ENTRETIENS MEDICAUX D`ENGHIEN 2016

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ENTRETIENS MEDICAUX D`ENGHIEN 2016
ENTRETIENS MEDICAUX D’ENGHIEN 2016
Défi Cancer 2016 – 15/10/2016
Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie
Intervention de Jean VILANOVA (extraits) – Juriste La Médicale
Monsieur le Maire, Monsieur le Député, Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de remercier les organisateurs des Entretiens Médicaux d’Enghien qui m’invitent depuis
maintenant plusieurs années à intervenir dans le cadre de cette belle manifestation.
Associé à des orateurs et des parterres toujours aussi prestigieux, je suis honoré de la confiance manifestée à mon égard et
mesure la responsabilité qui est mienne.
J’en viens maintenant à notre thème d’aujourd’hui.
J’écoute les propos des médecins et des chercheurs qui luttent contre le cancer. Je reste très attentif à leurs travaux.
J’admire la communauté unie de praticiens et de patients acharnée à combattre la maladie. Cette communauté suscite
l’espoir, elle connaît des échecs, elle remporte des victoires.
Elle finira par vaincre. Une telle concentration d’intelligence, de don de soi, de courage, de technologie au service du
meilleur ne peut que vaincre en effet.
Au moment où, à mon tour, j’interviens à ce pupitre, je ne puis m’empêcher de relever la singularité de ma position. Je dois
traiter de la fin de la vie et de la loi qui l’encadre… Rien de tel pour « plomber l’ambiance » jugeront certains d’entre vous !
Que les mêmes s’accordent à m’entendre. La fin de la vie, ce n’est pas que le cancer, loin s’en faut ! La fin de vie nous
concerne tous, patients et bien-portants, ces derniers étant, comme chacun sait, des patients qui s’ignorent.
Nos sociétés occidentales abordent avec complexité la question de la mort. Relayés par des médias complaisants, de
nombreux discours allant du téméraire au délirant le prouvent au quotidien.
Puisque la mort est le problème, rien de plus simple, supprimons la mort cette déprimante incommodité qui nous gâche la
vie depuis si longtemps !
Il suffisait juste d’y penser…
La défier et sans défaire, voilà un juste combat en effet pour ceux d’entre nous qui sont « contre » la mort, comme il en est
d’autres qui sont « contre » la nuit (ou le jour) ou « contre » la pluie (ou le beau temps).
Mon propos aujourd’hui se veut plus humble, moins épique.
Quel regard porter sur la personne dont la vie arrive à son terme ? Comment préserver la dignité de cette personne ?
Que peut et que prévoit la loi en la matière ?
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Auparavant, je souhaite revenir en quelques mots sur le cancer, cette maladie empreinte de fantasmagorie, cette maladie
qui engendre la peur, suscite des comportements irrationnels allant parfois jusqu’à une forme d’exclusion des malades !
Il est impératif de revenir sur ce qui est dû par l’ensemble de la société aux malades. Il n’est pas de lutte contre le cancer
sans un travail individuel et collectif quant au regard porté sur lui. Sortir de l’irrationnel, le considérer pour ce qu’il est : une
grave maladie certes, mais une maladie comme il en existe d’autres et dont l’on guérit de plus en plus souvent.
Une évolution en ce sens serait déjà une magnifique victoire. En quelque sorte, c’est toute la société qu’il faut soigner
contre le cancer.
Et de grâce, puissions-nous en finir une fois pour toutes avec l’irritante formulation si souvent servie de « longue et
douloureuse maladie », une formulation contribuant à faire du cancer quelque chose d’autre, on ne sait d’ailleurs pas trop
quoi mais qu’il faut évoquer avec crainte, presqu’en chuchotant.
Sommes-nous des enfants ? Appelons le cancer par son nom !
Il est temps maintenant pour moi d’entrer dans le vif du sujet et d’aborder la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux
droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Pourquoi une loi ? Et quelle gageure que cette loi !
Restons lucides. La loi ne peut rien régler, ou si peu d’une aussi délicate question.
Chacun fait, seul, l’expérience de la mort, la sienne comme celle de ses proches et rien ne se prête moins à codification.
Voilà pourquoi un cadre légal contraint, applicable à la collectivité semble anachronique.
Pourtant la loi existe et, paradoxe, sans doute faut-il s’en féliciter.
Je le dis devant mes étudiants, je le dis devant mes auditoires de soignants et je le dis aujourd’hui devant vous : cette loi est
sans doute une bonne loi et peut-être même une grande loi…
Voilà un propos qui tranche avec le propos généralement feutré du juriste dont le rôle est avant tout d’expliquer les textes,
de les commenter, de faire humblement œuvre de pédagogie.
Car ne sert pas le droit celui qui, péremptoire, réédite sa plaidoirie sur les marches du palais de justice devant les
caméras et ceux qui les tiennent en main, avides du bon mot…
Et ne le sert pas davantage, celui qui, effrontément, critique devant ces mêmes caméras, une décision de justice. Dans
notre démocratie, la critique d’une décision de justice se fait devant une cour d’appel.
Et pourtant ici, ni péremptoire, ni effronté, je le répète avant même de le démontrer, la loi créant de nouveaux droits en
faveur des malades en fin de vie est une bonne, voire une grande loi.
Il est vrai qu’elle a beaucoup pour plaire cette loi dans la mesure où… elle ne satisfait personne !
-
Ni les partisans de l’euthanasie et de la liberté absolue de décider de sa mort…
-
Ni leurs opposants pour qui la vie est sacrée et ne saurait en aucun se voir retirée.
Une loi donc non « clivante » si je reprends ce qualificatif à la mode à défaut d’être élégant.
Le législateur a en effet su se tenir sur un chemin étroit renvoyant à leur pesante querelle les militants de tous les bords. Et
je prétends que sur un sujet aussi sensible, on est en droit de considérer que notre pays est désormais doté d’un dispositif
respectueux de la personne dont la vie arrive à son terme.
Nous ne partons pas de rien il est vrai.
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Une première loi trop ignorée et à ce titre peu appliquée, la loi du 22 /04 /2205 relative aux droits des malades en fin de vie
avait consacré en son temps un droit à laisser mourir le patient par… « l’arrêt de traitements inutiles ou disproportionnés
n’ayant d’autre effet que le maintien artificiel de la vie. »
Une avancée décisive !
Les principales dispositions de la loi du 2 /02 /2016
Objectif : droit à une fin de vie digne
Dispositions et moyens
Refus des traitements – Lutte contre la douleur – Directives anticipées – Personne de confiance – Formation et information
Il importe de souligner l’importance du travail législatif. Plusieurs articles du code de santé publique se sont vus ainsi
modifiés, complétés, précisés.
Prenons l’exemple de l’article L. 1110-5 de ce code.
Dans son alinéa 1, il traite normalement des droits de chaque patient à recevoir « … les traitements et les soins les plus
appropriés et bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire
et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées… »
Le second alinéa ouvre au sujet d’aujourd’hui.
« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance.
Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »
Comment concevoir et définir la notion nouvelle et fondamentale de « droit à une fin de vie digne ? »
Le législateur en l’espèce n’a pas fait le choix toujours hasardeux de la subjectivité, quitte à contraindre la notion dans un
périmètre défini. Ainsi le droit à une fin de vie digne s’entend-il de deux manières possibles et seulement de ces deux
manières :
-
L’affirmation du refus des traitements.
-
La lutte contre la douleur.
Et tous les moyens dont disposent les professionnels de santé doivent être mobilisés afin d’atteindre ce but.
 Sur le refus des traitements
Foin des « négociations » antérieures, le médecin est désormais placé devant l’obligation de respecter la volonté de la
personne en fin de vie après l’avoir bien entendu informé des conséquences de son choix.
C’est bien le moins en effet.
Et le texte de préciser que… « Si, par sa volonté de refuser ou d’interrompre tout traitement, la personne met sa vie en
danger, elle doit réitérer sa décision dans un délai raisonnable. Elle peut faire appel à un autre membre du corps médical. »
Ceci est inscrit dans le dossier médical et le médecin dispense alors des soins palliatifs.
Chacun comprend l’importance de telles dispositions. C’est la décision du patient qui l’emporte et l’obligation jadis dévolue
au praticien de convaincre ce patient d’accepter les soins indispensables disparaît. Le médecin n’a plus le pouvoir de passer
outre la volonté du patient.
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Quelle révolution !
Conséquence logique, situation agrégée à ce qui vient d’être dit, le refus de l’obstination déraisonnable s’avère désormais
un droit régalien du patient. Et précisons un point qui a longtemps prêté à débat ou à polémique, les actes médicaux
d’obstination déraisonnable portent aussi sur l’alimentation et l’hydratation artificielle.
D’obstination déraisonnable, et /ou… « inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien
artificiel de la vie… » de tels actes peuvent être suspendus ou non entrepris conformément ici encore à la volonté du
patient. Si celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté, il y a application d’une procédure collégiale.
 Sur la lutte contre la douleur
La loi fixe un cadre ici encore précis ou chaque mot a un sens.
A la demande du patient, une fois encore afin d’éviter toute souffrance et refuser l’obstination déraisonnable, « une
sédation profonde et continue » provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès peut être entreprise
dans l’un ou l’autre des deux cas suivants :
-
L’affection grave et incurable avec engagement du pronostic vital à court terme dont souffre le patient présente
une souffrance réfractaire aux traitements.
-
Voulu par ledit patient, l’arrêt d’un traitement entraîne pour lui une souffrance insupportable.
Voilà ainsi les conditions du meilleur apaisement possible consacré par la loi.
Signalons que lorsque le patient n’est pas en état d’exprimer sa volonté, la sédation reste possible mais seulement au titre
de l’obstination déraisonnable. Sédation et arrêt du traitement relèvent alors d’une procédure collégiale.
Il n’est pas impossible ici que le législateur ait songé à la terrible affaire Vincent Lambert.
Vincent Lambert ressent-il une souffrance insupportable ?
Du point de vue de la biologie, Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. On ne sait rien de sa volonté. L’état pauci-relationnel
qui est le sien ne relève pas de la loi dont il est question aujourd’hui et échappe à la procédure de sédation jusqu’au décès.
J’ai parfaitement conscience de la sécheresse de ce propos, sécheresse qui ne reflète ne rien ce que je puis ressentir mais,
devant vous, c’est le juriste qui s’exprime, le juriste qui explique, commente et applique les lois.
L’affaire Vincent Lambert, ou les limites aux solutions humaines… L’affaire Vincent Lambert ou les limites à l’intelligence
humaine…
 Sur les directives anticipées maintenant…
Prévues dans le texte fondateur de 2005, elles sont reprises et clarifiées dans la loi précédente du 2 /02 /2016 et font
l’objet d’un décret et d’un arrêté, l’un et l’autre en date du 3 /08 /2016.
La loi, le décret et l’arrêté rendent ces directives anticipées aujourd’hui opérantes.
En amont de ces textes, la HAS avait d’ailleurs déjà mis à disposition sur son site internet des formulaires de directives
anticipées.
Deux versions de directives anticipées sont prévues selon la situation de la personne au moment où elle les rédige :
-
cette personne est atteinte d’une maladie grave ou se trouve en fin de vie ;
-
elle est ou pense être en bonne santé.
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Il s’agit de versions-type à usage facultatif, chacun demeurant libre, sur le fond comme sur la forme de l’expression écrite
de sa volonté.
On peut demander l’aide d’un médecin pour rédiger ces directives anticipées… Il est possible de les modifier à tout instant…
Il importe de les rendre aisément accessibles afin de permettre leur mise en œuvre…
Enfin, le médecin doit respecter ces directives sauf cas exceptionnels prévus par la loi :
-
une situation d’urgence vitale rendant nécessaire le temps d’une évaluation complète de la situation.
Appréciation médicale objective…
-
des directives manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. C’est là un espace de
fragilité dans la mesure où transparaît une zone de subjectivité (à partir de quel stade, une directive devient-elle
manifestement inappropriée ?...) qui nécessitera des procédures collégiales et, à n’en pas douter, engendrera
quelques douloureux conflits…
Pour autant, disons-le nettement ; hormis ces deux exceptions, les directives anticipées ont force de contraintes pour le
corps médical.
Il ne peut en être autrement et, au fond, cela est heureux dans la mesure où une directive marque l’expression de la
personnalité de celui qui les rédige.
Ici nulle ou si peu de contraintes. Chacun est libre d’exprimer ses craintes, ses peurs, ses convictions philosophiques ou
religieuses ; chacun est libre de dérouler, si je puis m’exprimer ainsi, les expériences de sa vie qu’il estime marquantes…
Toute personne majeure capable est apte à rédiger des directives anticipées.
Point remarquable, il en est de même du majeur sous tutelle avec l’autorisation du juge ou du conseil de famille mais libre
de toute intervention du tuteur !
Dommage dès lors, d’exclure de cette rédaction le mineur, en tout cas, le « pré-majeur » de 16 ans et plus alors que celui-ci
dispose déjà du droit d’être informé des maux dont il souffre et de leurs conséquences, du droit de refuser un traitement
ou de s’opposer à la levée du secret médical vers sa famille…
 Sur la personne de confiance
Par rapport à la loi du 22 /04 /2005, son rôle est clarifié et accru.
Non, on ne saurait cantonner la personne de confiance au simple rôle de « personne à prévenir ».
La loi de 2016 précise qu’elle est la personne à consulter au cas où le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté. Elle
devient la voix de ce patient dont elle rend compte de la volonté et son témoignage prévaut sur tout autre.
Désignée par écrit, cosignataire de cet écrit, la personne de confiance est un ami, un parent, un médecin…
Elle s’avère révocable à tout instant.
 Sur la formation et l’information
Je terminerai ce succinct tour d’horizon de la loi – il y aurait en effet tant et tant à en dire – par une dernière disposition
essentielle : la formation des soignants en matière de soins palliatifs et de « gestion » pardonnez ce mot d’une situation de
fin de vie.
Les soins palliatifs… J’entends de nombreux soignants manifestant devant moi leurs troubles, leurs difficultés à
appréhender ce domaine tant me disent-ils ils sont « programmés » à lutter pied à pied contre la maladie plutôt qu’à
rendre les armes et accompagner le patient dont la vie va s’achever.
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Il y a dans ce domaine un grand travail à accomplir.
Pourtant de grande qualité, si la loi fondatrice du 22 /04 /2005 n’a pas produit de pleins effets, c’est d’abord et avant tout
parce qu’elle est demeurée assez méconnue des soignants comme des patients et leur famille sous ses aspects soins
palliatifs et accompagnement.
Il faut maintenant expliquer et expliquer encore une loi nouvelle qui, tout en refusant un droit à la mort par euthanasie ou
suicide assisté, n’en vise pas moins à rechercher les conditions d’une fin de vie digne dans le respect de la volonté du
mourant.
C’est là le droit ultime et sans doute l’un des plus essentiels qui fonde notre statut d’être humain.
Je vous remercie.
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