SEQUENCE 3 : La ville en poésie

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SEQUENCE 3 : La ville en poésie
►SEQUENCE 3 : La ville en poésie
Objet d’étude : La Poésie
Problématique : Comment évolue la vision de la ville dans la poésie du
XIXème et du XXème siècles ?
Lectures Analytiques :
1. « Le soleil » dans les « Tableaux Parisiens », Les Fleurs du Mal (1857), Baudelaire
2. « Le port » Baudelaire, Le Spleen de Paris (posthume : 1869)
3. « Le soleil sur la ville », La Balle au bond, Reverdy (1928)
4. « Dans le silence de la ville », Le fou d’Elsa, Aragon (1963)
Lectures Complémentaires
 Documents iconographiques
A. Claude Monet, la pie, 1868
B. Monet, impression soleil levant, 1872
C. Pablo Picasso, Réservoir à Horta, 1909.
D. La victoire, Magritte 1939

Evolution de la forme poétique
E. Aragon, « Du sonnet », étude parue dans l’hebdomadaire Les Lettres françaises (1954)
F. Extrait du « Petit traité sur le Sonnet », Théodore de Banville
G. Ronsard, Sonnets pour Hélène, II, 24 (1578)
H. lettre de Baudelaire à A. Houssaye
I. « encore un printemps » de Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit
Autres activités :
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Séquence 3 : La ville en poésie
Lectures analytiques : 1. « le soleil », Baudelaire
2. « le port », Baudelaire
Le soleil
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Éveille dans les champs les vers comme les roses;
Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir !
Quand, ainsi qu'un poëte, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
« Tableaux Parisiens », Les Fleurs du Mal, 1857, Baudelaire
A. Claude Monet, la pie, 1868
B. Monet, impression soleil levant, 1872
XLI
LE PORT
Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L’ampleur du ciel, l’architecture
mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme
merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement
compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l’âme le goût du
rhythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n’a
plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces
mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir
de voyager ou de s’enrichir.
Baudelaire, Le Spleen de Paris (posthume : 1869)
Séquence 3 : La ville en poésie
Lectures analytiques : 3. « le soleil sur la ville », Reverdy
4. « dans le silence de la ville », Aragon
LE SOLEIL SUR LA VILLE
Dans la nacre de cette coquille où se couche le soleil,
trop lourd en veillissant, la teinte des moissons, perdue sur les
carrés divisés des collines, se courbe et s’atténue jusqu’aux
moulures de l’horizon.
Il y a le mirage de la barque aux abords de l’écluse où
s’engouffre le sang bleu de la plaine. Le pont de fer où passe en
bondissant cette âme en peine.
Sur le grand fleuve, les rides et les signes, d’un bout à
l’autre de la berge, se croisent jusqu’aux premières maisons de
la ville, plus basses, plus simples que les huttes de la clairière.
Elles ont des toits glissants, des dos de bêtes et, par
endroits, cette marque connue des visages que l’on ne voit
qu’une fois en passant.
Alors les clartés naissent aux vitres et presque à la
même heure.
De la portière on sent, comme ailleurs la fraîcheur,
l’approche des faubourgs.
Et ce sont des enfants tristes qui regardent.
La nuit.
Le train chargé.
On ne sait plus quelles sont les compagnies qui passent.
Le tour de cette ville est pourtant déjà fait.
Mais ce sont des milliers d’hommes qui se cachent.
Qui ne bougent pas.
Pendant des années, les mêmes hommes, les mêmes lampes.
Et les mêmes regards.
Et puis, tout à coup, le monde change, si quelqu’un part.
C. Pablo Picasso, Réservoir à Horta, 1909.
Reverdy, La Balle au bond (1928)
DANS LE SILENCE DE LA VILLE...
Derrière les murs dans la rue
Que se passe-t-il quel vacarme
Quels travaux quels cris quelles larmes
Ou rien la vie un linge écru
Sèche au jardin sur une corde
C'est le soir cela sent le thym
Un bruit de charette s'éteint
Une guitare au loin s'accorde
Il fait jour longtemps dans la nuit
Un zeste de lune un nuage
Que l'arbre salue au passage
Et le cœur n'entend plus que lui
Ne bouge pas c'est si fragile
Si précaire si hasardeux
Cet instant d'ombre pour nous deux
Dans le silence de la ville
Le Fou d' Elsa, Aragon (1963)
D. La victoire, Magritte 1939
Séquence 3 : La ville en poésie
Lectures complémentaires : H. lettre de Baudelaire à A. Houssaye
I. «dans le silence de la ville», Aragon
Cette lettre sert de préface du recueil de Baudelaire Le Spleen de Paris : en effet, cet ensemble de poèmes en prose ne
sera publié qu’après la mort du poète, c’est pourquoi il n’a pas pu écrire de préface.
À Arsène Houssaye
26 août 1862
Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu'il n'a
ni queue ni tête, puisque tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement.
Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi
et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie vous le manuscrit, le lecteur sa
lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d'une intrigue superflue.
Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la
en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l'espérance que quelques-uns
de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j'ose vous dédier le serpent tout
entier.
J'ai une petite confession à vous faire. C'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le
fameux Gaspard de la Nuit, d'Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de nos
amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l'idée m'est venue de tenter quelque chose
d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite,
le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.
Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique,
musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques
de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?
C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables
rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n'avez-vous pas tenté de traduire en une
chanson le cri strident du Vitrier, et d'exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que
ce cri envoie jusqu'aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue ?
Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m'ait pas porté bonheur. Sitôt que J'eus
commencé le travail, je m'aperçus que non seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant
modèle, mais encore que je faisais quelque chose (si cela peut s'appeler quelque chose) de singulièrement
différent, accident dont tout autre que moi s'enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu'humilier
profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poète d'accomplir juste ce qu'il a
projeté de faire.
Votre bien affectionné, C.B.
ENCORE UN PRINTEMPS.
Encore un printemps, — encore une goutte de rosée qui se bercera un moment dans mon calice
amer, et qui s'en échappera comme une larme.
O ma jeunesse! tes joies ont été glacées par les baisers du temps, mais tes douleurs ont survécu
au temps qu'elles ont étouffé sur leur sein.
Et vous qui avez parfilé la soie de ma vie, ô femmes! s'il y a eu dans mon roman d'amour
quelqu'un de trompeur, ce n'est pas moi, quelqu'un de trompé, ce n'est pas vous!
O printemps! petit oiseau de passage, notre hôte d'une saison qui chante mélancoliquement dans
le cœur du poète et dans la ramée du chêne!
Encore un printemps, — encore un rayon du soleil de mai au front du jeune poète, parmi le
monde, au front du vieux chêne, parmi les bois!
Paris, 11 Mai 1836.
Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit
Séquence 3 : La ville en poésie
Lectures complémentaires : E. « petit traité sur le sonnet »
F. « du sonnet », Aragon
G. « Quand vous serez… » Ronsard
Document E :
A propos du Sonnet, méditer avec grand soin les observations suivantes :
1° La forme du Sonnet est magnifique, prodigieusement belle - et cependant infirme en quelque sorte ; car les tercets, qui
à eux forment six vers, étant d'une part physiquement plus courts que les quatrains, qui à eux deux forment huit vers -, et
d'autre part semblant infiniment plus courts que les quatrains - à cause de ce qu'il y a d'allègre et de rapide dans le tercet et
de pompeux et de lent dans le quatrain; - le Sonnet ressemble à une figure dont le buste serait trop long et les jambes trop
grêles et trop courtes. Je dis ressemble, et je vais au-delà de ma pensée. Il faut dire que le Sonnet ressemblerait à une telle
figure, si l'artifice du poète n'y mettait bon ordre.
L'artifice doit donc consister à grandir les tercets, à leur donner de la pompe, de l'ampleur, de la force et de la
magnificence. Mais ici il s'agit d'exécuter ce grandissement sans rien ôter aux tercets de leur légèreté et leur rapidité
essentielles.
2° Le dernier vers du Sonnet doit contenir un trait - exquis, ou surprenant, ou excitant l'admiration par sa justesse et par sa
force.
Lamartine disait qu'il doit suffire de lire le dernier vers d'un Sonnet ; car, ajoutait-il, un Sonnet n'existe pas si la pensée
n'en est pas violemment et ingénieusement résumée dans le dernier vers.
Le poète des Harmonies partait d'une prémisse très juste, mais il en tirait une conclusion absolument fausse.
OUI, le dernier vers du Sonnet doit contenir la pensée du Sonnet tout entière. - NON, il n'est pas vrai qu'à cause de cela il
soit superflu de lire les treize premiers vers du Sonnet. Car dans toute oeuvre d'art, ce qui intéresse, c'est l'adresse de
l'ouvrier, et il on ne peut plus intéressant de voir :
Comment il a développé d'abord la pensée qu'il devait résumer ensuite,
Et comment il a amené ce trait extraordinaire du quatorzième vers - qui cesserait d'être extraordinaire s'il avait poussé
comme un champignon.[…]
Extrait du « Petit traité sur le Sonnet », Théodore de Banville
Document F :
Les rimes dans les quatrains sont comme les murs du
poème, l'écho qui parle à l'écho deux fois se réfléchit et
on n'en croirait pas sortir, la même sonorité embrasse
par deux fois les quatrains, de telle sorte que le
quatrième et le cinquième vers sont liés d'une même
rime, qui rend indivisibles ces deux équilibres. La
précision de la pensée ici doit justifier les rimes
choisies, leur donner leur caractère de nécessité.
De cette pensée musicalement prisonnière on s'évadera,
dans les tercets, en renonçant à ce jeu pour des rimes
nouvelles : et c'est ici la beauté sévère des deux vers
rimant qui se suivent immédiatement, pour laisser le
troisième sur sa rime impaire demeurée en l'air, sans
réponse jusqu'à la fin du sonnet, comme une musique
errante.
Car le tercet, au contraire du quatrain fermé, verrouillé
dans ses rimes, semble rester ouvert, amorçant le rêve.
Et lui répond, semblable, le second tercet. C'est ainsi,
au corset étroit des quatrains dont la rime est au départ
donnée, que s'oppose cette évasion de l'esprit, cette
liberté raisonnable du rêve, des tercets.
Aragon, « Du sonnet », étude parue dans l’hebdomadaire Les
Lettres françaises (1954)
Document G :
Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle. »
Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
Je serai sous la terre et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.
Ronsard, Sonnets pour Hélène, II, 24 (1578)

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