La lecture et son apprentissage en CP : quelques incontournables

Transcription

La lecture et son apprentissage en CP : quelques incontournables
La lecture et son apprentissage en CP : quelques incontournables
Bruno GERMAIN
Chargé de mission – Observatoire national de la lecture
En guise d’introduction
L’apprentissage continué de la lecture
Si l’on choisit de retenir une véritable priorité de l’apprentissage en cours préparatoire, c’est
l’apprentissage de la langue, et la meilleure entrée possible dans l’écrit, qui s’impose. Un travail en
continuité avec le CE1 et le cycle 3, allant même jusqu’au collège inclus.
Les enseignants engagés dans l’expérimentation de CP « dédoublés » sont soumis, plus encore que
leurs collègues, à une pression et une attente sur l’apprentissage de la lecture. Or, l’une des
vertus de cette expérimentation, et de l’encadrement qu’elle induit, est précisément de favoriser
la réflexion des maîtres(ses) sur la maîtrise de la langue et son apprentissage.
La pression existe parce que l’institution, les parents, mais aussi les élèves disent « je veux
savoir lire » ou, plus généralement,
« je vais savoir lire » en CP. Certains enfants, d’ailleurs,
s’imaginent, dès le premier jour, qu’ils vont savoir lire parce qu’ils sont entrés en CP. Quelle
déconvenue le premier soir venu, d’être effectivement entré en CP et de ne savoir toujours pas
« miraculeusement » lire ! Il faut que l’enfant comprenne qu’apprendre à lire est un processus
continu, semé d’embûches qui sont inhérentes à l’apprentissage. C’est grâce à l’enseignant que
l’enfant parcourt ce chemin et en franchit les obstacles.
Le CP, un point de capiton
Le CP est la classe sur laquelle on focalise l’apprentissage puis l’entrée dans l’autonomie de la
lecture. Mais le CP n’est pas seul concerné. Il faut pouvoir tenir compte de ce qui s’est passé en
grande section, et travailler davantage avec les collègues responsables de ce niveau de classe. De
la même façon, il serait très dommageable que les enseignants oeuvrent en CP et que les collègues
des CE et CM ne tiennent pas compte de la plus-value née de ce travail. Si la réflexion sur la
continuité de l’apprentissage, parmi les maîtres du cycle 2, s’engage vraiment en une dynamique
collective, il restera de toute façon quelque chose de cette expérimentation.
L’Observatoire national de la lecture
Organe consultatif placé auprès du ministre de l’Education nationale, l’ONL est né en 1996. Il a
pour mission de réfléchir à tout ce qui touche la question de la lecture, de sa maîtrise et de son
1
apprentissage.
L’ONL s’est intéressé d’abord à ce que pouvaient être les priorités de
l’apprentissage en primaire, au cycle 2 puis au cycle 3. Actuellement, l’ONL poursuit ses travaux
sur le lien CM2/6ème. Ces « socles » d’étude montrent la cohérence d’une réflexion à long terme.
La force du message de l’ONL est celle d’un groupe de membres experts, spécialistes chacun
dans
leur
domaine
ou
depuis
leur
position
représentative :
psychologues,
linguistes,
neurobiologistes, pédagogues, représentants de l’institution, praticiens, etc. qui réfléchissent et
partagent leurs orientations et leurs travaux. Les divergences sont objets de discussions, à la
recherche de priorités partagées qui seront rédigées et mises à disposition des praticiens et
formateurs. Ainsi, l’ONL remplit-il une mission salvatrice de recommandations au ministre mais
aussi aux formateurs et enseignants, jouant le rôle d’interface entre les résultats de la
recherche et la pratique de terrain, sans rien imposer pour autant.
En d’autres termes, je me propose aujourd’hui de partager, avec le groupe constitué des
enseignants de cette expérimentation de CP, un ensemble d’éléments de travail ; pas des
référents, mais des références communes à échanger comme base de réflexion. Ce n’est pas la
parole de l’institution, c’est une parole qui mérite d’être discutée.
Quatre points d’ancrage pour évoquer les incontournables de la lecture au CP
Premier point : les caractéristiques de l’apprentissage de la langue alphabétique française
écrite, inhérentes aux langues alphabétiques et qu’il est malencontreux de vouloir écarter à tout
prix.
Second point : la traditionnelle sentence « On lit pour comprendre ». Certes. Mais on fait trop
souvent la confusion entre l’objectif à atteindre à travers l’apprentissage et le moyen d’y
parvenir. En d’autres termes, il faut apprendre à comprendre en CP, et l’on ne doit pas utiliser
une supposée compétence innée de compréhension « pour » apprendre à lire. L’ONL, dans son
ouvrage Maîtriser la lecture, novembre 2000, CNDP/Odile Jacob, coordonné par Michel Fayol,
aborde particulièrement ce sujet (notamment au cycle 3).
Troisième point : l’entrée dans les livres. La présence de la littérature de jeunesse dans l’école.
On peut discuter le terme, mais ce qui est important, c’est la présence des livres jusque dans la
classe. Pas un livre, mais des livres à rencontrer. Pas un morceau par-ci, un fragment par-là, des
livres offrant des pistes de travail qui montrent que les textes se répondent les uns les autres.
2
Quatrième point : les outils et les méthodes. Il faut apprendre à lire dans les meilleures
conditions possibles :
-
dans quelle mesure l’enseignant a-t-il le droit d’utiliser les instruments d’accompagnement
qui lui sont fournis (manuels, etc.) ?
-
Comment faire le bon choix d’outils, dans la pléthore des publications ?
-
Y a-t-il des méthodes meilleures que les autres ?
La méthode et les supports, voilà un autre sujet incontournable.
Je vais revenir maintenant sur chacun des quatre points d’ancrage.
1) Premier point. L’apprentissage de l’écrit de la langue alphabétique française :
l’identification des mots.
On ne peut pas faire l’économie d’un apprentissage sérieux et volontaire de l’identification des
mots, avec les enfants. Cette affirmation est contradictoire avec certaines pratiques courantes
qui considèrent que l’utilisation des constituants de la langue, c’est un peu trop mécanique. De
nombreux travaux issus de la recherche montrent qu’on doit utiliser comme un atout les
caractéristiques de régularités et de fréquences de la langue alphabétique française dans le
cadre de l’apprentissage de sa dimension écrite.
La conscience phonologique
Comme dans toute langue, la chaîne parlée du français défile chronologiquement en sons qui se
succèdent. Les enfants perçoivent implicitement avec le temps les règles de fonctionnement de
cette chaîne de sons et de mots, apprennent à la recevoir et à la produire. Cela vient d’eux : ils
entrent d’autant plus commodément dans l’oral que des conditions favorables les accompagnent.
Ceci dit, l’enfant ne connaît pas les unités constitutives de la langue orale comme telles, il produit
des sons, mais il n’a pas appris à les reconnaître volontairement. Par exemple, au CP, un enfant
peut s’interroger très sérieusement sur la présence de /a/ dans [papa]. Pour lui, ça se discute !
Et s’il y en a, combien ? Est-ce utile de le savoir ? Oui, car ces sons existent et leur
correspondance graphique également. Il ne faut donc pas faire l’économie d’activités portant sur
la reconnaissance de la présence des sons dans un mot et de leur position ; cela développe la
conscience phonologique. Il faut à la fois insister sur la régularité d’apparition et le nombre limité
de possibilités. Ainsi, au début de l’apprentissage, les élèves doivent tous savoir discriminer les
3
sons de la chaîne parlée, si on les conduit à y réfléchir. Ces activités peuvent être générées
rapidement car elles ne nécessitent pas l’écrit. Avant l’entrée dans l’écrit, on devrait pouvoir
également évaluer le degré de conscience phonologique, la capacité à discriminer et segmenter
les sons de la chaîne orale : « Est-ce que je sais s’il y a du /a/ dans [papa] et combien ? »
La compréhension du principe alphabétique
Le terme est apparu assez récemment, José Morais l’a promu mais il est mal connu. Ce principe
dit que l’enfant doit avoir compris qu’il existe une correspondance certaine entre les unités de la
langue orale qu’il a appris à repérer et à segmenter et des unités particulières qui sont celles de
l’écrit. Un lien existe, entre les phonèmes (et leur réalisation en sons identifiables), et les
graphèmes (lettres ou groupes de lettres) de l’écrit qui représentent ces sons, qu’on ne doit pas
dissimuler. De plus, il est assez régulier dans la langue française : mieux vaudra-t-il commencer
par ce qui est fréquent et régulier que par la complexité des variations et des exceptions. Faire
percevoir qu’il y a un lien entre l’oral et l’écrit et que c’est pertinent, voilà qui est important.
Soyons prudents, il n’y a pas toujours « un déclic ». Percevoir le principe alphabétique, cela peut
faire « tilt » pour certains mais pour d’autres, il faut accompagner l’apprentissage : poursuivre la
perception du principe alphabétique tant qu’on n’est pas sûr que tous les élèves l’ont compris et
qu’ils sont capables de générer seuls des combinaisons possibles. Il faut répéter, approfondir
encore, et encore, sinon on restera toujours avec des élèves qui échouent en lecture.
La connaissance du code
Les sons (les lettres aussi) se combinent en syllabes, etc. C’est là l’entrée dans la fusion et la
combinatoire. C’est assez automatique, ce qui est monotone certes, mais surtout positif et
rassurant. Y a-t-il une méthode miracle, ludique et joyeuse ? Sans doute pas : l’apprentissage de
la lecture, comme de nombreux autres, est long et difficile. Les enfants vont tâtonner,
trébucher, régresser, progresser à nouveau. Après les régularités, il faudra découvrir les
irrégularités : c’est la connaissance du code. Par exemple : on écrit second et on dit « segond » ;
on entend souvent « optenir » mais on écrit obtenir, etc.
La fixation orthographique
Alors qu’il tâtonne encore pendant sa lecture, l’enfant va commencer à rencontrer fréquemment
certains mots qu’il sait déchiffrer. Cette répétition de la lecture de mots décodables va engager
un autre mode de traitement qui s’appuie sur l’analyse morphologique, lexicale et syntaxique des
4
mots dans leur environnement. On l’appelle la voie directe de lecture. La reconnaissance
orthographique est donc favorisée par l’automatisation des procédures de décodage et la
répétition de la rencontre des mêmes mots. Le futur lecteur expert lira donc plus vite certains
mots dans leur totalité (faisant l’économie d’un décodage dont il reste capable à tout moment).
Ceci repose sur un mécanisme de reconnaissance rapide qui peut aussi induire des erreurs qui
seront rétablies par un retour rapide en arrière, automatique et involontaire, pour vérification
d’hypothèses sur le sens. Par exemple, dans une phrase je lis le mot « pylône » et quelques mots
plus loin, je me dis que dans ma phrase ce « pylône » qui conduit un avion, c’est bizarre… je vais
alors revenir en arrière, déchiffrer avec plus d’attention et constater que le mot correct est
« pilote », ce qui me permet de corriger mon erreur et la bizarrerie sémantique qu’elle induisait.
La question de la vitesse de la lecture.
Peut-on, comme le laissent penser certains auteurs d’exercices « appropriés », améliorer l’empan
visuel, et, par là, la rapidité de la lecture par reconnaissance globale ? Non, physiologiquement ce
n’est pas vraisemblable. Certains travaux ont montré par ailleurs que la vitesse de lecture n’est
pas un paramètre qu’il faut chercher à développer pour l’apprentissage ; c’est plutôt le résultat
potentiel de l’apprentissage et d’une lecture régulière. Plus je lis, plus je lis vite parce que mieux
je lis. Mais ce n’est pas en accélérant artificiellement la vitesse de lecture qu’on comprendra
mieux ce qu’on lit. D’ailleurs la vitesse de lecture orale n’est pas un bon prédicteur ni une forme
d’évaluation valable de la compréhension du texte lu.
2) Deuxième point. L’apprentissage de la compréhension
La compréhension d’un texte n’est pas une procédure innée : on peut lire un texte très
correctement à l’oral et n’en avoir rien compris. Il existe un certain nombre d’activités que
l’enseignant peut mener très tôt, avant même que l’enfant sache lire de manière fluide, afin de
développer la compréhension. En effet, l’élève peut apprendre à comprendre à l’oral, à travers
des textes lus par l’adulte et sur lequel il sera invité à réfléchir. Cette démarche est utile : les
enfants fonctionnent beaucoup par imitation, or les enseignants se montrent rarement en train
de lire des textes. Ils ne se montrent souvent lecteurs qu’à l’occasion de lectures de consignes
d’exercices. L’exemple de l’enseignant lecteur est primordial.
Travailler sur la cohérence d’un texte est l’une des pistes particulièrement fructueuse. Par
exemple, l’étude des inférences peut être engagée très vite ; ce n’est pas réservé aux CM2 ! Si
on ne perçoit pas les inférences dans un texte, une grande partie de son sens peut nous
5
échapper, on ne comprend pas l’histoire. Les inférences permettent de constituer des relations
entre des informations éparpillées dans le texte, en référence à une culture, l’expérience
personnelle, etc.
La construction de la référence est aussi un élément qui participe à la cohérence du texte dans
sa continuité. De ce point de vue on peut évoquer la gestion des pronoms, par rapport à un
référent. Exemple, première phrase : « le chat marchait dans le jardin ». Puis, on n’écrit plus le
chat, on le remplace par « il ». L’enfant doit percevoir que ce « il » c’est « le chat ». Mais je
pourrais aussi mettre : « le chat marchait dans le jardin… Le félin sauta d’un arbre à l’autre…
Minou était aux aguets…. Il sauta sur l’oiseau… ». Si vous demandez « de qui parle cette histoire
? », pour de nombreux enfants, il y a plein de personnages : le chat, le félin, Minou, et pourquoi
pas l’oiseau ou l’arbre…
Vocabulaire et lexique sont les éléments qui contribuent le plus à la compréhension d’un texte. Ils
méritent qu’on leur accorde du temps de l’apprentissage de la lecture. Le vocabulaire est
essentiel, plus que la syntaxe, plus que les éléments de connexion. Le lexique est sans doute l’un
des moyens les plus dynamiques de permettre la générativité de la langue. Un enfant vous dit
« Tiens ! Je vais défroidir le glaçon » : cet enfant là a tout compris…. Vous lui dites « Non, non,
on ne défroidit pas, il y a refroidir, certes… » et l’enfant de vous dire « Quoi ? « froidir » ça
n’existe pas ? Pourtant il y a chauffer … ». Vous pourrez toujours jouer à lui répondre qu’après
tout , il n’y a pas dechauffer non plus ! » L’erreur de cet enfant montre qu’il a compris comment
utiliser les racines et les dérivés, le reste est question d’habitude et d’usage.
3) Troisième point. Les textes, les livres et la littérature de jeunesse.
L’entrée des livres dans la classe, lors des apprentissages, est inscrite dans les textes officiels.
La littérature de jeunesse est à l’honneur et il existe même une liste d’ouvrages pour le cycle 3.
Cette liste, réalisée par la Desco, a de bonnes raisons d’être utile : elle suggère des références
sans s’imposer. L’ONL propose également des listes d’ouvrages mais surtout des pistes pour
exploiter leur richesse en classe, en cycle 2 notamment. Il ne s’agit pas d’utiliser certains livres
de littérature, des livres de qualité, comme méthode d’apprentissage de l’identification des mots
en repérant le « a » dans le « papa » écrit dans le texte ! Il faut garder le mystère des textes.
Au CP, on doit apprendre à lire un livre, le sens dans lequel on tourne les pages, qui en est
l’auteur, l’illustrateur, et la manière singulière qu’il a de s’inscrire dans l’univers des autres livres.
Les livres constituent ainsi des réseaux, des constellations ; ils se répondent les uns les autres,
6
et il est bon d’investiguer cette dimension dès le CP. On peut imaginer, par exemple des activités
de mise en réseau à partir d’un livre central autour duquel gravitent, grâce à l’enseignant,
d’autres livres, des documentaires qui vont illustrer le texte initial, lui donner du sens. Il y a
aussi les constellations ou plusieurs ouvrages se rencontrent pour donner un sens particulier à un
élément, un « motif », qui les rapprochent, par exemple un personnage archétypal comme
« l’ogre » ou un domaine plus vaste comme « histoire et fiction » (« Cheval de guerre » de
Michael Morpurgo et Willi Glasaver aborde une époque, un sujet qu’un élève de CP ne connaît pas.
Le contextualiser en l’inscrivant dans une constellation « histoire et fiction » et lire comme
accompagnement « Zappe la guerre » de Pef ou « Dakia, fille d’Alger », du Père Castor, etc. est
un moyen de permettre aux enfants de le replacer dans un environnement qui favorise sa
compréhension et lui donne du relief). On peut imaginer divers protocoles de travail : faire des
lectures avec tous les enfants réunis ou des lectures avec des petits groupes de lecture qui
échangeront ensuite des présentations et des impressions… Ce sur quoi je veux insister ici, c’est
qu’un texte, avant tout, on en parle. Un texte est un lieu de parole. La classe est un lieu
d’échanges, l’écrit s’y prête. Le texte écrit ne doit pas rester seulement une expérience
personnelle. Pour qu’elle s’enrichisse, il faut qu’elle se confronte aux autres expériences et qu’elle
fasse naître des représentations du monde : découvrir comment chacun a ressenti le texte est
une porte qui s’ouvre…
4) Quatrième point. Le choix des méthodes, le choix des outils
La question des manuels de lecture est un sujet qui intéresse l’ONL depuis plusieurs années.
Sujet difficile quand on sait qu’il y a plus de 130 publications pour le CP et que les enseignants
disposent quasiment du droit souverain de choix des instruments qu’ils vont utiliser avec les
élèves de leur classe. Nous avons donc cherché à analyser de manière objective ces ouvrages,
sans entrer dans des querelles de chapelle. Comment comparer des outils si divers ? Nous avons
procédé en plusieurs étapes, recherchant d’abord les priorités de l’apprentissage et les activités
qui y conduisent et observant de près ce que font les manuels. Nous avons ensuite établi une
grille d’analyse concernant l’identification des mots, la compréhension et les textes supports. Ce
travail a duré plus de deux ans. C’est très précieux une grille, si vous choisissez de la partager et
de la diffuser : elle devient une source de discussion et de réflexion. Ensuite, nous avons voulu
montrer que la grille était une base de travail pertinente en l’utilisant pour analyser cinq manuels.
Nous avons choisi les manuels les plus répandus dans les classes, souvent catalogués en
7
« méthode mixte ». Il faut savoir que la méthode mixte n’est pas nécessairement meilleure que
les méthodes qu’elle rassemble (méthodes analytique et synthétique), puisqu’elle génère aussi des
difficultés diverses.
Les manuels issus de la méthode mixte ne se ressemblent pas forcément tant que cela. Souvent,
ils vont même organiser une représentation de l’écrit très spécifique. Ce qui peut expliquer
d’ailleurs que, au-delà de leur proximité de surface, des manuels induisent un profil de futurs
lecteurs particuliers, et que, brassés ensuite en CE1, les élèves issus de deux CP d’une école
s’avèrent de niveaux hétérogènes et de compétences variées. Il aurait mieux valu que les
enseignants choisissent ensemble et utilisent le même manuel.
Cinq ouvrages ont été passés au crible, mais nous n’avons pas établi de palmarès. L’ONL s’est
contenté de dire ce que sont et ce que font ces ouvrages. Les enseignants pourront s’approprier
notre travail, mieux choisir une nouvelle collection, ou mieux utiliser l’ouvrage dont il disposent.
Notre publication Le manuel de lecture au CP, septembre 2003, CNDP/Savoir Livre, diffusion
Hatier, rassemble toute notre étude, présente les priorités de l’apprentissage de la lecture au
CP, les grilles d’analyse des manuels en les expliquant, ainsi que nos résultats. Nous avons indiqué
enfin, à la fin de l’ouvrage, seize recommandations pour aider les enseignants à choisir d’autres
manuels. Notre travail devrait faire l’objet d’une réflexion collective entre les maîtres, pour
éviter qu’entre collègues on parle des manuels, chacun avec son point de vue, ses critères
personnels souvent affectifs, ou le fruit de sa seule pratique.
A t-on le droit de s’interroger sur les outils ? Oui, c’est indispensable, parce que les enseignants
ont la liberté du choix, donc la responsabilité de ce choix.
Pour une ingénierie pédagogique
Il est important de nouer des liens entre la recherche et ce qu’elle apporte, et la pratique
pédagogique et ce qu’elle fait. Par exemple, en ce qui concerne l’évolution des recommandations
sur la méthode de lecture à mettre en œuvre. Dans les années 1970, les résultats de la
recherche en sciences cognitives ont été interprétés et appliqués à l’apprentissage de la lecture.
Considérant, d’une part, que le cerveau avait un fonctionnement plutôt monovalent, exigeant que
l’attention soit seulement focalisée sur un objet, et d’autre part que « lire, c’est comprendre »,
confondant l’objectif de l’apprentissage de la lecture et les moyens de l’atteindre, la méthode
« globale » prit son essor. Reposant sur les caractéristiques de la méthode analytique, c’est-àdire partant de l’observation des grandes unités de l’écrit (texte, phrase) pour les comprendre
par tâtonnement et hypothèses successives pour aller modestement vers la connaissance de
8
sous-unités (mots, etc.), la méthode globale répondait à la recherche par des propositions
empiriques d’activités intellectuellement séductrices. Or la recherche a poursuivi ses travaux et
les neurosciences ont apporté à leur tour des informations précieuses. En effet, si le cerveau
peut se concentrer sur un minimum d’objets, il peut néanmoins accomplir de nombreuses autres
tâches devenues automatiques, le cerveau est à l’image d’un ordinateur multitâche. Cela change
singulièrement la donne. Ainsi en vient-on aujourd’hui à valoriser une approche de type
synthétique de l’apprentissage de la lecture ! La méthode synthétique est construite en partant
de la connaissance des unités minimales de l’oral et de l’écrit, mises en correspondances, pour
aller vers des unités plus grandes (mots, phrases, textes). Selon l’approche choisie, on parle de
méthode grapho-phonologique, syllabique, etc.
Quelle méthode appliquer ?
On préfère recommander actuellement une démarche alphabétique ou phonique, proche des
réalités physiques orales et écrites du français. Ainsi, on ne perd pas son temps en développant
des automatismes chez l’enfant, en travaillant la fusion et la combinatoire ; c’est peu coûteux au
niveau intellectuel, peu coûteux plus tard en terme cognitif pour déchiffrer puisque cela se fait
de plus en plus vite automatiquement, et cela n’empêche pas du tout la compréhension … au
contraire, cela l’accompagne (il vaut mieux savoir identifier facilement les mots de manière
autonome pour focaliser librement sur les interrogations autour du sens).
Mettre en œuvre une démarche de type global, c’est s’exposer à submerger la capacité
mémorielle des jeunes apprenants et à construire l’apprentissage sur des zones de flou, puisque
le travail par le sens est par définition aléatoire et toujours à négocier et à mettre en question.
Le sens n’est pas stable, il est actualisé par le contexte. Or, dans la langue, le contexte change
sans cesse … De plus, mettre en œuvre une méthode analytique impose une grande continuité
pédagogique entre les enseignants qui se passeront les élèves tout au long du parcours
élémentaire.
Par contraste, la méthode synthétique, qui consiste à construire des automatismes concrets et à
donner des références aux élèves, semble leur permettre de savoir lire en deux ans, sans qu’il y
ait une homogénéité des pratiques entre les maîtres.
9
Pour conclure sur les incontournables de l’apprentissage de la lecture
Il faut entendre les quatre incontournables exposés sans chronologie de priorité, ils sont tous
également importants. Ils nécessitent de la part de l’enseignant une inventivité, une créativité en
classe, qui est tout l’art de l’enseignement, et du praticien. Mais il ne faut pas être créatif seul
dans son coin, il faut être créatif à plusieurs : échanger, partager l’expérience et les
interrogations.
Il faut développer des activités sur la langue à tous moments de la journée et ne pas laisser
passer les prétextes à revenir sur la lecture et son apprentissage dans les divers contenus ou à
travers les multiples documents exploités en classe. Il faut aussi, dans l’emploi du temps,
consacrer un temps significatif et clairement identifié pour des activités nombreuses et ciblées
sur la langue et la lecture. Ce sera vrai d’ailleurs tout au long du primaire ; la lecture y est un
objet d’apprentissage à la fois transversal et particulier.
Enfin, pour répondre par avance aux enseignants qui n’utiliseraient pas de manuel de lecture, je
ne dirai pas « hors les manuels, point de salut ». Je rappellerai plutôt qu’un ouvrage propose une
progression, des activités organisées suivant une logique (plus ou moins repérable) qui peuvent
servir de base à l’apprentissage. On ne demande pas aux enseignants de réinventer tous les outils
sans cesse, tout comme on ne demande pas au jardinier de réinventer le râteau chaque automne.
Utiliser des outils de référence est une bonne chose, autant pour les enfants (c’est rassurant )
que leurs parents (c’est un lien avec la classe), il faut donc les avoir choisis avec pertinence et en
connaissance de cause et les utiliser à bon escient.
Vous êtes dans une situation particulière, une expérimentation de l’enseignement de la lecture : il
est important d’en informer les parents, d’en parler avec eux, et de leur dire que vous restez le
pilote (et non pas le pylône !) de votre classe.
Je vous remercie de votre attention.
Pour aller plus loin :
site à consulter : www.inrp.fr/onl
10
Le manuel de lecture au CP, Observatoire national de la lecture, septembre 2003, CNDP/Savoir
Livre, diffusion Hatier.
Livres et apprentissage à l’école, Observatoire national de la lecture,
réédition augmentée septembre 2003, CNDP/Savoir Livre, diffusion Hachette.
Apprendre à lire, ONL, 1998, CNDP/Odile Jacob.
Maîtriser la lecture, ONL, 2000, CNDP/Odile Jacob
11

Documents pareils