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Le vaisseau tumoral : une cible de choix... Vers les stratégies thérapeutiques de demain ! Par Christian GARBAY et Jean-Daniel BRION 26 mars 2012 Les visionnaires ne voient que tardivement la concrétisation de leurs hypothèses. Judah Folkmann n’échappe pas à la règle ; la publication princeps du jeune chirurgien en 19711 qui émettait l’hypothèse selon laquelle « la croissance tumorale est dépendante de l’angiogenèse », suscita critiques et scepticisme de la part de la communauté scientifique. Quarante ans après, le bien-fondé de sa théorie, qu’il défendit avec obstination, est maintenant clairement établi. Décédé en 2008, le scientifique a pu observer les extraordinaires retombées de son concept. L’angiogenèse L’angiogenèse ou formation de nouveaux vaisseaux à partir du réseau vasculaire normal est un processus physiologique, mais qui, dérégulé, favorise la croissance tumorale et la formation des métastases. Elle est aussi à l’origine de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), qui devient également un problème de santé publique, en raison de l’allongement de la durée de vie de la population. L’angiogenèse est un phénomène complexe, résultant de l’action de facteurs pro- et antiangiogéniques, activant des voies de signalisation en partie connues et conduisant finalement à l’activation ou à l’inhibition de la croissance des cellules endothéliales des vaisseaux. HIF et VEGF : les acteurs essentiels C’est l’hypoxie régnant au sein de la tumeur, associée à d’autres facteurs (baisse du pH, stress oxydant,…), qui favorise la formation d’un hétérodimère, constitué de HIF-1 et HIF-1 (Hypoxia Inducible Factors). L’hétérodimère joue le rôle de facteur de transcription et induit la transcription de gènes cibles dont ceux des Vascular Endothelial Growth Factors (VEGF). Au cours du développement tumoral, les VEGF sont essentiels à la formation des néovaisseaux. Au sein de cette famille de protéines comprenant les VEGFA à E, mais aussi les facteurs placentaires PlGF1 et 2, le VEGF-A (VEGF165) est l’acteur principal. Les effets biologiques « du » VEGF nécessitent sa fixation sur des récepteurs à activité tyrosine kinase (VEGF-R 1 à 3) ou sans activité kinase (neuropilines NRP1 et 2). VEGF-R3 est plus spécifiquement impliqué dans la lymphangiogenèse, tandis que les VEGF-R1 et -R2 sont impliqués dans les effets mitogènes, dans l’angiogenèse et dans la perméabilité vasculaire du VEGF ; les NRP amplifient les effets des VEGF-R. VEGF et ses récepteurs, cibles des anti-angiogéniques Le VEGF et ses récepteurs transmembranaires ont constitué très tôt des cibles de choix pour la conception de nouveaux agents thérapeutiques. La stratégie anti-VEGF Le premier médicament utilisé en clinique est le bévacizumab Avastin® (Roche), anticorps monoclonal humanisé recombinant dirigé vers le ligand VEGF-A en vue de neutraliser ses effets sur les différents récepteurs qu’il active. Il figure parmi les cinq antitumoraux les plus vendus dans le monde. Approuvé dès 2004 dans le traitement du cancer colorectal en combinaison avec le 5-FU, les indications du bévacizumab se sont étendues au traitement des 1 Folkmann M.J., Tumor angiogenesis : therapeutic implications, NEJM, 1971, 285, 1182-1186. 1 cancers du sein métastatique2 et du rein avancé, du cancer colo-rectal métastatique et du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC). Le ranibizumab Lucentis® (Novartis) est un anticorps humanisé, ne comportant que le fragment actif du bévacizumab. Ses indications thérapeutiques concernent la forme néovasculaire (humide) de la DMLA et le traitement de la baisse visuelle due à l'œdème maculaire diabétique. Son administration intravitréenne coûte trente fois plus que celle du bévacizumab, bien que possédant les mêmes effets sur la vascularisation oculaire. Ainsi, bon nombre d’ophtalmologistes utilise ce dernier dans cette indication, bien que non « validée » pour l’usage intra-oculaire. Très récemment, un autre moyen de piéger le VEGF circulant (VEGF-Trap) a été proposé à la clinique. L’aflibercept Zaltrap® (Sanofi) est une protéine soluble, qui fusionne à la fois le domaine extracellulaire 2 du VEGFR-1 et le domaine extracellulaire 3 du VEGFR-2, à la fraction Fc d’une immunoglobuline G1. Approuvé en novembre dernier par la FDA, dans le traitement de la forme néovasculaire de la DMLA, l’aflibercept fait l’objet d’études cliniques de phase III, en association avec une chimiothérapie, dans le traitement du cancer colorectal métastatique, du CBNPC et du cancer de la prostate métastatique. Les traitements par Aptamères, petits acides nucléiques de 30 à 80 bases, ont également été proposés. Le Pegaptanib (anti-VEGF165) a été retiré pour manque d’efficacité en cancérologie. La stratégie anti-récepteur du VEGF Cette stratégie s’appuie d’une part, sur un anticorps et d’autre part, sur des inhibiteurs de l’activité tyrosine-kinase du VEGF-R. Le ramucizumab est un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur VEGF-R2, testé en phase clinique III dans le traitement du cancer du sein, de l’adénocarcinome gastrique et du CBNPC. La liaison du VEGF sur ses récepteurs provoque leur dimérisation ; il s’ensuit une cascade d’activation (par phosphorylation) de protéines partenaires, à l’origine de la transcription de gènes cibles. C’est la transduction du signal, dont la dérégulation aboutit à la cancérogenèse. La première étape de la cascade correspond à l’auto-phosphorylation des tyrosines du domaine intracellulaire des récepteurs au VEGF. Les inhibiteurs entrent en compétition avec l’ATP ou se lient au domaine catalytique, bloquant ainsi la reconnaissance du substrat et empêchant la phosphorylation. Il s’en suit l’interruption des voies de signalisation. Le sunitinib Sutent® (Pfizer), inhibe l’activité de différents récepteurs (PDGF-R, VEGF-R, cKit, RET, CSF-1R ou Flt3). L’absence de spécificité des inhibiteurs du domaine kinase des récepteurs du VEGF, loin d’être un inconvénient, constitue plutôt un avantage. Le sunitinib est prescrit dans le traitement du cancer du rein avancé et/ou métastatique, des tumeurs stromales gastro-intestinales (après échec de l'imatinib Glivec®) ou dans celui des tumeurs neuroendocrines du pancréas, un des cancers de sombre pronostic. Le second inhibiteur du récepteur du VEGF actuellement commercialisé est le sorafénib Nexavar® (Bayer Santé), prescrit à des patients atteints de carcinome hépatocellulaire avancé (CHC). De nombreux autres inhibiteurs non spécifiques du site catalytique des VEGF-R comme le cédiranib (VEGF-Rs, PDGF-R et c-kit), le vatalanib (VEGF-Rs, PDGF-R) ou le vandétanib (VEGF-R2,3 et EGF-R) sont en cours d’études cliniques dans le traitement de divers cancers. La cellule endothéliale du vaisseau tumoral, cible des anti-vasculaires 2 À la suite d’études cliniques montrant un bilan bénéfices-risques défavorable, la FDA a très récemment restreint les indications d’Avastin®, en retirant leur agrément. 2 Les agents antivasculaires (VDA, Vascular-Disrupting Agents) représentent une nouvelle classe d’antitumoraux qui ciblent le vaisseau vasculaire déjà formé au sein de la tumeur. Les résultats des études précliniques et des essais cliniques en cours en font des médicaments prometteurs ; cependant, des effets cardiovasculaires potentiels, liés au mécanisme d’action de ces molécules, imposent une certaine prudence. L’effet antitumoral des VDA se fonde sur les différences structurales entre vascularisations normale et tumorale. Le réseau vasculaire tumoral est désorganisé et instable ; les vaisseaux tumoraux, fragiles et perméables, comportent peu de péricytes. L’ensemble concourt à des shunts artério-veineux et à la formation de lits vasculaires. L’action anti-vasculaire est imputable à deux mécanismes, le premier concerne la polymérisation des microtubules constituant le cytosquelette des cellules endothéliales, le second, la libération locale de cytokines inflammatoires (dont le Tumor Necrosis Factor ou TNF). Les anti-vasculaires provoquent une rupture de la couche endothéliale, avec extravasation, arrêt du flux sanguin intratumoral, hypoxie et nécrose de la tumeur. Cependant, à la périphérie, est observée une angiogenèse réactive favorisant, au contraire, la croissance tumorale. Le phosphate de N-acétylcolchinol (ZD 6126, ANG 453), analogue structural de la colchicine, relève du premier mécanisme ; cependant son développement clinique a été suspendu en raison d’une toxicité cardiaque importante. Les combrétastatines A4 et A1 (isolées de l’écorce de Combretum caffrum) et leurs analogues structuraux représentent une série chimique particulièrement travaillée. L’ombrabuline (AVE 8062) et la fosbrétabuline (CA4P) sont des prodrogues testées en phases cliniques I et II, dans divers types de cancers en combinaison chimiothérapique. D’autres molécules sont annoncées en phase clinique : plinabuline (NPI2358), crinobuline (EPC 2407), CKD-516 (prodrogue), BNC 105P, MN-029, … Le vadimézan (ASA 404 ou DMXAA), xanthone analogue d’une flavone, la mitoflaxone, est en phases cliniques II/III dans le traitement du CBNPC, du cancer de la prostate et du cancer du sein métastatique. Son effet antitumoral relève du second mécanisme d’action. La voie de signalisation Delta/Jagged-Notch La résistance clinique observée lors des traitements anti-VEGF a incité à rechercher, en vue de les inhiber, d’autres voies de signalisation conduisant à l’angiogenèse tumorale. Le ciblage de la voie de signalisation Delta/Jagged-Notch apparaît la plus prometteuse. En effet, si la voie Notch participe à la différenciation, à la prolifération cellulaires et à la survie cellulaire, son rôle dans l’angiogenèse embryonnaire ou tumorale est maintenant démontré. Les ligands DSL (delta-like (Dll1,3,4)et Jagged1 et 2) ont la particularité d’être fixés à la membrane cellulaire ; leur liaison au domaine extracellulaire du récepteur transmembranaire Notch d’une autre cellule favorise les interactions cellule-cellule et induit la réponse biologique. En effet, la liaison du ligand Dll à son récepteur Notch s’accompagne d’une activation protéolytique via une métalloprotéase, suivi par un clivage à l’aide du complexe sécrétase ; il en résulte la libération de la partie intracytoplasmique de Notch qui, en gagnant le noyau, y jouera le rôle de facteur de transcription. La voie Dll4-Notch joue le rôle de régulateur négatif de l’angiogenèse tumorale. Son blocage s’accompagne d’une angiogenèse exagérée se traduisant par plus de néo-vaisseaux mais non fonctionnels, sans flux sanguin directionnel, aboutissant donc à une réduction de la perfusion vasculaire et à l’hypoxie tumorale ; l’ensemble concourt à l’inhibition de la croissance de la tumeur. Le blocage de la voie Dll4-Notch est réalisé, en préclinique, par l’administration d’anticorps anti-Dll4 (anti-ligand) ou anti-Notch (anti-récepteur), et de protéines solubles qui fusionnent soit Dll-4, soit Notch à la fraction Fc d’une immunoglobuline G1, mais aussi par celle d’inhibiteurs de -sécrétase. L’intérêt des anticorps et des protéines de fusion réside dans leur 3 spécificité, leur permettant de préserver les voies de signalisation autres que Dll4, au contraire des inhibiteurs actuels de -sécrétase, non spécifiques et donc générateurs d’effets toxiques. Ceci justifie que les anticorps anti-Dll4 soient récemment entrés en phase clinique dans le traitement de diverses tumeurs solides. Conclusions Seuls les anti-angiogéniques ont fait la preuve de leur efficacité thérapeutique dans le traitement des tumeurs rebelles, même si cependant leurs effets restent parfois modestes ; la médiane de survie n’est prolongée souvent que de quelques mois. Le traitement antiangiogénique doit obligatoirement associer une chimiothérapie. En effet, contrairement au rationnel originel, le traitement anti-angiogénique « normalise » la vascularisation intratumorale, élimine les lits vasculaires et favorise la circulation ainsi que la pénétration des agents de chimiothérapie au sein de la tumeur et donc, leurs effets cytotoxiques. Les agents anti-vasculaires poursuivent leur développement clinique, avec une molécule en phase III. Les inhibiteurs de la voie Dll4-Notch sont en cours d’évaluation préclinique ; les études cliniques permettront de juger leur impact et surtout d’apprécier les effets indésirables potentiels. Normaliser, détruire ou déréguler la vascularisation tumorale sont donc les maîtres mots d’une nouvelle stratégie thérapeutique, qui suscite beaucoup d’espoirs. Les directions futures s’orientent également vers la recherche de biomarqueurs, afin d’optimiser les associations et de proposer un traitement « personnalisé » tenant compte du phénotype tumoral et des nouvelles cibles identifiées dans l’angiogenèse. Ainsi, quarante après, le concept émis par J. FOLKMANN est devenu réalité ! 4