Dossier pédagogique de l`exposition

Transcription

Dossier pédagogique de l`exposition
Dossier pédagog ique
de l’exposit ion
Exposition biographique présentée au CPA
du 11 octobre 2012 au 27 janvier 2013
Rescapé d’Auschwitz et grand témoin du XX e siècle, Primo Levi a souhaité
donner une portée universelle au savoir sur les camps, volonté qui a
déterminé son action et son engagement. Chimiste de formation, mais
également poète, romancier, nouvelliste, homme de radio et de télévision,
essayiste et lauréat de nombreux prix, il a su prendre partie sur des
questions cruciales de son temps.
Cette exposition fait connaître l’itinéraire d'un homme d’exception. Des
années d’apprentissage à la résistance, de la déportation à la libération,
l’exposition nous porte plus loin encore : l’après-guerre, la nécessité de
témoigner et de dire l’indicible, le succès de Si c’est un homme, le questionnement sur la mémoire…
L’exposition maintient ouvertes certaines questions, à la manière de Primo
Levi lui-même, et croise son parcours biographique avec les œuvres qu’il
nous a laissées.
CONTACT
CPA - Valence Agglo
Service de l’action éducative
Laurence VEZIRIAN
14 rue Louis Gallet - 26000 VALENCE
T 04 75 80 13 03
F 04 75 80 13 01
Courriel : [email protected]
© Fondation Auschwitz
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L’exposition
Conçue par Philippe Mesnard, directeur de programmes au Collège International de Philosophie à Paris et directeur
de la Fondation Auschwitz, elle a été élaborée pour s’adresser à tous. Elle fait connaître un des grands témoins du
XXe siècle, rescapé des camps de concentration, en croisant son parcours biographique et l’œuvre qu’il nous a laissée.
Elle propose un fonds iconographique et documentaire unique. Cette exposition ne donne pas à voir un ensemble
clos et résolu. Elle maintient ouverts des
questions et leurs débats tels que Levi
lui-même les a entretenus. Par sa dimension
pédagogique l’exposition s’inscrit dans le
prolongement du projet testimonial de Primo
Levi à travers huit thématiques :
La voie de la résistance
Une jeunesse dans l'Italie fasciste
Les années d'apprentissage
Dans la résistance
La déportation
Vers une destination inconnue
Auschwitz
Survivre
La libération
L’immédiat après-guerre
Le retour à la vie
La parole (les témoignages)
Les mémoires d'après-guerre
Si c’est un homme
Aux sources de Si c'est un homme
Si c'est un homme, 1947
Les conditions d'une réédition
Réédité par Einaudi, 1958
Reconnaissance publique
La Trêve
L'adaptation théâtrale de Si c'est un homme
Un homme aux multiples facettes
Chimiste dans l'âme
Le poète, l'écrivain
Le lecteur
L'homme public
Le témoin
Deux frères ennemis
Primo Levi et la montagne
Mémoire et pérennité de Primo Levi
3
3
Liens avec les programmes
PRIMAIRE : Cycle 3
SOCLE COMMUN - Culture humaniste : bénéficier de rencontres avec des expositions temporaires d'un lieu culturel
HISTOIRE - L’extermination des juifs par les nazis : un crime contre l’humanité
COLLÈGE : Troisième
HISTOIRE
Thème transversal : Les arts, témoins de l’histoire du monde contemporain
Guerres mondiales et régimes totalitaires : Dans les années 1930
La Seconde Guerre mondiale, une guerre d’anéantissement
FRANÇAIS - Romans et nouvelles du XXe siècle, porteurs d’un regard sur l’histoire et le monde contemporain
LYCÉE
HISTOIRE DES ARTS : Arts, mémoires, témoignages, engagements
Première S, ES, L
HISTOIRE - La Seconde Guerre mondiale
Le siècle des totalitarismes
Première technologique
HISTOIRE - Vivre et mourir en temps de guerre
Terminale
PHILOSOPHIE
La culture : Le langage / L’histoire
La morale
HISTOIRE DES ARTS - Le XXe siècle
ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL
CAP
FRANÇAIS - Se construire
HISTOIRE - Guerres et conflits, crimes contre l’humanité
Seconde Bac Pro
FRANÇAIS - Parcours de personnages
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Action éducative autour de l’exposition
Visite guidée de l’exposition
Médiation permettant de découvrir l’exposition : la voie de la résistance, la déportation, l’après-guerre,
l’ouvrage Si c’est un homme, la reconnaissance publique, les multiples facettes de Primo Levi, etc.
Le discours sera adapté au niveau des classes et à leurs pré-requis.
Public : Collège - Lycée / Durée : 1 h 30
Qui est Primo Levi ? - Atelier
En s’appuyant sur l’exposition et sur le support pédagogique fourni, les élèves reconstitueront le parcours
de Primo Levi, en découvrant les différentes facettes de son personnage et de son œuvre.
Public : Primaire (CM1 et CM2) - Collège (5e et 6e) / Durée : 1h
Engagement et jeunesse - Atelier
Retour sur l’engagement en résistance du jeune Primo Levi, épisode fondateur de sa personnalité et de
son œuvre. En rencontrant la jeunesse et en témoignant tout au long de sa vie, il a mis en pratique les
idées de résistance, de vigilance et de désobéissance. À partir de l’exposition et de textes de l’auteur, les
élèves partiront à la découverte de ses idées fondamentales.
Public : Collège / Durée : 1h
Mémoire et témoignage - Atelier
L’œuvre et l’engagement de Primo Levi permettent de réfléchir sur le rôle du témoin dans la transmission
et sur le poids de la mémoire. Quelles sont les motivations de l’auteur ? Quels outils utilise-t-il ? Quelles
différences entre histoire, mémoire et témoignage ? Des questions que pose Primo Levi et auxquelles
tente de répondre cet atelier.
Public : Lycée - Durée : 1h30
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Obéir, refuser d’obéir, désobéir : nuances ! - Atelier
La question de l’obéissance est un dilemme pour tous, et l’adolescence reste le moment où le futur
citoyen forge sa personnalité et se révolte contre les principes contraignants du « vivre ensemble ».
Poussée au plus loin, cette résistance naturelle de la jeunesse doit être consciente et justifiée. C’est
l’objet de cet atelier qui propose une réflexion à partir de deux situations dans lesquelles les élèves
devront prendre position et surtout débattre entre eux, à partir d’une documentation qu’ils utiliseront
pour argumenter leur opinion, leur obéissance, leur refus d’obéissance, leur désobéissance, avec toutes
les nuances que ces notions comportent.
Public : Collège uniquement
Durée : 1 h 30
5
5
Parcours thématiques
Dans le cadre de l’exposition présentée au CPA, nous vous proposons
plusieurs parcours thématiques, centrés sur l’œuvre et le personnage de
Primo Levi et complétés par les animations existantes et les rendez-vous prévus
tout au long de notre saison.
Dans le cadre de l’accompagnement individualisé (collège)
Parcours "Engagement et jeunesse"
• Visite guidée du parcours permanent axée sur le génocide des Arméniens *
• Visite guidée de l’exposition Primo Levi
• Atelier pédagogique sur Primo Levi
• La Semaine de la solidarité internationale : cette 15ème édition est consacrée à la jeunesse
et l’engagement (programme disponible dès la fin de septembre)
Dans le cadre de l’accompagnement personnalisé (lycée)
Parcours "Création artistique et histoire"
• Atelier réflexion Les génocides *
• Visite guidée de l’exposition Primo Levi
• Atelier pédagogique sur Primo Levi
• Lecture par Éric Cénat (plus d’infos en page 14)
• Visite libre de l’exposition Le ghetto de Theresienstadt (plus d’infos en page 14)
*Plus d’infos dans notre brochure de l’action éducative (disponible sur demande au 04 75 80 13 03 ou à télécharger
sur notre site www.patrimoinearmenien.org)
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Caricature de Primo Levi en rédacteur du journal scolaire de son lycée
par Giorgio Lattes
© Franco Fini, coll. Ian Thomson
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Les résistances de Primo Levi
La relecture de la vie de Primo Levi permet d’y retrouver, très tôt, des traces de résistance, qu’il décline jusqu’à sa mort sous différentes formes.
La première résistance
Alors que les premiers signes antisémites se font ressentir en Italie en 1938 et que la propagande fasciste
diffuse le modèle de la pureté de la race, Primo Levi, jusque-là peu concerné par l’identité et la religion
juives, s’affirme fier d’être impur. C’est à partir de là qu’il se tourne réellement vers le judaïsme, comme
un acte de contradiction face au fascisme, comme la démonstration par l’absurde de la stupidité du
fascisme.
L’engagement en résistance
En 1938-42, il s’engage de façon assez timide dans une attitude d’opposition déclarée au régime, qui
n’est plus à ce moment-là celui de Mussolini (effondrement en juillet 43), mais la république de Salo,
régime fantoche soutenu par les nazis et aligné sur leur politique. C’est le moment où Levi et d’autres
jeunes gens de sa génération s’engagent dans la Résistance. Il rejoint un groupe de partisans opérant
au Val d’Aoste, proche du mouvement Justice et Liberté. Il dit lui-même qu’ils étaient peu informés, non
épaulés matériellement. Les engagés dans le Piémont font figure d’amateurs, de naïfs et cela ne dure
pas longtemps. Le groupe tombe dans la première opération de ratissage organisée dans toute l'Italie.
Ils sont vite arrêtés.
À son arrestation par les miliciens italiens, il se déclare juif pour éviter le peloton d’exécution. Il est déporté, d’abord dans le camp d’internement de Fossoli, puis à Auschwitz, non pas en tant que partisan,
mais en tant que juif.
Rester un homme au camp
Il arrive à Auschwitz le 22 février 1944 et survit à onze mois de détention. Cet épisode va marquer sa vie
et sa mémoire et il va simultanément développer une capacité à analyser la gigantesque situation dans
laquelle il se trouve plongé.
Le système concentrationnaire avait pour but de casser toute possibilité de résistance. Un minuscule
potentiel de résistance était alors visible au moment des condamnations ; le condamné, en désobéissant,
avait permis aux autres de reprendre conscience de ce qu’était la dignité de l’être humain.
Au-delà de ces moments de spectacle nazi, la vie au Lager était régie par le même ordre : faire disparaître
l’homme, physiquement et mentalement. Primo Levi y oppose la seule résistance possible : […] c’est
justement, […], parce que le Lager est une monstrueuse machine à fabriquer des bêtes, que nous ne
devons pas devenir des bêtes ; puisque même ici il est possible de survivre, nous devons vouloir
survivre, pour raconter, pour témoigner ; et pour vivre, il est important de sauver au moins l’ossature,
la charpente, la forme de la civilisation.
Dès la première minute passée à Auschwitz, Primo Levi va tenter de comprendre son fonctionnement,
son moteur et ses rouages. Il va décrire tout cela, il va témoigner, mais finalement, il ne veut pas le
comprendre totalement car ce qui s’est passé à Auschwitz ne peut pas être compris et ne doit pas être
compris, dans la mesure où comprendre c’est justifier.
L’urgence de témoigner
Pourtant, pour les déportés, il est important et même vital, de pouvoir témoigner. Pour Primo Levi, le
besoin de raconter aux autres, de faire participer les autres avait acquis chez nous, avant comme après
la libération, la violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les besoins élémentaires.
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Le "devoir" de mémoire
Le refus des grandes maisons d’édition de publier Si c’est un homme au lendemain de la guerre, lui fait
brutalement prendre conscience que la mémoire concentrationnaire risque de sombrer dans l’oubli et
qu’il faut véritablement s’engager : débats, conférences, chroniques, émissions télévisées et radiophoniques, Primo Levi n’est pas un témoin qui s’économise, il sera très actif.
Dès 1978, il récuse les négationnistes tels que Faurisson, Darquier de Pellepoix qui nient le génocide, les
chambres à gaz. Il répond à Faurisson : Le noir est devenu blanc, le tordu est devenu droit, les morts ne
sont pas morts et il n’y a aucun assassin ; il n’y a plus de faute, au contraire il n’y en a jamais eu. Cela
n’est jamais arrivé. Il retrouve dans leurs affirmations cette inversion des valeurs qui l’avait déjà tellement
frappé au camp. Il reviendra sur cette idée en 1986 en parlant de ces jeunes historiens […] qui consacrent
des pages et des pages d’acrobaties polémiques pour démontrer que nous n’avons pas vu ce que nous
avons vu, pas vécu ce que nous avons vécu.
Les autres combats
Tout au long de sa vie, il va s’engager pour défendre les grands principes fondamentaux. En 1967, il
prend position en faveur de l'État d’Israël lors de la guerre des Six jours ce qui ne l'empêchera pas de le
critiquer durant la guerre du Liban, quelques années plus tard. Dans les années 1970, il dénonce la violence des « années de plomb » qui endeuille son pays. En 1973, il fulmine contre le film Portier de nuit
de Liliana Cavani, à ses yeux récupération pornographique de la mémoire des camps de concentration.
Il se bat contre toute forme de dérives dangereuses. Il s’emploie à lutter contre les préjugés, à réveiller
les consciences, à combattre les stéréotypes, la paresse morale et surtout à donner une leçon d’humilité.
Il considère qu’il doit continuer à témoigner car il lui semble deviner l’embryon de la violence nazie dans la
société contemporaine : il veut combattre la délinquance dans les villes, la solitude de l’homme et le
manque de solidarité. Il délivre sa parole auprès de sa jeunesse comme un investissement de garantie
dans le futur.
Jusqu’au bout, explique Philippe Mesnard, l’écrivain turinois aura eu cette exigence de comprendre
dont il sait pertinemment qu’elle ne peut se départir de la conscience de ce qu’il y a d’incompréhensible,
mais cet incompréhensible ne doit pas pour autant révoquer la nécessité de comprendre.
PAS
N’OUBLIEZ
QUE CELA FÛT.
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La zone grise : l’enjeu du témoin
Tout au long de sa vie, Primo Levi s’est interrogé sur son statut de passeur de
mémoire. En filigrane, à travers son oeuvre, il a réfléchi au rôle du témoin et à
sa pertinence.
Ses premiers écrits, directement impulsés par son expérience concentrationnaire, racontent des faits
vécus, décrivent des personnages, analysent les processus en place.
Peu à peu, à force de délivrer cette histoire et observer ses contemporains la recevoir, il va se questionner sur la légitimité de sa position. À partir de la fin des années 1970, il va tout remettre en cause, et s’atteler à la rédaction de l’ouvrage le plus subversif de son œuvre, Les naufragés et les rescapés. L’introduction du chapitre fondamental intitulé La zone grise résume à elle seule les préoccupations de Primo Levi,
quarante ans après Auschwitz.
Avons-nous été capables, nous qui sommes rentrés, de comprendre et de faire comprendre nos
expériences ? Ce que nous entendons communément par « comprendre » coïncide avec
« simplifier » ; sans une profonde simplification, le monde qui nous entoure serait un enchevêtrement infini et indéfini, qui défierait notre capacité de nous orienter et de décider de nos actions.
Bref, nous sommes obligés de réduire le connaissable à des schémas, et c’est à ce but que tendent
les merveilleux instruments que nous avons fabriqués au cours de l’évolution du genre humain et
qui lui sont spécifiques : le langage et la pensée conceptuelle.
Nous avons tendance à simplifier aussi l’histoire, mais le schéma selon lequel les faits s’organisent
n’est pas toujours identifiable de façon univoque, aussi peut-il arriver que des historiens différents
comprennent et construisent l’histoire de façons incompatibles entre elles ; cependant, pour des
raisons qui remontent peut-être à nos origines d’animaux sociaux, nous avons, tellement forte en
nous, l’exigence de partager le champ entre « nous » et « eux », que ce schéma, la bipartition
ami-ennemi, prévaut sur tous les autres. L’histoire populaire, comme celle qui est enseignée
traditionnellement dans les écoles, se ressent de cette tendance manichéenne qui répugne aux
demi-teintes et aux complexités : elle est portée à réduire le flot des évènements humains aux
conflits, et les conflits à des duels : nous et eux, Athéniens et Spartiates, Romains et Carthaginois.
[…]
Ce désir de simplification est justifié, ce que n’est pas toujours la simplification. C’est une hypothèse
de travail, utile tant qu’elle est reconnue comme telle et non prise pour la réalité ; la majeure
partie des phénomènes historiques et naturels n’est pas simple, en tout cas, pas de cette simplicité
qui nous plairait. Or, le réseau des rapports humains à l’intérieur des Lager n’était pas simple : il
n’était pas réductible aux deux blocs des victimes et des persécuteurs.
La simplification inévitable liée à la transmission historique provoque dans ces années-là des incompréhensions totales : la vision simpliste à outrance de la réalisatrice Liliana Cavani dans son film Portier de nuit ;
la perception du génocide, cantonnée à l’émotion, de la part des écoliers et des lycéens qu’il rencontre.
Il s’attèle donc à la relecture de son oeuvre et de cette histoire et forge la
notion de « zone grise ».
Sa réflexion débute par un questionnement sur la position du témoin des camps, celui qui est revenu,
celui qui n’est pas mort. Selon lui, seul le naufragé peut en parler ; les autres, les rescapés, n’ont pas la
vision globale du phénomène concentrationnaire, puisqu’ils ont survécu ; ils doivent leur survie à un infime privilège, à quelque chose ressemblant à de la compromission avec le tortionnaire. Il pose la question, à lui-même, à sa génération et à la jeunesse : ont-ils bien témoigné de la réalité ? L’acte de transmission ne lui a-t-il pas ôté une partie de sa complexité ?
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La « zone grise » aux contours mal définis, qui sépare et relie à la fois les deux camps des maîtres et des
esclaves […] possède une structure interne incroyablement compliquée, et accueille en elle ce qui suffit
pour confondre le besoin de juger. À ce moment-là, il ne veut pas faire croire non plus que la victime a
pactisé avec le bourreau, et le devient par là-même. L’oppresseur reste tel, et la victime aussi.
Pour étudier cette zona grigia, il analyse à nouveau le système nazi pour tenter de comprendre et d’expliquer qu’un grand nombre de prisonniers entre dans le cycle de la collaboration, de la participation à la
persécution de leurs camarades de captivité.
La « zone grise » désigne en tout premier lieu la zone d'ombre qui sépare les bourreaux des victimes dans
les camps nazis. Dans les conditions du Lager, Primo Levi a toujours insisté sur le fait qu’il n’y avait pas les
bons et les méchants. Cette analyse binaire ne convient pas selon lui à la réalité des camps. Il y a des
individus « intermédiaires » (ni noirs, ni blancs, mais gris), nombreux, prêts à certaines compromissions
pour se sauver. Selon lui, l’espace entre les bourreaux et leurs victimes n’est pas vide, il est constellé de
figures misérables ou pathétiques. Certaines présentent simultanément les deux aspects.
Il s’appuie plus particulièrement sur le cas des Sonderkommandos et celui de Chaïm Rumkowski.
À l’encontre des Sonderkommandos (1) comme à l’encontre de la plupart des personnes qui se sont
trouvées prises dans le système mis en place par les Allemands, Primo Levi fait preuve de mesure ; il
appelle à la circonspection à leur égard. Je le répète : je crois que personne n’est autorisé à les juger, ni
ceux qui ont connu l’expérience des Lager ni, encore moins, les autres. Face un personnage comme
Chaïm Rumkowski (2), Primo Levi affirme qu’il n’a rien de monstrueux. En Rumkowski, nous nous
regardons tous dans un miroir, son ambiguïté est la nôtre.
Cette remise en question totale de la parole de celui qui a vécu est fondamentale dans l’œuvre de
Primo Levi. Il a travaillé toute sa vie durant pour transmettre cette histoire, au-delà de la sienne propre.
Et il est profondément conscient de sa responsabilité dans la perception de la Shoah, du génocide, de la
victime et du bourreau.
Les générations à qui sont destinés ces récits s’en nourrissent pour se
représenter l’histoire.
Chaque mot pèse, renvoie à une image et il incombe au « conteur » de ne pas se tromper.
Primo Levi, à l’orée de sa vie, a pris conscience que ni le témoin, ni le « récepteur » ne sont fiables de
la même façon à chaque moment de leur maturité. Tâche énorme que de vouloir transmettre cette
histoire à tous.
(1) Unités de travail dans les camps d'extermination, composées de prisonniers, juifs dans leur très grande majorité, forcés à
participer au processus de la solution finale ; elles étaient périodiquement éliminées et remplacées ; les nouveaux venus ayant
pour première mission de brûler les corps de leurs prédécesseurs.
(2) Doyen du Judenrat (corps administratifs formés dans les ghettos juifs, sous l'ordre des autorités nazies) du ghetto de Lodz,
qui finit par se prendre pour roi de son petit royaume et collabora outrageusement avec les Allemands et qui fut liquidé, dès
son arrivée au Lager, par les membres du Sonderkommando dont il portait la responsabilité de la déportation.
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Le témoignage
Ingrid AUZIES, professeur de lettres et professeur relais
Si un témoignage c’est « déclarer quelque chose, l'assurer comme réel (notamment devant la justice),
pour en avoir été le témoin, l'observateur » 1, Si c’est un homme ou Les Naufragés et les rescapés de Primo Lévi, ne tiennent pas que du témoignage.
Bien sûr qu’existe l’urgence de la parole, la violente nécessité de se libérer comme l’explique Primo Lévi :
« Le besoin de raconter aux "autres", avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la
violence d’une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c’est pour
répondre à un tel besoin que j’ai écrit mon livre ; c’est avant tout en vue d’une libération intérieure. » 2
Nécessité commune à de nombreux rescapés puisqu’entre 1945 et 1947, Annette Wieviorka recense plus
d’une centaine de publications de témoignages 3. Le besoin aussi de combattre un cauchemar récurrent :
« À cette époque, au Lager, je faisais souvent un rêve : je rêvais que j’étais de retour, je rentrais dans ma
famille, je racontais et l’on ne m’écoutait pas. Celui qui est devant moi ne m’écoute pas, il se détourne et
s’en va. » 4, d’échapper enfin à cette question « Pourquoi la douleur de chaque jour se traduit-elle dans
nos rêves de manière aussi constante par la scène toujours répétée du récit fait et jamais écouté ? »
5
N’est-ce pas une façon d’éviter de douter soi-même de la réalité des faits ?
Témoigner est le signe de la survie, de sa propre survie mais aussi une façon de sauver les autres, de
« donner une voix aux cendres » afin de s’affirmer comme humain et de prendre le contre-pied du Lager.
La littérature concentrationnaire a la particularité de devoir ré-inventer une langue pour combattre et
dénoncer un système visant justement à détruire le langage, l’une des étapes de la déshumanisation.
Pour cela Primo Lévi adopte le point de vue du témoin, d’un spectateur : « (…) lorsque j’ai écrit ce livre,
j’ai délibérément recouru au langage sobre et posé du témoin plutôt qu’au pathétique de la victime ou de
la véhémence du vengeur : je pensais que mes paroles seraient d’autant plus crédibles qu’elles apparaîtraient plus objectives et dépassionnées (…)» 6. L’écriture de Primo Lévi est précise, concise, juste, claire,
son ton impassible montre au plus près comment un système absurde fait en sorte que des personnes
cessent d’être des personnes.
Enfin, ce récit ne se contente pas d’être un simple témoignage car la volonté de Primo Levi a été de
donner à penser et à réfléchir.
1.
2.
3.
4.
5.
Dictionnaire Larousse.
Primo Lévi, Si c’est un homme, Préface, éd. Pocket, p. 8.
Annette Wieviorka, Déportation et génocide, Entre la mémoire et l’oubli, nouvelle éd. Hachette coll. Pluriel.
F . Camon, Conversations avec P. Lévi, Gallimard, 1991, p. 50.
Primo Lévi, Si c’est un homme, op. cit. P. 90.
6. Primo Lévi, Si c’est un homme, op. cit. appendice 1, p. 278.
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Biographie / Bibliographie de Primo Levi
non exhaustive
Naît à Turin
Étudie à Turin
Obtient son doctorat de chimie
Travaille à Milan
Rejoint la résistance
Son groupe et lui sont capturés par les fascistes.
Passe un mois au camp de Carpi-Fossoli
Déporté à Auschwitz-Monowitz
Le camp d’Auschwitz est libéré par les Russes
Rentre à Turin 9 mois plus tard
Trouve un travail de technicien des couleurs
Se marie et a son premier enfant
Occupe un nouvel emploi de chimiste à la SIVA
Chroniqueur hebdomadaire à La Stampa
Soutient Israël pendant la guerre des Six jours
Polémique autour du film Portier de nuit
Part à la retraite
1919
1925
1937
1941
1941
1943
1943
1944
1945
1946
1947
1948
1958
1960
1987
Si c’est un homme chez Einaudi
1963
La trêve
1966
Si c’est un homme au théâtre / Histoires naturelles
1967
1973
1975
Le système périodique
1978
La clé à molette
1981
Appelle au cessez-le-feu d’Israël
Si c’est un homme chez Da Silva
1982
1986
La recherche des racines / Lilith
Maintenant ou jamais
Les naufragés et les rescapés / L’asymétrie de la vie
13
Meurt à Turin
1987
13
Nos rendez-vous ...
EXPOSITION
Le masque de la barbarie : le ghetto de Theresienstadt, 1941-1945
Présentée par le CPA en hors-les-murs à La Comédie de Valence
Poignante exposition retraçant l’histoire de ce ghetto-vitrine où créer était
permis et qui servit d’écran et d’antichambre aux camps d’extermination.
Exposition conçue par le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Lyon
Dates : Du 17 septembre au 29 novembre 2012
Lieu : La Comédie de Valence - Place Charles Huguenel à Valence
LECTURE
Primo Levi : paroles et textes
Par Éric Cénat
De la naissance de Primo Levi en 1919 à sa mort en 1987, cette lecture ébauche
une silhouette de l’homme et, par le choix des textes, suscite l’envie de le lire. Il
donne également à voir un auteur chez qui se conjuguent lucidité, honnêteté
intellectuelle et un constant bonheur d’écrire. Besoin - absolu - d’écrire qui naît
de l’expérience concentrationnaire, puis perdure, se diversifie, aborde tous les
genres : l’essai, le récit, le roman, le conte fantastique, le poème, etc.
Acteur, metteur en scène, enseignant, Éric Cénat a été formé au Conservatoire
d'Orléans par Jean Périmony et Jean-Claude Cotillard de 1982 à 1985. Il dirige le
Théâtre de l'Imprévu qu’il a fondé en 1986.
Date : Mercredi 14 novembre 2012 à 20h
Lieu: Théâtre de la Ville - Place de la Liberté à Valence
Tarif : Gratuit
Pour les groupes scolaires, merci de réserver au 04 75 80 13 03.
RENCONTRE - DEDICACE
Rencontre dédicace avec Philippe Mesnard
Autour de Primo Levi, le passage d’un témoin (Éditions Fayard)
Basée sur de nombreux documents inédits, cette biographie offre un éclairage
sur la vie sociale et familiale de ce juif piémontais, amoureux de la montagne
qui aurait aimé, lorsqu’il était étudiant, se consacrer entièrement à la chimie.
Elle met ainsi en lumière ce qui différencie des autres le témoignage de Primo
Levi sur les camps.
Professeur en littérature à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand,
Philippe Mesnard est aussi directeur de la Fondation Auschwitz de Bruxelles.
Date : Mercredi 16 janvier 2013 à 18h30
Lieu: Médiathèque publique et universitaire - Place Charles Huguenel à Valence
Tarif : Gratuit
Pour les groupes scolaires, merci de réserver au 04 75 80 13 03.
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... autour de l’exposition
THÉÂTRE
Papiers d’Arménie ou Sans retour possible
Texte de Caroline Safarian - Mise en scène par Juliette Delfau (Compagnie Via Nova)
Deux comédiens, Levent et Azad, se rencontrent dans un train. L’un est d’origine turque, l’autre
d’origine arménienne. Quelle perception ont-ils chacun du génocide arménien ? De quelle mémoire
ont-ils hérité ? Pourront-ils se rejoindre ? Une réflexion non dénuée d’humour sur les relations entre
Turcs et Arméniens et sur le difficile travail de mémoire.
Avec une poésie sombre, époustouflante Caroline Safarian nous offre des récits de massacres avec
une dignité métaphorique d’une force inouïe (...).
Papiers d’Arménie ou sans retour possible est une pièce dense, poétique, juste et sans haine où le
comique de situation s’efface pour donner plusieurs paroles (...).
Date : Jeudi 28 mars 2013 à 14h30
Lieu : Théâtre de la Ville - Place de la Liberté à Valence
Tarif : 2 € par élève (carte M’Ra acceptée)
Conditions
• Réservation obligatoire au 04 75 80 13 03
• Trois accompagnateurs par groupe
• Guide du jeune spectateur (sur demande)
L E CPA-V ALENCE A GGLO
Établissement précurseur en Europe, le Centre du Patrimoine Arménien (CPA) s’inscrit dans le réseau
des lieux consacrés à l’histoire de l’immigration. Il retrace le parcours des Valentinois d’origine
arménienne depuis le génocide et l’exil jusqu’à l’installation en pays d’accueil. En s’appuyant sur cet
exemple, le Centre explore au fil des saisons les questions relatives aux génocides, aux diasporas, à
l’exil, aux réfugiés, à l’intégration ou la diversité culturelle, etc.
Il est un lieu de mémoire, où l’on part à la recherche de ses racines ; un lieu de pédagogie ; un lieu de
débats, de rencontres, aux prises avec l’actualité.
Le service de l’action éducative
Il met à la disposition des équipes enseignantes des dossiers thématiques : génocides, diasporas,
migrations, intégration, nationalité, etc. Ces dossiers comprennent des documents iconographiques, des
cartes et chronologies, un glossaire. Ils sont complétés par un questionnaire, si l’équipe éducative
souhaite que les élèves disposent d’un support.
Le service est coordonné par un professeur relais missionné par le rectorat de l’Académie de Grenoble,
Ingrid Auziès.
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Contact
Service de l’action éducative - Laurence V EZIRIAN
Centre du Patrimoine Arménien - 14 rue Louis Gallet - 26000 Valence
téléphone : 04 75 80 13 00 / télécopie : 04 75 80 13 01
courriel : [email protected]
site : www.patrimoinearmenien.org
Horaires publics de l’exposition
Ouvert du mardi au dimanche
jusqu’au 30 septembre, de 14 h 30 à 18 h 30
à partir du 1 er octobre, de 14 h à 17 h 30
Fermé les jours fériés et du 24 décembre 2012 au 6 janvier 2013 inclus
Groupes scolaires / Centres de loisirs
Les groupes sont accueillis sur réservation du lundi au vendredi de 9 h à 18 h.
Autres demandes : nous consulter
Tarifs groupes scolaires
• Visites libres et guidées : gratuites
• Ateliers : 2,30 € par élève / 1,50 € pour les élèves des établissements de Valence Agglo
Modes de paiement acceptés : cartes Top Départ, M’Ra, espèces, chèques et virements
Pour le bon déroulement de votre visite
• Les enseignants sont responsables de leur groupe et assurent un encadrement actif. Le nombre d’accompagnateurs sera
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adapté à l’effectif, au minimum un adulte pour quinze élèves.
Nous vous demandons de bien vouloir respecter les horaires des activités et de prévenir le Centre en cas de retard sur votre trajet.
Les groupes doivent être constitués d'une quinzaine d'élèves maximum. Les classes sont donc séparées en deux groupes
lors de l'accueil.
Pour le confort des élèves, il est conseillé de laisser sacs et vestiaires dans le car.
Si vous choisissez d’utiliser les questionnaires fournis par le Centre, les élèves devront se munir d’un stylo (tablette fournie
par le Centre).
Accès
Train : Le CPA est à 10 mn à pied de la gare Sncf de
Valence ville. Navettes régulières entre les gares Valence TGV Sud et Valence ville
Bus et voitures : Nombreuses possibilités de parking
à proximité du centre ville piéton (Bel Image, Préfecture, Parc des expositions, centre Hugo )
Le CPA est un équipement Valence Agglo Sud Rhône-Alpes - Direction de la Culture et des Sports