Le roman-feuilleton n`est pas mort : Internet l`a

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Le roman-feuilleton n`est pas mort : Internet l`a
Le roman-feuilleton n'est pas mort : Internet l'a (ré)inventé
Extrait du Homo Numericus
http://www.homo-numericus.net/article16.html
Le roman-feuilleton n'est pas
mort : Internet l'a (ré)inventé
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Date de mise en ligne : lundi 3 avril 2000
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Le roman-feuilleton n'est pas mort : Internet l'a (ré)inventé
Appelons
cela l'affaire King : en juillet dernier, l'auteur à succès
spécialisé dans l'épouvante avait tenté
une expérience de publication d'un roman à épisode,
The Plant, téléchargeable à partir de son
site contre paiement. Avec 120000
téléchargements pour le premier épisode,
l'expérience promettait d'être concluante. Stephen King
en profitait pour envoyer au diable le " big publishing ".
Enfin un auteur allait pouvoir se passer de ces parasites de l'écriture
que sont les éditeurs et s'adresser directement à ses
chers lecteurs dans une relation de mutuelle confiance. Quelques mois
plus tard, il semble que ce soit celle-ci précisément
qui ait fait défaut...des deux côtés. En novembre,
l'auteur annonçait qu'il interrompait la publication de son
roman, en partie parce qu'un nombre trop important de lecteurs téléchargeait
les nouveaux épisodes sans s'acquitter de la rémunération
demandée. Colère dans la communauté de lecteurs,
floués des quelques cinquante francs qu'ils durent débourser
pour une ébauche de roman dont ils ne connaîtraient sans
doute jamais la fin De mauvaises langues insinuent que la vraie raison
de l'arrêt est la chute libre du nombre de téléchargements
au fil des épisodes. Quoiqu'il en soit, l'aventure aura rapporté
la bagatelle de 463000 dollars à Stephen King, si l'on en croit
le rapport financier qu'il publie sur son site. Le pauvre Balzac dont
la rémunération des épisodes de la Comédie
Humaine ne suffisait pas à éponger les dettes doit se
retourner dans sa tombe.
•
La
République de Mek-Ouyes
Très
loin de ces histoires de gros sous, l'éditeur POL publie depuis
plus de six mois, et gratuitement cette fois, La
République de Mek-ouyes (prononcez-le comme vous le sentez),
roman-feuilleton quotidien écrit par Jacques Jouet. Cet auteur,
membre de l'Oulipo, raconte chaque jour comment René Pascale-Sylvestre,
chauffeur routier de son état, a décidé un beau
jour de fonder une république indépendante sur une aire
d'autoroute. Placé sous le signe du surréalisme, La
République de Mek-Ouyes est " un roman-feuilleton routier
comme autoroutier, politique et nombriliste, burlesque et irresponsable,
plein d'idéaux et de mauvais sentiments, rapportant des aventures
gagnant à être connues aussi amusantes qu'inauthentiques
et agréables à se rappeler ". Il suffit de laisser
son adresse e-mail sur le site de POL pour recevoir chaque jour un
nouvel épisode dans sa boîte aux lettres.
•
Et
ma Yescard ?
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Cette
expérience n'est d'ailleurs pas la seule en matière
de diffusion par e-mail. Il y a quelques temps, Internet Actu s'est
lancé dans la publication d'un cyber-polar plutôt humoristique
intitulé "
Où est passée ma Yescard ? " et rédigé
par l'éditorialiste Paul Carbone, un talentueux polygraphe
qui n'en est pas à son coup d'essai en matière d'écriture
numérique. Lisible aussi sur le Web, le roman tire parti
des liens hypertextes en ouvrant des fenêtre explicatives sur
les différents personnages qui y interviennent. Publié
à un rythme hebdomadaire et agrémenté d'illustrations
à la Tardi, il a la saveur du pastiche et la légèreté
d'une écriture sans prétention. C'est peut-être
cela justement qui caractérise le roman-feuilleton sur Internet
: la légèreté des structures de publication,
le raccourcissement des délais (et du texte !), la gratuité
dans la plupart des cas, permettent à l'écriture de
retrouver les racines populaires du roman-feuilleton et de sortir
du ghetto " littéreux " où la confine l'édition
classique de fictions.
•
Interactivité
et esthétique romanesque
A contrario,
Internet a suscité des expériences foisonnantes, en
matière d'écriture collective notamment. On
ne compte plus sur le réseau les cyber-romans co-écrits
par leurs lecteurs au jour le jour. Le résultat est très
souvent décevant et relève de la confusion des genres.
Il y a quelques années, Dantec avait exprimé son scepticisme
à propos de ce genre d'initiative en des
termes tout à fait justes. De fait, l'interactivité
ne fait pas partie de l'esthétique romanesque et les romans
interactifs font apparaître en négatif les limites de
son intégration dans le nouveau media. Plus largement, on peut
s'interroger sur les contradictions entre une logique narrative qui
définit une progression linéaire et prédéfinie
et une structuration en réseau des informations et des textes,
propre au cyberespace. Il semble bien que cette dernière ne
peut attaquer le coeur de la narration au risque d'en affecter
les ressorts essentiels. La mise en oeuvre de l'interactivité
est sans doute beaucoup plus intéressante au niveau du commentaire
sur le texte, de la glose, comme le suggère Michel Valensi
dans son traité
sur le lyber : pourquoi ne pas imaginer en effet une inclusion
permanente avec le texte et à l'intérieur même
de sa structure de diffusion, des commentaires, commentaires de commentaires,
etc. généré par sa lecture. L'interactivité
ainsi mise en oeuvre a le triple avantage de respecter la coupure
statutaire entre auteur et lecteur qui ne peut être remise en
cause, de correspondre à la logique du lien hypertexte qui
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est la vraie révolution d'Internet, et enfin de perpétuer
une tradition qui existe depuis des millénaires.
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