que faire du fmi et de la banque mondiale

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que faire du fmi et de la banque mondiale
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CRID : 14, passage Dubail - 75010 Paris
ISSN : en cours - Mars 2002 - Prix : 4,60 €
Les Institutions financières
internationales (IFI) ont pris
au fil des décennies une
importance croissante dans les
politiques de développement
des pays du Sud et, depuis la
chute du mur de Berlin, dans
celles des pays de l’Est. Conçues
à l’origine pour prévenir les crises
monétaires (Fond monétaire
international) et financer le
développement (Banque Mondiale),
elles n’ont pu enrayer l’avènement de
crises, et le “développement” qu’elles
ont induit pèse lourdement sur les
couches les plus vulnérables des populations
d’un grand nombre de pays.
QUE FAIRE
DU FMI
ET DE LA
BANQUE
MONDIALE ?
Les citoyens engagés dans des démarches de
solidarité internationale constatent les dégradations
sociales dues aux ajustements structurels imposés par
les IFI. Partenaires des acteurs du Sud, ils dénoncent avec
eux l’évolution de ces institutions qui imposent à l’ensemble
du monde une logique économique unique. La dénonciation
porte à la fois sur cette conception économique et sur le fait qu’elle
soit imposée par des institutions qui prétendent encore aujourd’hui ne pas
avoir de vocation “politique”.
La première tâche est donc de mettre en lumière le rôle exact des IFI, plus soucieuses
d’assurer le remboursement des dettes que le bonheur des peuples. Les campagnes citoyennes
successives sur la réforme des IFI ont pointé l’opacité de leur fonctionnement et leurs
processus de décision inféodés aux Etats les plus riches. Plusieurs organisations de par le
monde estiment d’ailleurs que “50 ans, ça suffit” et qu’il vaudrait mieux en rester là.
Le CRID et ses alliés, pour leur part, considèrent qu’aucune institution n’atteindra la
perfection. C’est donc par une vigilance active que les citoyens pourront contraindre ces
institutions à s’ouvrir et à se démocratiser.
Cette publication permettra aux acteurs de la solidarité internationale de mieux comprendre
le contexte des actions menées, d’en mesurer l’efficacité et de percevoir le chemin qu’il reste à
parcourir.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
LE SYSTEME
BRETTON WOODS,
TEL QU’EN LUI-MEME
Bretton Woods, juillet 1944
Examinons de plus près cette journée de l’été 1944
qui a vu naître les institutions avec lesquelles nous
nous débattons aujourd’hui. Mille personnes,
délégués de 44 pays, se retrouvent dans cette petite
localité du New Hampshire qui ignorait alors qu’elle
allait devenir célèbre. Harry D. White, responsable
de la délégation américaine, arrive avec son plan
tout bien ficelé : on crée le Fonds monétaire
international (FMI) pour la stabilité monétaire, on
crée la Banque mondiale pour la reconstruction et le
développement, et on donne aux pays la possibilité
d’émettre de la monnaie en fonction de leur stock
d’or et de leur réserve en billets verts. Parité fixe,
donc, entre l’or et le dollar, qui devient une monnaie
internationale.
Il y avait ce jour-là une autre vedette, John M.
Keynes, l’économiste de Cambridge au faîte de sa
gloire après la publication en 1936 de “Théorie
générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie”.
Lui aussi a un plan en poche. Il veut créer une
monnaie internationale, le “bancor”, convertible
dans les différentes monnaies nationales. Pour les
pays débiteurs, sont prévus des prêts en bancors
ainsi que des mesures de bonne conduite. Pour les
pays excédentaires, on prévoit une taxe qui permet
de financer une aide pour les pays en difficulté.
Génie visionnaire, Keynes trouvait logique de mettre
en place des mesures de stabilisation pour les pays
“trop faibles” comme pour les pays “trop forts”...
On connaît la fin de l’histoire. La conférence s’est
bornée à discuter des modalités du plan White et tout
le monde savait que c’était la seule solution pour
avoir accès aux crédits américains. La guerre n’était
pas finie, ce n’était pas le jeune Pierre MendèsFrance qui allait apporter la contradiction. Il était
alors commissaire aux finances du gouvernement
2/3
provisoire d’Alger, nommé en 1943 par Charles de
Gaulle. Le plan White partait du traumatisme que le
monde était en train de subir. L’hyper-inflation avait
mené Hitler au pouvoir en Allemagne, il fallait donc
une stabilité monétaire. D’où le FMI. Le libre
échange était vu comme une façon pragmatique
d’éviter la guerre en obligeant toutes les nations à se
parler et se connaître. Même si cette mesure mettait
à mal les zones franc et sterling qui offraient un
privilège aux anciennes puissances coloniales, elle
répondait aux besoins du moment. D’où la Banque
mondiale et d’où l’Organisation des Nations unies
(ONU), quelques mois plus tard.
Le plan White a pris fin lorsque le président
américain Richard Nixon a décidé, le 15 août 1971,
la fin de la convertibilité du dollar en or. Adieu
l’espoir d’un accord mondial, bonjour les changes
flottants et les accords régionaux. L’Euro allait
pouvoir exister 40 ans plus tard. Et le FMI et la
Banque mondiale s’autonomisaient de fait dans leurs
choix politico-économiques.
Au fil des ans, la légitimité historique a disparu et
ces institutions se sont plus ou moins adaptées au
changement des défis internationaux, à la
mondialisation, et aux inégalités. Qui sait ce que
serait aujourd’hui le monde si Keynes avait réussi à
imposer son “bancor”, avec des prêts pour les “trop
pauvres” et des taxes pour les “trop riches” ?
La Banque mondiale,
pour le meilleur et pour le pire
La Banque internationale pour la
reconstruction et le développement, BIRD
Les activités de la BIRD ont débuté en 1946 avec des
financements de projets d’infrastructures, puis de
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
projets d’équipements dans les pays en
développement, lesquels sont actuellement les
principaux bénéficiaires de son aide.
Au fil du temps, la BIRD s’est vue adjoindre quatre
structures complémentaires avec lesquelles elle forme
aujourd’hui le groupe Banque mondiale :
■ la Société financière internationale (SFI), née en
1956 pour stimuler la croissance du secteur privé
dans les pays en développement,
■ l’Association internationale de développement
(AID) créée en 1960 afin d’octroyer des crédits aux
pays ne pouvant accéder aux prêts de la BIRD,
■ le Centre international de règlement des différends
relatifs aux investissements (CIRDI) fondé en 1966,
■ l’Agence multilatérale de garantie des
investissements (AMGI) établie en 1988 afin de
promouvoir l’investissement direct à l’étranger.
Fonctionnant comme une banque classique, la BIRD
ne sélectionne que des projets suffisamment
rentables. Elle n’accorde des prêts qu’à des pays à
revenu intermédiaire, le taux d’intérêt fixé étant trop
élevé pour des Etats à faible revenu.
La BIRD compte actuellement 183 Etats membres,
qui doivent tous appartenir au Fonds monétaire
international. Elle est dirigée par un Conseil des
gouverneurs et des administrateurs.
Le Conseil des gouverneurs est théoriquement
l’instance souveraine. Il se réunit une fois par an en
Assemblée générale. Chaque Etat membre est
représenté par un gouverneur (souvent le ministre
des Finances ou le directeur de la Banque centrale du
pays membre) avec un suppléant. Le partage du
pouvoir au sein de la BIRD se fait en fonction de la
richesse de chacun et non de façon égalitaire entre
les Etats : chaque gouverneur dispose en effet de
250 voix, auxquelles s’ajoute 1 voix par tranche de
capital détenu, celui-ci étant proportionnel au
niveau économique du pays.
L’instance opérationnelle de la BIRD est le Conseil
d’administration, dont les 24 participants siègent en
permanence à Washington. Ils s’occupent de la
gestion quotidienne de la Banque, approuvent les
prêts et politiques, contrôlent les opérations et les
performances du portefeuille d’actions ainsi que les
stratégies d’assistance-pays. Les administrateurs
désignent également un président, qui est nommé
pour cinq ans. Celui-ci est traditionnellement
américain. Depuis juin 1995, le poste est occupé par
James Wolfensohn, dont c’est le deuxième mandat.
La distribution des sièges se fait de la manière
suivante : cinq pays, ceux dont la quote-part est la
plus importante, disposent d’un siège permanent.
Les Etats-Unis en détiennent 17,2 %, le Japon
6,1 %, la France, l’Allemagne et le Royaume Uni
chacun un peu plus de 4,5 % (un total de près de
28 % pour l’Union européenne). Trois autres sièges
sont dévolus à l’Arabie Saoudite, à la Chine et à la
Russie. Les 16 sièges restants sont occupés par des
administrateurs élus, pour deux ans, par les
175 autres pays répartis en 16 groupes (il peut y avoir
de 4 à 24 pays par groupe). Les 52 pays africains
représentent moins de 13 %, de même que les 33 pays
d’Amérique latine. L’Asie, hormis le Japon et la
Chine, totalise un peu plus de 5 % des droits de vote.
L’Association internationale
de développement (AID)
Officiellement, l’AID est une structure juridiquement
et financièrement indépendante de la BIRD. Force
est de constater toutefois qu’il existe une très étroite
imbrication entre les deux institutions. L’AID est
conçue de manière à pouvoir être administrée par la
BIRD. Elles ont le même président (James
Wolfensohn), partagent le même personnel et
réunissent globalement les mêmes pays : 160 pays
appartenant à la BIRD ont, à ce jour, adhéré à l’AID.
En tant qu’association, l’AID a pour vocation de
financer des programmes de lutte contre la pauvreté
en octroyant des crédits à long terme (35 à 40 ans),
à un taux d’intérêt très faible, dont les
remboursements peuvent être effectués en monnaie
locale. Cela concerne principalement des pays dont
le revenu ne dépassait pas 925 $ par an et par
habitant en 1996, pour les Etats bénéficiaires de
prêts en 1998 (environ 80 Etats au total). Certains
pays reçoivent des prêts de la BIRD et de l’AID. Si
cette dernière accorde des crédits à des conditions
moins rigoureuses que celles de la BIRD, les projets
doivent néanmoins être économiquement viables.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
L’évolution de la Banque
La Banque mondiale est aujourd’hui très contestée
en tant qu’institution tentaculaire qui enserre
l’économie des pays pauvres et en tant que suppôt
du capitalisme mondial au service des pays riches.
Pourtant, elle prétend lutter contre la pauvreté et
encourager la bonne gouvernance. Qu’en est-il
réellement ?
Dans le tiers monde, dès sa fondation, elle a été
appelée à soutenir et financer de grands projets
d’infrastructures (routes, barrages, centrales...),
considérés comme le soubassement du
développement économique (les deux tiers des prêts
en 1965). Au cours de sa longue présidence (entre
1968 et 1981) Robert Mc Namara orienta la Banque
vers “les besoins essentiels”. Cette nouvelle
orientation en faveur de l’éducation, l’aménagement
urbain, les projets agricoles et les choix industriels
conduisit la Banque mondiale à s’intéresser de plus
en plus aux politiques économiques et commerciales,
aux taux de change... et donc à poser des conditions,
qui prirent la forme des fameux “programmes
d’ajustement structurel” (PAS), avec une liste
drastique de critères à respecter.
Au cours des quarante dernières années, le volume
des prêts de la Banque mondiale a été multiplié par
dix. Ces opportunités financières sont essentielles
pour les pays les plus pauvres, et tout le jeu a
consisté à jouer au chat et à la souris. Sur 37 pays
africains impliqués dans des PAS au cours des deux
dernières décennies, les trois quarts n’ont pas ou peu
respecté les conditions imposées. Bien que le
couperet soit toujours menaçant (l’arrêt des prêts), la
Banque mondiale n’a pas les moyens d’agir en
dictateur avec les débiteurs, et les grands pays
“incontournables” comme la Russie ou la Chine ne
sont pas les seuls à ruser.
La Banque mondiale a énormément évolué, passant
des infrastructures (ressemblant fortement à l’épine
dorsale d’une économie planifiée) à la satisfaction
des besoins essentiels, aux plans d’ajustement
structurel “à visage humain”, à la lutte contre la
pauvreté et contre la corruption (ce qui ne semblait
pas la gêner quelques décennies auparavant), tandis
qu’aujourd’hui, on érige en dogme la “bonne
gouvernance” et le développement durable.
4/5
Au-delà des idéologies, la Banque mondiale a suivi
l’évolution des idées en se fondant dans le discours
du Programme des Nations unies pour le
développement (PNUD) sur la pauvreté, en essayant
d’intégrer les demandes des ONG, en épousant les
concepts de développement durable et de
préservation de l’environnement mis en avant par
l’ONU. Evidemment, les discours ont changé plus
rapidement que les actes, et la Banque doit
reconnaître ses erreurs, en particulier écologiques.
Elle a par exemple soutenu, que ce soit au Brésil, en
Indonésie ou en Côte d’Ivoire, des projets de
déforestation, de vastes étendues d’agriculture
extensive ou des barrages inadaptés, toutes formes
de projets productifs qui “oubliaient” la population
et l’environnement. Depuis, la Banque a fait de réels
mea culpa mais elle doit faire face à des
conservateurs américains qui regrettent la grande
époque des infrastructures et trouvent que la Banque
se disperse trop.
Si les incohérences économiques sont nombreuses
(difficulté d’infléchir un trop gros projet,
consultation des populations inexistante ou
inachevée, absence de stratégie de la part des
autorités...), les incohérences politiques ne manquent
pas : la Banque mondiale aide parfois des
gouvernements qui violent allègrement les droits de
l’Homme ou qui détournent ouvertement les fonds
ou les ressources issues des projets (pétrole, pierres
précieuses).
La Banque mondiale semble perméable aux flux et
reflux des réflexions sur le développement et aux
contradictions des acteurs avec lesquels elle est en
relation, des gouvernants bénéficiaires aux ONG en
passant par les experts et les représentants des pays
contributeurs. En ce sens, elle est en voie de
démocratisation. Elle a notamment su s’adapter en
“ humanisant” son action, c’est à dire en embauchant
des spécialistes des sciences humaines :
180 sociologues, anthropologues et autres géographes
travaillent actuellement parmi les 7 000 professionnels
de la Banque, alors qu’ils n’étaient que 4 en 1990. En
outre, la moitié de ses projets associent désormais des
ONG, à des degrès divers et dans la mesure où elles
ne remettent pas en cause le dogme libéral. Un réel
effort a été entrepris depuis l’accession à la présidence
de la Banque de James Wolfensohn, en 1995.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Paroles de présidents
(président de la Banque
mondiale depuis 1995)
“C’est un peu démoralisant de voir les gens se
mobiliser contre nous pour plus de justice sociale
alors que c’est exactement ce que nous faisons
chaque jour. Il n’y a aucun thème dont je ne sois
prêt à discuter. Je regrette seulement que ce débat
soit bloqué par des tentatives de nous empêcher de
nous réunir. La mondialisation représente le seul
moyen de faire accéder la population mondiale au
même niveau que celui des pays industrialisés. Ce
que nous essayons de faire est d’aider les gens dans
les pays pauvres à obtenir les mêmes chances que
les gens des pays riches. Les habitants des pays
riches y sont parvenus en ouvrant leurs frontières.
Si l’on regarde les treize dernières années, nous
avons probablement sorti de la misère absolue
entre 300 et 400 millions de personnes. Mais le
nombre de pauvres est resté à peu près le même en
raison de la croissance démographique. Nous
n’avons pas la direction de l’économie mondiale.
Nous traitons les problèmes sociaux et de pauvreté par pays et par région. En Corée et en Thaïlande, nous avons mis sur pied des programmes pour
l’enfance, les femmes, les chômeurs, pour diminuer
les effets des crises sur les individus. Avec mon collègue du Fonds monétaire international,
Horst Köhler, nous travaillons pour favoriser l’ouverture du commerce entre les pays en développement et les pays développés.”
James Wolfensohn,
(président de la Banque mondiale de 1968 à 1981)
Ancien secrétaire d’Etat à la défense des présidents
Kennedy et Johnson, il fait aujourd’hui partie,
à 85 ans, de la Coalition mondiale pour l’Afrique,
un forum qui milite pour une aide accrue en faveur
de ce continent.)
“Il est très difficile de mettre en place des politiques
efficaces de lutte contre la pauvreté. Pour une raison que l’on oublie souvent : pour donner aux
pauvres, il faut prélever une partie de la richesse
d’un pays pour la redistribuer et cette idée est dans
la plupart des cas rejetée par le reste de la population qui se sent pénalisée. La pensée économique,
Robert McNamara,
en tout cas aux Etats-Unis, reste dominée par l’idée
que des politiques de redistribution importante
nuisent à la croissance et qu’au bout du compte
cette option pénalise le pays tout entier. Pour ma
part, je n’en suis absolument pas convaincu, je pense que l’on peut consacrer des sommes importantes
pour la pauvreté sans pénaliser la croissance.
Au contraire, en investissant sur les pauvres, en
leur donnant les moyens de se former ou de profiter
du progrès technique, on enrichit à terme le pays.
La mission de la Banque mondiale ne consiste pas
seulement à faire du développement économique,
elle doit aussi se préoccuper de développement
humain. Ce sont les personnes à la limite de la subsistance, qui n’ont accès ni à l’éducation ni à
la santé et dont les besoins alimentaires sont à
peine assurés, qu’il faut aider en priorité. James
Wolfensohn a repris avec passion ce combat de la
lutte contre la pauvreté, il faut s’en réjouir, même
si je redoute qu’il se heurte comme moi à la faiblesse des leaders politiques. Pour imposer la lutte
contre la pauvreté comme une priorité nationale, il
faut beaucoup de courage politique. Je ne jette pas
la pierre aux pays en développement. Chez nous
aux Etats Unis, nous sommes le pays le plus riche
du monde et nous avons 40 millions de pauvres.
Aucun homme politique n’a été jusqu’à présent
capable de prendre des mesures pour résoudre cette situation. Beaucoup de gouvernements n’ont pas
voulu prendre les mesures nécessaires. En 1968,
par exemple, la plupart des pays d’Afrique et la
Corée se trouvaient dans la même situation en terme de développement. Aujourd’hui, la Corée fait
partie des pays industrialisés et les conditions de
vie de l’ensemble de la population ont progressé.
La Chine aussi s’est engagée depuis plusieurs
années sur le chemin de la lutte contre la pauvreté
par des mesures concrètes. Peu de leaders africains
ont cette préoccupation aujourd’hui. Ceci dit, il est
impératif de soulager les plus pauvres du fardeau
de la dette et l’attitude des Etats Unis est pour moi
honteuse. Le pays le plus riche du monde est celui
qui fait le moins d’effort ! Mais je le répète, l’insuffisance de l’aide publique n’est pas la principale cause des échecs observés”.
(Citations extraites de l’interview de John Wolfensohn par Babette Stern, Le Monde, 26 avril 2001, de l’article du 15 avril 2000, “Le rôle et l’efficacité du FMI et
de la Banque mondiale contestés” et de l’interview de R. McNamara par Laurence Caramel dans le Monde du 19 septembre 2000)
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Le FMI, pour le moins bon
et pour le pire
Tout comme pour la BIRD, l’évolution de la
conjoncture internationale a conduit le FMI à
redéfinir son rôle. En effet, avec les crises pétrolières
et la fin de la parité fixe entre le dollar et l’or - qui a
signé l’effondrement du système mis en place après
la guerre - la mission initiale qui lui avait été
assignée a pris fin.
Les banques commerciales étant devenues méfiantes
vis-à-vis des pays en développement en raison de la
crise de la dette, le FMI assure désormais la fonction
de prêteur en dernier ressort. Il a pour vocation de
renflouer les économies en difficulté, afin de rétablir
la confiance de la sphère privée. Les prêts se font
sous certaines conditions et sont assujettis à la mise
en place de programmes d’ajustement structurel
(PAS), qui imposent la libéralisation de l’économie.
Le Fonds monétaire international - qui compte
183 Etats membres - s’organise pratiquement selon
le même schéma que la Banque mondiale, avec la
même répartition des sièges.
Le Conseil d’administration est présidé par un
Directeur général (sans droit de vote, sauf en cas de
partage), élu pour cinq ans. Celui-ci est
traditionnellement européen. Chef du personnel du
FMI, il est investi d’un rôle diplomatique essentiel,
organise la mise en œuvre des décisions et oriente la
politique de l’institution. Horst Köhler a succédé en
juin 2000 à Michel Camdessus qui occupa ce poste
pendant 13 ans.
Le Fonds monétaire International est à la base une
grande tontine mondiale ouverte à tous ses
membres, sachant que les cotisations sont
évidemment inégales. De son pouvoir financier qui
paraît technique, le FMI tire une grande influence
politique. Que le FMI ait refusé de porter à bout de
bras la déroute argentine récurrente serait plutôt bon
signe, car l’argent du FMI ne doit pas servir à
masquer les inepties gouvernementales et la fraude
fiscale. Toutefois, force est de constater que la
rigueur qu’il applique aux Etats présente deux poids,
6/7
deux mesures. La Russie est bénéficiaire de dizaines
de milliards de prêts et connaît aussi un taux record
de fuite des capitaux et de détournements de fonds.
La mansuétude actuelle à l’égard du Pakistan est,
elle aussi, éminemment conjoncturelle. Fin
septembre 2001, le Pakistan a reçu un crédit de
135 millions de dollars . Ne serait-ce pas en
remerciement de s’être placé du “bon côté” ?
On voit bien souvent des prêts accordés ou refusés
avant les élections, comme ce fut le cas en 1998 au
Brésil pour favoriser l’élection du président Cardoso.
Reconnaître que le FMI, à l’instar de la Banque
mondiale, est une institution politique, rend caduque
la légitimité de la répartition du pouvoir, purement
financière. Les Etats doivent être mieux représentés
et donc mieux impliqués et responsabilisés dans les
actions de l’institution. En impliquant davantage les
Etats, on renforcera la légitimité politique des
institutions financières.
Le FMI emploie 2 300 personnes. Excessivement
centralisée, cette institution est par nature éloignée
de la réalité des pays qui seront pourtant les
premiers concernés par les décisions prises.
Cela explique les erreurs grossières de certaines
mesures d’accompagnement d’où découle la perte de
crédibilité de l’institution, et la dégradation
constante de la qualité des relations que le FMI
entretient avec les pays bénéficiaires. On remarque
en effet que la provenance des salariés recoupe
grossièrement les quotes-parts, c’est à dire que les
deux tiers d’entre eux viennent des pays
industrialisés.
Le manque de transparence de la comptabilité du
FMI ne permet pas aux Etats membres de disposer
d’une vision claire de la situation financière de
l’institution. Le FMI est par exemple la seule
organisation internationale dont les écritures
comptables ne contiennent aucune information sur
l’ampleur de ses actifs ni de ses passifs.
Le FMI a franchi de grandes évolutions de langage
jusqu’à sa notion fétiche du jour qu’est la “bonne
gouvernance”. Ce terme fait référence à divers
aspects de la vie publique dans une société
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
démocratique : respect de l’Etat de droit, gestion
efficace et équitable des dépenses publiques (bonne
administration), responsabilité des dirigeants
politiques et transparence. Lancée au départ pour
respecter chaque régime au pouvoir tout en exigeant
une base minimale d’honnêteté (en particulier la
lutte contre la corruption), les pays en
développement refusent pour la plupart ce nouveau
concept aux contours imprécis, soupçonné de
masquer une vision unique du développement. Non
dénué d’ambiguïté, ce terme a l’avantage de sortir le
FMI du carcan économiciste derrière lequel il s’est
longtemps protégé, pour le plonger si peu que ce soit
dans l’altérité politique et culturelle.
Les diverses crises financières qui se sont succédées
en Asie, en Russie et en Argentine ont rendu le FMI
plus modeste quant à son rôle (il n’est pas
omnipotent) et plus humble quant à sa capacité à
prévenir ces crises. Il peut ne pas en être
responsable, mais on lui reprochera de ne pas avoir
vu venir ces raz-de-marée car il est de son devoir
originel de stabiliser les monnaies. Le FMI s’est donc
attaché à renforcer ses instruments de détection, de
prévention et de résolution des crises au sein d’un
nouveau département, opérationnel depuis
le 1er août 2001. Il s’est doté de nouvelles facilités,
dont une ligne de crédit préventive pour décourager
les attaques spéculatives. Mais peu d’Etats ont
jusqu’alors utilisé ce mécanisme considéré comme
signalant trop explicitement aux marchés les risques
supportés par le pays.
Le FMI appelle à la rescousse le secteur privé afin
de lui faire jouer un rôle constructif dans le
processus de résolution des crises. Il faut dire que
les banques et les investisseurs financiers ont pris
ces dernières années des risques inconsidérés, en
comptant sur les pouvoirs publics pour venir les
sauver en cas de problème. C’est d’ailleurs l’une des
causes des crises financières internationales.
Et c’est ce qui a conduit le FMI à obliger les
banques privées à participer au plan de sauvetage
de l’Argentine à hauteur de 1,5 milliard d’euros.
Les brigands ne sont pas toujours ceux que
l’on croit…
Des fonds monétaires régionaux ?
Malgré ces évolutions, le FMI n’entend pas lâcher
prise quant à sa position hégémonique sur la
gestion et la prévention des crises financières.
C’est ce que nous montre l’expérience asiatique
sur le projet de construction d’une structure
régionale et autonome de gestion des crises. L’idée
est née suite à la crise financière asiatique de 1997
et 1998. Devant la gestion catastrophique du
FMI, les pays asiatiques ont essayé de mettre en
place des instances régionales capables de gérer
les crises financières sans avoir recours à la
communauté internationale. En 1997, le Japon a
envisagé alors de créer un “Fonds monétaire
asiatique”. Il n’a pas pu voir le jour, sous la
pression conjuguée du FMI et des Etats-Unis qui
voyaient là un crime de lèse-majesté. Au début de
l’année 2001, sous des abords plus modestes,
l’initiative a été remise au goût du jour par treize
pays asiatiques qui envisagent de faciliter les
échanges de devises en cas de difficultés de
paiements d’un des membres.
Le FMI ne souffre pas la concurrence. Il s’est
hâté de rappeler qu’il était le seul à pouvoir
définir les conditions de sortie de crises. Sans
s’opposer ouvertement à l’initiative, le FMI
exige désormais que le processus d’ensemble
soit soumis à ses exigences. Bien que
diplomatique, le bras de fer n’est pas terminé,
les pays asiatiques ayant de plus en plus de
moyens pour résister à l’influence des
institutions financières internationales et de
leurs bailleurs principaux.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
LES PRINCIPALES
CARENCES DU SYSTEME
L’emprise des pays riches
Comme le nombre de voix détenu au sein des
Conseils d’administration de la Banque mondiale et
du FMI est fonction des parts de capital et donc du
niveau économique de chaque Etat, les riches
décident et imposent aux pauvres les politiques à
suivre. Le FMI régente les politiques des pays les
plus pauvres mais ne s’immisce pas dans celles des
plus riches. Les Etats-Unis, par exemple, sont le pays
le plus endetté du monde, ce qui concourt à
déstabiliser le système monétaire et financier
international. Mais jamais le FMI ne s’est enhardi à
exprimer la moindre suggestion de politique
financière aux USA !
Les Etats-Unis sont du reste en mesure de s’opposer
à tout projet. Bien que la majorité des décisions
soient prises sur le mode du consensus, la minorité
de blocage est de 15 % en cas de vote pour les
décisions importantes. Or, les Etats Unis détiennent
plus de 17 % des voix, ce qui leur permet, de fait,
de disposer d’un droit de veto. Il faut dire que si
l’Europe parlait d’une seule voix, elle disposerait
d’une réelle influence car les pays de l’Union
Européenne totalisent 28 % des voix.
Des moyens de contrôle
insuffisants
L’attitude de la Banque mondiale se distingue de
celle adoptée par le FMI car leurs conditions de
travail sont bien différentes. Du fait que le FMI
octroie des prêts aux gouvernements, l’institution
n’est pas en contact direct avec la société civile. Les
actions de la Banque, elles, concernent des projets
concrets qui intéressent directement la population.
La Banque mondiale s’avère donc plus sensible aux
critiques exprimées par les citoyens.
Toutefois, les institutions financières internationales
restent opaques et aucun contrôle formel ne peut être
réellement exercé par la population. Si les citoyens
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nord-américains peuvent connaître la position de leur
administrateur, il en va différemment pour la grande
majorité des habitants des autres pays.
Un administrateur représente souvent plusieurs
Etats : le Mexicain, par exemple, représente un
groupe de neuf pays - Costa Rica, Salvador,
Espagne, Guatemala, Honduras, Mexique,
Nicaragua, Venezuela. Sa position est-elle le résultat
d’un consensus entre tous les pays du groupe ?
Une décision prise à la majorité ? Est-ce le pays qui
dispose du plus grand nombre de voix qui a imposé
son choix ? Il n’existe pas de règle définie en la
matière et donc pas de réponse claire. Qui plus est,
bon nombre d’administrateurs se refusent à
divulguer des informations, avec l’accord tacite des
institutions, sous le prétexte d’une confidentialité des
relations avec les pays emprunteurs. En réalité, on
devine aisément qu’ils préfèrent conserver le secret
sur les politiques économiques qui vont être
appliquées dans leur pays.
La communication de la Banque mondiale est
constituée de nombreuses revues sur ses actions
(Banque mondiale Actualités, OED Précis...) ou
l’état d’avancement de ses recherches (World Bank
Economic Review...) et elle organise des réunions
avec des représentants de la société civile, au cours
desquelles elle présente les documents importants
(Rapport sur le développement dans le monde,
Financement global du développement...). Un certain
nombre d’informations sur la Banque demeurent
toutefois inaccessibles, notamment celles qui se
rapportent à l’orientation de sa politique, à
l’affectation des prêts et à la mise en place des
différentes évaluations (concernant les projets, les
politiques mais aussi les départements de
l’institution). Il est aussi difficile de se procurer les
rapports des missions de supervision, de suivi, de
conclusion et d’audit de performance, ainsi que les
données se rapportant aux stratégies et études
d’assistance-pays, qui établissent les orientations
économiques d’un Etat.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
L’exemple caricatural du mauvais projet :
l’oléoduc Tchad - Cameroun
Un consortium international composé d’Elf
Exxon et Shell s’est lancé en 1992 dans un gigantesque projet pétrolier au Tchad et au Cameroun.
Il s’agissait d’exploiter le pétrole tchadien de la
région de Doba, dans sud du pays, par la
construction de 300 puits et d’un oléoduc de plus
de 1 000 kilomètres de long traversant le Cameroun jusqu’au port de Kribi, sur l’Océan
Atlantique. Ces entreprises ont fait appel à des
financements publics dont ceux de l’Association
internationale de développement, l’AID, filiale de
la Banque mondiale chargée des programmes de
lutte contre la pauvreté. Et la Banque mondiale
n’a pas dit non ! Quid de la déforestation et des
déplacements de populations consécutifs à la mise
en œuvre de ce vaste oléoduc ? Quid de la redistribution des revenus pétroliers dans des kleptocraties aussi renommées ? Les dirigeants ayant souvent beaucoup de mal à faire la distinction entre
biens publics et biens privés ont du être mis sous
tutelle. Au Tchad, la direction du Trésor a été
contrôlée pendant plusieurs années par une société suisse, la Cotechna, à la demande des bailleurs
de fonds. Au Cameroun, pendant plus de vingt
ans, les revenus du pétrole n’étaient pas comptabilisés dans le budget public !
Les levées de bouclier des ONG au niveau international dès 1997 (en France, avec la campagne
“Banque mondiale, pompe A’frique des compagnies pétrolières”) ont eu un large écho, tant le
projet était déconnecté des réels besoins de la
population (le Tchad est l’un des pays les plus
pauvres du monde avec un revenu annuel par
habitant de moins de 200 dollars...). Après trois
ans d’âpres bagarres entre les gouvernements
pressés de toucher la manne pétrolière et les ONG
soucieuses d’avoir toujours plus de garanties sur
la répartition des revenus au profit des populations, Elf et Shell ont annoncé qu’elles se retiraient
du consortium. Trop compliqué. De plus, le
pétrole n’est pas de première qualité et les réserves
sont moyennes. Alors si en plus il faut contrôler
en aval les revenus... L’Américain Chevron et le
Malaisien Petronas ont pris le relais. Ce dernier
est fortement implanté au sud Soudan avec la
bénédiction du régime de Khartoum, mais cela ne
semble pas choquer les responsables de la Banque
mondiale.
Le temps a permis de prendre certaines précautions écologiques (l’oléoduc suivra la route pour
éviter la déforestation) et il contournera les villages afin que les déménagements forcés soient
réduits (seulement 160 familles dans la zone d’extraction disent les 19 volumes de rapports). En
juin 2000, la Banque mondiale a donné son
accord pour un financement de 293 millions de
dollars sur les 3,7 milliards du coût total du projet, avec un drastique cahier des charges environnementales et sociales. La Banque mondiale a
aujourd’hui bien du mal à faire respecter les
“garanties” annoncées. Quelques semaines après
la décision du Conseil d’administration, Idriss
Déby confirmait sa détermination à détourner la
rente pétrolière pour renforcer son régime militaire en achetant pour 4 millions de dollars
d’armes avec l’argent versé par le consortium.
L’armée terrorise la population dans la région de
Mondou. Les violations du droit du travail sur les
chantiers des sous-traitants ont donné lieu à des
grèves au Cameroun et les opportunités d’emploi
sont bien moindres que ce qui était annoncé.
Enfin, les pygmées sont exclus des mécanismes
d’indemnisation car ces nomades n’ont pas de
titres fonciers ni de cartes d’identités.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Le problème du contrôle se pose aussi en termes plus
proprement politiques. En principe l’ONU adresse
des directives aux organisations qui lui sont
rattachées. Mais le Fonds monétaire international et
la Banque mondiale sont considérés comme des
institutions à part : elles ne reçoivent que des
recommandations, lesquelles sont rédigées après
consultation des intéressés. Il n’existe donc, de ce
point de vue, aucune surveillance véritable.
Ceci étant, il faut reconnaître que la Banque
mondiale s’efforce, depuis plusieurs années, de
clarifier sa politique. En 1974, elle a créé un
Département d’évaluation des opérations, qui
examine les performances des projets et des
stratégies. En 1993, la Banque mondiale a mis en
place un Panel d’inspection destiné à améliorer la
transparence et la fiabilité de ses opérations. Ce
Panel permet à la société civile de se défendre contre
les projets qu’elle considère comme néfastes pour la
population et l’environnement. Depuis le début de
ses activités, en septembre 1994, 22 requêtes ont été
déposées. Elles portent sur l’évaluation
environnementale, la réduction de la pauvreté, le
déplacement involontaire et la réinstallation des
populations, les mécanismes de consultation des
populations... Ces initiatives constituent une
avancée, mais demeurent insuffisantes. En effet, les
organismes d’évaluation restent rattachés à
l’institution, ce qui restreint leur indépendance. De
plus, si la Banque mondiale reprend de plus en plus
le discours des ONG dans ses directives, la mise en
application laisse à désirer.
De son côté le FMI s’est lui aussi doté d’une unité
d’évaluation. Elle est opérationnelle depuis avril 2001,
et se cantonne aux évaluations ex post, c’est à dire
une fois le projet entièrement terminé. De nombreuses
voix s’élèvent d’ores et déjà pour dénoncer le manque
d’indépendance de l’unité d’évaluation vis à vis du
FMI et plaident pour la mise en place d’une structure
d’évaluation externe et indépendante, qui inclurait
dans son champ de compétences les aspects sociaux et
environnementaux des politiques du FMI et devrait
être assortie d’un mécanisme de recours permettant
aux populations affectées par les programmes du FMI
de défendre leurs droits.
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Des objectifs non respectés
Initialement, la mission de la Banque mondiale était
de fournir aux Etats membres une aide à la
reconstruction dans le contexte de l’après-guerre.
Aujourd’hui, elle s’est fixé comme objectifs la
réduction de la pauvreté et l’amélioration des
conditions de vie dans les pays en développement.
Le titre du Rapport sur le développement dans le
monde 2001 de la Banque mondiale, “Combattre la
pauvreté”, illustre bien cette orientation. Plus
précisément, les prêts de la BIRD et de l’AID doivent
financer des projets et des programmes qui
“stimuleront le progrès économique et social de
sorte que les populations vivent mieux” (Rapport de
la Banque mondiale 1998).
Pourtant, la Banque mondiale applique une
politique de libéralisation qui s’accompagne de
coupes sévères dans les programmes sociaux et
environnementaux. Du coup, celle-ci se retrouve
obligée de mettre en place des “filets de protection
sociale” afin de protéger les populations vulnérables.
Le rôle de la Banque mondiale est pour le moins
paradoxal : à la fois institution de lutte contre la
pauvreté et banque, elle doit justifier les
investissements en éducation, santé, environnement indispensables pour lutter de manière durable contre
la misère - selon des critères économiques et
financiers. Et comme elle est “bien gérée”, depuis
1948, elle réalise chaque année des bénéfices...
Le FMI, chargé de veiller à l’amélioration de
l’environnement économique mondial, préconise
quant à lui des mesures qui entraînent une
diminution du pouvoir d’achat des habitants des
pays concernés. Ces mesures sont si brutales qu’elles
provoquent parfois des émeutes populaires.
Cela s’est produit dernièrement en Indonésie et en
Corée du Sud, mais aussi auparavant au Venezuela,
en Zambie... Quant à son action en matière de
stabilité du système monétaire mondial, les crises
survenues successivement en Asie, en Russie ou au
Mexique ont témoigné assez clairement du peu de
fiabilité de ses prévisions et de l’inefficacité de ses
interventions.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Une influence croissante dans
l’économie du développement
Quel que soit le pays, le Fonds monétaire
international et la Banque mondiale appliquent les
mêmes recettes économiques. Il n’existe pas de réel
débat qui permette d’envisager des modèles
alternatifs de développement. Certes, de temps à
autre, au cas par cas, la société civile obtient parfois
satisfaction sur des projets précis. Mais le modèle
global de développement n’est jamais véritablement
remis en question. Et pour cause, les institutions
financières internationales dominent le monde de la
recherche en économie du développement.
Ainsi, est-il besoin de le rappeler, le Rapport sur le
développement dans le monde, publié chaque année
par la Banque mondiale, est l’un des documents les
plus lus dans ce domaine (200 000 exemplaires
diffusés). Le manque de publications alternatives de
cette ampleur contribue du reste à conférer aux
rapports de la Banque une autorité difficilement
contestable.
Au niveau du recrutement du personnel des deux
institutions, il n’existe pas non plus d’ouverture vers
d’autres modèles de développement. En effet, si le
FMI et la Banque mondiale appliquent des quotas de
recrutement par pays, cette représentativité n’est pas
la garantie d’une pluralité intellectuelle car le
personnel, quelle que soit sa nationalité, sort des
mêmes universités : Harvard, Oxford, London
School of Economics, MIT (Massachusetts Institute
of Technology)... Sa conception du développement et
de l’économie est donc très homogène.
La Banque mondiale et le FMI sont également très
puissants en raison de l’attraction qu’ils exercent sur
les étudiants et les chercheurs, notamment ceux des
pays du Sud. Parmi les personnes qui quittent
ensuite ces institutions pour retourner dans leur
pays, nombre d’entre elles se retrouvent à des postes
importants (Banque centrale, ministères) en charge
du financement du développement. Ce qui facilite les
négociations...
Enfin, la sphère d’influence de la Banque mondiale
s’est également élargie aux principales agences de
développement, en particulier au Programme des
Nations unies pour le développement (PNUD) et au
Fonds pour l’environnement mondial (FEM).
Ce dernier organisme repose sur une association
entre la Banque mondiale, le PNUD et le Programme
des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Il a
été créé en 1991 pour renforcer les investissements
en faveur de la protection de l’environnement et
devrait être indépendant de toute autre institution.
Dans la réalité, son secrétariat est assuré par la
Banque mondiale, qui agit comme administratrice
du Fonds. Gérant plus de 60 % des projets du FEM,
elle influe naturellement sur ses pratiques.
Plus récemment, la Banque mondiale a étendu sa
sphère d’influence par le biais de la mise en place de
nombreux programmes de lutte contre le sida. Elle
se positionne pour jouer un rôle central dans le
futur Fonds multilatéral pour la santé destiné à
lutter contre le sida, la malaria et la tuberculose.
Pourtant, des agences des Nations unies, telles que
l’OMS (Organisation mondiale pour la Santé) ou
l’ONUSIDA, sont, par nature, à même de remplir
cette mission.
La Banque mondiale est donc bien dans une stratégie
d’extension de son domaine de compétence au
détriment d’autres institutions susceptibles de
promouvoir un autre modèle de développement.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
LES ACTIONS DES ONG
POUR PLUS DE
TRANSPARENCE
ET DE DEMOCRATIE
Nous venons de le voir, les griefs à l’encontre de la
Banque mondiale et du FMI sont multiples.
Ils découlent du mode de répartition du pouvoir, du
non-respect des objectifs et d’un contrôle insuffisant
accentué par un difficile accès à l’information. En
outre, la mission qui a été assignée à ces institutions
n’est pas toujours respectée alors même qu’elles
s’imposent comme référence en matière d’économie
du développement. Tous ces défauts de
fonctionnement reposent sur un mauvais pli originel
commun : l’absence de démocratie, et donc de
transparence.
Pour les ONG, il s’agit de limiter les compétences de
ces institutions à leur mission initiale et de leur
refuser la tutelle exercée sur les pays pauvres par le
bloc majoritaire des actionnaires de l’économie
mondiale qui dirigent aujourd’hui ces institutions.
FMI et Banque mondiale doivent être intégrées au
système des Nations Unies qui présente le double
avantage, au niveau de ses principes, de ne pas
reposer sur des suffrages censitaires (ce n’est pas un
dollar = une voix, mais un Etat = une voix) et
d’avoir la Déclaration universelle des droits de
l’Homme en préambule de sa charte. L’évaluation de
ces institutions et de leurs politiques devrait être
confiée à l’une des instances des Nations Unies.
Cinq campagnes internationales vont dans ce sens,
l’une contre l’Organisation mondiale du commerce
(OMC), une autre contre la spéculation financière et
pour la taxe Tobin, la campagne pour l’annulation
de la dette, celle pour la réforme des institutions
financières internationales et la campagne sur les
firmes transnationales. En France, un réseau
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d’associations, coordonné par Agir ici, l’AITEC et le
CRID (cf. pp. 22-23) travaille spécifiquement sur la
réforme des institutions financières internationales
en lien étroit avec la plate-forme Dette et
développement qui centre son action sur
l’annulation de la dette.
La mobilisation pour l’annulation
de la dette, un modèle du genre
“Pour l’an 2000, annulons la dette !” constitue le
maillon français de la campagne internationale Jubilé
2000. Lancée en février 1999 par près de soixante
associations de solidarité internationale, cette
campagne a obtenu des résultats inattendus en
quelques mois seulement, 520 000 personnes ont
signé la pétition demandant l’annulation de la dette
des pays pauvres très endettés. Des conférences,
animations, séances de signatures publiques ont été
organisées partout en France. Malgré la complexité
du sujet, un important travail de sensibilisation et
d’éducation au développement a été accompli, travail
qui a permis d’aborder une réflexion plus large sur les
mécanismes économiques et financiers entre pays du
Nord et du Sud, grâce aussi au relais de la presse. Les
représentants de la campagne française ont été reçus à
Bercy par le ministre des Finances et le ministre
délégué à la Coopération. D’autres rencontres avec
leurs conseillers ont permis de suivre l’avancée des
négociations au sein du G7 et du Club de Paris. Une
conférence de presse a pu être organisée à Bercy, en
présence des deux ministres, pour que leur soient
symboliquement remises les signatures recueillies et
pour dresser le bilan de la campagne française.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Les avancées du G7 de Cologne
Le 19 juin 1999 à Cologne, lieu de réunion du G7,
les campagnes du monde entier se sont réunies en une
formidable chaîne humaine de 35 000 personnes sur
plus de dix kilomètres à travers les rues. 17 millions
de signatures ont été remises aux représentants du
G7. Les délégués de la campagne française ont été
reçus par les conseillers de MM. Jospin et Chirac.
La campagne internationale a porté ses fruits.
La déclaration finale du G7 appelle de ses vœux
“un allégement de la dette plus rapide, plus large et
plus radical”. Le G7 a annoncé des montants
d’annulation bien supérieurs à ceux décidés par le
passé. 70 milliards de dollars de dette annulés
(dont 20 milliards au titre de l’aide publique au
développement et 50 au titre des dettes
multilatérales ou commerciales).
Le G7 reconnaît ainsi les limites et surtout les
lenteurs de l’initiative pour les pays pauvres très
endettés (PPTE) mise en place lors du G7 de Lyon en
1996. A ce jour, sur les 42 pays concernés par cette
initiative, vingt d’entre eux ont réellement bénéficié
des allégements, après avoir entamé ce processus lent
et complexe qui soulage les pays très endettés vis-àvis de leurs créanciers publics, Etats et organisations
internationales. Ceux-ci font valoir en général qu’ils
annulent 90 % de la dette extérieure d’un pays.
Or si l’on applique tous les mécanismes à la
Tanzanie, par exemple, on s’aperçoit que seulement
54 % de la valeur actuelle nette de la dette sera
effectivement annulée. Certes, l’allègement est
notable, le service de la dette ne représentant plus
que 7 % du budget en 2001 contre 19 % en 2000.
De plus, 3 milliards de dollars sont consacrés à des
dépenses très contrôlées dans le cadre stratégique de
réduction de la pauvreté. Mais il ne s’agit en aucun
cas d’une annulation. Quand on demande à James
Wolfensohn pourquoi la Banque ne va pas jusqu’à
l’annulation, voici sa réponse (in Le Monde, 26 avril
2001) : “Nous avons annulé la dette jusqu’à 65 %
des pays éligibles et diminué les remboursements de
7 % environ du Produit intérieur brut à 2 %.
Maintenant, certains voudraient que nous annulions
la dette de 62 pays, mais nous n’avons pas l’argent
pour cela. Si l’on parle de 62 pays (42 pays pauvres
et 20 pays à revenus intermédiaires), le montant,
rien que pour la Banque mondiale, serait de
29 milliards de dollars, ce qui correspond au capital
de la Banque. Je veux bien le faire, mais soit je mets
la clef sous la porte, soit les actionnaires acceptent
une augmentation de capital. En 55 ans, les
actionnaires ont versé entre 10 et 11 milliards de
dollars cash. Le reste vient de nos investissements.”
La campagne sur la dette se poursuit désormais dans
plusieurs directions complémentaires :
■ La définition d’un droit international régissant la
dette sur le modèle de la législation nationale de
protection des ménages surendettés, en limitant
notamment les remboursements en fonction des
capacités d’exportation.
■ La mise en place d’une cour internationale
d’arbitrage, qui interviendrait en cas de difficulté
de remboursement pour juger des responsabilités
des emprunteurs, des prêteurs et des fournisseurs,
les ONG pouvant se porter partie civile.
■ La poursuite des efforts de lutte contre la
corruption, afin de récupérer l’argent détourné à
des fins personnelles et placé à l’étranger par les
dirigeants des pays endettés. Selon un rapport des
Nations Unies, la corruption coûte extrêmement
cher, particulièrement en Afrique où l’on estime
qu’au moins 30 milliards d’aide internationale ont
été détournés. Selon le programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD), “la bonne
gouvernance est le chaînon manquant entre la lutte
contre la pauvreté et sa réduction effective.”
■ La réforme politique des institutions financières
internationales pour qu’elles œuvrent en faveur
d’un développement durable.
Changer le fonctionnement
Annuler la dette ne suffit pas à résoudre le problème
de l’endettement dans la mesure où c’est tout un
système qu’il faut réformer, à savoir le système qui a
généré la dette et pourrait en générer d’autres malgré
tous les processus d’allègement. Dans cette optique
les Institutions financières internationales doivent
être profondément réformées.
Les contrats passés entre le FMI et les pays
emprunteurs ne sont pas des accords internationaux.
Ainsi, ils n’ont pas besoin d’être ratifiés par les
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
parlements nationaux ni discutés publiquement. Ils
sont négociés par les élites nationales qui y sont
généralement favorables, dans la mesure où elles en
tirent bénéfice. On estime que la corruption des
élites du Sud a entraîné le détournement de près de
30 % des fonds prêtés par les Institutions financières
internationales au cours des vingt dernières années.
La grande majorité des citoyens des pays concernés
se trouve de son coté exclue des choix de société qui
lui sont imposés.
En décembre 1998, sous la pression de milliers de
citoyens qui avaient écrit à leur député, le Parlement
français a demandé au gouvernement de lui remettre
chaque année un rapport présentant les positions
défendues par la France au FMI et à la Banque
mondiale, ainsi que l’ensemble des opérations
financières entre la France et les deux institutions. En
effet, les positions de l’administrateur français à la
Banque et au FMI émanent directement du Trésor et
sont difficiles à connaître pour les parlementaires.
Une ONG américaine et une ONG coréenne
mettent un pied dans la porte des IFI...
Bank Information Center, une organisation indépendante américaine, travaille sur les projets de la
Banque mondiale à la façon d’un audit et traque
ceux qui lui semblent incompatibles avec l’environnement ou le développement social. Ainsi, ce
bureau d’étude associatif refuse la construction
du pipeline de 1 000 kilomètres entre le Tchad et
le Cameroun qui entraînerait d’importantes déforestations et des déplacements de populations. Le
prêt, destiné à financer la réforme de la propriété
foncière au Brésil, semble pour cette association
incapable d’assurer une redistribution équitable
et transparente des ressources aux populations
bénéficiaires. Ces projets ont d’ailleurs fait l’objet
d’une plainte auprès du Panel d’inspection de la
Banque, un département indépendant chargé
d’auditer les politiques en cours. En juillet 2000,
les organisations militantes ont obtenu un gros
succès avec l’annulation d’un prêt à la Chine. Il
s’agissait de développer l’agriculture dans l’ouest
du pays, moyennant le déplacement de 58 000
Chinois vers le Tibet. Malheureusement, la Chine
a décidé de se passer de ce prêt et le projet est déjà
14 / 15
en cours. Cette expérience aura montré que les
ONG jouissent d’une petite marge de manœuvre
dans les décisions de la Banque mais que cela ne
résout pas tout.
Le Taegu Round Korea Commitee, composé
d’universitaires, d’associations, de syndicats et de
groupes religieux, a déposé en 1999 une plainte
contre le FMI, auprès de la cour de Justice de
Séoul, pour les nombreuses erreurs commises lors
de la gestion de la crise traversée par le pays. La
plainte a été rejetée récemment car le Tribunal s’est
déclaré incompétent, le FMI bénéficiant de l’immunité des organisations intergouvernementales.
Dès lors, auprès de qui porter plainte ? Sans
attendre la création d’un tribunal administratif
international où le FMI, la Banque mondiale ou
l’OMC auraient à rendre des comptes pour
d’éventuelles violations des droits fondamentaux
causées par les politiques qu’ils imposent, des
organes nationaux compétents devraient permettre aux populations de défendre leurs droits
dans tous les pays du monde.
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
De plus, les budgets alloués aux IFI sont votés
globalement, ce qui ne laisse aucune prise aux
Parlementaires sur leur affectation. Quand on regarde
les autres pays, on s’aperçoit que beaucoup ont mis en
place des procédures de contrôle plus poussées. En
Allemagne, des parlementaires font partie, à titre
d’observateurs, de la délégation du pays lors des
Assemblées générales du FMI et de la Banque. En
Italie, le ministre du Trésor est auditionné par la
Commission des Affaires Etrangères du Parlement
sur les positions de l’Italie dans ces instances. Au
Canada, le ministère des Finances produit un rapport
annuel et reste en lien avec une sous-commission
parlementaire spécialisée. Le souci de contrôler la
position des pays donateurs dans ces instances par
leurs parlementaires est donc partagé par tous.
Ces dernières années, d’ailleurs, sous la pression des
ONG internationales, des efforts ont été consentis
par la Banque mondiale en matière de transparence
et de consultation, directement, sans passer par les
représentants nationaux. Elle a notamment mis en
place des mécanismes d’information et de
participation de la société civile. Cependant, malgré
la bonne volonté de départ, les engagements sont
souvent bafoués lors de la mise en œuvre des projets.
Faute de mécanisme de recours et de sanctions,
l’administration de la Banque mondiale ne subit pas
de rappels à l’ordre pour la violation de ses propres
recommandations ou le défaut de surveillance de
l’utilisation de ses propres fonds.
Les efforts sont nettement moins visibles du côté du
FMI, pourtant fervent défenseur des principes de
“bonne gouvernance” : transparence, responsabilité,
démocratie. Mais pour le FMI, la transparence se
limite pour l’instant à l’information concernant les
mouvements de capitaux sur les marchés financiers.
Lancée entre avril et octobre 1999, la campagne sur
la transparence des IFI se poursuit, et avec elle l’idée
d’un véritable contrôle parlementaire fait son
chemin. Une structure permanente de contrôle des
institutions financières et commerciales est
actuellement à l’étude.
Ouvrir un véritable débat en France sur les
institutions financières internationales et favoriser le
contrôle parlementaire sont des actions importantes
qui accompagnent le travail sur la démocratisation
des institutions en tant que telles. L’idée étant bien
sûr de rééquilibrer le rapport de force dans les
instances décisionnelles en faveur des pays du Sud.
Réformer les PAS et permettre
l’expression et l’évaluation de
la société civile
En septembre 1999, le FMI a affiché une ambition
similaire à celle de la Banque, lors de leur Assemblée
générale commune, à savoir la lutte contre la
pauvreté. Paradoxalement, les remèdes proposés
dans le cadre des PAS ne vont pas dans ce sens :
réduction des dépenses de l’Etat, privatisation des
entreprises publiques, libéralisation des prix,
dévaluation de la monnaie... En science économique,
toutes ces mesures permettent souvent (mais non
toujours) de lutter contre l’inflation et de dégager de
l’argent pour rembourser la dette. Mais la
population, elle, subit tous les contrecoups négatifs :
les denrées de première nécessité augmentent, le
chômage aussi, le crédit est plus cher... A moins d’un
accompagnement particulier, un plan d’ajustement
structurel augmente l’extrême pauvreté.
L’engagement du FMI dans la lutte contre la
pauvreté ne laisse pas de surprendre Joseph Stiglitz,
ancien économiste en chef de la Banque mondiale :
“A moins que vous ne fassiez intervenir, dans le
processus de décision du FMI, des gens qui fassent
entendre la voix des victimes, les politiques du Fonds
ne changeront pas parce qu’elles sont définies par
des ministres des Finances et des banquiers
centraux”.
Comment, en effet, faire entendre la voix des
populations qui subissent ces politiques d’austérité
souvent rendues nécessaires pas l’incurie et la
malhonnêteté de dirigeants dictatoriaux et
kleptocrates ? Ecrasées dans leur propre pays, elles
subissent une pression supplémentaire avec ces
mesures internationales. Il faut au contraire saisir
cette occasion pour permettre aux populations et
aux ONG locales une expression qui leur est souvent
confisquée. C’est la raison pour laquelle de
nombreuses organisations se sont retrouvées autour
de la campagne : “FMI : sortir de l’imPAS !” lancée
en avril 2000 pour demander la mise en place d’un
mécanisme de recours permettant aux populations
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 16 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
de porter plainte lorsque leurs droits fondamentaux
ou leur environnement sont menacés par les
politiques dictées par le FMI.
Il existe déjà le SAPRIN, Structural Adjustment
Program Review Initiative Network, un réseau
international de 1 500 associations créé pour évaluer
de façon indépendante l’impact des PAS avec la
Banque mondiale et les gouvernements concernés.
Ce réseau a été créé en réaction à une initiative de la
Banque mondiale, le SAPRI, Structural Adjustment
Program Review Initiative, dont le fonctionnement
était restreint par la Banque, qui ne tenait aucun
compte des remarques et avis émis par les autres
acteurs. Concernant les PAS, la société civile doit
être impliquée dès l’élaboration des termes de
référence, et en amont, la réalisation plus
systématique d’études d’impact préalables doit
permettre de prendre en compte dès le départ les
facteurs humains et environnementaux qui sont au
cœur d’une stratégie de développement digne de ce
nom. Lorsque des résultats le requièrent, les mesures
correctives et les réparations nécessaires doivent
pouvoir être mises en œuvre, afin que le rapport
d’évaluation ne reste pas lettre morte.
La Bolivie, embellie sur la croissance
et bilan social désastreux
S’il fallait une illustration caricaturale de ce que le
FMI et la Banque mondiale sont capables de faire quand ces deux institutions ne savent pas regarder plus loin que leur credo libéral, la voici.
En 1985, la Bolivie connaissait une hyper inflation
de 23 500 %. En 2000, elle n’était plus que
de 3 %, avec une croissance soutenue (4 % sur
10 ans), une augmentation confortable des
réserves internationales et des investissements
étrangers directs. Cet alignement de performances macroéconomiques est sans nul doute à
mettre au crédit des institutions internationales.
Ces quinze ans d’ajustement structurel ont donné
les résultats escomptés. En revanche, que la misère touche 70 % de la population n’était pas prévu. Pourtant, c’était prévisible : le dégraissage du
secteur public et l’exode rural étaient “nécessaires” pour appliquer les recettes des créanciers
internationaux. Bon élève, la Bolivie est aujourd’hui un pays fortement endetté. La dette, la
croissance et la pauvreté ont augmenté ensemble
au cours des 15 dernières années. Les réformes
structurelles, en Bolivie comme dans nombre de
pays victimes des plans d’ajustement structurels,
ont entraîné plus de pauvreté car plus de concentration de richesses dans peu de mains. Parallèlement, un tiers des exportations servaient à rembourser la dette. Les pauvres n’étaient pas prévus
16 / 17
dans cette mécanique. Le bilan est catastrophique : un revenu annuel par tête qui ne dépasse
pas 1 000 dollars, un taux de mortalité infantile de
69 pour 1 000 et les deux tiers de la population qui
n’ont ni électricité ni eau potable. Ces indicateurs
sociaux risquent de faire chanceler la démocratie
en place depuis 1982. La Banque mondiale a
reconnu la contradiction et essaie aujourd’hui de
la rattraper. D’abord, la Bolivie a été le premier
pays latino américain à bénéficier du programme
pilote dans le cadre de l’initiative pour les pays
pauvres très endettés (PPTE). En 1999, le pays
consacrait 22,6 % de ses recettes d’exportation au
service de la dette. Ce chiffre tomberait à 7,5 % en
2005 et à 2 % en 2018. Cette annulation de la
dette est conditionnée à la mise en place d’un cadre
stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP), une
nouvelle mesure destinée à réduire la pauvreté en
faisant en sorte que les stratégies soient élaborées
par les populations elles-mêmes. Si l’intention est
louable, la mise en application est très difficile. La
consultation de la société civile est souvent sommaire, voire un simple alibi pour que les gouvernements aient accès à l’argent des CSLP en se
conformant aux exigences explicites ou implicites
du FMI et de la Banque mondiale. Mal appliquée,
cette nouvelle mesure risque de n’être que la feuille
de vigne des Plans d’ajustement structurel.
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 17 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Les services de base et
le financement du développement
Les nouvelles options de lutte contre la pauvreté
représentent une évolution intéressante des discours
des organisations internationales, comme si elles
reconnaissaient implicitement que leurs politiques
macro-économiques n’avaient pas les répercussions
humaines escomptées. Il est maintenant entendu que
la croissance économique n’est pas un préalable à la
diminution de la pauvreté et qu’il ne s’agit pas
seulement de faire des ajustements ou des
cataplasmes sociaux, mais bien d’avoir une politique
globale et durable de développement. Et donc
d’avoir des politiques de financements adaptées.
En France la campagne “Services liquidés, droits
bafoués !” (mai-septembre 2001) a mobilisé une
trentaine d’associations. La première revendication
des ONG est de ne pas privatiser les services de base
(santé, éducation, eau, énergie domestique, ...). En
effet, la privatisation entraîne souvent une
augmentation inconsidérée des prix qui remet en
cause l’égalité d’accès aux services de base. C’est en
tout cas ce qu’ont montré plusieurs études de
l’UNICEF et du PNUD sur ce sujet. Ainsi, sur les
recommandations de la Banque mondiale, la
municipalité de Cochabamba, en Bolivie, avait
octroyé le marché de l’eau à un consortium
international. La facture d’eau mensuelle a grimpé
jusqu’à 20 % du revenu d’un travailleur
indépendant. La population a organisé des marches
de protestation qui se sont terminées dans la
violence, avec un mort et des dizaines de blessés.
Après une période d’état de siège, le gouvernement a
tout de même révoqué le consortium et la
distribution d’eau est revenue à la municipalité.
Ces privatisations forcées n’améliorent en aucun cas
la couverture des besoins ou l’efficacité des secteurs
concernés. Il s’agit en théorie d’encourager les
investisseurs locaux et de casser les monopoles
d’Etat. Or, les marchés de l’eau et de l’électricité
notamment sont très profitables pour les
multinationales qui s’en emparent. En Afrique, par
exemple, les procédures de vente des entreprises
publiques ne sont pas toujours transparentes et pas
souvent exemptes de pots-de-vin. Et pour que le
marché soit rentable, on aide même les entreprises
dans leurs acquisitions. Ainsi, début 2000,
Vivendi s’est porté acquéreur de la STEE (Société
Tchadienne d’Eau et d’Electricité) dont la
privatisation était requise par le FMI. L’Etat
tchadien s’est d’abord engagé à absorber les dettes
à long terme de la compagnie, tandis que la France,
via l’Agence française de développement,
subventionne le processus de privatisation à hauteur
de 33,5 millions de francs. En clair, il s’agit de
renflouer la STEE avant que Vivendi en acquière
51 %. Risque minimum, profit maximum.
On soigne plus les multinationales que les
populations, semble-t-il...
La campagne des ONG françaises en faveur des
services de base entend réaffirmer que l’accès aux
services de base constitue un élément indispensable
au développement durable. L’égalité d’accès à ces
services est partie intégrante des droits humains
fondamentaux et, en tant que telle, doit faire l’objet
de l’aide internationale. Les ONG ont proposé à la
Conférence des Nations Unies pour le financement
du développement, en mars 2002, qu’au moins
30 % de l’aide multilatérale soient consacrés aux
services de base.
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 18 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
LES AVANCÉES
DU SYSTEME
INTERNATIONAL
Si les IFI ont besoin de réformes, certains
gouvernements et transnationales aussi. Au fil des
campagnes et des contre sommets, les mouvements
de citoyens tentent d’assouplir certaines scléroses le
système international dans son ensemble. Depuis
quelques années, les changements de discours sont
très nets, encourageant en cela la poursuite des
pressions, tant en direction des institutions
internationales qu’en direction de gouvernements
corrompus et dictatoriaux et de sociétés transnationales irresponsables et avides de gains faciles.
La fin du consensus
de Washington :
une chance à saisir
Il a fallu attendre des dizaines de catastrophes
sociales dans les pays soumis aux plans d’ajustement
structurel pour que la Banque mondiale reconnaisse
presque ouvertement (dans son rapport de 1997,
intitulé “Combattre la pauvreté”) que les bons
paramètres macroéconomiques ne suffisaient pas
pour assurer le bien être de la population. Dans le
milieu des années 90, les dégâts sociaux et les crises
financières n’ont pas épargné les “bons élèves” du
FMI, notamment en Asie, ce qui a ébranlé fortement
les thèses ultra-libérales qui prévalaient toujours au
FMI. C’est alors qu’en 1998, un article de Joseph
Stiglitz, alors vice-président et économiste en chef de
la Banque mondiale, véritable brûlot, a mis le feu
aux poudres. Il dénonçait la politique de son
homologue au FMI, l’économiste en chef Stanley
Fisher, à propos des traitements de choc imposés par
le Fonds aux pays asiatiques en échange de leur
sauvetage financier. On en apprend de belles sur le
FMI : ses fonctionnaires sont arrogants, ils se croient
les plus intelligents alors que le FMI recrute des
étudiants de troisième ordre venant d’universités de
premier ordre, ils ne connaissent rien aux pays qu’ils
sont censés aider, ils travaillent sur des modèles
18 / 19
dépassés ou truffés d’erreurs, leurs remèdes sont
souvent pires que le mal car ils transforment les
ralentissements en récessions et les récessions en
dépressions... et, qui aurait pu l’entrevoir sinon de
l’intérieur : c’est une institution si secrète et si peu
démocratique que même ses actionnaires (les
représentants des ministres des Finances) ont du mal à
savoir ce qui s’y passe et comment se prennent les
décisions... Le différend qui s’était installé depuis déjà
bien des années entre le FMI et la Banque mondiale a
alors éclaté au grand jour. C’était la remise en cause
du fameux “consensus de Washington”, sorte de prêtà-penser qui structurait le sauvetage financier
international autour de trois grands pôles, la
libéralisation, la privatisation et le respect des grands
équilibres économiques. L’arrivée de John Wolfensohn
à la tête de la Banque mondiale en 1995 a déjà
fendillé ce fameux consensus, car l’ancien banquier
d’affaires new-yorkais s’est senti investi d’une mission
en arrivant dans cette institution et a tout de suite
recentré le discours de la Banque sur la lutte contre la
pauvreté. L’effort de mettre sur un pied d’égalité les
objectifs économiques et les objectifs sociaux se
retrouve dans les Cadres stratégiques de lutte contre
la pauvreté (CSLP) qui dans l’idéal devraient être des
plans de développement élaborés par les pays
bénéficiaires dans le cadre d’une vaste concertation
nationale, des gouvernants à la société civile en
passant par les acteurs privés, les collectivités locales
etc. John Wolfensohn est toutefois assez seul tant son
projet marque une rupture profonde avec le passé. La
complexité de mise en œuvre de ce projet très
ambitieux donne du grain à moudre aux sceptiques
et aux conservateurs. Le président de la Banque a dû
se séparer de son vice-président par qui le scandale a
éclaté, Joseph Stiglitz, car sa liberté de ton agaçait les
représentants américains. C’est ainsi qu’aujourd’hui,
le président de la Banque mondiale fait figure
d’idéaliste à la tête d’un “machin” coincé dans une
foule de contingences éloignées de l’objet de
l’institution. Mais ce nouveau discours représente
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 19 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
sans doute l’un des rares leviers d’envergure que les
mouvements citoyens pour la réforme des Institutions
financières internationales pourraient appuyer, en
agissant pour la mise en conformité des réalisations
avec ces discours. Joseph Stiglitz, quant à lui, a pris
une manière de revanche en recevant le Prix Nobel
d’économie en novembre 2001, en récompense de ses
travaux sur les défaillances des marchés en matière
d’information des acteurs. Celui qui a critiqué
vertement le “fondamentalisme de marché” a sans
doute eu le tort d’avoir raison trop tôt par rapport à
ce que le FMI était en mesure d’entendre.
L’Argentine, victime du FMI ou victime d’elle-même ?
L’histoire de l’Argentine est tragique.
Elle est malheureusement plus victime d’une
“ineptocratie” nationale que des bailleurs
internationaux.
L’Argentine des années 20 avait un niveau de
vie équivalent à celui de la France, grâce à son
agriculture florissante. Industries, transport,
exportations, tout allait de soi... jusqu’à la
grande dépression qui toucha tous les pays
industriels. Finis les capitaux étrangers, les
exportations, les importations de biens
industriels. L’Argentine ne se releva jamais, car
la bourgeoisie préféra placer sa rente agricole à
l’étranger plutôt que d’investir. Les militaires et
les péronistes qui se succédèrent au pouvoir
jusqu’en 1982 durent tous suppléer une
initiative privée défaillante, tout en évitant de
froisser la classe aisée par trop d’impôts. C’eût
pourtant été la seule solution pour réaffecter la
rente agricole dans le développement du pays.
Au nom de la démagogie populiste, l’inflation et
le protectionnisme remplacèrent donc les
prélèvements. L’Argentine se paya un Etat
providence à crédit (merci le FMI) tout en
laissant l’invasion fiscale à un niveau record.
Les Argentins ont dès lors été happés par la
spirale infernale crise des paiements extérieurs /
coups d’Etat / répression des mouvements
sociaux. La dernière ligne droite de la dictature
mit un coup d’arrêt brutal au protectionnisme
et la libéralisation de l’économie fit revenir les
capitaux, mais l’Argentine vivait toujours au
dessus de ses moyens, comme si la période bénie
des années 20 était devenue la seule référence
culturelle des Argentins qui se voilaient ainsi la
face. Les déficits publics et la création
monétaire ont précipité la tornade de
l’hyperinflation qui s’est perpétuée sous le
premier mandat démocratique (500 % en 1975,
5 000 % en 1989-1990 !)
Pour sortir de ce chaos, le président Menem et
son ministre Domingo Cavallo appliquèrent un
remède de cheval en 1991 : la parité fixe
peso/dollar, tout en limitant l’accès des
Argentins à leurs dépôts puisque ce taux de
change était insoutenable. Le FMI a dénoncé en
son temps ce système rigide et aberrant (la
production argentine n’était plus compétitive),
mais il a malgré tout continué à prêter des
sommes monumentales à l’Etat argentin en
l’exhortant seulement de présenter un budget
national cohérent. La responsabilité du FMI est
là : il aurait du arrêter de prêter bien avant.
Le dernier prêt date de décembre 2000 40 milliards de dollars, dont la dernière tranche
de 8 milliards a été débloquée en août 2001 ce qui lui a permis de reculer d’un an les foudres
et le tonnerre qui grondaient dans les rues.
Fallait-il continuer cette course folle aberrante ?
Que le FMI dise enfin non devrait permettre
aux 37 millions d’Argentins de regarder avec
consternation ce que des générations de
dirigeants corrompus ont fait de leur pays.
Ce sont les élites politiques du pays qui ont
encalminé l’Argentine dans une récession dont
le pays ne pourra sortir qu’au prix d’une
dévaluation qui va laisser nombre de ménages
endettés et nombre d’entreprises exsangues. Le
Monde du 1er janvier 2002 caractérisait ainsi le
mal argentin : “Ses élites, au lieu d’investir sur
place, ont exporté le moindre peso-dollar gagné,
ce qui fait d’une nation lourdement endettée un
pays exportateur net de capitaux. Ce n’est pas
du libéralisme, mais du banditisme.”
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 20 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
La fin des conditionnalités ?
Dans un rapport intitulé “Aid and reform in
Africa” paru au début de l’année 2001, le FMI et la
Banque mondiale ont pris position en faveur d’une
remise en cause de la conditionnalité, une politique
qui guide leurs interventions notamment depuis les
premiers Plans d’ajustement structurel, en 1979. Les
deux institutions avaient pour principe de prêter de
l’argent aux pays du Sud à condition que leurs
gouvernements réduisent les déficits budgétaires et
les déficits extérieurs, privatisent les entreprises
publiques, libéralisent leur économie et ouvrent leurs
marchés. Dans un aggiornamento explicite, le FMI
dénonce sa propre dérive dans le domaine des
conditionnalités structurelles (privatisations, sécurité
sociale, système financier...). L’institution reconnaît
que ses recommandations ont fini par se substituer
aux choix politiques des pays bénéficiaires sans que
cette usurpation de légitimité soit efficace.
Cette réforme de la conditionnalité en cours au sein
du FMI ne signifie pas la fin des conditions imposées
aux pays, mais il s’agit plutôt d’un “dégraissage” de
celles-ci, qui seront désormais imposées avec plus de
parcimonie sur des points jugés “critiques”.
La nouvelle procédure de faillite
appliquée aux Etats,
ou comment impliquer le secteur privé dans la
résolution des crises financières
Au fil de divers rapports, les institutions des Nations
Unies et celles de Bretton Woods se retrouvent sur
l’idée d’impliquer davantage le secteur privé dans la
résolution des crises financières. En novembre 2001,
le premier directeur général adjoint du FMI, Anne
Krueger, a émis l’idée d’introduire pour les Etats
souverains un droit de faillite comparable à celui des
entreprises. Elle la présente en ces termes (in Le
Monde, 19 février 2002) : “Il n’existe jusqu’à
aujourd’hui aucun moyen d’amener à une même
table les pays accablés par le fardeau de la dette et
leurs créanciers pour résoudre les problèmes
d’endettement de façon ordonnée. Pour que la
plupart des créances aient le maximum de valeur et
pour limiter autant que possible le coût de
l’opération pour le débiteur, ce système offrirait au
20 / 21
pays débiteur une protection juridique contre ses
créanciers pendant qu’il négocie la restructuration de
sa dette. Le débiteur s’interdirait pour sa part de
puiser dans ses réserves pour payer des créanciers
“privilégiés” ou particulièrement chicaneurs.
Cette approche laisse l’initiative au pays débiteur et
à ses créanciers. Notre objectif est de faciliter la
conclusion d’un accord sur l’indispensable
restructuration et non d’en discuter les termes.
Le FMI a un rôle crucial à jouer, car c’est l’enceinte
dans laquelle la communauté internationale peut se
prononcer sur la viabilité de la dette d’un pays et sur
le bien fondé de sa politique économique.
Mais il est d’autres points - le règlement des
différends entre créanciers, par exemple - sur
lesquels notre conseil d’administration risque de se
trouver face à des conflits d’intérêts. Ces questions
pourraient être confiées à un organisme présentant
les garanties juridiques nécessaires au sein ou à
l’extérieur du FMI.”
Cette proposition a été accueillie avec beaucoup de
réticences dans les milieux financiers. Certains
créanciers privés n’hésitent pas, en effet, à exiger
leurs dus auprès d’Etats dont la dette est en
restructuration, vidant leurs réserves et affaiblissant
de ce fait leurs capacités de redressement, comme ce
fut le cas en 2000 au Pérou.
Ce processus - qui, vu sa complexité, mettra
certainement plusieurs mois avant de se concrétiser est demandé depuis plusieurs années par les collectifs
d’ONG qui travaillent sur la dette. Avec une
différence fondamentale : les ONG défendent l’idée
de la création d’une Cour d’arbitrage internationale
indépendante, rattachée aux Nations Unies, de façon
à ce que le FMI ne soit pas à la fois juge et partie.
Les organisateurs de la campagne Jubilé 2000
estiment en effet que “le FMI a lui aussi prêté de
façon irresponsable à des dictateurs et il lui est arrivé
de recommander des politiques économiques qu’il
considère lui même aujourd’hui comme
inappropriées ”.
Qu’est ce que la régulation
du système international ?
Face à ces avancées parfois chaotiques et souvent
dispersées, les ONG élaborent une conception
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 21 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
globale de la régulation du système international.
Il s’agit d’abord d’opposer à la libéralisation
économique, commerciale et financière le respect des
droits humains, civils et politiques autant
qu’économiques, sociaux et culturels.
Les citoyens veulent inventer, et inventent de fait, un
nouveau monde dans lequel le respect des droits
humains sera dominant.
Dans cette perspective, la régulation par le marché
mondial existant est loin d’être la meilleure solution.
Nous considérons donc qu’il faut des Institutions
financières internationales pour agir dans la durée,
mais nous ne saurions faire confiance aux
orientations et au fonctionnement des institutions
actuelles.
Ces institutions démocratiques seraient chargées de
trois objectifs conjoints :
■ la stabilité du système monétaire,
■ la prévention des crises financières,
■ le financement du développement durable.
Assurer la stabilité monétaire et éviter les
crises financières
Pour que le système monétaire soit stable et permette
d’éviter les crises financières et monétaires, un
certain nombre d’orientations peuvent être retenues :
■ Il faut reconquérir les souverainetés nationales
concernant la monnaie et le développement, y
compris donc en matière de politiques fiscales,
salariales, financières et sociales.
■ La régionalisation offre des perspectives
intéressantes pour le développement et pour les
politiques économiques et monétaires. Toutefois,
une vision politique large doit inclure la réalité de
construction d’espaces de production, de marchés
d’échanges régionaux et d’accords démocratiques.
A chacune de ces régionalisations correspondent
des négociations politiques dans lesquelles les
mouvements sociaux doivent prendre part.
■ Le système des taux de change, s’il veut être
crédible, doit être fondé sur les échanges
commerciaux et ne doit pas être déterminé par les
mouvements de capitaux.
■ Le contrôle des mouvements de capitaux est
impératif aussi bien au niveau international qu’au
niveau national. Les expériences chilienne,
malaisienne, chinoise, etc. en ont démontré la
nécessité et la possibilité.
■ Ce
contrôle s’articule avec la nécessité de lutter
contre les paradis fiscaux, le blanchiment d’argent
et la criminalisation financière.
■ Les taxes, comme la taxe Tobin ou d’autres taxes,
peuvent aider à la régulation du système monétaire
et au financement du développement durable.
Favoriser un développement durable
respectueux des droits humains
Chaque peuple a le droit de définir son propre
modèle de développement, mais le préalable en est la
démocratisation des procédures nationales.
Parallèlement aux travaux sur la démocratisation
des institutions internationales, les combats
démocratiques nationaux restent fondamentaux et
irremplaçables. La responsabilité des Etats et des
régimes nationaux demeure entière face à leurs
peuples, sur les choix des modèles et sur les
orientations du développement, particulièrement en
ce qui concerne le respect des droits humains. Il est
du devoir de chaque pays de démocratiser aussi les
décisions concernant ses relations avec les
Institutions financières internationales.
Dans ce cadre, et pour créer un environnement
favorable à ces évolutions nationales,
■ La priorité reste l’annulation de la dette.
■ Un système de justiciabilité des droits
économiques, sociaux et culturels aux niveaux
national et international doit à terme être établi et
des instances de recours mises en place. Cela
implique notamment la reconnaissance de la
coresponsabilité des créanciers et des débiteurs
dans la formation de la dette et dans les décisions.
■ La discussion doit être ouverte sur la nécessité et
les moyens de rééquilibrer les termes de l’échange,
notamment aux niveaux des prix des matières
premières et des échanges commerciaux.
■ La priorité doit être donnée à la construction des
marchés intérieurs et à l’égalité d’accès aux services
de base. C’est cette égalité d’accès qui permet de
fonder la lutte contre la pauvreté sur le refus des
inégalités croissantes et des discriminations.
■ Le principe d’une redistribution mondiale est
inéluctable si l’on veut assurer l’accès de tous les
pays au financement du développement.
Le recours à un système de taxes ou le
rééquilibrage des termes de l’échange font partie
des modalités envisageables.
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 22 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
A suivre
Le temps est venu pour les IFI de connaître
une véritable démocratisation et la mise en
place d’un fonctionnement transparent.
Sans doute sentent-elles confusément que
leurs bornes idéologiques libérales
bloquent l’efficacité de leurs fonds et les
décrédibilisent. C’est sans doute ce qui
explique les ouvertures que l’on constate
depuis plusieurs années.
Les mobilisations citoyennes nationales et
internationales portent leurs fruits.
Même si l’on est encore loin de la mise en
place d’un véritable système économique
international régulé et démocratisé, la lutte
contre l’idée libérale des institutions de
Bretton Woods avance.
Beaucoup d’idées restent à explorer pour
la mise en place d’un système qui bannisse
les inégalités, car les politiques de lutte
contre la pauvreté s’apparentent parfois à
des cataplasmes transitoires qui évitent la
remise en cause globale du système.
La proposition défendue par Keynes lors
des premières négociations de Bretton
Woods était-elle si utopique ?
Quoi de mieux qu’une monnaie universelle
pour une stabilité monétaire mondiale ?
Et quoi de mieux qu’un système de taxes
pour les “trop riches” et de prêts pour les
“trop pauvres” afin d’éviter les inégalités
entre les pays et à l’intérieur des pays ?
Pourquoi ce programme ?
L’influence de la France au sein des IFI est très
importante : membre du G7, 4e puissance
économique du monde, elle détient près de 5 % des
droits de vote à la Banque mondiale et au Fonds
monétaire international (FMI). Elle a également un
rôle considérable dans la plupart des pays
francophones du Sud. Parallèlement, le manque de
transparence et de contrôle des politiques des IFI a
généré une importante vague de protestations au
sein des associations de solidarité internationale et
des sociétés civiles, qui a permis un début de
réforme de ces institutions.
C’est dans ce contexte qu’Agir ici, l’AITEC
(Association internationale de techniciens, experts
et chercheurs) et le CRID (Centre de recherche et
d’information pour le développement) ont lancé à
l’automne 1998 un programme commun pour la
réforme des IFI.
Ses objectifs :
■ Sensibiliser et mobiliser l’opinion publique sur
le thème des IFI.
■ Améliorer la transparence de la politique
française au sein de ces institutions.
■ Elaborer des propositions de réforme de leurs
politiques.
Actions
1. Renforcer la réflexion sur les IFI au sein de la
société civile par :
■ L’animation en France d’un réseau d’une trentaine
d’associations de solidarité internationale, de
défense des droits humains et de protection de
l’environnement mobilisées sur la question des
IFI, afin de développer une réflexion et des
actions de mobilisation.
22 / 23
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LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Le Programme IFI
■ La
publication d’une lettre d’information
mensuelle, IFI ... et maintenant !, diffusée à plus
de 1 000 exemplaires (décideurs, presse,
associations françaises et étrangères), qui permet
d’aborder chaque mois une problématique
générale et de faire le point sur l’actualité des IFI.
■ La création d’un site Internet de référence sur la
question, avec des textes, des articles de fond,
l’actualité des IFI, les actions en cours en France
et dans le monde...
■ L’organisation de sessions de formation
décentralisées, destinées à fournir aux militants
des outils à la fois théoriques et pratiques afin
qu’ils puissent à leur tour relayer informations et
actions.
2. Organiser des campagnes citoyennes
telles que :
■ Pour l’an 2000, annulons la dette ! (1999),
qui a permis de recueillir plus de
520 000 signatures en France. Face à la pression
populaire, les pays riches ont pris
des engagements, notamment lors du G7 de
Cologne en 1999.
■ Transparence, démocratie : les IFI aussi ! (1999),
dont l’objectif était d’obtenir la mise en place
d’un véritable contrôle parlementaire sur la
politique française au sein des IFI. Depuis cette
campagne, le gouvernement publie un rapport
annuel, dont l’Assemblée nationale s’est saisie en
publiant à son tour des rapports très critiques en
décembre 2000 et 2001.
■ FMI : Sortir de l’imPAS (2000), qui demandait
la mise en place d’une unité d’évaluation
indépendante et d’un mécanisme de recours
pour les populations affectées par les plans
d’ajustement structurel imposés. Depuis lors, le
FMI a décidé de créer un bureau d’évaluation qui
est sur le point de commencer ses travaux.
■ Services liquidés : droits bafoués ! (2001),
visant à s’opposer aux mesures imposées par
les IFI qui remettent en cause l’accès à différents
services de base (santé, éducation, eau etc.),
et demandant qu’une part importante de l’aide
publique multilatérale soit consacrée à ces
services.
■ Ça carbure au Nord, ça chauffe au Sud !,
campagne lancée en mars 2002 pour stopper les
projets pétroliers, gaziers et miniers, aux effets
désastreux, financés par la Banque mondiale et
promouvoir le financement d’énergies
renouvelables au profit des populations les plus
pauvres.
3. Elaborer des propositions de réforme des
politiques des IFI :
■ En associant des chercheurs et des experts à la
production de documents de fond et à
l’organisation de journées d’étude (IFI et
développement durable / Cadres stratégiques de
lutte contre la pauvreté)
■ En organisant des séminaires internationaux tel
celui organisé en juin 2001 à Paris, sur le thème
“Régulation du système international : quelle
place pour le FMI ?”, avec des chercheurs et des
associations du Nord comme du Sud.
■ En renforçant le partenariat avec les associations
du Sud, indispensable pour mieux soutenir leurs
revendications et élaborer ensemble des
propositions de réforme.
■ En soutenant de façon continue les principales
actions françaises et internationales en faveur de
la réforme des IFI et en participant à des actions
au niveau européen.
CAHIER N°9 28/03/03 12:27 Page 24 (1,1)
LES CAHIERS DE LA SOLIDARITÉ
Sites web
Bibliographie
Campagne pour la réforme des IFI (ONG
françaises): www.globenet.org/ifi
• Comprendre les IFI : une clé pour l’action citoyenne, Agir ici,
AITEC, CRID, 2001, 45p.
• Banque mondiale, pompe A’frique des compagnies pétrolières,
Agir ici et les Amis de la terre, 1997
• Mondialisation, Institutions financières internationales et
développement durable, AITEC, Agir ici, CRID, 2000,
Archimède et Léonard, hors série n°14
• Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, 2001
• Combattre la pauvreté, Banque mondiale, 2001
• Crédits sans frontières, Susan George, Fabrizio Sabelli,
la Découverte, 1994
• L’ordre économique mondial, Elie Cohen, Fayard, 2001,
315 pages
• Le FMI, de l’ordre monétaire aux désordres financiers, Michel
Aglietta et Sandra Matti, Economica, mai 2000, 255 pages
• Ajustement structurel et lutte contre la pauvreté en Afrique :
la Banque mondiale face à la critique, Bruno Sarrasin, Paris,
L’Harmattan, 1999, 115 p. Mondialisation et développement
durable, quelles instances de régulation ? Solagral,
UNESCO-MOST, 1998
• FMI, les peuples entrent en résistance, CETIM, 2000
• Guide citoyen du FMI, Les amis de la Terre, 2000
• Fonds monétaire international, Banque mondiale :
vers une nuit du 4 août ? Yves Tavernier, Commission
des finances, Assemblée nationale, 2000
• Les marchés financiers : dérégulation, la fuite en avant,
in Courrier de la planète, N°39, mars-avril 1997
• Dettes des PVD et mécanismes économiques internationaux,
dossier pédagogique de Peuples Solidaires, 1999
• Dette, IFI : la réponse citoyenne, in Peuples en marche n°166,
mai 2000
• Collection de IFI...et maintenant ! vers une réforme des
institutions Financières Internationales, mensuel de la
campagne française menée par le CRID, Agir ici et AITEC
(depuis mars 1999).
ATTAC, Association pour la taxation des
transactions financières et l’aide au Citoyen (réseau
international) : www.attac.org
Campagne 50 ans, ça suffit (ONG nordaméricaines) : www.50years.org
Bretton Woods Project (ONG de Grande Bretagne) :
www.brettonwoodsproject.org
CADTM, Comité pour l’Abolition de la Dette du
Tiers Monde (Belgique) :
www.users.skynet.be/cadtm
Campagne pour la réforme de la Banque mondiale
(Italie) : www.unimundo.org/cbm
Les amis de la terre (Organisation environnementale
internationale) : www.amisdelaterre.org
Eurodad (réseau européen sur la dette) :
www.eurodad.org
Initiative Halifax (coalition d’ONG canadiennes) :
www.halifaxinitiative.org
Coalition d’ONG suisses : www.swisscoalition.ch
WEED (Allemagne) : www.weedbonn.org
Focus on the global South (coalition d’ONG
asiatiques, Thaïlande) : www.focusweb.org
Bank Information Center (organisation américaine) :
www.bicusa.org
Jubilee South (ONG africaines) :
www.aidc.org.za/j2000
Editeur : CRID - 14, passage Dubail - 75010 Paris
Tél. : 01 44 72 07 71 - Fax : 01 44 72 06 84
IBASE (Brésil) : www.ibase.fr
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Site web : www.crid.asso.fr
FMI : www.imf.org
Directeur de la publication : Gustave Massiah
Rédaction en chef : Raphaël Mège
Banque mondiale : www.worldbank.org
Nations Unies, financement du développement :
www.un.org/esa/ffd
Rédaction : Anne-Sophie Boisgallais
Avec la participation de : Michel Faucon, Fabien Lefrançois,
Camille de Maissin
Conception graphique : René Bertramo
Dépôt légal : xxxx
Nations Unies, développement durable :
www.un.org/rio+10
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Imprimerie : Landais
Tirage : 2 000 ex.