Marie-Anne Dujarier La norme d`idéal au travail

Marie‐Anne Dujarier La norme d’idéal au travail Marie‐Anne Dujarier Sociologue du travail. Sorbonne Nouvelle / Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (UMR CNAM / CNRS) Cette communication traite de l’évolution du travail contemporain à partir d’une recherche comparative, menée dans deux milieux professionnels contrastés, en France : une chaîne de restauration privée et une institution hospitalière publique (service de gériatrie longue durée). La recherche a été réalisée avec une approche clinique, qui vise à associer les acteurs sociaux à développer l’interprétation des faits sociaux, de « ce qui leur arrive » et de « ce qu’ils en font ». Ces résultats ont été discutés et mis à l’épreuve dans ces milieux de travail, mais aussi, plus largement, dans d’autres organisations publiques et privées. Trois constats principaux seront présentés : -
Le travail qui est demandé aux salariés est « idéal ». En effet, l’analyse détaillée des prescriptions adressées aux professionnels montre qu’elles dessinent une organisation capable de satisfaire totalement tous les acteurs sociaux (actionnaires, dirigeants, salariés, consommateurs, citoyen …) sans l’ombre d’une tension. Cette prescription enchanteresse est conçue dans des directions spécialisées et éloignées des opérations. Chacune dans son domaine exige des performances excellentes. Elles sont le plus souvent idéales (donc surhumaines) et contradictoires entre elles. Les systèmes d’évaluation et de contrôle rendent cet idéal exigible : l’idéal est alors érigé en norme. -
Face à cette contradiction entre le possible et l’idéal, il faut produire des réponses pratiques, qui soient aussi subjectivement et socialement acceptables. Or ce « travail d’organisation » s’avère être délégué aux plus bas niveaux, éventuellement à ceux qui n’ont ni les moyens ni le droit d’y faire face mais qui, justement, doivent faire face à la situation concrète, dans l’interaction avec un client ou un patient. L’injonction à être « autonome et responsable » tend à individualiser et psychologiser leur réponse. Dans ce contexte, les sujets peuvent adopter quatre attitudes génériques qui sont des arbitrages entre le possible et l’idéal : « enchanteurs », « héroïques », « pratiques » et « résistants » sont autant de manières typiques de vivre son travail aujourd’hui. Il est socialement réparti. -
Face à cette injonction de toute puissance, les travailleurs déploient des actions possibles, à taille humaine. Ils sont incités à dissimuler ce qu’ils font vraiment (le travail réel) et à simuler les résultats gestionnaires attendus. Nous montrons que ce jeu de simulation et dissimulation est source d’inefficacité, de malaise et de tensions sociales sourdes. Aussi, la norme d’idéale produirait l’inverse de ce qu’elle affiche, interrogeant alors le sens de ce discours managérial. Cet exposé nous amènera à distinguer deux responsables d’encadrement du travail aujourd’hui : le manager de proximité et le manager à distance. Nous montrerons qu’ils sont fréquemment en tension. Cet exposé permettra, à partir de cas clinique, de clarifier les notions de « travail prescrit », « travail réel », « travail réalisé » et « travail vécu ». Nous présenterons également le concept de « travail d’organisation », en tant qu’il aide à penser ces situations sociales. Cette communication résume un livre, disponible aux Presses Universitaires de France (Quadrige), sous le titre : L’idéal au travail.