Messe radio du 27 mars 2016

Transcription

Messe radio du 27 mars 2016
Messe radio depuis l’église Saint-Pierre aux Liens
à Felenne
(Diocèse de Namur)
Le 27 mars 2016
Fête de Pâques
Lectures: Ac 10, 34a.37-43 – Ps 117 – 1 Co 5, 6b-8 – Jn 20, 1-9
Frères et Sœurs,
Ils ont dû se dire que cette femme était un peu "fêlée", si vous me permettez l’expression. Allez,
mettez-vous à leur place. Jésus est mort; il est mort et enterré: ça, ils en sont sûrs. Ils avaient mis
tous leurs espoirs en lui. Depuis le temps qu’ils le suivaient, ils pensaient le connaître et
imaginaient le meilleur: la réussite, le succès. Et voilà que tout s’est écroulé. Alors, vous pensez
bien, quand cette femme, Marie-Madeleine, vient leur annoncer que le tombeau de Jésus est vide,
ils se disent qu’elle n’a plus toute sa tête, qu’elle est un rien "fêlée", que son chagrin l’égare.
Leur moral est à zéro, et même en-dessous de zéro. Quelques-uns se sont enfermés dans la pièce
haute, le cénacle, un peu comme dans une mortuaire. D’autres sont déjà retournés chez eux, dans
leurs villages d’origine, en Galilée, à Emmaüs ou ailleurs, pour reprendre leur vie d’avant… Il faut
bien continuer à vivre, même quand tout a échoué. Alors, cette femme un peu "fêlée", à quoi bon
l’écouter!
J’ai utilisé volontairement le mot "fêlé", un peu choquant peut-être, car il me semble bien
convenir pour la fête de Pâques.
Fêlé: le mot peut être très négatif. Si les enfants, ce matin, découvrent les œufs déposés pendant
la nuit, tout fêlés, c’est qu’il y a eu un problème: le chocolat s’est cassé, fendu, brisé (ce n'est pas
très joli). Et une cloche fêlée, même si elle revient de Rome, ne peut plus produire aucun son
mélodieux, mais bien un bruit désagréable, qui écorche les oreilles.
Mais ce mot "fêlé" ne dit-il pas aussi autre chose? J’ai entendu cette semaine, distraitement, à la
radio tandis que j’étais au volant, une citation attribuée à Michel Audiard: "j’aime les gens fêlés, chez
eux on voit le jour qui passe".
On ne parle pas ici de folie ou de démence. Mais bien d’une blessure, d’une fêlure. N’est-ce pas,
finalement, le sens de ce triduum pascal que nous avons traversé, aboutissant ce matin au jour de
Pâques? C’est la blessure de Jésus, pendu au bois de la croix: la souffrance de son âme et de sa
vie, en même temps que les coups reçus des bourreaux; c’est son cœur transpercé, d’où sortent le
sang et l’eau. Et avec la blessure de Jésus, la même blessure chez sa mère et chez le disciple:
Marie, dont le cœur est transpercé par un glaive de douleur, comme l’avait dit Syméon. Et aussi
la blessure dans le cœur du disciple qui croit tout perdre en perdant son maître.
C’est la même brisure dans le cœur et la vie de millions d’hommes et de femmes, les souffrants de
l’humanité, au fil des siècles, jusqu’à nous aujourd’hui, et demain sûrement encore. La même
fêlure pour nous, les Belges, cette semaine, qui fut une semaine de passion et de ténèbres. Ce sont
les corps brisés des personnes tuées, les membres broyés des victimes des attentats, les cœurs qui
saignent, autant que les plaies. Et nos esprits ne s’y retrouvent plus: pourquoi? Comment cela
peut-il arriver? Ils sont fous, complètement fêlés, ces barbares… Et peut-être la blessure en nous
s’agrandit: on serait tenté de réagir avec colère, emportement, avec haine aussi, en faisant des
généralisations abusives, des amalgames, en risquant l’injustice, par peur.
Mais au travers de la fêlure, frères et sœurs, ne peut-on pas voir un peu de lumière? Comme dans
une vieille porte d’une ancienne maison, dont les planches ne sont plus tout à fait ajustées: la
lumière du jour, dehors, se laisse voir, éclairant la pièce sombre de sa lueur.
Nous en avons fait l’expérience cette semaine: alors que l’on était au fond de l’horreur, alors que
les images, en boucle, nous montraient des corps blessés, des vies brisées, peut-être à tout jamais,
on a pu voir aussi des rayons de lumière, comme traversant la douleur, comme rayonnant des
cœurs meurtris. Que de générosité et de dévouement!
Quel sursaut d’humanité, quels élans de fraternité, à nous émouvoir jusqu’aux larmes! De la
lumière, au travers de la fêlure de vies blessées. Ça ne durera pas longtemps, diront certains. Peutêtre; au moins, on a vu, on a touché du doigt la capacité de l’homme à rayonner d’une générosité,
d’un amour qui le dépasse et le porte.
Le frère Roger de Taizé écrivait ceci, dans son Testament spirituel, peu de temps avant sa mort:
"Celui qui choisit d’aimer et de le dire par sa vie est amené à s’interroger sur l’une des questions les plus fortes qui
soient: comment soulager les peines et les tourments de ceux qui sont proches ou lointains? Mais qu’est-ce
qu’aimer? Serait-ce partager les souffrances des plus malmenés? Oui, c’est cela."
Le Seigneur Jésus, ressuscité, montrera bientôt à ses disciples ses plaies, les plaies de ses mains et
de ses pieds; et, à Thomas, la plaie de son côté, son cœur transpercé. C’est ainsi que ses disciples
le reconnaîtront. Il sera lumineux, ressuscité, montrant ses plaies par où passe sa puissance de vie
transmise à ses disciples.
Frères et sœurs, tout, déjà, dans le texte d’évangile que nous avons entendu, montre le même
mouvement, ce même rayon de lumière qui se laisse deviner et perce déjà au travers de l’homme.
Saint Jean raconte que Marie-Madeleine se rend au tombeau de grand matin: c’était encore les
ténèbres; saint Luc précise: la pointe de l’aurore. On connaît bien ces ténèbres, juste avant
l’aurore: elles semblent les plus noires qui soient, mais bientôt un rayon va jaillir, brisant la voûte
sombre d’un éclair de lumière.
Elle qui était si désespérée, anéantie par le deuil, la voici qui court annoncer l’étrange nouvelle: sa
douleur, qui la figeait au pied de la croix comme devant le tombeau, immobile, paralysée par la
tristesse, sa douleur se brise, fêlée par un coup au cœur: la voici qui court, à en perdre la raison, à
n’en savoir que dire…
Les deux disciples vont eux aussi au tombeau, chacun à son rythme. Et voici le tombeau comme
la femme l’avait dit: c’est comme un tombeau brisé, une pierre fêlée en deux morceaux. A
l’intérieur, pour celui qui ne croit pas, il ne reste que les ténèbres et quelques linges, témoins d’un
défunt disparu. Mais pour celui qui croit, pour le disciple que Jésus aimait, pour celui qui choisit
de vivre dans l’amour, de la fêlure du tombeau jaillit une lumière vive: il vit et il crut.
Frères et sœurs, en ce jour de Pâques, je crois, avec les mots de Martin Luther King, je crois que
"même au milieu du fracas des mortiers et du sifflement des balles, il y a une place pour l’espoir de lendemains plus
lumineux. Je crois que la justice blessée, gisant inerte dans les rues ensanglantées de nos nations, couverte de
poussière et de honte, peut encore être relevée pour régner (en souveraine suprême) sur les enfants des hommes".
Amen.
Abbé Joël Rochette
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