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LA LIBERTE DE PRESSE
DANS LES PAYS MEMBRES DE L'ISESCO
EN AFRIQUE DE L'OUEST
Les cas du Sénégal, de la Côte d'Ivoire,
du Nigéria et de la Gambie
Par
Yeslem Ebnou Abdem
Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO1434H-2013
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Dépôt légal : 2013 MO 1295
ISBN : 978-9981-21-577-6
Photocomposition, montage
et impression : ISESCO
Rabat - Royaume du Maro c
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Table des Matières
Préface .............................................................................................................
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I. Introduction …..................………………………………………………… 11
II. Méthodologie …..........…………………………………………………… 13
PREMIERE PARTIE : EVOLUTION DES LEGISLATIONS REGISSANT LE
SECTEUR DE L'INFORMATION DANS LES ETATS
OUEST-AFRICAINS MEMBRES DE L'ISESCO ......... 15
1. Contexte de la liberté de presse en Afrique de l'Ouest ...………………... 17
1.1. Contexte général …………………………………………………… 17
1.2. Contexte sous régional ……………………………………………... 18
2. Concept de la liberté de presse en Afrique de l'Ouest …………………... 20
3. Fondements historiques des législations ouest-africaines en matière de
presse …………………………………………………………………… 21
3.1. Les fondements juridiques et institutionnels ……………………….. 21
3.1.1. Les Constitutions ……………………….................................. 21
3.1.2. Les instruments juridiques internationaux et régionaux ……..... 22
4. Le droit des anciennes métropoles …............................………………… 23
5. Les fondements socioculturels et politiques ….....................…………… 24
5.1. La liberté d'information dans les sociétés traditionnelles africaines 24
5.2. La culture et les courants de pensée occidentaux ……….................. 25
5.3. L'environnement politique …………………………….................… 26
6. Influence des parcours politiques sur l'évolution de l'arsenal juridique
ouest-africain ………………………....................................................… 26
6.1. La période coloniale …………………………………………..…… 28
6.1.1. Colonies françaises : cas du Sénégal et de la Côte d'Ivoire ….… 28
6.1.2. Colonies anglaises : cas du Nigéria et de la Gambie …...……… 30
6.2. Les indépendances nationales et les lendemains de l'émancipation :
1960 à 1965 : Anciennes colonie françaises et anglaises : un parcours
commun ….....................................................................................… 33
6.3. Les régimes du parti unique et les coups d'Etat militaires (de 1965
à la fin des années 1980 environ) ………………………………...… 35
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6.3.1. Les pays francophones : Cas de la Côte d'Ivoire et du Sénégal 36
6.3.2. Les pays anglophones : Cas du Nigeria et de la Gambie ….… 38
7. L'avènement de la démocratie : de la fin des années 1980 à nos jours 41
DEUXIEME PARTIE : SITUATION ACTUELLE DE LA LIBERTE DE
PRESSE DANS LE PAYS OUEST-AFRICAINS
MEMBRES DE L'ISESCO ….................................... 43
I. Situation actuelle de la liberté de presse dans le pays ouest-africains
membres de l'ISESCO ………………………………………………….... 45
1.1. Pluralisme de la presse écrite ……………………………................... 46
Au Sénégal et en Côte d'Ivoire …………………………………………… 46
Au Nigéria et en Gambie ……………………………………………......... 49
1.2. La libéralisation du secteur de l'audiovisuel .……………………....... 51
Les Etat francophones : Cas du Sénégal et de la Côte d'Ivoire ...…… 52
Les Etat anglophones : Cas du Nigéria et de la Gambie ..………… 54
II. Influence du contexte politique récent sur les législations nationales
ouest-africaines ......................................................................................... 56
2.1. Contexte général ………………………………………........................ 56
III. Etat actuel de la liberté de presse en Afrique de l'ouest ....……………… 60
3.1. Le statut légal ……………………………………….......................... 60
3.1.1. Les Constitutions actuelles ….………………………………... 60
3.1.2. Les instruments juridiques internationaux et régionaux …… 62
3.1.3. Les codes d'informations ouest-africains : forces et faiblesses 65
3.1.1.1. Les forces ……………………………………………. 65
3.1.1.2. Les faiblesses ……………………………………....... 71
3.2. Le statut réel de la liberté de presse en Afrique de l'ouest …………… 74
3.3. Conclusions …………………………………..………………........... 80
3.4. Recommandations …………………………………………………..... 83
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PREFACE
Se basant sur l'Agenda et l'Engagement de Tunis, issus du Sommet Mondial sur
la Société de l'Information (Tunis 2005) ; s'inspirant des rapports de l'Union
internationale des Télécommunications (UIT), du Programme international de
l'UNESCO pour le développement de la communication (PIDC) ; et en
application des orientations de sa Stratégie de développement des technologies de
l'information et de la communication, l'Organisation islamique pour l'Education,
les Sciences et la Culture (ISESCO) a accordé un intérêt particulier aux activités
visant à appuyer la liberté d'expression et généraliser l'accès et l'échange de
l'information. De même qu'elle a veillé à apporter le conseil technique aux parties
compétentes dans les Etats membres, en particulier dans la région africaine, en
vue de mettre à jour leur législation relative aux médias et à la communication.
C'est dans ce contexte que s'inscrit la présente étude élaborée par l'ISESCO, avec
comme objectif de faire l'état des lieux de la liberté de presse et évaluer et
comparer les codes de l'information dans les Etats membres. L'étude se propose
également d'identifier les points forts et les points faibles de ces législations et de
formuler des propositions et des recommandations pertinentes en vue de
consolider les acquis et surmonter les obstacles qui entravent le développement
et l'harmonisation des codes de l'information dans ces Etats.
L'intérêt de cette étude réside dans le fait qu'elle tente de donner une image
exhaustive de la réalité de la liberté de presse dans les Etats membres d'Afrique
de l'Ouest à travers un échantillon de quatre Etats que sont le Sénégal, la Côte
d'Ivoire, le Nigeria et la Gambie. Cet échantillon représentatif a été
soigneusement choisi afin de rendre compte avec le maximum d'exhaustivité de
la réalité de la liberté de presse dans douze Etats d'Afrique de l'Ouest. Les raisons
de ce choix sont d'ailleurs expliquées dans le chapitre 1.
Pour ce faire, l'étude part de la conjoncture politique passée et présente dans
chaque Etat pour déterminer les fondements juridiques et institutionnels de la
liberté de presse dans les Etats concernés. Il s'agit ensuite d'évaluer le
développement des mesures de protection juridique en matière d'information et
de communication, en veillant à identifier les lacunes et les obstacles à la
consolidation de la liberté de presse, d'opinion et d'expression dans cette région
du continent africain.
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Cette étude comporte deux chapitres. Le premier, dédié à la réalité des
législations relatives à la liberté de presse dans les pays d'Afrique de l'Ouest,
passe en revue les différentes phases de développement de ces législations, en
essayant de placer celles-ci dans leur contexte historique, politique et
socioculturel lié à la colonisation française et anglaise de la région ainsi qu'aux
changements démocratiques qu'a connus la région à partir des années 90 du
siècle dernier.
Le deuxième chapitre se penche, quant à lui, sur la situation actuelle de la liberté
de presse dans les pays d'Afrique de l'Ouest. Pour cela, il aborde des sujets
pertinents tels que le pluralisme médiatique, la libéralisation du paysage
audiovisuel et l'impact des changements politiques et démocratiques aux niveaux
local, régional et international sur le développement de la liberté de presse dans
la région. En identifiant également les points faibles et les points forts des
nouveaux codes de l'information dans les pays d'Afrique de l'Ouest, il propose
des recommandations et des mesures pour surmonter les obstacles administratifs,
législatifs et juridiques qui se posent dans ce domaine.
En publiant cette étude, l'ISESCO tient à saluer l'effort remarquable consenti par
l'expert mauritanien auteur de l'étude, Prof. Yeslem Ebnou Abdem, et par l'expert
marocain, Dr Ali Karimi, qui en a assuré la révision. Elle espère que cette étude
profitera aux professionnels des médias et aux étudiants des instituts et facultés
d'information dans les Etats membres et contribuera à enrichir la bibliothèque
médiatique du monde islamique.
Puisse Dieu guider nos pas sur la voie du bien et de la réussite.
Dr Abdulaziz Othman Altwaijri
Directeur général
Organisation islamique
pour l’Education, les Sciences et la Culture
-ISESCO-
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LISTE DES ABREVIATIONS
AOF : Afrique Occidentale Française
ANP : Association of Newspapers Proprietors
BCC : Broadcasting Complaint Commission (Grande Bretagne)
CDEAO : Communauté Economique des États de l'Afrique de l'Ouest
CLO : Civil Liberties Organisation (Nigeria)
CNP : Commission nationale de la presse (Côte d'Ivoire)
CNRA : Conseil national de régulation de l'audiovisuel (Côte d'Ivoire)
CRED : Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie (Sénégal).
CSA : Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (France)
DBN :Degue Broadcasting Network (Nigeria)
DTTC : Daily Times Newspaper Training Center (Nigeria).
ECOMOG : Economic Community of West African States Cease-fire
Monitoring Group,
FIJ : Fédération Internationale des Journalistes
GRTS : Gambia Radio And Télévision Services
IMC : Institute of Mass Communication (Nigeria)
IPAO : Institut Panos pour l'Afrique de l'Ouest
MRA : Media Rights Agenda
NBC : National Broadcasting Commission (Nigeria)
NMC : Commission des Média du Nigeria
NPC : Conseil nigérian de la Presse
NUJ : Nigérian Union of Journalists
PANN : Association des propriétaires de journaux nigérians
RFI : Radio France Internationale
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RTI : Radiotélévision Ivoirienne
RTS : Radiotélévision Sénégalaise
RSF : Reporters sans Frontières
SNCE : Society of Newspapers Chief Editors (Nigeria),
STV : Silverbird Télévision (Nigeria)
UNCI : Union Nationale des journalistes de Côte d'Ivoire
UPS : Union Progressiste Sénégalaise
PRA : Parti du Rassemblement Africain (Sénégal),
WNTV : Western Nigeria Télévision,
ZNC : Zonal Network Center (Nigeria).
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1. Introduction
La liberté de la presse constitue aujourd'hui l'un des baromètres les plus fiables
pour mesurer l'évolution démocratique, et même l'évolution tout court, de tous
les pays. E. Kant disait : «Il n'est pas de plus sûr critère pour évaluer la vigueur
d'une démocratie que celui de la presse et de son pluralisme».
En Afrique, Cela est d'autant plus vrai que le Continent a subi une domination
qui, contrairement aux objectifs civilisateurs et émancipateurs déclarés, a été la
cause d'une arriération et d'une aliénation desquelles les pays africains tentent,
avec plus ou moins de bonheur, de se dégager depuis leurs indépendances.
Malgré les différences qui ont marqué le fait colonial dans chacun de ces pays
et, particulièrement, ceux de l'Afrique de l'ouest, malgré les parcours spécifiques
à chacun d'entre eux depuis l'indépendance, on peut dire que l'histoire de la
liberté de la presse y a connu, globalement, le même cheminement marqué par
une évolution en quatre cycles relativement distincts où la conjoncture
internationale a joué un rôle plus important que celui attribué aux conditions
intérieures propre à chacun des pays concernés.
- Le premier cycle fut celui de la domination coloniale directe de1860-1960
environ.
- Le deuxième cycle, celui qui suivit immédiatement les indépendances, était
situé approximativement entre les années 1960 et 1965.
- Le troisième cycle est celui des coups d'Etat et des partis uniques. Il s'étale
de la moitié des années soixante à la fin des années quatre-vingt.
- Le quatrième cycle, celui que nous vivons encore, a débuté avec la chute
du Mur de Berlin et, pour la plupart des pays ouest africains, la Conférence
de la Baule. C'est le cycle de la démocratisation et de l'orientation vers les
régimes politiques pluralistes. Il a été marqué au cours des dernières années
par l'initiation de législations consacrant la liberté de presse et d'expression,
le pluralisme et le libre développement des media écrits et audiovisuels.
Cependant, comme nous le verrons plus loin, il ne suffit pas de promulguer
des lois pour que la réalité et l'ordre des choses changent.
Afin de ne pas alourdir cette étude ou la rendre fastidieuse, nous avons opté pour
l'étude de cas au lieu d'exposer la situation des douze pays concernés. Il s'agira
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d'étudier la situation de la liberté de presse et d'expression dans quatre pays «types»
choisis selon la répartition géographique et linguistique (pays francophones et pays
anglophones) et sur la base des critères suivants :
l
Les pays francophones :
- Le Sénégal, en tant que pays relativement stable et démocratique, le seul de
région qui n'a pas connu de coup d'Etat militaire, et où l'alternance au pouvoir
s'est opérée, deux fois successives, selon les règles constitutionnelles.
- La Côte d'Ivoire, pour son poids économique et son influence dans la
région. Ce pays a connu pratiquement toutes les péripéties qui ont marqué
l'histoire récente de la majeure partie des pays de l'Afrique de l'ouest à
savoir, une période de stabilité et de prospérité, puis une période de coups
d'Etats successifs, de conflits interethniques et de guerre civile et, enfin, une
période de rétablissement du système démocratique.
l
Les pays anglophones :
- Le Nigéria, en tant que «géant» de l'Afrique dont l'histoire postindépendance
est riche en développements et dont l'influence dans la région n'est pas à
démontrer, surtout à travers son rôle politique, diplomatique et militaire dans
les zones de conflits et, partant, dans le façonnement du devenir des pays
concernés.
- La Gambie, ayant les frontières le plus étroite, étant le pays le plus «petit»
démographiquement de la région ouest-africaine et qui se trouve
géographiquement, politiquement à la lisière des deux zones francophone et
anglophone. C'est également un pays qui a accédé à l'indépendance
tardivement par rapport aux autres.
Ce découpage linguistique a été adopté en raison de l'influence du passé colonial
sur le processus de développement de ces pays et sur leur devenir démocratique,
sachant que les pays lusophones se sont pratiquement intégrés à l'aire
francophone en l'absence de la continuité de l'influence réelle de l'ancienne
puissance coloniale.
Nous n'avons pas voulu introduire l'exemple des anciennes colonies portugaises
étant donné que le seul pays dans ce cas, membre de l'ISESCO, est la Guinée
Bissau qui se trouve actuellement sous la prise d'un régime militaire et qui, du
fait du recul de l'influence de l'ancienne puissance colonisatrice, a pratiquement
intégré le groupe des pays francophones de la sous-région.
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Cette étude ne concernera que les médias traditionnels (presse écrite et audiovisuel) en raison de l'absence quasi-totale de législations relatives aux media dits
électroniques ou en ligne dans les pays concernés.
2. Méthodologie :
La méthodologie suivie consiste à collecter les ressources documentaires
disponibles pour en extraire et analyser les données et les éléments d'information
relatifs à la liberté de presse en Afrique de l'ouest, notamment les quatre pays
retenus ci-dessus énumérés, à savoir le Sénégal et la Côte d'Ivoire en zone
francophone et le Nigeria et la Gambie dans la sous-région anglophone.
Après un aperçu sur le contexte général, l'étude essayera, dans une première
phase et à travers une analyse documentaire rapide, d'identifier les fondements
juridiques et institutionnels de la liberté de presse dans les pays ciblés, de jeter
un regard évaluatif sur l'Influence des parcours politiques des différents pays sur
l'arsenal juridique national et de remonter l'histoire de l'évolution des législations
ouest-africaines en matière de liberté de la presse.
Ensuite, l'analyse tentera d'examiner et de décrire, à travers le recoupement des
données de diverses sources, l'état de la liberté de presse dans le contexte actuel
en Afrique de l'ouest en étudiant son statut légal (les législations) et son statut
réel (les pratiques et le niveau d'application et du respect des textes en vigueur)
tout en essayant de mesurer, éventuellement, l'écart entre les deux situations.
En conclusion, l'étude résumera et mettra en exergue les idées fortes de l'analyse,
rappellera les forces et les faiblesses des législations ouest-africaines en matière
de presse, les points saillants et les lacunes dans leur application, en formulant à
la fin quelques recommandations.
Faut-il, quand même, préciser que certaines limites ont empêché la présente étude
d'aller plus dans le fonds. Elle couvre un thème assez large et peu exploré, du moins
dans le passé récent. L'étude aurait été certainement plus étoffée, plus fouillée et plus
exhaustive, si le consultant avait pu se rendre dans les pays ciblés pour rencontrer les
personnes ressources impliquées dans le secteur des media et collecter une
documentation locale plus fournie, notamment les textes de lois en vigueur, les textes
réglementaires et autres documents les plus récents dans chaque pays.
En effet, la documentation disponible relative aux pays concernés en matière de la
liberté de presse est lacunaire. De ce fait, les informations récentes et les données
relativement fiables sont assez rares. En effet, les documents disponibles en
version papier étant insuffisants, l'étude a puisé la plupart de ses sources sur le net
où, cependant, les sites sensés servir de références ne sont pas toujours à jour.
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PREMIERE PARTIE :
Evolution des Législations régissant le secteur de
l’Information dans les Etats Ouest-Africains
Membres de l’ISESCO
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1. CONTEXTE DE LA LIBERTE DE PRESSE EN AFRIQUE DE L'OUEST
1.1. Contexte général
L'Afrique de l'Ouest est une vaste région de près de 6.000.000 de kilomètres
carrés, soit environ le cinquième de la surface du Continent, qui couvre la partie
occidentale de l'Afrique subsaharienne. Elle comprend les pays côtiers au nord
du golfe de Guinée jusqu'au fleuve Sénégal, les pays du bassin du fleuve Niger
et certains pays de la région du sahel.
Berceau de civilisations et d'empires africains séculaires, dont notamment celui du
Ghana (VIème-XIème siècle), du Mali (XIème-XVème siècle) et du Songhaï (XVème-XVIIème
siècle), l'Afrique de l'Ouest est un ensemble de pays qui possèdent un héritage
communs, malgré la diversité culturelle, ethnique et linguistique de ses peuples.
Affaiblie par les conflits internes, morcelée en royautés plus ou moins
éphémères, elle va constituer, à partir du XVème siècle un point d'intérêt pour les
puissances européennes en pleine expansion économique et militaire. Venus
d'abord en explorateurs, puis en commerçants, ces puissances vont finir par
occuper cette partie de l'Afrique à la fin du XIXème et au début du XXème siècle
avant de se la partager lors de la Conférence de Berlin en 1884, la France et
l'Angleterre se taillant la part du lion dans ce partage.
Après l'établissement sur la côte atlantique, de comptoirs commerciaux portugais,
puis français et anglais vers la moitié du XVème, l'intensification du trafic maritime,
européen entraîna le déclin économique des cités intérieures ouest-africaines vivant
du commerce caravanier transsaharien. La tristement célèbre traite négrière
commença peu après dans la région et ne prendra fin qu'au XIXème siècle.
Suite au partage du continent africain entre les pays européens convenu au cours
de la conférence de Berlinen 1884, la France avait occupé la Guinée, le Soudan
français (Mali ), la Côte d'Ivoire, le Niger, le Dahomey (actuel Benin), la HauteVolta (Burkina Faso) et le Togo. Les colonies de la couronne britannique étaient
le Nigéria, la Gambie, le Ghana et la Sierra Leone. De son côté, le Portugal avait
colonisé la Guinée Bissau et le Cap Vert.
Quant au Liberia, il était une colonie spéciale, créée en 1822 par une société
américaine qui entreprit de peupler le pays avec d'anciens esclaves noirs libérés.
En 1947, les immigrés ou colons afro-américains, encouragés par les États-Unis,
adoptent une Constitution et font de ce petit pays la première république
indépendante d'Afrique noire.
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Malgré le morcellement de la région, la décadence des royautés ouest-africaines,
la puissance et la multitude des envahisseurs européens, l'occupation de cette
partie de l'Afrique ne se fit pas sans une résistance farouche à la pénétration
coloniale de la part des populations autochtones. Le drapeau de cette résistance,
qui prit les formes les plus diverses, fut porté par d'éminents chefs spirituels et
militaires, le plus souvent au nom de l'Islam, dont les noms sont restés gravés
dans la mémoire collective des peuples. La supériorité économique et militaire
de l'envahisseur finit par avoir raison de cette résistance à la fin du XIXème siècle
et dans les premières décennies du XXème siècle.
Il aura fallu attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour voir se généraliser
et se développer dans toutes les colonies africaines un vaste mouvement
d'émancipation qui prône l'indépendance par rapport aux puissances colonisatrices.
Ce mouvement fut animé par les cadres autochtones sortis des écoles coloniales
et pétris des valeurs démocratiques prônées par les colonisateurs eux-mêmes. Les
anciens combattants, rentrés chez eux après avoir mené la guerre aux côtés des
ressortissants des métropoles, ont également ramené avec eux de nouvelles idées
et de nouvelles aspirations à la liberté et à la dignité.
Les exactions que n'ont cessé de subir les populations, des décennies durant, du
fait de la colonisation, en ont fait un terrain fertile aux idées émancipatrices. Ces
facteurs, auxquels s'est ajouté celui, non négligeable, de la conjoncture
internationale d'alors, ont abouti aux vagues des indépendances qui se sont
succédé à partir de 1960.
1.2. Contexte sous régional
Après un demi-siècle de résistance et de luttes politiques acharnées, tous les Etats
ouest-africains sont devenus indépendants entre 1960 et 1975. Aujourd'hui,
l'Afrique de l'ouest comprend 14 Etats dont 12 appartiennent au monde
musulman et, partant sont membres de l'ISESCO. Il s'agit du Sénégal, de la Côte
d'Ivoire, du Mali, de la Guinée, du Benin, du Burkina Faso, du Togo, du Niger
(pays francophones), du Nigéria, de la Sierre Leone, de la Gambie (pays
anglophones) et de la Guinée Bissau (pays lusophone).
Au niveau régional, les pays ouest-africains constituent une communauté de
peuples et d'Etats, qui tend à se reconstituer politiquement et économiquement,
notamment à travers la Communauté Economique des États de l'Afrique de
l'Ouest (CDEAO). Ce mécanisme sous régional a été créé dans le but initial de
favoriser une union économique et monétaire ouest africaine. En 1990, son
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pouvoir est étendu au maintien de la stabilité régionale avec la création de
l'ECOMOG, un groupe militaire d'intervention pour la prévention des conflits,
l'interposition entre belligérants et le maintien de la paix.
Depuis la période coloniale jusqu'à ce jour, les pays ouest-africains, toujours en
voie de développement, ont fait un très long et fluctuant parcours politique qui a
marqué l'évolution de la liberté de presse dans le contexte sous régional. Certes, il
y a quelques différences entre les pays francophones, anglophones et lusophones,
où les divers pouvoirs coloniaux ont laissé différentes traditions. Toutefois, des
tendances communes existent et sont reflétées par les cheminements politiques
presque identiques des différents Etats de la sous-région.
En effet, le parcours politique commun des Etats ouest-africain est caractérisé par
la récurrence de l'instabilité, d'énormes difficultés économiques et sociopolitiques,
une mal-gestion chronique des affaires publiques, une succession ou une alternance
des régimes de parti unique et des dictatures militaires, entrecoupés d'épisodes
démocratiques éphémères et volatiles. Cette instabilité chronique a toujours affecté
le statut des libertés, notamment celles de l'information et l'expression.
C'est au cours des deux dernières décennies, que les pays ouest-africains ont
connu l'avènement de la démocratie qui s'est accompagné par une réforme
juridique, notamment en matière de presse consacrant la liberté d'information et
d'expression et la libéralisation du secteur de la communication.
Malheureusement, les démocraties naissantes en Afrique de l'ouest sont souvent
précaires et réversibles.
L'exemple le plus frappant à cet égard est celui qu'offre aujourd'hui la République
du Mali. Considéré, il y a quelques mois seulement, l'une des démocraties les plus
prometteuses de la sous-région, le Mali a basculé dans la guerre civile et la
sécession, à la veille d'une élection présidentielle qui s'annonçait bien comme la
précédente. La presse y était pourtant l'une des plus libres du Continent, les partis
politiques des plus actifs, et le pluralisme des plus ancrés.
Toujours dans la sous-région, ne parlons pas du cas de la Guinée Bissau où un
coup d'Etat a mis fin à une expérience démocratique déjà très fragile.
Actuellement, la plupart des Etats fonctionnent dans un système démocratique
pluraliste. Avec l'avènement la démocratisation, le paysage médiatique sous
régional a connu une évolution rapide tendant vers le pluralisme des medias et
une certaine liberté de presse et d'expression.
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Dans ce qui suit, nous essayerons de remonter le cours de l'histoire pour analyser
l'influence des mutations de l'environnement politique sur la liberté de presse et
d'expression dans quatre Etats ouest-africains dont deux francophones (le
Sénégal et la Côte d'Ivoire) et deux anglophones (le Nigeria et la Gambie).
A travers cette analyse, nous tenterons également d'identifier les facteurs qui ont
été déterminants dans l'évolution de la liberté et du pluralisme de l'information et
de l'expression et leur impact sur le statut de la liberté de presse dans le contexte
ouest-africain.
2. CONCEPT DE LA LIBERTE DE PRESSE EN AFRIQUE DE L’OUEST
Partout dans le monde, la problématique des médias et de leur indépendance est
intimement liée aux autres libertés politiques, d'expression, de croyance etc. Les
débats sur la liberté de la presse et l'éthique de l'information couvrent la libre
expression de la pensée et la diffusion responsable de l'information. Pour
Emmanuel Derieux, le concept de la liberté de presse est la «faculté d'agir, de sa
propre initiative, sans y être contraint ni en être empêché par quelque personne,
puissance ou autorité qui n'aurait pas été formellement habilitée, ou qui
interviendrait pour des motifs, au-delà des limites ou selon des moyens autres
que ceux correspondant aux pouvoirs qui lui ont été conférés»(1). Francis Balle la
définit comme étant «le droit reconnu à chaque individu d'utiliser, en toute
liberté, l'outil de communication de son choix pour exprimer son opinion, pour
rapporter des faits liés à la vie en société, pour informer les autres sans autres
restrictions que celles prévues par la loi»(2).
En Afrique de l'ouest, le concept de liberté de presse a été introduit avec
l'occupation coloniale. Comme droit humain, la liberté de presse et d'expression
dans la plupart des pays ouest-africains a été longtemps ignorée, puis reconnue,
bafouée, ensuite plus au moins rétablie, à travers un processus fluctuant et parfois
réversible selon l'environnement politique depuis l'époque coloniale jusqu'à ce
jour. Aujourd'hui, dans la plupart des pays de l'Afrique de l'ouest, la liberté de
presse est reconnue et régie par un arsenal juridique dont les sources historiques
sont diverses et qui a pris racines dans un moule occidental que les africains
peinent encore à adapter à leur propre contexte.
(1) E. Derieux : Droit des médias, Dalloz, 2ème édition P. 8.
(2)La liberté de la presse dans le contexte africain (Etude critique des textes juridiques sur la
presse au Rwanda).
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3. FONDEMENTS HISTORIQUES DES LEGISLATIONS OUEST-AFRICAINS EN
MATIERE DE PRESSE
Les codes de l'information dans les Etats francophones et anglophones ouestafricains, notamment au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigéria et en Gambie,
objet de la présente étude, se fondent sur plusieurs principes et puisent leurs
sources dans divers instruments juridiques mais aussi dans l'environnement
socioculturel et politique de la sous-région.
3.1. Les fondements juridiques et institutionnels :
3.1.1. Les Constitutions
Aujourd'hui, dans les pays ouest-africains comme dans tout Etat de droit, la
Constitution est la première source de consécration de la valeur légale de la
liberté de la presse. Grâce aux efforts des défenseurs des médias et à l'avènement
de la démocratie au cours des dernières décennies, la majorité des pays africains
disposent depuis quelques années de constitutions qui garantissent la liberté
d'expression et de la presse, souvent régie par des règles qui énoncent les
conditions d'existence des organes d'information et du contrôle de leur contenu.
La Constitution sénégalaise adoptée en 2001 garantit la liberté de presse et
d'expression à tous les citoyens. En son article 10, elle stipule : «chacun a le droit
d'exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l'image, la
marche pacifique, pourvu que l'exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l'honneur
et à la considération d'autrui, ni à l'ordre public». Son article 11 dispose : «la création
d'un organe de presse pour l'information politique, culturelle, sportive, sociale
récréative ou scientifique est libre et n'est soumise à aucune autorisation préalable».
Les mêmes dispositions constitutionnelles précisent que «la loi place cette liberté
sous le régime de la simple déclaration préalable et du dépôt légal».
Adoptée en 2000, la Constitution ivoirienne reconnait, en son article 10, à chacun
son «droit d'exprimer et de diffuser librement ses idées». Son article 9 édicte : «la
liberté de pensée et d'expression, notamment la liberté de conscience, d'opinion
religieuse ou philosophique sont garanties à tous, sous la réserve du respect de la
loi, des droits d'autrui, de la sécurité nationale et de l'ordre public».
Au Nigeria et en Gambie :
La Constitution nigériane fédérale de 1999 garantit la liberté de presse. En son
article 39 dispose : «toute personne a droit à la liberté d'expression, y compris la
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liberté d'opinion, de recevoir et de répandre des idées et des informations sans
ingérence». Son alinéa second énonce que «toute personne a le droit de posséder,
d'établir et d'exploiter un quelconque support pour la diffusion de l'information,
des idées et des avis». L'article 22 précise que «la presse, la radio, la télévision
et d'autres organismes des médias doivent en tout temps être libre de faire
respecter les objectifs fondamentaux … et de faire respecter la responsabilité et
la responsabilisation du gouvernement au peuple».
De même, la Constitution gambienne reconnait, en son article 25, que chaque
personne a droit «à la liberté de parole et d'expression, qui inclut la liberté de la
presse et d'autres médias». L'alinéa 2 du même article ouvre à tous les citoyens
le droit à la liberté de pensée, de conscience et de croyance, y compris la liberté
de l'enseignement.
Nous reviendrons plus en détails sur ces dispositions constitutionnelles dans
l'analyse du contexte actuel de la liberté de presses dans les pays ouest-africains
membres de l'ISESCO.
Ces libertés sont également protégées par d'autres lois sous le contrôle des
autorités de régulation, comme nous le verrons plus loin dans l'étude des
situations spécifiques de chacun de ces pays.
3.1.2. Les instruments juridiques internationaux et régionaux :
Fondés sur des dispositions constitutionnelles, les textes juridiques relatifs à la
liberté de presse et d'expression dans les pays ouest-africains francophones et
anglophones, s'inspirent également des instruments juridiques internationaux et
régionaux notamment onusiens et panafricains ratifiés par les différents pays.
Il s'agit notamment de :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
- du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté en 1966,
- la Charte africaine des droit de l'homme et des peules'' adoptée en Juin 1981
et entrée en vigueur le 21 octobre 196,
- la Charte africaine de la démocratie, des elections et de la gouvernance
entrée en vigueur le 15 février 2012,``
- la ''Déclaration de Windhoek'' du 3Mai 1991, adoptée à l'issue du séminaire
pour le développement d'une presse africaine indépendante,
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Plus loin, nous analyserons l'influence des dispositions de ces différents
instruments juridiques sur les législations nationales ouest-africaines, notamment
au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigéria et en Gambie.
4. LE DROIT DES ANCIENS METROPOLES :
A l'époque de la colonisation, les sujets de l'empire colonial notamment français,
avaient le statut d'indigène et sont régis par le code colonial de l'indigénat qui
couvre la quasi-totalité des colonies françaises. Même si sous ce régime
d'indigénat, la presse, déjà rare, étaient sérieusement surveillée, les citoyens
africains naturalisés français, jouissaient d'une certaine liberté d'expression.
Dans des colonies, comme le Sénégal, où une partie de la population avait la
citoyenneté française, les ressortissants avaient, en raison de ce statut, les mêmes
droits que ceux des citoyens de la métropole. Ils étaient donc soumis aux mêmes
obligations légales, et bénéficiaient des mêmes libertés, notamment en matière
de presse et d'expression.
Comme dans les pays ouest-africains sous domination françaises, l'exercice de
ces libertés et de ces droits a permis à certains indigènes dans les colonies
britanniques de jouer un rôle important dans le développement d'une presse libre
et d'une culture démocratique au niveau local.
Après les indépendances, l'influence du droit colonial sur les législations
nationales ouest africaines reste incontestable. De manière générale, les lois
initiées dans les Etats africains à l'aube de l'indépendance se sont largement
inspirées des législations de la puissance coloniale. Certains textes juridiques
africains n'étaient, en réalité, qu'une version métropolitaine tropicalisée, reprise
et adaptée aux contextes spécifiques du pays devenu indépendant.
Les codes de l'information en Afrique de l'ouest n'ont pas échappé à cette règle.
Au moment des indépendances, nous allons le voir dans ce qui suit, la quasitotalité des États africains francophones ont en effet repris ou copié la loi
française ou britannique en matière de presse, pour l'adapter à travers des lois
nationales, des ordonnances ou des décrets à leur propre besoin et à la situation
spécifique de leur pays.
Même après l'ouverture démocratique récente et la libéralisation du secteur de
l'information qui s'en est suivie, les législateurs africains se sont souvent référés
à certaines dispositions légales initiées par l'ancien colonisateur ou à d'autres lois
africaines antérieures mais qui se sont, elles-mêmes, inspirées de ces législations.
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5. LES FONDEMENTS SOCIOCULTURELS ET POLITIQUES
5.1. La liberté d'information dans les sociétés traditionnelles africaines
La notion de liberté d'expression et d'information n'est pas totalement étrangère
aux sociétés traditionnelles africaines(3).Le message informatif a toujours circulé au
sein des communautés et entre elles, véhiculé principalement par la parole et le
bouche-à-oreille. Cette communication traditionnelle était orale par excellence, les
supports écrits étant rares et les canaux audiovisuels, évidemment, inexistants.
Toutefois, cette information orale n'était pas sans bornes. Ses limites se dressaient
selon les lignes de partage des générations, des métiers et des privilèges des
différents ordres sociaux traditionnels. Par exemple, si au sein des groupes du même
âge (jeunes, femmes, adultes ou vieux), l'expression était assez libre, car on se
cachait peu de choses entre pairs, le poids des traditions mettait des barrières
socioculturelles devant l'expression spontanée et la libre circulation de l'information.
Ainsi, le «droit d'ainesse», certains tabous, croyances, etc. imposaient des
interdits et une certaine réserve entrainant la mesure ou l'autocensure dans le
discours. De ce fait le non-dit et les paroles codées occupaient une place
importante dans la communication traditionnelle ouest-africaine. De nos jours, il
existe encore, surtout au sein des communautés rurales, des mécanismes de
dissémination des informations et des traditions instituant des langages
spécifiques que seuls les initiés comprennent.
En Afrique de l'ouest, les vecteurs antiques de l'information étaient multiples : le
griot, le poète, l'orateur, le conteur, etc. Parmi les espaces traditionnels de
communication on peut aussi citer l'arbre à palabre, les cérémonies sociales, les
points d'eau, les lieux de culte, etc.
Les circuits traditionnels de transmission de l'information dans les villages n'ont
pas totalement disparu. Aujourd'hui pour toucher certains publics cibles, les
promoteurs de communication pour le changement de comportement au service
du développement, utilisent l'oralité et les canaux traditionnels fondés sur la
proximité et les échanges.
(3) Luc Adolphe TIAO : La liberté de la presse dans le contexte africain (Etude critique des textes
juridiques sur la presse au Rwanda)-2004.
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5.2. La culture et les courants de pensée occidentaux
Les origines de la liberté de la presse sont lointaines. Dans l'histoire de toutes les
sociétés, on trouve des références aux conditions d'exercice de la liberté
d'expression, quels qu'en soient les outils utilisés.
Toutefois, la revendication de la liberté de la presse n'a été officiellement
formulée que lors de la Révolution française de 1789. Déjà, au siècle des
lumières, Emmanuel Kant, pensait qu'on «ne peut créer une société éclairée,
développée et constituée d'individus libres et indépendants sans accorder la
liberté d'expression à tous les membres qui la forment»(4).
Nombre d'autres penseurs et journalistes, n'ont cessé de rappeler comme le
célèbre Figaro que «sans liberté d'expression, il n'y a point de blâme et donc
point de société libre et développée»(5).
Pour les penseurs anglo-saxons, comme John Milton, John Stuart Mill et James
Madison, une société est prospère et ouverte si la censure ne sévit pas, permettant
ainsi aux citoyens de s'informer librement et de participer au débat de la cité.
Ainsi, au cours de la période coloniale et bien plus tard, la culture et la pensée
occidentales ont indirectement influencé le processus de reconnaissance du droit
à la liberté de presse et d'expression en Afrique de l'ouest.
Les colonies ouest-africaines ont également hérité d'autres éléments des cultures
politiques de l'occupant. Il s'agit par exemple «du pragmatisme et du sens du
compromis anglais, du cartésianisme et de la préférence de l'affrontement
français, qui ont eu leur impact sur les élites»(6). Le niveau d'enracinement de ces
éléments culturels importés, reflète les différentes politiques coloniales.
En effet «l'administration indirecte britannique, l'administration centralisée à la
française, et l'administration paternaliste belge ont joué des rôles différents»(7)
dans la conduite administrative et politique des futurs Etats africains.
(4) Liberté de la presse et développement une analyse de Marina Guseva, MouniraNakaa et d'un
groupe d'auteurs.
(5) Op. cit.
(6) Réflexions sur les études de médias africains (Contribution commune d'Annie LenobleBart, André-Jean Tudesq Cyriaque Paré, Brice Rambaud, Etienne Damome).
(7) Op. cit.
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5.3. L'environnement politique
Dans tous les Etats ouest-africains, tant francophones qu'anglophones, les
conditions politiques ont longtemps été, et sont encore des facteurs déterminants
dans l'évolution de la liberté de presse et d'expression. Etant un important pilier de
la démocratie, en ce sens qu'elle est l'une des manifestations essentielles de l'Etat de
droit, cette liberté de presse restera toujours conditionnée par l'environnement
politique et l'évolution de la gouvernance démocratique, même si le libéralisme
régnant en Afrique de l'ouest a introduit la concurrence et l'économie de marché
comme facteurs économiques conditionnant la survie et l'indépendance des medias.
Dans ce qui suit, nous essayerons de mettre en exergue l'influence du contexte
historique, de l'évolution de l'environnement politique et de la démocratisation
en Afrique de l'ouest sur le processus de reconnaissance des libertés notamment
la liberté de presse et d'expression et son impact sur le développement des medias
indépendants.
6. INFLUENCE DES PARCOURS POLITIQUES SUR L’EVOLUTION DE L’ARSENAL
JURIDIQUE OUEST-AFRICAIN
La liberté de presse et la démocratie sont indissociables et se soutiennent
mutuellement. En occident, on dit fréquemment que les médias incarnent le
quatrième pouvoir. Ce terme attribué à l'homme politique britannique Edmund
Burke, fait allusion au rôle que peut jouer la presse dans la garde et la sauvegarde
de la démocratie en informant sur les dérapages des gouvernants et les carences
des institutions et en dénonçant les abus et les injustices, etc.
Inversement, les conditions politiques déterminent l'évolution ou la régression
des libertés de presse et d'expression, car celles-ci découlent, généralement, de la
démocratie qui garantit toutes les libertés et dans laquelle la souveraineté
procède, à travers le suffrage universel, de l'ensemble des citoyens libres de
s'exprimer et de s'informer.
Francis BALLE disait que: «la liberté de communication n'est assurément pas
une liberté comme les autres…: elle constitue pour les autres libertés
personnelles ou politiques, à la fois leur refuge et leur condition d'existence».
Pour le professeur Iba Der THIAM, «la liberté de presse serait en outre un moyen
d'expression de la liberté…»(8).
(8) Luc Adolphe TIAO : La liberté de la presse dans le contexte africain (Etude critique des textes
juridiques sur la presse au Rwanda)-2004.
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Comme partout dans le monde, la liberté de la presse en Afrique de l'Ouest ne
peut donc être dissociée de l'histoire politique et des processus de
démocratisation des pays de la sous-région. Dans les pays ouest-africains,
notamment au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigéria et en Gambie, la liberté de
presse a connu des hauts et des bas, à des degrés divers et pendant des périodes
plus ou moins longues, selon le parcours politiques de chaque Etat depuis la
période coloniale jusqu'à ce jour.
Nés de l'effondrement des empires coloniaux conquis au XIXe et XXe siècles, les
Etats de l'Afrique de l'Ouest devenus indépendants entre 1960 et 1975, ont en
quelque sorte hérité une certaine liberté de presse qu'ils avaient acceptée, gardée
et perdue, puis restaurée à leur manière, en même temps que le système de
représentation politique populaire.
Dans ce processus, il y a, certes, quelques différences entre les pays ouestafricains francophones et anglophones où les divers pouvoirs coloniaux ont
laissé différentes traditions et structures administratives et politiques. Toutefois,
des tendances communes existent et sont visibles à travers les cheminements
politiques globalement identiques des différents Etats de la sous-région.
De manière générale, l'histoire récente de l'Afrique de l'Ouest francophone et
anglophone, est marquée essentiellement par quatre principaux cycles politiques :
l
Il y'avait d'abord l'époque coloniale : vers 1860-1960, marquée par la
domination d'un Etat central métropolitain français, britannique ou portugais.
Au cours de cette période chacun des systèmes coloniaux laissait transparaitre
sa nature sur la liberté de la presse dans ses colonies.
l Le
deuxième cycle vient immédiatement après les indépendances (1960-1965)
quand régnait une certaine démocratie pluraliste sur des périodes plus ou moins
courtes selon la rapidité de l'émergence des antagonismes politiques et des
rivalités internes nés dans chaque pays indépendant.
l Le
troisième couvre l'époque suivante (1966-1980), celle du règne du parti
unique et des régimes militaires, engendrés par les tensions et les divergences
survenues au cours de la première expérience des gouvernements nationaux
nés de l'indépendance.
l Le
quatrième cycle, celui que nous vivons encore, a commencé avec la chute
du mur de Berlin et, pour la majeure partie des pays de l'Afrique de l'Ouest,
avec la conférence de la Baule qui ont marqué l'avènement de ce qu'on peut
appeler «le printemps africain». Ce fut l'avènement des conférences
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nationales et l'amorce de la démocratie en Afrique de l'Ouest. C'est la période
du triomphe des valeurs du libéralisme, du pluralisme politique, des droits de
l'homme et de la liberté de la presse. Les pays africains, notamment ceux de
l'Afrique de l'ouest, s'orientèrent alors vers l'adoption de constitutions et de
législations qui s'adaptent aux exigences de l'ère nouvelle.
L'on ne peut que relever quelques similitudes dans les parcours des pays étudiés
avec celui de certains pays du Maghreb Arabe. L'étude comparative des législations
en matière de liberté de la presse écrite dans ces pays, réalisée (en langue rabe) par
le professeur Ali Krimi pour le compte de l'ISESCO, révèle des parcours et des
cycles presque identiques dans l'évolution des législations des deux ensembles
maghrébin et ouest-africain. Ceci peut d'ailleurs s'expliquer par la proximité, voir
l'unité de l'espace géographique, la communauté de la culture islamique et le partage
de l'influence des mêmes ex-puissances coloniales européennes.
6.1. La période coloniale :
6.1.1. Colonies françaises : cas du Sénégal et de la Côte d'Ivoire
A part le Sénégal, les colonies françaises n'ont connu la presse que tardivement
notamment avec le décret de 1941 qui autorise l'application de certaines dispositions
de la loi de 1881 aux colonies françaises de l'Afrique de l'Ouest.
Le Sénégal jouissait d'une situation particulière que lui conférait le statut privilégié
accordé, sous la IIe République française, à quatre de ses communes les plus
importantes : Dakar (qui était en même temps la capitale de l'AOF), Rufisque, Gorée
et Saint-Louis. Grâce à ce statut, les ressortissants de ces communes bénéficiaient
de la nationalité française et vivaient, juridiquement et politiquement, au même
rythme que les ressortissants de la métropole. Au niveau des media, la presse avait
connu une certaine liberté et un certain pluralisme reflétant la diversité des opinions
et des courants politique. C'est ainsi qu'en 1939 le Sénégal comptait, 17 périodiques,
52 journaux politiques et 13 publications(9).
A l'époque coloniale, le statut de citoyen à part entière, octroyé dans plusieurs
colonies à certains sujets pour leur loyalisme envers la France, a donné aux africains
naturalisés le droit d'éligibilité au conseil de leurs communes et à la Chambre des
députés parisienne. L'exercice de ces droits dans le cadre de campagnes électorales,
(9) Service de liaison non gouvernemental des Nations Unies (SLNG) : N°7 Presse et
Démocratie.
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leur a permis de jouer un rôle important dans le développement d'une presse libre et
d'une culture démocratique locales.
C'est ainsi que certains candidats animaient une presse privée politique comme
journalistes ou éditeurs. Au Sénégal, Blaise Diagne, élu député au Parlement
français en 1914, est soutenu par la presse socialiste en 1923 avant qu'il ne fonde en
1928 un hebdomadaire qu'il dirigea lui-même. Galandou Diouf, élu député en 1934,
animait son propre journal.
En Côte d'Ivoire, Houphouët Boigny et les dirigeants du Rassemblement
Démocratique Africain, qu'il a fondé, ont utilisé la presse pour véhiculer leurs
messages politiques et milité résolument pour l'égalité des droits et la liberté
d'information et d'expression(10).
Quant aux media audiovisuels (radio et télévision), ils étaient presque inexistants
en Afrique de l'ouest à cette époque. Pendant la seconde guerre mondiale, des
radios dépendantes du pouvoir colonial ont vu le jour et ont joué un rôle de
mobilisation dans les colonies. La guerre des ondes a, par exemple, donné
naissance à Radio Nairobi qui devient en 1943 la Voix de la France combattante.
Toutefois, certains historiens pensent que la radiodiffusion a contribué à la prise
de conscience politique et à une émancipation progressive dans les colonies
françaises(11).
Il faut souligner, par ailleurs, que l'absence de moyens et les restrictions des
libertés sous le régime colonial français, n'ont pas favorisé l'émergence ni la
continuité d'une presse écrite libre et indépendante à plus forte raison de média
audiovisuels couteux comme la radio et la télévision.
En effet, un décret datant de 1921 interdisait, en Afrique Occidentale Française
(AOF), la diffusion de toute publication qui remettrait en question le système
colonial ou serait de nature à inciter les "indigènes à la révolte contre l'autorité
française". De même, était interdite "la publication de tout journal ou écrit
périodique rédigé en langue indigène… sans autorisation préalable du
gouverneur général"(12).
Sous la pression d'une nouvelle classe politique africaine militante pour l'égalité
et la liberté, l'administration coloniale a créé en 1946 un nouveau cadre juridique
(10) Charles Twagiramungu,L'impact de la publicité radiodiffusée sur la population urbaine.
(11) Op Cit.
(12) Réflexions sur les études de médias africains (Contribution commune d'Annie LenobleBart, André-Jean Tudesq Cyriaque Paré, Brice Rambaud, Etienne Damome).
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défini par décret en date du 27 septembre de la même année. Ce texte édicte que
l'ordonnance promulguée le 13 septembre 1945 pour modifier la loi du 28 juillet
1881 sur la liberté de la presse, est désormais applicable dans toutes les colonies
françaises.
En 1956, avec la mise en place des institutions de la Loi-cadre votée par le
Parlement français, les populations des colonies françaises, ont eu leur première
expérience de la gestion d'institutions démocratiques et de gouvernements
autonomes. Des partis politiques africains sont formés. Ce climat politique pluraliste
a permis la parution de plusieurs journaux indépendants.
6.1.2.- Colonies anglaises : cas du Nigéria et de la Gambie
Dans les colonies anglaises d'Afrique de l'ouest, la presse écrite est apparu assez tôt
(la Sierra Leone Gazette est fondé en 1801)(13)et donc bien avant sa naissance dans
les colonies françaises de la même région. Le tout premier journal publié au Nigéria,
«l'IweIrohin», fut créé en 1859. Son objectif principal était l'évangélisation et ne
remettait donc pas en cause le colonialisme. Mais, très tôt, plusieurs journaux ont
été créés au Nigéria où les journalistes pressaient les autorités indigènes de l'époque
«à être responsables de leurs actes devant leur communauté et à adopter des
comportements moins répressifs.»(14).
A l'instar donc des autres ex-colonies britanniques, et peut-être plus qu'elles du fait
de son poids démographique et le niveau d'instruction relativement élevé de ses
élites, le Nigéria a hérité d'une tradition et d'un environnement juridique plutôt
favorables en matière de liberté de la presse.
Entre 1859 et 1960, la presse locale prépara les Nigérians à l'indépendance et au
leadership politique et économique. Aussi les journaux se sont-ils développés
rapidement dans les colonies britanniques, à l'inverse de la presse née dans des
pays sous domination française. Les besoins commerciaux, d'information, de
communication mais également d'évangélisation, le pragmatisme des Anglais et
leurs traditions libérales ont favorisé le foisonnement d'une presse privée
africaine. Ces media écritsont propagé le concept de démocratie, comme une
revendication contre l'autorité coloniale, pour donner aux populations africaines
des droits analogues à ceux des populations d'Angleterre. La plupart «des leaders
africains après la deuxième guerre mondiale exprimèrent leurs revendications
(13) Service de liaison non gouvernemental des Nations Unies (SLNG) : N°7 Presse et Démocratie.
(14) TonnieIredia : Le rôle des media dans la consolidation de la culture de la paix au Nigéria.
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dans des journaux qui contribuèrent à les désigner comme des interlocuteurs
valables du gouvernement anglais»(15).
Contrairement à la presse écrite dans les colonies françaises, dont l'éclosion a été
retardée par l'absence de moyens, les journaux anglophones ont connu un
développement rapide dans l'empire colonial britannique, catalysé par
l'émergence d'imprimeurs et d'éditeurs locaux. Le nombre des imprimeries était
si important au Nigéria que l'administration coloniale est intervenue en 1930,
pour réglementer le secteur de l'édition et de l'impression. Il y avait également
une masse critique africaine de professionnels de l'information. Les journalistes
nigérians ont beaucoup plus tôt, qu'ailleurs dans les colonies françaises, connu un
système précoce d'organisation professionnelle et syndicale à travers la Nigérian
Union of Journalists fondée en 1954. Ernest Ikoli, Herbert Macaulay, Obafemi
Awolowo, Anthony Enahoro, Ibrahim Imam (entre autres), peuvent être cités
parmi les meilleurs professionnels des médias à l'époque. Dans leurs
publications, ils insistaient constamment sur la nécessité de respecter et de
prendre en compte l'opinion des populations locales sur la manière dont elles
étaient gouvernées par le colonisateur(16).
Par ailleurs, l'existence d'ensembles sous régionaux britanniques couvrant le
Nigéria, la Gambie et d'autres colonies anglaises, offrait aux imprimeurs des
marchés assez vastes, et aux journaux un lectorat relativement large. Ainsi des
imprimeries situées dans une colonie pouvaient subvenir aux besoins d'une autre
moins équipée. Les journalistes passaient sans contrainte de journaux d'un pays
à ceux d'un autre(17).
Au moment de la pénétration coloniale, les radios étaient quasi-inexistantes dans les
colonies britanniques comme dans l'espace africain francophone. Mais, c'est
apparemment en Afrique sous domination anglaise que le développement de la radio
a été le plus sensible. En 1939, quelques radios dont une au Nigeria diffusaient déjà
des programmes en langues étrangères et locales. Cependant, il ne semble pas que
la radio ait joué en Afrique anglophone, un rôle important dans la décolonisation
comme celui que d'aucuns attribuent à la presse écrite(18).
En effet, le Nigéria et d'autres colonies britanniques, se sont servie dans leur lutte
pour l'indépendance nationale, autant, sinon mieux que les colonies sous domination
(15) André-Jean Tudesq, Les media en Afrique subsaharienne : l'espoir et l'illusion.
(16) Op. cit.
(17) Roger KaffoFokou, l'Afrique de demain
(18) Jean-Pierre Ilboudo, Histoire et évolution de la radio rurale en Afrique noire - Rôles et usages.
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française, de la presse écrite pionnière dans l'éveil des consciences africaines. Les
journaux anglophones étaient les vecteurs presque exclusifs de l'expression des
revendications en faveur de l'égalité des droits et de l'instauration d'un système de
gouvernement représentatif.
Ainsi, à la fin des années 1920 paraissaient de nombreux hebdomadaires et
quotidiens dont l'African Morning Post de Nnamdi Azikiwe, qui deviendra
Président du Nigéria. Exilé en Gold Coast (actuel Ghana) où il était rédacteur
dans un journal d'Accra, Azikiwe revient au pays en 1937 où il fonda une chaine
de journaux dont le West African Pilot, très lu dans toute l'Afrique de l'Ouest.
Les entreprises de presse performantes et prospères ont aussi attiré d'autres hommes
politiques africains dans le secteur des affaires. Au Nigéria les principaux
responsables de partis politiques dirigeaient des journaux, souvent associés à des
opérateurs économiques. Avec la mise en place d'institutions politiques dans les
colonies, des journalistes se lancent dans la lutte politique et certains accèdent à des
postes de dirigeants de partis. Ainsi, plusieurs journaux deviennent-ils les porteparoles de partis politiques actifs au sein des Conseils législatifs.
Comme dans l'espace francophone, ce foisonnement de la presse indépendante et
critique envers le pouvoir colonial britannique ne va pas sans frictions avec
l'administration anglaise. Celle-ci n'hésite pas à limiter la liberté de presse. En
1903, une structure de contrôle créée au Nigéria soumet les journaux à une
déclaration préalable. Une ordonnance promulguée en 1909, dans la colonie
nigériane, punissait de peine de prison les journaux qui remettent en cause le
pouvoir colonial. D'autres lois ont été promulguées en 1917pourlégaliser la saisie
des journaux. L'intimidation et les abus se faisaient en plein jour et la presse
¨imprudente¨ était privée d'annonces publicitaires indispensables à sa survie.
Malgré ces restrictions, l'environnement politique pluraliste et la diversité de la
presse dans les colonies anglaises, ont permis aux hommes politiques de s'affronter,
comme dans l'empire colonial français, devant leurs opinions publiques pour gagner
les élections et prendre le pouvoir au moment de l'accession du pays à
l'indépendance.
Bien que le Nigéria a connu dès l'aube de l'occupation une certaine liberté de la
presse grâce à l'application de la loi de 1917, l'on peut dire que l'ancêtre de la
législation nigériane en la matière est certainement la loi de 1933 qui a été le fruit
de la collaboration entre trois organismes agissant, d'abord individuellement,
puis en étroite collaboration, pour promouvoir la liberté de la presse.
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Il s'agissait, en l'occurrence, de Media Rights Agenda (MRA), Civil Liberties
Organisation (CLO) et l'Union des journalistes du Nigeria (NUJ).
Malgré les multiples lacunes qu'elle comportait, notamment les lourdes peines de
prison et d'amendes auxquelles elle exposait les journalistes, les éditeurs et les
imprimeurs, cette loi a constitué un acquis incontestable dans le contexte de
l'époque. C'est, en effet, sur la base de cette loi que sera bâtie la législation du
futur Nigéria indépendant en matière de liberté de la presse et de l'édition.
En Afrique de l'ouest et notamment dans les quatre pays objet de l'étude, cette
période coloniale a vu la prééminence de l'influence des puissances occupantes.
Celles-ci ont adopté, en l'occurrence, une attitude ambivalente : respect des droits de
l'homme et liberté de l'information dans la métropole, oppression et répression dans
les colonies ; cela dans la nuance entre le centralisme jacobin français et le
libéralisme britannique. Cependant, l'étau colonial devait se desserrer petit à petit à
petit, surtout après la deuxième guerre mondiale, avec la montée des mouvements
de libération et du vent des idées anticoloniales qui a balayé l'ensemble du Tiersmonde. C'est ainsi qu'on a assisté durant les dernières décennies de l'ère coloniale à
la naissance, dans cette partie du Continent, d'organes de presse plus ou moins
indépendants qui ont joué un rôle important dans l'avènement du cycle qui a suivi,
celui des indépendances.
6.2. Les indépendances nationales et les lendemains de
l'émancipation : 1960 à 1965 : Anciennes colonie françaises et
anglaises : un parcours commun
Ce deuxième cycle vient immédiatement après les indépendances (1960-1965)
quand régnait une certaine démocratie pluraliste sur des périodes plus ou moins
courtes selon la rapidité de l'émergence des antagonismes politiques et des
rivalités internes nés plus tard dans chaque pays indépendant. Il a été marqué par
la mise en place dans les jeunes états de régimes pluralistes, avec parlements,
diversités des partis politiques et une presse certes balbutiante, mais relativement
indépendante. En effet, plusieurs pays qui étaient sous domination française ou
britannique connurent un pluralisme politique et médiatique, favorable au
développement de la démocratie.
Ainsi, le Sénégal et la Côte d'Ivoire dans l'espace francophone et le Nigéria et la
Gambie en zone anglophone partagèrent, dès leur accession à l'indépendance,
l'usage d'une certaine démocratie pluraliste héritée du colonialisme. Les élites
qui avaient pris les rennes du pouvoir dans ces pays nouvellement indépendants
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sortaient fraichement du giron des états coloniaux aux traditions démocratiques
fortement ancrées et n'avaient de modèle que ceux-ci. Les législations, les
institutions et même les méthodes de gestion étaient donc le reflet de ceux
connus dans les métropoles.
Toutefois ces pays démocratiques naissants étaient très sous-développés et
confrontés, sur divers plans, à des problèmes de tous ordres, aussi graves les uns
que les autres. C'est pourquoi, dans leur élan d'émancipation, les partis et les
hommes politiques, mais aussi et surtout les media ont concentré leurs efforts et
leurs messages sur les revendications nationalistes, l'identification des problèmes
structurels dont souffrait le pays, l'esquisse de leurs solutions et la dénonciation
des tares et des pratiques coloniales.
Faut-il souligner, cependant, que l'absence de ressources et la mainmise directe
ou indirecte des partis politiques métropolitains sur des journaux africains
continuaient à faire obstacle à un vrai développement de la presse dans l'Afrique
de l'ouest française indépendante. Par contre la presse dans les ex-colonies
britanniques, mieux dotés en infrastructures et en ressources a connu un essor
relatif durant les premières années de gouvernance démocratique conduite par les
africains. Au Nigéria par exemple, on compte au lendemain de l'indépendance,
au moins 16 quotidiens, 18 hebdomadaires et de nombreux mensuels et autres
périodiques. Les gouvernements (fédéral et fédérés) étaient propriétaires d'une
partie de ces titres(19).
Avec l'indépendance et la proclamation des premiers gouvernements, la plupart des
Etats francophones et anglophones ouest-africains créent leurs radios, ensuite leurs
télévisions nationales, qui deviendront un attribut de l'indépendance nationale.
Toutefois, ces media audiovisuels naissants n'ont pas connu le pluralisme ni la
liberté d'expression dont jouissait une partie de la presse écrite. Ils n'ont pas, non
plus, reflété la diversité des courants de pensée et d'opinion notamment politique.
Par la volonté des dirigeants, les premières radios et télévisions publiques ouestafricaines resteront longtemps et jusqu'aux années 1980 monopolisés par l'Etat
qui les surveillait de près, les contrôlait et en faisait souvent des outils de
propagande, voire de culte de la personnalité des dirigeants et d'apologie des
idéologies régnantes.
Au niveau politique, les mouvements nationalistes arrivés au pouvoir à la suite
d'élections générales, tant dans les ancienne colonies anglaises que dans celles de
(19) Service de liaison non gouvernemental des Nations Unies (SLNG) : N°7 Presse et Démocratie.
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la France, se sont très vite affronté avec leurs rivaux politiques pour diverses
considérations d'ordre socioéconomique et stratégique.
Ces antagonismes fervents avaient souvent dressés dans le même pays, des
groupes, des clans ou des tribus contre d'autres. Sous la pression et la chaude
concurrence, les nouveaux dirigeants africains sont allé chercher des solutions
aux divers problèmes dont souffrait leur pays, mais parfois dans des directions
qui affectent la démocratie et restreignent les libertés.
Malheureusement, ce cycle ¨démocratique¨ devait vite succomber à ses
faiblesses, cédant la place à une des périodes les plus liberticides de l'histoire du
Continent en général et de la région ouest-africaine en particulier.
6.3. Les régimes du parti unique et les coups d'Etat militaires (de 1965
à la fin des années 1980 environ) :
Au cours du premier cycle de démocratie pluraliste, les divergences politiques
internes et, parfois, les relations tendues avec l'ancienne puissance coloniale ont
poussé assez tôt certains pays africains à rompre avec la pratique démocratique.
L'institution du système du parti unique, par fusion, phagocytose ou interdiction
des autres partis, ne tarde pas à éradiquer le multipartisme.
Les divergences et les contradictions politiques, les réflexes identitaires, le repli
communautariste ethnico-tribal, l'obsession et la ténacité des dirigeants
accrochés au pouvoir à vie, ont fait obstacle au développement harmonieux de la
démocratie et jonché sa voie d'affrontements, de violences, de guerres civiles, de
génocides, etc. L'oppression, les abus, la confiscation des libertés, notamment
celle de presse et d'expression ont été pires que pendant la colonisation.
Dans ces conditions, l'échec des politiques de développement, les antagonismes
politiques et le poids de l'armée dans la vie publique conduisirent rapidement aux
coups d'Etat militaires dans la plupart des pays.
L'avènement de ce troisième cycle est le produit de la conjugaison de facteurs
internes et externes. Les luttes pour le pouvoir au sein des instances dirigeantes
ont affaibli les institutions démocratiques naissantes déjà fragiles, ouvrant la voie
devant le triomphe de la raison du plus fort au détriment de la légalité et du jeu
démocratique. Les juntes militaires se sont imposées comme ¨sauveurs¨ des
nations des mains des régimes déchus, présentant parfois la démocratie comme
un luxe que les jeunes Etats ne peuvent se permettre. Certains nouveaux
dirigeants en uniformes, arrivés à travers ce qu'ils appelaient une révolution,
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avaient carrément opté pour des régimes totalitaires sous l'influence du bloc
communiste ou inspiré par son mode de gouvernance.
En effet, l'autonomisation progressive de ces Etats par rapport aux anciennes
métropoles, toutes appartenant à l'Occident libéral, a ouvert devant eux la
possibilité de se rapprocher de l'Est communiste et de d'inspirer des régimes
totalitaires du parti unique qui y règnent. Les contingences de la guerre froide ont
rendu l'Occident moins regardant quant aux performances démocratiques des
états du Tiers-monde, l'important pour eux étant qu'ils ne basculent pas dans le
camp adverse. La chute du mur de Berlin et la dislocation du bloc communiste
va avoir des conséquences directes et quasi immédiates sur le devenir de la
démocratie et de la liberté de l'information dans le monde et, partant, dans les
pays qui font l'objet de la présente étude.
En Afrique de l'ouest, ces orientations politiques ont abouti à l'étouffement du
pluralisme et à la restriction de l'espace des libertés notamment celle de presse. Sous
les nouveaux régimes qu'ils soient militaires ou du parti unique, les libertés de presse
et d'expression, relativement conquises durant les courtes expériences démocratiques
précédentes, ont été progressivement grignotées ou systématiquement bafouées,
aussi bien dans les pays francophones que dans les pays anglophones.
Les raisons ou les prétextes invoqués par les dirigeants était un souci ¨patriotique¨
de préserver la cohésion sociale et l'unité nationale ¨menacées¨ par une opposition
taxée de groupuscules subversifs troublant l'ordre public. Le monopole que les Etats
ouest-africains francophones et anglophones exerçaient sur «les outils de pouvoir
que sont, en Afrique, la radiodiffusion et la télévision, reste le plus grand
dénominateur commun entre les pays du continent»(20).
6.3.1.Les pays francophones : Cas de la Côte d'Ivoire et du Sénégal
En Côte d'Ivoire, le parti unique créé par Houphouët Bogny sévira longtemps,
muselant la presse et réprimant l'opposition politique ivoirienne. L'avènement de
ce régime monolithique a entrainé la mise en vigueur d'une législation coercitive
et restrictive des libertés de presse, créant un climat de peur, de délation où les
abus et la répression ont fait leurs victimes dans les milieux professionnels des
media. Les organes de presse publics ivoiriens (Radio télévisons et journaux)
étaient voués, comme dans la quasi-totalité des pays ouest-africains, à la
propagande politique.
(20) MactarSilla,Le pluralisme télévisuel en Afrique de l'Ouest.
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Cette situation a longtemps prévalu en Côte d'Ivoire avant qu'elle ne soit relayée par
l'instabilité politique, le coup d'Etat militaire fomenté par les hommes du général
Gueï. Et quand le gouvernement civil ivoirien, fut renversé en 1994 par cette junte
militaire, anti-démocratique et intolérante à toute presse critique, la liberté de presse
a été systématiquement confisquée. Cette situation explosive a par la suite dégénéré
en affrontements et en violences ethniques et intercommunautaires. C'en est suivie
une guerre civile qui a déchiré le pays faisant fi de toutes les libertés individuelles
et collectives.
Au Sénégal, les dirigeants sont restés, six ans durant, modérés et fidèles aux
habitudes héritées de la culture politique métropolitaine à caractère pluraliste.
Cependant, en juin 1966, l'Union progressiste sénégalaise (UPS) - le parti au
pouvoir - fusionne avec le Parti du rassemblement africain (PRA), alors seul parti
d'opposition légal, et devient un parti unique. Cette expérience a rapidement
avorté suite à un large mouvement de contestation. Le président Senghor a pris
conscience de la nécessité de rétablir le pluralisme.
Plus tard, après le recul du pluralisme médiatique qu'a connu le Sénégal, c'est la
presse partisane sénégalaise qui était la première à ouvrir une brèche dans le bloc
monolithique étatique à partir des années 1970. Puis, en 1977, le premier journal
satirique indépendant de la sous-région, parut à Dakar. Depuis, et malgré les
brouilles politiques permanentes, les chaudes rivalités internes et les ambitions des
opposants, les dirigeants sénégalais avaient pu continuer à tolérer le pluralisme
politique et médiatique favorisant une certaine liberté de presse et d'expression.
Après la dégradation des institutions démocratiques des premières heures
d'indépendance dans les Etats ouest africains etle renversement par coups d'Etat des
gouvernements civils de plusieurs pays, le Sénégal a résisté aux tentations pour
rester l'un des rares pays de la sous régions qui a échappé à la contagion militaire,
si l'on exclut l'action de Mamadou Dia en 1962 qualifié de «tentative de coup
d'État». Seul pays de la sous-région qui a conservé, au cours de cette période, le
Sénégal a conservé, au cours de cette période, un régime civil issu d'élections plus
ou moins libres et une façade ¨démocratique¨ qui tranchait avec les régimes
militaires qui l'entouraient.
Ainsi donc, le pluralisme démocratique sénégalais a fonctionné la plupart du
temps, les moyens d'information publics (Radio, télévision et journaux)
monopolisés par l'Etat n'ont pas pour autant été libéralisés ni transformés en
media de service public.
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D'ailleurs, dans le domaine de l'audiovisuel, le Sénégal n'a pas dérogé à la règle
ouest-africaine. Les premiers balbutiements de la télévision au Sénégal,
remontent à 1966, avec le projet d'une télévision éducative. Cette première
chaine spécialisée influera pendant longtemps, par son mode de fonctionnement
et la nature de sa mission, sur la télévision nationale sénégalaise créée en 1972.
Plus tard, l'Office de radiodiffusion-télévision du Sénégal (ORTS) sera créé et
placé sous la tutelle juridique et économique de l'État, qui exerce un monopole sur
tous les moyens de diffusion. Sans changer de statut juridique, ces media
audiovisuels resteront longtemps engagés dans la promotion de l'image de l'équipe
dirigeante de l'apologie de ses politiques de développement.
6.3.2. Les pays anglophones : Cas du Nigeria et de la Gambie
Depuis l'époque coloniale, les journaux ont joué un rôle important dans la
formation d'une opinion publique nigériane intéressée aux problèmes de gestion
publique de leur pays. Après l'indépendance et au cours de la première
république démocratique, des journalistes nigérians ont été formé en Angleterre
et aux Etats-Unis.
Même dans le Nigéria fraîchement indépendant, des instituts supérieurs et de
nombreux centres de formation de journalistes de haut niveau ont été ouverts. On
peut citer parmi les plus importants : l'Institute of Mass Communication à
l'Université de Lagos (IMCJ), le Jackson College of Journalism à Nsukka dans
la région de l'Est, et le Daily Times Newspaper Training Center. Ces institutions
ont formés des journalistes professionnels hautement qualifiés et conscients de
leurs droits et de leurs obligations.
Du point de vue organisationnel, la Nigerian Union of Journalists (fondée en
1954), la Society of Newspapers Chief Editors (fondée en 1962), l'Association of
Newspapers Proprietors ont joué un rôle important dans la protection et
l'amélioration des conditions de travail des journalistes et de la qualité des
journaux. Par ailleurs, «un pouvoir judiciaire plus ou moins indépendant se
développe dans le pays et n'hésite pas à prononcer de temps en temps des
jugements en faveur des journalistes et contre l'Etat»(21).
La 1ère Républiqueque le Nigeria avait connue en 1960 n'aura duré que cinq ans
(1960-1965). En 1964 une nouvelle loi modifiant et remplaçant la législation
héritée du colonialisme a été initiée et promulguée par le gouvernement nigérian.
(21) Réflexions sur les études de médias africains (Contribution commune d'Annie Lenoble-Bart,
André-Jean Tudesq Cyriaque Paré, Brice Rambaud, Etienne Damome.
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Au lieu d'apporter des améliorations dans le sens de la libéralisation, ce nouveau texte
juridique a ajouté d'autres restrictions et des mesures de surveillance drastiques.
Ainsi, la nouvelle loi autorisait les officiers de police judiciaire à s'introduire, de
manière inopinée, dans les sièges des journaux entre 08H00 et 17H00 pour «s'assurer
qu'ils se conforment aux dispositions législatives et réglementaires».
Dans ces conditions difficiles pour les professionnels des media, les divergences
politiques internes au Nigeria ont conduit à un coup d'Etat militaire opéré par le
général Ironsi en 1966. Le fonctionnement des institutions démocratiques a été
brutalement suspendu ; le pluralisme et la liberté de presse mis à rude épreuve.
La tendance à la dépendance des media audiovisuels publics vis à vis du pouvoir
politique en place, déjà marquée durant la 1e République s'est renforcée au cours
des périodes des régimes militaires successifs qui l'ont suivie et pendant la 2e
Républiques nigériane.
En effet, après une décennie de dictatures militaires des plus répressives de la
sous-région, cette deuxième république (1979-1983) n'a pas ouvert la porte à la
liberté et au pluralisme de media, mais n'a pas, non plus, pu survivre au-delà de
cinq ans. Les militaires revenus au pouvoir avaient dissous les institutions et
restreint l'espace des libertés notamment celles de presse et d'expression.
Dans le domaine de l'audiovisuel, le Nigeria a connu pendant la période coloniale la
rediffusion du signal de la BBC. En 1959, la première chaîne de télévision nigériane,
la Western Nigeria Télévision (WNTV), fut créée à Ibadan, alors capitale régionale
du Nigeria occidental. L'Ibadan Zonal Network Center suivra la même année.
Ces deux chaines relevaient, comme partout en Afrique de l'ouest, du monopole
d'Etat. Plus que les media privés, les organes d'information publics souffraient
d'absence de libertés et d'une législation très répressive.
Plus tard, sous les dictatures militaires, les media publics nigérians (Radio,
télévisons et journaux) et leurs filiales resteront très surveillés par les équipes
dirigeantes qui les utilisaient pour mobiliser les populations, susciter leur adhésion
aux politiques mises en œuvre et s'assurer leur allégeance au régime en place. Les
bâtiments de la radio et de la télévision, étaient un enjeu capital dans les coups d'Etat
et pendant la guerre du Biafra.
En dépit des restrictions, certains journaux privés continuaient à paraître au
Nigéria et à jouer un grand rôle dans la défense des libertés individuelles et dans
le mouvement de revendications en faveur du retour à l'ordre constitutionnel et
au pluralisme démocratique. Malgré la répression, les journalistes nigérians ont
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su raison garder et sont restés combatifs. Ils n'avaient à aucun moment perdu le
courage ni la détermination à défendre la liberté d'expression, même quand ils
sont employés par des journaux détenus majoritairement par les Etats fédérés.
En Gambie, le pluralisme démocratique des premières années d'indépendance a
été vite remis en cause par le Président Daouda Diawara. Celui-ci créa un parti
unique qui a longtemps dominé le paysage politique gambien. Sous son régime,
la suppression du multipartisme a été accompagnée par la mise en vigueur de
législations très limitatives des libertés de presse et d'information.
Le régime du parti unique gambien sera secoué deux fois, l'une par une rébellion
déjouée avec l'appui du Sénégal et l'autre par un coup d'Etat militaire qui, en 1994,
amène au pouvoir le Capitane Yaya Jameh. Après le renversement du
gouvernement civil, les membres de l'ancien parti présidentiel ainsi que les groupes
d'opposants, furent tenus à l'écart de la vie politique jusqu'en juillet 2001.
Sous la dictature militaire gambienne, comme dans la quasi-totalité des pays
ouest-africains du même régime politique, les organes de presse publics (Radio
télévisons et journaux) étaient contrôlés par le gouvernement. La liberté de
presse et d'expression restera longtemps confisquée ou restreinte en Gambie.
Cependant, les journalistes de la presse écrite gambienne se sont accrochés à leur
professionnalisme malgré les mesures draconiennes dont ils étaient victimes durant
la période du parti unique et le régime militaire. Ils n'ont pas totalement cessé
d'interpeller l'autorité publique pour ses abus, ses injustices et ses actes arbitraires.
En Afrique de l'ouest, la quasi-totalité de ces Etats se sont parfaitement intégrés
à leur environnement géopolitique continental, confisquant ou restreignant les
libertés individuelles et collectives, muselant ou réprimant la presse. Ainsi, le
contrôle et le monopole d'État sur les médias, qu'il soit de fait ou de droit, se sont
renforcé durant toute cette période et resteront stricts jusqu'aux années 1980.
De ce fait, la presse écrite a connu un grand recul dans certains pays. Vers la fin
des années 1970, les journaux se comptaient sur les doigts d'une main dans la
quasi-totalité des capitales ouest-africaines, exception faite de quelques pays
anglophones où les traditions de presse privée remontent à la période coloniale.
Pour l'essentiel, «l'espace médiatique se limitait à un quotidien gouvernemental,
à côté d'une radiotélévision d'État»(22).
(22) Op. Cit.
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7. L'AVENEMENT DE LA DEMOCRATIE : DE LA FIN DES ANNEES 1980 A
NOS JOURS
En Afrique de l'ouest, le quatrième cycle politique a commencé avec l'avènement
de la démocratie dans les années 1980 et 1990. On a vu qu'après la rupture avec les
démocraties pluralistes des premières années d'indépendance, le parcours des Etats
africains ne s'est pas effectué sur tapis rouge. La plupart des pays de la sous-région
ont été rudement secoués par les dictatures militaires ou de parti unique.
Pour un continent en crise «comme l'Afrique, caractérisé dans certains cas par le
recul de la démocratie et l'état d'exception, dans d'autres par les conflits armés et
un peu partout par la mal gouvernance, la liberté de la presse est souvent mise à
rude épreuve non seulement par les pouvoirs mais aussi par toutes les forces qui
exercent sur les media des pressions multiformes(23).
Dans ces conditions, l'Afrique de l'ouest, exsangue et meurtrie, s'est soulevée à la
recherche d'une bouffée de liberté et de démocratie, après avoir constaté que « la
liberté de la presse, tout comme la démocratie dont elle se nourrit…, ne se décrète
pas une fois pour toutes»(24).Sa route vers la démocratie sera sinueuse et différente
d'un pays à l'autre. La nature même, «le modèle et le cours du processus de
démocratisation avaient été plutôt irréguliers dans la sous-région»(25).
Ce cheminement, souvent difficile, aboutira à la situation actuelle de la liberté de
presse dans le pays ouest-africains membres de l'ISESCO, analysée dans la
troisième partie qui suit.
(23) La liberté de presse en Côte d'Ivoire : mythe ou réalité ?
(24) Luc Adolphe TIAO : La liberté de la presse dans le contexte africain (Etude critique des textes
juridiques sur la presse au Rwanda)-2004
(25) Partis politiques en Afrique de l'Ouest, (Rapport de l'IDEA (l'Institut international pour la
démocratie et l'assistance électorale).
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DEUXIEME PARTIE :
SITUATION ACTUELLE DE LA LIBERTE DE PRESSE
DANS LE PAYS OUEST-AFRICAINS MEMBRES DE
L'ISESCO
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1. SITUTATION ACTUELLE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE DANS LE PAYS
OUEST-AFRICAINS MEMBRE DE L'ISESCO
Dans le continent africain, l'avènement de la démocratie a commencé dans les
années 1980. Les pays africains, notamment ceux de l'Afrique de l'ouest, se sont
progressivement orientés vers l'adoption de constitutions et de législations qui
s'adaptent aux exigences de l'ère nouvelle, celle des valeurs du libéralisme, du
pluralisme politique, des droits de l'homme et de la liberté de la presse.
Dans certains pays, les troubles graves et les situations conflictuelles ont été
couronnés par des conférences nationales qui avaient ouvert la voie à l'émergence
de pouvoirs représentatifs populaires. Dans d'autres, la lutte politique, le vent des
libertés qui souffle un peu partout, la pression de la communauté internationale en
faveur de la restauration de la démocratie, ont fléchit la volonté des dictateurs
ouest-africains.
En effet, un rôle évident a été attribué, en ce sens, aux orientations de la Baule
dans le cadre d'une nouvelle vision de la France-Afrique et aux déclarations de
plusieurs dirigeants occidentaux proclamant que seuls les Etats respectueux des
principes de démocratie, des droits humains et de l'économie libérale pourront
atténuer les souffrances des populations du tiers-monde et relever les défis
majeurs du sous-développement. Ils insinuaient à ceux qui veulent comprendre
que seuls ces pays sont éligibles à l'aide publique au développement.
C'est dans ce cadre politique que la lutte des défenseurs de la liberté de presse a porté
fruit. Le mouvement revendicatif en faveur de la liberté de la presse, dont la flamme
ne s'est presque jamais éteinte, a repris son flambeau pour la restauration du
pluralisme médiatique vers les années 1980.
L'adhésion au pluralisme médiatique naissant en Afrique de l'ouest sera renforcée
plus tard avec l'appui e l'UNESCO, mais surtout de l'Institut Panos qui lance son
deuxième programme, axé sur la «bataille pour le pluralisme de l'information(26)».
Bien sûr, le paysage médiatique ouest-africain a été long et difficile à se dessiner,
mais il fallait en finir avec l'immobilisme et le monopole d'Etat(27).
(26) Mouhamadou Tidiane Kassé : Pluralisme médiatique en Afrique de l'Ouest, Les Cahiers du
journalisme n° 9-2001.
(27) op. Cit.
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1.1. Pluralisme de la presse écrite
l Au
Sénégal et en Côte d'Ivoirea
Si au Nigeria, en Côte d'ivoire et en Gambie, la démocratisation ou la redémocratisation, après les différents régimes d'exception, étaient le produit de
troubles graves et multiformes, au Sénégal, où s'est établie, avec le temps, une
longue tradition du pluralisme, le nouveau processus démocratique permettant
plusieurs alternances pacifiques au pouvoir, a été le fruit d'une concurrence politique
de longue haleine, encouragée par la communauté internationale.
Déjà, dans les années 1970, le Sénégal a connu un pluralisme de la presse écrite avec
la parution de journaux indépendants et partisans. Cette tendance se renforcera au
cours des années 1980, avec la parution de journaux privés comme WalFadjri
(1984), Sud communication (1986), etc.
En même temps, l'Union des journalistes de l'Afrique de l'Ouest, créée à Dakar en
1986, a permis l'échange d'expérience entre la presse francophone et anglophone,
notamment en matière de pluralisme des médias. En 2001, nombreuses sont les
capitales francophones ouest-africaines où paraissaient plusieurs quotidiens,
hebdomadaires et périodiques. A Dakar, on comptait à cette époque8 quotidiens et
un nombre important de périodiques.
Suivant l'exemple du Sénégal et surtout du Mali, d'autres pays ouest-africains ont
commencé, au début des années 1980, à favoriser la diversité de la presse en
maintenant parfois le système de parti unique. Mais en Côte d'Ivoire, il fallait
attendre, pendant longtemps, le retour au multipartisme pour voir naitre le
pluralisme médiatique des années 1990. En 1991, la pluralité des partis politiques a
favorisé l'expression plurielle et suscité un pluralisme de la presse ivoirienne avec
la floraison de nombreux titres,dont une vingtaine de quotidiens, et la création de
plusieurs organes d'information.
Pour organiser l'exercice de la liberté de la presse, le gouvernement a créé un cadre
institutionnel à travers une loi promulguée le 31 décembre 1991. Cette nouvelle loi
«jugée restrictive, répressive et liberticide, a été combattue dès lors, par l'Union
nationale des journalistes de Côte d'Ivoire (UNCI) et l'ensemble des partenaires du
secteur des médias»(28) qui militaient pour son abrogation.
Aussi, un grand nombre de syndicats et d'associations professionnelles ivoiriens se
sont-ils constitués ralliant les militants pour la liberté de presse et d'expression. Ce
(28) Amos Beonano, statut du journaliste africain rapporté en 2007.
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qui traduit un dynamisme certain et une réelle volonté de s'organiser pour conquérir
la liberté d'expression et mettre la protection et l'indépendance des journalistes au
cœur des préoccupations. Toutefois, cette multitude de syndicats et d'associations
professionnelles avait émietté les énergies.
Cependant, l'adhésion au pluralisme des media continuait à s'élargir progressivement
en Côte d'Ivoire avec l'appui d'organismes régionaux et internationaux, concourant à
une ouverture des media ivoiriens vers l'expression plurielle.
Six années plus tard, en 1997, on dénombrait 187 titres de la presse écrite ivoirienne,
contre 2 journaux seulement (Fraternité Matin et Ivoire Soir) qui ont longtemps
occupé le paysage médiatique national, et une centaine de partis politiques, alors que
durant plusieurs années, un parti unique, celui de Félix Houphouët-Boigny, exerçait
un pouvoir sans partage(29).
Puis les évènements politiques se sont succédé rapidement créant des conditions
difficiles pour la liberté de la presse et le développement de media libres.
Après le renversement du gouvernement civil de Conan Bédié, en 1999, par le
Général Robert Guéï, ce dernier s'installe au pouvoir pendant deux ans et crée
son parti politique. Face à lui, Laurent Gbagbo gagnera sans tarder les élections
et s'accrochera longtemps au fauteuil présidentiel. Dès son arrivée au pouvoir,
Gbagbo a subi une crise de légitimité politique sans précédent qui s'est exacerbée
en 2002 mettant les libertés d'information et d'expression à rude épreuve. La
presse ivoirienne n'en a pas pour autant été réduite au silence. En 2001, plus de
14 quotidiens continuaient à paraitre à Abidjan.
Progressivement, la crise politico-militaire s'attise et dégénère rapidement en guerre
civile qui a longtemps perduré embrasant toute la Côte d'Ivoire. Un début de
solution se profile en 2003, une crispation survient en 2004, un accord politique est
signé en 2007, avant d'être remis en cause à l'occasion de l'élection présidentielle
ivoirienne de 2010.A l'issue de ce scrutin, Gbagbo considéré comme battu par la
Commission électorale indépendante et la quasi-totalité de la communauté
internationale, rejette le verdict des urnes et refuse de céder sa place à son adversaire
Ouattara. Ce n'est que par les armes que ce dernier a accédé à l'investiture suprême.
Cette profonde crise n'a pas empêché les journalistes ivoiriens et les défenseurs des
droits humains de continuer, dans la détermination totale, leur lutte pour la liberté
et le pluralisme de la presse et de l'expression. Au moment où la crise était à son
(29) Zio Moussa, Crise en Côte d'Ivoire : responsabilité de la presse.
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paroxysme, ils ont réussi, en 2004, à amener les pouvoirs publics à libéraliser le
secteur de la communication. Ainsi, un nouveau cadre juridique des médias a été
mis en place en Côte d'Ivoire. Il se résume en deux lois jumelles : la loi n° 2004643 du 14 décembre 2004 portant régime juridique de la presse et la loi n°2004644 du 14 décembre 2004 relative à la communication audiovisuelle.
L'objectif essentiel de cette nouvelle législation était de garantir la liberté de la
presse et la libéralisation du secteur de l'audiovisuel. C'était «une réelle avancée
démocratique de l'avis de l'ensemble de la corporation»(30). La nouvelle loi
supprime les qualifications de crimes et abrogent les peines privatives de liberté
en ce qui concerne les délits de presse.
Cette législation a, cependant, renforcé de manière sensible le pouvoir de la
structure de régulation qu'elle venait de créer : le Conseil national de la presse
(CNP).Ainsi, les autorités ont mis les bâtons dans les roues du fonctionnement
des organes d'informations, exposant les journalistes à des sanctions suffisantes
pour restreindre leurs libertés.
Pendant cette décennie d'instabilité, de replis sectaires et de violents
affrontements, les professionnels des media ivoiriens, ont vécu, au mépris des
lois en vigueur, un calvaire infernal. Malgré la loi dépénalisant les délits de
presse, des journalistes ont été agressés, assassinés, emprisonnés, contraints à
l'exil ou à la clandestinité. Les locaux et les équipements des organes
d'informations ont été saccagés, dévastés, incendiés ou détruits. Toutes ces
exactions étaient basées sur une appartenance, supposée ou réelle, des
journalistes victimes d'exactions, à l'un des camps en conflit.
C'est particulièrement au cours des périodes électorales, qui ont jalonné cette
période, que la presse ivoirienne, déjà empêtrée dans des difficultés quotidiennes
de survie, s'est trouvée dans des situations terribles où la liberté de presse et la
sécurité des journalistes ont toujours été fortement menacées.
Pourtant, la presse ivoirienne ne s'est pas inclinée et n'a jamais cessé de paraitre
en conservant son caractère pluraliste. Parmi les quotidiens privés qui
paraissaient régulièrement, on peut citer : Notre Voie, qui succède à la Voie en
1998, le Jour plus, Soir Info, le Libéral, l'Inter, etc.
On recensera plus tard, au cours de cette période de crise, une cinquantaine de
titres dont une vingtaine de quotidiens et une trentaine de périodiques. Le conflit
(30) Amos Beonano, statut du journaliste africain rapporté en 2007.
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et la prise de position pour l'une ou l'autre des parties ont alimenté les colonnes
de certains journaux partisans.
Un observateur ivoirien rapportait qu'en Côte d'Ivoire, «on dit souvent que le
dimanche, il n'y a pas de crise, simplement parce qu'il n'y pas de journaux ce
jour-là». Dans ce paysage, le quotidien «Le Jour plus», se dégageant des clivages
partisans, a longtemps fait figure d'exception.
l Au
Nigéria et en Gambie
Malgré, la longévité d'une dictature militaire parmi les plus répressives du
continent, la tendance des journalistes nigérians à rester combatifs s'est mieux
renforcée avec l'ouverture à une expression pluraliste.
En effet, les juntes successives au pouvoir ont eu beaucoup de difficultés à continuer
indéfiniment à confisquer toutes les libertés. Museler éternellement les journalistes
nigérians, connus pour leur courage, leur détermination et leur patriotisme, n'était
pas à la portée des dictateurs, fussent-ils tyranniques et tortionnaires. En 1992, une
nouvelle loi abrogeant et replaçant celle de 1964 a apporté quelques améliorations
en matière de liberté de presse et de protection des journalistes et de leurs sources
L'année suivante, le régime militaire, qui contrastait avec son environnement
régional démocratisé,a fini par accepter l'ouverture de l'espace médiatique
nigérian au pluralisme.
Ainsi, plusieurs titres de la presse écrite, paraissaient régulièrement, sous le
regard gêné du pouvoir militaire, dans les Etats fédérés du Nigéria. La presse
nigériane continuait d'informer, de divertir et d'éclairer son lectorat. Elle fixait
des normes et établissait des valeurs pour le comportement du public. Mieux, les
journalistes essayaient de pousser le professionnalisme et l'éthique du métier
pour éviter de succomber aux forces sociopolitiques qui impactent la quantité et
la qualité de l'information fournie au public.
Faut-il, cependant constater que, malgré les efforts de ces professionnels de
l'information, «l'environnement sociopolitique nigérian a beaucoup influencé la
liberté de la presse»(31). En effet, si l'acceptation de la parution d'une presse privée
critique connotait indirectement une reconnaissance du droit de celle-ci à surveiller
les institutions, la réalité a prouvé le contraire. C'est l'État qui surveillera longtemps
la presse au Nigeria.
(31) Akeem Ayofe Akinwale, Repression of PressFreedom in Nigerian Democratic
Dispensations (Landmark University).
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Si la loi de 1992, votée dans l'atmosphère de ce qu'on pouvait appeler le
«printemps africain», malgré les améliorations qu'elle a apporté, notamment dans
le domaine de la protection des journalistes et de leurs sources, n'a pas été à la
hauteur des aspirations des opérateurs du secteur, celle de 1999 a soulevé un
véritable tollé dans le milieu des journalistes et des éditeurs de presse en raison
de son caractère restrictif des libertés.
L'Association des propriétaires de journaux nigérians (PANN) a intenté une
action en justice contre cette loi devant la Haute Cour Fédérale qui a déclaré la
loi contraire aux dispositions des articles 38 et 39 de la Constitution, sans
toutefois accorder le droit aux dommages et intérêts réclamés du fait des
préjudices subis et de l'application de cette loi.
Une nouveau texte juridique fut alors mis en chantier en 1999 et soumis aux
législateurs du pays en 2000. Cette loi a été approuvée par les organes législatifs
en 2007, mais le Président de la République en exercice, Olusegun Obasanjo,
s'est abstenu de la promulguer, arguant des dispositions qu'il trouve permissives
notamment dans le domaine de l'accès à l'information.
Ce n'est que le 30 Mai 2012 que cette loi fut promulguée par le nouveau
Président Goodluck Jonhattan, après plus d'une décennie de luttes menées par les
tenants de la liberté de presse au Nigéria de concert avec les organisations
internationales opérant dans le domaine.
Aux termes de la nouvelle loi, les institutions qui dépensent des fonds publics
devront divulguer les faits concernant leurs opérations et leurs dépenses, et les
citoyens auront le droit d'accéder aux informations concernant leurs activités.
Les lanceurs d'alerte qui rapportent des écarts de conduite de leurs employeurs
ou d'organisations seront protégés des représailles.
La loi contient en outre des dispositions qui visent à répondre aux attentes des
publics ayant des besoins spécifiques en information : les personnes illettrés et celles
qui sont handicapées. De plus, la loi accorde aux organismes gouvernementaux un
délai d'une semaine pour produire les renseignements demandés et criminalise la
rétention et la destruction des documents.
Cette nouvelle loi vise aussi à protéger les fonctionnaires en activité de toute
conséquence de divulgation de certaines informations officielles sans autorisation et
d'établir des procédures pour réaliser ces objectifs.
Commentant la promulgation de ce texte juridique, qui fait du Nigéria le
deuxième pays africain, après le Libéria, à posséder une loi sur le libre accès à
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l'information, un responsable de Reporters sans Frontières, écrit : «après plus
d'une décennie de revendications et de lutte, les organisations de la société civile
nigériane peuvent maintenant tirer de cet événement déterminant un sentiment de
confort et de réussite».
Cependant, certains juristes, dont le constitutionnaliste Itse Sagay, estiment que
cette loi n'est exécutoire dans aucun des 36 Etats de la fédération à moins d'être
adoptée par les différentes assemblée de ces Etats et que, par conséquent, elle
n'engage que le gouvernement fédéral et ses institutions, ce qui en limite
considérablement la portée.
En Gambie où les journalistes ont continué leur lutte pour la liberté de presse et
d'expression, les questions de pluralisme et de liberté des media et les revendications
des journalistes ne pouvaient plus rester éternellement marginalisées et occultées par
le pouvoir. Parmi les interpellations majeures qui étaient lancées, par les défenseurs
des droits humains en Gambie, il y'avait en tête l'avènement d'un Etat respectueux
des libertés fondamentales dont celle de l'information et de l'expression.
En 1996 pressé par la communauté internationale, les bailleurs de fonds ayant
suspendu toute aide depuis le coup d'État de 1994, le président Yaya Jamet accepta
d'engager un processus de démocratisation qui le reportera d'ailleurs au pouvoir lors
des élections de 1996. Ainsi, plusieurs journaux dans le pays.
Parmi cette presse gambienne pluraliste on peut citer aujourd'hui, The Daily
Observer, The Gambia Daily, The Gambia News, The Independent, The Point,
Citizen Newspaper.
De manière générale, l'explosion de la presse écrite en Afrique de l'ouest, sera
progressivement suivie dans la plupart des pays par la création spontanée puis
autorisée et réglementée de radios et de télévisions privées dans un contexte
pluraliste et plus ou moins organisé.
1.2. La libéralisation du secteur de l'audiovisuel
Fruit d'un processus plus long et plus difficile que pour la presse écrite, le
pluralisme radiophonique et télévisuel n'a émergé qu'au cours des années 1990.
Deux éléments nouveaux viendront ébranler les monopoles des media
audiovisuels : d'une part, le vent de démocratisation qui s'accompagnera d'une
libéralisation du secteur de la presse etdes médias en général ; d'autre part,
l'avancée des technologies de la communication…»(32).
(32) Mactar Silla,Le pluralisme télévisuel en Afrique de l'Ouest.
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D'abord, ces deux facteurs ont favorisé en Afrique l'émergence de nouveaux
opérateurs privés et l'apparition de chaînes satellitaires transnationales. Ensuite, les
professionnels des media se sont organisés, dans la foulée des démocratisations,
pour renforcer leur lutte visant à libéraliser le secteur, à mettre fin au monopole
d'Etat, à la censure et à la propagande démagogique.
Malgré la réticence de certaines autorités réfractaires au pluralisme médiatique et
partisanes de la pensée unique et de l'information verticale, le paysage audiovisuel
africain n'a pas cessé, depuis lors, de connaitre des mutations rapides qui ont touché
ce secteur stratégique un peu partout dans le monde.
Avec la démocratisation, la libéralisation de l'audiovisuel s'est enraciné
progressivement en Afrique de l'Ouest. L'émergence de media privés à côté des
médias classiques d'État, a brisé la monotonie de l'information linéaire et consacré
l'ère de la concurrence, bouleversant les relations media-public et offrant des
opportunités de communication plus larges.
Les Etat francophones : Cas du Sénégal et de la Côte d'Ivoires
Dans le domaine de la Radio et de la télévision, les pays francophones ouestafricains étaient pionniers dans la libéralisation du secteur de l'audiovisuel. En
1991, la première radio privée associative ouest-africaine émet au Mali sans
aucune autorisation.
La première radio privée commerciale malienne la suivra un mois plus tard. Afin
d'éviter l'anarchie dans le secteur, le gouvernement se hâta à adopter des textes
régissant l'édition de services privés de radiodiffusion. En 1993, les créations
allaient se suivre à la chaîne. Le Mali avait enregistré dans les années 1990, la
création de 15 radios privées associatives. En janvier 2001, l'Institut Panos aurait
recensé 426 stations dans la quasi-totalité des pays ouest-africains.
Au Sénégal, les débuts de la libéralisation du secteur de l'audiovisuel étaient
timides. L'ouverture, entamée en 1991, est avant tout, au Sénégal comme ailleurs
dans la sous-région, la conséquence de l'intrusion satellitaire et de l'apparition de
sociétés de rediffusion ou de distribution de bouquets comme le groupe francosénégalais Excafet Canal Horizons, filiale africaine de la chaine française Canal
Plus. En dehors de ces deux opérateurs qui se partageaient le spectre de
fréquences sénégalais, les promoteurs privés nationaux ont vu toutes leurs
demandes d'autorisation de diffusion adressées à l'État non satisfaites.
Plusieurs années après la naissance de l'Office de Radio Télévision du Sénégal
(ORTS), une évolution intervient en 1992, avec la loi n° 92-02 portant création
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d'une société nationale dénommée Radiotélévision sénégalaise (RTS). La société
est administrée par un conseil dont le président est élu en son sein sur proposition
du président de la République.
A partir de 1993 le développement de l'initiative privée dans le secteur de
l'audiovisuel a rapidement évolué conduisant à l'éclosion, sur la bande FM, de
plusieurs radios privées commerciales directement liées à la RTS par des
conventions de concession.
Un peu plus tard, l'espace audiovisuel libéralisé a été largement ouvert au secteur
privé. La page d'une histoire médiatique marquée par le monolithisme est tournée.
Avec le temps, le paysage médiatique sénégalais s'est enrichi et diversifié. On y
recense aujourd'hui de très nombreuses chaînes de télévision privées : 2STV, Canal
info news, Walt TV, RDV, TFM, Touba TV, etc. et une multitude de radios
commerciales et communautaires : Dakar FM, Dia mono Fm, Fm Trangan, Sosna
Fm, Al Hamdoulillah Fm, Love Fm, Fm Nostalgie, Fm Océan, Radio Dunya,
NdefLeng, Jokko, Tim Timol Fm, Afia, Jikké Fm, etc.
En Côte d'Ivoire, l'ouverture du secteur de l'audiovisuel, contrarié par des années
de conflit, a été beaucoup plus lente. Le secteur de la radio et de la télévision est
longtemps resté sous l'emprise ferme du monopole d'État.
La politique générale traduisant la volonté des pouvoirs publics ivoiriens de procéder
à une restructuration progressive du secteur de la communication audiovisuelle, a été
définie en 1990, mais sa mise œuvre a été retardée. En 1991, le gouvernement a
promulgué la loi 91-01, portant régime juridique de la communication audiovisuelle.
Loin de répondre aux attentes des journalistes relatives à la liberté de la presse et à
la libéralisation du secteur audiovisuel, ce nouveau texte a frustré les professionnels
du métier et a fait l'objet de nombreuses critiques.
Jusqu'au milieu des années 1990, il n'y avait que 2 chaînes publiques en Côte
d'Ivoire éditées par la Radiotélévision Ivoirienne (RTI) ; "La Première" nationale
et "TV2" locale. Après la promulgation de la nouvelle loi, des concessions de
service public ont alors été signées entre l'État et des entreprises privées de
radiodiffusion et de télévision.
A la fin de l'année 2004 et après plus d'une décennie de lutte, les journalistes et
les défenseurs de la liberté de presse ont réussi à fléchir la volonté politique des
pouvoirs publics. Alors que la crise politico-militaire n'arrivait pas à trouver une
solution durable, une nouveau cadre juridique a été mis en place le 14 décembre
2004. Il s'agit de la loi n°2004-644, portant régime juridique de la
communication audiovisuelle en Côte d'Ivoire.
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L'objectif essentiel de cette loi était la libéralisation du secteur de l'audiovisuel. En
effet, ce nouveau texte a mis un terme au monopole d'Etat et à la censure et a ouvert
aux opérateurs privés le droit d'exploiter des services de radios et de télévisions.
Contrairement à l'ancienne législation, le nouveau régime juridique, a consacré la
libéralisation du secteur de la communication audiovisuelle. Mais cette
libéralisation n'a pas été effectivement traduite dans les faits. La situation de crise
que vit la Côte d'Ivoire depuis septembre 2002 a compliqué la situation des media.
Le Conseil national de la communication audiovisuelle (HACA) créé et doté de
pouvoirs élargis par loi n° 2004-644 du 14 décembre 2004, n'a pas non plus facilité
pour les opérateurs leur tâche particulièrement difficile en période de crise. Les
programmes de certaines stations radios internationales, ont été suspendus. Les
media et les journalistes étaient «des boucs émissaires ou des proies faciles pour
des règlements de compte politiques, par police ou justice interposées»(33).
Toutefois, le secteur audiovisuel ivoirien a connu, au cours des dernières années
de crise, l'attribution de licences et de concessions à des opérateurs privés de
radios et de télévisions. On y recensait, en ce moment, trois chaînes publiques,
une nationale (RTI, La Première), deux locales (TV2 et TV Bouaké) et plusieurs
promoteurs de radios et de télévisions privées : Jam Fm, Nostalgie Fm, Radio de
droit, Tam-Tam TV, ainsi qu'une cinquantaine de radio "rurales" qui s'adressent
tout particulièrement au monde agricole et sont diffusées en langue locale. Les
media internationaux sont également présents en Côte d'Ivoire ou des radios
multinationales rediffusent leurs programmes en modulation de fréquence dans
plusieurs villes du pays.
Aujourd'hui, malgré les conséquences de la crise politique et militaire, dont les
stigmates continuent à marquer le paysage médiatique, l'environnement
audiovisuel ivoirien connait une nette évolution, mais qui n'a pas encore répondu
à la demande exponentielle des différents publics.
Les Etat anglophones : Cas du Nigéria et de la Gambie
Au Nigeria, les media audiovisuels publics resteront pendant longtemps (de 1959
à 1993) contrôlés par les pouvoirs en places. Les dictatures militaires les
surveillaient de près et les utilisaient pour la propagande politique.
A cette fin, plusieurs chaînes de télévisions publiques ont été créées en 1977par
le gouvernement Fédéral dansles États du Nigeria. En dehors des media publics
(33) Amos Beonano, statut du journaliste africain rapporté en 2007.
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audiovisuels, il n'y avait aucune station radio ni chaine de télévision privées.
Seule une presse écrite courageuse osait paraitre malgré les restrictions des
libertés imposées par les juntes militaires successives.
Ce n'est qu'en 1993, que la première chaîne de télévision privée du Nigeria ait vu
le jour. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, c'est sous l'une de ces dictatures
militaires, installée après des élections annulées par la junte au pouvoir, que cette
première autorisation a été obtenue.
L'ouverture de l'espace médiatique à des opérateurs privés ainsi opérée, s'est
accompagné par «un changement significatif dans les programmes et dans la
manière de faire de la télévision au Nigeria, même si par ailleurs la perpétuation
d'un contexte répressif global restreint la liberté d'expression, avec notamment la
signature de plusieurs décrets en 1993 et 1995»(34).
Le rétablissement du multipartisme en 1996 et la pression internationale
contribueront à accélérer une plus grande ouverture démocratique qui profite aux
médias. A la suite des élections démocratiques de 1999, la tendance à la
libéralisation s'est renforcée. Conscients des opportunités économiques, ainsi
offertes, dans un marché qui se compte en millions d'habitants, les opérateurs
privés ont rapidement occupé l'espace médiatique. En 2003, une centaines de
chaînes publiques et privées diffusaient des programmes tendant à refléter le
pluralisme des courants de pensée et d'opinions notamment politiques. Les
principales chaînes commerciales privées étaient : Degue Broadcasting Network
(DBN), AIT, Minaj TV, Galaxy TV, Channel TV, Silverbird Television (STV), etc.
Malgré le contexte répressif qui n'a jamais cessé de restreindre la liberté
d'expression, les media audiovisuels nigérians, continuent à braver les situations
difficiles. Il est précoces d'évaluer l'impact de la loi promulguée récemment (le
30 Mai 2012)sur la liberté des media audiovisuels au Nigeria mais ses nouvelle
dispositions nourrissent l'espoir d'un avenir meilleur pour la liberté de la presse
et de l'expression dans le pays.
En Gambie, également, le gouvernement a longtemps observé la règle du
monopole des media audiovisuels. Mais du fait de sa position géographique et de
ses frontières étroites, le pays recevait aussi bien les signaux internationaux que
ceux des pays voisins, en particulier le Sénégal, ce qui rend difficile l'instauration
d'un monopole radiophonique et télévisuel de fait.
(34) MactarSilla, le Pluralisme télévisuel en Afrique de l'ouest.
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Après avoir troqué son uniforme militaire contre un costume présidentiel civil, le
chef de l'Etat gambien, (reconduit récemment pour son quatrième mandat
présidentiel quinquennal), a finalement accepté une certaine forme du pluralisme
audiovisuel.
Sans changer apparemment de politique en matière de liberté de presse et
d'expression, le gouvernement continuait de contrôler les media publics et de
surveiller la presse privée. Cette situation n'a pas favorisé l'essor des radios et de
télévisions privées gambiennes, d'où un paysage médiatique audiovisuel pauvre
et exigüe comme la superficie de l'Etat gambien lui-même.
Après des réaménagements dans l'espace médiatique public conduisant au
regroupement des entités distinctes que constituaient la radio et la télévision
publiques au sein de la Gambia Radio And Télévision Services (GRTS), des
opérateurs privés ont commencé à diffuser leurs programmes sur le territoire
national.
Premium TV Network, émet depuis Banjul via le satellite Arabsat et diffuse des
programmes en arabe classique. Quelques autres chaînes et stations privées
émettent depuis l'extérieur du pays, comme Citizen FM, Radio 1 FM, West Coast
Radio, City Limits Radio, Radio Syd, Sud FM, etc.).
Ce cheminement plus ou moins identiques dans les pays anglophone et
francophones reflète la situation présente en Afrique de l'ouest. Dans le contexte
actuel, la plupart des «pays ouest-africains fonctionnent dans un système de
démocratie pluraliste»(35), favorisant une évolution rapide du paysage médiatique
dans la sous-région.
2. INFLUENCE DU CONTEXTES POLITIQUE RECENT SUR LES LEGISLATIONS
NATIONALES OUEST-AFRICAINS
2.1. Contexte général
L'évolution du cadre juridique régissant le domaine de l'information, on l'a vu
dans les titres précédents, a été très lente et tributaire du parcours politique
incertain, souvent effectué à travers un système de gouvernance peu favorable à
la liberté de presse.
(35) Mouhamadou Tidiane Kassé : Pluralisme médiatique en Afrique de l'Ouest, Les Cahiers du
journalisme N°9-2001.
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A l'époque coloniale, la liberté de presse en Afrique de l'ouest était, de manière
générale, régie par les lois métropolitaines restrictives des libertés.
Après les indépendances, les lois initiées dans les Etats africains se sont
largement inspiré des législations de la puissance coloniale qui les dominait.
Comme décrit ci-haut, certains textes juridiques africains n'étaient, en réalité,
qu'une version métropolitaine reprise et adaptée aux contextes spécifiques
dupays devenu indépendant.
Sous les régimes du parti unique et les dictatures militaires, qui n'ont pas tardé à
suivre, les Constitutions ou les chartes constitutionnelles comportaient des clauses
en faveur de la liberté de la presse qui étaient le plus souvent des déclarations de
principe, de protée générale et faciles à contourner par le pouvoir afin de contrôler
les médias et de limiter la liberté d'expression. Aussi, des lois répressives ont-elles
été mises en vigueur, marquant un net recul des libertés et favorisant la
multiplication d'actions en justice contre les médias dont les procès étaient fatals
pour nombre de journalistes. Des dispositions intégrées au Code pénal, protégeaient
généralement, les hauts responsables, les fonctionnaires et les législateurs contre
toute critique ou révélation de leurs agissements par les médias.
Des procédures pénales liées à la diffamation, la sédition, les offenses envers le
président de la République et les hauts fonctionnaires, ou autres "actes de
trahison" ont été invoquées pour poursuivre les journalistes dans des affaires
impliquant des fonctionnaires, des diplomates et parfois même les plus hautes
autorités de l'Etat(36).
La ratification des conventions et des instruments juridiques internationaux et
régionaux, en Afrique de l'ouest par la totalité des Etats francophones et
anglophones, a permis progressivement une amélioration théoriques des législations
nationales. Les Etats qui ont adhéré à la Déclaration des droits de l'Homme et à la
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples comme : le Sénégal, la Côte
d'Ivoire, le Nigéria et la Gambie, ont plus ou moins tardivement pris des mesures,
le plus souvent à effet limité, faisant référence aux dispositions conventionnelles
relatives à la liberté d'expression.
L'environnement politique récent (des années 1980), conduisant à la
démocratisation en Afrique de l'ouest, a fortement influencé les législations
nationales régissant le secteur de l'information. Même si, les progrès réalisés par les
pays de la sous-région en matière de démocratie et de liberté de la presse et de
l'expression ont été essentiellement le produit de facteurs exogènes et de pressions
(36) Kwame Karibari, Une réforme inaboutie.
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ou d'¨injonctions¨ extérieures, on ne peut pas nier l'influence du contexte
sociopolitique interne sur l'évolution des institutions et des législations nationales.
Certes, Il est un peu partout constaté l'absence d'un processus de maturation
politique et institutionnelle interne comme c'est le cas dans les vieilles démocraties
européennes. En effet, l'avènement de la démocratique n'a pas suscité rapidement,
au sein des populations ouest-africaines, l'émergence d'une véritable culture
démocratique et citoyenne, ni un enracinement solide des valeurs républicaines et
des droits humains. La notion d'Etat de droit était mal perçue par les citoyens et le
droit de ¨redevabilité¨ peu exigé par les électeurs, d'où un exécutif assez libre, un
législatif souvent formé de chambres d'enregistrement et une justice rarement
indépendante. Cette faiblesse des institutions conjuguée à l'insuffisance de l'éveil
citoyen et politique des populations, explique d'ailleurs la fragilité et la volatilité des
acquis réalisés dans ce domaine ainsi que la facilité avec laquelle des pays ouestafricains ont pu et peuvent encore passer, du jour au lendemain, d'un Etat de droit à
un état de non droit (cas du Mali, de la Guinée, etc.). Mais les luttes acharnées
menées inlassablement par l'avant-garde ouest-africaine démocrate et progressiste
(formations politiques et syndicales, militants des droits humains, intellectuels,
journalistes, etc.), ont sans doute contribué aux progrès accomplis et aux
changements de certaines normes juridiques, politiques et sociales. Le soutien de la
communauté internationale a été un catalyseur de l'action de ces militants qui n'ont
jamais cessé de dénoncer les abus et les injustices ni de prôner les réformes
politiques et juridiques. Le courage, la persévérance des détracteurs des
gouvernements en place et surtout le poids de leur audience grandissante ont fléchit
la volonté des décideurs politiques qui se sont vus obligés de s'adapter aux
exigences de l'ère nouvelle, celle des valeurs du libéralisme, du pluralisme politique,
des droits de l'homme et de la liberté de presse et d'opinion. Cette évolution s'est
traduite dans l'amélioration nette des cadres institutionnels et juridiques notamment
les textes régissant la liberté de presse et d'expression.
Ainsi, le pluralisme des médias et la liberté de la presse apparus comme une
exigence de l'opinion publique éclairée, ont été réaffirmés dans le cadre des
nombreuses occasions dont des rencontres de journalistes africains et de
militants des droit de l'homme et même des assemblées nationales réunies pour
doter d'une nouvelle constitution des pays jusque-là soumis à la règle du parti
unique ou de la dictature militaire(37). Au moment de la conférence de Windhoek
en 1991, ce combat pour le pluralisme et la liberté des médias en Afrique de
(37) Op, Cit.
(38) Op, Cit.
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l'Ouest s'était exacerbé et ne laissait possible aucune continuité du monolithisme
médiatique. «Ce qui était clair en tout cas, c'est que ce mouvement était
irréversible»(38).
Avec les consultations électorales du multipartisme, la plupart des Constitutions
nationales en Afrique de l'ouest ont été amendées, révisées ou réécrites rendant
plus ferme la consécration du droit à l'information et l'expression. Les
dispositions relatives à la liberté d'expression dans les conventions et
instruments juridiques internationaux et régionaux ratifiés par les pays de la
sous-région ont été effectivement prises en compte dans l'ordonnancement
juridique interne de ces pays.
Au niveau des lois et codes de l'information, le régime juridique de la presse s'est
quelque peu amélioré et l'on a constaté au cours des dernières décennies, une
certaine volonté de réforme que les différents régimes politiques ont essayé de
traduire dans les faits en allant chacun à son rythme et à sa manière d'agir, selon
ses spécificités et ses traditions. La Côte d'Ivoire, le Nigeria et la Gambie sont cités
parmi les pays ouest-africains où l'évolution des libertés de presse et d'expression
a été la plus lente et où la législation en vigueur était la moins respectée.
Ces Etats ont d'abord adopté des dispositions plus conciliantes que
précédemment quant à leur ouverture à la liberté de la presse. avant de céder à
la pression des défenseurs des libertés de presse et d'expression, qui a permis, à
des degrés différents, une amélioration des législations qui régissaient le secteur
de l'information et de la communication.
Avec le foisonnement sans précédent des journaux et l'abondance des radios et
télévisions qui paraissent et résonnent un peu partout dans la sous-région, «la
presse privée est devenue une forte réalité en Afrique»(39). Pour éviter l'anarchie
dans ce pluralisme médiatique, parfois de fait avant d'être de droit, les
législateurs ouest-africains ont initié et adopté un arsenal juridique important
dont des lois et des codes relatifs à la liberté de presse et à la libéralisation du
secteur des media écrits et audiovisuels.
Garantie par la quasi-totalité des Constitutions et des législations nationales
ouest-africaines, la liberté de presse et le libre fonctionnement des media, sont
aujourd'hui reconnus et régis par des lois qui consacrent le pluralisme de
l'information et de la communication. Ces acquis continuent de se renforcer et de
(38) Op, Cit.
(39) Op, Cit.
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s'améliorer donnant à la liberté de presse son statut légal dans le contexte sous
régional actuel.
3. ETAT ACTUEL DE LA LIBERTE DE LA PRESSE EN AFRIQUE DE L’OUEST
3.1. Le statut légal
Dans le contexte actuel, la plupart des pays ouest-africains adoptent un profil de
démocratie pluraliste et respect des valeurs républicaines. Au cours de deux
dernières décennies, le paysage médiatique ouest africain a connu une évolution
plus ou moins rapide, focalisée essentiellement sur l'amélioration du statut légal
de liberté de presse. Plusieurs normes juridiques régissent aujourd'hui, la liberté
de l'information et de l'expression dans les pays ouest-africains.
3.1.1. Les Constitutions actuelles
La quasi-totalité des Constitutions ouest-africaines, dans les pays francophones
comme le Sénégal et la Côte d'Ivoire et anglophones comme le Nigeria et la
Gambie reconnaissent le principe de la liberté de presse et garantissent le droit
de chacun à l'information et à l'expression.
Ainsi, la Constitution sénégalaise du 7 janvier 2001 garantit, dans ses articles 10
et 11, la liberté d'expression et de la presse à tous les citoyens. Elle stipule :
- Article 10 : Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses
opinions par la parole, la plume, l'image, la marche pacifique, pourvu que
l'exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l'honneur et à la considération
d'autrui, ni à l'ordre public.
- Article 11 : La création d'un organe de presse pour l'information politique,
économique, culturelle, sportive, sociale, récréative ou scientifique est libre
et n'est soumise à aucune autorisation préalable.
Le régime de la presse est fixé par la loi.
Les libertés de presse et d'expression sont également consacrées par la
Constitution ivoirienne du 1er Aout 2000 en ses articles 9 et 10 en ces termes :
- Article 9 : La liberté de pensée et d'expression, notamment la liberté de
conscience, d'opinion religieuse ou philosophique sont garanties à tous, sous
la réserve du respect de la loi, des droits d'autrui, de la sécurité nationale et
de l'ordre public.
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- Article 10 : Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses idées.
Toute propagande ayant pour but ou pour effet de faite prévaloir un groupe
social sur un autre, ou d'encourager la haine raciale ou religieuse est
interdite.
Au Nigeria, l'article 39 de la Constitution du 29 Mai 1999 garantit à chacun la
liberté d'information et d'expression.
Article 39. (1)Toute personne a droit à la liberté d'expression, notamment la
liberté d'avoir des opinions et de recevoir et de répandre des idées et des
informations sans interférence.(2)Sans préjudice de la portée générale du
paragraphe(1) de la présente section, toute personne a le droit de posséder, de
fonder et d'exploiter tout support pour la diffusion de l'information, des idées et
des opinions. Aucune disposition du présent article ne peut invalider toute loi qui
est raisonnablement justifiable dans une société démocratique(40).
De même, la Constitution gambienne du 16 Janvier 1997 reconnait en son article
25 la liberté d'expression, de presse et de pensée en ces termes : ''Toute personne
a droit à la liberté de parole et d'expression, ce qui implique la liberté de la presse
et d'autres médias'' Cette liberté ''sera exercée dans les limites imposées par les
lois de la Gambie dans la mesure où ces lois imposent des restrictions
raisonnables à l'exercice des droits et libertés ainsi conférés, qui sont nécessaires
une société démocratique et sont indispensables à la préservation des intérêts, de
la souveraineté et de l'intégrité de la Gambie, de la sauvegarde la sécurité
nationale, de l'ordre public, de la décence et des bonnes mœurs(41).
Comme on le voit, les constitutions des quatre pays objet de la présente étude
garantissent la liberté de l'information à certaines nuances près. En effet, si la
constitution du Sénégal tout en subordonnant la liberté de la presse au respect «de
l'honneur, à la considération d'autrui et à l'ordre public», elle stipule que la création
d'un organe de presse (écrite s'entend) «n'est soumise à aucune autorisation
préalable», tandis que les constitutions des trois autres pays ne se prononcent pas
explicitement à ce sujet. Celle de la Cote d'Ivoire soumet l'exercice de la liberté de
l'information au «respect de la loi, des droits d'autrui, de la sécurité nationale et de
l'ordre public». La constitution nigériane ouvre une porte plus grande encore
devant les restrictions qui pourraient être imposées par la loi en stipulant que
«aucune disposition du présent article ne peut invalider toute loi qui est
(40) Traduction non officielle du texte de la Constitution écrit en anglais.
(41) Traduction non officielle du texte de la Constitution écrit en anglais.
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'raisonnablement' justifiable dans une société démocratique». Enfin, la constitution
de la Gambie ouvre la voie à des lois qui peuvent imposer «des restrictions
raisonnables à l'exercice des droits et libertés ainsi conférés, qui sont nécessaires
une société démocratique et sont indispensables à la préservation des intérêts, de la
souveraineté et de l'intégrité de la Gambie, de la sauvegarde de la sécurité
nationale, de l'ordre public, de la décence et des bonnes mœurs».
L'on ne peut que constater le positionnement des articles relatifs à la liberté de
presse qui occupent des rangs plus avancés dans les constitutions des pays
francophones (articles : 9, 10 et 11) que ceux des Etats anglophones (articles : 25
et 39). Cette position différenciée serait-elle l'expression d'un intérêt plus marqué
chez les uns ou tout simplement le reflet de la morphologie des législations de
référence ou des sources d'inspirations puisées dans le droit colonial ?
3.1.2. Les instruments juridiques internationaux et régionaux :
Les instruments juridiques internationaux et régionaux ratifiés par tous les pays
de l'Afrique de l'ouest (francophones et anglophones) ont valeur légale et sont en
vigueur dans les pays qui ont transmis les instruments de ratification, notamment
le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Nigeria et la Gambie. Les législations internes ont
été effectivement adaptées auxdispositions conventionnelles en matière de
liberté de presse et d'expression.
Il s'agit notamment instruments juridiques internationaux et régionaux suivants :
l La
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dont le caractère
non contraignant est largement compensé par sa force morale et qui stipule
en son article 11 : «La libre communication des pensées et des opinions est
un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans
les cas déterminés par la Loi».
l De
la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948
dont l'article 19 dit : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et
d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses
opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations
de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression
que ce soit».
l Le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966
par l'Assemblée générale de l'Organisation des nations Unies qui stipule en
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son article 19 : «Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne
a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher,
de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce,
sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou
artistique, ou par tout autre moyen de son choix. L'exercice des libertés
prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et
des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines
restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui
sont nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ; b) A
la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la
moralité publiques».
l La
Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples adoptée le 27
Juin 1981, proclame l'imprescriptible droit pour chaque homme à s'exprimer
librement. Son article 9 dispose : «toute personne a droit à l'information» et
«toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le
cadre des lois». En Matière de protection des journalistes et des citoyens
elle défend : sous réserve de l'ordre public, nul ne peut être l'objet de
mesures de contrainte visant à restreindre la manifestation de ces libertés.
En son article 6, la charte africaine va plus loin : «tout individu a droit à la
liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté
sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la
loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement».
l La
récente Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance entrée en vigueur le 15 février 2012 vient renforcer cet arsenal
juridique important. En son article 27,elle édicte que les états membres
s'engagent à «développer et utiliser les technologies de l'information et de
la communication ; promouvoir la liberté d'expression, en particulier la
liberté de la presse ainsi que le professionnalisme dans les médias».
l L'on
ne peut que mentionner la Déclaration de Windhoek du 3 mai 1991,
adoptée à l'issue d'un séminaire pour le développement d'une presse
africaine indépendante, et dont la date anniversaire devait être déclarée deux
années plus tard à l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse
par l'Assemblée Générale des Nations Unies. Cette déclaration souligne
l'importance d'une presse libre pour le développement et la préservation de
la démocratie ainsi que pour le développement économique. Elle porte une
symbolique particulière pour la liberté de la presse sur le Continent dans la
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mesure où c'est à partir d'une capitale africaine qu'a jailli cet espoir
aujourd'hui célébré à travers le monde pour préserver les acquis et aller vers
de nouvelles conquêtes dans le domaine de la liberté de la presse et de
l'information.
l Les
recommandations de la Déclaration de Windhoek, ont également inspiré
les législateurs ouest-africains notamment dans la vision et les définitions
du pluralisme et de l'indépendance de la presse. Cette déclaration proclame
ce qui suit :
- «Conformément à l'esprit de l'article 19 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, la création, le maintien et le renforcement d'une presse
indépendante, pluraliste et libre sont indispensables au progrès et à la
préservation de la démocratie dans un pays, ainsi qu'au développement
économique» ;
- «Par presse indépendante doit s'entendre une presse sur laquelle le pouvoir
public n'exerce ni emprise politique ou économique ni contrôle du matériel
et des équipements nécessaires à la production et à la diffusion de
journaux, magazines et périodiques» ;
- «Par presse pluraliste doit s'entendre la suppression des monopoles de tous
genres et l'existence du plus grand nombre possible de journaux,
magazines et périodiques reflétant l'éventail le plus large possible des
points de vue de la communauté»;
- «Le mouvement qui se dessine dans le monde entier vers plus de
démocratie, de liberté d'information et d'expression est une contribution
fondamentale à la réalisation des aspirations de l'humanité»;
- «Dans l'Afrique d'aujourd'hui, en dépit des changements positifs
intervenus dans certains pays, journalistes et éditeurs sont encore en lutte,
dans de nombreux pays, à la répression --assassinats, arrestations,
détentions et censure-- et leur activité est entravée par toutes sortes de
pressions politiques et économiques: restrictions à la fourniture du papier
journal, autorisations préalables limitant la liberté de publication,
restrictions de la délivrance de visas affectant la liberté de déplacement des
journalistes, restriction du libre-échange des nouvelles et de l'information,
limitation de la libre circulation des journaux à l'intérieur et à l'extérieur
des frontières nationales. Dans certains pays, le parti unique a une emprise
totale sur l'information».
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3.1.3. Les codes d'informations ouest-africains : forces et faiblesses
3.1.3.1. Les forces
Aujourd'hui, le régime juridique de la presse est libre dans la quasi-totalité des
pays ouest-africains, notamment au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigeria et en
Gambie. Les règlements vigueur dans ces pays consacrent la liberté de presse et
d'expression, la suppression du monopole d'Etat, le libre fonctionnement des
media, la libéralisation de la presse écrite et du secteur de la communication
audiovisuelle, etc.
Les différentes lois et codes réunissent un ensemble de dispositions qui
garantissent les libertés d'information et d'expression, couvrant la liberté
d'entreprendre, d'écrire, d'exprimer, de montrer, de recevoir les informations dans
le cadre des conditions prévues par les textes en vigueur.
Les lois garantissent également au journaliste son droit de ne pas être inquiété
ni menacé dans son intégrité physique ou morale au cours de l'exercice de son
métier. Dans certains pays comme le Sénégal et le Nigeria des textes visant à
renforcer la liberté et la facilité d'accès à l'information, donnent aux media le
droit, la capacité et les moyens d'obtenir plus aisément les informations, de
déterrer des faits et d'amener les officiels et les institutions à rendre des comptes
à l'opinion publique.
Par ailleurs, les médias dans certains pays d'Afrique de l'ouest sont juridiquement
à l'abri de tout contrôle a priori et a posteriori, car les lois, comme celles du
Sénégal(42) et de la Côte d'ivoire, stipulent clairement que toute forme de censure
est interdite(43). Dans certains pays les autorités ont supprimé les qualifications de
crimes en ce qui concerne les délits de presse. Les dispositions privatives de
liberté sont abrogées et les peines d'emprisonnement muées en sanctions plus
adaptées : des sanctions pécuniaires suffisamment dissuasives. Ainsi, la loi
ivoirienne dispose en son article 68 que «la peine d'emprisonnement est exclue
pour les délits de presse».
De manière tout aussi significative, «les lois requérant une autorisation préalable
pour faire paraître un journal ont été abrogées dans la plupart des pays»(44).
(42) Baromètre des media africains, Sénégal.
(43) Liberté de presse en Côte d'Ivoire : mythe ou réalité.
(44) KwameKaribari, Une réforme inaboutie.
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En Afrique de l'ouest, la création d'organe de presse écrite est donc souvent libre.
L'édition de journaux n'est plus soumise à une autorisation préalable mais,
simplement à un régime de déclaration auprès du Procureur de la république.
Quant aux lois régissant le secteur de la communication audiovisuelle, elles
consacrent la libéralisation des ondes et semble créer un contexte libre et
organisé de l'exploitation des radios et télévisions privées. Généralement, la
création de media audiovisuels,en Afrique de l'ouest, est soumise à une
autorisation ou à une licence.
Sous réserve de la préservation du caractère pluraliste du secteur de l'information
et du respect des textes régissant les media, les opérateurs de communication
audiovisuelle privés conçoivent librement leurs programmes et en assument
l'entière responsabilité.
Le secteur audiovisuel public assure, dans l'intérêt général, des missions de service
public tendant à satisfaire les besoins d'information, de culture, d'éducation, etc.
Les éditeurs de services de communication audiovisuelle publique sont légalement
tenus au respect du pluralisme, de la diversité des courants de pensée et d'opinion
ainsi que l'égal accès des partis politiques aux media.
En Afrique de l'ouest, les limites de la liberté de presse sont, de manière générale,
classiques. Juridiquement, la liberté de ne peut y être limitée que par la
sauvegarde de l'ordre public, le respect de la souveraineté de l'Etat, des valeurs
de liberté et de dignité de la personne humaine, de la propriété d'autrui. On cite
également les exigences de la défense nationale, la sauvegarde de la santé
publique et de l'environnement, les contraintes techniques, etc.
Un aspect essentiel du nouvel ordre juridique appliqué aux médias en Afrique de
l'ouest a été la mise en place d'autorités régulatrices de la communication
audiovisuelle(45), et/ou de la presse écrite. Dans la quasi-totalité des pays ouestafricains, il existe au moins une autorité chargée de réguler le secteur de
l'audiovisuel. Les pouvoirs de ces instances de régulations sont différents selon
la volonté politique des gouvernements de chaque pays. Elles ont des
compétences couvrant parfois le contrôle du contenu des émissions.
Les autorisations ou licences d'exploitation de services radiophoniques et
télévisuels sont délivrées par une autorité de régulation juridiquement autonome
(45) Op, Cit.
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et indépendante. Les fréquences radioélectriques sont souvent attribuées par
l'autorité de régulation chargée des télécommunications.
La désignation des présidents et des membres des instances régulatrices des
media relève souvent des pouvoir politiques au plus haut niveau ou est soumise
à leur approbation. Dans certains pays, comme la Côte d'ivoire, les organisations
de la société civile désignent leurs représentants au sein des autorités de
régulation des media.
Ces organes de régulation ont été introduits dans les pays de la sous-région avec
la dernière vague de démocratisation de la vie publique. Leurs dénominations
sont différentes selon les pays, mais leurs pouvoirs et leurs missions sont presque
identiques.
l Au
Sénégal, il y'a eu une succession de structures de régulation qui a abouti,
en 2006, à la création du Conseil national de régulation de l'audiovisuel
(CNRA) institué par la loi n° 2006-04 du 04 janvier 2006 et dont certaines
responsabilités, ont été abandonnées aux organes d'autorégulation comme le
Conseil pour le respect de l'éthique et de la déontologie dans les médias
(CRED).
Tous les médias audiovisuels entrent dans le champ de compétence de l'organe
de régulation des médias audiovisuels quel que soit leur statut juridique. Le
CNRA a pour missions essentielles :
- d'assurer le contrôle de l'application de la réglementation sur l'audiovisuel ;
- de veiller au respect des dispositions de la présente loi et de celles des
cahiers de charges et conventions régissant le secteur ;
- d'exercer un contrôle, par tous les moyens appropriés, sur le contenu et les
modalités de programmation des émissions publicitaires diffusées par les
sociétés nationales de programmations et par les titulaires des autorisations
délivrées pour des services de communication audiovisuelle privés ;
- de superviser une émission programmée toutes les deux semaines, séparément
à la Radio et à la Télévision publiques, cette émission étant réservée aux partis
politiques légalement constitués pour leur permettre d'évoquer les questions
d'actualité nationale et internationale sous forme de débats contradictoires ;
- de fixer les règles concernant les conditions de productions, de
programmation et de diffusion des émissions réglementées des médias
audiovisuels pendant les campagnes électorales.
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Le Conseil National de Régulation de l'Audiovisuel veille aussi :
- à l'indépendance et à la liberté de l'information et de la communication dans
le secteur de l'audiovisuel ;
- au respect de la loi et à la préservation des identités culturelles, à l'objectivité
et au respect de l'équilibre dans le traitement de l'information véhiculée par
les médias audiovisuels ;
- au respect de l'accès équitable des partis politiques, des syndicats et des
organisations reconnues de la société civile aux médias audiovisuels dans
les conditions fixées par les lois et règlements en vigueur ;
- à la libre et saine concurrence entre les entreprises de communication
audiovisuelle ;
- au respect des règles d'éthique et de déontologie dans le traitement de
l'information et dans la programmation des différents médias audiovisuels ;
notamment en assurant le respect des institutions de la République, de la vie
privée, de l'honneur et de l'intégrité de la personne humaine ;
- au respect de l'unité nationale, de l'intégrité territoriale et du caractère laïc
de la République dans les contenus des messages audiovisuels ;
- au respect de l'application stricte des dispositions des cahiers de charges
relatives à la diffusion d'émissions interactives.
l En
Côte d'Ivoire, l'organe de régulation du secteur des médias audiovisuel
a été créé par l'ordonnance n° 2011-75 du 30 avril 2011 qui a érigé le
Conseil National de la Communication Audiovisuelle (CNCA) en Haute
Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA)
La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle a pour missions :
- D'assurer le respect des principes du libre exercice de la communication
audiovisuelle ;
- De garantir et d'assurer la liberté et la protection de la communication
audiovisuelle, dans le respect de la loi ;
- De veiller au respect de l'éthique et de la déontologie en matière
d'information audiovisuelle ;
- De garantir l'accès aux organes officiels d'information et de communication
audiovisuelle, des institutions de la République, des partis politiques, des
associations et des citoyens ;
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- D'assurer le traitement équitable par les organes officiels d'information et de
communication audiovisuelle, des institutions de la République, des partis
politiques, des associations et des citoyens ;
- De favoriser et de garantir le pluralisme dans l'espace audiovisuel ;
- De garantir l'égalité d'accès et de traitement, ainsi que l'expression pluraliste
des courants d'opinions, particulièrement pendant les périodes électorales ;
- De concourir à l'attribution des fréquences de radiodiffusion sonore et
télévisuelle ;
- D'élaborer les conventions d'autorisation d'usage des fréquences et de veiller
à leur respect, ainsi qu'à celui des prescriptions du cahier des charges,
annexé à ces conventions ;
- De veiller à la qualité et à la diversité des programmes, au développement
et à la promotion de la communication audiovisuelle nationale ainsi qu'à la
mise en valeur du patrimoine culturel national, africain et universel ;
- D'exercer un contrôle, par tous les moyens appropriés sur notamment l'objet,
le contenu, les modalités et la programmation des émissions publicitaires et
parrainées
- De garantir l'indépendance et d'assurer l'impartialité du secteur public de la
communication audiovisuelle, notamment la radiodiffusion sonore et
télévisuelle.
l Au
Nigeria, la National Broad casting Commission (NBC) est une
Commission Nationale créée en en 1992 et chargée de réguler le secteur de
la communication audiovisuelle.
Dépendante de l'Exécutif, cette commission «enregistre les demandes d'autorisations,
octroie les licences et contrôle les média audiovisuels»(46). Les promoteurs des radios
et télévisions doivent alors payer des droits importants, et céder 2,5 % de leurs
recettes à la NBC.
La NBC est chargée de :
- Conseiller le gouvernement fédéral dans la mise en œuvre de la politique
nationale de communication de masse ;
- Recevoir et traiter les demandes d'établissement et d'exploitation des stations
de radio et de télévision ;
(46) IdimamaKotoudu, Les organes de régulation des Média en Afrique de l'Ouest : Etat des lieux
et perspectives.
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- Recevoir les plaintes d'individus et de corps constitués concernant les
- Contenus audiovisuels ;
- Etablir un code de radiodiffusion nationale et des normes relatives aux
contenus et à la qualité de l'audiovisuel ;
- Intervenir et arbitrer les différends dans l'industrie audiovisuelle ;
- Servir de conseiller national sur toutes questions législatives ou de
normalisation sur l'industrie audiovisuelle ;
- Garantir et assurer la liberté et la protection de l'industrie audiovisuelle dans
le respect de la loi.
Deux autres instances distinctes participent à la régulation : il s'agit de la
Commission des Média du Nigeria (NMC) créée par décret en 1988, et du Conseil
nigérian de la Presse (NPC), créé également par décret créée par décret en 1988, et
du Conseil nigérian de la Presse (NPC), créé également par décret en1992.
Le NPC a pour missions d'enquêter sur les plaintes relatives à la conduite de la
presse, de mettre à jour le répertoire de la presse, de protéger les droits et privilèges
des journalistes, de professionnaliser le secteur des média, et d'analyser les pratiques
restrictives de la disponibilité des informations et de l'accès aux sources
d'informations(47).
l En
Gambie l'organe régulateur est la Commission Nationale des Média
(NMC)créée le 2 juillet 2002 chargée de promouvoir la liberté de la presse,
du respect des règles déontologiques et de l'indépendance des média.
Malgré le fait que la Constitution gambienne prévoit, en ses articles 207 et 210, la
création d'un organe qui a pour rôle «de promouvoir la liberté et l'indépendance des
médias», la NMC a plutôt joué un rôle répressif et restrictif de la liberté de la
presse. Loin des intentions initiales, la nouvelle instance de régulation s'est érigée
en tribunal pour «surveiller et juger de manière expéditive les journalistes et les
média mal pensants»(48).
Les professionnels des média, les magistrats, les défenseurs des droits de
l'Homme et les Avocats ont refusé de siéger dans une telle commission et décidé
de porter l'affaire devant les tribunaux, en estimant que la NMC est
anticonstitutionnelle. Boycottée par les professionnels et les membres de la
société civile ayant cette instance régulatrice a été a été dissoute en 2004. Alors
(47) Op. Cit.
(48) Op. Cit.
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deux nouvelles lois beaucoup plus restrictives ont été votées par l'Assemblée
nationale. La première «annule les enregistrements de tous les journaux établis
dans le pays pour les obliger à déposer une nouvelle demande d'inscription
moyennant un droit de licence cinq fois supérieur au coût précédent»(49). La
deuxième prévoit des peines de prisons pour sanctionner les journalistes accusés
de diffamation, agitation, apologie de la violence, diffusion de fausses
informations et propos déplacés.
Le gouvernement a nommé un magistrat pour présider la NMC, qui a été
installée officiellement le 18 juillet 2003. Malgré ce dispositif assez répressif, les
autorités gambiennes ont encore durci leur position.
De manière générale ces mécanismes de régulation, mis en place en Afrique de
l'ouest, convergent à des niveaux divers dans leur manière d'organiser et de gérer
le secteur, mais dans la forme chaque groupe de pays appartenant à l'une des
deux aires linguistiques dans la sous-région (francophone et anglophone)
s'inspire de la législation de l'ancien colonisateur.
Ainsi, à l'image du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) en France, des pays
tels que le Sénégal, la Côte d'Ivoire se sont dotés de Conseil National de Régulation
de l'Audiovisuel, et Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle. Chez les
anglophones, notamment au Nigeria et en Gambie, des Commissions des Média
(National Broad casting Commission et National Media Commission) ont en charge
la régulation du secteur, conformément traditions anglophones(50) et notamment à
l'image la Broad casting Complaint Commission qui est l'instance régulatrice du
secteur des media audiovisuels en grande Bretagne.
En dehors de cet aspect formel, l'appartenance à un espace linguistique n'a pas
d'incidence notoire sur la nature des dispositions en vigueur ni sur la manière de
les appliquer.
3.1.3.2. Les faiblesses
Les lois régissant le domaine de l'information et de la communication en Afrique
de l'ouest font l'objet de controverses et de nombreuses critiques dans les milieux
professionnels des media et chez les défenseurs de la liberté de presse et
d'expression. La protection qu'assurent les législations en vigueur aux
(49) Op. Cit.
(50) Idimama KOTOUDI, Les organes de régulation des Mediaen Afrique de l'Ouest (Institut
Panos Afrique de l'Ouest).
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journalistes et aux organes de presse ainsi que les statuts des media et des
différents corps de la profession se sont, certes, améliorés, mais ils sont toujours
jugés très insuffisants par les bénéficiaires.
Bien que l'existence de certaines limites ne soit pas contraire, en tant que telle, à
l'affirmation juridique de la liberté d'expression, d'aucuns pensent que les codes
ouest-africains sont bourrés de dispositions trop restrictives des libertés.
En plus, les concepts et les termes génériques (comme souveraineté de l'Etat,
ordre public, etc.) formulés dans les limites légales de la liberté de presse, ne
sont pas explicitement définis dans les corps des textes. Ce flou ¨artistique¨ et
juridique ouvre la voie aux magistrats et aux décideurs politiques pour
comprendre à leur manière et qualifier au grès du besoin, les accusations à
adresser aux journalistes et aux organes de presseméritants.
En plus, les lois régissant la liberté d'information et d'expression, recèlent
d'autres dispositions vagues donnant libre cours aux interprétations et aux
supputations des pouvoirs exécutifs et judicaires. Il est impératif de pallier cette
insuffisance notoire en intégrant des définitions claires et exhaustives dans le
préambule ou le chapitre dispositions générales des codes d'information. On peut
reprocher également aux lois régissant la liberté de presse en Afrique de l'ouest,
tant francophones qu'anglophones, de ne pas comporter une disposition stipulant
clairement que toute ambiguïté dans le texte et toute disposition équivoque ou
qui porte à confusion doivent être interprétées en faveur de la liberté
d'information et d'expression.
Concernant les délits de presse, les journalistes déplorent, qu'encore, le Code
Pénal et le Code de Procédure Pénale qui sont invoqués dans plusieurs pays ouest
africains, dans des cas d'inculpations de journalistes aussi graves et vagues que
l'offense au chef de l'Etat, le trouble à l'ordre public ou l'appel à la sédition. Cette
procédure, en parfaite contradiction avec l'esprit même de la promulgation d'une
loi spécifique aux délits de presse est contraire à la volonté de consacrer la liberté
de presse et d'expression. Heureusement des exceptions liées aux traditions
inspirées par les anciennes puissances coloniales sont observées dans certains
pays comme le Nigeria où «suivant la tradition du droit coutumier anglais, des
décisions importantes de la cour supérieure ont fait jurisprudence annulant par
exemple la loi anti sédition»(51). Mais les professionnels des media continueront
à être des proies faciles tant que des juridictions spéciales n'ont pas été créées
(51) Kwame Karibari, Une réforme inaboutie.
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pour instruire et juger les affaires impliquant des journalistes inculpés pour délits
de presse.
Par ailleurs, les dispositions légales relatives à l'accès à l'information présentent
souvent, là où elles existent, une grande faiblesse quant à l'interdiction de la
rétention de l'information par les administrations et les sociétés publiques. Pour
être efficaces, les dispositions légales en matière d'accès à l'information doivent
donner aux journalistes un droit de recours juridique ou administratif pour
contraindre l'autorité à mettre l'information à leur disposition.
Concernant la régulation, les organes d'informations ouest-africains évoluent
dans un espace médiatique juridiquement pluraliste et organisé. Mais le fait que,
dans certains pays, le président et les membres des instances régulatrices soient
choisis parmi l'entourage des pouvoirs politiques et en tout cas pas toujours sur
des critères de probité et d'intégrité morale indiscutables, constitue un obstacle
réel au traitement équitables des opérateurs de communication écrite et
audiovisuelle et au respect des lois en vigueur. La révocabilité des mandats du
président et des membres des instances de régulation limitent sérieusement
l'indépendance et l'impartialité des régulateurs.
Ainsi, certaines autorités de régulation qui sont plus ou moins attachées à la
liberté des médias, dépendent tellement de l'exécutif qu'elles sont devenues de
simples relais du pouvoir politique. D'autres instances «se plaignent du caractère
contraignant de la législation qui réglemente leur fonctionnement, et des
demandes pressantes de réforme ont été exprimées dans les médias, mais aussi
par les associations professionnelles concernées»(52).
Par ailleurs, de nombreux professionnels de l'information reprochent à certaines
législations ouest-africaines la perpétuation de peines d'emprisonnement
infligées aux journalistes. La dépénalisation revendiquée consiste à orienter les
dispositions pénales relatives aux délits de presse vers un ¨désemprisonnement¨
ou une "déperisonnalisation" tout en sanctionnant les contrevenants par des
peines plus justes et plus adaptées que les peines de prison, comme par exemple
les amandes. Cette revendication ne fait pas cependant l'unanimité, car, pour
certains les sanctions pécuniaires pour diffamation ou injures ne réparent pas
l'atteinte à la dignité des personnes diffamées ou déshonorées.
De manière générale, les professionnels de l'information et de la communication
pensent que les dispositions légales relative à la liberté de la presse, au statut, aux
(52) Op, Cit.
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droits et devoirs des journalistes caressent les choses et ne vont pas au fond. Des
changements radicaux s'imposent sur le plan législatif pour protéger les médias
et leurs personnels des menaces et des attaques auxquelles ils sont en butte
presque quotidiennement.
Malgré toutes ces insuffisances, la législation relative à la liberté de presse en
Afrique de l'ouest semble évoluer dans le sens de l'amélioration. Mais, dans le
contexte actuel, ce statut légal de la liberté de presse est-il en parfaite harmonie avec
son statut réel dans la sous-région ? On va le voir ; la réalité sur le terrain en dit long.
3.2. Le statut réel de la liberté de presse en Afrique de l'ouest
Les améliorations constatées dans les textes fondamentaux régissant la liberté de
presse en Afrique de l'Ouest ont sans doute permis des avancées considérables
favorisant l'information libre et le fonctionnement indépendant des médias dans
la plupart des pays.
L'exercice du droit d'expression et du pluralisme n'en est pas pour autant rendu
«moins difficile, moins dangereux ou moins risqué pour les professionnels des
médias et pour leurs employeurs, et ceci pour des raisons à la fois politiques et
juridiques(53)».
Aujourd'hui, le statut légal de la liberté de presse est loin d'être respecté. Son
statut réel révèle chaque jour, de flagrantes violations des textes en vigueur
entrainant des abus, des injustices et des exactions, qui inquiètent de plus en plus
l'ensemble des défenseurs des droits des media et des droits humains.
En, effet, les pouvoir publics ouest-africains ne cessent de tordre le coup aux
législations et de les transgresser sans vergogne pour mettre au pas les
journalistes et les media ¨imprudents¨. Les motifs invoqués dans les cas de
sanctions avouées ont souvent trait à la diffamation, à la diffusion de fausses
informations et de propos déplacés, à la divulgation de secrets, à l'atteinte à la
sécurité et à l'ordre public, etc. Brefs, des chefs d'accusation aussi graves
qu'imprécis et qui peuvent non seulement restreindre l'imprescriptible droit pour
chaque citoyen à s'exprimer librement, mais également de jeter en prison des
êtres humains, en l'occurrences des journalistes dans l'exercice de leur métier, et
de leur infliger de lourdes amendes.
La règle qui dit que la "liberté de l'individu s'arrête là où commence celle de l'autre"
est communément admise par tous, notamment les professionnels de media en
(53) Liberté de presse en Côte d'Ivoire : mythe ou réalité.
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Afrique de l'ouest. Mais les journalistes de la sous-région déplorent ne pas toujours
avoir l'autonomie et la possibilité de pouvoir s'exprimer selon leur propre volonté,
sans risquer des sanctions, même dans la mesure où ils ne portent pas atteinte aux
droits des autres, à la sécurité publique et aux lois vigueur.
Dans la quasi-totalité des pays on brandit, encore, le code pénal ou on interprète de
manière ingrate les dispositions vagues dont sont truffés les lois et les codes
d'information en vigueur pour culpabiliser des journalistes indociles.
Malheureusement, là où il y'a des recours, la justice n'est pas toujours indépendante.
Partout en Afrique de l'ouest, les atteintes à la liberté de la presse sont graves et
quotidiennes. Elles sont multiformes et se traduisent par l'interpellation,
l'intimidation, le lynchage, l'emprisonnement, la disparition et l'assassinat des
journalistes ; la saisie, le retrait des kiosques, et l'interdiction des journaux ; la
suspension d'émissions radios et télévisions, le retrait des licences et la fermeture
de media audiovisuels, etc.
Les exemples abondent et se multiplient de façon permanente. Ainsi, au cours
des toutes dernières années, des journalistes sont disparus ou ont trouvé la mort
dans l'exercice de leur métier dans plusieurs pays ouest-africains dont la Cote
d'Ivoire, le Nigeria et la Gambie.
Dans d'autres comme le Sénégal, des journalistes ont été emprisonnés, des radios
privées suspendues ou fermées, des journaux saisis ou interdits, etc. La liste des
atteintes à la liberté de la presse est très longue. Reporters sans Frontières (RSF)
et la Fédérations Internationale de Journalistes (FIJ), pour ne citer que ceux-là,
ne cessent de révéler, chaque jour que Dieu fait, de nouvelles violations graves
des droits des journalistes et des medias à la liberté de l'information et de
l'expression.
En matière de liberté de presse, le classement mondial de RSF 2011-2012
renvoie les pays ouest-africains aux échelons les plus bas de son échelle de
valeurs. Sur 179 pays, le Sénégal occupe le 75e rang, le Nigeria le 126e, la
Gambie le 141e et la Côte d'Ivoire le 159e.
Faut-il souligner également que l'exercice du métier de journaliste subit des
pressions terribles et nous avons assisté au cours des années précédentes et en
2012 au règne de l'incertitude dans les milieux professionnels des media en
Afrique de l'ouest, notamment au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigeria et en
Gambie. Partout, l'Etat fait pression sur l'ensemble des media et essaye de
manipuler, de corrompre, d'intimider ou de corriger les journalistes insoumis.
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En plus de l'emprise des pouvoirs politiques, les médias ouest-africains subissent
également la forte pression de la société en l'occurrence la menace de forces et
des lobbys sociopolitiques, économiques, religieux, etc.
Paradoxalement à ce que l'on attendrait de la libéralisation de l'espace médiatique
en Afrique de l'ouest, la presse est fréquemment muselée et sa liberté étouffée.
La censure s'installe partout au Sénégal, en Côte d'Ivoire, au Nigeria, en Gambie,
etc. Même là où elle est explicitement interdite par les règlements en vigueur,
elle sévit de manière terrible, au niveau des media privés, notamment en période
électorale où les organes d'information ouest-africains sont très surveillés.
Certains journalistes privés préfèrent parfois survoler les faits dans le sens de
l'autocensure pour préserver leurs intérêts personnels ou les intérêts économiques
et politiques des promoteurs des media qui les emploient.
Quant aux médias publics censés assurer un service public de l'information, ils
ne sont pas épargnés et souffrent plus que le secteur privé de la mainmise du
gouvernement. Là aussi, subsistent des mécanismes internes de censure qui
entravent la liberté d'expression. Très souvent, les journalistes des media publics
font face aux brimades, à l'intimidation et aux sanctions administratives. Une
discrimination inavouée trie les journalistes proches du pouvoir pour les faire
bénéficier de promotion ou accéder à des postes de responsabilités.
Plus que la presse écrite, les services de radiodiffusion et télévision publics en
Afrique de l'ouest, subissent la mainmise des pouvoirs. Ils ne sont, aujourd'hui, ni
indépendants, ni autonomes du point de vue de leur politique éditoriale et de leur
ressources financières. Ces organismes publics continuent de fonctionner comme
des chasse-gardées des gouvernements dont ils reçoivent les subventions(54) et les
instructions.
A cause de cette dépendance et du climat d'incertitude et de peur, les programmes
qu'offrent les media publics sont médiocres et leurs informations maigres et sans
grand intérêt ni attrait pour le public. Les informations que l'on pourrait
considérer gênantes pour le gouvernement sont tues et occultées quel que soit
leur importance aux yeux de l'opinion publique.
Les questions nationales d'intérêt public ne sont généralement révélées à
l'opinion que par les media privés nationaux et les organes d'information
internationaux qui constituent la principale source d'information des élites
(54) Abdou Diagne, article sur la démocratie et la liberté de presse au Sénégal.
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intellectuelles. En dehors des périodes électorales, les courants de pensée et
d'opinion notamment politique sont marginalisés. Pire, cette situation a ravivé les
survivances du culte de la personnalité des chefs d'Etats et réveillé les réflexes
résiduels d'autocensure chez les employés des medias publics.
Par ailleurs, l'information publique est souvent inaccessible, même quand le droit
d'y accéder facilement est garanti par la loi à tous les citoyens.
On sait que dans la plupart des pays ouest africains, seule la personne du président
de la République peut donner l'information publique ou en faciliter l'accès. Les
ministres et les hommes de confiance, savent simplement développer la version
gouvernementale après le feu-vert de la haute hiérarchie. Les administrations
publiques n'ont pas la tradition ni la culture de donner des informations.
Sur ce plan, les vieilles traditions démocratiques des anciennes métropoles n'ont
pas influencé les démocraties naissantes en Afrique de l'ouest. En effet, les
fonctionnaires de l'Etat ouest-africains, continuent à cultiver la discrétion mieux
qu'en occident et à se livrer à un véritable culte du secret. Par peur d'être
sanctionnés, leurs dossiers sont toujours classés confidentiels.
Au niveau de la régulation des media, si le principe de créer des instances
régulatrices est communément admis et appliqué en Afrique de l'Ouest, cela ne
signifie nullement une unanimité quant à leur statut, à leur indépendance et à la
mission qui leur est assignée. Dans certains États comme le Nigeria, la Côte
d'Ivoire, le Sénégal et la Gambie, «les instances de régulation demeurent en bonne
partie proches de l'exécutif, même si leur rôle n'est pas purement consultatif»(55).
La révocabilité des mandats des présidents et des membres des instances
régulatrices et le fait que la désignation relève des pouvoir politiques au plus
haut niveau ou est soumise à leur approbation entrave sérieusement
l'indépendance et l'impartialité des régulateurs. En pareille situation, il est
difficile de traiter de manière juste et équitable les différents opérateurs et les
personnels des media.
Pour ces différentes raisons, l'omniprésence des autorités de régulation en Afrique
de l'ouest s'est vue accompagnée par des pratiques contraires aux intentions
initiales et opposées à la recherche d'un contexte pluraliste, organisé et transparent.
Les instances régulatrices visant à ne pas donner l'impression d'une mainmise de
l'Etat sur le secteur et à créer la distance entre l'exécutif et le secteur régulé, en
(55) Moustapha SAMB, Médias, pluralisme et organes de régulation en Afrique de l'Ouest.
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l'occurrence celui des médias, n'a pas empêché l'autorité publique d'intervenir au
gré des besoins dans la gestion et la régulation des organes d'informations(56). Ces
autorités se sont érigées parfois en chambres administratives pour surveiller et
juger de manière expéditive les journalistes et les média mal pensants(57).
La viabilité économique, garante de la durabilité des organes d'information est loin
de constituer un axe stratégique dans la politique des Etats ouest-africains. Les
modestes subventions accordées aux media publics arrivent à peine à leur créer les
conditions minimales de survie. Les lois et règlements instituant l'aide publique à
la presse privée, n'ont pas généré des ressources suffisantes pouvant garantir la
longévité à ces aux media. L'inconsistance et la mauvaise gestion des fonds alloués
à ce secteur ne prouvent pas, en tout cas, une réelle volonté politique d'assurer la
continuité et la viabilité économique des organes d'informations.
Au moment où certaines vielles démocraties dans les anciennes métropoles,
comme la France et l'Espagne, ont supprimé la publicité sur certains media
audiovisuels de services publics pour leur donner plus de crédibilité et
d'indépendance vis-à-vis des groupes d'intérêts économiques, les pays ouestafricains comptent sur l'apport publicitaire pour compenser la faiblesse des
efforts financiers qu'ils peuvent consentir.
Malheureusement, le marché publicitaire dans l'Afrique de l'ouest, en dehors du
Nigeria est, sans doute, incomparable à celui des pays développés où la publicité
représente parfois plus du tiers des dépenses des annonceurs et fournit aux
médias la majeure partie de leurs revenus.
Dans ce contexte ouest-africain marqué par une faiblesse du flux de communication
publicitaire, l'apport de la publicité, vital pour les media de manière générale, reste
dérisoire privant les organes de presse publics de recettes propres suffisantes pour
leur assurer les conditions d'indépendance et d'existence durable.
On ne peut clore ce chapitre sans exprimer certaines inquiétudes quant à l'avenir
de la liberté de la presse et de l'information dans cette partie du Continent. Ce
recul, que relèvent déjà certains observateurs avertis, est concomitant avec la
montée de la violence, du terrorisme et du crime organisé dans les pays de la
sous-région. Or, l'on sait que de telles situations ouvrent devant les pouvoirs
(56) Luc-Adolphe Tiao Liberté de la presse et régulation des médias dans les processus
démocratiques en Afrique.
(57) Idimama KOTOUDI, Les organes de régulation des Mediaen Afrique de l'Ouest.
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exécutifs la porte pour une répression, parfois justifiée mais souvent abusive, des
opinions et des idées sous couvert d'alibis porteurs de tous les sens, tels «
l'apologie de la violence et à la haine, l'atteinte à l'unité et à la cohésion nationale,
l'incitation au désordre et à l'instabilité, etc.».
Les prémisses d'une telle situation se sont déjà manifestées, à titre d'exemple, au
Mali où des groupes armés se sont emparés de plus de la moitié du territoire
national ; au Nigéria où un groupe terroriste sème la mort de manière quasiquotidiennes et où les violences interreligieuses ont déjà fait plusieurs centaines
de victimes ; en guinée Bissau où les coups et les contrecoups d'Etat s'enchainent
sur fond de trafics de drogue et d'activités illicites de tout genres. L'on ne peut
que mentionner également le raidissement du régime gambien et la répression de
plus en plus dure à laquelle sont soumis les journalistes dans ce pays. Le Sénégal,
considéré comme le pays phare de la sous région en matière de démocratie, est
passé du 47ème rang en 2002 au 73ème rang en 20012 dans le classement de
Reporters sans Frontières en matière de liberté de la presse.
Ces quelques indices ne doivent pas être pris à la légère. Ils doivent plutôt être
observés, analysés et pris en considération dès à présent afin d'en évaluer
l'ampleur et la tendance et d'en déceler les causes pour leur trouver les répliques
et les traitements idoines.
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3.3. Conclusions :
La liberté de la presse est un mécanisme de régulation de la société démocratique.
Elle a pour but de jeter un regard froid et impartial sur les hommes et le
fonctionnement des institutions, des affaires publiques et de la société tout entière.
Par ses investigations, ses opinions, critiques et l'occasion qu'elle accorde aux
citoyens pour s'exprimer, elle permet à l'administration et à la société d'éviter les
dérapages, de se corriger et d'avancer tout en restant vigilantes.
Dans le contexte ouest-africain actuel, la plupart des pays fonctionnent dans un
système démocratique pluraliste. On constate des progrès notoires dans la
libéralisation des media et une nette amélioration des conditions favorables au
développement d'une véritable presse publique et privée.
Partout en Afrique de l'ouest, les Constitutions garantissent la liberté de presse.
Malgré le caractère aléatoire du pluralisme et des libertés d'information et
d'expression, les lois et codes d'information existent, organisent le secteur,
réunissent et énoncent un certain nombre de conditions favorables à l'existence
de media écrits et audiovisuels libres et pluralistes.
Il est donc indéniable que la liberté de presse est aujourd'hui reconnue et
réglementée en Afrique de l'ouest, mais nulle part dans la sous-région, les réformes
ont été assez radicales, assez stables ou assez solides pour étayer de manière
consistante les dispositions prises pour élargir le champ des libertés des médias.
Faut-il, déplorer également, qu'en plus de leurs insuffisances notoires, les
législations ouest-africaines en matière de presse, n'ont pas toujours été respectées
ni appliquées à la lettre. En effet, le pluralisme médiatique, en Afrique de l'ouest,
n'a pas constamment été accompagné par une véritable liberté de d'expression
réellement acceptée par les institutions démocratiques élues et pratiquement
vécue par les journalistes et les organes d'information et de communication dans
la sous-région.
L'exercice du droit d'expression et du pluralisme n'en est pas pour autant rendu
facile, sans risques ni danger pour la carrière et parfois pour la vie des
journalistes et les intérêts économiques et politiques de leurs employeurs.
D'aucuns déplorent le non-respect des dispositions légales et dénoncent partout
en Afrique francophone et Anglophone, sans exception, les abus, l'arbitraire, les
atteintes graves aux droits humains, notamment celui de la liberté d'information
et d'expression.
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L'écart important entre le statut légal et le statut réel de la liberté de presse dans
la sous-région, jette le doute sur une volonté politique réelle et semble inquiéter
les journalistes et les militants pour la liberté d'information et d'expression.
A cause de l'ingérence pour ne pas dire la mainmise ferme des pouvoirs publics,
les médias ouest-africains, accompagnent, aujourd'hui, l'évolution des
démocraties en Afrique de l'ouest en tant que témoins mais pas toujours en tant
qu'acteurs pouvant éclairer et guider l'opinion publique surveiller le
fonctionnement des institutions, et protéger les jeunes démocraties.
En guise de conclusion, nous pensons que pour permettre aux médias ouest
africains d'être plus les guides de la société vers le développement durable que
les reflets d'une démocratie naissante et qui trébuche toujours, les progrès
accomplis doivent être renforcée impérieusement et les réformes engagées
impérativement parachevées.
Il est vital pour l'avenir des media dans la sous-région de procéder à des
changements radicaux sur le plan législatif et du respect de la loi pour préserver
les acquis, renforcer la liberté de presse et d'expression et protéger les
journalistes et les médias afin de leur permettre de jouer pleinement le rôle qui
leur dévolu dans une société à démocratie pluraliste.
L'expérience des pays ouest africains prouve, sans l'espèce d'aucun doute, que la
promulgation des lois favorables à la liberté de la presse ne saurait, à elle seule,
garantir cette liberté. Cependant, même non respectées dans la pratique, ces lois
n'en constituent pas moins un acquis qui confère une légitimité à la lutte en
faveur de leur application. En effet, sans la conjugaison des conditions suivantes,
la liberté de la presse ne saurait être une réalité vécue ni un acquis irréversible :
l Comme
toutes les libertés, la liberté de la presse n'est jamais un acquis définitif
car, en matière de libertés, les gouvernants, sous tous les cieux, ne concèdent
que «ce qu'ils ne peuvent plus conserver» et tentent toujours de récupérer ce
qu'ils ont cédé. C'est donc un combat permanent, de tous les jours, qui n'engage
pas seulement les journalistes et les autres acteurs opérant dans le domaine,
mais aussi toutes les forces qui œuvrent pour la démocratie, la bonne
gouvernance et les droits de l'homme. En effet, le vrai gardien de toutes ces
valeurs n'est autre qu'une presse professionnelle, libre et indépendante.
l La
législation la plus avancée ne saurait, à elle seule, garantir la liberté de
la presse, en dehors des autres leviers de la démocratie, à savoir une
véritable séparation des pouvoirs qui garantit une indépendance effective du
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pouvoir judiciaire qui, seul, doit connaitre des questions relatives à la
presse, en dehors de toute ingérence de l'Exécutif.
l L'acquisition
et la sauvegarde de la liberté de la presse ne sauraient se passer
d'une société civile structurée, active et engagée et une opinion publique
consciente, éveillée et vigilante.
l La
liberté de la presse est également inconcevable sans sources de
financement légales, transparentes et conséquentes qui mettent les journalistes
et les institutions de presse à l'abri du besoin et, par conséquent, à l'abri des
financements occultes qui en font une proie facile pour les groupes de
pression. Il n'est pas de presse indépendante sans sources de financement
indépendantes.
l La
dernière, et non la moins importante, de ces conditions est la formation
des journalistes. En effet, sans des journalistes possédant de hautes
qualifications professionnelles et pétris des valeurs morales et éthiques que
requiert la profession, il ne peut y avoir une presse digne de ce nom.
En plus d'une refonte des cadres juridiques et réglementaires du secteur de
l'information, qui puisse pallier les insuffisances et les faiblesses des législations
actuelles, les changements qui s'imposent, doivent donc intégrer la lutte pour la
liberté de la presse à celle de l'ensemble des forces qui combattent pour toutes
les libertés, l'une ne se concevant pas sans les autres.
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3.4. Recommandations :
l Faire
le plaidoyer pour l'application et le respect strict des législations
actuellement en vigueur dans les pays de la sous-région.
l Soutenir
un plaidoyer ardent pour une profonde réforme des législations
relatives à la liberté de presse et au pluralisme médiatique en Afrique de l'ouest.
l Faire
un plaidoyer insistant pour la désignation d'une commission
consensuelle chargée de la réforme des législations relatives à la liberté de
presse et au pluralisme médiatique dans chaque Etats ouest-africain.
l Renforcer
dans les futures lois régissant le domaine de l'information et de la
communication en Afrique de l'ouest, la protection des journalistes et des
organes de presse et assurer une meilleure garantie des droits à la liberté de
presse et d'expression.
l Intégrer
des définitions claires et exhaustives dans le préambule ou le
chapitre dispositions générales des codes d'information pour préciser tous
les concepts et les termes génériques formulés notamment dans les
dispositions classiques limitant la liberté de presse et d'expression.
l Formuler
plus clairement toutes les dispositions vagues ou à connotations
flexibles pouvant donner des interprétations contraires à la liberté de presse
et d'expression.
l Inclure
une disposition générale stipulant que toute ambiguïté dans le texte
et toute disposition équivoque ou qui porte à confusion doivent être
interprétées en faveur de la liberté d'expression.
l Créer
des juridictions spéciales pour instruire et juger les affaires impliquant
des journalistes inculpés pour délits de presse, conformément à l'esprit des
lois spécifiques aux délits de presse qui sont promulguées.
l Respecter
le principe de la liberté d'information et d'expression l'esprit des
lois spécifiques aux délits de presse en évitant d'opposer aux journalistes
les dispositions du Code Pénal, du Code de Procédure Pénale et de toutes
dispositions autres que celles prévues par les codes d'information,.
l Inclure
des dispositions claires consacrant la liberté et le pluralisme de la
presse, la libéralisation transparente du secteur de l'information et de la
communication audiovisuelle, la suppression du monopole d'Etat et de la
censure et la transformation des médias publics en médias de service public.
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l Abroger
toutes les autres dispositions pouvant être restrictives des libertés
de presse et d'expression.
l Initier
et faire adopter des lois relatives à la facilitation de l'accès à
l'information et y inclure des dispositions donnant aux journalistes un droit
de recours juridique ou administratif pour contraindre les sources à mettre
l'information à sa disposition.
l Généraliser
la protection des sources de l'information dans toutes les
législations ouest-africaines.
l
Promulguer des lois régissant les media en ligne ou électroniques.
l Généraliser
la suppression des peines de prison des journalistes et éditeurs
dans toutes les législations ouest-africaines et les remplacer par des
sanctions plus adaptées et plus justes.
l Réviser
les lois créant et organisant les instances ouest-africaines de
régulation des media pour leur donner l'indépendance et l'autonomie totales.
l Rendre
irrévocables les mandats du président et des membres des instances
régulatrices à fin de renforcer l'indépendance et l'impartialité du régulateur.
l Améliorer
les statuts des journalistes et des organes d'information et les
mettre à l'abri des pressions et du chantage.
l Continuer
à lutter sans relâche pour rendre l'exercice du métier de
journaliste moins difficile, moins dangereux ou moins risqué pour les
professionnels des médias et pour leurs employeurs.
l Dénoncer
et lutter fermement et contre toutes les formes d'atteintes à la
dignité des journalistes et à la liberté de la presse et de l'expression.
l Etudier
et œuvrer pour le renforcement de la viabilité économique des
media privés et de service publics.
l Faire
le plaidoyer pour préserver et renforcer les autres leviers de la
démocratie, à savoir une véritable séparation des pouvoirs, l'indépendance
effective du pouvoir judiciaire
l Renforcer
l'action de la société civile, l'appuyer à se former et se structurer
pour contribuer à façonner une opinion publique consciente, éclairée et
garante de la liberté de presse et d'expression.
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l Etudier
et mettre en place des mécanismes de financement légaux et
transparents qui mettent les journalistes et les institutions de presse à l'abri
du besoin et favorisent un développement durable des media
l Œuvrer
de façon permanente à la formation et à la qualification des
journalistes ouest-africains et au renforcement des règles éthiques
professionnelles
l Créer
des mécanismes nationaux et sous régionaux de concertation et
d'échange sur la liberté de presse et d'expression en Afrique de l'ouest et les
perspectives.
l Créer
et dynamiser les institutions et les observatoires de liberté de presse
aux niveaux national et régional.
l Présenter
régulièrement devant les réunions des ministres de l'information
de l'OCI des rapports périodiques sur les atteintes à la liberté de presse.
l Créer
au sein de l'ISESCO un programme pluriannuel visant la réforme des
législations ouest-africaines en matière de presse, le renforcement de la
liberté et du pluralisme de l'information et la mise en œuvre de présentes
recommandations.
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Sénégal
Cote d'Ivoire
Nigéria
Gambie
Articles 8, 9, 10 et 11
Article 10
Articles 38 et 39
Articles 25, 207 et 210
Régime de déclaration
Régime de déclaration
Régime de licence avec redevance
-86-
media
Niveau de respect des lois Niveau de respect des lois
relativement élevé dans l'Etat relativement faible du fait de
fédéral et faible dans les Etats, la nature autoritaire du pouvoir
surtout ceux du Nord
et Les médias publics coexistent Les médias publics coexistent Les médias publics coexistent Les médias publics coexistent
avec les médias privés
avec les médias privés
avec les médias privés
avec les médias privés
Niveau de respect des lois
relativement faible du fait de la
situation d'instabilité que vit
encore le pays
Classement Reporters sans Frontières 2011-2012 sur 179 pays
75ème
159ème
126ème
141ème
Le principe du droit à Consacré par les législations en Consacré par les législations en Consacré par les législations en Consacré par les législations en
l'information et à l'expression
vigueur
vigueur
vigueur
vigueur
Pluralisme des
Monopole d'Etat
Niveau de respect des lois
Niveau d'application et respect relativement élevé du fait des
des lois en vigueur
vieilles traditions démocratiques
du pays
Licence accordée par le Ministre Licence accordée par convention
Régimes de création des organes
Licence accordée par l'Autorité de Autorisation du Gouvernement
de l'Information dur proposition signée avec l'Etat, suivant un
régulation (NBC)
avec caution et redevance
de presse audiovisuels
de l'Autorité de régulation (HCA) cahier de charges
Régime de déclaration
11:21
Régimes et conditions de création
des organes de presse écrite
1/04/13
Presse écrite soumise à licence
Presse écrite libre, audiovisuel Presse écrite libre, audiovisuel Presse écrite libre, audiovisuel avec redevance. Presse audioLégislation en vigueur (presse
libéralisé sous conditions, avec libéralisé sous conditions, avec libéralisé sous conditions avec visuelle soumise à autorisation
écrite, audiovisuelle)
du Gouvernement avec caution
Autorité de Régulation
Autorité de Régulation
Autorité de Régulation
et redevance.
Le principe du droit à
l'information et à l'expression
dans les constitutions
Fondements
et
sources Droit français - Déclarations et Droit français - Déclarations et Droit anglais - Déclarations et Droit anglais - Déclarations et
d'inspiration des législations Conventions internationales
conventions internationales
conventions internationales
conventions internationales
Thèmes
MATRICE COMPARATIVE :
La liberté de la presse
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Ouverture limitée
Harmonisées
Il existe un fonds d'aide aux
médias
Ouverture relativement
importante
Harmonisées
Il existe un fonds d'aide aux
médias
Harmonies des législations nationales avec les conventions régionales et internationales ratifiées
Il existe un fonds d'aide aux
medias
Il n'existe pas de fonds d'aide
aux médias
Non harmonisées
Ouverture restreinte
Non codifié par une loi
Consacré par la législation en
vigueur
Garanti dans la presse écrite
11:21
Harmonisées
Ouverture limitée
Codifié par la loi du 30 Mai 2012
Consacré par la législation en
vigueur
Garanti dans la presse écrite
1/04/13
Aide publique à la presse
Ouverture des medias publics aux
courants de pensée et d'opinion
Non codifié par une loi
Non codifié par une loi
Consacré par la législation en
vigueur
Accès des journalistes à l'information officielle
Immunité des chefs d'Etats et Consacré par la législation en
des diplomates
vigueur
Garanti dans la presse écrite
Garanti dans la presse écrite
Le droit de réponse
La liberté de la presse
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