A Lille, des SDF prennent leur relogement en main
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A Lille, des SDF prennent leur relogement en main
france | 9 0123 MERCREDI 4 FÉVRIER 2015 A Lille, des SDF prennent leur relogement en main Un collectif a réussi à trouver un appartement à 156 sans-abri depuis 2011, en démarchant les bailleurs REPORTAGE A lille - envoyée spéciale lors que le nombre de sans domicile fixe a bondi de près de 50 % depuis 2001 et que les dispositifs publics « en sont parfois réduits à devoir gérer la file d’attente », comme le rappelle le vingtième rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre, publié mardi 3 février, un collectif de SDF lillois a décidé de prendre les choses en main. Tout a démarré en mai 2011, sous les arbres du « Parc rouge » à Lille. Gilbert Pinteau, 51 ans aujourd’hui, et deux compagnons d’infortune viennent de se faire mettre à la porte du foyer de l’Armée du salut. Une fois de plus, ils se retrouvent à la rue. Leur tort : avoir revendiqué les droits des résidents, critiqué les conditions d’hébergement… « On a décidé de se passer des structures d’accueil et de chercher nous-mêmes un logement, le collectif SDF Lille était né », raconte cet ancien forain, rencontré dans un sous-sol rempli de meubles et de vêtements, que, pas rancunière, l’Armée du salut lui prête pour son association. « Par l’intermédiaire d’un ami, j’ai téléphoné à une commerçante connue, à Lille, pour son grand cœur et pour être à la tête d’un patrimoine de 140 logements. Elle a accepté de me louer un studio à condition que je produise une attestation d’assurance, raconte-t-il. Je n’avais pas d’argent : la “Sainte Touche”, le versement de mon allocation handicapé, tombe le 7 du mois… Elle m’a avancé le montant de la prime et m’a donné la clef. » A cette époque, Gilbert Pinteau ne connaissait pas le Fonds soli- darité logement (FSL), qui peut subventionner le premier mois de loyer, la caution, donne 70 euros pour l’assurance et offre au bailleur une garantie d’impayé de dix-huit mois. Disposer de son propre logement, cela ne lui était pas arrivé depuis ce jour de 2001 où il a tout perdu : sa femme, son boulot et son logement. Bouche-à-oreille Grâce à ce collectif, devenu une association de 85 membres, 156 SDF lillois ont été relogés. Sa méthode : prospecter des logements sur le site Le Bon Coin, appeler les propriétaires, leur demander s’ils acceptent de louer à des sans-abri avec l’accompagnement du collectif et l’aide du FSL. « Au début, nous avons essuyé 80 % de refus. Aujourd’hui, nous sommes à 25 % ! Le bouche-à-oreille fonctionne », se réjouit Gilbert Pinteau, qui se remémore tous ses succès de réinsertion : Quentin (qui n’a pas communiqué son patronyme), qui travaille désormais chez Toyota, Stéphane, qui a repris des études et est devenu responsable d’un centre équestre… « C’est vrai que j’en suis fier », avoue-t-il. « Le deuxième propriétaire qui m’a dit “Banco !”, c’est Kader, un type génial qui n’envisage plus, maintenant, que de louer à ceux envoyés par le collectif, puis une dame à l’accent des pays de l’Est, qui nous a confié d’abord un, puis deux et trois grands appartements, pour des colocations », explique Gilbert Pinteau. « Lorsque je reçois un SDF, je ne lui demande pas de raconter son histoire, mais ce qu’il attend de nous, ce qu’il veut comme logement, dans quel quartier, la règle étant de ne pas dépasser 400 euros par mois », assure-t-il. « Une massification de la précarité » en 2014 V oilà vingt ans que, faute de statistiques de l’Etat, la Fondation Abbé-Pierre (FAP) dresse l’état des lieux du mal-logement en France. Son dernier diagnostic, publié mardi 3 février, est implacable : le phénomène s’enracine et se stabilise à un haut niveau (3,5 millions de personnes mal logées) sous l’effet d’une crise interminable. Plus grave, « les dispositifs imaginés dans les années 1990 sont à bout de souffle et s’empilent, illisibles, ce qui alimente le sentiment d’injustice », tranche Christophe Robert, nouveau délégué général de la FAP. Le 115, numéro d’urgence pour les sans-abri, a, lors de l’hiver 20132014, reçu 355 000 demandes d’hébergement mais ne dispose que de 140 000 places et recourt de plus en plus fréquemment aux nuitées d’hôtel : près de 40 000 en 2014. Le droit au logement opposable, créé par la loi Boutin en 2007, a reconnu 147 000 personnes prioritaires mais 55 000 restent sans solution. Le nombre de demandeurs d’un logement social atteint 1,8 million, alors que seules 467 000 HLM sont attribuées chaque année, satisfaisant moins d’un quart des demandes. « On assiste à une massification de la précarité, avec une embolie des dispositifs comme le 115, et des centres d’hébergement compressés entre, en amont, une demande qui croit fortement et, en aval, des relogements de plus en plus aléatoires », juge Christophe Robert. Seuls 44 % des sortants d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale ont accédé, l’hiver dernier, à un logement, contre 63 % en 2009. La demande est largement sous-estimée et en partie invisible car beaucoup de personnes, découragées, renoncent à solliciter une aide. De 70 000 à 120 000 sans-abri campent à l’année, les bidonvilles prolifèrent – 429 recensés en 2014, abritant entre 15 000 et 20 000 personnes –, de nouvelles formes de précarité apparaissent, des logements mal chauffés, des propriétaires surendettés ou écrasés par les charges… Année blanche « 2014 est, pour nous, une année blanche pour les mal-logés : on a vu se réorienter la politique vers les plus aisés, l’assouplissement du dispositif fiscal Duflot, devenu Pinel, l’abandon de l’encadrement des loyers et de la garantie universelle locative », tempête Patrick Doutreligne, qui présente son dernier bilan en tant que délégué général de la FAP, avant son départ en retraite. Le contrat semble rompu entre les associations et François Hollande, qui promettait, pendant sa compagne présidentielle, en 2012, un plan quinquennal de lutte contre la pauvreté. « Face au lobby des assurances qui a torpillé la garantie universelle des loyers, à celui des propriétaires et des agents immobiliers qui a sapé la volonté d’encadrer les loyers, à celui des maires qui refusent le logement social, et avec un Etat affaibli, que pèse la voix des mal-logés ? », demande Patrick Doutreligne. Sylvia Pinel, ministre du logement, a annoncé mardi, en guise de réponse, un plan pour mettre fin au recours aux nuitées d’hôtel. « L’Etat mobilisera 105 millions d’euros, sur trois ans, et proposera des hébergements alternatifs et accompagnés, notamment dans le parc privé », annonce-t-elle. Pas sûr que cela suffise à calmer les inquiétudes. p i. r.-l. « En fin de mois, on apporte un colis alimentaire, car on sait que c’est le moment difficile » GILBERT PINTEAU responsable associatif Greg Choquy a été mis à la porte de chez lui à 18 ans. Il a enchaîné petits boulots, galère, manche, squat durant douze ans. En juin 2014, il a été relogé en sept jours. « Les trois premiers mois ont été difficiles. Je me sentais enfermé, j’avais toujours envie de sortir, j’achetais de la nourriture comme si je vivais encore dehors… se souvient-il. Il faut réapprendre à faire le ménage, la vaisselle, la cuisine, à payer des factures… Le soutien du collectif est important. » Pendant les premiers mois qui suivent l’emménagement, le compagnonnage est hebdomadaire : « En fin de mois, on apporte un colis alimentaire car on sait que c’est le moment difficile, explique Gilbert Pinteau, et si tout va bien pendant les trois premiers mois, les rendez-vous s’espacent. Au bout de six mois, on fait un vrai bilan. Quant à retrouver une activité, on commence par du temps partiel et on voit. » Aucun incident Sur les 156 relogés, il n’y a eu aucun incident. « Certaines grosses associations étaient sceptiques, ça leur paraissait bizarre qu’on trouve des logements tout de suite… », se souvient M. Pinteau. Le seul soutien est une aide de 20 000 euros de la Fondation Abbé-Pierre et quatre éducateurs embauchés dans le cadre de la veille saisonnière jusqu’au 31 mars. Tout ce que le collectif demande à ceux qu’il a soutenus, c’est d’aider les suivants. Ainsi, Greg Choquy est, depuis décembre 2014, secrétaire de l’association. « Cette expérience bouscule la pratique des professionnels de l’hébergement d’urgence, reconnaît Christophe Robert, délégué général de la Fondation AbbéPierre, qui a soutenu l’initiative. Il nous faut mieux prendre en compte la parole et l’expérience des sans-abri. » C’est d’ailleurs l’autre combat de Gilbert Pinteau et de son collectif : faire respecter la loi de 2002 qui prévoit que les résidents d’un centre d’hébergement aient voix au chapitre : « On ne nous entend pas assez. Pourquoi, à Lille, où il y a 60 espaces d’accueil de jour, un seul propose une machine à laver et un sèche-linge ? Avec des habits sales, il est impossible de démarcher pour un logement ou du travail », plaide-t-il. Le collectif SDF Lille fait des émules : il y en aura bientôt un à Marseille. p isabelle rey-lefebvre LES CHIFFRES Parmi les 3,5 millions de personnes mal logées en France, on compte : 141 500 personnes sans domicile fixe 19 485 en résidence sociale ou foyer 38 000 en chambre d’hôtel 85 000 en camping et habitat de fortune 411 000 hébergées chez des tiers