Pour la présente édition © Opéra national de Lyon, 2003
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Pour la présente édition © Opéra national de Lyon, 2003 ALBAN BERG WOZZECK Livret d’après Woyzeckde Georg Büchner Opéra en trois actes & quinze scènes Opus 7 OPERA de LYON Couverture. Gravure de l’exécution de Johann Christian Woyzeck sur la Markplatz de Leipzig, le 27 août 1824. « Le 21 juin de l’année 1821, vers 9 heures et demie du soir, le barbier Johann Christian Woyzeck, 41 ans, frappait la veuve de feu le chirurgien Woost Johann Christian, 46 ans, dans le couloir de sa maison, Sandgasse, avec une lame d’épée émoussée à laquelle il avait fait mettre une poignée, cette après-midi-là. Atteinte de sept blessures, la veuve rendait l’âme au bout de quelques minutes... », indique le rapport médical du Docteur Johann Christian August Clarus, ordonné par le Tribunal sur Johann Christian Woyzeck ; ce dernier ayant déclaré avoir entendu des voix et agi sous la poussée d’une force extérieure à lui. En conclusion, ce rapport écartait l’hypothèse d’un meurtre commis en pleine confusion mentale. Le Tribunal confirmait son entière responsabilité et le condamnait à la mort par l’épée. LIVRET 9 13 17 24 52 88 Fiche technique L’argument Les personnages WOZZECK Erster Akt/ Premier acte Zweiter Akt/ Deuxième acte Dritter Akt/ Troisième acte CAHIER de LECTURES 109 112 116 123 125 130 133 134 137 Alban Berg Même en rêve... Alban Berg Mise en scène & régie Theodor W. Adorno Caractérisation de Wozzeck Arnold Schoenberg Quand Alban Berg vint à moi... Elias Canetti Rencontres avec Alban Berg Theodor W. Adorno J’ai fait sa connaissance... Bernard Groethuysen Georges Büchner... Elias Canetti. Büchner / Woyzeck Georg Büchner Cinq Lettres CARNET de NOTES 144 148 153 Georg Büchner Repères biographiques & Notice bibliographique Alban Berg Repères biographiques & Notice bibliographique WozzeckDiscographie sélective & Vidéographie LIVRET Etabli par le compositeur d’après Woyzeck, drame de Georg Büchner, commencé en 1836, peu avant sa mort. Bien qu’inachevé et resté à l’état de fragments autour d’une 6 trentaine d’épisodes sans articulation ni répartition en actes, Woyzeckpréfigure le théâtre moderne par la structure dramatique et la langue. Les premières représentations eurent lieu en novembre 1913 à Munich, puis à Berlin. Le manuscrit de Woyzeckcomportant plusieurs ébauches avait été publié la première fois, en 1879, par Karl Emil Franzos, de manière jugée désormais douteuse. Ce dernier est à l’origine de la variation orthographique de Wozzeck, qu’Alban Berg a volontairement conservée pour son opéra. PARTITION Conception et composition : entre mai 1914, date à laquelle Alban Berg assiste aux représentations à Vienne de Woyzeck de Georg Büchner et octobre 1921, date où il achève l’instrumentation de Wozzeck. Dédiée à Alma Mahler, l’œuvre est éditée, dès 1923, par les éditions Universal à Vienne. Le manuscrit de Wozzeck, en trois volumes, appartient au fonds de la Bibliothèque du Congrès à Washington, à laquelle Alban Berg l’a vendu en 1934, afin de financer son travail sur Lulu. PERSONNAGES WOZZECK LE TAMBOUR-MAJOR ANDRÈS LE CAPITAINE LE DOCTEUR MARIE MARGRET PREMIER ARTISAN SECOND ARTISAN L’IDIOT LE PETIT GARÇON DE MARIE SOLDATS & ARTISANS SERVANTES & FILLES ENFANTS Baryton et voix parlée Ténor héroïque Ténor lyrique et voix parlée Ténor bouffe Basse bouffe Soprano Alto Basse profonde et voix parlée Baryton aigu Ténor aigu Ténors I et II, barytons I et II, basses I et II Sopranos et altos ORCHESTRE Dans la fosse 4 flûtes (dont piccolo) 4 hautbois (dont cor anglais) 4 clarinettes 1 clarinette basse 3 bassons 1 contrebasson 4 cors 4 trompettes 4 trombones (1er : alto ; 2e & 3e : ténors ; 4e : basse) 1 tuba basse cordes timbales cymbales (1 paire + 1 suspendue + 1 paire fixée sur la grosse caisse) grosse caisse caisses claires fouet grands et petits tam-tam triangle xylophone célesta harpe Musique de scène Acte I, Scène 2.Plusieurs caisses claires Acte I, Scène 3.Musique militaire piccolo 2 flûtes 2 hautbois 2 clarinettes en mi bémol 2 bassons 2 cors 7 2 trompettes 3 trombones tuba basse grosse caisse avec cymbales caisses claires triangle Acte II, Scène 4.Musique du bal 2 violons accordés un ton plus haut (la-mi-si-fa#) clarinette en ut cithares bombardon (à défaut tuba basse) accordéon Acte III, Scène 3. piano droit désaccordé DURÉE MOYENNE 1 h. 30 environ CRÉATION 14 décembre 1925, au Staatsoper de Berlin Direction musicale.Erich Kleiber Mise en scène. Franz Ludwig Hörth Décors et costumes.Panos Aravantinos CRÉATIONS en FRANCE 8 En concert Novembre 1950, au Théâtre des Champs-Elysées Direction musicale.Jasha Horenstein Dans la distribution. Lucien Lovano, Irma Kolassi, Georges Jouatte, André Vessières Production invitée Mai 1952, au Théâtre des Champs-Elysées Deux représentations de la production de l’Opéra de Vienne Direction musicale.Karl Böhm Mise en scène.Oscar Fritz Schuh Décors et costumes.Caspar Neher Dans la distribution. Josef Hermann, Christel Goltz, Karl Dönch, Max Lorenz Première production française en langue originale Novembre 1963, à l’Opéra de Paris (reprise en 1966) Direction musicale.Pierre Boulez Mise en scène.Jean-Louis Barrault Décors.André Masson L’ŒUVRE à LYON 1962 Création à Lyon Adaptation en français de P. Spaak Direction musicale.Richard Kraus Mise en scène.Hans Zimmermann Décors et costumes.Jean Guiraud 1970 Adaptation en français d’Antoine Goléa Direction musicale.Serge Baudo Mise en scène.Louis Erlo Décors et costumes.Jacques Rapp Production reprise en 1973 Direction musicale. Theodor Guschlbauer et Jean-Pierre Jacquillat 2003 Première production en langue originale Direction musicale.Lothar Koenigs Mise en scène & scénographie.Stéphane Braunschweig Costumes. Thibault Vancraenenbroeck 9 PREMIER ACTE Cinq pièces musicales de caractère SCÈNE 1 Suite avec Prélude, Pavane, Gigue, Gavotte, Air, reprise du Prélude Tôt le matin. Dans sa chambre, le CAPITAINE se fait raser par le soldat WOZZECK . Il lui reproche de ne pas avoir de morale, d’avoir un enfant sans être marié. 10 Avoir de la morale, c’est malheureusement difficile quand on est pauvre, lui répond le soldat. SCÈNE 2 Postlude orchestral Rhapsodie sur trois accords (et le chant des chasseurs en trois strophes) Tard l’après-midi. Hors de la ville, WOZZECK et son camarade ANDRÈS coupent du bois. WOZZECK sent des forces mystérieuses autour de lui, sous ses pieds, dans le sol. Il voit des traînées de feu, entend des trombones... ANDRÈS essaye de le calmer. Postlude orchestral SCÈNE 3 Marche militaire et berceuse Le soir. A sa fenêtre, MARIE , compagne de Wozzeck, admire le Tambour-Major qui passe à la tête de la fanfare. Sa voisine MARGRET remarque son excitation et le feu de son regard. Elles se disputent. Restée seule, MARIE berce son enfant. WOZZECK survient, lui raconte ses visions et repart aussitôt, ayant à peine jeté un regard sur son fils. MARIE a peur. Interlude orchestral SCÈNE 4 Passacaille avec vingt-et-une variations Après-midi ensoleillé. Dans son cabinet, le DOCTEUR reproche à WOZZECK, qui lui sert de cobaye pour ses expériences médicales, de ne pas suivre ses instructions à la lettre. W OZZECK lui raconte ses visions, évoque « la terrible voix » qui lui parle. Enthousiasmé par ce beau cas d’étude, le DOCTEUR entrevoit pour lui la gloire scientifique. SCÈNE 5 Transition orchestrale Introduction orchestrale Andante affetuoso (Rondo) Au crépuscule. Chez elle, MARIE finit par céder aux avances du TAMBOURMAJOR : « Eh bien, si tu veux ! C’est du tout au même ! » DEUXIÈME ACTE Symphonie en cinq mouvements SCÈNE 1 11 Mouvement de forme sonate avec exposition, reprise de l’exposition, développement et réexposition Le matin ; le soleil brille. Son fils à ses côtés, MARIE contemple les boucles d’oreilles données par le Tambour-Major. WOZZECK entre. Il a des doutes sur la provenance de ces bijoux, mais remet à MARIE l’argent qu’il a gagné auprès du Capitaine et du Docteur. Pleine de remords, elle a envie de se tuer. Postlude orchestral SCÈNE 2 Fantaisie et fugue sur trois thèmes C’est le jour. Le CAPITAINE et le DOCTEUR se rencontrent dans la rue. Le DOCTEUR effraie le CAPITAINE avec de sombres diagnostics. WOZZECK passe. Les deux hommes s’amusent à éveiller ses soupçons sur l’infidélité de Marie et, par allusions, à lui suggérer l’identité de l’amant. Le soldat file sans saluer. SCÈNE 3 Mesures de transition Introduction d’orchestre de chambre Largo Un temps triste. WOZZECK retrouve MARIE chez elle. « Tu es belle comme le péché », lui dit-il, menaçant. MARIE se défend : « Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi. » SCÈNE 4 Mesures de transition Prélude orchestral, scherzo (avec Ländler, Chant des compagnons, Valse, etc.) Tard le soir. Jardin d’une auberge. ARTISANS, SOLDATS , FILLES. On chante, on danse des Ländler. ANDRÈS s’accompagne à la guitare pour une chanson reprise par le chœur. Parmi les couples, MARIE et le TAMBOUR-MAJOR. WOZZECK les observe. A son ami ANDRÈS : « Je suis bien assis, et dans la froide tombe, je serai encore mieux. » L’IDIOT, prescient, s’approche de lui : « Je sens, je sens du sang. » Postlude orchestral 12 SCÈNE 5 Rondo marziale (con Introduzione) La nuit. Dans la chambrée, parmi le chœur sans paroles des soldats qui dorment, WOZZECK n’arrive pas à trouver le sommeil. Il revoit, il revit la scène de l’auberge. Le TAMBOUR-MAJOR, saoul, regagne la chambrée. Les deux hommes se battent. WOZZECK a le dessous. TROISIÈME ACTE Six inventions SCÈNE 1 Invention sur un thème avec sept variations Fugue Il fait nuit. Dans sa chambre, MARIE feuillette la Bible. Son enfant est auprès d’elle. Elle est inquiète, Wozzeck n’est pas venu depuis deux jours. Elle lit l’épisode de la femme adultère, celui de Marie-Madeleine et elle prie : « Sauveur, tu as eu pitié d’elles, aie pitié de moi aussi. » Postlude orchestral SCÈNE 2 Invention sur une note (Si) Au crépuscule. Dans la forêt, près d’un étang. MARIE et WOZZECK s’en retournent vers la ville. MARIE a froid. « Celui qui est froid ne tremble plus », lui dit WOZZECK. La lune se lève, rouge. WOZZECK enfonce son couteau dans la gorge de MARIE. Transition orchestrale (Crescendo sur le Si) SCÈNE 3 Invention sur un rythme La nuit, faible lumière. Une taverne. On danse au son d’un piano désaccordé. WOZZECK est attablé. MARGRET remarque le sang sur sa main, sur son bras. « Ça pue le sang humain », crie MARGRET. On fait cercle autour de WOZZECK qui se précipite dehors. Postlude orchestral 13 SCÈNE 4 Invention sur un accord La lune, comme avant. Près de l’étang, WOZZECK recherche son couteau. Il bute contre le corps de MARIE, cherche à se laver du sang dans l’étang. Il s’enfonce dans l’eau et se noie. Passant par là, le DOCTEUR et le CAPITAINE entendent un gémissement. Peu rassurés, ils quittent l’endroit. Epilogue orchestral (Invention sur une tonalité) SCÈNE 5 Invention sur un rythme de croches Par un matin clair. Le soleil brille. Des ENFANTS jouent devant la porte de Marie. Parmi eux, son fils. Un des gosses lui annonce que sa mère est morte. Tous sortent pour aller voir le cadavre près de l’étang. Fréquemment considéré comme l’antihéros par excellence, WOZZECK est le premier héros, parmi ceux qui jalonnent l’histoire de l’opéra, qui n’a plus rien d’exceptionnel. Woyzeckest la démonstration théâtrale de la thèse de Georg Büchner selon laquelle les conditions de notre existence sont hors de nous-mêmes, incontrôlables, aliénantes ; le destin des personnages de sa pièce est totalement déterminé, inféodé à une société qui fonctionne sur le mépris de l’être humain et l’indifférence sociale globale. 14 Médecin lui-même, Büchner a étudié de manière clinique le cas de Christian Woyzeck – barbier et simple soldat exécuté à Leipzig pour avoir assassiné sa maîtresse – en s’appuyant sur le rapport du Docteur Clarus, conseiller à la Cour qui devait déclarer Woyzeck responsable ou non de ses actes. Idée nouvelle au milieu du XIXe siècle que le coupable puisse aussi être une victime ! WOZZECK a abandonné son existence à la société. Son identité est piétinée, son humanité niée. Il est seul. Il ne s’intègre pas, il ne convient pas, il n’entre dans aucune des catégories déterminées par les hommes de pouvoir dont l’obsession est de situer, séparer, classer, étiqueter. Le CAPITAINE et le DOCTEUR figurent, pile et face, ces catégories d’oppresseurs. WOZZECK n’arrive pas à décrypter la société. Réifié par ses congénères, il n’est ni naïf ni idiot, il est non-comprenant. Il ressent leur constant harcèlement : sans cesse appelé par son patronyme, traqué, pressé. Dans l’œuvre, il est le seul à travailler, sorte de Figaro déchu, pris par le temps pour gagner l’argent qu’il doit fournir à MARIE pour son enfant. Pour améliorer sa solde, il se prête aux expériences médicales du DOCTEUR. Lorsqu’il donne l’argent à MARIE, l’instant est mis en évidence par un accord de do majeur qui traduit la stabilité, la simplicité – et qui symbolise l’harmonie tonale du style classique – au sein d’une partition atonale. Cet acte, ce don, est essentiel pour WOZZECK ; MARIE est son seul lien avec la vie. Ils se décrivent comme de « pauvres gens » pleins de détresse, conscients de leur enfermement social. A chaque fois qu’il est humilié au plus profond de lui-même par le CAPITAINE et par le DOCTEUR notamment, WOZZECK reste en retrait. Dès qu’il veut s’exprimer, dire ce qu’il ressent, les mots deviennent difficiles, les notes semblent lui manquer. Son silence leur est insupportable. Mais il est seul pourtant à l’affronter : « Silence, tout est silence, comme si le monde était mort. » La nouvelle vocalité, le Sprechgesang, lui permet de dire ce que les autres n’entendent pas, c’est le langage poétique de celui qui n’est pas compris. Ce parlé-chanté (qui est aussi à michemin entre la réalité et le théâtre d’opéra) le laisse toujours sur le seuil de l’œuvre lyrique dont il reste exclu de par sa vocalité particulière. Lorsque le CAPITAINE et le DOCTEUR lui font comprendre 15 cyniquement que MARIE l’a trompé avec le TAMBOUR-MAJOR, ses pensées se perdent dans un labyrinthe, s’empêtrent dans une toile d’araignée traduite musicalement par une triple fugue, forme musicale de sophistication savante. Comme il ne comprend pas, il cherche à voir, à lire sur les visages. Sur le visage de MARIE, il cherche les traces de son infidélité, il n’y parvient jamais : « nichts ». Pour autant, le soldat WOZZECK n’est jamais seul, il ne peut fermer les yeux, faire taire ses angoisses pour trouver en luimême le silence. Sans cesse, des voix intérieures le tourmentent, des images le perturbent. La couleur rouge naît de ses cauchemars, devient sa hantise. Imaginer le sang, voir la lune rougissante, désirer la bouche trop rouge de MARIE... tout fait écho chez lui à une obsession glacée. Par ce meurtre quasi ritualisé, il se range enfin dans une catégorie, celle des assassins. Libération autant que perdition de WOZZECK qui a trouvé la force de transgresser l’ordre légal. Si WOZZECK toujours revient au silence, MARIE, elle, revient toujours au chant. Par son extrême compassion, MARIE connaît tous les langages, adopte toutes les vocalités, celle du parlé-chanté de WOZZECK, du non-dit, celle de la culture populaire (les berceuses, les chansons...), elle jette même à la face de WOZZECK une part de la vocalité du TAMBOUR-MAJOR. Si WOZZECK est le père de l’enfant de MARIE, il ne lui donne jamais le sentiment que quelque chose lui appartienne, il est comme en transit dans la vie. Cependant ils ont partagé l’amour. Couple démuni, lentement désuni, n’ayant que peu de moyens de déchiffrer le monde, ils ont encore besoin l’un de l’autre. Beaucoup de tendresse lie MARIE à cet homme étrange qui l’effraie et qu’elle est seule à prénommer Franz. LE TAMBOUR-MAJOR est le soldat dans la magnificence de son narcissisme : fort, beau, avec une arrogante supériorité masculine, une suffisance phallocrate : il se pavane en uniforme pour séduire les femmes. Sensible à sa virilité léonine, MARIE se laisse séduire. Désemparée, elle cherche dans la lecture de la Bible un 16 apaisement mais la présence de l’enfant l’en distrait. En lisant l’histoire de Marie-Madeleine, elle semble trouver un fragile réconfort. Son chant glisse alors vers le grand soprano lyrique pour implorer le pardon, vocalité induite par la citation biblique. MARIE prend confusément conscience de sa condition de femme, écartelée entre l’image de Marie la mère et celle de Marie-Madeleine la pécheresse. Appelle-t-elle la mort lorsqu’elle nie avoir trompé WOZZECK : « Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi », puisque la phrase fait un écho dangereux à l’obsession de WOZZECK ? D’une sensation de vide, de silence naît en WOZZECK le désir de meurtre telle une éruption volcanique désespérée. Objet de tous, WOZZECK ne supporte pas que MARIE ait pu se jouer de lui et le trahir. Dans l’instant du meurtre, tous deux sont à la fois terriblement proches et tragiquement séparés dans la solitude de leur inévitable destin. Miroirs absurdes de la société, le CAPITAINE et le DOCTEUR sont deux des multiples masques de l’oppresseur. Ils s’écoutent pérorer, discourent de manière savante, imperméables à tout autre voix. Ils s’agitent pour exister. Et leurs actes sont inutiles. LE DOCTEUR incarne l’inhumanité de la science. Il entreprend des expériences dénuées de sens, il débite des âneries et des vérités pseudo-scientifiques sur un ton dogmatique, empreint du plus grand sérieux, sans jamais se départir de sa propre idée fixe. Toujours pressé, angoissé par l’inéluctabilité du temps, il devient par contre emphatique pour énoncer ses théories : sa voix s’élargit alors en timbre, dans la durée et la puissance, jusqu’à une sorte d’extase bouffonne où il se persuade de son immortalité, symbolisée par une passacaille de vingt-et-une variations. Il hait la nature car elle ne concorde pas avec ses théories. Il a une idée abstraite, absurde du comportement humain, qu’il veut soumettre à ses thèses : l’homme y est sacrifié. A l’inverse de ce que l’on attend d’un médecin, il ne cherche pas que les gens soient sains. Ses expérimentations sans scrupules sur le « sujet vivant » préfigurent ses sinistres collègues du Troisième Reich. Il pose un diagnostic catastrophiste du mode de vie du CAPITAINE dont la lenteur obsessionnelle ne peut manquer d’engendrer une maladie mortelle... La force de son discours 17 effraie le CAPITAINE. Le DOCTEUR lui suggère sa maladie avec tant de conviction que l’autre en décèle sur-le-champ les symptômes ! LE CAPITAINE, thuriféraire de l’ordre et de la morale, préconise un comportement pondéré. A son avis, le DOCTEUR court après la mort, sa hâte est inadéquate. Le CAPITAINE a peur du vide, peur d’avoir trop de temps. Sans arrêt, il déblatère : bouffonnement des phrases courtes, serrées, heurtées, avec de nombreux accidents vocaux quoiqu’il recommande – « une chose après l’autre » – modération et lenteur. Supérieur de WOZZECK, il abuse sans hésitation de son privilège hiérarchique. Il lui reproche de ne pas avoir de morale, de ne pas faire appel à la bénédiction de l’Eglise. En réponse, les silences du soldat lui sont insupportables. Empli de charité, il s’imagine même faire le bien de WOZZECK mais ses certitudes l’empêchent de voir à quel point il l’humilie. Le soldat ANDRÈS exprime le bon sens précieux de l’ordinaire. Sa tournure évoque le folklore, son langage est populaire. Il a la vocalité du ténor lyrique, style vocal tout à fait « normal » sur une scène d’opéra. Dans la deuxième scène, face à WOZZECK, la superposition de leurs lignes vocales met en évidence leur différence de langage et donc de temporalité : le temps opératique mesuré d’ANDRÈS qui fredonne une chanson de chasseur à la gaieté écrasée, et le temps de l’évoqué dans le Sprechgesang intériorisé de WOZZECK. Les deux soldats ne peuvent avoir le même chant : ANDRÈS n’entend pas ce que WOZZECK sent et exprime difficilement. MARGRET, avec la lucidité et la cruauté de la commère, révèle à MARIE son désir charnel comme elle rendra public le crime de WOZZECK. 18 A l’auberge (acte II, scène 4), on voit des êtres ivres : ARTISANS, SOLDATS et FILLES, qui ont la peur au ventre, les yeux dilatés par l’angoisse dont ils tentent de se débarrasser en se jetant à corps perdu dans une allégresse forcenée : on entend leurs rires déformés, leurs cris. La scène a une construction très stricte, basée notamment sur un scherzo perverti en une danse macabre, qui prend l’apparence d’un chaos démesuré à l’érotisme pesant. Tous tanguent, dans un vertige lascif au son d’un ensemble instrumental, sorte de groupe d’amateurs jouant tant bien que mal une satire de valse criarde. MARIE danse avec le TAMBOUR-MAJOR : elle trompe WOZZECK qui ne peut plus se cacher la vérité. Seule l’ivresse lui aurait peut-être permis de s’oublier parmi les autres mais il reste extérieur au chant populaire des SOLDATS et d’ANDRÈS. DEUX ARTISANS plus ivres que les autres transforment un Ländler en chanson à boire mélancolique sur la misère du monde. L’un d’eux déclame son sermon de carême au milieu de l’orgie, énonce des sentences dans un langage extatique issu de l’inconscient. L’IDIOT, le Fou, celui qui sait, sent l’odeur du sang proche, inéluctable. Karine Van Hercke ALBAN BERG WOZZECK ACTE I SCÈNE 1 ERSTER AKT ERSTE SZENE Zimmer des Hauptmanns. Frühmorgens. Hauptmann auf einem Stuhl vor einem Spiegel. Wozzeck rasiert den Hauptmann. HAUPTMANN Langsam, Wozzeck, langsam! Eins nach dem Andern! (unwillig) Er macht mir ganz schwindlich. (Bedeckt Stirn und Augen mit der Hand. Wozzeck unterbricht seine Arbeit. Hauptmann wieder beruhigt.) Was soll ich denn mit den zehn Minuten anfangen, die Er heut’ zu früh fertig wird? (energischer) Wozzeck, bedenk’ Er, Er hat noch seine schönen dreissig Jahr’ zu leben! Dreissig Jahre: macht dreihundert und sechzig Monate und erst wieviel Tage, Stunden, Minuten! Was will Er denn mit der ungeheuren Zeit all’ anfangen? (wieder streng) Teil’ Er sich ein, Wozzeck! WOZZECK Jawohl, Herr Hauptmann! 21 ALBAN BERG WOZZECK PREMIER ACTE PREMIÈRE SCÈNE 22 La chambre du Capitaine. Tôt le matin. Le Capitaine est assis sur une chaise devant son miroir. Wozzeck en train de le raser. CAPITAINE Lentement Wozzeck, lentement ! Une chose après l’autre ! (irrité) Vous me donnez le vertige, vraiment ! (Il se passe la main sur le front et les yeux... Wozzeck interrompt son travail. Le Capitaine de nouveau calme.) Que vais-je donc faire des dix minutes que vous m’ajoutez si vous terminez trop tôt aujourd’hui ? (plus énergique)Pensez-y Wozzeck : vous avez bien encore trente ans à vivre ! Trente ans : cela fait trois cent soixante mois, et combien donc de jours, d’heures, de minutes ! Qu’allez-vous donc faire de cette montagne de temps ? (sévère à nouveau) Organisez-vous, Wozzeck ! WOZZECK Oui, mon Capitaine ! ACTE I SCÈNE 1 HAUPTMANN (geheimnisvoll) Es wird mir ganz angst um die Welt, wenn ich an die Ewigkeit denk’. »Ewig«, das ist ewig! (Das sieht Er ein.) Nun ist es aber wieder nicht ewig, sondern ein Augenblick, ja, ein Augenblick! – Wozzeck, es schaudert mich, wenn ich denke, dass sich die Welt in einem Tag herumdreht: drum kann ich auch kein Mühlrad mehr sehn, oder ich werde melancholisch! WOZZECK Jawohl, Herr Hauptmann! HAUPTMANN Wozzeck, Er sieht immer so verhetzt aus! Ein guter Mensch tut das nicht. Ein guter Mensch, der sein gutes Gewissen hat, tut alles langsam... (fast gesprochen)Red’ Er doch was, Wozzeck. Was ist heut für ein Wetter? WOZZECK Sehr schlimm, Herr Hauptmann! Wind! HAUPTMANN Ich spür’s schon, ‘s ist so was Geschwindes draussen; so ein Wind macht mir den Effekt, wie eine Maus. (pfiffig) Ich glaub’, wir haben so was aus Süd-Nord? WOZZECK Jawohl, Herr Hauptmann! HAUPTMANN (lacht lärmend) Süd-Nord! (lacht noch lärmender) Oh, Er ist dumm, ganz abscheulich dumm! (gerührt) Wozzeck, Er ist ein guter Mensch, (setzt sich in Positur)aber... Er hat keine Moral! (mit viel Würde) Moral: das ist, wenn man moralisch ist! Versteht Er? Es ist ein gutes Wort. (mit Pathos) Er hat ein Kind ohne den Segen der Kirche... 23 ALBAN BERG WOZZECK CAPITAINE (mystérieusemen)t J’ai vraiment peur pour le monde, lorsque je pense à l’éternité. « Eternel », c’est éternel ! (Vous êtes bien d’accord.) Mais on peut aussi dire que ce n’est pas éternel, mais un instant, oui, un instant ! Wozzeck, je frémis d’horreur, quand je pense que le monde tourne entièrement sur luimême en un jour : c’est pourquoi, je ne peux plus voir la roue d’un moulin, sans quoi je deviens mélancolique ! WOZZECK Oui, mon Capitaine ! CAPITAINE Wozzeck, vous avez toujours l’air si harcelé ! Un honnête homme n’est pas comme ça. Un honnête homme, qui a une bonne conscience, fait tout posément... (presque parlé)Dites donc quelque chose, Wozzeck. Quel temps fait-il aujourd’hui ? 24 WOZZECK Très mauvais, mon Capitaine ! Du vent ! CAPITAINE Je le sens bien, il y a une sorte de rapidité dans l’air, dehors ; un vent comme celui-ci me fait l’effet d’une souris. (l’air rusé) Je crois que nous avons quelque chose comme du Sud-Nord ? WOZZECK Oui, mon Capitaine ! CAPITAINE (éclatant de rire) Sud-Nord ! (riant encore plus fort)Oh, qu’il est bête, ce qu’il est bête ! (avec sympathie) Wozzeck, c’est un honnête homme, (se gonflant) mais... il n’a pas de morale ! (avec grande dignité) La morale : c’est quand on se conduit moralement ! Vous comprenez ? C’est un bon mot. (avec emphase) Vous avez un enfant sans la bénédiction de l’Eglise... ACTE I SCÈNE 1 WOZZECK Jawo... (unterbricht sich) HAUPTMANN ... wie unser hochwürdiger Herr Garnisonsprediger sagt: »Ohne den Segen der Kirche« – das Wort ist nicht von mir. WOZZECK Herr Hauptmann, der liebe Gott wird den armen Wurm nicht d’rum ansehn, ob das Amen darüber gesagt ist, eh’ er gemacht wurde. Der Herr sprach: »Lasset die Kleinen zu mir kommen!« HAUPTMANN (wütend aufspringend) Was sagt Er da?! Was ist das für eine kuriose Antwort? Er macht mich ganz konfusl Wenn ich sage: »Er«, so mein’ ich »Ihn«, »Ihn«... WOZZECK Wir arme Leut! Sehn Sie, Herr Hauptmann, Geld, Geld! Wer kein Geld hat! Da setz’ einmal einer Seinesgleichen auf die moralische Art in die Welt! Man hat auch sein Fleisch und Blut! Ja, wenn ich ein Herr wär’, und hätt’ einen Hut und eine Uhr und ein Augenglas und könnt’ vornehm reden, ich wollte schon tugendhaft sein! Es muss was Schönes sein um die Tugend, Herr Hauptmann. Aber ich bin ein armer Kerl! Unsereins ist doch einmal unselig in dieser und der andern Welt! Ich glaub’, wenn wir in den Himmel kämen, so müssten wir donnern helfen! HAUPTMANN (etwas fassungslos) Schon gut, schon gut! (beschwichtigend) Ich weiss: Er ist ein guter Mensch, (übertrieben)ein guter Mensch. (etwas gefasster) Aber Er denkt zu viel, das zehrt. Er sieht immer so verhetzt aus. 25 ALBAN BERG WOZZECK WOZZECK Oui... (s’interrompant) CAPITAINE ... comme dit le très vénérable pasteur de notre garnison : « Sans la bénédiction de l’Eglise » – l’expression n’est pas de moi. WOZZECK Mon Capitaine, le bon Dieu n’en sera pas moins bienveillant à l’égard du petit juste parce que nous n’avons pas reçu l’Amen avant qu’il ne soit conçu. Le Seigneur dit : « Laissez les petits enfants venir à moi ! » 26 CAPITAINE (se levant d’un bond, mécontent) Qu’est-ce qu’il dit ? Qu’est-ce que c’est que cette réponse bizarre ? Il me trouble complètement ! Quand je dis « il », je veux dire « vous », « vous » ! WOZZECK Nous autres, pauvres gens ! Voyez-vous mon Capitaine, l’argent, l’argent ! Mais celui qui n’a pas d’argent ! Qu’il essaie donc de mettre au monde son enfant d’une façon morale ! On est aussi de chair et de sang ! Oui, si j’étais un Monsieur, et si j’avais un chapeau et une montre et un monocle et pouvais parler comme les gens bien, je serais vertueux moi aussi ! C’est sûrement une belle chose que la vertu, mon Capitaine. Mais je ne suis qu’un pauvre bougre ! C’est ainsi, les gens comme nous n’ont pas de chance dans ce monde et dans l’autre ! Je crois que si nous allions au ciel, il nous faudrait aider à faire le tonnerre ! CAPITAINE (légèrement décontenancé)C’est bon, c’est bon ! (conciliant) Je sais : vous êtes un honnête homme, (solennellemen)t un honnête homme ! (plus calme) Mais vous pensez trop, ça fait du mal : vous avez toujours l’air si harcelé ! ACTE I SCÈNE 1 (besorgt) Der Diskurs hat mich angegriffen. Geh’ Er jetzt, und renn’ Er nicht so! Geh’ Er langsam die Strasse hinunter, genau in der Mitte, (Wozzeck will sich rasch entfernen)und nochmals, geh’ Er langsam, hübsch langsam! Wozzeck ab. Verwandlung Orchester-Nachspiel ZWEITE SZENE Freies Feld, die Stadt in der Ferne. Spätnachmittag. Wozzeck und Andres schneiden Stöcke im Gebüsch. WOZZECK Du, der Platz ist verflucht! ANDRES (weiter arbeitend) Ach was! (singt vor sich hin) Das ist die schöne Jägerei, Schiessen steht Jedem frei! Da möcht ich Jäger sein, Da möcht ich hin. WOZZECK Der Platz ist verflucht! Siehst Du den lichten Streif da über das Gras hin, wo die Schwämme so nachwachsen? Da rollt Abends (geflüstert) ein Kopf. Hob ihn einmal Einer auf, meint’, es wär’ ein Igel. Drei Tage und drei Nächte drauf, und er lag auf den Hobelspänen. ANDRES Es wird finster, das macht Dir angst. Ei was! (Hört mit der Arbeit auf, stellt sich in Positur und singt.) 27 ACTE I SCÈNE 2 (inquiet) Cette discussion m’a épuisé. Allez maintenant, et ne courez pas comme ça ! Descendez la rue posément, exactement au milieu, (Wozzeck est en train de partir)et, encore une fois, allez posément, bien posément ! Wozzeck sort. Changement de décor Postlude orchestral DEUXIÈME SCÈNE En plein champs, la ville dans le lointain. Tard l’après-midi. Andrès et Wozzeck coupent du bois dans le buisson. 28 WOZZECK Dis, l’endroit est maudit ! ANDRÈS (continuant de travailler) Allons donc ! (il commence à chanter) Quelle grande joie que de chasser, Chacun à sa guise peut tirer ! Je voudrais tant être chasseur : Ça je voudrais l’être ! WOZZECK L’endroit est maudit ! Est-ce que tu vois la bande claire, là où poussent les champignons ? Le soir (chuchoté), une tête roule, là ! Une fois, quelqu’un l’a ramassée, il croyait que c’était un hérisson. Trois jours et trois nuits plus tard, c’en était fait de lui. ANDRÈS Il commence à faire sombre, c’est ça qui te fait peur. Allons ! (Il arrête de travailler, prend la pose et chante.) ACTE I SCÈNE 1 Läuft dort ein Has vorbei, Fragt mich, ob ich Jäger sei? Jäger bin ich auch schon gewesen, Schiessen kann ich aber nit! WOZZECK (unterbricht seine Arbeit) Still, Andres! Das waren die Freimaurer! ANDRES Sassen dort zwei Hasen, Frassen ab das grüne Gras... (Unterbricht den Gesang.) WOZZECK Ich hab’s! Die Freimaurer! Still! Still! (Beide lauschen angestrengt.) ANDRES (selbst etwas beunruhigt; wie um Wozzeck und sich zu beruhigen) Sing lieber mit! Frassen ab das grüne Gras Bis... WOZZECK (stampft auf) Hohl! Alles hohl! ANDRES (setzt fort) ... auf den Rasen... WOZZECK Ein Schlund! Es schwankt! (er taumelt) Hörst Du, es wandert was mit uns da unten! (in höchster Angst) Fort, fort! (Will Andres mit sich reissen.) 29 ACTE I SCÈNE 2 Un lapin passe en courant, Me demande si je suis chasseur. Et, certes, je l’ai bien été, Mais je ne sais pas tirer ! WOZZECK (interrompant son travail) Chut Andrès ! Ça doit être les francs-maçons ! ANDRÈS Deux lapins étaient assis, Qui grignotaient l’herbe verte... (Andrès interrompt sa chanson.) WOZZECK J’y suis ! Les francs-maçons ! Chut ! Chut ! (Tous deux, tendus, écoutent.) 30 ANDRÈS (lui-même un peu inquiet ; puis, comme pour rassurer Wozzeck et lui-même) Chante plutôt avec moi ! Qui grignotaient l’herbe verte Jusqu’... WOZZECK (tapant du pied sur le sol) Creux ! Tout est creux ! ANDRÈS (continuant) ... au gazon... WOZZECK Un gouffre ! Ça vacille ! (il titube) Entends-tu, quelque chose bouge avec nous, là-dessous ! (terrifié) Partons, partons ! (Il veut entraîner Andrès.) ACTE I SCÈNE 1 ANDRES (hält Wozzeck zurück) He, bist Du toll? WOZZECK (bleibt stehn) ‘s ist kurios still. Und schwül. Man möchte den Atem anhalten… (Starrt in die Gegend.) ANDRES Was? Die Sonne ist im Begriff unterzugehen. Der letzte scharfe Strahl taucht den Horizont in das grellste Sonnenlicht, dem die wie tiefste Dunkelheit wirkende Dämmerung folgt. WOZZECK Ein Feuer! Ein Feuer! Das fährt von der Erde in den Himmel und ein Getös’ herunter wie Posaunen. (schreiend)Wie’s heranklirrt! ANDRES (mit geheuchelter Gleichgültigkeit) Die Sonn’ ist unter, drinnen trommeln sie. (Packt die geschnittenen Stöcke zusammen) WOZZECK Still, alles still, als wäre die Welt tot. ANDRES Nacht! Wir müssen heim! Beide gehen langsam ab. Verwandlung Orchester-Nachspiel und beginnende Militärmusik hinter der Szene 31 ACTE I SCÈNE 2 ANDRÈS (retient Wozzeck) Hé ! Es-tu devenu fou ? WOZZECK (s’arrête) Quel calme bizarre. Et comme il fait lourd. On voudrait retenir son souffle. (Il regarde fixement devant lui.) ANDRÈS Quoi ? Le soleil est sur le point de disparaître. Le dernier rayon vif plonge l’horizon dans une lumière très crue à laquelle le crépuscule fait succéder immédiatement une profonde obscurité à laquelle l’œil s’accoutume peu à peu. 32 WOZZECK Un feu ! Un feu ! Qui monte de la terre vers le ciel... et un vacarme qui descend sur la terre, comme des trompettes. (en criant) Quel bruit ! ANDRÈS (feignant l’indifférence) Le soleil s’est couché, ils battent le tambour à l’intérieur. (Il rassemble le bois qu’ils ont coupé.) WOZZECK Silence, tout est silence, comme si le monde était mort. ANDRÈS C’est la nuit ! Nous devons rentrer ! Tous les deux partent lentement. Changement de décor Postlude orchestral et début de la musique militaire en coulisse ACTE I SCÈNE 1 DRITTE SZENE Mariens Stube. Abends. Die Militärmusik nähert sich. MARIE (mit ihrem Kinde am Arm beim Fenster) Tschin Bum, Tschin Bum, Bum, Bum, Bum! Hörst Bub? Da kommen sie! Die Militärmusik, mit dem Tambourmajor an der Spitze, gelangt in die Strasse vor Mariens Fenster. MARGRET (sieht zum Fenster herein und spricht mit Marie) Was ein Mann! Wie ein Baum! MARIE (spricht zum Fenster hinaus) Er steht auf seinen Füssen wie ein Löw’. Der Tambourmajor grüsst herein. Marie winkt freundlich hinaus. MARGRET Ei was freundliche Augen, Frau Nachbarin! So was is man an ihr nit gewohnt! MARIE (singt vor sich hin) Soldaten, Soldaten sind schöne Burschen! (Unterbricht den Gesang.) MARGRET (immer zum Fenster herein gesprochen ) Ihre Augen glänzen ja! MARIE Und wenn! Was geht Sie’s an? Trag’ Sie ihre Augen zum Juden und lass Sie sie putzen: vielleicht glänzen sie auch noch, dass man sie für zwei Knöpf’ verkaufen könnt’. 33 ACTE I SCÈNE 3 TROISIÈME SCENE La chambre de Marie. Le soir. La musique militaire se rapproche. MARIE (à la fenêtre, son enfant dans les bras) Tchin boum, tchin boum, boum, boum, boum ! Entends-tu mon garçon ? Les voilà ! La fanfare – Tambour-Major en tête – arrive dans la rue devant la fenêtre de Marie. MARGRET (regarde vers la fenêtre et parle avec Marie) Quel homme ! Comme un arbre ! 34 MARIE (par la fenêtre) Il a l’allure d’un lion. Le Tambour-Major salue. Marie lui fait un signe amical. MARGRET Eh ! Quel œil, voisine ! De votre part, on n’y est pas habitué ! MARIE (chante pour elle-même) Les soldats, les soldats sont de beaux hommes ! (Elle interrompt sa chanson.) MARGRET (toujours par la fenêtre) Mais vos yeux brillent ! MARIE Et alors ? Est-ce que ça vous regarde ? Portez donc vos yeux au juif et faites-les nettoyer : peut-être qu’alors ils brilleront assez pour qu’on les vende comme deux boutons. ACTE I SCÈNE 1 MARGRET Was Sie, Sie »Frau Jungfer«! Ich bin eine honette Person, aber Sie, das weiss Jeder, Sie guckt sieben Paar lederne Hosen durch! MARIE (schreit sie an) Luder! (Schlägt das Fenster zu. Die Militärmusik ist plötzlich, als Folge des zugeschlagenen Fensters, unhörbar geworden. Marie ist allein mit dem Kind.) Komm, mein Bub! Was die Leute wollen! Bist nur ein arm’ Hurenkind (setzt sich) und machst Deiner Mutter doch so viel Freud’ mit Deinem unehrlichen Gesicht! (Wiegt das Kind.) Eia popeia... Mädel, was fangst Du jetzt an? Hast ein klein Kind und kein Mann! Ei, was frag’ ich darnach, 35 Sing’ ich die ganze Nacht: Eia popeia, mein süsser Bu’, Gibt mir kein Mensch nix dazu! Hansel, spann’ Deine sechs Schimmel an, Gib sie zu fressen auf’s neu, Kein Haber fresse sie, Kein Wasser saufe sie, Lauter kühle Wein muss es sein! (Das Kind ist eingeschlafen.) Lauter kühle Wein muss es sein! (Marie ist in Gedanken versunken... Es klopft am Fenster. Marie fährt zusammen.) Wer da? (aufspringend) Bist Du’s, Franz? (das Fenster öffnend) Komm herein! WOZZECK (zum Fenster herein gesprochen) Kann nit! Muss in die Kasern’! ACTE I SCÈNE 3 MARGRET Quoi, vous osez, « Madame la jeune fille ! » Je suis une honnête femme, moi, mais vous, chacun le sait, vous transperceriez du regard sept paires de culottes de cuir ! 36 MARIE (criant après elle) Charogne ! (Elle referme violemment la fenêtre, la musique militaire en devient inaudible. Marie reste seule avec l’enfant.) Viens, mon garçon ! Qu’est-ce qu’on ne dit pas ! Tu n’es qu’un pauvre enfant de putain ! (elle s’assied)et tu donnes tant de joie à ta mère avec ton visage de petit bâtard ! (Elle berce l’enfant.) Do, do... Jeune fille, que vas-tu donc faire à présent ? Tu as un enfant, mais point de mari ! Pourquoi me faire du souci, Je chanterai toute la nuit : Do, do, mon enfant chéri... Mais personne n’en a cure. Jeannot attelle tes six chevaux, Donne-leur à manger de nouveau. Ils ne prendront point d’avoine, Et ils ne boiront point d’eau, Que ce soit du bon vin frais ! (Elle remarque que l’enfant s’est endormi.) Que ce soit du bon vin frais ! (Marie est plongée dans ses pensées... On frappe à la fenêtre. Marie sursaute.) Qui est là ? (quittant sa chaise d’un bond) Est-ce toi, Franz ? (ouvrant la fenêtre) Entre ! WOZZECK (par la fenêtre) Je ne peux pas ! Je dois aller à la caserne ! ACTE I SCÈNE 1 MARIE Hast Stecken geschnitten für den Major? WOZZECK Ja, Marie. Ach... MARIE Was hast Du, Franz? Du siehst so verstört? WOZZECK Pst, still! Ich hab’s heraus! Es war ein Gebild am Himmel, und Alles in Glut! Ich bin Vielem auf der Spur! MARIE Mann! WOZZECK Und jetzt Alles finster, finster... Marie, es war wieder was, (er überlegt) vielleicht... (geheimnisvoll) Steht nicht geschrieben: »Und sieh, es ging der Rauch auf vom Land, wie ein Rauch vom Ofen.« MARIE Franz! WOZZECK Es ist hinter mir hergegangen bis vor die Stadt. (in höchster Exaltation) Was soll das werden?! MARIE (ganz ratlos, versucht ihn zu beruhigen) Franz! Franz! (hält ihm den Buben hin) Dein Bub! WOZZECK (geistesabwesend, ohne ihn anzusehn) Mein Bub... Mein Bub... jetzt muss ich fort. (Hastig ab. Marie geht vom Fenster weg.) 37 ACTE I SCÈNE 3 MARIE Tu as coupé du bois pour le Major ? WOZZECK Oui, Marie. Ah... MARIE Qu’as-tu, Franz ? Tu as l’air si bouleversé. WOZZECK Pss ! Chut ! J’y suis ! Il y avait une forme dans le ciel, et tout était en flammes ! Je suis sur la piste de choses importantes ! MARIE Ah !... 38 WOZZECK Et maintenant tout est sombre, sombre... Marie, il y avait quelque chose. (il réfléchit) Peut-être... (l’air mystérieux) N’est-il pas écrit : « Et voici qu’il vit la fumée monter de terre comme la fumée d’une fournaise ! » MARIE Franz ! WOZZECK Ça m’a suivi jusqu’à l’entrée de la ville. (très exalté) Qu’est-ce qui m’arrive ? MARIE (désemparée, elle essaie de le calmer et lui tend l’enfant) Franz ! Franz ! Ton petit garçon... WOZZECK (distraitement, sans le regarder) Mon garçon... mon garçon... Je dois partir maintenant. (Il part en hâte. Marie quitte la fenêtre.) ACTE I SCÈNE 1 MARIE (Allein mit dem Kind, betrachtet es schmerzlich.) Der Mann! So vergeistert! Er hat sein Kind nicht angesehn! Er schnappt noch über mit den Gedanken! Was bist so still, Bub. Fürch’st Dich? Es wird so dunkel, man meint, man wird blind; sonst scheint doch die Lantern’ herein! (ausbrechend) Ach! Wir arme Leut. Ich halt’s nit aus... Es schauert mich... (Stürzt zur Tür.) Verwandlung Orchester-Überleitung VIERTE SZENE Studierstube des Doktors. Sonniger Nachmittag. Wozzeck tritt ein. Der Doktor eilt hastig Wozzeck entgegen. DOKTOR Was erleb’ ich, Wozzeck? Ein Mann ein Wort? Ei, ei, ei! WOZZECK Was denn, Herr Doktor? DOKTOR Ich hab’s geseh’n, Wozzeck, Er hat wieder gehustet, auf der Strasse gehustet, gebellt wie ein Hund! Geb’ ich Ihm dafür alle Tage drei Groschen? Wozzeck! Das ist schlecht! Die Welt ist schlecht, sehr schlecht! (stöhnend) Oh! WOZZECK Aber Herr Doktor, wenn einem die Natur kommt! DOKTOR (auffahrend) Die Natur kommt! Die Natur kommt! Aberglaube, abscheulicher Aberglaube! Hab’ ich nicht nachgewiesen, dass das Zwerchfell dem Willen unterworfen ist? 39 ACTE I SCÈNE 4 MARIE (Seule avec l’enfant, elle le considère tristement.) Cet homme ! Si préoccupé ! Il n’a même pas regardé son enfant ! Ses pensées finiront par le rendre fou ! Pourquoi estu silencieux, mon petit ? As-tu peur ? L’obscurité devient telle que l’on croirait devenir aveugle ; d’habitude, la lanterne dehors éclaire la pièce ! (éclatant soudain) Ah ! Pauvres que nous sommes ! Je n’en peux plus. J’en ai froid dans le dos... (Elle se précipite vers la porte.) Changement de décor Transition orchestrale QUATRIÈME SCÈNE Le cabinet du Docteur. Après-midi ensoleillé. Wozzeck entre. Le Docteur vient rapidement à sa rencontre. 40 DOCTEUR Qu’est-ce que je vois, Wozzeck ? Et votre parole d’homme ? Eh bien ! eh bien ! WOZZECK Qu’est-ce qu’il y a, Docteur ? DOCTEUR Je l’ai vu, Wozzeck. Vous avez de nouveau toussé, toussé dans la rue, aboyé comme un chien ! Est-ce pour cela que je vous donne tous les jours trois sous ? Wozzeck ! C’est mal ! Le monde est mauvais, très mauvais ! (gémissant) Oh ! WOZZECK Mais Docteur... quand la nature exige comme ça ! DOCTEUR (se fâchant) La nature exige ! La nature exige ! Superstition, horrible superstition ! N’ai-je pas prouvé que le diaphragme est soumis à la volonté ? ACTE I SCÈNE 1 (wieder auffahrend) Die Natur, Wozzeck! Der Mensch ist frei! In dem Menschen verklärt sich die Individualität zur Freiheit! (kopfschüttelnd, mehr zu sich)Husten müssen! (wieder zu Wozzeck) Hat Er schon seine Bohnen gegessen, Wozzeck? (Wozzeck nickt bejahend. ) Nichts als Bohnen, nichts als Hülsenfrüchte! Merk’ Er sich’s! Die nächste Woche fangen wir dann mit Schöpsenfleisch an. Es gibt eine Revolution in der Wissenschaft: (an den Fingern aufzählend) Eiweiss, Fette, Kohlenhydrate; und zwar: Oxyaldehydanhydride… (plötzlich empört) Aber, Er hat wieder gehustet! (tritt auf Wozzeck zu, sich plötzlich beherrschend) Nein! Ich ärgere mich nicht, ärgern ist ungesund, ist unwissenschaftlich! Ich bin ganz ruhig, mein Puls hat seine gewöhnlichen Sechzig, behüt, wer wird sich über einen Menschen ärgern! Wenn es noch ein Molch wäre, der einem unpässlich wird. (wieder heftig) Aber, aber, Wozzeck, Er hätte doch nicht husten sollen! WOZZECK (den Doktor beschwichtigend) Seh’n Sie, Herr Doktor, manchmal hat man so ‘nen Charakter, so ‘ne Struktur; aber mit der Natur ist’s was ander’s. (knackt mit den Fingern) Seh’n Sie, mit der Natur... das ist so... wie soll ich denn sagen... zum Beispiel: Wenn die Natur... DOKTOR Wozzeck, Er philosophiert wieder! Was? Wenn die Natur... WOZZECK Wenn die Natur aus ist, wenn die Welt so finster wird, dass man mit den Händen an ihr herumtappen muss, dass man meint, sie verrinnt wie Spinnengewebe. Ach, wenn was is und doch nicht is! Ach, Ach, Marie! Wenn Alles dunkel is... 41 ACTE I SCÈNE 4 42 (se fâchant encore) La nature, Wozzeck ! L’homme est libre ! En l’homme, l’individualité se transfigure en liberté ! (secouant la tête, comme se parlant)Besoin de tousser ! (de nouveau à Wozzeck)Avez-vous déjà mangé vos haricots, Wozzeck ? (Wozzeck fait un signe affirmatif.) Rien que des haricots, rien que des légumes secs ! Retenez bien cela ! La semaine prochaine nous nous mettrons à la viande de mouton. Il se fait une révolution dans la science : (il compte sur ses doigts)de l’albumine, des graisses, des hydrates de carbone ; plus précisément : de l’oxyaldehydanhydride... (soudain très fâché) Mais vous avez tout de même toussé... (s’avance sur Wozzeck, puis se domine) Non ! Je ne me mets pas en colère, se mettre en colère est malsain, ce n’est pas scientifique ! Je suis tout à fait calme, mon pouls bat à soixante, comme d’habitude. Sapristi ! Se fâcher à cause d’un homme ! Si encore c’était un lézard qui vous rendait malade ! (plus véhément)Mais, mais, Wozzeck, vous n’auriez tout de même pas dû tousser ! WOZZECK (apaisant le Docteur) Voyez-vous, Docteur, parfois on a un caractère fait comme ça, une structure comme ça : mais avec la nature, c’est différent. (il fait craquer ses doigts) Voyez-vous, avec la nature... c’est... comment dire... par exemple : lorsque la nature... DOCTEUR Wozzeck, vous vous remettez à philosopher ! Quoi ? « lorsque la nature » ?... WOZZECK ... lorsque la nature a disparu, que le monde devient si sombre qu’il faut tâtonner avec les mains, qu’on croit qu’il se défait, comme une toile d’araignée. Ah, quand les choses sont et pourtant ne sont pas ! Ah ! Ah, Marie ! Lorsque tout est sombre... ACTE I SCÈNE 1 (macht mit ausgestreckten Armen ein paar grosse Schritte durchs Zimmer) und nur noch ein roter Schein im Westen, wie von einer Esse: an was soll man sich da halten? DOKTOR Kerl, Er tastet mit seinen Füssen herum, wie mit Spinnenfüssen. WOZZECK (bleibt nahe beim Doktor stehen, vertraulich) Herr Doktor. Wenn die Sonne im Mittag steht, und es ist, als ging’ die Welt in Feuer auf, hat schon eine fürchterliche Stimme zu mir geredet. DOKTOR Wozzeck, Er hat eine Aberratio ... WOZZECK (unterbricht den Doktor) Die Schwämme! Haben Sie schon die Ringe von den Schwämmen am Boden gesehn? Linienkreise... Figuren... Wer das lesen könnte! DOKTOR Wozzeck, Er kommt ins Narrenhaus. Er hat eine schöne fixe Idee, zweite Spezies! Sehr schön ausgebildet! Wozzeck, Er kriegt noch mehr Zulage! Tut Er noch Alles wie sonst? Rasiert seinen Hauptmann? Fängt fleissig Molche? Isst seine Bohnen? WOZZECK Immer ordentlich, Herr Doktor; denn das Menagegeld kriegt das Weib: Darum tu’ ich’s ja! DOKTOR Er ist ein interessanter Fall, halt’ Er sich nur brav! Wozzeck, Er kriegt noch einen Groschen mehr Zulage. Was muss Er aber tun? Was muss Er tun? Was? WOZZECK (ohne sich um den Doktor zu kümmern)Ach, Marie! 43 ACTE I SCÈNE 4 (il fait quelques pas dans la pièce, allongeant les bras devant lui) et qu’il n’y a plus qu’une lueur rouge, à l’ouest... comme d’une forge : à quoi, alors, se raccrocher ? DOCTEUR Voyons, vous tâtez partout avec les pieds, comme une araignée. WOZZECK (s’arrête près du docteur et sur un ton confidentiel) Docteur, lorsque le soleil est à midi, et qu’on dirait que le monde s’enflamme, une terrible voix m’a parlé. DOCTEUR Wozzeck, vous avez une aberratio... 44 WOZZECK (interrompant le docteur) Les champignons ! Avez-vous jamais vu les ronds des champignons sur le sol ? Des cercles, des figures... Oh ! Pouvoir lire tout ça ! DOCTEUR Wozzeck, vous finirez à l’asile ! Vous avez une belle idée fixe, une merveilleuse aberratio mentalis partialis de la deuxième espèce ! Très bien développée ! Wozzeck, vous serez augmenté ! Est-ce que vous faites toujours tout comme d’habitude ? Vous rasez votre capitaine ? Vous attrapez sagement vos lézards ? Vous mangez vos haricots ? WOZZECK Oui, je fais bien tout, Docteur, pour que ma femme ait de l’argent pour le ménage : c’est pour ça que je le fais ! DOCTEUR Vous êtes un cas intéressant, continuez sur la bonne voie ! Wozzeck, vous recevrez un groschen d’augmentation. Mais que devez-vous faire ? WOZZECK (sans se préoccuper du docteu)Ah, Marie ! ACTE I SCÈNE 1 DOKTOR Bohnen essen, dann Schöpsenfleisch essen, nicht husten, seinen Hauptmann rasieren, dazwischen die fixe Idee pflegen! (immer mehr in Ekstase geratend) Oh! meine Theorie! Oh mein Ruhm! Ich werde unsterblich! Unsterblich! Unsterblich! (in höchster Verzückung) Unsterblich! (plötzlich wieder ganz sachlich, an Wozzeck herantretend) Wozzeck, zeig’ Er mir jetzt die Zunge! (Wozzeck gehorcht.) Verwandlung Orchester Einleitung FÜNFTE SZENE Strasse vor Mariens Tür. Abenddämmerung. MARIE (steht bewundernd vor dem Tambourmajor) Geh einmal vor Dich hin . (Tambourmajor in Positur, macht einige Marschschritte.) Über die Brust wie ein Stier und ein Bart wie ein Löwe. So ist Keiner! Ich bin stolz vor allen Weibern! TAMBOURMAJOR Wenn ich erst am Sonntag den grossen Federbusch hab’, und die weissen Handschuh! Donnerwetter! Der Prinz sagt immer: »Mensch! Er ist ein Kerl!« MARIE (spöttisch) Ach was! (tritt vor ihn hin; bewundernd) Mann! TAMBOURMAJOR Und Du bist auch ein Weibsbild! Sapperment! 45 ACTE I SCÈNE 5 DOCTEUR Manger des haricots, puis manger de la viande de mouton, ne pas tousser, raser votre capitaine, entre-temps, cultiver votre idée fixe ! (de plus en plus exalté)Oh ! ma théorie ! Oh ! ma gloire ! Je serai immortel ! Immortel ! Immortel ! (au comble de l’extase)Immortel ! (revenant à la réalité et s’approchant de Wozzeck) Wozzeck, à présent, montrez-moi votre langue ! (Wozzeck obéit.) Changement de décor Introduction orchestrale CINQUIÈME SCÈNE La rue devant la porte de Marie. Crépuscule. 46 MARIE (se tient admirative devant le Tambour-Major) Marche un peu pour voir ! (Le Tambour-Major, bien campé, fait quelques pas de marche en mesure.) La poitrine d’un taureau et la barbe d’un lion. Personne n’est comme toi ! Je suis fière entre toutes les femmes ! TAMBOUR-MAJOR Et tu verras, dimanche, quand j’ai le grand plumet et les gants blancs ! Tonnerre ! Le prince dit toujours : « Ça, c’est un homme ! » MARIE (se moquant) Allez donc ! (se plantant devant lui ; avec admiration) Quel homme ! TAMBOUR-MAJOR Et toi aussi, tu es une bien belle femme ! Sapristi ! ACTE I SCÈNE 1 Wir wollen eine Zucht von Tambourmajors anlegen. Was?! (Er umfasst sie.) MARIE Lass mich! (will sich losreissen) Sie ringen miteinander. TAMBOURMAJOR Wildes Tier! MARIE (reisst sich los) Rühr mich nicht an! TAMBOURMAJOR (richtet sich in ganzer Grösse auf und tritt ganz nahe an Marie heran) (eindringlich) Sieht Dir der Teufel aus den Augen?! (Er umfasst sie wieder, diesmal mit fast drohender Entschlossenheit.) MARIE Meinetwegen, es ist Alles eins! Sie stürzt in seine Arme und verschwindet mit ihm in der offenen Haustür. 47 ACTE I SCÈNE 5 Nous allons fonder une lignée de tambours-majors. Hein ? (Il la prend dans ses bras.) MARIE Lâche-moi ! (cherche à se libérer) Ils luttent. TAMBOUR-MAJOR Tigresse ! MARIE (se libère) Ne me touche pas ! 48 TAMBOUR-MAJOR (se redresse de toute sa taille, et vient tout contre Marie) (pressant)Tu as le diable dans tes yeux ! (Il la prend à nouveau dans ses bras, cette fois avec une détermination presque menaçante.) MARIE Eh bien, si tu veux ! C’est du tout au même ! Elle tombe dans ses bras et disparaît avec lui dans la maison, par la porte ouverte. ACTE I SCÈNE 1 ZWEITER AKT ERSTE SZENE Mariens Stube. Vormittag, Sonnenschein. Marie, ihr Kind auf dem Schoss, hält ein Stückchen Spiegel in der Hand und besieht sich darin. MARIE Was die Steine glänzen? Was sind’s für welche? Was hat er gesagt? (überlegt; zu ihrem Buben, der sich bewegt hat) Schlaf, Bub! Drück die Augen zu ... (Das Kind versteckt die Augen hinter den Händen.) Fest. Noch fester! Bleib so! (Das Kind bewegt sich wieder.) Still, oder er holt Dich! Mädel, mach’s Lädel zu! ‘s kommt ein Zigeunerbu’, Führt Dich an seiner Hand Fort ins Zigeunerland. (Das Kind hat, in höchster Angst, seinen Kopf in den Falten des Kleides seiner Mutter verborgen, wo es ganz still hält. Marie besieht sich wieder im Spiegel) ‘s ist gewiss Gold. Unsereins hat nur ein Eckchen in der Welt und ein Stückchen Spiegel. 49 ALBAN BERG WOZZECK DEUXIÈME ACTE PREMIÈRE SCÈNE 50 La chambre de Marie. Le matin ; le soleil brille. Marie, assise avec son enfant sur les genoux, tient un petit morceau de miroir dans sa main et s’y regarde dedans. MARIE Elles ont un bel éclat, ces pierres ? Comment s’appellentelles ? Qu’est-ce qu’il a dit ? (à son petit garçon, qui a remué) Dors, mon petit ! Ferme les yeux. (L’enfant se cache les yeux derrière les mains.)Fort, encore plus fort !... Reste comme ça ! (L’enfant bouge à nouveau.) Sois sage, sinon, il viendra te prendre ! Jeune fille, ferme ta boutique Voici un garçon tzigane, Il te prendra par la main Jusqu’au pays des Tziganes ! (Très effrayé, l’enfant a caché sa tête dans les plis de la robe de sa mère, où il se tient tout tranquille. Marie se regarde à nouveau dans le miroir.) C’est sûrement de l’or ! Nous autres n’avons droit qu’à une petite place dans le monde et à un morceau de miroir. ACTE I SCÈNE 1 (ausbrechend) Und doch hab’ ich einen so roten Mund, als die grossen Madamen mit ihren Spiegeln von oben bis unten und ihren schönen Herrn, die ihnen die Hände küssen; aber ich bin nur ein armes Weibsbild! (Das Kind richtet sich auf.) (ärgerlich) Still! Bub! Die Augen zu! (Sie blinkt mit dem Spiegel.) Das Schlafengelchen; wie’s an der Wand läuft. (Das Kind gehorcht nicht.) (Marie fast zornig) Mach die Augen zu! Oder es sieht Dir hinein, dass Du blind wirst... Sie blinkt wieder mit dem Spiegel. Wozzeck tritt herein, hinter Marie. Marie, die regungslos, wie das eingeschüchterte Kind, die Wirkung ihres Spiels mit dem Spiegel abwartet, sieht Wozzeck anfangs nicht. WOZZECK Was hast da? MARIE (Plötzlich fährt sie auf, mit den Händen nach den Ohren.) Nix! WOZZECK Unter Deinen Fingern glänzt’s ja. MARIE Ein Ohrringlein... hab’s gefunden... WOZZECK (schaut das Ohrringlein prüfend an) Ich hab so was noch nicht gefunden, (etwas drohend) zwei auf einmal. MARIE (aufbegehrend) Bin ich ein schlecht Mensch? WOZZECK (beschwichtigend)‘s ist gut, Marie! ‘s ist gut! 51 ACTE II SCÈNE 1 (avec véhémence)Et pourtant j’ai une bouche aussi rouge que les grandes Madames avec leurs miroirs qui vont de haut en bas et leurs beaux Messieurs, qui leur baisent les mains : mais je ne suis qu’une pauvre fille ! (L’enfant se redresse.) (avec irritation) Sage ! Mon garçon ! Ferme les yeux ! (Elle fait scintiller le miroir.) Le petit marchand de sable, comme il court le long du mur ! (L’enfant n’obéit pas.) (Marie presqu’en colère)Ferme les yeux ! Sinon il regardera dedans jusqu’à ce que tu deviennes aveugle... Elle fait de nouveau scintiller le miroir. Wozzeck entre, derrière Marie. Au début, Marie, qui observe sans bouger – de même que l’enfant intimidé – l’effet de son jeu avec le miroir, ne se rend pas compte de sa présence. 52 WOZZECK Qu’est-ce que tu as là ? MARIE (Elle sursaute et porte les mains à ses oreilles.) Rien ! WOZZECK Mais ça brille, sous tes doigts. MARIE Une petite boucle d’oreille... je l’ai trouvée... WOZZECK (examine la boucle d’oreille) Je n’ai encore jamais rien trouvé de pareil, (un peu menaçant) deux d’un coup... MARIE (protestant) Suis-je une mauvaise femme ? WOZZECK (apaisant Marie) C’est bon, Marie ! C’est bon ! ACTE I SCÈNE 1 (Wendet sich zum Buben.) Was der Bub immer schläft! Greif ihm unter’s Ärmchen, der Stuhl drückt ihn. Die hellen Tropfen stehn ihm auf der Stirn... Nichts als Arbeit unter der Sonne, sogar Schweiss im Schlaf. Wir arme Leut! (in ganz verändertem Ton) Da ist wieder Geld, Marie (zählt es ihr in die Hand) die Löhnung und was vom Hauptmann und vom Doktor. MARIE Gott vergelt’s, Franz. WOZZECK Ich muss fort, Marie... Adies! (Ab.) MARIE (allein) Ich bin doch ein schlecht Mensch. Ich könnt mich erstechen. Ach! was Welt! Geht doch Alles zum Teufel: Mann und Weib und Kind! Verwandlung Orchester-Nachspiel ZWEITE SZENE Strasse in der Stadt. Tag. Der Hauptmann und der Doktor begegnen sich. HAUPTMANN (schon aus der Entfernung) Wohin so eilig, geehrtester Herr Sargnagel? DOKTOR (sehr pressiert) Wohin so langsam, geehrtester Herr Exerzizengel? (Er eilt weiter.) 53 ACTE II SCÈNE 2 (Il se tourne vers l’enfant.) Ce que le petit peut dormir ! Soulève-le, la chaise lui fait mal. Ces gouttes claires sur son front... Rien que du travail sur cette terre, on sue même en dormant. Nous autres, pauvres gens ! (changeant complètement de ton) Voilà à nouveau de l’argent, Marie (il le lui compte dans la main) la solde, et quelque chose du Capitaine et aussi du Docteur. MARIE Dieu te le rende, Franz ! WOZZECK Je dois partir, Marie. Au revoir ! (Il sort.) 54 MARIE (seule) Oh si, je suis une mauvaise femme. Je pourrais me tuer ! Ah ! Quelle vie ! Tout s’en va au diable : et l’homme, et la femme, et l’enfant ! Changement de décor Postlude orchestral DEUXIÈME SCÈNE Une rue dans la ville. C’est le jour. Le Capitaine et le Docteur se rencontrent. CAPITAINE (du lointain) Où allez-vous donc si vite, cher Monsieur le Croque-mort ? DOCTEUR (très pressé) Où allez-vous donc si lentement, cher Monsieur l’Ange-descorvées ? (Il continue rapidement son chemin.) ACTE I SCÈNE 1 HAUPTMANN Nehmen Sie sich Zeit (Will den Doktor, der rasch weitergeht, einholen.) DOKTOR Pressiert! HAUPTMANN Laufen Sie nicht so! Uff! (Schöpft tief und geräuschvoll Atem.) Laufen Sie nicht! Ein guter Mensch geht nicht so schnell. Ein guter Mensch... DOKTOR Pressiert, pressiert! HAUPTMANN Ein guter... (immer atemloser)Sie hetzen sich ja hinter dem Tod d’rein! DOKTOR (Im Gehen etwas einhaltend, so dass ihn der Hauptmann einholt.) (ärgerlich) Ich kann meine Zeit nicht stehlen. HAUPTMANN Ein guter Mensch... DOKTOR Pressiert, pressiert, pressiert! HAUPTMANN (Erwischt den Doktor einigemale am Rock.) Aber rennen Sie nicht so, Herr Sargnagel! Sie schleifen ja Ihre Beine auf dem Pflaster ab. (Hält den Doktor endlich fest.) Erlauben Sie, dass ich ein Menschenleben retten (Tiefer Atemzug.) DOKTOR (Langsam weitergehend, entschliesst sich, 55 ACTE II SCÈNE 2 CAPITAINE Prenez votre temps ! (Il veut rattraper le Docteur.) DOCTEUR Je suis pressé ! CAPITAINE Ne courez pas comme ça ! (Il reprend profondément et bruyamment son souffle.) Ouf ! Ne courez pas ! Un honnête homme ne va pas si vite. Un honnête homme... DOCTEUR Je suis pressé, pressé ! CAPITAINE Un honnête... (soufflant de plus en plus fort)C’est courir après la mort ! 56 DOCTEUR (Il ralentit un peu le pas, de telle sorte que le Capitaine le rattrape.) (irrité) On ne dérobe pas le temps ! CAPITAINE Un honnête homme... DOCTEUR Je suis pressé, pressé, pressé ! CAPITAINE (Il agrippe le Docteur par son habit.) Mais ne courez pas comme ça, Monsieur le Croque-mort ! Vous usez complètement vos pieds sur le pavé. (Il parvient enfin à l’arrêter.) Permettez que je sauve une vie humaine. (Il respire profondément.) DOCTEUR (Il continue son chemin, mais lentement, ACTE I SCÈNE 1 dem Hauptmann Gehör zu schenken.) Frau, in vier Wochen tot! (Bleibt wieder stehen.) (geheimnisvoll)... Cancer uteri. Habe schon zwanzig solche Patienten gehabt... (Will weitergehen.) In vier Wochen... HAUPTMANN Doktor, erschrecken Sie mich nicht! Es sind schon Leute am Schreck gestorben, am puren hellen Schreck! DOKTOR In vier Wochen! Gibt ein intressantes Präparat. HAUPTMANN Oh, oh, oh! DOKTOR (Ganz stehenbleibend, kaltblütig den Hauptmann prüfend.) Und Sie selbst! Hm! Aufgedunsen, fett, dicker Hals, apoplektische Konstitution! Ja, Herr Hauptmann, (geheimnisvoll) Sie können eine Apoplexia cerebrikriegen; Sie können sie aber vielleicht nur auf der einen Seite bekommen. Ja! Sie können nur auf der einen Seite gelähmt werden, (wieder sehr geheimnisvoll)oder im besten Fall nur unten! HAUPTMANN (stöhnend) Um Gottes... DOKTOR (überströmend, begeistert) Ja! Das sind so ungefähr Ihre Aussichten auf die nächsten vier Wochen! Übrigens kann ich Sie versichern, dass Sie einen von den intressanten Fällen abgeben werden, und wenn Gott will, dass ihre Zunge zum Teil gelähmt wird, so machen wir die unsterblichsten Experimente. (Will mit rascher Wendung enteilen.) 57 ACTE II SCÈNE 2 et se décide à écouter le Capitaine.) Une femme, morte en quatre semaines ! (Il s’arrête.) (d’un ton mystérieux)... Cancer uteri. J’ai déjà eu vingt cas semblables... (Il veut continuer son chemin.) En quatre semaines... CAPITAINE Docteur, ne m’effrayez pas ! Il y a déjà des gens qui sont morts de frayeur, de frayeur pure et simple ! DOCTEUR En quatre semaines ! Une bien intéressante préparation. CAPITAINE Oh, oh ! 58 DOCTEUR (Il s’arrête tout à fait, examine froidement le Capitaine.) Et vous-même ! Hmm ! Bouffi, gras, le cou épais, une constitution d’apoplectique ! Oui, Capitaine, (mystérieusement)vous pouvez attraper une apoplexia cere bri ; mais il se peut aussi que vous ne l’ayez que d’un côté. Oui ! Vous pouvez aussi devenir paralysé d’un côté (encore plus mystérieux)ou bien, dans le meilleur des cas, seulement du bas ! CAPITAINE (gémissant) Au nom d... DOCTEUR (débordant d’enthousiasme) Oh ! Voilà à peu près ce à quoi vous pouvez vous attendre pour les prochaines quatre semaines ! Du reste, je peux vous assurer que vous serez un des cas les plus intéressants, et que, Dieu permettant, votre langue sera partiellement paralysée. Nous ferons ainsi les plus immortelles expériences. (Il se retourne rapidement, pour partir.) ACTE I SCÈNE 1 HAUPTMANN (Langt schnell nach dem Doktor und hält ihn fest.) Halt, Doktor! Ich lasse Sie nicht! Sargnagel! Totenfreund! In vier Wochen? Es sind schon Leute am puren Schreck... Doktor! (Hustet vor Aufregung und Anstrengung. Doktor klopft dem Hauptmann auf den Rücken, um ihm das Husten zu erleichtern, Hauptmann.) (gerührt) Ich sehe schon die Leute mit den Sacktüchern vor den Augen. (immer gerührter) Aber sie werden sagen: »Er war ein guter Mensch, ein guter Mensch.« Wozzeck geht rasch verbei, salutiert. DOKTOR He, Wozzeck! (Wozzeck bleibt stehen.) Was hetzt Er sich so an uns vorbei? (Wozzeck salutiert und will wieder gehen.) Bleib Er doch, Wozzeck! Wozzeck bleibt schliesslich stehen und kommt langsam zurück. HAUPTMANN (wieder gefasst, zu Wozzeck) Er läuft ja wie ein offenes Rasiermesser durch die Welt, man schneidet sich an Ihm! (Betrachtet Wozzeck näher, der stumm und ernst dasteht. Wendet sich daher – etwas beschämt – zum Doktor. Mit Anspielung auf dessen Vollbart.) Er läuft, als hätt’ er die Vollbärte aller Universitäten zu rasieren, und würde gehängt, so lang noch ein letztes Haar… Ja richtig, (pfeift) die langen Bärte... was wollte ich doch sagen? (nachsinnend, hie und da in Gedanken pfeifend)die langen Bärte... DOKTOR (zitierend) »Ein langer Bart unter dem Kinn« ... hm! schon Plinius spricht davon. 59 ACTE II SCÈNE 2 CAPITAINE (Il rattrape vite le Docteur et le retient.) Arrêtez, Docteur ! Je ne vous laisserai pas ! Croque-mort ! Nécrophile ! Dans quatre semaines ? Il y a déjà des gens qui sont morts de pure frayeur. Docteur ! (L’excitation et l’effort le font tousser. Le Docteur lui donne des tapes dans le dos, pour soulager sa toux.) (ému) Je vois déjà les gens portant leurs mouchoirs à leurs yeux. (de plus en plus ému)Mais ils diront : « C’était un honnête homme, un honnête homme. » Wozzeck passe rapidement devant eux, salue . 60 DOCTEUR Hé, Wozzeck ! (Wozzeck s’arrête.) Pourquoi passez-vous si vite devant nous ? (Wozzeck salue et veut continuer son chemin.) Restez donc, Wozzeck ! Wozzeck finit par s’arrêter et revient lentement . CAPITAINE (qui s’est repris, à Wozzeck) Vous courez par le monde comme une lame de rasoir ! On se couperait en vous rencontrant. (Il observe de plus près Wozzeck, qui se tient silencieux et grave. Il se tourne alors, un peu gêné, vers le Docteur. Faisant allusion à la barbe de ce dernier.) Il court comme s’il devait raser toutes les barbes universitaires, et serait pendu tant qu’un seul poil... Oui, c’est juste, (il siffle) les longues barbes... Qu’est-ce que je voulais donc dire ? (réfléchissant et sifflant de temps à autre) les longues barbes... DOCTEUR (citant) « Une longue barbe sous le menton... » hum ! Pline en parlait déjà. ACTE I SCÈNE 1 (Hauptmann kommt durch die Anspielung des Doktors darauf und schlägt sich auf die Stirn.) Man muss ihn den Soldaten abgewöhnen... HAUPTMANN (sehr bedeutsam) Ha! Ich hab’s... die langen Bärte! (Doktor hört von hier an belustigt dem Hauptmann zu und summt hie und da sein Thema, indem er mit seinem Spazierstock, gleich einem Tambourstab, den Takt dazu markiert.) Was ist’s, Wozzeck? Hat Er nicht ein Haar aus einem Bart in seiner Schüssel gefunden? Haha! Er versteht mich doch? Ein Haar von einem Menschen, vom Bart eines Sappeurs, oder eines Unteroffiziers, oder eines Tambourmajors. DOKTOR He, Wozzeck? Aber Er hat doch ein braves Weib? WOZZECK Was wollen Sie damit sagen, Herr Doktor, und Sie, Herr Hauptmann?! HAUPTMANN Was der Kerl für ein Gesicht macht! Nun! Wenn auch nicht grad in der Suppe, aber wenn Er sich eilt und um die Ecke läuft, so kann Er vielleicht noch auf einem Paar Lippen eins finden! Ein Haar nämlich! Übrigens, ein Paar Lippen! Oh, ich habe auch einmal die Liebe gefühlt! Aber, Kerl, Er ist ja kreideweiss! WOZZECK Herr Hauptmann, ich bin ein armer Teufel! Hab’ sonst nichts auf dieser Welt! Herr Hauptmann, wenn Sie Spass machen... HAUPTMANN (auffahrend) Spass? Ich? Dass Dich der... 61 ACTE II SCÈNE 2 (Le Capitaine saisit l’allusion du Docteur : il se frappe le front.) Il faudrait interdire cette mode aux soldats... CAPITAINE (d’un air entendu) Ah ! J’y suis ! Les longues barbes ! (A partir de ce moment, le Docteur écoute, amusé, le Capitaine fredonnant çà et là son thème, tout en battant la mesure de sa canne, comme avec le bâton d’un tambour-major.) Eh bien, Wozzeck ? Est-ce que vous n’avez pas trouvé un poil de barbe dans votre assiette ? Ah, Ah ! Vous me comprenez, n’est-ce pas ? Un poil de quelqu’un, de la barbe d’un sapeur, ou d’un sous-officier, ou bien d’un tambour-major ? 62 DOCTEUR Hé, Wozzeck ? Mais vous avez une femme qui est sage, n’est-ce pas ? WOZZECK Que voulez-vous dire par là, Docteur, et vous, mon Capitaine ? CAPITAINE Il fait une de ces têtes ! Eh bien ! Ce n’était pas forcément dans la soupe, mais si vous vous dépêchez de tourner le coin de la rue, vous pourrez peut-être en trouver un sur des lèvres... Je veux dire un poil. Et d’ailleurs, quelles lèvres ! Oh, moi aussi, j’ai déjà ressenti de l’amour, autrefois ! Mais, mon garçon, vous êtes blanc comme un linge ! WOZZECK Mon Capitaine, je ne suis qu’un pauvre diable ! Je n’ai rien d’autre au monde ! Mon Capitaine, si vous plaisantez... CAPITAINE (brusquement) Plaisanter ? Moi ? Que le... ACTE I SCÈNE 1 WOZZECK Herr Hauptmann, die Erd’ ist Manchem höllenheiss... die Hölle ist kalt dagegen. HAUPTMANN Spass, Kerl? will Er sich erschiessen? DOKTOR Den Puls, Wozzeck! (ergreift Wozzecks Puls)Klein... hart... arhythmisch. HAUPTMANN Er sticht mich ja mit seinen Augen! WOZZECK Herr Hauptmann... (Entreisst seine Hand dem Doktor.) HAUPTMANN Ich mein’s gut mit Ihm, weil Er ein guter Mensch ist, Wozzeck... WOZZECK (vor sich hin, aber mit Steigerung) Es ist viel möglich... Der Mensch... DOKTOR (betrachtet Wozzeck prüfend) Gesichtsmuskeln starr, gespannt, Augen stier. HAUPTMANN (gerührt) ... ein guter Mensch... WOZZECK ... es ist viel möglich... Gott im Himmel!Man könnte Lust bekommen, sich aufzuhängen! Dann wüsste man, woran man ist! (Er stürzt, ohne zu grüssen, davon.) HAUPTMANN (blickt Wozzeck betreten nach) Wie der Kerl läuft und sein Schatten hinterdrein! 63 ACTE II SCÈNE 2 WOZZECK Mon Capitaine, pour certains, la terre est aussi brûlante que l’enfer... l’enfer est froid, à côté. CAPITAINE Plaisanter ! Dites, vous ne voulez pas vous tuer ? DOCTEUR Votre pouls, Wozzeck ! (saisit le pouls de Wozzeck)Petit... dur... arythmique... CAPITAINE Mais il me transperce du regard ! WOZZECK Mon Capitaine... (Il arrache sa main des doigts du Docteur.) 64 CAPITAINE Ce que j’en dis, c’est pour votre bien, parce que vous êtes un honnête homme, Wozzeck... WOZZECK (à part, mais s’énervant) Tant de choses sont possibles... L’homme... DOCTEUR (observant attentivement Wozzeck)Les muscles du visage sont raides, tendus, le regard est fixe. CAPITAINE (ému) ... un honnête homme ! WOZZECK ... tant de choses sont possibles... Seigneur ! On serait tenté de se pendre ! On saurait alors au moins où on en est ! (Il part précipitamment, sans saluer.) CAPITAINE (suivant Wozzeck du regard) Comme il court, et son ombre derrière lui ! ACTE I SCÈNE 1 DOKTOR Er ist ein Phänomen, dieser Wozzeck! HAUPTMANN Mir wird ganz schwindlich vor dem Menschen! Und wie verzweifelt! Das hab’ ich nicht gern! Ein guter Mensch ist dankbar gegen Gott; ein guter Mensch hat auch keine Courage! (mit Beziehung auf Wozzeck)Nur ein Hundsfott hat Courage! (Er schliesst sich dem Doktor an, der einen neuen Gefühlsausbruch befürchtet und sich bei diesem Wort des Hauptmanns, als besänne er sich der Eile zu Anfang der Szene, in Bewegung setzt.) (schon im Abgehen)Nur ein Hundsfott!... (hinter der Szene)Hundsfott... Verwandlung Überleitende Takte und Kammerorchester Einleitung 65 DRITTE SZENE Strasse vor Mariens Wohnungstür. Trüber Tag. Marie steht vor ihrer Tür. Wozzeck kommt auf dem Gehsteig rasch auf sie zu. MARIE Guten Tag, Franz. WOZZECK (sieht sie starr an und schüttelt den Kopf) Ich seh’ nichts, ich seh’ nichts. O, man müsst’s seh’n, man müsst’s greifen können mit den Fäusten! MARIE Was hast, Franz? WOZZECK Bist Du’s noch, Marie?! Eine Sünde, so dick und breit. Das müsst’ stinken, dass ACTE II SCÈNE 3 DOCTEUR C’est un phénomène, ce Wozzeck ! CAPITAINE Il me donne le vertige, cet homme ! Et comme il est désespéré ! Je n’aime pas ça ! Un honnête homme est reconnaissant envers Dieu ; un honnête homme n’a pas non plus cette sorte de courage ! (faisant allusion à Wozzeck) Seule la canaille a du courage ! (Il rejoint le Docteur qui, craignant un nouvel épanchement, comme s’il se souvenait du début de la scène, se met en route.) (au moment où il sort) Seule la canaille !... (de derrière la scène)la canaille... Changement de décor Mesures de transition et introduction d’orchestre de chambre 66 TROISIÈME SCÈNE La rue devant la maison de Marie. Un temps triste. Marie est devant sa porte. Wozzeck vient rapidement vers elle. MARIE Bonjour, Franz. WOZZECK (la regarde fixement en secouant la tête) Je ne vois rien, je ne vois rien. Oh, on devrait pouvoir le voir, pouvoir le saisir avec les poings ! MARIE Qu’as-tu, Franz ? WOZZECK Est-ce toujours toi, Marie ? Un péché, si gros et large – ça devrait sentir assez fort pour ACTE I SCÈNE 1 man die Engel zum Himmel hinausräuchern könnt’. Aber Du hast einen roten Mund, einen roten Mund... keine Blase drauf? MARIE Du bist hirnwütig, Franz, ich fürcht’ mich... WOZZECK Du bist schön »wie die Sünde«. Aber kann die Todsünde so schön sein, Marie? (Er zeigt plötzlich auf eine Stelle vor der Tür.) (auffahrend) Da! Hat er da gestanden, (in Positur) so, so? MARIE Ich kann den Leuten die Gasse nicht verbieten. WOZZECK Teufel! Hat er da gestanden? MARIE Dieweil der Tag lang und die Welt alt ist, können viele Menschen an einem Platze stehn, einer nach dem andern. WOZZECK Ich hab ihn gesehn! MARIE Man kann viel sehn, wenn man zwei Augen hat und wenn man nicht blind ist und wenn die Sonne scheint. WOZZECK (der sich immer weniger beherrschen kann, ausbrechend) Du bei ihm! MARIE Und wenn auch! WOZZECK (geht auf sie los) Mensch! 67 ACTE II SCÈNE 3 enfumer les anges hors du ciel. Mais tu as une bouche rouge, une bouche rouge – et pas d’ampoule dessus ? MARIE Tu es fou, Franz. J’ai peur. WOZZECK Tu es belle « comme le péché ». Mais comment un péché mortel peut-il être aussi beau, Marie ? (Il désigne soudain un endroit devant la porte.) (s’emportant) Là ! Est-ce qu’il s’est tenu là, (prend une pose)comme ça, comme ça ? MARIE Je ne peux pas interdire la rue aux gens... WOZZECK Par le diable ! Est-ce qu’il s’est tenu là ? 68 MARIE Tant que le jour est long et que le monde vieillit, beaucoup de gens peuvent se tenir à une même place, l’un après l’autre. WOZZECK Je l’ai vu ! MARIE On peut voir beaucoup lorsqu’on a deux yeux et qu’on n’est pas aveugle et que le soleil brille. WOZZECK (de moins en moins capable de se dominer, éclate) Toi – à côté de lui ! MARIE Et alors ! WOZZECK (se jette sur elle) Salope ! ACTE I SCÈNE 1 MARIE Rühr’ mich nicht an! (Wozzeck lässt langsam die erhobene Hand sinken.) Lieber ein Messer in den Leib, als eine Hand auf mich. Mein Vater hat’s nicht gewagt, wie ich zehn Jahr alt war... (Ins Haus ab.) WOZZECK (sieht ihr starr nach) »Lieber ein Messer«... (scheu flüsternd)Der Mensch ist ein Abgrund, es schwindelt Einem, wenn man hinunterschaut (im Abgehen) mich schwindelt... Verwandlung Überleitende Takte und Orchester Vorspiel (Ländler) VIERTE SZENE 69 Wirtshausgarten. Spät abends. Die Wirtshausmusik auf der Bühne beendet soeben den Ländler des Orchester-Vorspiels. Burschen, Soldaten und Mägde auf dem Tanzboden, teils tanzend, teil zusehend. ERSTER HANDWERKSBURSCHE Ich hab’ ein Hemdlein an, das ist nicht mein... ZWEITER HANDWERKSBURSCHE Das ist nicht mein... ERSTER HANDWERKSBURSCHE ... Und meine Seele stinkt nach Branntewein. Die Burschen, Soldaten und Mägde verlassen gemächlich den Tanzboden und sammeln sich in Gruppen. Eine Gruppe um die zwei betrunkenen Handwerksburschen. ERSTER HANDWERKSBURSCHE Meine Seele, unsterbliche Seele, stinket nach Branntewein! Sie stinket, und ich weiss nicht, warum? ACTE II SCÈNE 4 MARIE Ne me touche pas ! Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi. (Wozzeck laisse lentement retomber sa main.) Même mon père n’a pas osé, quand je n’avais que dix ans... (Elle rentre dans la maison.) WOZZECK (la suivant fixement du regard) « Plutôt un couteau... » (murmurant anxieusement) L’homme est un abîme, la tête vous tourne, quand on regarde dedans... (sortant) J’ai la tête qui tourne... Changement de décor Mesures de transitions et prélude orchestral (Ländler) QUATRIÈME SCÈNE 70 Le jardin d’une auberge. Tard le soir. Sur la piste de danse, des artisans, des soldats et des filles ; certains dansent, les autres regardent. PREMIER ARTISAN Je porte une chemise qui n’est pas la mienne... DEUXIEME ARTISAN Qui n’est pas la mienne... PREMIER ARTISAN ... Et mon âme pue l’eau-de-vie. Les artisans, les soldats et les filles quittent peu à peu la piste de danse et s’assemblent en groupes. On entoure les deux artisans ivres. PREMIER ARTISAN Mon âme, mon âme immortelle, pue l’eau-de-vie. Elle pue, et je ne sais pas pourquoi ? ACTE I SCÈNE 1 Warum ist die Welt so traurig? Selbst das Geld geht in Verwesung über! ZWEITER HANDWERKSBURSCHE Vergiss mein nicht! Bruder! Freundschaft! (Umarmt ihn.) Warum ist die Welt so schön! Ich wollt’, unsre Nasen wären zwei Bouteillen, und wir könnten sie uns einander in den Hals giessen. ERSTER HANDWERKSBURSCHE Meine Seele, meine unsterbliche Seele stinket... ZWEITER HANDWERKSBURSCHE Die ganze Welt ist rosenrot! Branntwein, das ist mein Leben! ERSTER HANDWERKSBURSCHE Oh! Das ist traurig, traurig, traurig, trau... (Schläft ein.) Burschen, Soldaten und Mägde begeben sich wieder auf den Tanzboden und beginnen zu tanzen. Unter ihnen Marie und der Tambourmajor. Wozzeck tritt hastig auf, sieht Marie, die mit dem Tambourmajor vorbeitanzt. WOZZECK Er! Sie! Teufel! MARIE (im Vorbeitanzen) Immer zu, immer zu! WOZZECK »Immer zu, immer zu!« (Sinkt auf eine Bank in der Nähe des Tanzbodens.) (vor sich hin) Dreht Euch! Wälzt Euch! Warum löscht Gott die Sonne nicht aus?... Alles wälzt sich in Unzucht übereinander: Mann und Weib, Mensch und Vieh! (Sieht wieder auf den Tanzboden hin.) 71 ACTE II SCÈNE 4 Pourquoi le monde est si triste ? Même l’argent tombe en pourriture ! DEUXIEME ARTISAN Ne m’oublie pas ! Frère ! Amitié ! (Il l’embrasse.) Pourquoi le monde est-il si beau ? Je voudrais que nos nez soient deux bouteilles, et que nous puissions nous les verser l’un l’autre dans le gosier... PREMIER ARTISAN Mon âme, mon âme immortelle pue... DEUXIEME ARTISAN Le monde entier est rose ! L’eau-de-vie, voilà ma vie ! 72 PREMIER ARTISAN Oh ! C’est triste, triste, triste, tris... (Il s’endort.) Artisans, soldats et filles se rendent à nouveau sur la piste et commencent à danser. Parmi eux, Marie et le Tambour-Major. Wozzeck entre précipitamment et voit Marie, qui passe en dansant avec le Tambour-Major. WOZZECK Lui ! Elle ! Diable ! MARIE (passe en dansant) Et encore, et encore ! WOZZECK « Et encore, et encore ! » (Il s’effondre sur son banc près de la piste de danse.) (à part) Tournez ! Roulez ! Pourquoi Dieu n’éteint-il pas le soleil ?... Tout se vautre dans la luxure : hommes et femmes, hommes et bêtes. (Il regarde à nouveau vers la piste de danse.) ACTE I SCÈNE 1 Weib! Weib! Das Weib ist heiss! ist heiss! heiss! (fährt heftig auf) Wie er an ihr herumgreift! An ihrem Leib! Und sie lacht dazu! MARIE Immer zu! Immer zu! TAMBOURMAJOR Immer zu! Immer zu! WOZZECK (gerät in immer grössere Aufregung) Verdammt! (Kann schliesslich nicht mehr an sich halten und will auf den Tanzboden stürzen.) Ich... (Er unterlässt es aber, da der Tanz beendet ist. Er setzt sich wieder.) BURSCHEN, SOLDATEN Ein Jäger aus der Pfalz Ritt einst durch einen grünen Wald! Halli, Hallo, Halli, Hallo! Ja lustig ist die Jägerei, All hie auf grüner Haid! Halli, Hallo! Halli, Hallo! ANDRES (die Gitarre ergreifend, spielt sich als Dirigent des Chores auf und gibt ein Ritardando, so dass er in den verklingenden Akkord des Chores einsetzen kann, leiernd) O Tochter, liebe Tochter, Was hast Du gedenkt, Dass Du Dich an die Kutscher Und die Fuhrknecht hast gehängt? Hallo! BURSCHEN, SOLDATEN Ja lustig ist die Jägerei, All hie auf grüner Haid! 73 ACTE II SCÈNE 4 Femme ! Femme ! La femme est brûlante ! Brûlante ! Brûlante ! (il éclate) Comme il la prend ! Comme il l’empoigne au corps ! Et ça la fait rire ! MARIE Et encore ! Et encore ! TAMBOUR-MAJOR Et encore ! Et encore ! WOZZECK (de plus en plus hors de lui) Malédiction ! (Il ne peut finalement plus se contrôler et veut se précipiter sur la piste de danse.) Je... (Mais il renonce, car la danse est terminée. Il se rassoit.) 74 ARTISANS, SOLDATS Un chasseur du Palatinat Traversait à cheval une verte forêt ! Tayi, Tayaut ! Oui, la chasse est chose gaie Par la verte campagne ! Tayi, Tayaut ! ANDRÈS (saisissant la guitare, joue au chef de chœur, qu’il fait ralentir, de façon à pouvoir enchaîner sur la fin de l’accord du chœur) Oh, ma fille, fille chérie, Dis-moi, qu’as-tu donc pensé, Quand tu as suivi ainsi Les cochers et les garçons d’écurie ? Tayaut ! ARTISANS, SOLDATS Oui, la chasse est chose gaie Par la verte campagne ! ACTE I SCÈNE 1 Halli, Hallo! Halli, Hallo! ANDRES Hallo! (Er gibt die Gitarre dem Spieler von der Wirtshausmusik zurück und wendet sich zum Wozzeck.) WOZZECK Wieviel Uhr? ANDRES Elf Uhr! WOZZECK So? Ich meint’, es müsst später sein! Die Zeit wird Einem lang bei der Kurzweil... ANDRES Was sitzest Du da vor der Tür? WOZZECK Ich sitz’ gut da. Es sind manche Leut’ nah an der Tür und wissen’s nicht, bis man sie zur Tür hinausträgt, die Füss’ voran! ANDRES Du sitzest hart. WOZZECK Gut sitz’ ich, und im kühlen Grab, da lieg’ ich dann noch besser... Hier endet der Tanz. ANDRES Bist besoffen? WOZZECK Nein, leider, bring’s nit z’sam, Andres, gelangweilt und mit den Gedanken schon mehr beim 75 ACTE II SCÈNE 4 Tayi, Tayaut ! ANDRÈS Tayi, Tayaut ! (Il rend la guitare au musicien de l’orchestre et se tourne vers Wozzeck.) WOZZECK Quelle heure est-il ? ANDRÈS Onze heures. WOZZECK Ah ! Je croyais qu’il était plus tard ! Le temps paraît long, quand on s’amuse ainsi... ANDRÈS Pourquoi es-tu assis là, devant la porte ? 76 WOZZECK Je suis bien, là. Il y en a qui sont près de la porte et qui ne le savent pas, jusqu’à ce qu’on les sorte, les pieds devant ! ANDRÈS C’est dur là où tu es assis. WOZZECK Je suis bien assis, et dans la froide tombe, je serai encore mieux... La danse s’arrête. ANDRÈS Es-tu ivre ? WOZZECK Non, malheureusement, je n’y arrive pas. Andrès s’ennuie, il ne pense vraiment qu’à la danse ACTE I SCÈNE 1 Tanz, wendet sich pfeifend von Wozzeck ab. Der erste Handwerksbursche, der inzwischen aufgewacht ist, steigt auf einen Tisch und beginnt, von der Wirtshausmusik auf der Bühne melodramatisch begleitet, zu predigen. ERSTER HANDWERKSBURSCHE Jedoch, wenn ein Wanderer, der gelehnt steht an dem Strom der Zeit, oder aber sich die göttliche Weisheit vergegenwärtigt und fraget: Warum ist der Mensch? (mit Pathos) Aber wahrlich, geliebte Zuhörer, ich sage Euch: (verzückt) Es ist gut so! Denn von was hätten der Landmann, der Fassbinder, der Schneider, der Arzt leben sollen, wenn Gott den Menschen nicht geschaffen hätte? Von was hätte der Schneider leben sollen, wenn Er nicht dem Menschen die Empfindung der Schamhaftigkeit eingepflanzt hätte? Von was der Soldat und der Wirt, wenn Er ihn nicht mit dem Bedürfnis des Totschiessens und der Feuchtigkeit ausgerüstet hätte? Darum, Geliebteste, zweifelt nicht; denn es ist Alles lieblich und fein... Aber alles Irdische ist eitel; selbst das Geld geht in Verwesung über... Und meine Seele stinkt nach Branntewein. Allgemeines Gejohle! Der Redner wird umringt und von einem Teil der Burschen abgeführt. Die Übrigen begeben sich singend teils zum Tanzboden, teils zu den Tischen im Hintergrund. BURSCHEN, SOLDATEN Ja lustig ist die Jägerei... Halli! ANDRES O Tochter, liebe Tochter! Der Narr taucht plötzlich auf und nähert sich Wozzeck, der, teilnahmslos an den Vorgängen, auf der Bank vorn gesessen hat. Der Narr drängt sich an Wozzeck heran. Die Instrumentalisten der Wirtshausmusik beginnen ihre Instrumente zu stimmen. 77 ACTE II SCÈNE 4 et se détourne en sifflant de Wozzeck. Le premier artisan qui entre-temps s’est réveillé, monte sur une table et commence à prêcher, accompagné par la mélodramatique musique. 78 PREMIER ARTISAN Cependant, si un voyageur, appuyé au flot du temps mais qui songe à la sagesse divine et demande : Pourquoi l’homme ? (avec emphase) Mais en vérité mes frères, je vous le dis : (extasié) C’est bien ainsi ! Car de quoi auraient vécu le fermier, le tonnelier, le tailleur, le docteur, si Dieu n’avait pas créé les hommes ? De quoi le tailleur aurait-il vécu, s’Il n’avait pas donné aux hommes le sentiment de la pudeur ? De quoi le soldat et l’aubergiste, s’Il ne les avait pas pourvus du besoin de tuer et de celui de boire ? C’est pourquoi, mes chers frères, ne doutez pas ; car tout est bon et bien fait... aimable et beau... Mais tout ce qui est terrestre est vain ; même l’argent tombe en pourriture, et mon âme pue l’eau-de-vie. Tumulte général. On entoure l’orateur, qui est emporté par une partie des artisans. Les autres se rendent en chantant soit sur la piste de danse, soit vers les tables dans le fond. ARTISANS, SOLDATS Oui, la chasse est chose gaie... Tayi ! ANDRÈS Oh, ma fille, fille chérie... L’Idiot apparaît soudain et s’approche de Wozzeck qui – sans prendre part à ce qui vient de se passer – est resté tout le temps assis sur son banc. L’Idiot vient tout contre Wozzeck. Les musiciens commencent à accorder leurs instruments. ACTE I SCÈNE 1 DER NARR Lustig, lustig... (Wozzeck beachtet den Narren anfangs nicht.) ... aber es riecht... WOZZECK Narr, was willst Du? DER NARR Ich riech, ich riech Blut! WOZZECK Blut?... Blut, Blut! (Die Burschen, Mägde und Soldaten, unter ihnen Marie und der Tambourmajor, beginnen wieder zu tanzen.) Mir wird rot vor den Augen. Mir ist, als wälzten sie sich alle übereinander... Verwandlung Orchester-Nachspiel FÜNFTE SZENE Wachstube in der Kaserne. Nachts. Wortloser Chor der schlafenden Soldaten. Andres liegt mit Wozzeck auf einer Pritsche und schläft. WOZZECK (stöhnt im Schlaf) Oh! oh! (auffahrend) Andres! Ich kann nicht schlafen. (Bei den Worten Wozzecks werden die schlafenden Soldaten unruhig, ohne aber aufzuwachen.) Wenn ich die Augen zumach’, dann seh’ ich sie doch immer, und ich hör’ die Geigen immerzu, immerzu. Und dann spricht’s aus der Wand heraus... Hörst Du nix, Andres? Wie das geigt und springt? ANDRES (verschlafen) Lass sie tanzen! 79 ACTE II SCÈNE 5 L’IDIOT Gai, gai... (Wozzeck ne prête d’abord pas attention à l’Idiot.) ... mais cela sent... WOZZECK Que veux-tu, l’Idiot ? L’IDIOT Je sens, je sens du sang ! WOZZECK Du sang ?... Du sang, du sang ! (Les artisans, les filles et les soldats, parmi eux Marie et le Tambour-Major, recommencent à danser.) Je vois tout rouge. C’est comme si tous se vautraient les uns sur les autres... 80 Changement de décor Postlude orchestral CINQUIÈME SCÈNE Chambrée des gardes à la caserne. La nuit. Chœur sans paroles des soldats endormis. Andrès est allongé à côté de Wozzeck, sur des planches, et dort. WOZZECK (gémit dans son sommeil)Oh ! oh ! (tout d’un coup) Andrès ! Andrès ! Je ne peux pas dormir. (Aux mots de Wozzeck les soldats s’agitent, mais sans se réveiller.) Quand je ferme les yeux, je les revois sans cesse, et j’entends les violons, et encore et encore ! Et alors une voix parle du mur... N’entends-tu rien, Andrès ? Comme ça racle, comme ça saute ? ANDRÈS (d’une voix endormie) Laisse-les danser ! ACTE I SCÈNE 1 WOZZECK Und dazwischen blitzt es immer vor den Augen wie ein Messer, wie ein breites Messer! ANDRES Schlaf, Narr! WOZZECK Mein Herr und Gott, (er betet) »und führe uns nicht in Versuchung, Amen!« TAMBOURMAJOR (poltert, stark angeheitert, herein) Ich bin ein Mann! Ich hab’ ein Weibsbild, ich sag’ Ihm, ein Weibsbild! Zur Zucht von Tambourmajors! Ein Busen und Schenkel! und alles fest. Die Augen wie glühende Kohlen. Kurzum ein Weibsbild, ich sag’ Ihm... ANDRES He! Wer ist es denn? TAMBOURMAJOR Frag’ Er den Wozzeck da! (Zieht eine Schnapsflasche aus der Tasche, trinkt daraus und hält sie dem Wozzeck hin.) Da, Kerl, sauf’! Ich wollt’, die Welt wär Schnaps, Schnaps, der Mann muss saufen! (Trinkt wieder.) Sauf’, Kerl, sauf’! (Wozzeck blickt weg und pfeift.) (schreiend) Kerl, soll ich Dir die Zung’ aus dem Hals zieh’n und sie Dir um den Leib wickeln? (Sie ringen miteinander. Wozzeck unterliegt. Der Tambourmajor würgt den am Boden liegenden Wozzeck. Soll ich Dir noch so viel Atem lassen, als ein Altweiberfurz? (über Wozzeck gebeugt)Soll ich... (Wozzeck sinkt erschöpft um. Der Tambourmajor lässt von Wozzeck ab, richtet sich auf und zieht die Schnapsflasche aus der Tasche.) Jetzt soll der Kerl pfeifen! (trinkt wieder) Dunkelblau soll er sich pfeifen! 81 ACTE II SCÈNE 5 WOZZECK Et tout ce temps je vois des éclairs devant mes yeux comme d’un couteau, un très large couteau ! ANDRÈS Dors, idiot ! WOZZECK Mon Seigneur et mon Dieu, (il prie) « et ne nous soumets pas à la tentation, Amen ! » TAMBOUR-MAJOR (entre bruyamment, très éméché) Quel homme je suis ! J’ai une de ces femmes ! Je vous le dis, une bien belle femme ! Pour une lignée de tamboursmajors ! Cette poitrine et ces hanches ! Et tout est bien ferme ! Les yeux comme des charbons ardents. Bref, une belle femme je vous le dis... 82 ANDRÈS Hé ! Qui est-ce donc ? TAMBOUR-MAJOR Demande à Wozzeck, là ! (Il tire de sa poche une bouteille d’eau-de-vie, en boit et la tend à Wozzeck.) Là ! Bois ! Je voudrais que le monde soit de l’eau-de-vie, l’homme doit boire ! (Il boit encore.)Bois ! Bois donc ! (Wozzeck détourne les yeux et siffle.) (en criant) Dis ! Faudra-t-il que je te tire la langue de la bouche et que je te l’enroule autour du corps ? (Le Tambour-Major et Wozzeck luttent. Wozzeck a le dessous. Le Tambour-Major le serre à la gorge.) Dois-je te laisser encore autant de souffle qu’un pet de vieille femme ? (penché sur Wozzeck)Dois-je... (Wozzeck s’affaisse, épuisé. Le Tambour-Major le lâche, se relève et tire la bouteille d’eau-de-vie de sa poche.) A présent, il peut siffler ! (buvant à nouveau) Qu’il siffle à en devenir violet ! ACTE I SCÈNE 1 (Pfeift dieselbe Melodie wie früher Wozzeck, triumphierend.) Was bin ich für ein Mann! Wendet sich zum Fortgehen und poltert zur Tür hinaus. Wozzeck hat sich indessen langsam erhoben und auf seine Pritsche gesetzt. EIN SOLDAT (auf Wozzeck deutend) Der hat sein Fett! (Legt sich um und schläft ein.) ANDRES Er blut’... (Legt sich um und schläft ein.) WOZZECK Einer nach dem Andern! Wozzeck bleibt sitzen und starrt vor sich hin. Die anderen Soldaten, die sich während des Ringkampfes etwas aufgerichtet hatten, haben sich nach dem Abgang des Tambourmajors niedergelegt und schlafen nunmehr alle wieder. 83 ACTE II SCÈNE 5 (Il siffle la même mélodie que Wozzeck auparavant, triomphant.) Quel homme je suis, vraiment ! Il se retourne pour partir et sort bruyamment. Pendant ce temps, Wozzeck s’est lentement relevé et s’est assis sur la banquette. UN SOLDAT (montrant Wozzeck) Il a son compte ! (Il se retourne et s’endort.) ANDRÈS Il saigne... (Il se retourne aussi et s’endort.) WOZZECK L’un après l’autre ! 84 Il reste assis et regarde fixement devant lui. Les autres soldats, qui s’étaient légèrement soulevés pendant la lutte, se sont recouchés – l’un après l’autre – après le départ du Tambour-Major, et, maintenant, dorment tous. ACTE I SCÈNE 1 DRITTER AKT ERSTE SZENE Mariens Stube. Es ist Nacht. Kerzenlicht. Marie sitzt am Tisch, blättert in der Bibel und liest darin. Das Kind ist in der Nähe. Sie liest in der Bibel. MARIE »Und ist kein Betrug in seinem Munde erfunden worden«... Herr Gott, Herr Gott ! Sieh’ mich nicht an! (Blättert weiter.) »Aber die Pharisäer brachten ein Weib zu ihm, so im Ehebruch lebte. Jesus aber sprach: So verdamme ich dich auch nicht, geh’ hin, und sündige hinfort nicht mehr.« Herr Gott! (Sie schlägt die Hände vors Gesicht. Das Kind drängt sich an Marie.) Der Bub’ gibt mir einen Stich in’s Herz. Fort! (Stösst das Kind von sich.) Das brüst’ sich in der Sonne! (plötzlich milder)Nein, komm, komm her! (Zieht das Kind an sich.) Komm zu mir! »Es war einmal ein armes Kind und hatt’ keinen Vater und keine Mutter... war Alles tot und war Niemand auf der Welt, und es hat gehungert und geweint Tag und Nacht. Und weil es Niemand mehr hatt’ auf der Welt...« Der Franz ist nit kommen, gestern nit, heut’ nit ... (blättert hastig in der Bibel) Wie steht es geschrieben von der Magdalena?... 85 ALBAN BERG WOZZECK TROISIÈME ACTE PREMIÈRE SCÈNE La chambre de Marie. Il fait nuit. Lueur de bougies. Marie est assise seule à une table et feuillette la Bible. L’enfant est près d’elle. Elle lit la Bible. 86 MARIE « Et jamais parole trompeuse ne sortit de sa bouche... » Seigneur Dieu. Seigneur Dieu ! Ne me regarde pas ! (Elle tourne quelques pages et lit encore.) « Mais les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère. Mais Jésus lui dit : “Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais, ne pèche plus !” » Seigneur Dieu ! (Elle se couvre le visage des mains. L’enfant se presse contre Marie.) Le petit me donne un coup dans le cœur. Va-t’en ! (Elle repousse l’enfant.) Ça se pavane au soleil ! (soudain plus douce)Non, viens là, viens ! (Elle tire l’enfant à elle.) Viens à moi ! « Il était une fois un pauvre enfant, qui n’avait ni père ni mère... tous étaient morts, et il n’y avait personne au monde, et il a eu faim, et il a pleuré – jour et nuit. Et parce qu’il n’avait plus personne au monde... » Franz n’est pas venu, ni hier ni aujourd’hui... (feuillette hâtivement la Bible)Qu’est-ce qui est écrit, déjà, sur Madeleine ?... ACTE I SCÈNE 1 »Und kniete hin zu seinen Füssen und weinte und küsste seine Füsse und netzte sie mit Tränen und salbte sie mit Salben.« (Sie schlägt sich auf die Brust.) Heiland! Ich möchte Dir die Füsse salben! Heiland! Du hast Dich ihrer erbarmt, erbarme Dich auch meiner! Verwandlung Orchester-Nachspiel ZWEITE SZENE Waldweg am Teich. Es dunkelt. Marie kommt mit Wozzeck von rechts. MARIE Dort links geht’s in die Stadt. ‘s ist noch weit. Komm schneller! WOZZECK Du sollst dableiben, Marie. Komm, setz’ Dich. MARIE Aber ich muss fort. WOZZECK Komm. (Sie setzen sich.) Bist weit gegangen, Marie. Sollst Dir die Füsse nicht mehr wund laufen. ‘s ist still hier! Und so dunkel. – Weisst noch, Marie, wie lang’ es jetzt ist, dass wir uns kennen? MARIE Zu Pfingsten drei Jahre. WOZZECK Und was meinst, wie lang’ es noch dauern wird? MARIE (springt auf) Ich muss fort. 87 ACTE III SCÈNE 2 « Et s’agenouilla à ses pieds et pleura, et embrassa ses pieds, et les arrosa de ses larmes et les oignit avec des onguents... » (Elle se frappe la poitrine.) Sauveur ! Je voudrais t’oindre les pieds... Sauveur, tu as eu pitié d’elle, aie aussi pitié de moi ! Changement de décor Postlude orchestral DEUXIÈME SCÈNE Chemin dans la forêt au bord de l’étang. Au crépuscule. Marie arrive avec Wozzeck. MARIE Là à gauche, ça mène à la ville. C’est encore loin. Plus vite. 88 WOZZECK Reste ici, Marie. Viens, assieds-toi. MARIE Mais je dois partir. WOZZECK Viens. (Ils s’assoient.) Tu as beaucoup marché, Marie. Il ne faut plus que tu te fatigues les pieds jusqu’au sang. C’est calme ici ! Et si sombre. Sais-tu, Marie, depuis combien de temps nous nous connaissons maintenant ? MARIE Ça va faire trois ans à la Pentecôte. WOZZECK Et combien de temps crois-tu que ça va durer encore ? MARIE (se levant d’un bond) Je dois partir. ACTE I SCÈNE 1 WOZZECK Fürchst Dich, Marie? Und bist doch fromm? (lacht) Und gut! Und treu! (Er zieht sie wieder auf den Sitz; neigt sich, wieder ernst, zu Marie.) Was Du für süsse Lippen hast, Marie! (Er küsst sie.) Den Himmel gäb’ ich drum und die Seligkeit, wenn ich Dich noch oft so küssen dürft! Aber ich darf nicht! Was zitterst? MARIE Der Nachttau fällt. WOZZECK (flüstert vor sich hin) Wer kalt ist, den friert nicht mehr! Dich wird beim Morgentau nicht frieren. MARIE Was sagst Du da? WOZZECK Nix. Langes Schweigen. Der Mond geht auf. MARIE Wie der Mond rot aufgeht! WOZZECK Wie ein blutig Eisen! (Er zieht ein Messer.) MARIE Was zitterst? (Sie springt auf.) Was willst? WOZZECK Ich nicht, Marie! Und kein Andrer auch nicht! (Er packt sie an und stösst ihr das Messer in den Hals.) 89 ACTE III SCÈNE 3 WOZZECK Tu as peur, Marie ? Tu es pieuse, pourtant ? (il rit) Et bonne ! Et fidèle ! (Il la fait se rasseoir ; se penche, sérieux de nouveau, vers elle.)Quelles lèvres douces tu as, Marie ! (Il l’embrasse.) Je donnerais le ciel et le salut de mon âme pour pouvoir les embrasser encore souvent ainsi ! Mais je ne peux pas ! Pourquoi trembles-tu ? MARIE La rosée de la nuit tombe. WOZZECK (murmure à part) Celui qui est froid ne tremble plus. Tu ne trembleras plus sous la rosée du matin. 90 MARIE Que dis-tu là ? WOZZECK Rien. Long silence. La lune se lève. MARIE Comme la lune se lève rouge ! WOZZECK Comme un fer rouge de sang. (Il tire un couteau.) MARIE Pourquoi trembles-tu ? (Elle bondit.) Que veux-tu faire ? WOZZECK Moi, rien. Marie ! Et aucun autre non plus ! (Il la saisit et lui enfonce le couteau dans la gorge.) ACTE I SCÈNE 1 MARIE Hilfe! Sie sinkt nieder. Wozzeck beugt sich über sie. Marie stirbt. WOZZECK Tot! Er richtet sich scheu auf und stürzt geräuschlos davon. Verwandlung Orchester-Uberleitung DRITTE SZENE Eine Schenke. Nacht. Schwaches Licht. Dirnen, unter ihnen Margret, und Burschen tanzen eine wilde Schnellpolka. Wozzeck sitzt an einem der Tische. WOZZECK Tanzt Alle; tanzt nur zu, springt, schwitzt und stinkt, es holt Euch doch noch einmal der Teufel! (Stürzt ein Glas Wein hinunter; den Klavierspieler überschreiend:) Es ritten drei Reiter wohl an den Rhein, Bei einer Frau Wirtin da kehrten sie ein. Mein Wein ist gut, mein Bier ist klar, Mein Töchterlein liegt auf der... (unterbricht sich)Verdammt! (springt auf) Komm, Margret! (Tanzt mit Margret ein paar Sprünge. Bleibt plötzlich stehen.) Komm, setz Dich her, Margret! (Führt sie an seinen Tisch und zieht sie auf seinen Schoss nieder.) Margret, Du bist so heiss... (Drückt sie an sich; lässt sie los.) Wart nur, wirst auch kalt werden! Kannst nicht singen? 91 ACTE III SCÈNE 3 MARIE Au secours ! Elle s’affaisse. Wozzeck se penche au-dessus d’elle. Marie meurt. WOZZECK Morte ! Il se relève, apeuré, et s’enfuit sans bruit. Changement de décor Transition orchestrale TROISIÈME SCÈNE 92 Une taverne. La nuit, faible lumière. Des filles, parmi elles Margret, et des artisans dansent une polka rapide. Wozzeck est assis à une table. WOZZECK Dansez tous ; dansez, sautez, suez et puez, le Diable finira bien par vous emporter ! (Il avale d’un coup son vin, puis couvrant de la voix le pianiste:) Au bord du Rhin se promenaient trois cavaliers, Qui entrèrent chez une hôtesse. Mon vin est bon, ma bière est claire, Ma fille couchée sur le... (s’interrompant) Tonnerre ! (il se lève d’un bond)Margret ! (Wozzeck danse quelques instants avec Margret. S’arrête soudain.) Viens assieds-toi, Margret ! (Il la mène à sa table et la prend sur ses genoux.) Margret, tu es si chaude... (Il la serre contre lui, puis la lâche.) Attends seulement, toi aussi tu deviendras froide ! Est-ce que tu ne peux pas chanter ? ACTE I SCÈNE 1 MARGRET (vom Klavierspieler auf der Bühne begleitet, singt) In’s Schwabenland, da mag ich nit, Und lange Kleider trag ich nit, Denn lange Kleider, spitze Schuh, Die kommen keiner Dienstmagd zu. WOZZECK (auffahrend) Nein! keine Schuh, man kann auch blossfüssig in die Höll’ geh’n! Ich möcht heut raufen, raufen... MARGRET Aber was hast Du an der Hand? WOZZECK Ich? Ich? MARGRET Rot! Blut! WOZZECK Blut? Blut? Es stellen sich Leute um sie. MARGRET Freilich... Blut! WOZZECK Ich glaub’, ich hab’ mich geschnitten, da an der rechten Hand... MARGRET Wie kommt’s denn zum Ellenbogen? WOZZECK Ich hab’s daran abgewischt. BURSCHEN Mit der rechten Hand am rechten Arm? 93 ACTE III SCÈNE 3 MARGRET (accompagnée par le piano sur scène) En Souabe je ne veux point aller, De longues robes je ne veux point porter, Car les longues robes, les chaussures pointues Ne conviennent pas aux filles comme nous. WOZZECK (réagissant) Non ! Pas de chaussures, on peut aussi aller pieds nus en enfer ! J’ai envie de me bagarrer aujourd’hui. MARGRET Mais qu’est-ce que tu as à la main ? WOZZECK Moi ? Moi ? 94 MARGRET C’est rouge ! Du sang ! WOZZECK Du sang ? Du sang ? Des gens s’approchent, autour de Margret et de Wozzeck. MARGRET Certainement, du sang ! WOZZECK Je crois que je me suis coupé, là, à la main droite... MARGRET Comment peut-il y en avoir jusqu’au coude alors ? WOZZECK Je l’ai essuyé avec. ARTISANS Au bras droit, avec la main droite ? ACTE I SCÈNE 1 MARGRET Puh! Puh! Da stinkt’s nach Menschenblut! WOZZECK (springt auf) Was wollt Ihr? Was geht’s Euch an? Bin ich ein Mörder? BURSCHEN, DIRNEN Blut, Blut, Blut, Blut! Freilich, da stinkt’s nach Menschenblut! WOZZECK Platz! oder es geht wer zum Teufel! (Er stürzt hinaus.) Verwandlung Orchester-Nachspiel VIERTE SZENE Waldweg am Teich. Mondnacht wie vorher. Wozzeck kommt schnell herangewankt. Bleibt suchend stehen. WOZZECK Das Messer? Wo ist das Messer? Ich hab’s dagelassen... Näher, noch näher. Mir graut’s! Da regt sich was. Still! Alles still und tot... Mörder! Mörder! Ha! Da ruft’s. Nein, ich selbst. (Wankt suchend ein paar Schritte weiter und stösst auf die Leiche.) Marie! Marie! Was hast Du für eine rote Schnur um den Hals? Hast Dir das rote Halsband verdient, wie die Ohrringlein, mit Deiner Sünde! Was hängen Dir die schwarzen Haare so wild? Mörder! Mörder! Sie werden nach mir suchen... Das Messer verrät mich! (Sucht fieberhaft.) Da, da ist’s (am Teich) So! Da hinunter (Wirft das Messer hinein.)Es taucht ins dunkle Wasser wie ein Stein. 95 ACTE III SCÈNE 4 MARGRET Pouah ! Pouah ! Ça pue le sang humain ! WOZZECK (se lève d’un bond) Que voulez-vous ? Est-ce que cela vous regarde ? Est-ce que je suis un meurtrier ? FILLES, ARTISANS Certainement, ça pue le sang humain ! Certainement, le sang humain... WOZZECK Place ! Ou bien... quelqu’un ira au Diable (Il se précipite dehors.) Changement de décor Postlude orchestral 96 QUATRIÈME SCÈNE Chemin dans la forêt au bord de l’étang. La lune comme avant. Wozzeck arrive, chancelant. Il s’arrête et cherche. WOZZECK Le couteau ? Où est le couteau ? Je l’ai laissé là. Plus près, encore plus près. Quelle horreur... Quelque chose bouge. Silence ! Tout est silencieux est mort. Meurtrier ! Meurtrier ! Ah ! On appelle. Non, c’était moi. (Il cherche, fait quelques pas en chancelant et butte sur le cadavre.) Marie ! Marie ! Qu’est-ce donc que cette corde rouge autour de ton cou ? L’as-tu gagné, avec ton péché, ce collier rouge comme les boucles d’oreilles ? Pourquoi tes cheveux noirs tombent-ils si sauvagement ? Meurtrier ! Meurtrier ! Ils vont me chercher... Le couteau me trahit ! (Il cherche fiévreusement.)Là, le voilà ! (au bord de l’étang) Comme ça ! Jetons-le là-dedans ! (Il jette le couteau.) Il s’enfonce dans l’eau sombre comme une pierre. ACTE I SCÈNE 1 Der Mond bricht blutrot hinter den Wolken hervor. WOZZECK (Wozzeck blickt auf) Aber der Mond verrät mich... der Mond ist blutig. Will denn die ganze Welt es ausplaudern?! – Das Messer, es liegt zu weit vorn, sie finden’s beim Baden oder wenn sie nach Muscheln tauchen. (Geht in den Teich hinein.) Ich find’s nicht... Aber ich muss mich waschen. Ich bin blutig. Da ein Fleck... und noch einer. Weh! Weh! ich wasche mich mit Blut! Das Wasser ist Blut... Blut... (Er ertrinkt.) Der Doktor tritt auf, der Hauptmann folgt ihm. HAUPTMANN Halt! DOKTOR (bleibt stehen) Hören Sie? Dort! HAUPTMANN Jesus! Das war ein Ton. (Bleibt ebenfalls stehen.) DOKTOR (auf den Teich zeigend) Ja, dort! HAUPTMANN Es ist das Wasser im Teich. Das Wasser ruft. Es ist schon lange Niemand ertrunken. Kommen Sie, Doktor! Es ist nicht gut zu hören. (Will den Doktor mit sich ziehen.) DOKTOR (bleibt aber stehen und lauscht) Das stöhnt als stürbe ein Mensch. Da ertrinkt jemand! 97 ACTE III SCÈNE 4 La lune apparaît, rouge sang, de derrière les nuages. WOZZECK (Wozzeck lève les yeux.) Mais la lune me trahit, la lune saigne. Le monde entier veut-il me dénoncer ? – Le couteau, il est trop près. Ils le trouveront en se baignant ou en plongeant pour chercher des coquillages. (Il entre dans l’eau.) Je ne le trouve pas. Mais il faut que je me lave. J’ai du sang. Là une tache – et encore une. Malheur ! Malheur ! Je me lave dans du sang – l’eau est sang... sang... (Il se noie.) Le Docteur apparaît, suivi du Capitaine. CAPITAINE Halte ! 98 DOCTEUR (il s’arrête) Entendez-vous ? Là-bas ! CAPITAINE Jésus ! Quel son ! (Il s’arrête lui aussi.) DOCTEUR (montrant l’étang du doigt) Oui, là-bas ! CAPITAINE C’est l’eau de l’étang. L’eau appelle. Il y a longtemps que personne ne s’est noyé. Venez, Docteur ! Ce n’est pas bon à entendre ! (Il veut entraîner le Docteur.) DOCTEUR (restant cependant au même endroit, écoutant) Un gémissement, comme si un homme mourait. Quelqu’un se noie ! ACTE I SCÈNE 1 HAUPTMANN Unheimlich! Der Mond rot und die Nebel grau. Hören Sie? Jetzt wieder das Ächzen. DOKTOR Stiller... jetzt ganz still. HAUPTMANN Kommen Sie! Kommen Sie schnell. (Zieht den Doktor mit sich.) Verwandlung Orchester-Epilog Invention über eine Tonart FÜNFTE SZENE Strasse vor Mariens Tür. Heller Morgen. Sonnenschein. Kinder spielen und lärmen. Mariens Knabe auf einem Steckenpferd reitend. DIE KINDER Ringel, Ringel, Rosenkranz, Ringelreih’n! Ringel, Ringel, Rosenkranz, Rin... (Unterbrechen Gesang und Spiel, andere Kinder stürmen herein.) EINS VON IHNEN Du Käthe!... Die Marie ... ZWEITES KIND Was is? ERSTES KIND Weisst’ es nit? Sie sind schon Alle ‘naus. DRITTES KIND (zu Mariens Knaben) Du! Dein Mutter ist tot! 99 ACTE III SCÈNE 5 CAPITAINE Quelle atmosphère lugubre ! La lune, rouge, et le brouillard gris. Entendez-vous ? Cette plainte à nouveau. DOCTEUR C’est moins fort... il n’y a plus rien maintenant. CAPITAINE Venez ! Venez vite ! (Il entraîne le Docteur. Ils sortent rapidement.) Changement de décor Epilogue orchestral Invention sur une tonalité CINQUIÈME SCÈNE 100 Devant la porte de Marie. Clair matin. Le soleil brille. Des enfants jouent et font du bruit. Le petit garçon de Marie galope sur un cheval de bois. ENFANTS Entrez dans la ronde, voyez comme on danse... Dansez ! Dansez ! (Ils interrompent chansons et jeux, car d’autres enfants accourent vers eux.) L’UN D’EUX Dis, Catherine ! La Marie ! DEUXIEME ENFANT Qu’est-ce qu’il y a ? PREMIER ENFANT Tu sais pas ? Ils sont tous là-bas, dehors. TROISIEME ENFANT (au fils de Marie) Toi ! Ta mère est morte ! ACTE I SCÈNE 1 MARIENS KNABE (immer reitend) Hopp, hopp! Hopp, hopp! Hopp, hopp! ZWEITES KIND Wo is sie denn? ERSTES KIND Drauss’ liegt sie, am Weg, neben dem Teich. DRITTES KIND Kommt, anschaun! Alle Kinder laufen davon. MARIENS KNABE (reitet) Hopp, hopp! Hopp, hopp! Hopp, hopp! (Er zögert einen Augenblick und reitet dann den anderen Kindern nach. Ab.) Leere Bühne © 1926 by Universal Edition A.G., Wien/UE 12100, UE 1695 101 ACTE III SCÈNE 5 LE FILS DE MARIE (toujours à cheval) Hop, hop ! Hop, hop ! Hop, hop ! DEUXIEME ENFANT Où est-ce qu’elle est ? PREMIER ENFANT Elle est là-bas, sur le chemin, près de l’étang. TROISIEME ENFANT Venez, allons voir ! Tous les enfants partent en courant. 102 LE FILS DE MARIE (à cheval) Hop, hop ! Hop, hop ! Hop, hop ! (Il hésite un instant, puis court après les autres, sur son cheval. Il sort.) Scène vide Traduit de l’allemand par Anne Servant © Decca, 1988 CAHIER de LECTURES Alban Berg Même en rêve... Alban Berg Mise en scène & régie Theodor W. Adorno Caractérisation de Wozzeck –– Arnold Schoenberg Quand Alban Berg vint à moi... Elias Canetti Rencontres avec Alban Berg Theodor W. Adorno J’ai fait sa connaissance... –– Bernard Groethuysen Georg Büchner... Elias Canetti Büchner / Woyzeck Georg Büchner Cinq Lettres ALBAN BERG ALBAN BERG Même en rêve... Même en rêve, il ne m’est pas venu à l’esprit de faire de Wozzeckune œuvre révolutionnaire. Ce n’est pas cette intention qui eût pu m’en faire entreprendre la composition, et je n’ai jamais considéré le résultat de cette dernière comme un modèle pour mon propre travail futur ni pour celui d’autres compositeurs. C’est assez dire si je m’attendais peu à ce que Wozzeckpût « faire école ». Certes, en décidant d’écrire un opéra, je formais le vœu de composer de la bonne musique, d’exprimer par les sons le contenu spirituel du drame immortel de Büchner, de transposer son langage poétique dans le langage musical. Mais à part cela, je n’eus nulle autre intention, fût-elle compositionnelle, que de donner au théâtre une œuvre qui lui convienne entièrement, de façonner ma musique dans une conscience constante de sa subordination à l’action, de mettre en elle tout ce qui était nécessaire à la réalisation du drame sur les planches. C’étaient là déjà les tâches essentielles d’un idéal de metteur en scène. Bien sûr, je ne voulais, par ailleurs, porter nul préjudice aux prérogatives absolues de la musique, à sa vie autonome que rien ne doit venir entraver. Que ce projet ait été mis en œuvre à l’aide de formes musicales plus ou moins anciennes (une des plus importantes de mes soi-disant réformes !) me semble une conséquence toute logique. 106 MÊME EN RÊVE... Il fallait établir un tri parmi les vingt-six scènes de Büchner, parfois fragmentaires et souvent fort lâchement reliées. Il fallait éviter les répétitions susceptibles de paralyser la variation musicale. Il fallait rapprocher les scènes, les grouper en actes. La solution de ce problème relevait déjà de l’architectonique musicale plutôt que de l’art dramatique. Mon projet de façonner les quinze scènes subsistantes selon un principe contrastant (seul susceptible de leur conférer l’univocité et la prégnance désirables) m’interdisait tout particulièrement de les composer mesure par mesure, au fil du texte littéraire. Aussi pure, aussi structurellement riche que pût être une musique écrite selon cette coutume, aussi justement qu’elle pût illustrer l’action dramatique, il eût été impossible d’empêcher qu’elle imposât, après quelques scènes seulement, un sentiment de grande monotonie. Les quelque douze intermèdes symphoniques, ne pouvant faire autre chose que de se conformer à cette écriture illustrative, auraient aggravé encore cette monotonie, l’aurait poussée jusqu’à l’ennui. Or l’ennui n’est-il pas le dernier résultat auquel le théâtre puisse désirer atteindre ? Chaque scène, chaque musique d’interlude – prélude, postlude, transition ou intermède – devait donc se voir attribuer un visage musical propre et identifiable, une autonomie cohérente et clairement délimitée. Cette exigence impérieuse eut pour conséquence l’emploi si discuté de formes musicales anciennes ou nouvelles, dont d’habitude on ne fait usage qu’en « musique pure ». Elles seules pouvaient garantir la prégnance et la netteté des différents morceaux. Leur introduction dans l’opéra peut avoir été inhabituelle, voire nouvelle, à plus d’un point de vue. Ce qui vient d’être dit prouve qu’il n’y eut là nul mérite. C’est pourquoi je puis et dois nier résolument avoir tenté de révolutionner l’opéra par ces innovations. Cette déclaration n’a pas pour objet de minimiser la valeur de mon œuvre. D’autres, qui la connaissent moins bien, s’en chargent plus volontiers. Je me permettrai néanmoins de révéler ce que je considère comme ma vraie réussite. Quelque connaissance que l’on ait de la multiplicité des formes musicales contenues dans cet opéra, de la rigueur et de la logique avec laquelle elles ont été élaborées, de l’adresse 107 ALBAN BERG combinatoire qui a été mise jusque dans leurs moindres détails, à partir du lever de rideau jusqu’au moment où il tombe pour la dernière fois, il ne peut y avoir personne dans le public qui distingue quoi que ce soit de ces diverses fugues et inventions, suites et sonates, variations et passacailles, dont l’attention soit absorbée par autre chose que par l’Idée de cet opéra, transcendante au destin individuel de Wozzeck. Je crois que cela m’a réussi ! Extrait du “Problème de l’opéra” (1928), traduit de l’allemand par Henri Pousseur, in Alban Berg, Écrits, Collection musique / passé / présent, © Christian Bourgois Editeur, 1985, pour la traduction française 108 MÊME EN RÊVE... ALBAN BERG MISE EN SCÈNE & RÉGIE Condition préalable : une connaissance exacte non seulement du drame büchnérien, mais aussi de la musique, tout au moins de son tonus général, de son langage et de son style dramatique. Cette concordance totale et inconditionnelle entre le drame et la partition n’empêchera ni le metteur en scène, ni le décorateur d’exercer leur art avec une large indépendance, même s’ils s’en tiennent fidèlement (ainsi que cela me semble nécessaire) à la réalité des choses à représenter ; elle permettra de reconnaître immédiatement et de situer d’emblée les lieux successifs de l’action. La connaissance de la partition et de la multiplicité d’effets musicaux qui est constamment recherchée, tant dans l’ensemble que dans chaque scène particulière, aura pour conséquence une diversité parallèle des images scéniques. Elle déterminera le caractère des différentes chambres (celles de Marie, du Capitaine, du Docteur), des différentes rues (en ville, devant la porte de Marie) et des différentes scènes d’auberge (au deuxième acte : un vaste plein air ; au troisième : un angle de la taverne étroitement délimité). Que de contrastes possibles entre cette dernière scène et les paysages du premier et du troisième acte, particulièrement la scène « en plein champs », avec ses diverses apparitions et avec l’invasion par le ciel de tout l’espace scénique ! 109 MISE EN SCÈNE & RÉGIE La représentation des phénomènes naturels (comme ce coucher de soleil, si insolite pour Wozzeck) doit s’effectuer avec le maximum de véracité. Cette remarque s’applique particulièrement aux scènes près de l’étang : la lune apparaîtra d’abord à l’horizon (III, 2) ; plus haute déjà elle devra ensuite surgir à nouveau des nuages (III, 4). De même, l’eau de l’étang doit être parfaitement identifiable : lors d’une récente représentation, on a obtenu le plus heureux effet (et concordant parfaitement avec la musique) en la laissant s’animer légèrement à partir de la mesure 275, en augmentant progressivement son mouvement jusqu’en 285-286, pour retomber, aussi lentement, jusqu’au calme complet en 302. La scène de la taverne (III, 3) peut faire exception à la règle générale de strict réalisme. Située entre les deux scènes de l’étang, elle doit produire un effet immatériel, presque fantomatique. Il suffira de suggérer le lieu de l’action, ce qui permettra de respecter les temps de transformations, exceptionnellement courts, qui la suivent et la précèdent. Est-il besoin d’insister pour que l’on conforme exactement les transformations qui séparent les différentes scènes au déroulement ininterrompu de la musique ? Je continue à accorder une grande importance à ce qu’on obéisse rigoureusement aux indications de rideau et de transformation. Je n’entends par « rideau » que la chute du rideau à la fin de chaque acte, et je me représente de manière moins abrupte la fin des différentes scènes à l’intérieur des actes eux-mêmes : rideaux intermédiaires, voiles de gaze, obscurité totale, etc. En tout cas, dès le début de la transformation – donc dès l’indication Verwandlung – la scène doit devenir invisible, et l’on ne peut voir à nouveau ce qui s’y passe qu’à partir de l’indication « Vorhang auf ! ». On a constaté qu’il est très efficace de diriger les manipulations du rideau non pas des coulisses – où le bruit du montage qui couvre la voix de l’orchestre rend difficile la coordination des mouvements scéniques et du déroulement de la partition – mais bien de la fosse d’orchestre elle-même. Il est également important de respecter les heures du jour au cours desquelles se jouent les différentes scènes. Alternativement diurnes et nocturnes, elles doivent être clairement reconnaissables. Par exemple, la lumière crépusculaire de la deuxième scène du premier acte doit nettement se différencier de II, 3 et III, 5 (le lieu scénique est le même). On 110 MÊME EN RÊVE... distinguera aussi l’obscurité vespérale croissante de I, 3, le soleil matinal de II, 1 et la lumière de la bougie dans la nuit, III, 1, tous trois au même endroit. A noter que la scène nocturne du corps de garde (II, 5) s’éclaire plus intensément à partir de la mesure 761, c’est-àdire à partir de l’entrée du Tambour-Major, qui porte une lampe à la main. Il reprendra celle-ci en partant, et la scène retombera dans l’obscurité initiale, dans laquelle elle se terminera. Le travail du régisseur demande une connaissance non moins exacte de la musique. Celle-ci doit préciser les remarques, souvent vagues, de Büchner. Par exemple : pour tuer Marie, Wozzeck « lui enfonce – une seule fois – le couteau dans la gorge » ( mesure 103). Ce qui suit (mesures 104-106) ne se rapporte plus, musicalement, qu’à la mort de Marie. On évitera tout carnage supplémentaire. Dans l’avant-dernière scène, le déroulement de la musique entièrement consacrée à Wozzeck jusqu’aux mesures 239-249, indique que le cadavre de Marie a cessé de dominer la scène. Il doit rester presque invisible pendant tout ce temps, par exemple à l’ombre des saules. Par contre, il est d’autres scènes qui laissent à la fantaisie du régisseur une latitude beaucoup plus grande. Dans la chambre du Docteur, l’action peut s’animer par le fait que des visites médicales, analyses, etc., se déroulent parallèlement au dialogue et dans une concordance quelconque avec lui. Même liberté pour les deux scènes d’auberge. Il faudra toutefois faire une nette différence entre la gaieté inoffensive et tout extérieure de la première (II, 4) et le déchaînement insolite, quasi démoniaque de la seconde (III, 3). Cependant, le mouvement des scènes où la régie dispose d’une plus grande liberté devra s’inspirer tout de même du déroulement musical global. Lors de l’apparition du Fou (II, mesure 643), le calme devra progressivement s’établir, et, à partir de la mesure 651, on évitera de distraire le spectateur de l’action centrale par des bruits superflus ou par un jeu insistant des autres acteurs. Cas analogue : le dialogue entre le Capitaine et le Docteur sur le chemin de campagne près de l’étang (III, 4) doit être mené presque en sourdine par l’un et l’autre, qui se tiendront constamment assez bien à l’écart. La musique et l’image scénique sont ici les plus importantes. 111 MISE EN SCÈNE & RÉGIE Une remarque capitale pour conclure : on ne pourra com mencer trop tôt l’étude de la scène où intervient le fils de Marie (rôle que l’on attribuera de préférence à une petite fille, car à cet âge, elles sont beaucoup plus douées que les garçons) et l’on s’attachera spécialement au tout dernier tableau, avec son important groupe d’enfants. Ces scènes doivent absolument être en place. On doit avoir terminé leurs répétitions séparées, sur le plateau et avec orchestre, quand commencent les répétitions d’ensemble. Si l’on ne respecte pas cette exigence, elles entraveront le dernier travail de mise en place, et il sera vain de vouloir les sauver par des répétitions supplémentaires. Celles-ci, effectuées le plus souvent sous la direction d’un corépétiteur et accompagnées au piano, ne sauraient préparer les enfants au contact avec l’orchestre. Dès lors le bon déroulement des morceaux en question sera gravement compromis. Extrait des “Indications pratiques pour l’étude de Wozzeck” (1930), traduit de l’allemand par Henri Pousseur, in Alban Berg, Écrits, Collection musique / passé / présent, © Christian Bourgois Editeur, 1985, pour la traduction française 112 MÊME EN RÊVE... THEODOR W. ADORNO CARACTÉRISATION de WOZZECK Dans le cas de Wozzeck, où l’œuvre musicale est aussi exigeante que son modèle littéraire, il faut réfléchir sur le rapport entre l’une et l’autre. En face d’une telle œuvre littéraire, la musique pourrait sembler inutile, simple répétition du contenu profond qui en fait une œuvre littéraire. Pour comprendre le rapport entre l’opéra infiniment élaboré de Berg et le fragment délibérément ébauché de Büchner, ainsi que le lien entre l’un et l’autre sur le plan de l’économie esthétique, il faut se rappeler que cent ans séparent l’œuvre littéraire de la composition. Ce que Berg a mis en musique n’est rien d’autre que ce qui a mûri dans l’œuvre de Büchner pendant toutes les décennies où elle est restée oubliée. La musique qui saisit cet élément est, ce faisant, secrètement polémique. Elle dit : ce que vous avez oublié, ce que vous n’avez d’ailleurs jamais connu, est aussi étranger, aussi vrai, aussi humain que moimême, et en vous le présentant je rends hommage à cet élément étranger. L’opéra Wozzeckveut réviser l’histoire et en même temps penser l’histoire ; la modernité de la musique souligne celle du livre, qui est due précisément au fait qu’il est vieux et qu’il a été privé de son actualité. De la même façon que Büchner a rendu justice au soldat Woyzeck, cet être tourmenté à l’esprit troublé, et qui, dans sa déshumanisation si humaine, prend une valeur objective – bien au-delà de sa simple personne –, de la même façon la composition demande 113 CARACTÉRISATION DE WOZZECK justice pour cette œuvre littéraire. La minutie passionnée avec laquelle elle réfléchit en quelque sorte la moindre virgule de sa texture révèle à quel point, chez Büchner, la structure ouverte est close, à quel point son inachèvement est achevé. C’est là la fonction de cette musique, qui ne consiste pas à apporter un fond musical d’ordre psychologique, une atmosphère ou une impression et qui pourtant ne dédaigne pas certains éléments de tout cela dès qu’il s’agit de mettre en lumière ce qu’il y a d’enseveli dans cette œuvre. Hofmannsthal a dit un jour, à propos du texte du Chevalier à la rose, que la comédie écrite pour être mise en musique était destinée à celle-ci comme ce qui est, non pas dans les hommes, mais entre eux. Mieux qu’à l’opéra de Strauss, cette remarque s’applique à celui de Berg – sorte de version interlinéaire de son texte. Il ne fait pas qu’interpréter les sentiments des personnages, mais s’efforce d’intégrer par ses propres moyens le travail qu’un siècle avait accompli sur les scènes de Büchner, transformant une esquisse réaliste en une œuvre où crépitent des choses cachées et où les blancs de la parole garantissent un excédent de contenu. Révéler cet excédent de contenu, ces blancs, c’est là la fonction de la musique dans Wozzeck. Sur cette œuvre fragmentaire, elle passe avec une main d’une bonté infinie, apaisant et polissant tout ce qui dépasse, tout ce qui fait saillie, s’efforçant de consoler l’œuvre littéraire de son désespoir. Son style est celui d’une musique épousant parfaitement son modèle. Une fois de plus cette musique pratique l’art de la transition bien au-delà de ce que Wagner a jamais pu penser sous ce terme et pousse cet art jusqu’à la médiation universelle. Elle ne recule pas devant l’extrême ; la tristesse insondable du ton, caractéristique de l’Autriche et de l’Allemagne du sud, absorbe totalement le drame (Trauerspiel) de Büchner, mais avec une vérité et une immanence de la forme grâce auxquelles l’expression et la souffrance se changent en image, devenant ainsi une sorte d’instance d’appel transcendante. Cet aspect emboîté et ajusté de la musique – le fait qu’on passe sans heurt d’un élément à l’autre – est d’une importance décisive. Il suffit que l’exécution manque cela une seule fois, que le tissu musical se déchire ne serait-ce qu’une seconde, pour que l’image acoustique tourne au chaos. Ce qui surgit alors est certes un aspect de la chose même : l’espressivo effaré qui requiert une extrême discipline de la construc- 114 THEODOR W. ADORNO tion et de la sonorité pour ne pas sombrer dans le diffus. Toute la musique de Berg vit dans cette tension entre les assauts de l’inconscient et un sens architectural, presque optique, des plans lisses et bien délimités. Lui-même a dit de Wozzeckque c’était un opéra piano avec des explosions. A quel point cela est vrai, on ne peut le mesurer totalement que depuis la publication de la partition imprimée. D’importantes parties de l’opéra – et cela dès la suite par laquelle commence le premier acte – sont réellement écrites comme de la musique de chambre, jouée par des musiciens solistes ; la composition n’atteint qu’occasionnellement une certaine complexité, et les tutti surtout sont réservés aux quelques passages dramatiques charnières. Une telle économie de la sonorité intensifie à l’extrême la densité de la texture grâce à la transparence et à l’univocité parfaites de chaque événement musical. Sans trop de paradoxe, on peut affirmer que cette œuvre aujourd’hui encore difficile et qui exige de nombreuses répétitions, est en même temps une œuvre simple ; en effet, il n’y a là aucune note, aucune voix instrumentale qui ne soit absolument nécessaire pour réaliser le sens musical, autrement dit l’unité d’ensemble. Cette composition véritablement objective fait mentir tous ceux qui pérorent sur le romantisme tardif, post-tristanesque, afin de reléguer dans le passé une musique qui est toujours en avance sur eux. Ce qu’on peut apprendre dans Wozzeck, c’est en premier lieu l’art de l’instrumentation parfaite. Les idées qui continuent de régner dans le domaine de l’orchestration en sont restées à un stade devant lequel un peintre, par exemple, pour qui la couleur en tant qu’élément intégrant de son travail est une chose évidente, ne pourrait que hocher la tête. D’un côté, l’horrible notion d’un « traitement brillant de l’orchestre » – démarche de maquignons de la musique, qui attife la musique de couleurs aussi bariolées et criardes que possibles afin de dissimuler sa médiocrité – est redevenue en vogue, comme si les représentants essentiels de la musique nouvelle n’avaient pas réfuté une fois pour toutes ce genre d’artifices. De l’autre côté, ceux qui dédaignent la fausse richesse pratiquent assidûment une ascèse qui voudrait autant que possible proscrire le bonheur de la couleur dans la musique, revenant ainsi sur la conquête de la dimension « timbrique » en tant que domaine essentiel de la composition. La partition de Wozzeckcorrige ces 115 CARACTÉRISATION DE WOZZECK deux tendances. L’orchestre réalise la musique, au sens que Cézanne donnait à ce terme. Toute la structure compositionnelle, de l’articulation de l’ensemble jusque dans les nervures les plus fines de l’agencement motivique, se trouve traduite en termes de couleur. Inversement, on ne voit apparaître aucune couleur qui n’ait sa fonction précise pour la présentation de la cohérence musicale. La disposition orchestrale correspond toujours à celle de la forme ; les compositions d’instruments solistes – évoquant le concertino – et les effets de tutti forment un équilibre soigneusement dosé. L’art du « ciment » sonore, du glissement imperceptible d’une couleur à l’autre, est sans précédent. Toutefois, l’atmosphère de cet orchestre, qui, avec abnégation s’abîme dans les blancs qui s’ouvrent derrière les mots de Büchner, n’a rien d’une magie d’ambiance. Elle est due à la force de produire la nuance, qui coïncide avec l’instrumentation intégrale, la traduction de la moindre impulsion compositionnelle dans ses équivalents sensibles. La meilleure façon d’expliquer la simplicité de cette partition est peut-être de la comparer à des œuvres de Strauss. Dans Une vie de hérosou dans Salomé, il se passe au fond bien plus de choses sur le papier qu’on n’en entend ensuite à l’orchestre ; une grande partie de ce qui est écrit demeure ornemental et fait figure de remplissage. Chez Berg, précisément en vertu de la subordination totale de l’orchestre à la construction musicale, tout a une apparence de clarté presque géométrique, comme sur un dessin d’architecte, et la pleine richesse de la composition ne se révèle que lors de l’exécution. Rien n’est superflu dans la partition ; elle ne fait pas de façons, et les effets sonores les plus subtils – comme les passages célèbres de la scène de la mort de Wozzeck où la musique évoque l’étang – s’avèrent parfois dignes de l’œuf de Christophe Colomb. Ce qui a été laissé de côté témoigne tout autant de la faculté créatrice que ce qui a été écrit ; c’est cette économie seule qui confère à la substance musicale débordante de Berg le caractère obligatoire de la forme. Certaines scènes qui dans la réduction pour piano paraissent extrêmement complexes – comme la deuxième scène du deuxième acte : la fantaisie et la triple fugue – acquièrent dans la partition une plasticité et une transparence auxquelles les représentations lyriques sont encore loin de pouvoir atteindre –, que Boulez est le premier a avoir su réaliser. 116 THEODOR W. ADORNO L’extrême cohésion de la structure, qui, malgré l’expression dramatique, évite tout contraste brutal et primaire, est réalisée par la construction. Wozzeckest la première œuvre scénique de longue durée à avoir parlé le langage de l’atonalité libre. L’abandon de la tonalité obligeait à développer d’autant plus énergiquement d’autres moyens permettant de réaliser de façon probante l’unité de la composition. Or, ces moyens sont ceux du travail thématique et motivique, qui, hérité du classicisme viennois, est ici transposé sur la scène dans toute son extension, comme on ne l’avait jamais fait auparavant. Mettre en évidence ce travail incombe à l’écriture, qui s’inspire cette fois de l’idéal de clarté mahlérien. Ce serait se faire une idée bien insuffisante de cette construction que de la confondre avec les formes souvent évoquées de la musique pure qui sont utilisées dans Wozzeck. Si ces formes assurent l’organisation du déroulement temporel à grande échelle, il n’est ni utile ni exigé qu’elles soient perçues en tant que telles ; mais elles sont en quelque sorte invisibles, un peu comme devront l’être les séries dans une bonne composition dodécaphonique. La cohérence formelle est du reste renforcée par une série de leitmotive d’une grande plasticité, tout à fait dans l’esprit du drame musical wagnérien ; la triple fugue, dans la scène de rue du deuxième acte, combine par exemple trois de ces motifs, parmi les plus importants, à savoir celui du Capitaine, celui du Docteur et les triolets lourdauds qui peignent la détresse de Wozzeck. Mais bien plus importante que tout cela est la complexion interne de la musique, sa texture. A l’époque où fut écrit Wozzeck, de nombreux compositeurs, notamment Stravinsky et Hindemith se sont efforcés de reconquérir l’autonomie de la musique d’opéra – de l’affranchir de sa dépendance à l’égard du texte poétique. Dans Wozzeck aussi, la musique revendique à nouveau son autonomie dans l’opéra. Mais la démarche de Berg est exactement opposée à celle des néoclassiques : il s’agit d’une immersion sans réserve dans le texte. La courbe extrêmement ample, et richement articulée, que décrit la composition de Wozzeckest celle du déroulement intérieur du drame : cette musique est expressionniste en ce qu’elle se déploie tout entière dans un espace intérieur psychique. Elle suit jusqu’à l’abnégation le moindre tressaillement du drame. Et c’est cela, pourtant, qui lui confère intrinsèquement ce degré d’articulation, cette capacité de 117 CARACTÉRISATION DE WOZZECK se développer en se transformant, qui n’appartiennent qu’à la grande musique, par exemple, aux partitions instrumentales de Brahms ou de Schoenberg. Elle acquiert son autonomie grâce à un déploiement inépuisable qui se renouvelle de lui-même, alors que les musiques d’opéra qui s’émancipent de la scène pour avancer sans frein encourent précisément pour cette raison le risque de la monotonie et de l’ennui. C’est peut-être le paradoxe le plus profond de la partition de Wozzeckde conquérir l’autonomie musicale, non pas en s’opposant à la parole mais en la suivant, s’en faisant l’esclave pour la sauver. L’exigence wagnérienne, appelant l’orchestre à épouser le cours du drame jusque dans ses ultimes ramifications et à se faire ainsi symphonie, est réalisée par Wozzeck, ce qui finit par supprimer l’apparence d’une absence de forme dans le drame musical. Le deuxième acte est littéralement une symphonie, avec toute la tension et toute l’unité propres à cette forme, et néanmoins en chaque instant « opéra », à tel point que l’auditeur qui l’ignore n’aura jamais l’idée de penser à une symphonie. Il n’est pas inutile de rappeler, précisément aujourd’hui, que Wozzeckest un opéra et porte ce titre. Car dans le théâtre que l’on écrit actuellement pour les opéras, la musique tend de plus en plus à devenir musique d’accompagnement cinématographique, fond sonore radiophonique, simple support. Dans Wozzeck, en revanche, où la musique absorbe totalement le texte, elle devient la chose essentielle, et toute la concentration des exécutants et des auditeurs devrait lui être consacrée. Avec l’instinct le plus sûr, l’artiste d’avant-garde qu’était Berg a demandé une mise en scène « réaliste » – à l’évidence pour ne pas détourner l’intérêt de l’essentiel, autrement dit de la musique. Celle-ci est thématique ; dans chaque scène, elle expose des motifs ou des thèmes bien dessinés, qu’elle modifie et charge d’histoire. Elle demande également à être jouée de façon thématique – c’est-à-dire, surtout, de telle manière que les caractères musicaux soient absolument identifiables, et apparaissent au premier plan. Il faut que l’auditeur puisse suivre les thèmes et leur histoire, qu’il s’agisse de ceux, dérivés d’infimes motifs – comme dans une sonate –, de la scène des boucles d’oreilles (au deuxième acte), ou de ceux du scherzo – la grande scène de l’auberge –, ou encore des états par lesquels passe le thème des variations de la scène de la Bible, montage audacieux d’une tonalité de légende et d’une 118 THEODOR W. ADORNO atonalité éruptive. Si grande que soit l’imagination sonore, si frappants que soient les effets d’orchestre, tels ce crescendo sur le si – poussé jusqu’au déchirement – qui suit la mort de Marie ou ces cercles qui se forment dans l’eau, au moment où Wozzeck se noie, le son est toujours secondaire, résultat des événements thématiques purement musicaux, qui seuls le produisent. Si l’on se concentre sur ces événements thématiques comme s’il s’agissait des mélodies d’un opéra traditionnel, tout le reste s’éclaire de soi-même, notamment le ton propre à Berg : l’angoisse cristalline, sans échappatoire, de la scène dans la campagne ; la marche à la fois stridente et terne qui retentit derrière la scène ; la berceuse, écho de la nature à la fois opprimée et chantante ; le Ländler indiciblement mélancolique de la grande scène de l’auberge, l’insondable question de Wozzeck au sujet de l’heure, le sommeil perturbé dans la caserne. La musique populaire – ce piètre et pauvre bonheur des bonnes et des soldats – est ici perçue et composée dans son étrangeté de musique réifiée, mais loin d’être, comme chez Stravinsky, tournée en dérision, elle se change en compassion – expression d’une pitié sans limites. En même temps, l’imagination dramatique a pour effet d’élargir les moyens de la composition, au point d’anticiper sur de nombreux procédés postérieurs de trente ans : ainsi l’intégration du rythme dans la technique de la variation thématique, qui sera redécouverte par la musique sérielle ; la polka rapide et rude jouée par le piano au début de la seconde scène de l’auberge offre le modèle rythmique de tout ce qui défile ensuite à l’intérieur de la scène. L’œuvre est si parfaite qu’elle ne demande à l’auditeur que d’être attentif et prêt à recevoir les présents qu’elle prodigue. Il ne faut pas qu’il recule devant un amour qui, sans réserve, cherche les hommes là où leur dénuement est le plus grand. Extrait de Theodor W. Adorno, Alban Berg, le maître de la transition infinie(1968), traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz © Editions Gallimard, 1989, pour la traduction française ALBAN BERG ARNOLD SCHOENBERG Quand Alban Berg vint à moi... Quand Alban Berg vint à moi, en 1904, c’était un très grand garçon extrêmement timide*. J’examinai les compositions qu’il me soumit, des mélodies écrites dans un style qui se situait entre Hugo Wolf et Brahms, et je reconnus aussitôt en lui un véritable talent. En conséquence, je l’acceptai pour élève, bien qu’à l’époque, il fût incapable de me régler des honoraires. Par la suite, sa mère fit un gros héritage, et elle conseilla à Alban, puisqu’ils étaient désormais riches, d’entrer au Conservatoire. On m’a rapporté qu’Alban fut si bouleversé par cette proposition qu’il se mit à pleurer et ne cessa de pleurer que lorsque sa mère l’eut autorisé à poursuivre ses études avec moi. Il fut toujours d’une absolue loyauté envers moi, tout au long de sa brève existence. Pourquoi ai-je rappelé cette anecdote ? Pour dire à quel point je fus surpris lorsque cet adolescent timide au cœur tendre s’engagea dans une aventure qui paraissait condamnée au désastre : la mise en chantier de * La petite histoire a retenu que Berg se rendait à Strasbourg chez Hans Pfitzner, ennemi acharné de Schoenberg, pour lui demander des leçons de compositions. Ayant manqué son train, il opta pour Schoenberg... (N.d.T.) 120 ARNOLD SCHOENBERG Wozzeck: drame d’une action si tragique qu’il semblait exclu qu’on pût le mettre en musique. Objection plus grave : l’action comportait des scènes de la vie de tous les jours, en contradiction avec les canons de l’opéra qui reposaient encore sur l’emploi de costumes de théâtre et de personnages conventionnels. Et pourtant Alban Berg réussit. Wozzeckfut un des plus grands succès qu’ait connu l’opéra. Et pourquoi ? Parce que Berg, s’il était d’apparence timide, possédait un caractère fortement trempé, aussi loyal envers ses propres idées qu’il fut loyal à mon égard lorsqu’il fut presque mis en demeure de cesser ses études avec moi. Il réussit à imposer son opéra comme il avait réussi à rester mon élève. Forger son destin sur la foi en ses propres idées, voilà la qualité qui fait le grand homme. Extrait de “Alban Berg” (1949), in Arnold Schoenberg, Le Style et l’idée, traduit de l’anglais par Christiane de Lisle © Editions Buchet Chastel, 1977, © 2002, by Editions Buchet Chastel, un département de Méta-Editions pour l’avant-propos & les annexes ALBAN BERG ELIAS CANETTI RENCONTRES avec ALBAN BERG J’ai regardé aujourd’hui avec émotion des photos d’Alban Berg. Je n’ose toujours pas exprimer ce que j’ai ressenti pour lui. Je me contenterai d’effleurer, de l’extérieur en quelque sorte, quelques-unes de nos rencontres. Je l’ai revu pour la dernière fois quelques semaines avant sa mort. Une brève rencontre au café Museum, la nuit, au sortir d’un concert. Je le remerciai d’une très belle lettre qu’il m’avait écrite, il me demanda si mon livre avait déjà eu des critiques. Je lui répondis que c’était sans doute trop tôt, il me parut d’un autre avis et se montra plein de sollicitude. Il voulut me faire comprendre sans le dire expressément que je devais m’attendre à certaines choses. En danger lui-même, il désirait me protéger. Je sentis la chaleur de l’amitié qu’il me portait. « Que peut-il arriver de grave, demandai-je, après cette lettre que j’ai reçue de vous ? » Il protesta, bien que ma phrase lui fît plaisir. « Vous dites ça comme s’il s’agissait d’une lettre de Schönberg. Elle n’est que de moi. » Il ne doutait pas de luimême. Il savait parfaitement ce qu’il valait. Mais il existait un vivant qu’il plaçait irréductiblement au-dessus de lui-même : Schönberg. Je l’aimais pour cette belle capacité de vénération. Mais j’avais encore bien d’autres motifs de l’aimer. J’ignorais alors qu’il souffrait depuis des mois de furonculose, je ne savais pas qu’il n’en avait plus que pour peu de semaines à vivre. A Noël, j’appris brusquement par Anna qu’il était mort la veille. Le 28 décembre, j’assistai à son enter- 122 ELIAS CANETTI rement au cimetière d’Hietzing. Je n’y trouvai aucune animation, contrairement à mon attente, ni de gens se hâtant dans une direction déterminée. Je demandai à un petit fossoyeur difforme où avait lieu l’inhumation d’Alban Berg. « La fosse Berg est là-haut à gauche ! » cria-t-il d’une voix éraillée. Effrayé, je me rendis néanmoins à l’endroit indiqué et y trouvai un groupe d’une trentaine de personnes. Ernst Krenek était du nombre, de même qu’Egon Wellesz et Willi Reich. Des discours prononcés, je n’ai retenu que le fait que le troisième de ces derniers s’adressa au défunt comme à un maître sur le ton familier d’un élève, il ne dit pas grand-chose en fait, mais cela restait humble même après la disparition du maître et ce furent les seuls propos que je trouvai supportables ce jour-là. Je le voyais devant moi, vacillant un peu comme au sortir de ce concert où des mélodies de Debussy l’avaient touché. Il marchait, grand qu’il était, un peu penché en avant, et quand ce léger vacillement se produisit, ce fut comme si un vent soufflait autour de lui, l’agitant comme une haute tige. Le « merveilleux » qu’il prononça ne franchit qu’à demi ses lèvres, on eût dit qu’il était ivre. Il le balbutia comme un éloge, un aveu chancelant. Lorsque j’allai le voir pour la première fois dans son appartement – je lui avais été recommandé par H. –, je fus frappé par la gaieté avec laquelle il me reçut. Célèbre dans le monde, pestiféré à Vienne : je m’étais attendu à trouver un rebelle fantomatique. Je me l’étais imaginé en dehors de son cadre coutumier d’Hietzing et je ne m’étais pas demandé pourquoi il avait choisi d’habiter là. Je ne voyais aucun rapport entre lui et Vienne, sauf sur un point : ce grand compositeur ne vivait dans cette illustre cité musicale que pour en essuyer le mépris. Je pensais qu’il devait en être ainsi, que tout ce qui méritait d’être pris au sérieux ne pouvait naître qu’au sein d’une hostilité analogue, je ne faisais aucune différence entre écrivains et compositeurs, ils se caractérisaient les uns les autres par une identique résistance. Elle me semblait jaillir d’une seule et même source, cette force de résistance se nourrissait de Karl Kraus. Je savais ce que Karl Kraus signifiait pour Schönberg et ses disciples. Peut-être avait-ce été là l’origine de ma bonne opinion. Mais pour Alban Berg il s’y ajoutait ceci qu’il avait choisi 123 RENCONTRES AVEC ALBAN BERG Woyzeck comme sujet d’opéra. J’arrivai chez lui plein d’espoirs, je m’étais imaginé sa personne sous un tout autre jour : quel est le grand homme que l’on imagine tel qu’il est ? Mais de tout homme dont j’ai pu espérer autant, Berg fut le seul à ne pas me décevoir. Je restai sidéré par sa simplicité. Il ne proféra point de grandes phrases. Il se montra curieux parce qu’il ne savait rien de moi. Il me demanda ce que j’avais fait et s’il était possible de lire une de mes œuvres. Je répondis que je n’avais rien publié, sinon la brochure de Noce. Dès cet instant, il me porta dans son cœur, mais je ne l’ai compris que plus tard ; ce que je ressentis sur le moment, ce fut la chaleur soudaine avec laquelle il me dit : « Personne n’a eu le courage. Puis-je lire la pièce sous cette forme ? » Il n’avait pas mis d’insistance particulière dans cette question, mais on ne pouvait douter qu’il l’avait posée sérieusement, car il ajouta aussitôt comme pour m’encourager : « J’ai vécu ça moi aussi. Il faut croire que ce n’est pas insignifiant. » Cette comparaison ne l’engageait à rien, mais elle me donnait des espoirs, la chose la plus précieuse dans mon cas. Ce n’était pas des espoirs organisés comme ceux prodigués par H., qui vous laissaient froid ou vous accablaient, espoirs aussitôt convertis par celui-ci en domination : c’était une chose personnelle, simple et apparemment sans prétentions, bien qu’elle impliquât une exigence. Je lui promis ma brochure et pris son intérêt au sérieux comme il le méritait. Je lui racontais dans quelles dispositions d’esprit j’étais tombé sur Woyzeckà vingt-six ans et combien de fois j’avais relu en une seule nuit ce fragment d’œuvre. Il me révéla qu’il avait lui-même assisté à vingt-neuf ans à la première représentation de Woyzeckà Vienne. Il y était retourné plusieurs fois et avait aussitôt décidé d’en tirer un opéra. Je lui expliquai à mon tour comment Woyzeckm’avait amené à écrire Noce. Il n’y avait pas de rapport direct entre ces deux pièces, j’étais seul à savoir comment elles s’étaient emboîtées l’une dans l’autre. Plus tard, dans le déroulement ultérieur de la conversation, je me permis quelques remarques impertinentes sur Wagner, qu’il réfuta résolument, mais sans aucune agressivité. Son opinion sur Tristan paraissait inébranlable. « Vous n’êtes pas musicien, fit-il, sinon vous ne parleriez pas ainsi. » J’eus honte de mon outrecuidance, mais plutôt comme un écolier qui rou- 124 ELIAS CANETTI girait d’une réponse inexacte, et n’eus pas du tout le sentiment d’avoir compromis par mon impair l’intérêt que Berg m’avait montré. Il réitéra aussitôt pour me tirer de ma gêne sa prière concernant ma pièce. Ce ne fut pas la seule occasion où il devina ce qui se passait en moi. Contrairement à de nombreux musiciens, il n’était pas sourd aux mots. Il les percevait quasiment comme une musique, il était aussi connaisseur en hommes qu’en instruments. Cette première rencontre suffit à me convaincre qu’il appartenait à ce petit nombre de musiciens qui ressentent les hommes à la manière des écrivains. Arrivé chez lui en parfait inconnu, je mesurai aussi son amour pour les hommes, lequel était si fort qu’il ne pouvait s’en défendre que par une tendance à la satire. Cette ironie qui marquait ses yeux et sa bouche ne le quittait jamais et il lui aurait été très facile de se couper de sa propre bonté par la causticité. Il préféra recourir aux grands auteurs satiriques auxquels il demeura attaché toute sa vie. Je voudrais pouvoir évoquer chacune de nos rencontres, elles ne furent pas si rares durant le peu d’années où nous nous connûmes. Mais l’ombre de sa mort prématurée les a toutes recouvertes ; comme Gustav Mahler, il n’avait pas cinquante et un ans lorsqu’il mourut. Chaque conversation que j’ai en mémoire s’en est trouvée altérée et je crains de projeter sur sa gaieté le deuil où me plonge encore son absence. Je pense à une phrase d’une lettre à son élève dont je n’ai eu connaissance que bien des années plus tard : « Il me reste encore assez pour un ou deux mois... Mais après ?... Je ne pense à rien d’autre qu’à ça... Suis donc profondément déprimé. » Cette phrase ne désignait pas la maladie mais l’approche menaçante de l’indigence. Dans le même temps, il m’écrivit sa merveilleuse lettre sur Autodafé qu’il avait donc lu au milieu de cette détresse. Il souffrait physiquement et ne savait plus de quoi vivre, mais il n’écarta pas ce livre, il accepta de se laisser oppresser par lui, il avait résolu de se montrer juste envers l’auteur et il lui rendit justice et c’est pourquoi cette lettre, la première de celles que me valut le roman, est restée pour moi la plus précieuse de toutes. Hélène, sa femme, lui a survécu pendant plus de quarante ans. Il y a des gens qui y trouvent à redire et qui lui reprochent en particulier d’être restée en relation avec lui durant tout ce 125 RENCONTRES AVEC ALBAN BERG temps. Mais si elle se leurra d’illusions, même s’il ne lui parla qu’en elle-mêmeet non du dehors, ce n’en est pas moins une façon de survie qui m’inspire respect et admiration. Je la revis trente ans après la mort de son mari à l’occasion d’une conférence d’Adorno à Vienne. Elle sortit de la salle toute petite et recroquevillée, très vieille et si absente que je dus prendre mon courage à deux mains pour l’aborder. Elle ne me reconnut pas, mais quand j’eus décliné mon nom, elle dit : « Ah, monsieur C. ! Ça fait si longtemps. Alban me parle toujours de vous. » Je me sentis gêné et si ému que je pris aussitôt congé d’elle. Je renonçai à lui faire une visite ; comme j’eusse aimé pourtant revoir l’appartement d’Hietzing où elle vivait toujours. Je n’osai troubler l’intimité de leur conversation, tout ce qu’ils avaient vécu ensemble continuait de se dérouler dans le présent. Quand il s’agissait de ses œuvres, elle lui demandait conseil et il lui répondait ce qu’elle s’imaginait entendre. Qui donc pouvait mieux connaître qu’elle ses désirs ? Il faut énormément d’amour pour s’inventer ainsi un mort qui ne s’en ira plus, qu’on peut entendre, à qui on peut parler et dont on saura toujours tous les désirs parce qu’on le créa. in Elias Canetti, Histoire d’une vie 3 : Jeux de regards, 1931-1937, traduit de l’allemand par Walter Weideli © Editions Albin Michel, 1994 126 THEODOR W. ADORNO J’ai fait sa connaissance... J’ai fait sa connaissance au printemps et au début de l’été 1924, lors de la fête de l’Allgemeiner Deutscher Musikverein , le soir de la première des trois fragments de Wozzeck. Enthousiasmé par cette œuvre, je priai Scherchen, que je connaissais, de me présenter à Berg. En quelques minutes, il fut convenu qu’il me prendrait comme élève à Vienne, dès que j’aurais passé mon doctorat, au mois de juillet. Ce n’est finalement qu’au début du mois de janvier 1925 que je vins à Vienne. La première impression que j’avais eue de Berg à Francfort, avait été son extrême gentillesse, mais aussi sa timidité qui me libéra de la peur que m’inspirait cet homme que j’admirais sans mesure. Si j’essaie de me souvenir de l’impulsion qui me poussa aussitôt vers lui, je me rends compte qu’elle était tout à fait naïve ; pourtant, elle avait trait à un aspect essentiel de Berg ; en effet, les fragments de Wozzeck, surtout l’introduction de la marche, puis la marche elle-même, me semblaient faire la synthèse de Schoenberg et de Mahler, et c’était là à mes yeux l’idéal de la nouvelle musique. Deux fois par semaine, je faisais mon pèlerinage chez Berg au 27 de la Trauttmansdorfgasse à Hietzing, dans ce rez-de-chaussée qu’habite encore aujourd’hui Madame Hélène 127 J’AI FAIT SA CONNAISSANCE... Berg. A l’époque, cette rue était à mes yeux d’une incomparable beauté. D’une façon que j’aurais du mal à préciser aujourd’hui, ses platanes me rappelaient Cézanne ; à l’âge que j’ai actuellement, elle n’a pas perdu son charme. Lorsque je revins à Vienne au retour de l’émigration et que je cherchai la Trauttmansdorfgasse, je m’égarai et revins vers mon point de départ à l’église de Hietzing ; puis je me mis en route comme si j’étais aveugle, sans réfléchir, en me fiant à mon souvenir inconscient, et je trouvai mon chemin en quelques minutes. En 1925, avant d’entrer dans la maison pour la première fois, je sus où j’étais en entendant des accords dissonants – ceux du Concerto de chambre que Berg était en train d’achever – qu’il faisait résonner au piano. J’ignorais que ce fût là une situation très célèbre qui se répétait. Sur la porte, le nom avait été dessiné par Berg en caractères très savants, les mêmes que pour les titres des éditions originales des opus 1 et 2, encore avec une pointe de Jugendstil, mais pourtant bien lisibles, sans aucune surcharge ornementale. Berg avait un indéniable talent de plasticien. Ce qui était déterminant chez lui était moins le lien primaire au matériau musical que le besoin d’expression. A la lumière de ses débuts, le fait qu’il ait persisté dans la musique est presque contingent. Nul doute qu’il ait eu beaucoup de mal à traduire son besoin d’expression universellement esthétique en terme spécifiquement musicaux ; c’est ce trait de caractère qui a servi de modèle au personnage de Leverkühn. Il était artiste avant tout, mais artiste à tel point qu’il devient par là même un artiste au sens particulier, un maître de la composition. Cela étant, toute visualité n’a pas disparu, de la façon la plus frappante, dans la calligraphie de ses partitions. Un après-midi, il m’a enseigné au Café Impérial comment on écrit clairement des notes. [...] Je ne puis résister à la tentation de parler du nom de Berg qu’il prononçait avec une chaleur infinie, sans rien ajouter, lorsqu’il répondait au téléphone. Quand il prononçait son nom, il le faisait de la manière dont d’autres disent « je ». Je n’ai guère connu de personne qui ait autant ressemblé à son nom. Alban : il y a là à la fois l’élément catholique et traditionnel – ses parents possédaient un commerce d’objets religieux – et l’aspect recherché, élégant auquel cet homme fidèle n’a jamais tout à fait renoncé malgré toute sa rigueur et 128 THEODOR W. ADORNO sa discipline constructives. Berg : son visage était montagneux en ce double sens qu’il avait les traits d’une personne familière des Alpes et qu’il avait lui-même, avec son nez noblement arqué, sa bouche douce et fine et ses yeux profonds, énigmatiquement vides, semblables à des lacs, quelque chose d’un paysage montagneux. Extraordinairement grand de stature, mais en même temps délicat, comme s’il n’était pas à la hauteur de sa propre taille, il se tenait penché en avant. Ses mains et surtout ses pieds étaient étonnamment petits. Son apparence, son attitude et son regard avaient quelque chose du géant rêveur et lourdaud. On aurait pu imaginer qu’il voyait tout agrandi, de manière effrayante, comme on le dit des chevaux. Peut-être que l’aspect micrologique de ses compositions était une réaction à cela ; les détails sont infimes, infinitésimaux, car le géant les perçoit comme à travers des jumelles de théâtre. Même prise comme un tout, sa musique, à la fois démesurée et fragile, est à l’image de Berg. En règle générale, il réagissait lentement, puis vivement et brusquement. C’est sans doute la raison pour laquelle il avait un respect énorme pour l’esprit de repartie, la vivacité intellectuelle et la mobilité ; cette admiration était telle qu’il développait à son tour un talent pour la plaisanterie et le jeu de mots, le plus souvent tristes. Un élève assez peu doué, à qui il avait demandé s’il avait « l’oreille absolue », lui avait répondu avec insolence : « Dieu merci, non ». Il avait immédiatement adapté ce « Dieu merci » et manquait rarement l’occasion de l’employer pour ses expériences fâcheuses et désagréables. Extrait de Theodor W. Adorno, Alban Berg, le maître de la transition infinie (1968), traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz © Editions Gallimard, 1989, pour la traduction française 129 ALBAN BERG BERNARD GROETHUYSEN Georg Büchner... Georg Büchner supportait mal les absurdités de ce monde. Aussi recherchait-il les souffrances, craignant parfois de ne pas souffrir assez et de donner ainsi son consentement à un état de choses qu’il se devait de ne pas accepter. Ce n’est pas qu’il en soit resté là et qu’il n’ait point tenté de changer le monde. Il fit la révolution. Mais il connut le découragement et crut comprendre que ce qu’on appelle l’histoire de l’humanité n’est que la vision monotone des sursauts d’un dormeur qui s’agite dans le vide. Pourtant il aimait les rêves, parce qu’ils rendent le sommeil moins lourd. Ainsi il devint poète. Le poète a un frère : le fou, auquel Büchner prêta le don de vaincre l’absurde par l’absurde – la folie signifiant pour lui l’art d’être absent du monde des autres, et de ne pas s’y laisser vivre. Il crut avoir ainsi trouvé la bonne manière d’être mort, refusant une vie qui ne saurait être la nôtre... Extrait de l’introduction de Bernard Groethuysen à la traduction de Woyzeckde Büchner, réalisée avec Jean Paulhan et parue dans la revue “Commerce”, cahier XXVII, Printemps 1931 130 MÊME EN RÊVE... ELIAS CANETTI BÜCHNER / WOYZECK A part la nouvelle de la mort de l’ami emprisonné ; à part le souvenir aigu des gens du pays, écrasés mais aussi gouailleurs ; autre chose est entré dans la conception de Woyzeck, à quoi on ne songerait pas nécessairement : la philosophie. Ceci fait partie de l’intégralité de Büchner, qu’il se soit mesuré en grinçant des dents à la philosophie. Il y apporte une disposition ; Lüning, qui le rencontra comme étudiant à Zurich, note chez lui « une certaine détermination extrêmement marquée à faire des affirmations ». Mais la langue philosophique le rebute. Très tôt déjà, dans une lettre à son ami alsacien August Stöber, il écrit : « Je me jette de toutes mes forces dans la philosophie. Le jargon est effroyable ; je veux dire, pour des choses humaines, il faudrait aussi trouver des termes humains. » Et à Gutzkow, alors qu’il maîtrisait cette langue, deux ans plus tard : « Je m’abrutis complètement à étudier la philosophie, j’apprends à connaître à nouveau la misère de l’esprit humain sous une autre face. » Il s’occupe de philosophie sans y succomber ; et il ne lui sacrifie pas une once de réalité. Il la prend au sérieux là où elle opère chez le plus infime, chez Woyzeck ; et il la tourne en dérision chez, ceux qui se croient supérieurs à Woyzeck. Woyzeck, soldat, tel le singe du bonimenteur, « échelon le plus bas du genre humain » ; traqué par des voix et des commandements ; un prisonnier qui court en liberté; prédestiné à être prisonnier ; condamné au régime des prisonniers, toujours 131 BÜCHNER / WOYZECK la même chose, des pois ; dégradé en animal par le Docteur, qui ose lui dire : « Woyzeck, l’être humain est libre ; chez l’être humain, l’individualité se transfigure en liberté », et qui, par là, n’entend pas autre chose que ceci, que Woyzeck devrait pouvoir retenir l’urine ; liberté de se prêter à tous les abus commis contre sa nature humaine ; liberté d’être esclave pour le prix de trois sous, qu’il reçoit s’il se nourrit de pois. Et si on apprend, surpris, par la bouche du Docteur : « Woyzeck, il philosophe à nouveau », c’est le compliment du propriétaire de baraque foraine au cheval savant – et ce compliment, dès la phrase suivante, se réduit à une aberratio ; et une phrase plus loin, se précise scientifiquement en une aberratio mentalis partialis, avec supplément. Le Capitaine toutefois, cet homme bon, si bon ; qui a le sentiment d’être bon parce qu’il va trop bien ; qui a peur d’être rasé à la hâte – il a peur de toute hâte, à cause du temps vertigineux : à cause de l’éternité – il reproche à Woyzeck : « Tu penses trop, ça consume, tu as toujours l’air si traqué. » D’une autre façon, plus dissimulée, ce commerce de Büchner avec les diverses doctrines des philosophes influe sur la mise en forme de Woyzeck. Je songe à la présentation frontale des personnages importants ; ce qu’on pourrait appeler leur mise au pilori par eux-mêmes. L’assurance avec laquelle ils excluent tout ce qui n’est pas eux ; l’insistance agressive, jusque dans le choix de leurs mots ; le renoncement indifférent au monde proprement dit, où ils s’agitent toutefois vigoureusement et haineusement ; tout cela a quelque chose de l’assertion blessante des philosophes. Dès leurs premières phrases, ces personnages se présentent entièrement. Le Capitaine et le Docteur, et plus encore le Tambour-Major, apparaissent comme les crieurs publics de leur propre personne. Sarcastiques, vantards, ou envieux, ils tracent leurs frontières ; et ils les tracent contre une même créature méprisée, qu’ils voient en dessous d’eux, et qui est là pour leur servir d’inférieur. Woyzeck est la victime de tous trois. A la philosophie livresque du Docteur, du Capitaine, il peut, en vérité, opposer des pensées. Sa philosophie est concrète, liée à l’angoisse, à la souffrance et à l’intuition. Il a peur quand il pense ; et les voix par lesquelles il est traqué sont plus réelles que l’émotion du Capitaine devant sa redingote suspendue, et que les immor- 132 ELIAS CANETTI telles expérimentations de pois du Docteur. Contrairement à eux, il n’est pas présenté frontalement ; du début à la fin, il consiste en réactions vivantes, inattendues souvent. Comme il est toujours exposé, il est toujours en éveil ; et les mots qu’il trouve dans sa vigilance sont des mots à l’état d’innocence encore. Ils ne sont pas broyés et mésusés ; ils ne sont pas monnaie, arme, provision ; ce sont des mots comme s’ils venaient juste de voir le jour. Même s’il les a repris sans les comprendre, ils suivent en lui leurs propres chemins : les francs-maçons creusent sous lui la terre : « Creux, entendstu ? Tout est creux là-dessous ! Les francs-maçons ! » En combien d’êtres humains le monde est-il fragmenté dans Woyzeck! [...] Büchner, avec Woyzeck, réussit le bouleversement le plus complet de la littérature : la découverte de l’humble. Cette découverte suppose de la compassion ; mais, seulement si cette compassion demeure dissimulée, si elle est muette, si elle ne se formule pas, l’humble reste intact. Le poète qui parade avec ses sentiments, qui gonfle publiquement l’humble avec sa compassion, le souille et le détruit. C’est par les voix et les mots des autres que Woyzeck est traqué ; par le poète toutefois, il n’a pas été touché. Dans cette chasteté vis-à-vis de l’humble, personne jusqu’à ce jour ne peut se comparer à Büchner. Pendant les derniers jours de sa vie, Büchner est secoué par des délires fébriles ; et on ne sait que peu de choses, approximatives, sur leur nature et leur contenu. [...] Je crois que si on avait ces délires dans leur véritable teneur, on serait très près de Woyzeck ; même dans cette relation, atténuée par le chagrin et l’amour, où manque la terreur d’être traqué, on décèle quelque chose de Woyzeck. Büchner avait encore Woyzeck en lui lorsqu’il mourut le 19 [février 1937]. Extrait du “Discours pour l’attribution du prix Georg-Büchner”, 1972 in Elias Canetti, La Conscience des mots, traduit de l’allemand par Roger Lewinter © Editions Albin Michel, 1984 133 ALBAN BERG GEORG BÜCHNER CINQ LETTRES A sa famille. Strasbourg, le 5 avril 1833 J’ai reçu aujourd’hui votre lettre qui parle de ce qui s’est passé à Francfort. Mon opinion, la voici : s’il est une chose à notre époque qui puisse être utile, c’est la violence. Nous savons ce que nous pouvons attendre de nos princes. Tout ce qu’ils ont concédé leur a été arraché par la nécessité. Et même les concessions nous ont été jetées comme une grâce mendiée et un misérable jouet d’enfant, pour faire oublier à l’éternel jobard qu’est le peuplequ’il est emmailloté trop à l’étroit. C’est avec un fusil en fer blanc et un sabre de bois que seul un Allemand a pu avoir le mauvais goût de jouer au petit soldat. Nos assemblées locales sont une satire contre la saine raison, nous pouvons continuer à nous promener comme cela pendant encore un siècle et quand alors nous ferons le compte des résultats, eh bien, le peuple n’aura pas cessé de payer les beaux discours de ses représentants plus cher que cet empereur romain qui fit donner vingt mille florins à son poète de cour pour deux vers boiteux. On reproche aux jeunes gens de recourir à la violence. Mais ne sommes-nous donc pas dans une situation de violence perpétuelle ? Parce que nous sommes nés et que nous avons grandi au cachot, nous ne nous apercevons plus que nous sommes au fond d’un trou, pieds et poings enchaînés, un bâillon enfoncé dans la bouche. Qu’appelez-vous donc ordre légal ? Une loi qui fait de la grande masse des citoyens un bétail à corvées, pour satisfaire les 134 GEORG BÜCHNER besoins contre nature d’une minorité infime et corrompue ? Et cette loi, appuyée par la violence brutale des militaires et par la roublardise stupide de ses sbires, cette loi n’est qu’une vio lence brutale et perpétuellequi est faite à la justice et à la saine raison, et je la combattrai de la bouche et de la main chaque fois que je le pourrai. [...] A sa famille. Giessen, février 1834 [...] Je ne méprise personne , et surtout pas à cause de son intelligence ou de sa culture, parce que personne n’a le pouvoir de ne pas devenir un sot ou un criminel – parce que des circonstances égales nous rendraient sans doute tous égaux, et parce que les circonstances sont hors de nous. Et l’intelligence surtout n’est qu’un côté très restreint de notre nature spirituelle, et la culture n’est qu’une forme très contingente de celle-ci. Celui qui me reproche un tel mépris prétend que je donnerais des coups de pied à un homme parce qu’il aurait une veste en mauvais état. Autrement dit, cette brutalité dont jamais on ne croirait quelqu’un capable dans le domaine du corps, on la transpose dans le domaine de l’esprit, où elle est encore plus vile. Je suis capable de traiter quelqu’un de sot sans le mépriser pour autant ; la sottise fait partie des caractéristiques universelles des choses humaines ; je ne puis rien au fait qu’elle existe, mais personne ne peut m’interdire d’appeler tout ce qui existe par son nom et d’éviter ce qui m’est désagréable. C’est une cruauté d’offenser quelqu’un, mais libre à moi de le rechercher ou de le fuir. Voilà l’explication de mon comportement envers de vieilles connaissances ; je n’ai offensé personne et je me suis épargné beaucoup d’ennui ; s’ils me jugent orgueilleux lorsque je n’ai aucun goût pour leurs plaisirs ou leurs occupations, c’est là une injustice ; jamais l’idée ne me viendrait de faire pour la même raison semblable reproche à autrui. On me traite de railleur. C’est vrai, je ris souvent, mais je ne ris pas de la façon dont quelqu’un est homme, je ris seulement du fait qu’il est homme, alors qu’il n’y eut rien, et ce faisant, je ris de moi-même qui partage son destin. Les gens appellent cela de la raillerie, ils ne supportent pas qu’on se conduise de façon extravagante et qu’on les tutoie ; ce sont 135 CINQ LETTRES eux les méprisants, les railleurs et les orgueilleux, car ils ne cherchent l’extravagance qu’en dehors d’eux-mêmes. Il est vrai que j’ai un autre genre de raillerie, mais ce n’est pas la raillerie du mépris, c’est celle de la haine. La haine est tout aussi bien permise que l’amour, et je la nourris sans restriction à l’endroit de ceux qui méprisent.Ils sont en grand nombre, ceux qui, possédant ce ridicule accessoire qu’on appelle culture ou ce fatras mort qu’on appelle science, sacrifient la grande masse de leurs frères à leur méprisant égoïsme. L’aristocratisme est le plus ignoble mépris de l’esprit saint en l’être humain ; contre lui je retourne ses propres armes ; orgueil contre orgueil, raillerie contre raillerie... Vous feriez mieux de venir me trouver chez mon cireur de bottes ; ce serait pourtant l’objet privilégié de l’orgueil et du mépris que je porte aux pauvres et aux ignorants. Je vous prie, posez-lui un jour la question... Ce ridicule de la condescendance, vous n’allez tout de même pas m’en croire capable. Je persiste à espérer d’avoir jeté plus de regards compatissants sur des êtres souffrants et opprimés que je n’ai dit de paroles aigres à des cœurs froids et distingués... [...] A sa fiancée. [Giessen, après le 10 mars 1834] J’étudiais l’histoire de la Révolution. Je me suis senti comme anéanti sous l’atroce fatalisme de l’histoire. Je trouve dans la nature humaine une épouvantable égalité, dans les conditions des hommes une inéluctable violence, conférée à tous et à aucun. L’individu n’est qu’écume sur la vague, la grandeur un pur hasard, la souveraineté du génie une pièce pour marionnettes, une lutte dérisoire contre une loi d’airain, la connaître est ce qu’il y a de plus haut, la maîtriser est impossible. L’idée ne me vient plus de m’incliner devant les chevaux de parade et les badauds de l’histoire. J’ai habitué mon œil au sang. Mais je ne suis pas un couperet de guillotine. Il faut est l’une des paroles de condamnation avec lesquelles l’homme a été baptisé. Le mot selon lequel il faut certes que le scandale arrive, mais malheur à celui par lequel il arrive – a de quoi faire frémir. Qu’est-ce qui en nous ment, assassine, vole ? [...] 136 GEORG BÜCHNER A sa famille. Strasbourg, 8 juillet 1835 L’écrivain n’est pas un professeur de morale, il invente et crée des personnages, il fait revivre des époques passées, et qu’ensuite les gens apprennent là-dedans, aussi bien que dans l’étude de l’histoire ou dans l’observation de ce qui se passe autour d’eux dans la vie humaine. Si on allait par là, on n’aurait pas le droit d’étudier l’histoire, parce qu’on y raconte un très grand nombre de choses immorales, il faudrait traverser la rue les yeux bandés, parce que sinon on pourrait voir des choses inconvenantes, et il faudrait crier haro sur un dieu qui a créé un monde où se produisent tant de dévergondages. Si du reste on voulait encore me dire que l’écrivain ne doit pas montrer le monde tel qu’il est, mais tel qu’il devrait être, je réponds que je n’entends pas faire les choses mieux que le Bon Dieu, qui certainement a fait le monde comme il doit être. Pour ce qui concerne encore les écrivains prétendument idéalistes, je trouve qu’ils ont donné presque uniquement des marionnettes avec des nez bleu ciel et un pathétique affecté, mais non des êtres de chair et de sang dont je puisse éprouver la souffrance et la joie, et dont les faits et gestes m’inspirent horreur ou admiration. [...] A Gutzkow. Strasbourg [1836] [...] Du reste, pour être sincère, vous et vos amis ne me semblez pas avoir précisément emprunté la voie la plus intelligente. Réformer la société par le moyen de l’idée, à partir de la classe cultivée? Impossible ! Notre époque est purement maté rielle, si vous aviez procédé de façon plus directement politique, vous seriez bientôt parvenus au point où la réforme aurait cessé d’elle-même. Vous ne dépasserez jamais la faille entre la société cultivée et celle qui ne l’est pas. Je me suis convaincu que la minorité cultivée et possédant une certaine aisance, même si elle réclame pour son compte de nombreuses concessions au pouvoir, ne voudra jamais se départir de son rapport crispé à la grande classe [le peuple]. Et la grande classe elle-même ? Pour elle il n’y a que deux 137 CINQ LETTRES leviers, la misère matérielle et le fanatisme religieux. Tout parti qui saura appliquer ces leviers vaincra. Notre époque a besoin de fer et de pain... et puis d’une croix ou de quelque chose comme ça. Je crois que dans les choses sociales il faut partir d’un principe de droit absolu, chercher à constituer une vie intellectuelle nouvelle dans le peuple et laisser aller au diable la société moderne qui a fait son temps. Dans quel but voudrait-on qu’une chose comme celle-ci se promène entre ciel et terre ? Sa vie tout entière n’est constituée que de tentatives pour dissiper l’ennui le plus épouvantable. Qu’elle meure de sa belle mort, c’est tout ce qui peut lui arriver de nouveau. [...] Extraits de lettres traduites de l’allemand par Bernard Lortholary, in Georg Büchner, Œuvres complètes. Inédits et lettres , sous la direction Bernard Lortholary, Collection Le Don des langues, © Editions du Seuil, 1988, pour la traduction française 138 CARNET de NOTES Georg Büchner Repères biographiques & Notice bibliographique –– Alban Berg Repères biographiques & Notice bibliographique –– Wozzeck Discographie sélective & Vidéographie GEORG BÜCHNER REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1813. Le 17 octobre, naissance de Georg Büchner à Goddelau dans le grand duché de Hesse-Darmstadt. Son père est médecin. 1816. La famille Büchner s’installe à Darmstadt. 1821. Débuts de sa scolarité. 1831. Il s’inscrit à la faculté de médecine de Strasbourg. Etudie la médecine et la neurophysiologie. 1832. Fiançailles secrètes avec Wilhelmine Jaeglé. 1812. Retraite de Russie. 1813. Naissance de Verdi, Wagner, de Claude Bernard et Kierkegaard. 1814. Beethoven : Fidelio. 1815. Abdication définitive de Napoléon 1er. Congrès de Vienne et création de la Confédération germanique : 39 états dont la Prusse et l’Autriche. 1816. Laennec : invention du stéthoscope. Légendes allemandesde Jakob & Wilhelm Grimm. Rossini : Le Barbier de Séville. 1819-1821. E.T.A. Hoffmann : Contes des frères Sérapion. 1821. Weber : Der Freischütz. 1822. Pouchkine : Eugène Onéguine. 1823. Niepce et Daguerre : invention de la photographie. 1827. Mort de Beethoven. 1828. Première édition complète des œuvres du poète et ami de Goethe, J.M.R. Lenz (1751-1792). 1828. Début du Zollverein, union douanière d’une vingtaine d’états autour de la Prusse. 1830. Insurrection des Trois Glorieuses et instauration de la Monarchie de juillet (Louis-Philippe). 1830. Victor Hugo : Hernani. Honoré de Balzac : début de La Comédie humaine. Berlioz : Symphonie fantastique. 1831. Delacroix : La Liberté guidant le peuple. Mort de Hegel. 1832. Mort de Goethe. 141 GEORG BÜCHNER REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1833. Retour à Darmstadt. Inscription à la faculté de médecine de Giessen, où il entre en contact avec les libéraux hessois, et fonde une Société des droits de l’homme. 1834. Rédige, publie et diffuse Le Messager hessois, journal politique clandestin qui proclame en exergue : « Paix aux chaumières, guerre aux palais. » Ecrit La Mort de Danton. 1834. Premier opéra de Wagner : Les Fées. 1835. Poursuivi pour ses activités politiques, il fuit à Strasbourg, en mars, et y achève ses études. Publication de La Mort de Danton. En juin, émisssion d’un mandat d’arrêt contre lui à Darmstadt et Francfort. En octobre, publication de ses traductions des drames de Victor Hugo : Marie Tudor et Lucrèce Borgia. Esquisse pour le récit Lenz. Commence un mémoire Sur le système nerveux du barbeau. 1835. L’Esthétiquede Hegel. 1836. Soutient sa thèse devant la Société d’histoire naturelle de Strasbourg, et commence à travailler sur Léonce et Lénaet vraisemblablement sur Woyzeck. Prépare son cours probatoire à l’université de Zurich : Sur les nerfs crâniens. Chargé de cours à la faculté de philosophie de Zurich. 142 1836. Débuts de l’industrie de la fonte au Creusot. 1836. Meyerbeer : Les Huguenots. GEORG BÜCHNER REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1837. Meurt du typhus, le 19 février. 1838. Publication en feuilleton dans le Hamburger Telegraph für Deutschland de Léonce et Léna. 1839. Dans le même journal, publication de Lenz. 1843. Mort de Hölderlin. 1879. Publication en tiré-à-part de Woyzeck. 1902. Création de La Mort de Danton à Berlin. 1913. Création de Woyzeckà Munich. 1967. Première publication dans leur intégralité des manuscrits de Woyzeck, par Werner Lehmann, Hambourg. 143 GEORG BÜCHNER NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE Lenz, traduit de l’allemand par Henri-Alexis Baatsch. Préface de Jean-Christophe Bailly. Christian Bourgois Editeur, 1985. Traduit par Albert Beguin. Sables, 1990. Traduit par Barbara Guerout. Ellipses, 1991. Traduit par Bernard Kreiss. Jaqueline Chambon, 1991. Traduit par Lionel Richard. Mille et une nuits, 1997. Traduit par Lou Bruder. Rivages, 1998. Traduit et préfacé par G.-A. Goldschmidt. Vagabonde, 2003. La Mort de Danton, traduit de l’allemand par Lionel Richard. L’Arche, 1993. Traduit par René Zahnd. L’Âge d’homme, 1994. Traduit par Michel Cadot. Flammarion, 1997. Léonce et Léna, traduit de l’allemand par François Regnault et Emmanuel Demarcy-Mota. L’Avant-Scène Théâtre, 1996. Woyzeck, traduit de l’allemand par Bernard Chartreux, Eberhard Spreng et Jean-Pierre Vincent. Préface de Jean-Christophe Bailly. L’Arche, 1993. Traduit par Daniel Benoin. Actes Sud/Papiers, 2001. Théâtre complet : La Mort de Danton, traduit par Arthur Adamov, Léonce et Léna, Woyzeck , traduits par Marthe Robert. L’Arche, 1953. Œuvres complètes, inédits et lettres , édition établie sous la direction de Bernard Lortholary. Traductions, présentations et notes de Jean-Louis Besson, Jean Jourdheuil, Jean-Pierre Lefebvre, Bernard Lortholary, Gérard Raulet et Robert Simon. Editions du Seuil, 1988. 144 ALBAN BERG REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1885. Naissance d’Alban Berg à Vienne le 9 février. Famille aisée. 1900. Mort de son père à l’âge de 54 ans. Malgré les difficultés financières de sa famille, Berg poursuit ses études. Parallèlement, il fait preuve d’un grand intérêt pour la musique et compose ses premiers lieder. 1903. Mauvais résultats à ses examens, tentative de suicide. 1874. Naissance de Schoenberg. 1881. Naissance de Bartok. Naissance de Stefan Zweig. 1882. Naissance de Stravinsky. 1883. Naissance de Webern et de Varèse. Mort de Wagner. 1885. Emile Zola : Germinal. Pasteur : vaccin contre la rage. 1893. Verdi : Falstaff. 1894. Début de l’affaire Dreyfus. 1895. Invention du cinéma par les frères Lumière. 1896. Henri Becquerel : découverte de la radioactivité. 1897-1907. Mahler directeur de l’Opéra de Vienne. 1898. Naissance de Bertolt Brecht. 1899. Schoenberg : La Nuit transfigurée 1900. Thomas Mann : Les Buddenbrook. 1901. Mort de Verdi. 1902. Debussy : Pelléas et Mélisande. 1904. Trouve un emploi dans l’administration impériale. Rencontre décisive avec Arnold Schoenberg dont il devient l’élève, aux côtés d’Anton Webern. 1905-1908. Schoenberg élabore un langage musical se détournant de la tonalité. On désignera le trio formé par Schoenberg, Webern et Berg sous le nom de Seconde Ecole de Vienne. 1907. Picasso : Les Demoiselles d’Avignon 145 ALBAN BERG REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1908. Sonate pour piano, op. 1 : première œuvre publiée (tonale). 1909-1910. Quatre Lieder, pour voix et piano. Quatuor à cordes, op. 3 (atonal). 1911. Epouse Hélène Nahowski, rencontrée en 1907 et fille naturelle supposée de l’empereur François-Joseph. 1912. Première œuvre orchestrale: Cinq Lieder, op. 4 pour soprano et orchestre sur des poèmes de Peter Altenberg. 1914. Assiste à Vienne le 5 mai à une représentation de Woyzeckde Büchner. Décide de composer un opéra sur ce sujet. 1915-1918. S’engage dans l’armée autrichienne et découvre les réalités militaires : « C’est l’enfer au vrai sens du mot ! » Commence la composition de Wozzecken 1917. 1921. Achève la composition de Wozzeck. 146 1908. Richard Strauss : Elektra Naissance d’Olivier Messiaen. 1910. Kandinsky : Du spirituel dans l’art. 1911. Mort de Mahler. 1913. Stravinsky : Le Sacre du printemps. 1914. Eté 14, début de la Première Guerre mondiale. 1916. Freud : Introduction à la psychanalyse. 1917. Révolution d’octobre en Russie. 1918. Fin de la Première Guerre et proclamation de la république en Autriche. 1918. Bartok : Le Château de Barbe-Bleue (composé en 1911). 1919. Traité de Versailles. Ecrasement de la révolution spartakiste à Berlin et naissance de la République de Weimar. 1922. Joyce : Ulysse. Schoenberg aboutit à la méthode de composition avec douze sons. 1923. Naissance de György Ligeti. ALBAN BERG REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1924. Le 15 juin, Hermann Scherchen donne en concert, à Francfort, des extraits de Wozzeck. 1925. Création de Wozzeckle 14 décembre au Staatsoper de Berlin sous la direction d’Erich Kleiber. L’œuvre suscite la polémique et obtient un grand succès. Jusqu’en 1936, elle sera reprise dans vingt-neuf villes en Europe et aux Etats-Unis. Concerto de chambrepour piano, violon et 13 instruments à vent, dédié à Arnold Schoenberg. 1926. Suite lyrique inspirée par son amour fou et secret pour Hanna Fuchs-Robettin. Œuvre en six mouvements, composée pour quatuor à cordes. Les deuxième, troisième et quatrième mouvements sont transcrits pour orchestre à cordes en 1928. 1924. Dictature de Mussolini en Italie. 1925. Naissance de Pierre Boulez et de Luciano Berio. 1926. Création à Brême de Wozzeck de Manfred Gurlitt (1890-1973). Ce Wozzeckest toujours resté dans l’ombre de celui de Berg. 1928. Kurt Weill, Bertolt Brecht : L’Opéra de quat’sous. 1929. Commence la composition de son deuxième opéra : Lulu d’après Wedekind, qui restera inachevé. 1930. Der Weinpour soprano et orchestre, d’après trois poèmes des Fleurs du mal de Baudelaire traduits par Stefan George (L’Ame du vin, Le Vin des amants, Le Vin du solitaire). 147 ALBAN BERG REPÈRES BIOGRAPHIQUES 1933. Interdiction de Wozzeckpar les nazis. 1935. Concerto pour violon, “A la mémoire d’un ange” dédié à Manon, fille d’Alma Mahler et de l’architecte Walter Gropius, morte à l’âge de quinze ans . Au cours de l’été, il est piqué par un insecte. Infection mal soignée. Berg meurt le 24 décembre à Vienne. 148 1932. Céline : Voyage au bout de la nuit. 1933. Hitler devient chancelier, mise à l’index des écrivains juifs, autodafés de livres. 1933. Malraux : La Condition humaine. Schoenberg et Kurt Weill s’exilent aux Etats-Unis. 1934. Assassinat du chancelier autrichien Dollfuss lors d’une tentative de coup d’état des nazis. ALBAN BERG NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE ALBAN BERG. Ecrits, traduits de l’allemand par Henri Pousseur, Gisela Tillier et Dennis Collins. Introduction, présentation et notes de Dominique Jameux. Collection musique / passé / présent. Christian Bourgois Editeur, 1985. THEODOR W. ADORNO. Alban Berg, le maître de la transition infinie, traduit de l’allemand par Rainer Rochlitz. Préface de Jean-Louis Leleu. Gallimard, 1989. MOSCO CARNER. Alban Berg, traduit de l’anglais par Dennis Collins. Jean-Claude Lattès, 1979. ETIENNE BARILIER. Alban Berg. Essai d’interprétation. L’Âge d’homme, 1878. DOMINIQUE JAMEUX. Berg. Editions du Seuil, 1980. L’Ecole de Vienne.Fayard, 2002. PIERRE JEAN JOUVE. Wozzeck d’Alban Berg. Christian Bourgois Editeur, 1999. Wozzeck / Berg.“L’Avant-Scène Opéra” no 36, 1991 et no 215, 2003. 149 WOZZECK DISCOGRAPHIE SÉLECTIVE & VIDÉOGRAPHIE DIMITRI MITROPOULOS, Orchestre philharmonique de New York, Chœur de la Schola Cantorum de New York Mack Harrell (Wozzeck), Eileen Farrell (Marie), Frederic Jagel (Le Tambour-Major), Ralph Herbert (Le Docteur), Albert Weikenmeier (Le Capitaine), David Lloyd (Andrès), Edwina Eustis (Margret) Enregistré en 1951 2 CD – Sony, Collection “Masterworks Heritage” PIERRE BOULEZ, Orchestre et Chœurs de l’Opéra de Paris Walter Berry (Wozzeck), Isabel Strauss (Marie), Fritz Uhl (Le Tambour-Major), Karl Dönch (Le Docteur), Albert Weikenmeier (Le Capitaine), Richard van Vrooman (Andrès), Ingeborg Lasser (Margret) Enregistré en 1966 2 CD – Sony M2K 79251 CLAUDIO ABBADO, Orchestre philharmonique de Vienne, Chœurs de l’Opéra de Vienne Franz Grundheber (Wozzeck), Hildegard Behrens (Marie), Walter Raffeiner (Le Tambour-Major), Aage Haugland (Le Docteur), Heinz Zednik (Le Capitaine), Philip Langridge (Andrès), Anna Gonda (Margret) Enregistré en 1987 2 CD – Deutsche Grammophon 423 587-2 DANIEL BARENBOIM, Orchestre de la Staatskapelle de Berlin Franz Grundheber (Wozzeck), Waltraud Meier (Marie), Mark Baker (Le Tambour-Major), Günter von Kannen (Le Docteur), Graham Clark (Le Capitaine), EndrikWottrich(Andrès), Dalia Schaechter (Margret) PATRICE CHÉREAU, mise en scène Richard Peduzzi, décors & Moidele Bickel, costumes Enregistré en 1994 VHS – Teldec 150 Secrétariat de rédaction Jean Spenlehauer Remerciements Médiathèque musicale Mahler Christian Bourgois Editeur Editions Buchet Chastel Daniela Gebel Conception & Réalisation Brigitte Rax / Clémence Hiver Impression Horizon Opéra national de Lyon Saison 2003/04 Président Gérard Collomb Directeur Serge Dorny OPERA NATIONAL DE LYON Place de la Comédie 69001 Lyon Renseignements & Réservation 04.72.00.45.45 www.opera-lyon.com L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes et le conseil général du Rhône. ACHEVÉ d’IMPRIMER pour les premières représentations à l’Opéra national de Lyon de Wozzeck, mise en scène Stéphane Braunschweig, direction musicale Lothar Koenigs, la veille du CXCe anniversaire de la naissance de Georg Büchner le 17 octobre 2003 ISBN 2-84956-000-6 Dépôt légal en octobre 2003