LE DEBAT - Petit
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LE DEBAT - Petit
LE DEBAT Michèle LEBOULANGER. Inspection académique de l’Aube 1° QU’EST-CE QU’UN DEBAT ? Choisir de travailler le débat en classe c’est choisir de travailler sur un genre caractérisé par « des pratiques langagières relativement conventionnalisées qui organisent la parole et l’écriture » (*1*), un genre qui se pratique dans la société. Nous envisagerons le débat comme une préparation à l’argumentation, comme un outil privilégié qui permet d’apprendre quelque chose sur un sujet donné, notamment grâce à l’apport des autres, de leurs différents points de vue, de la diversité des éclairages sur une même question controversée »(*2) . Cette dimension éducative est à privilégier même si la plupart des débats médiatisés valorisent une forme où l’aspect communicationnel l’emporte sur l’aspect éthique, le but étant de convaincre l’autre, de « modifier les opinions et attitudes de l’autre » (*3) et le plus souvent « la manifestation d’un désaccord irréductible entre des adversaires» (*4). Le désaccord s’appuyant sur un rapport de force entre les différents interlocuteurs, sur une lutte de pouvoir. En effet le débat est souvent ressenti comme passionnel ; l’affectif peut jouer un rôle important dans la mesure où il fait référence à des valeurs. Il revêt un aspect formel, répond à différents enjeux et nécessite une stratégie de la part des participants. Il est normé.« Il se déroule dans un cadre préfixé ; sont en partie prédéterminés : la longueur du débat, la durée et l’ordre des interventions, le nombre des participants et le thème de l’échange » (*3). En outre, un débat comporte généralement un public et un modérateur chargé de veiller à son bon déroulement. Il existe une culture du débat qui passe par le dépassement de ses propres convictions, par l’éclairage de l’argumentation des autres, par le développement de l’esprit critique ou la modification du point de vue initial. « Par ses caractéristiques, le débat tient donc à la fois de la discussion (par son caractère argumentatif) et de l’interview (par son caractère médiatique). Une discussion peut être considérée comme un cas particulier de conversation mais la discussion comporte une composante argumentative importante : il s’agit pour les partenaires en présence d’essayer de se convaincre les uns les autres à propos d’un objet de discours particulier » (*5). . « L’interview est considérée comme finalisée et se caractérise le plus souvent par une dissymétrie des rôles interactionnels, l’interviewer ayant pour mission d’extirper par ses questions certaines informations de l’interviewé, lequel a pour tâche de les fournir par ses réponses » (*2). (*1) Erard S., Le débat : un genre de l’oral public pour contribuer à l’apprentissage de l’argumentation, Le Français d’aujourd’hui n°123 (*2) Dolz J., Schneuwly B. ,Pour un enseignement de l’oral 1998 (*3) Dolz J., Schneuwly B. ,ouvrage cité (*4) Kerbrat-Orecchioni C. ,Les interactions verbales T1 1998 (*5) Dolz J., Schneuwly B. ,ouvrage cité 1 2° QUELS TYPES DE DEBATS ? En se référant à J. Dolz et B. Schneuwly, nous distinguerons trois types de débats à partir de formes sociales différentes: Le débat d’opinion. « Il porte sur les croyances ou opinions. C’est une mise en commun des différentes positions dans le but d’influencer la position de l’autre et de modifier la sienne ».(*1) Le prototype en est le débat télévisé. Les élèves ont souvent comme seule représentation le modèle politique télévisé où le débat ne débouche pas sur un consensus, mais se veut un moyen de mettre en évidence les différences, les dissensus. « Dans ses formes les plus caricaturales, le débat télévisé prend la forme d’une guerre verbale et fonctionne souvent comme un affrontement sans merci entre plusieurs adversaires devant un public. Les contradicteurs tentent par tous les moyens, notamment par la persuasion, la théâtralisation, les coups d’éclat, les effets de manche, voire les demi- et contre-vérités, de dominer, de ridiculiser l’adversaire… Le but n’est pas tant de trouver une réponse à une question que de faire triompher une position au détriment de l’autre. L’incapacité d’apprendre, le non-respect de l’autre sont tendanciellement le lot de ces évènements médiatiques qui, d’ailleurs, tirent une partie de leur intérêt précisément de leur dimension belliqueuse. » (*2) La délibération. C’est une forme d’argumentation dans le but de prendre « une décision dans les cas où il y a des choix nécessaires à opérer voire des intérêts opposés »(*4). Il demande explication et négociation des motifs de chacun pour aboutir à une solution qui intègre des positions préalablement différentes. Le débat pour résoudre un problème dans l’acquisition de connaissances. Il s’agit essentiellement du débat scientifique dans lequel l’argumentation a pour but d’arriver à une vérité épistémique en se basant sur des faits ou observations. Différent dans sa forme et sa fonction des autres types de débats, il est considéré à l’école comme un outil d’apprentissage pour progresser parce qu’il demande de confronter des hypothèses, d’argumenter avec la preuve de l’expérimentation, d’aller au-delà de ses représentations. Le conflit cognitif fait partie intégrante du débat scientifique, il en est le point de départ. Il permet d’observer différentes attitudes des élèves. Il est indispensable pour poser un problème et permettre une problématisation. Il n’existe pas de modélisation du débat scientifique, il dépend de ce qui est en jeu. (*1) idem, p164 (*2) idem, p28 2 3° POURQUOI TRAVAILLER LE DEBAT EN CLASSE ? Le débat est un moyen de développer l’esprit civique et critique. « Lorsqu’ils interviennent dans un débat en classe, les élèves se préparent à participer à la vie sociale. En écoutant des débats en classe et analysant les interventions des participants, ils découvrent certains ressorts de l’argumentation et s’arment ainsi contre certains effets manipulatoires ». (*1) C’est aussi un moyen de diversifier les formes de discours (on n’est plus seulement dans le narratif ou l’explicatif). Très riche, le débat met en jeu des compétences linguistiques, cognitives (capacité critique), sociales (écoute et respect de l’autre) et individuelles (capacité à se situer, à prendre position, construction d’une identité personnelle). Se pose néanmoins le problème de la légitimation du débat. D’après une enquête diligentée par M.Boissinot, les élèves de LP trouve le recours à l’argumentation inutile. Pour eux, puisqu’on discute uniquement avec des gens du même groupe, on a les mêmes références, les mêmes modes de contacts implicites, des connivences tacites. La gestion verbale des désaccords semble étrangère à leur vision cloisonnée de la société. Qu’en est-il des représentations de nos élèves ? ? • • • la préparation des conseils des élèves, les questions de récréation, des projets de sorties ou d’activités différentes… 4° DES SITUATIONS QUI FAVORISENT LE DEBAT EN CLASSE • • • la définition de règles de vie, la cantine, les évènements de quartier, Dolz et Schneuwly proposent de ne travailler que 2 types de débat jusqu’en 3ème : la délibération et le débat à résolution de problème. Selon lui, le débat d’opinion est à réserver à partir de la 3ème parce que c’est à ce niveau que l’on aborde en profondeur l’argumentation. Nous pensons qu’il est néanmoins possible de mettre en place des situations de débat lorsque le contexte est favorable (événement d’actualité par exemple). 5° LES COMPETENCES EN JEU Chez l’élève : Une dimension essentielle dans un débat nous semble être l’écoute, l’apprentissage de l’écoute de la parole de l’autre, la construction collective d’un sens, même s’il met en jeu de multiples autres compétences. (*1) Dolz J., Schneuwly B. ,ouvrage cité p 163 3 Des compétences individuelles : • Oser une prise de risque dans la parole • Oser émettre une opinion • Sortir de ses certitudes • Modifier son propre point de vue • Affermir son point de vue en l’ayant explicité (dépasser l’argumentation de « comptoir » en cherchant des exemples pour étayer les arguments, dans ses connaissances, dans l’entourage, dans des documents). Des compétences cognitives : • Comprendre les propositions des autres • Repérer les arguments des autres • Reconnaître l’enchaînement des différents arguments • Chercher les valeurs qui se profilent derrière ses propres arguments et ceux des autres ; prendre en compte l’implicite, déjouer certains pièges idéologiques ; chercher ce qui se profile derrière l’argument. • Repérer les moyens de séduction du langage ; mettre en perspective le fond et la forme. • Se faire une opinion personnelle sur un sujet. • Pour les plus âgés, décoder ce qui se cache derrière le code des valeurs. Des compétences sociales : • Recevoir, écouter un point de vue différent du sien • Garder un rythme et un volume sonore qui ne dépasse pas les limites de l’acceptable • Essayer d’entrer dans la logique de l’autre • Accepter la coexistence d’un autre point de vue, d’une autre connaissance • Inviter l’interlocuteur à préciser sa pensée : questionner pour faire éclaircir, faire approfondir. Des connaissances sur le monde et des connaissances « textuelles » : • Etayer les arguments (fournir un exemple ; recourir à l’évidence ; invoquer une autorité ; rapporter un témoignage ; utiliser une narration ; monter les conséquence d’un fait….) (*1) Des compétences linguistiques : • Justifier son opinion personnelle en employant : - des verbes et expressions d’opinion : je pense que, je crois que, je suis persuadé que, il me semble que, à mon avis, d’après moi , moi je suis totalement pour.…. - Des adverbes modélisateurs : évidemment, vraiment, heureusement, malheureusement (*1) Dolz J., Schneuwly B. ,ouvrage cité p 183 4 • • Articuler les arguments en employant des connecteurs énumératifs et logiques ou des expressions : - pour enchaîner des arguments (cohérence, progression) : je voudrais ajouter que, donc, ce que je veux dire maintenant, alors, maintenant, d’une part et d’autre part, en second, bon, bien … - pour synthétiser : somme toute, en somme, en définitive, en fin de compte, si on récapitule, finalement, au bout du compte … - pour réfuter un argument : non, absolument pas ! au contraire, alors moi je suis contre le fait…, alors moi je suis farouchement opposé à…. - pour apporter une concession et introduire un contre- argument : certes oui mais…, pourtant…, oui moi je peux comprendre le point de vue de X mais… - pour étayer par un exemple : alors je prends comme exemple, c’est par exemple quand… Inviter l’interlocuteur à préciser sa pensée en employant des expressions du type : - Peux-tu préciser ? - Qu’est-ce que tu veux dire ? - Peux-tu expliquer ? Des compétences communicationnelles non verbales : • • Changer l’orientation du corps et du d’interlocuteur Eviter des gestes agressifs. regard en fonction de changement Chez l’animateur : • • • • • • • • • Déterminer le cadre de la discussion ; présenter le thème, les participants Faire transformer les propos échangés en véritable débat Reformuler Aider à la prise de recul Aider les élèves à s’engager par la parole Aider à problématiser Repérer les valeurs qui sous-tendent l’argumentation des élèves Questionner pour faire éclaircir, faire approfondir. Clore le débat et prendre congé Remarque : Certaines de ces compétences ne sont pas propres au débat ; elles peuvent donc être travaillées à l’occasion d’autres genres ou dans d’autres lieux. 6° LES POINTS QUI FONT OBSTACLE Le point central est d’abord, pour l’élève, d’oser prendre la parole (surtout pour une première fois). Le second point problématique est la prise en compte (quelle que soit la forme) de la parole de l’autre. François a montré comment les jeunes enfants procèdent par « structure en étoile », chacun juxtaposant une idée à celle des autres, sans véritable débat. 5 Dans la régulation interactive des échanges, il semble que les reformulations et les modélisations qui nuancent les prises de position soient rares. Si vous avez des remarques, des suggestions, des critiques, n’hésitez pas à me contacter ! [email protected] 6