEMOCRATIE Nous venons de le voir, les griefs à l’encontre de la Banque mondiale et du FMI sont multiples. Ils découlent du mode de répartition du pouvoir, du non-respect des objectifs et d’un contrôle insuffisant accentué par un difficile accès à l’information. En outre, la mission qui a été assignée à ces institutions n’est pas toujours respectée alors même qu’elles s’imposent comme référence en matière d’économie du développement. Tous ces défauts de fonctionnement reposent sur un mauvais pli originel commun : l’absence de démocratie, et donc de transparence. Pour les ONG, il s’agit de limiter les compétences de ces institutions à leur mission initiale et de leur refuser la tutelle exercée sur les pays pauvres par le bloc majoritaire des actionnaires de l’économie mondiale qui dirigent aujourd’hui ces institutions. FMI et Banque mondiale doivent être intégrées au système des Nations Unies qui présente le double avantage, au niveau de ses principes, de ne pas reposer sur des suffrages censitaires (ce n’est pas un dollar = une voix, mais un Etat = une voix) et d’avoir la Déclaration universelle des droits de l’Homme en préambule de sa charte. L’évaluation de ces institutions et de leurs politiques devrait être confiée à l’une des instances des Nations Unies. Cinq campagnes internationales vont dans ce sens, l’une contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une autre contre la spéculation financière et pour la taxe Tobin, la campagne pour l’annulation de la dette, celle pour la réforme des institutions financières internationales et la campagne sur les firmes transnationales. En France, un réseau 12 /13 d’associations, coordonné par Agir ici, l’AITEC et le CRID (cf. pp. 22-23) travaille spécifiquement sur la réforme des institutions financières internationales en lien étroit avec la plate-forme Dette et développement qui centre son action sur l’annulation de la dette. La mobilisation pour l’annulation de la dette, un modèle du genre “Pour l’an 2000, annulons la dette !” constitue le maillon français de la campagne internationale Jubilé 2000. Lancée en février 1999 par près de soixante associations de solidarité internationale, cette campagne a obtenu des résultats inattendus en quelques mois seulement, 520 000 personnes ont signé la pétition demandant l’annulation de la dette des pays pauvres très endettés. Des conférences, animations, séances de signatures publiques ont été organisées partout en France. Malgré la complexité du sujet, un important travail de sensibilisation et d’éducation au développement a été accompli, travail qui a permis d’aborder une réflexion plus large sur les mécanismes économiques et financiers entre pays du Nord et du Sud, grâce aussi au relais de la presse. Les représentants de la campagne française ont été reçus à Bercy par le ministre des Finances et le ministre délégué à la Coopération. D’autres rencontres avec leurs conseillers ont permis de suivre l’avancée des négociations au sein du G7 et du Club de Paris. Une conférence de presse a pu être organisée à Bercy, en présence des deux ministres, pour que leur soient symboliquement remises les signatures recueillies et pour dresser le bilan de la campagne française. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 13 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Les avancées du G7 de Cologne Le 19 juin 1999 à Cologne, lieu de réunion du G7, les campagnes du monde entier se sont réunies en une formidable chaîne humaine de 35 000 personnes sur plus de dix kilomètres à travers les rues. 17 millions de signatures ont été remises aux représentants du G7. Les délégués de la campagne française ont été reçus par les conseillers de MM. Jospin et Chirac. La campagne internationale a porté ses fruits. La déclaration finale du G7 appelle de ses vœux “un allégement de la dette plus rapide, plus large et plus radical”. Le G7 a annoncé des montants d’annulation bien supérieurs à ceux décidés par le passé. 70 milliards de dollars de dette annulés (dont 20 milliards au titre de l’aide publique au développement et 50 au titre des dettes multilatérales ou commerciales). Le G7 reconnaît ainsi les limites et surtout les lenteurs de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) mise en place lors du G7 de Lyon en 1996. A ce jour, sur les 42 pays concernés par cette initiative, vingt d’entre eux ont réellement bénéficié des allégements, après avoir entamé ce processus lent et complexe qui soulage les pays très endettés vis-àvis de leurs créanciers publics, Etats et organisations internationales. Ceux-ci font valoir en général qu’ils annulent 90 % de la dette extérieure d’un pays. Or si l’on applique tous les mécanismes à la Tanzanie, par exemple, on s’aperçoit que seulement 54 % de la valeur actuelle nette de la dette sera effectivement annulée. Certes, l’allègement est notable, le service de la dette ne représentant plus que 7 % du budget en 2001 contre 19 % en 2000. De plus, 3 milliards de dollars sont consacrés à des dépenses très contrôlées dans le cadre stratégique de réduction de la pauvreté. Mais il ne s’agit en aucun cas d’une annulation. Quand on demande à James Wolfensohn pourquoi la Banque ne va pas jusqu’à l’annulation, voici sa réponse (in Le Monde, 26 avril 2001) : “Nous avons annulé la dette jusqu’à 65 % des pays éligibles et diminué les remboursements de 7 % environ du Produit intérieur brut à 2 %. Maintenant, certains voudraient que nous annulions la dette de 62 pays, mais nous n’avons pas l’argent pour cela. Si l’on parle de 62 pays (42 pays pauvres et 20 pays à revenus intermédiaires), le montant, rien que pour la Banque mondiale, serait de 29 milliards de dollars, ce qui correspond au capital de la Banque. Je veux bien le faire, mais soit je mets la clef sous la porte, soit les actionnaires acceptent une augmentation de capital. En 55 ans, les actionnaires ont versé entre 10 et 11 milliards de dollars cash. Le reste vient de nos investissements.” La campagne sur la dette se poursuit désormais dans plusieurs directions complémentaires : ■ La définition d’un droit international régissant la dette sur le modèle de la législation nationale de protection des ménages surendettés, en limitant notamment les remboursements en fonction des capacités d’exportation. ■ La mise en place d’une cour internationale d’arbitrage, qui interviendrait en cas de difficulté de remboursement pour juger des responsabilités des emprunteurs, des prêteurs et des fournisseurs, les ONG pouvant se porter partie civile. ■ La poursuite des efforts de lutte contre la corruption, afin de récupérer l’argent détourné à des fins personnelles et placé à l’étranger par les dirigeants des pays endettés. Selon un rapport des Nations Unies, la corruption coûte extrêmement cher, particulièrement en Afrique où l’on estime qu’au moins 30 milliards d’aide internationale ont été détournés. Selon le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), “la bonne gouvernance est le chaînon manquant entre la lutte contre la pauvreté et sa réduction effective.” ■ La réforme politique des institutions financières internationales pour qu’elles œuvrent en faveur d’un développement durable. Changer le fonctionnement Annuler la dette ne suffit pas à résoudre le problème de l’endettement dans la mesure où c’est tout un système qu’il faut réformer, à savoir le système qui a généré la dette et pourrait en générer d’autres malgré tous les processus d’allègement. Dans cette optique les Institutions financières internationales doivent être profondément réformées. Les contrats passés entre le FMI et les pays emprunteurs ne sont pas des accords internationaux. Ainsi, ils n’ont pas besoin d’être ratifiés par les CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 14 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ parlements nationaux ni discutés publiquement. Ils sont négociés par les élites nationales qui y sont généralement favorables, dans la mesure où elles en tirent bénéfice. On estime que la corruption des élites du Sud a entraîné le détournement de près de 30 % des fonds prêtés par les Institutions financières internationales au cours des vingt dernières années. La grande majorité des citoyens des pays concernés se trouve de son coté exclue des choix de société qui lui sont imposés. En décembre 1998, sous la pression de milliers de citoyens qui avaient écrit à leur député, le Parlement français a demandé au gouvernement de lui remettre chaque année un rapport présentant les positions défendues par la France au FMI et à la Banque mondiale, ainsi que l’ensemble des opérations financières entre la France et les deux institutions. En effet, les positions de l’administrateur français à la Banque et au FMI émanent directement du Trésor et sont difficiles à connaître pour les parlementaires. Une ONG américaine et une ONG coréenne mettent un pied dans la porte des IFI... Bank Information Center, une organisation indépendante américaine, travaille sur les projets de la Banque mondiale à la façon d’un audit et traque ceux qui lui semblent incompatibles avec l’environnement ou le développement social. Ainsi, ce bureau d’étude associatif refuse la construction du pipeline de 1 000 kilomètres entre le Tchad et le Cameroun qui entraînerait d’importantes déforestations et des déplacements de populations. Le prêt, destiné à financer la réforme de la propriété foncière au Brésil, semble pour cette association incapable d’assurer une redistribution équitable et transparente des ressources aux populations bénéficiaires. Ces projets ont d’ailleurs fait l’objet d’une plainte auprès du Panel d’inspection de la Banque, un département indépendant chargé d’auditer les politiques en cours. En juillet 2000, les organisations militantes ont obtenu un gros succès avec l’annulation d’un prêt à la Chine. Il s’agissait de développer l’agriculture dans l’ouest du pays, moyennant le déplacement de 58 000 Chinois vers le Tibet. Malheureusement, la Chine a décidé de se passer de ce prêt et le projet est déjà 14 / 15 en cours. Cette expérience aura montré que les ONG jouissent d’une petite marge de manœuvre dans les décisions de la Banque mais que cela ne résout pas tout. Le Taegu Round Korea Commitee, composé d’universitaires, d’associations, de syndicats et de groupes religieux, a déposé en 1999 une plainte contre le FMI, auprès de la cour de Justice de Séoul, pour les nombreuses erreurs commises lors de la gestion de la crise traversée par le pays. La plainte a été rejetée récemment car le Tribunal s’est déclaré incompétent, le FMI bénéficiant de l’immunité des organisations intergouvernementales. Dès lors, auprès de qui porter plainte ? Sans attendre la création d’un tribunal administratif international où le FMI, la Banque mondiale ou l’OMC auraient à rendre des comptes pour d’éventuelles violations des droits fondamentaux causées par les politiques qu’ils imposent, des organes nationaux compétents devraient permettre aux populations de défendre leurs droits dans tous les pays du monde. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 15 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ De plus, les budgets alloués aux IFI sont votés globalement, ce qui ne laisse aucune prise aux Parlementaires sur leur affectation. Quand on regarde les autres pays, on s’aperçoit que beaucoup ont mis en place des procédures de contrôle plus poussées. En Allemagne, des parlementaires font partie, à titre d’observateurs, de la délégation du pays lors des Assemblées générales du FMI et de la Banque. En Italie, le ministre du Trésor est auditionné par la Commission des Affaires Etrangères du Parlement sur les positions de l’Italie dans ces instances. Au Canada, le ministère des Finances produit un rapport annuel et reste en lien avec une sous-commission parlementaire spécialisée. Le souci de contrôler la position des pays donateurs dans ces instances par leurs parlementaires est donc partagé par tous. Ces dernières années, d’ailleurs, sous la pression des ONG internationales, des efforts ont été consentis par la Banque mondiale en matière de transparence et de consultation, directement, sans passer par les représentants nationaux. Elle a notamment mis en place des mécanismes d’information et de participation de la société civile. Cependant, malgré la bonne volonté de départ, les engagements sont souvent bafoués lors de la mise en œuvre des projets. Faute de mécanisme de recours et de sanctions, l’administration de la Banque mondiale ne subit pas de rappels à l’ordre pour la violation de ses propres recommandations ou le défaut de surveillance de l’utilisation de ses propres fonds. Les efforts sont nettement moins visibles du côté du FMI, pourtant fervent défenseur des principes de “bonne gouvernance” : transparence, responsabilité, démocratie. Mais pour le FMI, la transparence se limite pour l’instant à l’information concernant les mouvements de capitaux sur les marchés financiers. Lancée entre avril et octobre 1999, la campagne sur la transparence des IFI se poursuit, et avec elle l’idée d’un véritable contrôle parlementaire fait son chemin. Une structure permanente de contrôle des institutions financières et commerciales est actuellement à l’étude. Ouvrir un véritable débat en France sur les institutions financières internationales et favoriser le contrôle parlementaire sont des actions importantes qui accompagnent le travail sur la démocratisation des institutions en tant que telles. L’idée étant bien sûr de rééquilibrer le rapport de force dans les instances décisionnelles en faveur des pays du Sud. Réformer les PAS et permettre l’expression et l’évaluation de la société civile En septembre 1999, le FMI a affiché une ambition similaire à celle de la Banque, lors de leur Assemblée générale commune, à savoir la lutte contre la pauvreté. Paradoxalement, les remèdes proposés dans le cadre des PAS ne vont pas dans ce sens : réduction des dépenses de l’Etat, privatisation des entreprises publiques, libéralisation des prix, dévaluation de la monnaie... En science économique, toutes ces mesures permettent souvent (mais non toujours) de lutter contre l’inflation et de dégager de l’argent pour rembourser la dette. Mais la population, elle, subit tous les contrecoups négatifs : les denrées de première nécessité augmentent, le chômage aussi, le crédit est plus cher... A moins d’un accompagnement particulier, un plan d’ajustement structurel augmente l’extrême pauvreté. L’engagement du FMI dans la lutte contre la pauvreté ne laisse pas de surprendre Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale : “A moins que vous ne fassiez intervenir, dans le processus de décision du FMI, des gens qui fassent entendre la voix des victimes, les politiques du Fonds ne changeront pas parce qu’elles sont définies par des ministres des Finances et des banquiers centraux”. Comment, en effet, faire entendre la voix des populations qui subissent ces politiques d’austérité souvent rendues nécessaires pas l’incurie et la malhonnêteté de dirigeants dictatoriaux et kleptocrates ? Ecrasées dans leur propre pays, elles subissent une pression supplémentaire avec ces mesures internationales. Il faut au contraire saisir cette occasion pour permettre aux populations et aux ONG locales une expression qui leur est souvent confisquée. C’est la raison pour laquelle de nombreuses organisations se sont retrouvées autour de la campagne : “FMI : sortir de l’imPAS !” lancée en avril 2000 pour demander la mise en place d’un mécanisme de recours permettant aux populations CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 16 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ de porter plainte lorsque leurs droits fondamentaux ou leur environnement sont menacés par les politiques dictées par le FMI. Il existe déjà le SAPRIN, Structural Adjustment Program Review Initiative Network, un réseau international de 1 500 associations créé pour évaluer de façon indépendante l’impact des PAS avec la Banque mondiale et les gouvernements concernés. Ce réseau a été créé en réaction à une initiative de la Banque mondiale, le SAPRI, Structural Adjustment Program Review Initiative, dont le fonctionnement était restreint par la Banque, qui ne tenait aucun compte des remarques et avis émis par les autres acteurs. Concernant les PAS, la société civile doit être impliquée dès l’élaboration des termes de référence, et en amont, la réalisation plus systématique d’études d’impact préalables doit permettre de prendre en compte dès le départ les facteurs humains et environnementaux qui sont au cœur d’une stratégie de développement digne de ce nom. Lorsque des résultats le requièrent, les mesures correctives et les réparations nécessaires doivent pouvoir être mises en œuvre, afin que le rapport d’évaluation ne reste pas lettre morte. La Bolivie, embellie sur la croissance et bilan social désastreux S’il fallait une illustration caricaturale de ce que le FMI et la Banque mondiale sont capables de faire quand ces deux institutions ne savent pas regarder plus loin que leur credo libéral, la voici. En 1985, la Bolivie connaissait une hyper inflation de 23 500 %. En 2000, elle n’était plus que de 3 %, avec une croissance soutenue (4 % sur 10 ans), une augmentation confortable des réserves internationales et des investissements étrangers directs. Cet alignement de performances macroéconomiques est sans nul doute à mettre au crédit des institutions internationales. Ces quinze ans d’ajustement structurel ont donné les résultats escomptés. En revanche, que la misère touche 70 % de la population n’était pas prévu. Pourtant, c’était prévisible : le dégraissage du secteur public et l’exode rural étaient “nécessaires” pour appliquer les recettes des créanciers internationaux. Bon élève, la Bolivie est aujourd’hui un pays fortement endetté. La dette, la croissance et la pauvreté ont augmenté ensemble au cours des 15 dernières années. Les réformes structurelles, en Bolivie comme dans nombre de pays victimes des plans d’ajustement structurels, ont entraîné plus de pauvreté car plus de concentration de richesses dans peu de mains. Parallèlement, un tiers des exportations servaient à rembourser la dette. Les pauvres n’étaient pas prévus 16 / 17 dans cette mécanique. Le bilan est catastrophique : un revenu annuel par tête qui ne dépasse pas 1 000 dollars, un taux de mortalité infantile de 69 pour 1 000 et les deux tiers de la population qui n’ont ni électricité ni eau potable. Ces indicateurs sociaux risquent de faire chanceler la démocratie en place depuis 1982. La Banque mondiale a reconnu la contradiction et essaie aujourd’hui de la rattraper. D’abord, la Bolivie a été le premier pays latino américain à bénéficier du programme pilote dans le cadre de l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE). En 1999, le pays consacrait 22,6 % de ses recettes d’exportation au service de la dette. Ce chiffre tomberait à 7,5 % en 2005 et à 2 % en 2018. Cette annulation de la dette est conditionnée à la mise en place d’un cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), une nouvelle mesure destinée à réduire la pauvreté en faisant en sorte que les stratégies soient élaborées par les populations elles-mêmes. Si l’intention est louable, la mise en application est très difficile. La consultation de la société civile est souvent sommaire, voire un simple alibi pour que les gouvernements aient accès à l’argent des CSLP en se conformant aux exigences explicites ou implicites du FMI et de la Banque mondiale. Mal appliquée, cette nouvelle mesure risque de n’être que la feuille de vigne des Plans d’ajustement structurel. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 17 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Les services de base et le financement du développement Les nouvelles options de lutte contre la pauvreté représentent une évolution intéressante des discours des organisations internationales, comme si elles reconnaissaient implicitement que leurs politiques macro-économiques n’avaient pas les répercussions humaines escomptées. Il est maintenant entendu que la croissance économique n’est pas un préalable à la diminution de la pauvreté et qu’il ne s’agit pas seulement de faire des ajustements ou des cataplasmes sociaux, mais bien d’avoir une politique globale et durable de développement. Et donc d’avoir des politiques de financements adaptées. En France la campagne “Services liquidés, droits bafoués !” (mai-septembre 2001) a mobilisé une trentaine d’associations. La première revendication des ONG est de ne pas privatiser les services de base (santé, éducation, eau, énergie domestique, ...). En effet, la privatisation entraîne souvent une augmentation inconsidérée des prix qui remet en cause l’égalité d’accès aux services de base. C’est en tout cas ce qu’ont montré plusieurs études de l’UNICEF et du PNUD sur ce sujet. Ainsi, sur les recommandations de la Banque mondiale, la municipalité de Cochabamba, en Bolivie, avait octroyé le marché de l’eau à un consortium international. La facture d’eau mensuelle a grimpé jusqu’à 20 % du revenu d’un travailleur indépendant. La population a organisé des marches de protestation qui se sont terminées dans la violence, avec un mort et des dizaines de blessés. Après une période d’état de siège, le gouvernement a tout de même révoqué le consortium et la distribution d’eau est revenue à la municipalité. Ces privatisations forcées n’améliorent en aucun cas la couverture des besoins ou l’efficacité des secteurs concernés. Il s’agit en théorie d’encourager les investisseurs locaux et de casser les monopoles d’Etat. Or, les marchés de l’eau et de l’électricité notamment sont très profitables pour les multinationales qui s’en emparent. En Afrique, par exemple, les procédures de vente des entreprises publiques ne sont pas toujours transparentes et pas souvent exemptes de pots-de-vin. Et pour que le marché soit rentable, on aide même les entreprises dans leurs acquisitions. Ainsi, début 2000, Vivendi s’est porté acquéreur de la STEE (Société Tchadienne d’Eau et d’Electricité) dont la privatisation était requise par le FMI. L’Etat tchadien s’est d’abord engagé à absorber les dettes à long terme de la compagnie, tandis que la France, via l’Agence française de développement, subventionne le processus de privatisation à hauteur de 33,5 millions de francs. En clair, il s’agit de renflouer la STEE avant que Vivendi en acquière 51 %. Risque minimum, profit maximum. On soigne plus les multinationales que les populations, semble-t-il... La campagne des ONG françaises en faveur des services de base entend réaffirmer que l’accès aux services de base constitue un élément indispensable au développement durable. L’égalité d’accès à ces services est partie intégrante des droits humains fondamentaux et, en tant que telle, doit faire l’objet de l’aide internationale. Les ONG ont proposé à la Conférence des Nations Unies pour le financement du développement, en mars 2002, qu’au moins 30 % de l’aide multilatérale soient consacrés aux services de base. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 18 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ LES AVANCÉES DU SYSTEME INTERNATIONAL Si les IFI ont besoin de réformes, certains gouvernements et transnationales aussi. Au fil des campagnes et des contre sommets, les mouvements de citoyens tentent d’assouplir certaines scléroses le système international dans son ensemble. Depuis quelques années, les changements de discours sont très nets, encourageant en cela la poursuite des pressions, tant en direction des institutions internationales qu’en direction de gouvernements corrompus et dictatoriaux et de sociétés transnationales irresponsables et avides de gains faciles. La fin du consensus de Washington : une chance à saisir Il a fallu attendre des dizaines de catastrophes sociales dans les pays soumis aux plans d’ajustement structurel pour que la Banque mondiale reconnaisse presque ouvertement (dans son rapport de 1997, intitulé “Combattre la pauvreté”) que les bons paramètres macroéconomiques ne suffisaient pas pour assurer le bien être de la population. Dans le milieu des années 90, les dégâts sociaux et les crises financières n’ont pas épargné les “bons élèves” du FMI, notamment en Asie, ce qui a ébranlé fortement les thèses ultra-libérales qui prévalaient toujours au FMI. C’est alors qu’en 1998, un article de Joseph Stiglitz, alors vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, véritable brûlot, a mis le feu aux poudres. Il dénonçait la politique de son homologue au FMI, l’économiste en chef Stanley Fisher, à propos des traitements de choc imposés par le Fonds aux pays asiatiques en échange de leur sauvetage financier. On en apprend de belles sur le FMI : ses fonctionnaires sont arrogants, ils se croient les plus intelligents alors que le FMI recrute des étudiants de troisième ordre venant d’universités de premier ordre, ils ne connaissent rien aux pays qu’ils sont censés aider, ils travaillent sur des modèles 18 / 19 dépassés ou truffés d’erreurs, leurs remèdes sont souvent pires que le mal car ils transforment les ralentissements en récessions et les récessions en dépressions... et, qui aurait pu l’entrevoir sinon de l’intérieur : c’est une institution si secrète et si peu démocratique que même ses actionnaires (les représentants des ministres des Finances) ont du mal à savoir ce qui s’y passe et comment se prennent les décisions... Le différend qui s’était installé depuis déjà bien des années entre le FMI et la Banque mondiale a alors éclaté au grand jour. C’était la remise en cause du fameux “consensus de Washington”, sorte de prêtà-penser qui structurait le sauvetage financier international autour de trois grands pôles, la libéralisation, la privatisation et le respect des grands équilibres économiques. L’arrivée de John Wolfensohn à la tête de la Banque mondiale en 1995 a déjà fendillé ce fameux consensus, car l’ancien banquier d’affaires new-yorkais s’est senti investi d’une mission en arrivant dans cette institution et a tout de suite recentré le discours de la Banque sur la lutte contre la pauvreté. L’effort de mettre sur un pied d’égalité les objectifs économiques et les objectifs sociaux se retrouve dans les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP) qui dans l’idéal devraient être des plans de développement élaborés par les pays bénéficiaires dans le cadre d’une vaste concertation nationale, des gouvernants à la société civile en passant par les acteurs privés, les collectivités locales etc. John Wolfensohn est toutefois assez seul tant son projet marque une rupture profonde avec le passé. La complexité de mise en œuvre de ce projet très ambitieux donne du grain à moudre aux sceptiques et aux conservateurs. Le président de la Banque a dû se séparer de son vice-président par qui le scandale a éclaté, Joseph Stiglitz, car sa liberté de ton agaçait les représentants américains. C’est ainsi qu’aujourd’hui, le président de la Banque mondiale fait figure d’idéaliste à la tête d’un “machin” coincé dans une foule de contingences éloignées de l’objet de l’institution. Mais ce nouveau discours représente CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 19 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ sans doute l’un des rares leviers d’envergure que les mouvements citoyens pour la réforme des Institutions financières internationales pourraient appuyer, en agissant pour la mise en conformité des réalisations avec ces discours. Joseph Stiglitz, quant à lui, a pris une manière de revanche en recevant le Prix Nobel d’économie en novembre 2001, en récompense de ses travaux sur les défaillances des marchés en matière d’information des acteurs. Celui qui a critiqué vertement le “fondamentalisme de marché” a sans doute eu le tort d’avoir raison trop tôt par rapport à ce que le FMI était en mesure d’entendre. L’Argentine, victime du FMI ou victime d’elle-même ? L’histoire de l’Argentine est tragique. Elle est malheureusement plus victime d’une “ineptocratie” nationale que des bailleurs internationaux. L’Argentine des années 20 avait un niveau de vie équivalent à celui de la France, grâce à son agriculture florissante. Industries, transport, exportations, tout allait de soi... jusqu’à la grande dépression qui toucha tous les pays industriels. Finis les capitaux étrangers, les exportations, les importations de biens industriels. L’Argentine ne se releva jamais, car la bourgeoisie préféra placer sa rente agricole à l’étranger plutôt que d’investir. Les militaires et les péronistes qui se succédèrent au pouvoir jusqu’en 1982 durent tous suppléer une initiative privée défaillante, tout en évitant de froisser la classe aisée par trop d’impôts. C’eût pourtant été la seule solution pour réaffecter la rente agricole dans le développement du pays. Au nom de la démagogie populiste, l’inflation et le protectionnisme remplacèrent donc les prélèvements. L’Argentine se paya un Etat providence à crédit (merci le FMI) tout en laissant l’invasion fiscale à un niveau record. Les Argentins ont dès lors été happés par la spirale infernale crise des paiements extérieurs / coups d’Etat / répression des mouvements sociaux. La dernière ligne droite de la dictature mit un coup d’arrêt brutal au protectionnisme et la libéralisation de l’économie fit revenir les capitaux, mais l’Argentine vivait toujours au dessus de ses moyens, comme si la période bénie des années 20 était devenue la seule référence culturelle des Argentins qui se voilaient ainsi la face. Les déficits publics et la création monétaire ont précipité la tornade de l’hyperinflation qui s’est perpétuée sous le premier mandat démocratique (500 % en 1975, 5 000 % en 1989-1990 !) Pour sortir de ce chaos, le président Menem et son ministre Domingo Cavallo appliquèrent un remède de cheval en 1991 : la parité fixe peso/dollar, tout en limitant l’accès des Argentins à leurs dépôts puisque ce taux de change était insoutenable. Le FMI a dénoncé en son temps ce système rigide et aberrant (la production argentine n’était plus compétitive), mais il a malgré tout continué à prêter des sommes monumentales à l’Etat argentin en l’exhortant seulement de présenter un budget national cohérent. La responsabilité du FMI est là : il aurait du arrêter de prêter bien avant. Le dernier prêt date de décembre 2000 40 milliards de dollars, dont la dernière tranche de 8 milliards a été débloquée en août 2001 ce qui lui a permis de reculer d’un an les foudres et le tonnerre qui grondaient dans les rues. Fallait-il continuer cette course folle aberrante ? Que le FMI dise enfin non devrait permettre aux 37 millions d’Argentins de regarder avec consternation ce que des générations de dirigeants corrompus ont fait de leur pays. Ce sont les élites politiques du pays qui ont encalminé l’Argentine dans une récession dont le pays ne pourra sortir qu’au prix d’une dévaluation qui va laisser nombre de ménages endettés et nombre d’entreprises exsangues. Le Monde du 1er janvier 2002 caractérisait ainsi le mal argentin : “Ses élites, au lieu d’investir sur place, ont exporté le moindre peso-dollar gagné, ce qui fait d’une nation lourdement endettée un pays exportateur net de capitaux. Ce n’est pas du libéralisme, mais du banditisme.” CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 20 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ La fin des conditionnalités ? Dans un rapport intitulé “Aid and reform in Africa” paru au début de l’année 2001, le FMI et la Banque mondiale ont pris position en faveur d’une remise en cause de la conditionnalité, une politique qui guide leurs interventions notamment depuis les premiers Plans d’ajustement structurel, en 1979. Les deux institutions avaient pour principe de prêter de l’argent aux pays du Sud à condition que leurs gouvernements réduisent les déficits budgétaires et les déficits extérieurs, privatisent les entreprises publiques, libéralisent leur économie et ouvrent leurs marchés. Dans un aggiornamento explicite, le FMI dénonce sa propre dérive dans le domaine des conditionnalités structurelles (privatisations, sécurité sociale, système financier...). L’institution reconnaît que ses recommandations ont fini par se substituer aux choix politiques des pays bénéficiaires sans que cette usurpation de légitimité soit efficace. Cette réforme de la conditionnalité en cours au sein du FMI ne signifie pas la fin des conditions imposées aux pays, mais il s’agit plutôt d’un “dégraissage” de celles-ci, qui seront désormais imposées avec plus de parcimonie sur des points jugés “critiques”. La nouvelle procédure de faillite appliquée aux Etats, ou comment impliquer le secteur privé dans la résolution des crises financières Au fil de divers rapports, les institutions des Nations Unies et celles de Bretton Woods se retrouvent sur l’idée d’impliquer davantage le secteur privé dans la résolution des crises financières. En novembre 2001, le premier directeur général adjoint du FMI, Anne Krueger, a émis l’idée d’introduire pour les Etats souverains un droit de faillite comparable à celui des entreprises. Elle la présente en ces termes (in Le Monde, 19 février 2002) : “Il n’existe jusqu’à aujourd’hui aucun moyen d’amener à une même table les pays accablés par le fardeau de la dette et leurs créanciers pour résoudre les problèmes d’endettement de façon ordonnée. Pour que la plupart des créances aient le maximum de valeur et pour limiter autant que possible le coût de l’opération pour le débiteur, ce système offrirait au 20 / 21 pays débiteur une protection juridique contre ses créanciers pendant qu’il négocie la restructuration de sa dette. Le débiteur s’interdirait pour sa part de puiser dans ses réserves pour payer des créanciers “privilégiés” ou particulièrement chicaneurs. Cette approche laisse l’initiative au pays débiteur et à ses créanciers. Notre objectif est de faciliter la conclusion d’un accord sur l’indispensable restructuration et non d’en discuter les termes. Le FMI a un rôle crucial à jouer, car c’est l’enceinte dans laquelle la communauté internationale peut se prononcer sur la viabilité de la dette d’un pays et sur le bien fondé de sa politique économique. Mais il est d’autres points - le règlement des différends entre créanciers, par exemple - sur lesquels notre conseil d’administration risque de se trouver face à des conflits d’intérêts. Ces questions pourraient être confiées à un organisme présentant les garanties juridiques nécessaires au sein ou à l’extérieur du FMI.” Cette proposition a été accueillie avec beaucoup de réticences dans les milieux financiers. Certains créanciers privés n’hésitent pas, en effet, à exiger leurs dus auprès d’Etats dont la dette est en restructuration, vidant leurs réserves et affaiblissant de ce fait leurs capacités de redressement, comme ce fut le cas en 2000 au Pérou. Ce processus - qui, vu sa complexité, mettra certainement plusieurs mois avant de se concrétiser est demandé depuis plusieurs années par les collectifs d’ONG qui travaillent sur la dette. Avec une différence fondamentale : les ONG défendent l’idée de la création d’une Cour d’arbitrage internationale indépendante, rattachée aux Nations Unies, de façon à ce que le FMI ne soit pas à la fois juge et partie. Les organisateurs de la campagne Jubilé 2000 estiment en effet que “le FMI a lui aussi prêté de façon irresponsable à des dictateurs et il lui est arrivé de recommander des politiques économiques qu’il considère lui même aujourd’hui comme inappropriées ”. Qu’est ce que la régulation du système international ? Face à ces avancées parfois chaotiques et souvent dispersées, les ONG élaborent une conception CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 21 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ globale de la régulation du système international. Il s’agit d’abord d’opposer à la libéralisation économique, commerciale et financière le respect des droits humains, civils et politiques autant qu’économiques, sociaux et culturels. Les citoyens veulent inventer, et inventent de fait, un nouveau monde dans lequel le respect des droits humains sera dominant. Dans cette perspective, la régulation par le marché mondial existant est loin d’être la meilleure solution. Nous considérons donc qu’il faut des Institutions financières internationales pour agir dans la durée, mais nous ne saurions faire confiance aux orientations et au fonctionnement des institutions actuelles. Ces institutions démocratiques seraient chargées de trois objectifs conjoints : ■ la stabilité du système monétaire, ■ la prévention des crises financières, ■ le financement du développement durable. Assurer la stabilité monétaire et éviter les crises financières Pour que le système monétaire soit stable et permette d’éviter les crises financières et monétaires, un certain nombre d’orientations peuvent être retenues : ■ Il faut reconquérir les souverainetés nationales concernant la monnaie et le développement, y compris donc en matière de politiques fiscales, salariales, financières et sociales. ■ La régionalisation offre des perspectives intéressantes pour le développement et pour les politiques économiques et monétaires. Toutefois, une vision politique large doit inclure la réalité de construction d’espaces de production, de marchés d’échanges régionaux et d’accords démocratiques. A chacune de ces régionalisations correspondent des négociations politiques dans lesquelles les mouvements sociaux doivent prendre part. ■ Le système des taux de change, s’il veut être crédible, doit être fondé sur les échanges commerciaux et ne doit pas être déterminé par les mouvements de capitaux. ■ Le contrôle des mouvements de capitaux est impératif aussi bien au niveau international qu’au niveau national. Les expériences chilienne, malaisienne, chinoise, etc. en ont démontré la nécessité et la possibilité. ■ Ce contrôle s’articule avec la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux, le blanchiment d’argent et la criminalisation financière. ■ Les taxes, comme la taxe Tobin ou d’autres taxes, peuvent aider à la régulation du système monétaire et au financement du développement durable. Favoriser un développement durable respectueux des droits humains Chaque peuple a le droit de définir son propre modèle de développement, mais le préalable en est la démocratisation des procédures nationales. Parallèlement aux travaux sur la démocratisation des institutions internationales, les combats démocratiques nationaux restent fondamentaux et irremplaçables. La responsabilité des Etats et des régimes nationaux demeure entière face à leurs peuples, sur les choix des modèles et sur les orientations du développement, particulièrement en ce qui concerne le respect des droits humains. Il est du devoir de chaque pays de démocratiser aussi les décisions concernant ses relations avec les Institutions financières internationales. Dans ce cadre, et pour créer un environnement favorable à ces évolutions nationales, ■ La priorité reste l’annulation de la dette. ■ Un système de justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels aux niveaux national et international doit à terme être établi et des instances de recours mises en place. Cela implique notamment la reconnaissance de la coresponsabilité des créanciers et des débiteurs dans la formation de la dette et dans les décisions. ■ La discussion doit être ouverte sur la nécessité et les moyens de rééquilibrer les termes de l’échange, notamment aux niveaux des prix des matières premières et des échanges commerciaux. ■ La priorité doit être donnée à la construction des marchés intérieurs et à l’égalité d’accès aux services de base. C’est cette égalité d’accès qui permet de fonder la lutte contre la pauvreté sur le refus des inégalités croissantes et des discriminations. ■ Le principe d’une redistribution mondiale est inéluctable si l’on veut assurer l’accès de tous les pays au financement du développement. Le recours à un système de taxes ou le rééquilibrage des termes de l’échange font partie des modalités envisageables. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 22 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ A suivre Le temps est venu pour les IFI de connaître une véritable démocratisation et la mise en place d’un fonctionnement transparent. Sans doute sentent-elles confusément que leurs bornes idéologiques libérales bloquent l’efficacité de leurs fonds et les décrédibilisent. C’est sans doute ce qui explique les ouvertures que l’on constate depuis plusieurs années. Les mobilisations citoyennes nationales et internationales portent leurs fruits. Même si l’on est encore loin de la mise en place d’un véritable système économique international régulé et démocratisé, la lutte contre l’idée libérale des institutions de Bretton Woods avance. Beaucoup d’idées restent à explorer pour la mise en place d’un système qui bannisse les inégalités, car les politiques de lutte contre la pauvreté s’apparentent parfois à des cataplasmes transitoires qui évitent la remise en cause globale du système. La proposition défendue par Keynes lors des premières négociations de Bretton Woods était-elle si utopique ? Quoi de mieux qu’une monnaie universelle pour une stabilité monétaire mondiale ? Et quoi de mieux qu’un système de taxes pour les “trop riches” et de prêts pour les “trop pauvres” afin d’éviter les inégalités entre les pays et à l’intérieur des pays ? Pourquoi ce programme ? L’influence de la France au sein des IFI est très importante : membre du G7, 4e puissance économique du monde, elle détient près de 5 % des droits de vote à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI). Elle a également un rôle considérable dans la plupart des pays francophones du Sud. Parallèlement, le manque de transparence et de contrôle des politiques des IFI a généré une importante vague de protestations au sein des associations de solidarité internationale et des sociétés civiles, qui a permis un début de réforme de ces institutions. C’est dans ce contexte qu’Agir ici, l’AITEC (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs) et le CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement) ont lancé à l’automne 1998 un programme commun pour la réforme des IFI. Ses objectifs : ■ Sensibiliser et mobiliser l’opinion publique sur le thème des IFI. ■ Améliorer la transparence de la politique française au sein de ces institutions. ■ Elaborer des propositions de réforme de leurs politiques. Actions 1. Renforcer la réflexion sur les IFI au sein de la société civile par : ■ L’animation en France d’un réseau d’une trentaine d’associations de solidarité internationale, de défense des droits humains et de protection de l’environnement mobilisées sur la question des IFI, afin de développer une réflexion et des actions de mobilisation. 22 / 23 CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 23 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Le Programme IFI ■ La publication d’une lettre d’information mensuelle, IFI ... et maintenant !, diffusée à plus de 1 000 exemplaires (décideurs, presse, associations françaises et étrangères), qui permet d’aborder chaque mois une problématique générale et de faire le point sur l’actualité des IFI. ■ La création d’un site Internet de référence sur la question, avec des textes, des articles de fond, l’actualité des IFI, les actions en cours en France et dans le monde... ■ L’organisation de sessions de formation décentralisées, destinées à fournir aux militants des outils à la fois théoriques et pratiques afin qu’ils puissent à leur tour relayer informations et actions. 2. Organiser des campagnes citoyennes telles que : ■ Pour l’an 2000, annulons la dette ! (1999), qui a permis de recueillir plus de 520 000 signatures en France. Face à la pression populaire, les pays riches ont pris des engagements, notamment lors du G7 de Cologne en 1999. ■ Transparence, démocratie : les IFI aussi ! (1999), dont l’objectif était d’obtenir la mise en place d’un véritable contrôle parlementaire sur la politique française au sein des IFI. Depuis cette campagne, le gouvernement publie un rapport annuel, dont l’Assemblée nationale s’est saisie en publiant à son tour des rapports très critiques en décembre 2000 et 2001. ■ FMI : Sortir de l’imPAS (2000), qui demandait la mise en place d’une unité d’évaluation indépendante et d’un mécanisme de recours pour les populations affectées par les plans d’ajustement structurel imposés. Depuis lors, le FMI a décidé de créer un bureau d’évaluation qui est sur le point de commencer ses travaux. ■ Services liquidés : droits bafoués ! (2001), visant à s’opposer aux mesures imposées par les IFI qui remettent en cause l’accès à différents services de base (santé, éducation, eau etc.), et demandant qu’une part importante de l’aide publique multilatérale soit consacrée à ces services. ■ Ça carbure au Nord, ça chauffe au Sud !, campagne lancée en mars 2002 pour stopper les projets pétroliers, gaziers et miniers, aux effets désastreux, financés par la Banque mondiale et promouvoir le financement d’énergies renouvelables au profit des populations les plus pauvres. 3. Elaborer des propositions de réforme des politiques des IFI : ■ En associant des chercheurs et des experts à la production de documents de fond et à l’organisation de journées d’étude (IFI et développement durable / Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté) ■ En organisant des séminaires internationaux tel celui organisé en juin 2001 à Paris, sur le thème “Régulation du système international : quelle place pour le FMI ?”, avec des chercheurs et des associations du Nord comme du Sud. ■ En renforçant le partenariat avec les associations du Sud, indispensable pour mieux soutenir leurs revendications et élaborer ensemble des propositions de réforme. ■ En soutenant de façon continue les principales actions françaises et internationales en faveur de la réforme des IFI et en participant à des actions au niveau européen. CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 24 (1,1) LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ Sites web Bibliographie Campagne pour la réforme des IFI (ONG françaises): www.globenet.org/ifi • Comprendre les IFI : une clé pour l’action citoyenne, Agir ici, AITEC, CRID, 2001, 45p. • Banque mondiale, pompe A’frique des compagnies pétrolières, Agir ici et les Amis de la terre, 1997 • Mondialisation, Institutions financières internationales et développement durable, AITEC, Agir ici, CRID, 2000, Archimède et Léonard, hors série n°14 • Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, 2001 • Combattre la pauvreté, Banque mondiale, 2001 • Crédits sans frontières, Susan George, Fabrizio Sabelli, la Découverte, 1994 • L’ordre économique mondial, Elie Cohen, Fayard, 2001, 315 pages • Le FMI, de l’ordre monétaire aux désordres financiers, Michel Aglietta et Sandra Matti, Economica, mai 2000, 255 pages • Ajustement structurel et lutte contre la pauvreté en Afrique : la Banque mondiale face à la critique, Bruno Sarrasin, Paris, L’Harmattan, 1999, 115 p. Mondialisation et développement durable, quelles instances de régulation ? Solagral, UNESCO-MOST, 1998 • FMI, les peuples entrent en résistance, CETIM, 2000 • Guide citoyen du FMI, Les amis de la Terre, 2000 • Fonds monétaire international, Banque mondiale : vers une nuit du 4 août ? Yves Tavernier, Commission des finances, Assemblée nationale, 2000 • Les marchés financiers : dérégulation, la fuite en avant, in Courrier de la planète, N°39, mars-avril 1997 • Dettes des PVD et mécanismes économiques internationaux, dossier pédagogique de Peuples Solidaires, 1999 • Dette, IFI : la réponse citoyenne, in Peuples en marche n°166, mai 2000 • Collection de IFI...et maintenant ! vers une réforme des institutions Financières Internationales, mensuel de la campagne française menée par le CRID, Agir ici et AITEC (depuis mars 1999). ATTAC, Association pour la taxation des transactions financières et l’aide au Citoyen (réseau international) : www.attac.org Campagne 50 ans, ça suffit (ONG nordaméricaines) : www.50years.org Bretton Woods Project (ONG de Grande Bretagne) : www.brettonwoodsproject.org CADTM, Comité pour l’Abolition de la Dette du Tiers Monde (Belgique) : www.users.skynet.be/cadtm Campagne pour la réforme de la Banque mondiale (Italie) : www.unimundo.org/cbm Les amis de la terre (Organisation environnementale internationale) : www.amisdelaterre.org Eurodad (réseau européen sur la dette) : www.eurodad.org Initiative Halifax (coalition d’ONG canadiennes) : www.halifaxinitiative.org Coalition d’ONG suisses : www.swisscoalition.ch WEED (Allemagne) : www.weedbonn.org Focus on the global South (coalition d’ONG asiatiques, Thaïlande) : www.focusweb.org Bank Information Center (organisation américaine) : www.bicusa.org Jubilee South (ONG africaines) : www.aidc.org.za/j2000 Editeur : CRID - 14, passage Dubail - 75010 Paris Tél. : 01 44 72 07 71 - Fax : 01 44 72 06 84 IBASE (Brésil) : www.ibase.fr E-mail : [email protected] Site web : www.crid.asso.fr FMI : www.imf.org Directeur de la publication : Gustave Massiah Rédaction en chef : Raphaël Mège Banque mondiale : www.worldbank.org Nations Unies, financement du développement : www.un.org/esa/ffd Rédaction : Anne-Sophie Boisgallais Avec la participation de : Michel Faucon, Fabien Lefrançois, Camille de Maissin Conception graphique : René Bertramo Dépôt légal : xxxx Nations Unies, développement durable : www.un.org/rio+10 24 Imprimerie : Landais Tirage : 2 000 ex.