La transaction à l`épreuve de la révocation ad nutum du dirigeant

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La transaction à l`épreuve de la révocation ad nutum du dirigeant
DROIT DES SOCIÉTÉS
La transaction à l’épreuve
de la révocation ad nutum du dirigeant
Saisie d'une demande de nullité d'une transaction conclue peu de temps après la révocation soudaine
d'un PDG d'une société anonyme, la Cour de cassation livre des enseignements précieux sur le recours
à ce mode de résolution des conflits.
SUR LES AUTEURS
Frank Wismer est avocat associé et Jean de
Calbiac, docteur en droit, est juriste au sein du
cabinet Fromont Briens. L’activité du cabinet
qui compte 120 avocats dont 33 associés, est
exclusivement dédiée au droit social. Une équipe
unique est consacrée au droit de la protection
sociale d’entreprise et aux rémunérations
complémentaires. Elle regroupe 30 juristes
dont 6 associés. Fromont Briens est également
membre du réseau international Terralex.
Frank Wismer, avocat associé
S
elon les termes connus de
l’article 2044 du Code
civil, une transaction doit
terminer une contestation née ou
prévenir une contestation à naître.
Au cas particulier de la révocation
d’un mandat de président-directeur
général de société anonyme, cette
condition légale ne va pas de soi
puisque la révocation peut être décidée à tout moment, et que l’absence
de juste motif ne peut donner lieu,
selon l’article L.225-55 du Code du
commerce, à dommages et intérêts.
Hormis le cas d’une révocation dictée par des motifs discriminatoires
ou survenant dans des circonstances vexatoires ou diffamantes, le
principe même du recours à la transaction est discutable.
Tel a été l’un des objets de la décision
commentée1. Sept jours après qu’un
conseil d’administration décide de
révoquer son PDG, sans avoir porté
à son ordre du jour le projet, une
transaction est conclue entre ce dernier et la société. Elle stipule notamment le versement d’une indemnité
« en réparation des préjudices moral,
professionnel et de carrière ».
Jean de Calbiac,docteur en droit
Un an plus tard, la société intente
une action en nullité de ce contrat
au motif de l’absence :
- d’une part, de toute forme de litige,
- et d’autre part, de concessions réciproques.
Déboutée en appel, la société forme
un pourvoi devant la Cour de cassation, qui approuve les juges du fond
d’avoir admis l’existence de ces deux
conditions de validité de la transaction. En revanche, l’intéressé ayant
conservé une fonction d’administrateur dans la société, la transaction
constitue une convention réglementée qui, à défaut d’approbation par
l’assemblée générale, peut justifier
la mise à la charge de l'intéressé des
conséquences préjudiciables pour la
société. L’arrêt d’appel est cassé pour
avoir éludé ce sujet.
Révocation d’un mandat
et existence d’un litige
Caractériser un litige « né ou à
naître » entre un dirigeant et sa
société ne peut procéder de la seule
décision de révoquer ce dernier. En
revanche, l’abus dans l’exercice du
droit de révocation constitue, selon
une jurisprudence constante, un
chef de litige autonome2.
À cet égard, la société arguait de
l’absence de caractère abusif, à défaut
d’une révocation portant atteinte à
la réputation ou à l’honneur du dirigeant ou décidée brutalement sans
respect du principe de la contradiction. Elle ajoutait que le défaut
d’inscription à l’ordre du jour de la
réunion du conseil d’administration
ne suffisait pas, à lui seul, à établir le
caractère abusif de la révocation.
La Cour de cassation approuve la
cour d’appel de ne pas s’être prononcée sur l’existence d’un abus commis
dans l’exercice du droit de révocation
pour déterminer le principe même
d’un litige. En d’autres termes,
apprécier l’abus revient à trancher
le litige, alors que la validité d’une
transaction dépend uniquement de
son existence.
Il y a là une subtilité qu’illustre
bien la sémantique employée par la
Haute Juridiction. La cour d’appel
avait admis, au regard des faits
de l’espèce, qu’un conflit pouvait
Par Frank Wismer, avocat associé, et Jean de Calbiac, docteur en droit. Fromont
Briens
LES POINTS CLÉS
Le PDG d’une SA est révocable à tout moment. L’absence de juste motif de révocation ne peut ouvrir
droit à dommages et intérêts (art. L.225-55 C. com.).
Le principe même d’un litige, justifiant la conclusion d’une transaction, est admis en cas de révocation
« soudaine et précipitée ».
Les indemnités transactionnelles peuvent être supérieures à ce qui aurait pu être obtenu judiciairement,
sous réserve de concessions qui ne portent pas sur le seul motif de l’abandon du litige afférent à la
révocation.
Concessions déséquilibrées
mais réciproques
Le montant de l’indemnité transactionnelle était sans rapport avec les
sommes généralement attribuées
par les juges en cas de révocation
abusive. Or, des concessions trop
faibles équivalent à une absence de
concessions3, remettant en cause la
validité de la transaction.
Ce point n’emporte pas l’adhésion de la chambre commerciale.
Elle considère comme indifférent
le fait que l’accord transactionnel
global alloue au dirigeant révoqué des indemnités qu’il n’aurait
pu obtenir judiciairement. Seule
compte l’existence de concessions
réciproques et effectives, qui ne
s’apprécient pas au regard des seules
circonstances de la révocation. En
l’espèce, elles consistaient notamment, outre la renonciation à toute
action judiciaire, à la souscription
d’un engagement de non concurrence, à assurer un rôle de conseil
et d’assistance auprès du nouveau
président et à démissionner de
la quasi-totalité des mandats au
sein du groupe4. Notons que ces
concessions du dirigeant portaient, pour une part significative,
sur les relations entre les parties
pour l’avenir (non concurrence,
démission de mandats, activité de
conseil).
est décidé d’attribuer des sommes
importantes constituant, dans les
faits, une rémunération déguisée
attribuée en méconnaissance des
règles procédurales, notamment
renforcées pour les sociétés dont
les titres sont admis sur un marché
réglementé. En pareil cas, les tribu-
L’attribution d’une indemnité
transactionnelle élevée ne devrait
pas - sauf circonstances particulières - avoir pour seule contrepartie la renonciation à
des actions judiciaires « Distinguer la révocation "précipitée"
dérivant de la cessation
du mandat, de même de la révocation "brutale" »
que de droits alloués
sous des conditions suspensives
naux saisis adopteront une lecture
de présence (par exemple disposistricte de l’existence d’un litige ou
tifs d’option d’achat ou de sousde valables concessions pour annucription d’actions, ou de retraite
ler cette transaction.
à prestations définies), faute pour
Cass. com., 1 mars 2011, pourvoi n° 10.13993
les tribunaux de pouvoir appréPour un exemple, V. Cass. com., 26 avril 1994, Bull.
n° 158
cier la légitimité de la rupture.
1
er
2
3
Autorisation de la transaction
Le dernier moyen a justifié la cassation. Il portait sur la procédure
applicable à la validation de la transaction. La question du recours à la procédure des conventions réglementées
avait été soulevée, puisque les fonctions dirigeantes n’existaient plus à la
date de conclusion du contrat. Mais
l’intéressé étant resté administrateur,
l’arrêt d’appel est censuré pour ne pas
avoir apprécié si la transaction avait
eu des conséquences dommageables
pour l’entreprise à défaut d’avoir été
approuvée par l’assemblée générale.
Faut-il comprendre que cette procédure est, en toute hypothèse,
exclue lorsque l’ancien dirigeant
remercié n’a plus aucun mandat
dans la société ? Tel semble être le
cas, sous réserve du détournement
de la transaction, notamment s’il
À titre d’exemple, Cass. soc., 28 novembre 2000, Bull.
n° 399
4
V. l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (CA, Paris,
14 janvier 2010, n° 09/03437)
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exister en raison de la révocation
« soudaine et brutale ». La Cour
de cassation confirme cette solution en relevant que la cour d’appel avait valablement constaté que
la révocation était intervenue de
manière « soudaine et précipitée ».
On imagine mal que cette modification terminologique soit due au
hasard.