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Les maladies du bois :
état des lieux et perspectives
Philippe Larignon, ITV France, Unité de Nîmes, Domaine de Donadille, 30230 Rodilhan
L
es maladies du bois de la vigne ont toujours préoccupé les viticulteurs car elles provoquent la destruction
de la souche et mettent en péril leur outil de production. Trois principales maladies sont observées dans
le vignoble : l’Eutypiose, l’Esca et le Black Dead Arm. Les deux dernières étaient contrôlées jusqu’en
novembre 2001 par l’utilisation de l’arsénite de sodium. Sa suppression inquiète d’autant plus les viticulteurs
qu’aucune méthode de lutte de remplacement ne leur a été proposée.
➥ L’Eutypiose, identifiée en France à la fin des années 70, est la maladie la mieux connue mais reste encore
difficile à combattre en dépit des travaux réalisés par de nombreuses équipes portant sur différents thèmes :
épidémiologie, relation hôte-parasite, méthodes de lutte.
➥ Le Black Dead Arm, dépérissement malheureusement encore peu connu en raison de sa récente identification en France en 1999, existe pourtant depuis très longtemps dans notre pays, car il a été confondu avec l’Esca
du fait de la similitude des symptômes foliaires. Dans les autres pays viticoles, elle n’a été décrite que dans les
années 70 et 80 en Hongrie et en Italie. Actuellement, peu d’équipes travaillent sur cette maladie.
➥ L’Esca, maladie cryptogamique sévissant dans la majorité des vignobles du monde, tout d’abord décrite
sous sa forme apoplectique, fut attribuée à un champignon à la fin du XIXe siècle et de ce fait se distinguait du
folletage, maladie physiologique. La découverte de l’arsénite de sodium à l’égard de ce dépérissement, de façon
tout à fait fortuite, a entraîné dans les années 20 l’arrêt des travaux sur cette maladie pendant un demi-siècle
en Europe. Durant les années 80, les recherches ont été réinitiées en France en raison d’un éventuel retrait de
l’arsénite de sodium, du fait de sa toxicité non seulement pour l’homme mais aussi pour l’environnement. Les
études ont porté sur l’identification et le mode d’action des microrganismes qui y sont associés. Depuis les
années 90, différentes études portant sur cette identification étaient entreprises dans différents pays où l’Esca
était devenu un problème majeur. Les travaux se sont de plus en plus développés et ont porté sur différents
thèmes de recherches : diagnostic, épidémiologie, taxonomie, relation hôte-parasite, méthodes de lutte.
Des groupes de travail mis en place
La sensibilisation de plusieurs chercheurs (Etats-Unis, Australie, Italie, France) à ce problème a permis de créer
lors d’une visite du vignoble californien un groupe international sur les maladies du bois de la vigne appelé
ICGTD (International Council Grapevine Trunk Disease) qui s’est réuni pour la première fois en 1999 à Sienne
et se réunit actuellement tous les deux ans. Il regroupe maintenant une centaine de chercheurs venant de tous
les pays viticoles. Les congrès ont pour but de partager les connaissances acquises lors des différentes
recherches menées et de réfléchir sur les futures études à conduire, bien sûr dans l’objectif de trouver une
méthode de lutte efficace à l’égard des maladies du bois. Ne traitant tout d’abord que le problème de l’Esca, il
s’est élargi sur les autres maladies du bois de la vigne (Eutypiose, Black Dead Arm, Hoja de Malvon, Pied noir,
Maladie de Petri…..).
Un autre groupe, FAVOR, mis en place par les Liens de la Vigne et réunissant des chercheurs européens, américains et australiens, se réunit deux fois par an dans le but de construire des programmes de recherches euro18
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péens. Deux programmes ont vu le jour : programme CAMAR n° 8001–CT–91.205 portant sur l’Eutypiose
(1989-1993) et le programme FAIR n° 1CT-95.654 " Maîtrise de l’Esca et Respect de l’Environnement "(19961999).
En France, suite à l’interdiction de l’arsénite de sodium (nov. 2001), un groupe national de travail a été créé et
regroupe les différents organismes de recherche et interprofessionnels, qui travaillent en collaboration avec les
chercheurs internationaux. Un programme de recherches, axé plus particulièrement sur l’Esca et le Black Dead
Arm a été élaboré avec l’objectif d’apporter aux viticulteurs une méthode aussi efficace et de moindre toxicité
que l’arsénite de sodium. Une action en communication par le biais d’une plaquette destinée aux professionnels a été également réalisée.
L’état des lieux
➥ Les champignons associés à l’Esca et au Black Dead Arm ont été identifiés. Pour l’Esca, ils se répartissent
en deux séquences dans le processus menant à la dégradation du bois. Une colonisation primaire du bois par
Phaeomoniella chlamydospora (Pch) et Phaeoacremonium aleophilum (Pal) semble être une étape nécessaire
pour l’installation secondaire de Fomitiporia punctata, responsable de la dégradation du bois caractéristique de
la maladie. Un autre champignon, Eutypa lata, est également considéré comme pionnier dans ce processus.
Actuellement, seuls les symptômes dans le bois ont été reproduits.
Pour le Black Dead Arm, plusieurs espèces de Botryosphaeria semblent y être associées. La reproduction des
symptômes sur la partie herbacée a été obtenue in natura en Italie dans les années 70.
➥ L’étude du mode de dégradation des parois cellulaires par ces champignons a été étudiée. Les tests de pouvoir lignivore, les analyses chimiques, les études en microscopie électronique ont permis de classifier les différents champignons selon le type de pourriture qu’ils provoquent, Pch parmi les champignons de bleuissement, Pal et E. lata parmi ceux de la pourriture molle, F. punctata parmi ceux de la pourriture blanche.
➥ Interactions entre la plante et les microrganismes impliqués dans le syndrome de l'Esca
L'existence des deux séquences observées dans le processus menant à la dégradation du bois trouve
une explication dans l'étude des interactions hôte - parasite. L'étude des différentes barrières de défense, mises
en place par la plante au moment de l'infection, explique le devenir de chacun des champignons dans les tissus ligneux et par conséquent, la position des différentes nécroses que provoquent ces microrganismes.
L'importance des champignons de la pourriture molle (P. aleophilum, E. lata) a été soulignée dans le déroulement de la succession des micro-organismes dans le bois. Ils semblent ouvrir la voie à la progression des
champignons de la pourriture blanche (F. punctata, S. hirsutum) dont le développement est bloqué soit par la
présence de gommes et de thylles dans les vaisseaux (cas du F. punctata), soit par les dernières cellules d'un
cerne (cas du S. hirsutum).
➥ Le cycle biologique des champignons pionniers de l’esca (Pch et Pal) est encore mal connu. Pour les agents
de l’Esca, les travaux menés jusqu’à maintenant ont montré que Pch est un champignon à dissémination aérienne qui pénètre par les plaies de taille pendant la période hivernale. Une des sources d’inoculum (pycnides) a été
localisée sur les plaies de taille âgées. Pal est également un champignon à dissémination aérienne qui ne contamine pas les plaies de taille, en effet, les spores sont disséminées pendant la période végétative de la vigne. Sa
voie de pénétration dans la plante n’a pas été identifiée. Sa forme sexuée (Togninia minima) a été obtenue dans
plusieurs laboratoires mais n’a pas encore été observée dans le vignoble. Ces études ont montré également que
ces deux champignons peuvent se propager par les bois destinés à la pépinière. Leur origine dans les sarments
n’est pas connue. Les études sur la variabilité génétique réalisées avec des marqueurs RAPD montrent que les
populations ne présentent pas de biodiversité importante. Plusieurs haplotypes différents de Pal et Pch sont
trouvés au sein d’un vignoble suggérant plusieurs sources d’inoculum primaire.
Pour les Botryosphaeria, les études ont été conduites principalement sur l’espèce obtusa. Elles ont montré qu’il
s’agit d’un champignon à dissémination aérienne. Ses sources d’inoculum (pycnides) sont localisées sur les
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ceps, les plaies de taille et les sarments laissés sur le sol. La voie de pénétration dans la plante n’a pas été encore identifiée. Ce champignon est également isolé dans les bois de porte-greffe et de greffon suggérant aussi sa
propagation par les bois destinés à la pépinière.
➥ Des sondes moléculaires ont été mises au point pour détecter rapidement les champignons pionniers de l’esca, Pch et Pal, mais aucune méthode ne permet de les détecter dans le bois. Une méthode est actuellement disponible pour détecter B. obtusa et Eutypa lata dans le bois.
➥ Aucunes méthodes de lutte ne sont actuellement satisfaisantes pour contrôler les maladies du bois. Elles ne
peuvent que limiter leur progression dans le vignoble (prophylaxie, taille tardive, taille non traumatisante, recépage, surgreffage, protection des plaies de taille par badigeonnage). En pépinières, le traitement à l’eau chaude semble être une méthode satisfaisante pour diminuer fortement le nombre de plants infectés par Pch et pour
éradiquer Botryosphaeria obtusa des plants.
Les objectifs du programme national
Pour pallier le manque d’informations sur ces maladies qui permettraient de proposer aux viticulteurs des
méthodes de lutte satisfaisantes, le programme de recherches mis en place concerne les objectifs suivants :
➥ Elucider le cycle biologique des champignons impliqués dans les maladies du bois afin d’identifier les cibles
pour élaborer des moyens de lutte prophylactiques et préventifs.
➥ Produire du matériel de propagation sain.
➥ Créer des outils de détection rapide par hybridation moléculaire pour le diagnostic des maladies de la vigne,
l’étude de l’épidémiologie et le contrôle du matériel de propagation.
➥ Créer un outil (plantes tests) qui permettra de sélectionner en serre des molécules et/ou produits microbiens
qui empêchent soit le développement des champignons dans le bois, soit l’extériorisation des symptômes.
Le programme de recherches
Le programme de recherches mis en place concerne quatre thèmes.
Le cycle biologique des champignons inféodés aux maladies du bois :
Les actions sont menées à deux niveaux : la pépinière et le vignoble.
Au niveau de la pépinière : identification des micro-organismes qui se propagent par les bois destinés à la pépinière, en expliquer leur origine, et identifier d’éventuelles voies de contamination lors des différentes étapes de
l’élaboration et de l’élevage des plants destinés à la vente.
Au vignoble : identification des différentes sources d’inoculum sur la vigne et d’autres plantes, évaluation des
modes de propagation de l’inoculum, identification des voies de pénétration des micro-organismes dans la
plante par le biais d’études portant sur la réceptivité de la plante et le suivi de la sporée aérienne.
Mise au point de méthodes de détection rapide des champignons par PCR
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La compréhension des mécanismes impliqués dans l’apparition des symptômes sur la
végétation
L’élaboration d’une méthodologie permettant de reproduire les symptômes sur la végétation sera un outil
important dans la compréhension du rôle de chacun des champignons du bois et dans l’étude des mécanismes
mis en jeu dans l’expression des symptômes. Pour cela, différentes étapes sont nécessaires :
➥ Réalisation d’enquête dans le vignoble de façon à connaître les facteurs agro-climatiques les favorisant,
accompagnée par des expérimentations pour évaluer l’état hydrique de la plante.
➥ Reproduction des symptômes de façon artificielle sur des plantes élevées en serre (inoculation des plantes
avec les champignons seuls ou en association en relation avec les facteurs agro-climatiques clés définis auparavant).
De plus, la création de cet outil (plante test) permettra de cribler les molécules empêchant l’expression des
symptômes, de connaître le comportement des cépages et de porte-greffes à l’égard des maladies, de comprendre les mécanismes impliqués dans l’expression des symptômes sur la partie herbacée (interaction hôteparasite), et sélectionner des marqueurs de "résistance".
La recherche de méthodes de lutte
Elle sera menée non seulement dans l’objectif d’obtenir des plants indemnes de champignons inféodés aux
maladies du bois à la sortie des pépinières, mais aussi dans le vignoble. Des screenings de molécules et de produits microbiens seront réalisés au laboratoire afin de retenir les meilleurs candidats pour les expérimentations
au champ ou en pépinières. Ces produits pourront être testés soit en préventif, soit en curatif. Dans le vignoble,
différents modes d’application seront testés : par pulvérisation sur toute la souche ou sur les plaies de taille,
par injection dans les troncs, ou encore par application au sol pour les produits microbiens (compost supplémenté en Trichoderma, par ex.). Concernant les stimulateurs de défense de la plante, ils seront testés soit en
serre (plantes tests), soit dans le vignoble.
Ces études porteront également sur les mesures prophylactiques : recherche de produits éradiquant les sources
d’inoculum, mise en évidence de pratiques culturales qui favorisent la propagation de la maladie (rôle des bois
de taille laissés au sol, par ex.) ou qui défavorisent la ‘sensibilité de la plante’ (enherbement, par ex.).
La communication
Le groupe national maladies du bois a réalisé une plaquette, éditée en 150 000 exemplaires et distribuée aux
professionnels. Cette plaquette décrit les trois principales maladies du bois de la vigne (Eutypiose, Esca, Black
Dead Arm) et les méthodes de lutte actuellement disponibles pour limiter leur progression dans le vignoble.
Conclusion
Le programme décrit ci-dessus est une première étape nécessaire à la compréhension de ces maladies. Les
informations apportées pourront non seulement permettre d’orienter les futures recherches sur la production
de plantes tolérantes/résistantes aux maladies de dépérissement mais surtout de proposer aux viticulteurs des
mesures thérapeutiques en particulier dans la production de matériel sain et de méthodes prophylactiques, préventives et curatives.
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