quel avenir pour les big pharma

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quel avenir pour les big pharma
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QUEL AVENIR POUR
LES BIG PHARMA ?
Analystes et experts passent au peigne fin
l’évolution des grands groupes mondiaux
du médicament et leurs marchés. La feuille
de route est loin d’être rédigée.
——————
ntre 2005 et 2014, selon une
de pénétrer à leur
analyse de Merrill Lynch, des
tour dans la chasse
produits pharmaceutiques
gardée
des
big
représentant 131 milliards
pharma, tant au plan
de dollars verront leur brevet tomber
de la R&D que de la
dans le domaine public. 42 % seront
production. « Cela
soumis, sur les deux années à venir,
change la division du
à la compétition des génériques. 2006
travail qui s’était instaureprésente un pic dans la chronique
rée jusqu’à présent, pourde ce mouvement annoncé de longue
suit l’analyste du ministère
date. « Pour maintenir leur rentabilité,
de l’Industrie. Si toute la proles sociétés pharmaceutiques devront
duction ne se délocalisera pas,
dans l’avenir générer un chiffre d’afloin s’en faut, en Asie, la « Vieille Eufaires par la mise sur le marché de
rope » comme le « Nouveau Continouvelles molécules représentant de
nent », autrement l’Occident, ne pour« vraies innovations », et donc ne plus
ront exister, pronostique encore le
fabriquer de « me-too », explique
rapport du ministère « que par une
Nelly Weinmann dans un récent rapforte compétence dans la recherche
port du ministère de l’Economie, des
avancée ». Une recherche qui semble
Finances et de l’Industrie. « Il faudrait
cependant manifester de réels signes
mettre sur le marché 2 à
d’essoufflement.
3 nouvelles molécules
« L’industrie monpar an, ce qui représente
diale du médicament
une mission impossible
est à la recherche de
Une recherche
par la moindre rentabinouveaux modèles de
qui s’essouffle
lité actuelle de la redéveloppement ducherche », ajoute cette
rable », explique de son
dernière. Car dans les
côté Emmanuel Sève,
faits seulement, une petite trentaine
directeur d’une autre étude également
de nouvelles entités chimiques issues
consacrée aux big pharma . Une inde la R&D des « global players » de la
dustrie qui se trouve soumise à un
pharma se présentent désormais annombre croissant de pressions, qui
nuellement sur le marché (contre
émanent tant des autorités de tutelles
plus de 40 par an dans la décennie
que des prescripteurs ou des patients
écoulée).
consommateurs, mais aussi et surtout
des marchés financiers, « dont l’exiNouveaux entrants. L’industrie phargence de résultats à court terme rend
maceutique se trouve également face
malaisée le financement d’une reà ces nouvelles donnes : les faibles
cherche aléatoire, et à long terme »,
coûts de production des pays émerprécise ce dernier. En panne (provigents d’Asie - Inde et Chine en tête -,
soire ?) de blockbusters, l’industrie se
et la volonté de « nouveaux entrants »
trouve ainsi face à de grands marchés
E
thérapeutiques de masse en perte de
vitesse, une innovation en retrait et un
modèle de marketing traditionnel
quelque peu obsolète. Sans compter
une R&D dont la productivité ne suivrait pas. « De manière préoccupante,
elle est même en net déclin depuis le
début de la décennie 2000 et avec l’essor des biotechnologies, note encore
l’analyste, elle favorise des champs où
les solutions thérapeutiques sont
moins uniformes et/ou pour des publics plus restreints. » Soumise de
toute part à de multiples pressions réglementaires et tarifaires, l’industrie
voit également sa légitimité remise régulièrement en cause. « Jamais au
cours de son histoire, l’industrie pharmaceutique n’avait essuyé une telle
avalanche de critiques, rappelle ainsi
Emmanuel Sève. Elles portent tout
autant sur le prix des thérapeutiques
innovantes, que sur les dérives des
stratégies marketing et promotionnelles des laboratoires, sur fond de
montées des appréhensions sur la sécurité sanitaire des médicaments. » MARS 2006 _ PHARMACEUTIQUES
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Concentrations inévitables. Le sa-
lut viendra-t-il du premier marché
mondial du médicament qui pèse encore 40 % des ventes et dont la dynamique libérale a largement séduit nos
champions européens, Sanofi Aventis
en tête, il y a peu encore ? A horizon
2010, les perspectives qu’affiche le
marché américain semblent « moins
enthousiasmantes », note l’étude Precepta. Car si l’entrée en vigueur cette
année de la réforme de santé Medicare
contribuera bien à gonfler les volumes
d’activité des laboratoires, elle entraînera également un renforcement de la
pression des payeurs, échaudés depuis
le constat fait par General Motors1.
Aussi, les grands groupes du secteur se
trouvent-ils, de l’avis de nos analystes
public et privé, face à deux options
possibles : demeurer sur des positions
défensives pour mieux gérer les
risques, au besoin par croissance externe, ou opter pour certaines formes
de diversification (hors médicament)
délaissées il y a 20 ans. « Le prolongement du mouvement de concentration semble inéluctable » plaide à cet
égard Emmanuel Sève qui estime par
ailleurs que la diversification des big
pharma en dehors du médicament
n’est pas à l’ordre du jour, hormis
quelques exceptions (J&J, Roche, Abbott, Bayer, Schering AG, 3M Santé).
« A l’horizon 2010, un plateau resserré
de 5 à 6 leaders mondiaux sur les
grands marchés de masse devrait se
détacher », pronostique ce dernier.
Dans cette perspective, les leaders
mondiaux devront adopter de nouvelles « options offensives » tant sur le
plan des produits proposés – en misant notamment sur la spécialisation
et les produits issus des biotech, stra-
tégie mise en œuvre très tôt chez
Roche et J&J – que sur celui de la
conquête de marchés estimés prioritaires ou en forte croissance. Dans la
redistribution des cartes qui devrait
s’opérer entre big pharma dans un
proche avenir, une certitude s’impose : la dynamique du marché est
loin, très loin, de s’épuiser, alimentée
par des nombreux moteurs. Son socle
de croissance minimale est ainsi estimé à 5 % par an. Nous sommes loin
des 10 % et plus qu’a connu la
branche il y a peu encore. Mais c’est
aussi un socle à partir duquel toutes
les stratégies de développement sont
permises. ■
JEAN-JACQUES CRISTOFARI
(1) GM a payé 5 milliards de dollars de primes
d’assurances maladie, facture qui devrait passer
à 6 milliards cette année, grevant par là même
considérablement les coûts de production des
voitures américaines.
CROISSANCE
dernière. Les Etats-Unis continueront
pour quelques années encore de
dominer le marché mondial. « Les prix
peuvent diminuer, mais les volumes
continueront d’augmenter », note la
mission prospective. Si dans un proche
ZONES DE CROISSANCE DE LA PHARMACIE MONDIALE
passé les Etats-Unis doublaient leur
À L’HORIZON 2010
chiffre d’affaires tous les cinq ans, un
ralentissement est aujourd’hui
CROISSANCE 2005-2010
prévisible. « Les Américains, comme
Des pays émergents
les assurances privées et les
Asie
Un moteur
plus attractifs
> 10 %
Afrique
industriels, commencent à souhaiter un
moins
Australie
système moins coûteux prenant mieux
performant
en compte les résultats amélioration de
la santé versus économie. Les EtatsAmérique
5 % à 10 %
Unis perdraient un peu de leur
Latine
Amérique
rentabilité ».
du Nord
Le Japon, qui se trouve face au plus fort
taux de vieillissement de sa population,
Fortes marges de
Europe
connaîtra une poursuite de la baisse des
0%à5%
progression pour les
prix imposée par le gouvernement. « Ce
Japon
opérateursoccidentaux
pays devrait avoir une croissance
annuelle du marché comprise entre +
0%à5%
5 % à 10 % 10 % à 20 % 20 % à 40 %
> 40%
3 % et 4 % », notre la DG Entreprises.
La Chine fait partie des nouveaux
POIDS DU MARCHÉ MONDIAL
entrants. Absente il y a dix ans, elle
Les cinq premiers marchés européens devraient
compte une fraction croissante de sa population, estimée
connaître une croissance située entre 4 et 7 % entre
entre 50 et 100 millions d’individus, en mesure de se
2004-2008, pronostique la mission prospective de la
payer des médicaments. IMS prévoit d’ailleurs qu’elle
Direction générale des Entreprises au ministère de
devienne le huitième marché mondial en 2008, indique le
l’Economie. « Le marché des médicaments des nouveaux
rapport. D’autres pays vont également émerger : l’Inde
entrants dans l’Union Européenne devrait connaître une
dont la classe moyenne (90 millions de personnes) peut
forte croissance et apparaître comme l’une des zones les
accéder aux médicaments, les « dragons » asiatiques
plus dynamiques pour rattraper le retard par rapport aux
(Corée du Sud, Taiwan, Singapour) où les big pharma sont
quinze premiers pays », explique le rapport piloté par
déjà présents, le Brésil et sa classe moyenne de 60
Nelly Weinmann. « Mais il s’agit principalement d’un
millions de Brésiliens. « Quant à la Russie et l’Ukraine, ils
marché de génériques, ce qui ne sera pas sans
représentent aussi un marché potentiel énorme, mais à
conséquence pour les quinze premiers » ajoute cette
plus long terme », conclut le rapport.
SOURCE : PRECEPTA
LES 5 PREMIERS MARCHÉS
EUROPÉENS
MARS 2006 _ PHARMACEUTIQUES