La politique suisse des bons offices du Peace building

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La politique suisse des bons offices du Peace building
La politique suisse des bons offices du Peace building : Le cas du règlement du conflit algérien Rémi Baudouï Université de Genève La fabrique de la paix : acteurs, processus, mémoire CRISE, Université Paul Valery Montpellier, 2-­‐4 octobre 2013 Introduction La fabrique de la paix résulte rarement de la seule volonté des belligérants. Elle est le plus souvent le produit de négociations ardues qui défient les lois de la diplomatie conventionnelle des instances onusiennes. La multiplicité du vocabulaire traduit bien le processus complexe et itératif de la construction de la paix. A l’opposé d’une «diplomatie de l’immobilisme », concept inventé par William Quandt membre du Conseil national de sécurité de Richard Nixon et de Jimmy Carter, pour qualifier l’échec de la diplomatie américaine entre 1970 et 1973, s’oppose nombre de concepts des processus de l’action diplomatique : la « diplomatie des petits pas », la « diplomatie de la navette » inventé par Henry Kissinger1, la « diplomatie secrète », la « diplomatie confidentielle » ou encore la « diplomatie informelle » (Track Two Diplomacy). Chacun de ces mots définit un processus particulier de la diplomatie dans laquelle les nuances s’offrent comme autant de modes possibles de réponses adaptées à la situation pour trouver les chemins de la paix. L’expression de politique suisse des bons offices est générique. Elle recouvre aussi bien l’organisation de conférences internationales dans l’esprit des conventions de Genève de 1864, l’accueil sur son sol d’organisations internationales de la gouvernance mondiale, la représentation d’intérêts étrangers auprès d’autres pays – domaine de grande efficacité helvétique – procédures d’arbitrages entre pays et enfin la médiation entre pays pour prévenir par la voie diplomatique tout risque de conflit ou pour garantir 1 Antoine Coppolani, « Henry Kissinger et les négociations sur le Proche-­‐Orient : de la diplomatie de l’immobilisme à la diplomatie de la navette », Relations internationales, 2008, n° 135, pp.73-­‐
79. 1 le retour à la paix. C’est dans ce dernier cas que nous nous situons en rappelant toutefois que les « événements d’Algérie » définissent juridiquement un conflit infra-­‐étatique, même si par ailleurs les ingérences de l’Egypte nassérienne et les enjeux Est-­‐Ouest leur confèrent une dimension géopolitique internationale. L’objet de notre intervention est d’explorer cette méthode spécifique de fabrication de la paix. Ce qui est aujourd’hui décrit par les autorités suisses comme un bon « modèle » de diplomatie de la paix est ancien. Il tire ses origines du XIXe siècle dans le règlement des conflits inter-­‐cantonaux et de la défense de ses intérêts de petite puissance face aux risques de débordement sur son sol, des conflits entre grandes puissances voisines. Il naît officiellement en 1872 par l’arbitrage de l’Alabama, arbitrage initial à Genève de l’ancien conseiller fédéral Jacob Stämpfli dans le différent opposant la Grande-­‐Bretagne et les Etats-­‐Unis sur la livraison par le Gouvernement de Sa Majesté d’une vingtaine de navires armés -­‐ dont la corvette Alabama -­‐ au camp sudiste. Pour la seule période 1890-­‐
1903, la Confédération Suisse est impliquée à l’international dans pas moins de quatorze procédures d’arbitrage. Au-­‐delà des deux guerres mondiales, de sa participation à la SDN, de ses réticences à faire partie de l’ONU, la Suisse fut confortée, face à la complexité des relations internationales et la perception de ses limites d’action, au sentiment d’être un îlot ne pouvant vivre que dans l’affirmation d’une neutralité absolue. Cette dernière la protègerait de toute pression extérieure (Sonderfall Schweiz). La Suisse peut dès lors initier une diplomatie de bons offices au service de la paix mondiale. Notre interrogation se focalise sur l’exemple demeuré dans la mémoire collective comme un des succès majeurs de la diplomatie suisse de la seconde moitié du XXe siècle, la signature des accords d’Évian mettant fin à la «guerre d’Algérie»2. De telle sorte qu’il nous sera possible de répondre aux questions suivantes : Comment se construit concrètement la diplomatie des bons offices ? Quels en sont les facteurs déterminants ? Quels types d’acteurs mobilise-­‐t-­‐elle en premier lieu ? Comment peut-­‐on réunir les belligérants autour de la table de négociation ? Quels sont les processus de négociation de la paix ? Comment se définit l’espace de concessions nécessaires à la négociation par « petits pas » ? Quels sont les acteurs institutionnels requis et à quels moments et dans quels contextes peuvent-­‐ils intervenir ? Quels sont les écueils à éviter ? Et comment ont-­‐
ils été évités ? Quelles sont les bénéfices à court et moyen terme que ce mode de « fabrique de la paix » eu pour la Suisse sur le plan de ses relations avec les protagonistes de conflits armés ? 1. La politique de bons offices : un modèle institutionnalisé des relations internationales Nous voulons rentre compte des caractères structurels de la politique des bons offices pour en définir les contours institutionnels et pratiques. De telle sorte qu’il puisse être possible de caractériser la spécificité du traitement de la paix entre la France et ses anciens départements algériens. Cent quarante et une années se sont écoulées depuis l’arbitrage de l’Alabama. En un laps de temps aussi long, la politique des bons offices s’est progressivement construite au point devenir une référence obligée de la politique 2 Damien Carron, La Suisse dans la guerre d’indépendance algérienne,1954-­‐1962, Lausanne, Antipodes, 2013, 496 p. 2 suisse. La politique des bons offices ne relève pas de prime abord de quelque considération universaliste de la paix, ni de quelque philanthropie politique que ce soit. Née à la fin du grand siècle de construction des États-­‐nations et des poussées nationalistes et expansionnistes des nouvelles puissances impériales, elle relève de ce que l’on pourrait appeler d’une démarche réaliste : soit la prise de conscience depuis la fin de la période expansionniste des premiers cantons confédérés au XVe siècle de la fragilité d’une Confédération sous la menace des puissances limitrophes. Dès la guerre de Trente Ans, la Suisse a affiché la nécessité de sa neutralité pour préserver ses frontières. L’effondrement de l’Empire napoléon lui offre l’opportunité lors du traité de Paris du 20 novembre 1815 de définir auprès des grandes puissances négociatrices et sur le modèle kantien3 sa neutralité perpétuelle en échange de sa non-­‐agression. C’est à ce titre que l’on peut parler d’une diplomatie suisse de la paix qui témoigne au demeurant que neutralité et paix demeurent liées dans la protection de l’intégrité collective et nationale de la Suisse. La relation entre ces deux termes, permet de parler de « modèle suisse » de la politique des bons offices dans la mesure où la paix ne peut se décrire comme un absolu, mais comme relevant d’une logique de pensée spécifique au cas national. Il ne soutient donc pas facilement de facto la comparaison avec d’autres politiques de bons offices de la paix, telle par exemple celle du Saint-­‐Siège4. Les déterminants du substrat de règles plus implicites qu’explicites ne sont pas de même nature en raison même des enjeux et buts stratégiques différents. L’institutionnalisation du modèle suisse de la politique des bons offices relève en interne de la constitution d’une diplomatie de la paix fondée sur quelques principes restés intangibles jusqu’à la fin de la guerre froide : affirmation de la neutralité comme fer de lance de l’identité suisse, refus d’ingérence dans les affaires d’autrui, recherche de l’accord de toutes les parties pour penser la paix… La paix en tant qu’objectif résulte d’un cheminement, d’une diplomatie de négociations de « pas à pas » destinées à l’arrimer à une logique de concessions des deux parties, qui, mutualisées progressivement, débouchent de manière logique sur un accord de paix. C’est pourquoi le modèle suisse de la politique des bons offices se décrit comme la « diplomatie du compromis »5, reflet absolu du modèle de la démocratie directe. Inscrite dans une logique d’opportunités, la diplomatie helvétique se définit aussi comme particulièrement pragmatique puisqu’elle n’a d’autre finalité que la paix en elle-­‐même pour le plus grand « bonheur suisse ». L’impératif absolu de la paix justifie l’internationalisation de la paix selon le modèle kantien. Progressivement avec la fin des guerres européennes et la guerre froide, la 3 Rappelons que la réflexion d’Emmanuel Kant sur le projet de paix perpétuelle est concomitante de la négociation par le chancelier suisse Pierre Ochs de la paix de Bâle de 1795 mettant fin au conflit entre d’une part la Prusse et l’Espagne et d’autre part la France. 4 Voir à ce sujet, Jean-­‐Marc Ticchi, Aux frontières de la paix. Bons offices, médiations et arbitrages du Saint-­‐Siège, 1878-­‐1922, Rome, Ecole française de Rome, 2002, 484 p. 5 Voir comme exemple, Landry Charrier, « A la recherche d’une paix de compromis : Kessler, Haguenin et la diplomatie officieuse de l’hiver 1916-­‐1917 », [email protected], culture, société, n°11, mai-­‐août 2010, pp.1-­‐14. 3 géopolitique de la paix suisse dépasse le cadre de ses frontières nationales pour devenir globale. Nulle discrimination n’est faite entre grands et petits conflits entre conflits proches et conflits lointains. Tout type de conflit peut être à l’échelle de ses responsabilités. Dans les négociations de paix, la place de la Suisse dépend moins d’elle-­‐même que de celle que lui concèdent les belligérants. Son niveau d’investissement peut être seulement d’ordre logistique -­‐ permettre aux discussions de se tenir -­‐ ou au contraire l’engager plus fortement en tant que leader de la négociation dans la recherche du compromis. Elle justifie la constitution d’une culture de la paix dans le corps diplomatique fort différente de la culture du rapport de force des corps diplomatiques des grandes puissances. En aucune manière, elle ne peut se prévaloir de la force pour faire triompher ses idéaux de paix et de justice. Elle construit une forme de dialogue fondée sur le principe de l’argument ad hominen, pour faciliter chez les belligérants la mise en conformité de la parole et des actes, nécessaire à la définition de plates-­‐formes communes de discussion. D’autres caractères spécifiques sont à interroger pour comprendre le succès de la gestion de la crise algérienne. Ceux nous apparaissent importants sont d’une part la place tenue par des acteurs privés au début du processus en vue de la création d’une dynamique de quête de paix et d’autre part la continuité des débats du privé vers le public dans le passage de la diplomatie officieuse à la diplomatie institutionnalisée. L’initiative d’engager de pourparlers de paix n’étant le plus souvent pas du ressort de la Suisse, les belligérants doivent, dans un premier temps, s’efforcer de trouver les bons interlocuteurs capables répondre à deux exigences premières : la bonne connaissance des parties et la garantie de leur neutralité pour les deux, l’autorité morale et l’entregent nécessaire pour rassembler les acteurs du conflit autour de la table des négociations. Par sa taille, ses échelles de décisions, son système confédéral, les liens organiques existant entre le monde des affaires et les autorités politiques cantonales et fédérales, le passage d’une diplomatie officieuse à une diplomatie officielle – sans pour autant être proclamée – se mène sans heurts et sans difficulté. Le premier médiateur suisse par excellence est peut-­‐être moins le diplomate de carrière, qu’un magistrat, chef d’entreprise ou personnalité d’influence qui, à la fois, a une bonne connaissance des parties, entretient un excellent réseau social et possède toutes ses entrées auprès des plus hautes autorités. A la fin des années 1950, Raymond Probst rédige au titre du Département politique fédéral (DPF) le catalogue des points majeurs à respecter pour accepter toute mission suisse des bons offices. Il décrit bien la philosophie qui la définit culturellement en Suisse. Soit, il faut d’abord être mandaté par chacune des parties en conflit ; recevoir l’accord de toutes les parties concernées sur le contenu et l’étendue exacts du mandat ; en obtenir une description claire et univoque ; s’assurer que le mandat ne présente aucun risque pour la neutralité helvétique ; vérifier qu’il soit compatible avec les possibilités matérielles de la Suisse et présente de bonnes chances de succès ; garantir que la Suisse demeure libre de ses actions et que la mission qui lui soit confiée soit 4 limitée dans le temps6. La politique des bons offices est donc bien une politique très tôt institutionnalisée et qui le demeure encore aujourd’hui malgré les modifications notables que la Suisse a dû introduire d’autorité dans son approche du problème en raison même des modifications des enjeux de sécurité dans un monde multipolaire7 et son adhésion le 10 septembre 2002 à l’organisation des Nations Unies (ONU)8. 2. Négocier la paix en Algérie : Le choix du « tamis suisse ». Le choix de la Suisse pour négocier la paix en Algérie et la fin de la domination française ne peut faire évidence. Rappelons que depuis la rébellion du 1er novembre 1954, la mobilisation de chrétiens de gauche et de marxistes dissidents, les réseaux d’aide au FLN ont perçu l’intérêt de la Suisse comme refuge et base arrière de la lutte contre l’ «oppresseur français ». Suite à la répression accrue par Guy Mollet à travers le vote, le 12 mars 1956 des «pouvoirs spéciaux», la Suisse devient la plaque-­‐tournante du combat du FLN et de ses réseaux métropolitains de soutien. Tel est le cas du réseau Jeanson. Par delà la frontière franco-­‐suisse s’organise un système d’échanges d’argent mais aussi d’armes. La frontière sert dans les deux sens, soit pour faciliter le départ des insoumis et déserteurs soit pour faire pénétrer sur le sol français les cadres et agents mobilisés ou les « poseurs de bombes ». L’arrestation à la frontière franco-­‐suisse de « porteurs de valises » a longtemps irrité les autorités françaises9. A plusieurs reprises Michel Debré dénonce, à l’Assemblée nationale, le soutien des banquiers suisses dans la conservation des fonds du FLN. En juin 1959, il démarche le gouvernement suisse pour résoudre le problème ; ce dernier lui répond qu’il n’est pas en mesure de lever le secret bancaire dès lors que les opérations sont légales10. De fait les tentatives initiales de 6 Nicolas Rion, « Une occasion risquée pour la diplomatie suisse. Protection des intérêts étrangers et bons offices en Inde et au Pakistan, 1971-­‐1976 », Berne, Politorbis, n°40, 1/2006, p.50-­‐51. 7 Catherine Schümperli Younossian, Gérard Perroulaz, Rosita Fibbi et Xavier Tschumi Canosa, « 5. Politique Intérieure extérieure », Annuaire suisse de politique de développement [En ligne], n°20, 2001, 296 p., mis en ligne le 28 août 2012, URL : http://aspd.revues.org/900 8 Cette diplomatie est régulièrement invoquée par les autorités fédérales comme fer de lance de la politique étrangère de la Suisse. Tel l’exprimait la Présidente de la Confédération Micheline Calmy-­‐Rey le 31 mai 2007 : La Suisse de par sa nature même, ses institutions et sa philosophie n’a pas mené et ne mène pas une politique de puissance. En revanche, elle possède la masse critique matérielle, morale, politique pour conduire une politique d’influence. Elle apparaît comme un acteur sans arrière-­‐pensée, dont la contribution est appréciée. Elle base son action sur le droit, elle dialogue avec tous les pays, avec toutes les parties sans partis-­‐pris. Elle n’est membre d’aucune alliance. Elle ne fait pas partie de l’Union européenne. Cela nous donne un rôle particulier au sein de la communauté internationale, un rôle de bâtisseur de pont. Discours de Micheline Calmy-­‐Rey prononcé à la troisième édition du Forum des 100 de L’Hebdo à l’Amphimax de l’Université de Lausanne, le 31 mai 2007. http://forumdes100.typepad.com/forum_des_100/F100-­‐archives/F100-­‐07_CalmyRey.pdf . 9 Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les Porteurs de valise, la résistance française à l’égard de la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 1982, 436 p. 10 Maurice Flory, « Algérie et droit international », Annuaire français du droit international, volume 5, 1959, p. 828. 5 négociations qui ont toutes échouées écartent la Suisse pour des raisons évidentes. On peut rappeler ici des contacts ménagés entre les parties au Caire par l’intermédiaire des Egyptiens en mars 1956 ou encore les tentatives sous la houlette de la Yougoslavie à Belgrade en juillet suivant ou encore les négociations de Rome à la fin de l’été suivant ou encore celles prévues dans le cadre de la conférence de Tunis11. Côté algérien le choix de la Suisse est plus logique. Bien que considérée comme neutre, la Suisse peut apparaître pour la résistance algérienne comme une base arrière du combat de son Indépendance. Tahar Bousdira neveu de Fehrat Abbas dialogue en mars 1957 avec des représentants de l’ALN en vue de rencontrer en Suisse des dirigeants du FLN 12. De plus depuis le 23 mars 1957 date du suicide du procureur général de la Confédération René Dubois impliqué dans l’espionnage de l’ambassade d’Egypte en Suisse au profit de la France, le gouvernement fédéral est dans la tourmente. L’ « affaire Dubois » est un véritable affront au principe de la neutralité suisse. L’affaire du Canal de Suez aidant, le gouvernement fédéral en conclut à l’inéluctabilité de l’autonomie algérienne et manifeste dès lors une position circonspecte vis-­‐à-­‐vis du FLN le considérant comme l’interlocuteur de l’Algérie de demain. Max Petitpierre chef du département politique (DP) en est manifestement convaincu dès mai 195613. Il fait établir le contact avec Taïeb Boulharouf, alias Pablo ou Mabrouk, un des six membres du comité fédéral du Parti du peuple algérien interdit (PPA) lui-­‐même baptisé Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Installé à l’Hôtel Orient de Lausanne Taïeb Boulharouf devient un interlocuteur privilégié. Le dialogue progressivement instauré entre les autorités suisses et la résistance algérienne, relayés par l’assouplissement de la surveillance des Algériens en Suisse instaure une confiance partagée. Dès novembre 1958, Fehrat Abbas de passage en Suisse manifeste le souhait de renoncer aux bons offices de la Tunisie et du Maroc pour lui substituer ceux de la Suisse comme pays neutre14. Il y voit surtout le moyen d’éviter d’engager des négociations sous la houlette de Moscou et de Pékin15. Rien se ne fait au cours de 1957-­‐1958. La bataille d’Alger, la poursuite des combats, la crise de légitimité de la IVe République, le « Je vous ai compris » du 13 mai 1958 et « vive l’Algérie française » du 6 juin suivant, le renforcement de la lutte insurrectionnelle ne pouvait guère permettre d’envisager la sortie de guerre. Malgré l’évocation de l’autodétermination du peuple algérien, les espoirs de paix semblent très minces. Mais la France par la voix du général de Gaulle a déjà manifesté sons souhait d’en finir. L’échec de la « paix des braves » du 23 octobre 1958 ne l’empêche pas de poser le 16 septembre 1959 la question de l’autodétermination. Paradoxalement c’est le quiproquo des négociations de Melun et donc leur échec du 25 juin 1960 souhaité par de Gaulle pour temporiser avec l’armée et pour sortir de la stricte question des conditions militaires du cessez-­‐le-­‐feu, qui permet de relancer autrement la mécanique en panne de la paix16. 11 Gilles Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-­‐1962, Paris, Fayard, 2002, p. 615-­‐618. 12 Gilles Meynier, Histoire intérieure du FLN, 1954-­‐1962, op.cit. p. 619. 13 Marc Perrenoud, « La Suisse et les accords d’Évian. La politique de la Confédération à la fin de la guerre d’Algérie (1959-­‐1962) », in « La Suisse et les accords d’Évian », Berne, Politorbis, n° 31 p.19. 14 Marc Perrenoud, op. cit. p. 22. 15 Guy Pervillé, Les accords d’Évian, 1962, Paris, Armand Colin, 2012, p. 90. 16 De Gaulle tente d’arracher le cessez-­‐le-­‐feu en Algérie, alors que la délégation algérienne souhaite avancer sur les conditions de l’autodétemination. René Gallissot (Ed), Les accords 6 Les petites phrases du Général de Gaulle sur « l’Algérie algérienne » du 14 juin précédent et du 4 novembre sur la « République algérienne qui existera un jour », la perspective du référendum sur la question algérienne, ne peuvent passer inaperçues de l’autre côté des rives de la Méditerranée. L’acceptation du droit de l’Algérie à l’Indépendance par l’ONU assortie du refus de tout référendum sous l’autorité onusienne milite pour l’ouverture de négociations directes entre français et algériens. Les comptes-­‐rendus du diplomate suisse Olivier Long des négociations d’Évian témoignent bien que l’initiative est algérienne17. Derrière les tous premiers échanges informels entre avocats genevois en date du 25 novembre 1960 se dessine la demande de Taïeb Boulharouf qui au titre du GPRA cherche à prendre des contacts officiels en Suisse. Fehrat Abbas est doublement pressé d’engager les négociations. Le président du GPRA a conscience qu’au plan militaire, la victoire algérienne demeure bien incertaine. Il se sent par ailleurs menacé sur le plan de son autorité politique par les dirigeants du FLN18. Grâce à l’entremise de l’avocat genevois Maître Nicolet, Boulharouf entre en contact avec le Département politique à Berne. L’accord du chef du DPF Petitpierre permet d’engager un mois plus tard une première rencontre informelle avec Olivier Long qui en tant que chef de la délégation suisse auprès de l’Association européenne de libre-­‐échange, dispose de la couverture la mieux appropriée pour négocier de manière neutre. Petitpierre précise du reste que le GPRA est favorable à la reprise du dialogue avec la France, dans « un dialogue ouvert et sans préalables et sans les conditions limitatives de leur liberté d’expression et de mouvement… », Taïeb Boulharouf nous donne un premier niveau d’explication sur le choix suisse. Parler et s’exprimer requiert une liberté d’être qui pose une égalité de réciprocité. A la question explicite du diplomate suisse, la réponse l’est autant. Nous la reproduisons ici in extenso : Pourquoi la Suisse ? Boulharouf répond que l’indépendance de notre politique, les efforts que nous avons toujours fait pour promouvoir la paix en contribuant à arrêter les conflits ou à en adoucir les rigueurs, la réputation d’intégrité et discrétion de la Suisse, l’ont imposée aux dirigeants algériens comme le seul pays pouvant intervenir avec quelque chance de succès. Les alliés de la France n’entrent pas en ligne de compte. L’Italie a une politique africaine, la Belgique l’hypothèque du Congo, la Hollande un passé colonial pas encore liquidé. On ne saurait penser aux Etats-­‐Unis ou à l’Allemagne et moins encore aux pays de l’Est19. A n’en pas douter le choix par le GPRA de la Suisse comme lieu d’engagement des d’Évian, Paris, Karthala, 1997, p.12-­‐13. Charles-­‐Robert Ageron, « Les accords d’Évian (1962) », Vingtième Siècle, n° 35, juillet-­‐septembre 1992, p.9. 17 Il s’agit de deux rapports conservés aux archives fédérales de Berne désormais en accès libre. Ces minutes très détaillées, pour être précieuses, posent toutefois des questions d’analyse. Destinées à rendre compte de la contribution de la Suisse à la réussite d’Évian, ces rapports n’ouvrent-­‐ils pas le risque de faire la part trop belle à la négociation helvétique et à leur principal acteur également auteur de ce récit ? 18 Jérôme Hélie, Les accords d’Évian. Histoire de la paix ratée en Algérie, Paris, Oliver Orban, 1992, p.94 et suivantes. 19 Documents diplomatiques Suisses : www.dodis.ch. Dodis-­‐9709, Olivier Long, Contribution suisse à la préparation de la négociation entre la France et le GPRA, Des premiers sondages à la Conférence d’Évian, (novembre 1960-­‐20 mai 1961), le 23 septembre 1961, p.3 et 4. 7 pourparlers de la paix franco-­‐algérienne est à porter au crédit de son histoire et culture diplomatique spécifique. L’expression est trouvée sans que l’on comprenne si elle est de Taïeb Boulharouf ou d’Olivier Long. Le « tamis suisse » offrirait les moyens de « déminer le terrain ». 3. Le modèle suisse des bons offices à l’épreuve des faits : novembre 1960-­‐20 mai 1961 L’échéancier des négociations dépend des résultats du référendum du 8 janvier 1961 sur l’autodétermination du peuple algérien. Fort du succès des 69,51% de « oui » et du quitus ainsi obtenu par le Général de Gaulle, Olivier Long est autorisé par son supérieur à rencontrer à Paris son ami personnel Louis Joxe alors ministre français des Affaires Algériennes. Les aller-­‐retour d’émissaires entre la France et la Suisse se multiplient. Favorable à la reprise rapide des négociations, de Gaulle ne peut justifier immédiatement, après Melun, le retour des négociateurs algériens sur le sol français. Echaudé, il doit se résoudre au projet suisse qui offre l’opportunité de concilier discrétion et sécurité des personnes notamment dans les contacts secrets sur le territoire suisse. Le 11 février 1961, Jean-­‐Jacques Susini et Pierre Lagaillarde créent l’Organisation de l’armée Secrète (0AS) dont le but explicite et de conserver l’Algérie française en luttant armes à la main contre les personnalités et fonctionnaires français partisans de la négociation avec le FLN. Le général de Gaulle a tout avantage à soutenir l’initiative secrète d’Olivier Long. Son accord donné, le Chef du DPF se lance dans l’action. Le modèle suisse est appliqué à la lettre. Aucune lettre de mission n’existe, c’est de manière informelle en dehors même de toute information institutionnelle que s’élabore l’initiative. Le statut d’amitié personnelle autorise une démarche sans trop de risque puisqu’en cas d’échec et de révélation publique, elle ne justifierait aucune sanction seulement quelque remontrance pour une initiative définie comme intempestive. L’épouse d’Olivier Long est cousine de celle du professeur de médecine Jean Bernard laquelle est elle-­‐même une amie d’enfance de l’épouse de Louis Joxe. Quant au premier ministre Michel Debré, il est un camarade de Science politique d’Olivier Long. C’est dans le bureau du professeur Jean Bernard que se réunissent Olivier Long et Louis Joxe 20. Nous ne reviendrons pas sur le fond du dossier. Observons seulement que le contexte apparaît des plus favorables pour les deux parties. Côté algérien, les risques d’enlisement du conflit, les divisions entre FLN et le Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj incitent à aller de l’avant. Le GPRA approuve les nouvelles négociations. Côté français, les dividendes du vote sur l’autodétermination, les premiers assassinats ciblés21 ont convaincu le Général de Gaulle d’aller vite pour prendre de court les partisans de l’Algérie française. Déjà, le 2 février 1961, à Genève Saad Dahlab proche de Boulahrouf rencontre Claude Chayet conseiller technique au cabinet de Louis Joxe pour préparer la future entrevue de Lucerne fixée au 20 février suivant. La note de cadrage des négociations du Général de Gaulle en date du 18 février 1961 pour ses deux émissaires est adressée à Georges Pompidou – ancien directeur de cabinet du Général et déjà son négociateur à Alger en 1959 – et Bruno de Leusse – sous-­‐directeur pour 20 Jérôme Hélie, Les accords d’Évian, op. cit. p. 82. 21 Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, Paris, Grasset, 2002, p. 236 et suivantes. 8 l’Europe au Quai d’Orsay. Le Président de la République souligne qu’il accepte sans discuter « que dans l’avenir, l’Algérie pourra être un Etat souverain, c’est-­‐à-­‐dire disposant de lui-­‐même au dedans et au dehors, dès lors que l’autodétermination libre et sincère en aurait ainsi décidé »22. Seul point d’achoppement : l’avenir du Sahara que la France entend conserver pour des raisons stratégiques. Quant à l’armée, De Gaulle, particulièrement méfiant, envisage seulement de la cantonner dans ses casernes et confier à la gendarmerie et la police le soin d’assurer la sécurité du pays une fois décrétée « la trêve des combats et attentats». Georges Pompidou et Bruno de Leusse seront amenés par deux fois à rencontrer en Suisse, d’abord à Lucerne – les 19-­‐20 février puis à Neuchâtel le 5 mars 1961 – les représentants du FLN. Seul le Président de la Confédération est informé, Petitpierre justifie le fait de laisser le Conseil fédéral en dehors de l’affaire en raison de l’incertaine issue possible de la négociation 23. La responsabilité initiale dévolue aux autorités suisses est d’ordre logistique. D’emblée il est précisé que la Suisse n’interviendra pas dans les négociations. Il s’agit seulement d’assurer les rencontres entre protagonistes en toute confidentialité dans la mesure où les négociations doivent demeurer secrètes pour ne pas susciter opposition, polémiques et créer les conditions d’un bras de fer et/ou d’une guerre civile en France comme on le redoute déjà. Requise par le FLN, défendue par la Suisse, son principe est aussi partagé par le Général de Gaulle lui-­‐même échaudé par bon nombre de négociations avortées. Le récit d’Olivier Long sur les accords d’Évian traduit bien fidèlement ce rôle qui lui revient, du reste plus conforme à l’image d’un agent « privé » de sécurité qu’à celle d’un diplomate. A ce sujet, le diplomate suisse parle d’une entreprise qui « nous réserve de surprises, d’aventures dignes d’un roman de cape et d’épée»24. Pour prévenir toute critique éventuelle dans le cas où cela se saurait, l’idée de se réunir dans les environs de Berne est rejetée. La rencontre de Lucerne du 19 février 1961 a lieu la nuit tombée. Les deux émissaires de chaque pays logent dans des hôtels différents, la rencontre du lendemain matin se faisant en terrain neutre d’un troisième hôtel. Pour éviter tout risque de risque de fuite en direction de la presse, la seconde rencontre le 5 mars à Neuchâtel suit un protocole identique. Les organisateurs suisses ne participent pas à ces débats. Ce qui prévaut déjà ici est le pragmatisme même de l’hôte suisse qui ne possède aucune exigence sur le lieu même à venir des négociations officielles. Face à l’intransigeance gaullienne de les voir se dérouler obligatoirement sur le sol national, le souci des Algériens de bénéficier de la protection de la neutralité suisse, la solution de compromis est vite énoncée en mars suivant. Les négociations officielles se tiendront bien à Évian officiellement saisie le 19 mars. Déjà l’OAS adresse à son maire une lettre de menaces25. Il revient aux autorités fédérales suisses et genevoises d’assurer le séjour à Genève de la délégation du GPRA leur sécurité et les navettes quotidiennes Genève-­‐Évian aller-­‐retour. La médiation suisse n’est donc pas première. Elle n’existe pas comme a priori. L’hôte est toujours prêt à s’effacer au bénéfice du seul résultat final de la paix en Algérie. Olivier Long ne semble pas faire part de ses propres convictions pour de ne pas perdre le 22 Général de Gaulle, Note pour monsieur Pompidou et monsieur de Leusse, 18 février 1961, p.1. 23 Documents diplomatiques Suisses : Dodis-­‐15150, Procès-­‐verbal interne du DPF en date du 18 avril 1961, p.1. 24 Olivier Long, Contribution suisse à la préparation de la négociation entre la France et le GPRA, op. cit. p. 10. 25 Georges Fleury, Histoire secrète de l’OAS, op.cit. p. 248. 9 bénéfice que la « neutralité objective » lui procure26. Après s’être engagé, la seule chose qu’il puisse redouter serait encore l’échec qui, comme camouflet mondial écornerait l’image de la Suisse en matière de bons offices. En étant dépourvu de toute certitude institutionnelle et de toute autre considération géopolitique nationale, Olivier Long dispose d’une capacité de réaction particulièrement grande dans la phase non officielle des négociations. C’est donc bien dans le contexte des doutes et crises que son rôle de diplomate s’avère pour le moins réel. Les premiers points d’achoppement interviennent à l’issue de la réunion de Neuchâtel. La délégation du FLN se refuse à souscrire à l’idée de trêve demandée préalablement par la délégation française avant toute ouverture officielle des négociations. Tout cessez-­‐le-­‐feu ne peut selon elle que résulter des garanties juridiques d’application de l’autodétermination. Si l’on ajoute le refus algérien d’accepter que le Sahara puisse demeurer français… toute poursuite des négociations apparaît impossible. C’est donc bien à la demande expresse d’une des parties en présence, que la médiation suisse prend réellement effet. Pour relancer l’après-­‐
Neuchâtel, la délégation algérienne presse d’abord Olivier Long d’obtenir une réponse plus explicite des positions du Chef de l’Etat sur la question du Sahara considérant qu’un écart existe entre la thèse du premier ministre Michel Debré sur l’entière souveraineté française et les affirmations « plus souples » du Général de Gaulle lors de sa rencontre avec Bourguiba à Rambouillet le 27 février 1961. En second, elle attend aussi des éclaircissements sur la question de l’arrêt préalable des combats. Oliver Long se lance sans compter dans l’exercice classique de la diplomatie de médiation : Reprendre contact avec Paris, faire préciser les positions, expliquer les contradictions aux uns et aux autres, rendre compte de la nouvelle position du Chef de l’Etat qui débloque la situation en proposant d’entrer dans des négociations officielles sans qu’aucun préalable puisse être soulevé de quelque côté que ce soit, accompagner la demande de la délégation algérienne sur la nécessité de faire porter la « conférence sur l’ensemble des problèmes, politiques comme militaires », attendre la nouvelle réponse de Paris et la communiquer à la délégation du FLN. Afin que cette dernière puisse rendre compte à Tunis de l’état du dossier au GPRA pour obtenir son aval pour une négociation officielle. La sortie de crise de l’impasse de Neuchâtel témoigne de cette mécanique particulièrement fragile de la diplomatie de médiation qui ne repose que sur la sincérité du médiateur, qui ne peut en aucun cas résoudre une crise, dès lors que les belligérants se refusent à toute concession supplémentaire. Elle situe le rôle ingrat de cette diplomatie souterraine d’accompagnement toujours soumise à l’épreuve de la bonne volonté ou à la mauvaise foi des parties antagonistes. En cas d’échec, c’est bien évidemment la Suisse qui se retrouverait mise au banc des accusés. Le 23 mars 1961, à la demande de la délégation algérienne le Conseil fédéral annonce publiquement la tenue prochaine de la conférence d’Évian. Simultanément Belkacem Krim, l’influent ministre des Affaires Etrangères du GPRA fait de même auprès de ses chefs de mission à l’étranger. Peut-­‐être peu convaincu, persuadé de l’échec à venir, et dans un souci de donner le change à ses hommes sur le terrain, il semble déjà réécrire l’histoire de la négociation : 26 Rappelons que les nombreuses interventions publiques du chef du DPF Petitpierre avant l’engagement des négociations de paix entre la France et l’Algérie relèvent d’une critique explicite du modèle colonial français. Il est aisé d’imaginer qu’il s’agit là d’une analyse bien partagée par Olivier Long et les acteurs de la diplomatie suisse. Marc Perrenoud, « La Suisse et les accords d’Évian… », op. cit. pp. 19-­‐20. 10 Par la suite, les autorités suisses (ne pas trop insister sur ce point pour ne pas embarrasser le Suisses) ont pris l’initiative d’organiser discrètement une réunion secrète entre responsables algériens et français à l’échelon de hauts fonctionnaires pour une discussion secrète sans préalable. En présence des Suisses et de leur patronage, il nous était difficile de répondre par un refus au risque de paraître de mauvaise foi27. Au delà de deux premières postures décrites, l’appui logistique et la diplomatie de médiation au sens le plus classique du terme, le diplomate suisse ne peut-­‐il déployer une troisième posture plus proactive ? Le médiateur qui est parvenu à établir la confiance des deux parties, n’est-­‐il pas dès lors à même de pouvoir faire usage de la ruse, cet outil par excellence la négociation politique ? Dès lors que l’initiative de la paix est désormais validée par les autorités politiques suisses, n’y aurait-­‐il pas là un argument supplémentaire pour une plus grande implication dans le dossier ? Au-­‐delà des difficultés mêmes à conduire la paix, n’est-­‐il pas nécessaire d’aller plus vite pour éviter que le Conseil fédéral et la Suisse critiqués par l’OAS puissent devenir le théâtre de violences importées de France et d’Algérie ? Les signes d’alertes existent. Le 19 avril 1961, Louis Joxe informe Olivier Long des risques d’action du général Salan et de l’OAS. Le 20 mai 1961 l’agence consulaire de Suisse à Oran envahie par les partisans de l’Algérie française est aussitôt saccagée. C’est bien désormais dans un rôle plus actif que s’engage la diplomatie suisse. « L’influence modératrice » dont s’enorgueillit le 15 mai 1961, le chef du DPF Petitpierre28 comprend bien évidemment la gestion logistique matérielle liée à la première négociation d’Évian du 20 mai au 13 juin 1961. Mais elle est sans doute plus que cela. L’évolution du rôle diplomatique de la Suisse se traduit d’abord par un changement subtil d’attitude à l’égard de la délégation algérienne. Pour vaincre ses réticences, au moment du passage vers une diplomatie officielle, Olivier Long brandit la menace du désengagement suisse. Le prétexte est tout trouvé. Après l’accord de Genève de 1954 sur la cessation des hostilités au Laos, la diplomatie suisse doit s’engager sur la préparation d’une nouvelle conférence destinée à relancer le processus de paix le 12 mai 1961. La Suisse n’a pas les moyens d’être mobilisée sur les deux dossiers29 L’argument est des plus spécieux tant il est fait évidence que la diplomatie et le gouvernement fédéral ont conscience de l’importance que revêt pour l’image de la Suisse dans le monde la résolution du conflit algérien. En tant qu’intermédiaire soucieux d’amener les parties vers la table des négociations d’Évian, Olivier Long use désormais de tous les subterfuges en sa possession. Il fait main basse sur les arguments susceptibles de vexer une des deux parties. Il demande l’abandon des termes outranciers au profit d’expressions plus conventionnelles. Il soustrait à l’appréciation de l’autre certains éléments d’analyse, il prend sur lui de rassurer sans posséder les éléments susceptibles de le rassurer lui-­‐même. Il anticipe des réponses dans une forme d’attentisme constructif qu’il ne semble pas posséder. Il presse ses interlocuteurs d’accélérer leur prise de décision. Au-­‐delà de toutes les vicissitudes – l’éviction du MNA des négociations, le putsch des généraux à Alger, la violence de l’OAS, la stratégie d’Olivier Long est un succès. Le 18 mai 1961 la délégation algérienne du GPRA foule le sol de l’aéroport de Genève Cointrin. Les négociations d’Évian peuvent commencer. 27 Mohammed Harbi (éd.), Les archives de la révolution algérienne, Paris, Jeune Afrique, 1981, p. 391 28 Marc Perrenoud, op. cit. p. 29. 29 Oliver Long, Contribution suisse à la préparation de la négociation entre la France et le GPRA, op.cit. p. 36. 11 4. De la première Conférence d’Évian au cessez-­‐le-­‐feu en Algérie, 20 mai 1961-­‐19 mars 1962). Le bilan pour la Suisse des négociations officieuses des accords d’Évian a tout du succès. La Suisse est parvenue à construire les conditions du compromis nécessaire à l’action diplomatique classique. Au-­‐delà de la réussite stratégique d’Olivier Long, c’est à tout le dispositif du DPF et plus largement des autorités cantonales et fédérales que les autorités politiques françaises et le GPRA ont rendu hommage. La diplomatie « souterraine » efficace de la Suisse résulte de l’application des règles essentielles de confidentialité, de neutralité et d’absence de passif – colonial et conflictuel – que nous avons décrit. Avec l’entrée en scène des délégations officielles, l’activité diplomatique suisse n’a plus de raison d’être. Olivier Long en est le premier conscient30. Le paradoxe du modèle est bien là. Les artisans du dialogue pour la paix ne sont pas nécessairement les artisans de la paix. Seules des conditions exceptionnelles peuvent justifier un retour de la Suisse dans le jeu diplomatique. C’est bien la suspension par de Gaulle des négociations d’Évian du 20 mai-­‐13 juin 1961 qui facilite le retour de la Suisse dans le concert diplomatique. Le 23 juin après accord du chef du DPF, Olivier Long est prêt à reprendre son bâton de pèlerin. La rupture de la conférence sur territoire français de Lugrin du 20 au 28 juillet 1961, toujours sur le dossier du Sahara, et cette fois par la délégation algérienne, légitime à nouveau la Suisse dans ses missions de bon office. Les principes actifs de la diplomatie helvétique reprennent aussi leur droit. Seul interlocuteur en quelque sorte légitime selon les deux parties, Olivier Long reprend, à son compte, les principes efficients de sa diplomatie des « petits pas ». Il cherche à convaincre les Algériens de prendre l’initiative de relancer les négociations. Il commente pour les Algériens la phrase énigmatique du Général de la conférence de presse du 5 septembre suivant laquelle « la question de la souveraineté du Sahara n’a pas à être considérée, tout au moins elle ne doit pas l’être par la France », il rapporte à Louis Joxe le souhait du GPRA de reprendre les négociations en lui donnant les clés de leur demande future sur le devenir du Sahara. Il rassure Taïeb Boulahrouf sur la volonté française sans pour autant en posséder la moindre certitude. Il exhorte explicitement Louis Joxe à revenir à la méthode helvétique des entretiens secrets31, qui sont acceptés par le Général de Gaulle dès le 14 octobre 1961. Olivier Long a restauré sa pleine position de négociateur de la première heure et sa diplomatie du compromis pas à pas, sans aborder de front les questions les plus sensibles. Il redevient auprès de Louis Joxe l’intercesseur des demandes algériennes et lui explique en retour les subtilités de positionnement du GPRA que le ministre français ne saisit pas. Il se fait l’avocat de la demande algérienne de la sortie de Ben Bella de prison et de sa venue sur place dans les négociations. En toutes circonstances, il arrondit les angles pour ne pas froisser les susceptibilités à fleur de peau des acteurs du dossier. La rencontre dans la campagne bâloise le 28 octobre restaure la logique des délégations en séances restreintes. La première rencontre sur le territoire français aux Rousses du 9 décembre 1961 entre les ministres des Affaires Etrangères Louis Joxe et Saâd Dahlab 30 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐34258. Olivier Long, Contribution suisse aux négociations entre le gouvernement français et le GPRA, De la Première conférence d’Évian au Cessez-­‐le-­‐feu en Algérie (20 mai 1961-­‐19 mars 1962). Le 8 mars 1970, p.1. 31 Olivier Long, Contribution suisse aux négociations entre le gouvernement français et le GPRA, op.cit. p.16. 12 réordonne le cycle des négociations secrètes conduisant jusqu’aux négociations décisives des Rousses du 11 février au 18 février 1962 en présence notamment de quatre ministres du GPRA et côté français des trois ministres Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie. De nouveau hors du coup et selon sa propre analyse Olivier Long n’a plus aucun rôle diplomatique à jouer. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il redevient l’homme de la logistique d’abord soucieux de conserver le secret absolu de toute l’opération. Il est absent de la conférence finale d’Évian qui débute le 7 mars et s’achève le 18 mars 1962. La guerre d’Algérie prend fin. Le succès est complet pour la jeune diplomatie FLN. Pour sa part, la France est parvenue à mettre fin à une « guerre perdue » et à se défaire du spectre de la guerre civile. Avec l’entrée en vigueur le lendemain des accords de cessez-­‐le-­‐feu, prend fin la mission officielle de la Suisse. Dans les temps encore troublés de la mise en œuvre de la paix sur le terrain, les deux parties sollicitent à nouveau la Suisse pour ses bons offices. Les 11 mai et 14, Louis Joxe et Saâd Dahlab se rencontrent aux Rousses grâce à la diligence d’Olivier Long. L’achèvement de la période transitoire en Algérie, la constitution d’un gouvernement souverain rend définitivement caduque la présence de la diplomatie suisse. Le 1er juillet 1962, l’Algérie est un État indépendant. Conclusion : Des dividendes moraux aux dividendes économiques incertains L’analyse des accords d’Évian témoigne des caractères spécifiques de la diplomatie suisse des bons offices par rapport à une diplomatie conventionnelle de règlements des conflits entre États-­‐nations. Ce qui est à l’essence de la diplomatie helvétique n’est pas de l’ordre de la puissance ou du rapport de force, élément classique de la diplomatie westphalienne. Ce qui est en jeu relèverait de façon inversée de la « non-­‐puissance » 32 d’un pays ne disposant d’aucun avantage tant du point de vue de sa situation géographique, de sa taille, de sa population et de ses forces armées. La politique des bons offices repose sur des dogmes fort éloignés de la diplomatie classique : le principe de non-­‐ingérence dans les affaires mondiales, la distance politique et idéologique comme garantie de sa sécurité, le principe de la neutralité rehaussé en principe de philosophie politique et de système constitutionnel. L’affirmation continue à l’échelon international de cette image de « non-­‐puissance », lui assure un rôle historique non négligeable dans le règlement des conflits armés. Ajoutons que dans le contexte de la décolonisation, la Suisse en tant que puissance non impériale a fait de sa politique de neutralité absolue un atout majeur de sa politique étrangère. Artisan du Peace Building dans une logique d’écart aux règles de la diplomatie conventionnelle, la Suisse a développé un savoir-­‐faire particulièrement original comme en atteste l’analyse du rôle d’Olivier Long dans le conflit algérien. Le premier écart réside dans la culture du secret et de l’officieux. La légitimité d’intervention dans le processus des bons offices est de l’ordre de la diplomatie secrète. Le passage à la diplomatie officielle rend caduque la politique de médiateur suisse dans la mesure où elle justifie non seulement la présence de négociateurs institutionnels et officiels mais aussi des prises de position publique des États concernés eut égard à leurs 32 Nous choisissons volontairement ce mot pour l’opposer bien évidemment à la notion d’impuissance. La «non-­‐puissance » autorise à certaines conditions et dans certaines situations l’acquisition partielle et temporaire d’attributs de grandes puissances. 13 ressortissants et à l’opinion publique mondiale. Les négociations de paix en Algérie montrent bien la place détenue par les opinions publiques nationales toujours présentes en toile de fond dans la façon de négocier des parties mais particulièrement absentes – pour cause de secret – comme relais des décisions prises. Les négociations d’Évian montrent bien – tout au moins côté français – l’enjeu même de neutraliser les partisans du statu quo de l’Algérie française. La nécessité du secret n’est pas qu’une revendication suisse mais aussi française et algérienne. En ce sens, l’histoire des accords d’Évian est l’histoire continue d’un jeu alternant négociations secrètes en Suisse -­‐ Genève, Lucerne, Neuchâtel – et négociations officielles en France – Évian, Lugrin, Les Rousses-­‐ définissant le caractère mixte de la diplomatie des bons offices de la Suisse33 . La politique des bons offices possède ses propres limites. La capacité d’existence de la diplomatie suisse n’existe que dans la concession que d’autres puissances lui accordent pour instruire le règlement de leurs conflits. La diplomatie des bons offices existe donc difficilement en soi. Elle est le produit d’un contexte et d’une situation particulière de négociations de la paix. La Suisse n’est donc pas nécessairement en mesure d’en être à l’initiative. Elle en est un artisan potentiel parmi d’autres. De fait la diplomatie de médiation suisse pourrait être qualifiée de diplomatie de délégation. Elle obtient délégation des parties en conflit le soin de mener les négociations. Lorsque le processus se concrétise et laisse espérer une issue avérée, qu’il faut rendre des comptes à ses citoyens, la délégation secrète suisse n’a plus de raison d’exister. Les missions de gestion logistique peuvent prendre le pas sur les missions de négociation. Mais en cas d’échec, les effets sont identiques. Abruptement, la négociation suisse prend fin. Et pour protéger les parties face à leur opinion publique, les autorités suisses peuvent même déclarer qu’elle n’a jamais existé. La politique suisse des bons offices est donc particulièrement fragile et volatile à l’image sans doute de ses dimensions confidentielles, informelles et le plus souvent non institutionnelles. Nous retrouvons là un second paradoxe propre à la Suisse ; celui de fonder une diplomatie originale de la paix sans pouvoir la revendiquer pleinement en temps réel sur la scène internationale. Les revendications lorsqu’elles sont du reste possibles ne peuvent être que de l’ordre de l’a posteriori tant la Suisse ne peut se prévaloir de sa réussite qu’une fois la paix définitivement arrimée. Mais les dividendes peuvent se situer à deux niveaux : celui des affaires intérieures et celui des affaires étrangères. En premier lieu toute réussite diplomatique effective conforte l’idée de la sûreté, de la neutralité et de la prospérité suisse grâce à la politique des bons offices. La politique des bons offices suisses participe de sa cohésion sociale et politique d’un État confédéral multiculturel. Dans le second cas, elle permet de revendiquer un statut de puissance internationale en dépit de sa taille réelle. Dans le cas des accords d’Évian, les dividendes moraux seront particulièrement importants. Dès le 17 novembre 1961 le Général de Gaulle, conscient de l’apport décisif de la Suisse aux négociations remercie chaleureusement le conseiller fédéral Hans Schaffner pour les efforts déjà accomplis34. Pour sa part tant la délégation du FLN que le GPRA seront gré à la Suisse de son rôle dans le règlement de la paix. Le renom de la Suisse semble bien avoir été particulièrement important sur le continent 33 Maurice Vaïsse, « Vers la paix en Algérie », in Vers la paix en Algérie. Les négociations d’Évian d’après les archives diplomatiques françaises, 15 janvier 1961-­‐29 juin 1962, Bruxelles, Bruylant, 2003, p.p. X-­‐XI. 34 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐30270, Hans Schaffner, Gespräch mit dem Präsident de Gaulle vom 17 November 1961, p.3. 14 africain et dans le monde arabe, soit l’ensemble des pays soumis aux conflits de libération nationale ou relevant des pays non alignés. Diffusée, connue et reconnue la réussite helvétique semble pouvoir engager de nouvelle perspectives de bons offices suisses pour la paix. Rapidement pourtant, la Suisse ne peut se prévaloir de régler tous les conflits qui lui sont proposés dans la mesure où ils ne répondent pas à ses critères politiques d’affirmation de sa neutralité. Le 1er avril 1965, à Pékin, l’ambassadeur soviétique en Chine propose à son homologue suisse que la Confédération puisse « user de son influence pour induire les Américains à observer une attitude moins hostile à l’égard de Fidel Castro ». Le représentant suisse ne peut que refuser35. La voie étroite et exigeante de la diplomatie suisse ne rend pas facile la mise en œuvre de ses bons offices. Dans une note destinée à la conférence des ambassadeurs et portant sur les bons offices de la Suisse, le DFA rappelle en août 1967 les points complémentaires à ceux que nous avons soulevés, qui ne permettent guère de fonder trop d’espoir en eux : la limitation des moyens, la non-­‐reconnaissance de la neutralité suisse, la concurrence de grandes puissances, le développement des médiations régionales, le leadership de l’ONU. Derrière toutes ces analyses émerge une sorte d’amertume celle de devoir « admettre que la politique de neutralité permanente de nous vaut pas une situation aussi privilégiée que nous pouvions l’espérer»36. Quels furent les dividendes économiques de la paix en Algérie pour la Suisse ? Le retour sur « investissement » pouvait-­‐il être à la hauteur des espérances d’Olivier Long qui dans l’euphorie du triomphe suisse écrit : La contribution suisse au cessez-­‐le-­‐feu en Algérie nous vaut de la part de la France la reconnaissance de la valeur politique de notre neutralité au moment ou nous sommes amenés à la réaffirmer face aux tentatives d’intégration politique de l’Europe. De l’autre côté, cette contribution nous apporte à travers le GPRA un capital de « goodwill » dans tous les pays du tiers-­‐monde non engagés et ceci plus sûrement que si nous y avions dépensé des centaines de millions au titre de l’aide aux pays sous-­‐développés. Dans ces conditions, si je peux me permettre, une opinion en terminant, il me semble que les quelques frs 150 000 dont nous renoncerions à demander le remboursement au GPRA seraient un bon investissement37. Son euphorie a convaincu. La proposition du DPF en date du 17 avril 1962 reprend le message fort d’Olivier Long et convainc à son tour le Conseil fédéral qui renonce solennellement le 11 mai 1962 à demander au GPRA le remboursement de sa créance en matière de frais de séjour en Suisse 38. En matière de bénéfices commerciaux rien ne fait ici évidence. Dès le 10 mai 1963, à la demande du gouvernement algérien, le Conseil fédéral accepte l’idée de négociations 35 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐31492, Lettre de l’ambassadeur suisse à Pékin à la DAF, le 1er avril 1965, p.2. 36Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐33674, Note en vue de la conférence des Ambassadeurs (30.8-­‐1.9.1967), pp.1-­‐6. 37 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐10395, Texte du ministre Olivier Long dicté au téléphone sur les Frais afférents au séjour de la délégation du GPRA en Suisse pendant les négociations d’Évian et de Lugrin, 12 avril 1962 pp.2-­‐3 38 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐10397, Mitwirkung der schhweizerischen Behörden beim Abschluss des Waffenstillstandes in Algerien. (Beitrag für die Sitzungen der Kommissionnen für Auswärtiges von Ende Mai 1962), Bern, den 11.Mai 1962, p. 5. 15 économiques. Mais l’esprit a bien changé. Le « good will » des négociations de paix semble déjà bien loin. La Suisse s’inquiète de « l’incertaine »orientation politique algérienne. « Exploiter maintenant la situation favorable à la Suisse en soumettant des projets d’accord commerciaux » relève d’une logique immédiate d’opportunité de pouvoir « profiter » d’une « législation algérienne relativement libérale»39. Le 5 juillet 1963 se conclut un accord commercial entre la Suisse et l’Algérie sur la base de l’importation pour la Suisse majoritairement de produits agricoles et produits pétroliers et pour l’Algérie d’importations majoritairement manufacturées. Mais déjà les difficultés s’amoncellent. Le 12 décembre 1963, le DPF s’inquiète des menaces pesant sur les intérêts économiques résultant de la réquisition des biens vacants et de la réforme agraire40. La délégation bernoise partie à Alger négocier l’indemnisation des biens suisses nationalisés en Algérie revient bredouille. Comme les Français, les deux mille suisses demeurés après l’Indépendance doivent quitter l’Algérie. Côté économique, l’Algérie de 1964, outre la monopolisation des biens de production s’engage dans le rééquilibrage de sa balance commerciale que caractérise le frein mis dans les importations. La politique de contingentement des biens d’équipement importés renforcés par un tarif douanier dissuasif semble changer la donne.41 Si l’on ajoute à cela la relation économique toujours privilégiée avec la France, la place commerciale de la Suisse sur le marché algérien ne fait pas évidence. La Suisse pouvait-­‐elle devenir un partenaire économique privilégié de l’Algérie socialiste en cours d’édification ? Rien n’est moins sûr compte tenu de ses convictions sur l’économie de marché. Mais à la faiblesse des échanges économiques se surajoutent rapidement des problèmes diplomatiques. Le plus important est lié à la présence progressive des opposants au régime socialiste algérien en Europe et en en Suisse. Se trouve notamment à Genève Mohamed Khider. Proche du FLN, ministre d’Etat du GPRA, suite à des divergences avec Ben Bella il est contraint à l’exil. Il trouve refuge à côté de Lausanne et organise l’opposition à Ben Bella. Ancien trésorier du FLN, il est accusé par le gouvernement algérien d’avoir détourné 50 millions de francs du trésor de guerre algérien au profit des opposants au régime. Suite à la plainte du gouvernement algérien, il est expulsé de la Suisse le 26 octobre 196442. Mohamed Khider est assassiné en Espagne le 4 janvier 1967. Sur le plan juridique le Tribunal fédéral valide en 1974 le transfert financier et il faut encore attendre cinq ans pour que le contentieux soit réglé43. Les relations entre la Suisse et l’Algérie sont profondément altérées. En septembre 1966, le Président du Conseil de la Révolution, le Colonel Boumedienne et son ministre des Affaires Etrangères Bouteflika s’insurgent auprès des autorités suisses des visées antinationales des opposants au régime résidant en Suisse44. Le 11 octobre 1968 le Président Boumedienne rappelle à ses interlocuteurs helvétiques que la Suisse 39Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐30403, Schaffner, Négociations économiques avec l’Algérie, 10 mai 1963, p.2. 40 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐30427, Bedrohung und Schädigung schweizerischer Interessen in Algerien, 12 Dezember 1963, 6 p. 41 Georges Mutin, « Le commerce extérieur de l’Algérie en 1964 », Revue de géographie de Lyon, vol 40, n° 4 1965, pp.345-­‐365. 42 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐31500, Dossier d’expulsion de Mohammed Khider, le 27 octobre 1964, 6 p. 43 Denis Masmejan, « La Suisse face à l’indépendance de l’Algérie », Le Temps, jeudi 20 avril 2010. 44 Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐31421, Note au Chef du Département, le 4 octobre 1966, p.1. 16 serait responsable de la dégradation des relations avec l’Algérie ; Et de critiquer la Suisse qui « semble vivre exclusivement de ses principes : principe du secret bancaire, principe de la neutralité, principe du droit d’asile »45. Six ans seulement après la fin de la guerre d’Algérie, le bénéfice pour la Suisse des accords d’Évian n’existe plus. 45Archives fédérales de Berne. Dodis-­‐33997. Audience chez le Président Boumedienne, 17 octobre 1968, p.1 17