L`INJONCTION MAREVA ET LA SAISIE AVANT
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L`INJONCTION MAREVA ET LA SAISIE AVANT
Congrès annuel du Barreau du Québec (2009), Québec, Service de la formation continue, Barreau du Québec, 2009 Congrès annuel (2009) «Droit criminel» texte de la conférence de Me Emmanuelle Saucier Service de la formation continue © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés L’INJONCTION MAREVA ET LA SAISIE AVANT JUGEMENT : des recours complémentaires essentiels lors de la découverte d’une fraude dans l’entreprise Par : Me Emmanuelle Saucier1 Table des matières L’INJONCTION MAREVA ET LA SAISIE AVANT JUGEMENT : des recours complémentaires essentiels lors de la découverte d’une fraude dans l’entreprise INTRODUCTION SECTION 1: DÉFINITION DE L’ORDONNANCE « MAREVA » ET DES ORDONNANCES ACCESSOIRES 1.1. Les origines de l’injonction Mareva 1.2. La nature de l’injonction Mareva en droit civil québécois 1.3. Les différents types d’ordonnances Mareva 1.3.1. L’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé 1.3.2. Les ordonnances accessoires 1.3.2.1. L’ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé et l’ordonnance de se soumettre à un interrogatoire 1.3.2.2. L’ordonnance de tierces parties de déclaration sous serment de l’actif ou de communication de documents 1.3.2.3. L’ordonnance d’octroi de frais SECTION 2: LES CRITÈRES D’ÉMISSION D’ORDONNANCE DE GEL DE l’ACTIF DE L’INTIMÉ ET DES ORDONNANCES ACCESSOIRES 2.1. Les critères d’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire et d’une ordonnance interlocutoire provisoire 2.1.1. Le critère d’urgence en matière d’injonction provisoire 2.1.2. Le critère d’apparence de droit : le droit clair, douteux ou inexistant 2.1.2.1. Le droit clair 2.1.2.2. Le droit douteux et le poids des inconvénients 2.1.2.3. Le critère du préjudice sérieux ou irréparable A) L’interrelation entre les critères de l’injonction et ceux de la saisie avant jugement B) Le critère de « crainte objective » de la saisie avant jugement est très similaire au critère du préjudice sérieux ou irréparable de l’injonction Mareva. CONCLUSION 1. Me Emmanuelle Saucier est avocate et associée au cabinet d’avocats McMillan. Emmanuelle a exercé pendant toute sa carrière en litige commercial et civil et possède une vaste expérience en matière de fraude dans l’entreprise. Elle tient à remercier Me Ponora Ang, avocat et Yonatan Petel, stagiaire en droit, au sein du cabinet McMillan qui ont tous deux collaboré lors de longues heures de recherches à la préparation du présent article. Elle tient également à remercier Me Mark Schrager, avocat qui lui a transmis l’ensemble des jugements publiés et non publiés dans l’affaire Cinar ainsi que Me Daniel Beauchamp qui a fait parvenir des jugements non publiés dans l’affaire Lupien. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés [Page 3] INTRODUCTION Nous assistons ces dernières années au Québec, comme ailleurs dans le monde, à une augmentation du nombre de dossiers de fraude. Ils ont un point en commun : le montant de la fraude est inversement proportionnel au montant récupéré par leurs victimes. Malgré les mesures de contrôle interne de plus en plus présentes dans les entreprises, nous notons que les fraudeurs ont raffiné leurs méthodes et parviennent à faire disparaître les sommes ainsi volées, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec. Aussi, il est essentiel lorsqu’une fraude est détectée dans l’entreprise de déployer les moyens appropriés mis à la disposition par le législateur afin de prévenir la disposition des biens subtilisés. [Page 4] Nous nous proposons, dans le présent texte, de présenter cet outil méconnu qu’est l’injonction Mareva, qui peut s’avérer très efficace afin d’intervenir pour maximiser les chances de l’entreprise de récupérer les fonds dont elle a été dépossédée contre la dilapidation des biens lors de la découverte de la fraude. À travers notre propos, nous aborderons la saisie avant jugement qui constitue, de notre point de vue, un complément intéressant à l’injonction Mareva. Dans la première partie du présent texte, nous définirons l’injonction Mareva et nous élargirons notre présentation en traitant des ordonnances accessoires qui l’accompagnent. (Section 1) Nous traiterons ensuite des critères de recevabilité de telles injonctions en droit québécois. (Section 2) Nous expliquerons la complémentarité et la similitude de certains critères d’émission de l’injonction Mareva et de la saisie avant jugement. [Page 5] SECTION 1: DÉFINITION DE L’ORDONNANCE « MAREVA » ET DES ORDONNANCES ACCESSOIRES 1.1. Les origines de l’injonction Mareva L’injonction Mareva est apparue en Angleterre au début des années 19752 dans le cadre de différends dans le domaine du commerce maritime. Elle visait à pallier l’injustice subie par certains propriétaires de navires de ne pas pouvoir exécuter leurs jugements à 2. Aetna Financial Services c. Feigelman, [1985] 1 R.C.S. 2 au para. 17 (C.S.C.) [Aetna]. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés venir contre les affréteurs partis au large sans laisser d’actif dans leur juridiction. Les propriétaires de navires se sont donc adressés à la cour par la voie d’une demande d’injonction afin qu’elle rende une ordonnance de gel des comptes de banque des affréteurs situés à Londres avant que les fonds ne soient transférés dans une juridiction étrangère. Ce sont les arrêts Nippon Yusen Kaisha v. Karageorgis3 et Mareva Compania Naviera SA v. International Bulkcarriers4 qui ont été les premières décisions donnant droit à l’injonction Mareva5. [Page 6] Quelques mois plus tard, Lord Denning6 élargit l’injonction Mareva pour empêcher que le défendeur ne dispose de ses biens à l’intérieur même de la juridiction de la cour7. Dans l’arrêt Third Chandris Shipping Corporation v. Unimarine SA.8, Lord Denning précise les critères de common law qui doivent guider les juges saisis d’une demande d’injonction Mareva, lesquels sont les suivants : « i) Divulguer de façon franche et complète tous les faits matériels à sa connaissance utiles au juge; (ci-après « Devoir de divulgation franche et complète ») ii) Donner tous les détails de sa réclamation contre le défendeur, avec les fondements et le montant de la réclamation; iii) Donner quelques motifs permettant de croire que le défendeur a des biens dans la juridiction de la cour; iv) Donner quelques motifs permettant de croire qu’il existe un risque que le défendeur enlève ou dispose de ses biens avant que le jugement ne puisse être exécuté; et v) Donner un engagement à payer des dommages au défendeur si sa réclamation échoue ou si l’injonction s’avère injustifiée; dans les cas 3. Nippon Yusen Kaisha v. Karageorgis, 3 All E.R. 282 (C.A.) [Nippon]. 4. Mareva Compania Naviera SA v. International Bulkcarriers, [1980] 1 ALL E.R. 213 (C.A.) [Mareva]. 5. Aetna, supra note 1. 6. Lord Denning a rendu les décisions Nippon, Mareva et Rasu Maritima SA v. Pertamina, [1977] 3 All E.R. 324 (C.A.). 7. Prince Abdul Rahman Bin Turki Al Sudairy v. Abu-Taha, [1979] 3 All E.R. 409 à la p. 412 (C.A.). 8. Third Chandris Shipping Corporation v. Unimarine SA, [1979] (Q.B.) 645 [Third Chandris]. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés appropriés, ce sera sous la forme d’une débenture ou d’une autre garantie.9 » [Notre traduction] [Page 7] Une simple lecture de ces critères permet de comprendre à quel point chaque cas est un cas d’espèce et que ce recours accorde un large pouvoir discrétionnaire au juge saisi des faits. 1.2. La nature de l’injonction Mareva en droit civil québécois La nature de l’ordonnance Mareva en droit québécois a été traitée en obiter en 1985 dans l’affaire Aetna. La Cour suprême se penchait sur la recevabilité d’un tel recours et sur les sources au Canada du pouvoir d’un juge de rendre de telles ordonnances. Elle fait une revue des différentes dispositions que l’on peut trouver dans une série de lois dans chacune des provinces afin de déterminer si l’injonction Mareva est un recours possible au Canada. Le juge Estey s’exprime ainsi quant à la source en droit québécois d’un tel recours : Le Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., chap. C-25, prévoit à l’art. 752 que l’injonction interlocutoire peut être accordée « lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit ». Ces termes, d’après leur sens ordinaire, confèrent à la cour au moins un pouvoir et une latitude aussi étendus que le pouvoir d’enjoindre lorsque cela est jugé [TRADUCTION] « juste et opportun ». L’article poursuit en prévoyant le cas même pour lequel on demande en l’espèce une ordonnance Mareva :« … et qu’elle est jugée nécessaire pour empêcher que [Page 8] ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace. »10 9. Third Chandris, supra note 7, p. 669 : « i) The plaintiff should make full and frank disclosure of all matters in his knowledge that are material for the judge to know; ii) The plaintiff should give particulars of his claim against the defendant, stating the grounds of his claim and the amount of the claim; iii) The plaintiff should give some grounds for believing that defendant has assets here; iv) The plaintiff should give some grounds for believing that there is a risk of the assets being removed or otherwise disposed of before the judgment or award is satisfied; and v) The plaintiff must, of course, give an undertaking in damages in case it fails in its claim or the injunction turns out to be unjustified; in suitable cases, this should be supported by a bond or other security. » 10. Aetna, supra note 1, par. 12. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés La Cour suprême du Canada confirme donc que la Cour supérieure du Québec peut donner droit à une requête pour ordonnance de gel de l’actif de l’intimé si les faits le justifient, de la manière prescrite au Code de procédure civile. Elle fait une revue des différentes lois au Canada qui donnent aux tribunaux le pouvoir de rendre des ordonnances Mareva et conclut que dans les autres provinces, le tribunal a le pouvoir de prononcer de telles ordonnances lorsqu’il lui paraît « juste ou opportun » de le faire. Les termes utilisés dans ces lois ne précisent pas, à proprement parler, les critères d’émission. Toutefois, le législateur québécois l’a spécifiquement prévu dans le Code de procédure civile et il en a en plus fixé les critères d’émission. La Cour suprême du Canada estime que ce pouvoir de la Cour supérieure est « au moins égal à celui des Cours supérieures des autres provinces11 » (Nos soulignements). Le Code de procédure civile a donc prévu un régime complet en soi permettant à la Cour supérieure du Québec de rendre ce type d’ordonnance. [Page 9] Nous n’avons pas à appliquer les critères développés avec le temps, ailleurs au Canada, alors que nous obtenons, par des critères propres aux enseignements des tribunaux québécois en matière d’injonction, un résultat similaire. 1.3. Les différents types d’ordonnances Mareva 1.3.1. L’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé En common law, les ordonnances Mareva sont généralement décrites comme des ordonnances de gel de l’actif de l’intimé (ci-après « ordonnance de gel de l’actif de l’intimé »). Le terme Mareva est souvent employé au Québec, mais notons que ces ordonnances comportent généralement beaucoup plus que le seul gel de l’actif de l’intimé. Elles sont souvent accompagnées d’un ensemble d’ordonnances accessoires qui sont par ailleurs essentielles pour rendre utiles, voire même exécutoires, les ordonnances de gel de l’actif de l’intimé. Il est intéressant de noter qu’au Québec, plusieurs ordonnances d’injonction Mareva ont été rendues, sans qu’elles ne soient forcément appelées ordonnances [Page 10] 11. Aetna, supra note 1, par. 12. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés d’injonction Mareva. On se réfère alors à de simples ordonnances d’injonction et on applique les critères d’émission de l’injonction12. Nous entendons généralement par ordonnance Mareva, une ordonnance qui vise le gel de l’actif de la personne qui est visée. Lorsqu’elle est rendue, l’intimé, de même que ses employés, agents, officiers, dirigeants, administrateurs ou toute autre personne, agissant seule ou avec les autres, de même que toute personne à qui l’ordonnance est signifiée ne peuvent plus, directement ou indirectement, de quelque façon que ce soit : • • vendre, retirer, dissiper, aliéner, transférer, hypothéquer, céder les biens de l’intimé, où qu’ils soient situés; donner des instructions de vendre, dissiper, aliéner, transférer, hypothéquer, céder les biens de l’intimé, où qu’ils soient situés. Généralement, ce type d’ordonnance prévoit que les conditions citées précédemment s’appliqueront à l’égard de biens qui appartiennent à l’intimé, qu’il [Page 11] les possède en son nom ou conjointement. L’ordonnance vise souvent tant des biens à l’intérieur ou à l’extérieur de la juridiction du tribunal12. L’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé est donc, avant tout, une ordonnance d’injonction obtenue au stade provisoire interlocutoire13, interlocutoire14 ou parfois même permanent15. La plupart des ordonnances Mareva visent à la fois les biens au Québec et à l’extérieur du Québec16. 12. Voir Entreprises Roger Faucher inc. c. Banque Royale du Canada, [1985] R.D.J. 263 (20 mars 1985) (C.A.); Suoi c. Continental Salvage Co. (1969) Québec Ltd., J.E. 88-518 (4 mars 1988) (C.S.); Tsuru c. Montpetit, [1988] J.Q. no. 2743 (29 novembre 1988) (C.S.); Oerlikon Aerospatiale Inc. c. Ouellette, [1989] R.J.Q. 2680 (2 novembre 1989) (C.A.); Continental Salvage Co. (1969) Québec Ltd. c. Suoi, [1989] R.D.J. 359 (8 juin 1989) (C.A.); Standal’s Patents Ltd. c. 160088 Canada inc., [1993] J.Q. no. 2223 (22 décembre 1993) (C.S.); Corporation Bira International Inc. c. Ville de Gatineau, AZ-50209030 (27 novembre 2003) (C.S.); Corporation Bira International inc./Bira International Corporation inc. c. Ville de Gatineau, AZ-50230348 (13 avril 2004) (C.S.); Aqualandis inc. c. 4291034 Canada inc., J.E. 2005-1976 (16 septembre 2005) (C.S.). 13. Voir Asher Investments Ltée Partnership c. Mitelman, AZ-50213132 (7 janvier 2004) (j. V. Melançon) (C.S.) [Asher Investments]; Cinar Corporation c. Xanthoudakis, AZ-50322052 (5 juillet 2005) (j. M. Saint-Pierre) (C.S.) [Xanthoudakis]; The Attorney General of Canada v. Lupien, non publié, no 415-17-000527-071 (3 avril 2007) (j. S. Ouellet) (C.S.) [Lupien - 3 avril 2007]; The Attorney General of Canada v. Lupien, non publié, no 415-17-000527-071 (27 avril 2007) (j. M. Richard) (C.S.); Cinar Corporation c. Weinberg, J.E. 2006-2234 (13 octobre 2006) (j. A. Denis) (C.S.) [Cinar – 13 octobre 2006]; Tuttle Dozer Works Inc. c. Gyro-Trac Inc., J.E. 2008-73 (2 novembre 2007) (j. R. Dufresne) (demande d’ordonnance provisoire rejetée) (C.S.) [Tuttle Dozer]; Olco Petroleum Group Inc. c. Despina Levantis, non publié, no 500-17-041364-087 (29 février 2008) (j. H. Langlois) (C.S.) [Olco – 29 février 2008]. 14. Cinar Corporation c. Weinberg, J.E. 2005-1592 (8 août 2005) (j. C. Alary) (C.S.) [Cinar- 8 août 2005]. 15. Voir Dans l’affaire de la faillite de Groupe Financier Cofo Inc. c. Sanielle Finance Inc., J.E. 2005-847 (7 mars 2005) (j. N. Bénard) (C.S.). © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés [Page 12] 1.3.2. Les ordonnances accessoires Les principales ordonnances accessoires aux ordonnances de gel de l’actif de l’intimé sont : − l’ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé (ci-après « ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé »); − l’ordonnance de se soumettre à un interrogatoire sur la déclaration sous serment (ci-après « ordonnance de se soumettre à un interrogatoire »); − l’ordonnance de tierces parties de déclaration sous serment de l’actif ou de communication de documents (ci-après « ordonnance de tierces parties de déclaration de l’actif ou de communication de documents »); − l’ordonnance d’octroi de frais de subsistance (ci-après « ordonnance d’octroi de frais »); (ci-après collectivement désignées « ordonnances accessoires »). 1.3.2.1. L’ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé et l’ordonnance de se soumettre à un interrogatoire [Page 13] L’ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé est une ordonnance qui accompagne souvent l’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé. En l’absence d’une telle mesure, il serait impossible, voire illusoire, de penser que l’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé soit respectée, si le requérant ne connaît pas précisément quels sont les biens de l’intimé. Elle est généralement accompagnée d’une ordonnance de se soumettre à un interrogatoire sur la déclaration assermentée de l’intimé. Ces ordonnances sont donc complémentaires à celle de gel de l’actif de l’intimé et se libellent généralement de la façon suivante : • Ordonne à l’intimé de préparer et remettre à la requérante, dans les cinq jours de la date de la signification de la présente ordonnance, un affidavit détaillé décrivant la nature, la valeur, le lieu où sont situés tous ses éléments d’actif partout dans le monde, qu’ils soient détenus ou non en son nom, que ce soit seul ou conjointement avec une autre personne. [Page 14] 16. Procureur Général du Canada c. Lupien, AZ-50433962, par. 17 (26 avril 2007) (j. M. Richard) (C.S.); Cinar8 août 2005, supra note 13, par.13. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés • Ordonne à l’intimé de se soumettre à un interrogatoire sous serment sur son affidavit détaillé dans les cinq jours de la remise par l’intimé dudit affidavit; • Ordonne que dans le cas où les informations ainsi communiquées pourraient incriminer l’intimé, que ce dernier aura droit de refuser de transmettre l’information, mais qu’il lui est recommandé de chercher à obtenir le conseil d’un avocat avant de refuser de répondre. Le refus non fondé de fournir l’information pourra le rendre coupable d’outrage au tribunal et pourra entraîner une condamnation à une amende avec ou sans emprisonnement, le tout sans préjudice à tous recours en dommages-intérêts; • Déclare que l’intimé aura le droit de demander par requête la permission de la cour de conserver pour ses dépenses courantes une somme d’argent qui ne sera pas sujette à l’ordonnance, cette somme devant être déterminée par la cour17. [Page 15] Dans l’affaire Olco Petroleum Group Inc. c. Despina Levantis18 (ci-après « l’affaire Olco »), le juge Lalonde confirme que : « Sur le plan procédural, le tribunal est d’avis que dans le contexte particulier actuel, la compétence inhérente que lui confère la combinaison des articles 46, 733 et 751 du Code de procédure civile autorise la Cour supérieure à rendre des ordonnances hybrides recoupant à la fois la saisie avant jugement, l’injonction Anton Piller et l’injonction de type mareva. » L’ordonnance comportait les ordonnances accessoires ci–dessus décrites, c'est-à-dire l’ordonnance de déclaration sous serment de l’actif de l’intimé et l’ordonnance de se soumettre à un interrogatoire. Dans l’affaire The Attorney General of Canada c. Lupien19, la juge Suzanne Ouellet a accueilli les demandes accessoires à l’injonction Mareva qui prévoyaient non seulement l’ordonnance de se soumettre à un interrogatoire, mais en plus celle de collaborer afin d’aider la demanderesse à obtenir des documents et des informations en possession de tierces parties. [Page 16] Nous constatons donc une ouverture d’esprit des tribunaux d’accorder des demandes qui sont spécifiques aux besoins et aux faits particuliers d’un dossier, dans la mesure où les critères d’émission de l’injonction sont satisfaits. 17. Nous traiterons spécifiquement ci-après dans le présent texte de cet aspect dans la section 1.3.5 intitulée « L’ordonnance d’octroi de frais ». 18. Olco Petroleum Group c. Levantis, AZ-50478863, par. 1 (12 mars 2008) (j. J.-Y. Lalonde) (C.S.) [Olco – 12 mars 2008]. 19. Lupien – 3 avril 2007, supra note 12. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés Dans l’un des jugements rendus dans l’affaire Cinar c. Weinberg20, le juge André Denis se prononce sur une demande d’ordonnance de déclaration de l’actif de l’intimé et d’ordonnance de gel des biens de Weinberg déjà rendue. Le juge Denis refuse l’argument soulevé par Weinberg qu’une telle demande contrevient à son droit à la vie privée prévu à l’article 35 C.c.Q., en précisant que tous les éléments retenus dans le jugement Alary sont toujours présents, voire même, aggravés par des faits postérieurs mis en preuve. Par conséquent, la cour conclut que tout milite en faveur de la demande de divulgation de l’actif qui s’ajoutera aux conclusions déjà exposées dans le jugement du juge Alary21. [Page 17] Le juge ordonne donc qu’un affidavit soit déposé par Weinberg dévoilant un ensemble d’informations spécifiques. Les tribunaux québécois ne voient donc pas d’obstacle à accorder de telles ordonnances. 1.3.2.2. L’ordonnance de tierces parties de déclaration sous serment de l’actif ou de communication de documents Il s’agit d’une ordonnance rendue contre un tiers qui sera mis en cause à la procédure et qui ressemble dans une certaine mesure, sans être identique, à l’injonction « Norwich » que nous trouvons en common law. Elle consiste à demander à un tiers, dans le cadre d’un affidavit sous serment, de déclarer s’il a reçu des fonds de l’intimé ou de déclarer si la tierce partie détient des biens ou doit des sommes à l’intimé22. Elle peut également viser la communication de documents d’un tiers23, souvent des [Page 18] banques24 afin de permettre de trouver où l’argent subtilisé a été transféré. Les tierces parties peuvent être totalement non liées à la disparition des fonds ou en être des agents facilitateurs. Cette mesure contre des tiers est expressément prévue à l’article 761 C.p.c. Ces ordonnances sont généralement formulées de la façon suivante : 20. Cinar - 13 octobre 2006, supra note 12, par. 27. 21. Cinar - 13 octobre 2006, supra note 12, par. 41 et s. 22. Olco Petroleum Group c. Levantis, non publié, no 500-17-041364-087 (22 février 2008) (j. J.-L. Lalonde) (C.S.) [Olco – 22 février 2008]; Olco – 29 février 2008, supra, note 12 ; Olco Petroleum Group Inc. c. Despina Levantis, non publié, no 500-17-041364-087 (1er avril 2008) (j. A. Prévost) (C.S.) [Olco – 1er avril 2008]. 23. Ibid. 24. Voir Isofoton S.A. v. Toronto Dominion Bank, (2007), 282 D.L.R. (4th) 325 (Ont. S.C.). Il s’agit de la première ordonnance de type Norwich reçue en Ontario. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés • Ordonne à la tierce partie de signer une déclaration sous serment et de la remettre à la requérante dans les cinq (5) jours de la présente ordonnance indiquant les conditions de tout prêt ou de tout endettement quelque nature que ce soit. • Ce qu’elle doit à l’intimé ou ce qu’elle a reçu de l’intimé ainsi qu’une description de l’ensemble de son actif. • Ordonne à la tierce partie de dévoiler et de livrer à la requérante, dans un délai de cinq (5) jours de la signification de l’ordonnance à cet effet, tous documents détenus concernant les éléments d’actif de l’intimé. [Page 19] Les tribunaux québécois ont rendu de telles ordonnances dans plusieurs dossiers et elles se sont avérées un moyen efficace pour suivre les mouvements des fonds. Elles permettent d’obtenir des informations utiles pour procéder à de nouvelles saisies ou aider les experts chargés d’enquêter sur la fraude25. 1.3.2.3. L’ordonnance d’octroi de frais Le but de l’émission d’une ordonnance de gel de l’actif de l’intimé ou des ordonnances accessoires est d’empêcher l’intimé de disposer de ses biens où qu’ils soient situés dans le monde. Son effet est donc, ni plus ni moins, d’interdire à toutes les personnes visées par une telle ordonnance de payer leurs dépenses courantes. L’intimé pourrait prétendre qu’une telle mesure est totalement abusive. Afin de répondre à cet argument, les tribunaux réservent généralement le droit à l’intimé de demander à la cour de lui permettre d’utiliser une somme spécifique afin de faire face à ses dépenses personnelles à venir26. Dans certains [Page 20] cas, les juges déterminent, dès l’ordonnance provisoire, qu’un montant sera exempt de l’ordonnance Mareva, en plus de réserver les droits aux défendeurs de demander des fonds supplémentaires si nécessaire27. Certaines ordonnances vont encore plus loin et réservent le droit aux défendeurs de s’adresser au tribunal pour faire libérer des sommes d’argent pour vivre, mais aussi pour payer leurs procureurs28. 25. Olco – 22 février 2008, supra note 21; Olco – 29 février 2008, supra note 12 ; Olco – 1er avril 2008, supra note 21; Olco Petroleum Group Inc. c. Despina Levantis, non publié, no 500-17-041364-087 (26 mai 2008) (j. C. Roy) (C.S.); Cinar – 8 août 2005, supra note 13. 26. Voir Cinar - 8 août 2005, supra note 13. 27. Lupien – 3 avril 2007, supra note 12. 28. Cinar - 13 octobre 2006, supra note 12; Revenu du Québec c. Weinberg, J.E. 2007-17937 (7 septembre 2007) (j. J.Y. Lalonde) (C.S.) [Revenu du Québec]. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés Les tribunaux québécois démontrent réellement une grande ouverture d’esprit et adaptent leurs ordonnances aux circonstances particulières des dossiers. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés [Page 21] SECTION 2: LES CRITÈRES D’ÉMISSION D’ORDONNANCE DE GEL DE l’ACTIF DE L’INTIMÉ ET DES ORDONNANCES ACCESSOIRES Nous brosserons, dans cette partie de notre texte, le tableau des critères reconnus en droit québécois pour l’émission de telles ordonnances à travers la revue des principaux jugements en la matière. Nous profiterons de cette présentation pour expliquer comment les plaideurs pourront aussi s’inspirer, quant au « critère de préjudice sérieux et irréparable » de l’injonction, des jugements rendus en matière de saisie avant jugement. 2.1. Les critères d’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire et d’une ordonnance interlocutoire provisoire Les critères d’émission d’une injonction vont varier selon qu’il s’agisse d’une injonction interlocutoire provisoire, d’une injonction interlocutoire ou d’une injonction permanente. Nous avons choisi de présenter les critères s’appliquant aux injonctions interlocutoires et interlocutoires provisoires et nous ferons le lien avec le critère d’émission de la saisie avant jugement. L’injonction interlocutoire tire sa source des articles 752, 753 et 754 C.p.c. Il est utile de citer l’article 752 C.p.c. qui se lit comme suit : « Outre l’injonction qu’elle peut demander par requête introductive d’instance, avec ou sans autres conclusions, une partie, au début ou au cours d’une instance, obtenir une injonction interlocutoire. L’injonction interlocutoire peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu’elle est jugée nécessaire pour [Page 22] empêcher que lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace. » Dans l’affaire Aetna, la Cour suprême précise que le dernier paragraphe de l’article 752 C.p.c. est la source de l’injonction Mareva au Québec.29 Il est intéressant de noter que les premières décisions que nous avons pu recenser traitant d’ordonnance de gel de l’actif de l’intimé - sans pour autant la nommer – datent du milieu 29. Aetna, supra note 1, par. 12. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés des années 80. Les juges se contentaient de vérifier si les conditions d’émission d’une injonction satisfaisaient les exigences de l’article 752 C.p.c. À titre d’exemple, dans l’affaire Asher Investments Limited Partnership c. Mitelman30, le juge Victor Melançon est saisi d’une demande d’ordonnance d’injonction interlocutoire provisoire ex parte de gel de l’actif de l’intimé et il applique les critères d’injonction reconnus au Québec édictés dans l’affaire Kanatawat31. Le juge se contente de dire que les allégations justifient l’intervention du tribunal et constituent [Page 23] l’apparence de droit requise par la jurisprudence pour l’émission provisoire d’une injonction interlocutoire32. C’est plutôt en 2005 que le vocable d’« injonction Mareva » est apparu dans l’affaire Groupe Financier Cofo, puis dans les nombreux jugements rendus dans l’affaire Cinar. Dans l’affaire Cinar, un certain nombre de demandes d’ordonnance de la nature de l’injonction Mareva ont été accordées par différents juges de la Cour supérieure. Dans l’un des premiers jugements, la juge Christiane Alary s’exprime ainsi sur la théorie applicable en droit québécois en ce qui concerne l’injonction Mareva33 : « [14] Le juge Estey, toujours dans l’arrêt Aetna, confirme que la Cour supérieure du Québec possède le pouvoir d’émettre une telle injonction. [15] Les défendeurs plaident que pour obtenir une injonction Mareva, le requérant doit démontrer qu’il a non seulement une apparence de droit, mais « a strong prima facie case ». Il semble que cette position ait été adoptée par les tribunaux de l’Ontario, tel qu’en font foi certaines décisions citées par les défendeurs. [16] Le tribunal croit qu’il faut faire preuve de circonspection lorsqu’il s’agit d’importer dans le droit du Québec des théories élaborées dans d’autres systèmes de droit. En l’espèce, au Québec, l’octroi d’une [Page 24] injonction interlocutoire trouve sa source dans le texte de l’article 752 C.p.C. et l’interprétation qu’en ont donnée les tribunaux. 30. Asher Investments, supra note 12. 31. Développement de la Baie James c. Kanatawat, [1975] C.A. 166, p. 183. 32. Asher Investments, supra note 12, par. 4. 33. Cinar - 8 août 2005, supra note 13, par. 14, 15, 16, 17 et 18. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés [17] Or, tel que le rappelle le juge Le Bel, alors à la Cour d’appel, dans l’arrêt Brassard, la nature de l’article 752 C.p.C. et son interprétation jurisprudentielle n’autorisent pas, au stade interlocutoire, une décision sur « le mérite du dossier ». [18] Quoi qu’il en soit, les conséquences contraignantes de l’ordonnance demandée invitent clairement à une grande prudence. » Nous partageons totalement l’approche de la juge Alary selon qui le droit québécois dispose de toutes les dispositions législatives nécessaires sans qu’il soit utile de se référer aux critères de l’injonction, tel qu’il ont été développés en common law. 2.1.1. Le critère d’urgence en matière d’injonction provisoire L’article 753 C.p.c. prévoit que, dans les cas d’urgence, un juge peut donner droit à une demande d’injonction interlocutoire provisoire, même avant qu’elle n’ait été signifiée; une injonction provisoire ne peut en aucun cas, sauf du consentement des parties, excéder dix jours. À l’expiration de ce délai, une demande d’ordonnance de sauvegarde est généralement formulée. Ainsi, l’urgence doit également s’apprécier en fonction de la célérité du demandeur à saisir la cour de sa demande. Le praticien bien [Page 25] avisé devra non seulement démontrer qu’il y a urgence à geler les biens du défendeur, mais également qu’il a agi avec célérité34. 2.1.2. Le critère d’apparence de droit : le droit clair, douteux ou inexistant En droit québécois, le test est le suivant afin de déterminer d’accorder ou non une demande d’injonction Mareva : si le droit est clair et que le critère de préjudice sérieux et irréparable tel qu’expliqué ci-après est satisfait, le recours devrait être accueilli. Par contre, si le droit est douteux, la poids des inconvénients sera son contrepoids et pourra, dans certaines circonstances, étant donné l’aspect intrusif et extraordinaire du recours, pencher en faveur du rejet de la demande. Il faudra en plus que le recours satisfasse les exigences du critère de préjudice sérieux et irréparable. 2.1.2.1. Le droit clair Le juge Yves-Marie Morissette de la Cour d’appel confirme que le critère relatif au droit clair est « l’appréciation » prima 34. Tuttle Dozer, supra note 12, par. 5. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés [Page 26] facie, c’est-à-dire de prime d’apparence, des faits donnant ouverture au droit invoqué par les intimés »35. Il n’y a donc pas lieu, dans le cas de l’injonction Mareva, d’exiger un droit plus sérieux que le « droit clair » puisque le critère choisi par le législateur québécois est « celui qui la demande paraît y avoir droit », donc, le « droit clair » de l’affaire Kanatawat. 2.1.2.2. Le droit douteux et le poids des inconvénients L’article 752 C.p.c. exige que le requérant démontre que l’injonction recherchée est nécessaire pour « empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace ». Selon la jurisprudence, lorsque le tribunal examine ces critères, il doit se demander si le refus du redressement pourrait être si défavorable à l’intérêt du requérant que le préjudice ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation, en cas de divergence entre la décision sur le fond et l’issue de la demande interlocutoire : « Le terme « irréparable » a trait à la nature du préjudice subi plutôt qu’à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire et/ou un préjudice auquel il [Page 27] ne peut être remédié, en général, parce qu’une partie ne peut être dédommagé par l’autre. »36 Par ailleurs, la juge Marie Saint-Pierre dans l’affaire Cinar c. Xanthoudakis37 rejette l’argument voulant que la demanderesse ne subisse pas un préjudice irréparable en raison de l’existence d’un recours pécuniaire : « [24] L’impossibilité de retracer des actifs disparus, à la suite de faits et gestes contraires aux obligations qui s’imposent à un débiteur ou des difficultés excessives à ce faire en raison de ces mêmes gestes constituent, à mon avis, un préjudice sérieux ou irréparable. » Lorsque le tribunal vient à la conclusion qu’il s’agit d’un droit douteux, il doit considérer le poids des inconvénients38. 35. Voir Weinberg c. Cinar, non publié, no 09-015940-059 (16 septembre 2005) (C.A.). La requête pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada a été rejetée avec dépens en faveur de Cinar Corporation, le 13 avril 2006, no. 31183. 36. RJR-MacDonald Inc. c. Canada Procureur Général, (1994) 1 R.C.S. 311 à la p. 341 (C.S.C.) 37. Xanthoudakis, supra note 12, par. 24. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés 2.1.2.3. Le critère du préjudice sérieux ou irréparable Les auteurs de doctrine et les tribunaux se réfèrent souvent au « critère du préjudice sérieux et irréparable » pour englober en réalité les deux éléments suivants édictés à l’article 752 C.p.c : « empêcher que ne soit causé (…) au demandeur un préjudice sérieux ou [Page 28] irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace ». Nous nous référerons donc à ces deux éléments lorsque nous utilisons dans le présent article le critère du préjudice sérieux ou irréparable (ci-après « critère du préjudice sérieux ou irréparable »). Les tribunaux ont eu l’occasion de se pencher à de nombreuses reprises sur le critère de préjudice sérieux ou irréparable39. Le juge Dufrêne dans l’affaire CIBC indique qu’il y a clairement un caractère de malhonnêteté requis pour permettre l’émission d’une ordonnance d’injonction Mareva40. Nous ne voyons pas cette « malhonnêteté » comme un critère supplémentaire à l’émission d’une injonction Mareva ; elle est, selon nous, davantage liée à la formulation même du critère à l’article 752 C.p.c., à savoir qu’une ordonnance d’injonction sera accordée « pour empêcher qu’il ne soit causé un préjudice ou que ne [Page 29] soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace. »41 Ce critère ressemble énormément à celui de « la crainte objective » de la saisie avant jugement. A) L’interrelation entre les critères de l’injonction et ceux de la saisie avant jugement La saisie avant jugement selon l’article 733 C.p.c. et l’injonction Mareva sont complémentaires et non mutuellement exclusives. 38. Le poids des inconvénients penchait en faveur du demandeur dans Cinar - 8 août 2005, supra note 13; Canadian Imperial Bank of Commerce c. Samson, J.E. 2008-1010 (4 avril 2008) (j. G. Blanchet), par. 21 (C.S.) [CIBC – 4 avril 2008]. Toutefois, elle penchait en faveur de l’intimé dans Tuttle Dozer, supra note 12. 39. Cinar- 8 août 2005, supra note 13; Xanthoudakis, supra note 12, par. 24 et 25; CIBC- 4 avril 2008, supra note 37; Asher Investments, supra note 12, par. 3 ; Cinar - 13 octobre 2006, supra note 12; Olco – 12 mars 2008, supra note 17. 40. CIBC- 4 avril 2008, supra note 37, par. 11. 41. Ibid., par. 19. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés À plusieurs occasions, les juges ont rendu des ordonnances d’injonction Mareva dans un contexte où des demandes de saisie avant jugement avaient été accordées auparavant. De la même façon, dans de nombreux dossiers, des demandes de saisie avant jugement étaient présentées en même temps que la demande d’injonction Mareva42. [Page 30] La saisie avant jugement selon l’article 733 C.p.c. est de nature différente d’une injonction Mareva puisque la première se rattache aux biens, et l’autre à la personne. Elles se complémentent toutefois très bien. Dans les stratégies à considérer lorsqu’une fraude est découverte, le recours double de la saisie avant jugement et de l’ordonnance d’une injonction Mareva peut s’avérer avantageux. Il semble toutefois que les conditions d’émission de chacun de ces recours doivent être satisfaites. B) Le critère de « crainte objective » de la saisie avant jugement est très similaire au critère du préjudice sérieux ou irréparable de l’injonction Mareva. La similitude entre les deux recours nous amène à nous demander si le critère de « crainte objective » de la saisie avant jugement est également pris en considération dans le critère du préjudice sérieux ou irréparable de l’injonction, et en quoi les faits à alléguer au soutien de l’une de ces procédures doivent être différents de ceux à alléguer au soutien de l’autre. Notons tout d’abord la similitude entre le libellé de l’article 733 C.p.c. et celui de l’article 752 C.p.c. [Page 31] Article 733 C.p.c Le demandeur peut, avec l’autorisation d’un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu’il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril. (Nos soulignements) Article 752, al. 2 C.p.c. L’injonction peut être accordée lorsque celui qui la demande paraît y avoir droit et qu’elle est jugée nécessaire pour empêcher que ne lui soit causé un préjudice sérieux ou irréparable, ou que ne soit créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement final inefficace. (Nos soulignements) Nous sommes d’avis que, bien que le législateur ait utilisé des mots différents, ceux-ci ont réellement la même signification. 42. Xanthoudakis, supra note 12. Voir également Cinar Corporation c. Weinberg, J.E. 2005-1972 (9 septembre 2005) (j. H. Le Bel) (C.S.). © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés D’ailleurs, tel que nous l’avons noté précédemment, il existe un certain nombre de jugements dans lesquels tant une demande d’injonction Mareva qu’une ordonnance de saisie avant jugement ont été demandées et ordonnées. Or, dans plusieurs d’entre elles, les tribunaux n’ont pas fait une distinction entre le libellé de ces deux articles. De notre point de vue, ces critères se ressemblent à un tel point que la jurisprudence relative à la saisie avant jugement, qui traite de la « crainte que le recouvrement de la créance ne soit mis en péril », peut certainement être utilisée lorsque l’on plaide [Page 32] le critère de préjudice sérieux et irréparable de l’injonction Mareva. Nous croyons donc utile de rappeler dans leurs grandes lignes les principes de la saisie avant jugement et leur application jurisprudentielle puisqu’ils représentent de bons exemples factuels pouvant guider les tribunaux dans l’évaluation du critère du préjudice sérieux ou irréparable. • La notion de crainte d’objective vs. crainte subjective Il faut alléguer des faits précis et objectifs qui permettraient à une personne raisonnable de croire que la créance serait mise en péril sans la saisie43. La loi n’exige pas qu’on démontre une intention frauduleuse du débiteur. Cependant, dans l’arrêt Elkin c. Hellier44, la Cour d’appel a énoncé qu’il faut démontrer « des manœuvres [Page 33] déloyales ou des actes destinés à soustraire des biens du débiteur à l’exécution normale par ses créanciers ». Cette objectivité requise pour la saisie avant jugement dans l’appréciation des faits devrait également s’appliquer, selon nous, à l’injonction Mareva pour déterminer s’il y a un préjudice sérieux et irréparable. • L’intention malicieuse de soustraire des biens aux recours des créanciers Même si le nouveau Code de procédure civile n’exige pas une intention de frauder dans le cadre de la saisie avant jugement, il exige néanmoins plus que la simple existence d’une créance qui pourrait être difficile à récupérer, comme l’a expliqué la Cour d’appel : 43. FERLAND Denis et EMERY Benoit, Précis de procédure civile du Québec, vol. 2, 4e éd, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 382. 44. Elkin c. Hellier, (1991) R.D.J. 49, p. 51 (C.A.) [Elkin]. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés « La mauvaise situation financière et l’énumération de poursuites judiciaires prises contre un individu ne sont pas, à mon avis, des faits pouvant donner lieu de craindre, au sens voulu par le législateur; il faut que les faits énumérés dénotent une certaine intention malicieuse, de la part du présumé débiteur, de soustraire ses biens aux recherches de ses créanciers. »45 [Page 34] Sans cette intention malicieuse, il n’y aura pas lieu de pratiquer une saisie avant jugement, même s’il y a soustraction de ses biens aux recours de ses créanciers par effet de ses gestes posés de bonne foi46. De notre point de vue, il en est de même dans l’évaluation du critère du préjudice sérieux et irréparable de l’injonction Mareva. • La volonté de vendre ses biens n’est pas suffisante47. Il en est de même pour l’injonction Mareva. • Une créance née de la fraude ne donne pas un droit automatique à la saisie avant jugement48. Cependant, les manœuvres frauduleuses à la source de la créance constitueraient un élément susceptible d’être pris en [Page 35] considération parmi d’autres49, par exemple en présence d’une conduite malhonnête persistante50. Les exemples jurisprudentiels précédents permettent donc de constater que le critère de crainte « objective » de la saisie avant jugement est réellement similaire au critère du préjudice sérieux ou irréparable de l’injonction prévu au deuxième alinéa de l’article 752 C.p.c. Il est donc utile pour les plaideurs d’être conscients de cette similitude lorsqu’ils plaideront des demandes qui comportent ces deux types de recours. 45. Freedom Maritime Corporation c. Campbell, R. & F., vol. 3, 349 (1975 – C.A.). 46. Elkin, supra note 43 ; 9096-6052 Québec inc. c. Fraser, EYB 2005-90144 (C.Q.). 47. Phaneuf c. Climatisation du Suroît inc., EYB 2007-147493 (C.Q.). 48. Tremblay c. Quincaillerie Chouinard Inc., J.E. 90-1067 à la p. 2 (C.A.). 49. Elkin, supra note 43. 50. 2838087 Canada inc. c. Landry, 2006 QCCS 5965 (C.S.); Agence nationale d'encadrement du secteur financier c. Plouffe, J.E. 2004-2133 (C.S.). Voir au même effet Banque de Montréal c. Uniformes TQ inc., 2006 QCCS 6468 (C.S.); Cinar Corporation c. Weinberg, J.E. 2005-1971, par. 55, 73 et 85 (10 juin 2005) (j. J.P. Senécal) (C.S.). © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés CONCLUSION Nous avons vu dans le présent texte que les ordonnances de gel de l’actif de l’intimé et les ordonnances accessoires sont des injonctions dont les conditions d’émission tirent leur source du Code de procédure civile et de la jurisprudence québécoise. [Page 36] Ce sont des outils très utiles dans le cadre de dossier de fraude afin d’intervenir de façon rapide pour prévenir la dilapidation d’éléments d’actif. Ces recours sont très flexibles et peuvent être adaptés aux circonstances de chaque dossier. Les juges au Québec se sont d’ailleurs montrés jusqu’ici très réceptifs à prendre en considération et à accueillir de telles ordonnances. Nous estimons donc que ce recours gagne à être connu et démystifié au Québec, puisqu’il permet réellement d’évaluer avec plus de précision les chances de récupérer les sommes réclamées relativement tôt dans le processus judiciaire. Finalement, la sanction par l’outrage au tribunal permet à la requérante de s’assurer que le tribunal puisse intervenir rapidement en cas de violation des ordonnances et constitue, de notre point de vue, un indicatif additionnel pour évaluer quelle sera l’attitude de l’intimé au cours du dossier. © 2009 Barreau du Québec – Tous droits réservés