faut-il favoriser les profits pour favoriser l`investissement?

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faut-il favoriser les profits pour favoriser l`investissement?
FAUT-IL FAVORISER LES PROFITS POUR FAVORISER L'INVESTISSEMENT?
Intro : Entre 1975 et 1985 le chômage n'a cessé de s'aggraver en France. Or pendant toute cette période, on a pu constater une
diminution simultanée du taux de marge, c'est-à-dire de la part des profits dans la valeur ajoutée, et du taux d'investissement, c'est-àdire du rapport entre la formation brute de capital fixe et la valeur ajoutée. Le profit est ce qui reste de la valeur des ventes d'une
entreprise une fois payées les consommations intermédiaires, les salaires et les prélèvements obligatoires. L'investissement, ou
formation brute de capital fixe, correspond aux achats de biens de production durables. Le caractère simultané de la baisse des profits,
de celle des investissements, et de la baisse du chômage au cours des années 70 a inspiré à l'ex-chancelier allemand Helmut Schmidt
une phrase devenue célèbre: "les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain". Ce
raisonnement a inspiré des politiques économiques cherchant à favoriser les profits pour faire augmenter les investissements. Est-ce
efficace? Peut-on compter sur la hausse des profits pour améliorer l'investissement?
I. - L'investissement dépend de la comparaison du niveau des profits avec celui des taux d'intérêts
A) Le niveau des profits conditionne les possibilités de financement des décisions d'investissement
1. Les profits constituent tout d'abord, pour les entreprises, un moyen d'autofinancer leurs investissements, c'est-à-dire de les payer
sans obtenir une augmentation des capitaux placés chez elle par leurs propriétaires sous formes d'actions, et sans faire non plus
d'emprunts auprès des banques ou des acheteurs d'obligations sur les marchés financiers. Les entreprises choisissent souvent de ne pas
distribuer entièrement leurs profits sous forme de dividendes entre leurs propriétaires, afin de garder cette possibilité
d'autofinancement.
2. Le niveau des profits représente d'autre part un argument essentiel pour convaincre les propriétaires de capitaux de les placer dans
l'entreprise. D'une part, la valeur des dividendes, c'est-à-dire de la rémunération que peuvent attendre de futurs actionnaires, en
dépend. D'autre part, même si les prêteurs tels que les banques ou les acheteurs d'obligations sont assurés de toucher régulièrement
une somme fixe, quels que soient les profits, le niveau de ces derniers rassure sur la santé de l'entreprise, donc sur les chances d'être
remboursé en cas de prêt.
B) De ce point de vue, c'est la comparaison avec les taux d'intérêts qui est déterminante
1. L'importance de cette comparaison apparaît clairement en ce qui concerne les moyens de financement internes d'un investissement.
Les actionnaires possibles de l'entreprise, et l'entreprise elle-même si elle envisageait de s'autofinancer, préféreraient placer leurs
capitaux ailleurs dans le cas où les taux d'intérêts proposés aux épargnants par les banques, ou sur les marchés d'obligations,
dépasseraient le rapport entre les profits attendus et le coût de l'investissement prévu.
2. Mais la comparaison des profits avec les taux d'intérêts est tout aussi importante à propos des sources de financement externes. En
effet, une entreprise ne s'endettera pas auprès de partenaires extérieurs, qu'il s'agisse de banques ou d'acheteurs éventuels
d'obligations, si elle doit verser ensuite chaque année un montant d'intérêts supérieur aux profits qu'elle prévoir de tirer de
l'investissement envisagé.
II.- Cependant des profits trop élevés peuvent pénaliser la demande, qui joue un rôle au moins aussi
important dans la décision d'investir
A) Le rôle essentiel de la demande pour l'investissement a été souligné notamment par Keynes
1. La hausse des profits n'est pas sans conséquences sur d'autres variables économiques qui influencent la demande. En effet, la valeur
ajoutée par les entreprises se répartit entre les profits, les salaires versés, et les impôts prélevés par l'Etat. A niveau de production égal,
la hausse des profits ne peut se faire qu'au détriment des salariés et de l'Etat.
2. Or Keynes a souligné l'influence essentielle du niveau de la demande sur le niveau de production, donc d'investissement. Les
entreprises ne chercheront pas à produire davantage si elles ne pensent pas pouvoir vendre davantage. Et si elles ne cherchent pas à
produire davantage, elles n'ont généralement pas besoin d'investir au-delà du remplacement du matériel usé.
B) L'impact négatif d'une hausse des profits sur la demande risque donc de pénaliser l'investissement, ce
qui semble s'être produit à la fin du XX° siècle
1. Si les profits augmentent au détriment des salaires, ils pénalisent la consommation et par conséquent la demande anticipée par les
entreprises. Ces dernières ne seront donc pas incitées à investir. Et si l'Etat cherche à favoriser les profits par la baisse des
prélèvements obligatoires, cela risque d'être au détriment des investissements publics dans les infrastructures comme les routes, les
autoroutes ou les chemins de fer.
2. L'exemple des vingt dernières années du XX° siècle montre bien que le lien entre profits et investissements n'est pas systématique.
Alors que le taux de marge, c'est-à-dire le rapport entre les profits et la valeur ajoutée, est passé de 25% à 32% entre 1980 et 2000, le
taux d'investissement a peu varié et a même plutôt diminué sur l'ensemble de cette période, passant de 21% à 20% environ.
Concl : Lorsque le taux d'utilisation des équipements est élevé et que le taux de chômage est bas, autrement dit lorsque les facteurs
de production disponibles sont presqu'entièrement utilisés, il ne fait guère de doute que la hausse de l'investissement dépend
principalement des profits. Cependant en situation de sous-emploi, Keynes a montré que l'investissement dépend avant tout de la
demande. Dans ces conditions une hausse des profits peut nuire à l'investissement au lieu de le favoriser. Or n'est-ce pas avant tout
pour favoriser l'emploi, en situation de chômage, qu'on peut souhaiter favoriser l'investissement?