La Culture
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La Culture
Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun Séance 1 : LA CULTURE Qu’est-ce que la culture ? Repères : universel/général/particulier/singulier, en puissance/en acte, absolu/relatif. Objectif méthodologique : apprentissage global de la dissertation en vue du devoir maison n°1. Introduction générale 1) Les différentes acceptions du mot culture (repère «universel / général / particulier / singulier») Le mot « culture » vient du latin « colere » qui signifie cultiver, soigner, entretenir, préserver, travailler, mettre en valeur un champ, une terre en vue de la rendre propre à l’habitation humaine (ex : cultiver du maïs). L'agriculture désigne ainsi le processus par lequel la terre, une fois travaillée par l'homme, produit un fruit que la terre ne pouvait féconder par elle-même. Cicéron, dans Tusculanes (II 13), parle de la culture pour les choses de l’esprit (cultura animi) qu’il compare au travail des champs : « […] de même qu’un champ, si fertile soit-il, ne peut être fructueux sans culture (sine cultura) ; de même l’esprit ne peut l’être sans enseignement (sine doctrina) […]. Or la culture de l’esprit, c’est la philosophie. Elle extirpe radicalement les vices et met les esprits à recevoir les semences, leur confie et, je le dis ainsi, sème ce qui, avec le temps, produira la plus abondante des récoltes ». La culture désigne ici les activités mentales et les productions de l’esprit en général, l'ensemble des processus par lesquels l'homme met en valeur ses propres facultés linguistiques, intellectuelles, spirituelles, morales artistiques, comme il met en valeur la nature en cultivant la terre pour en récolter les produits. Ainsi, avoir une solide culture ou être cultivé, ce n’est pas seulement posséder des connaissances étendues dans beaucoup de domaines, ce n’est pas seulement être instruit et savant, c'est être capable d'assimiler ces connaissances en vue d'un perfectionnement. Il ne faut pas seulement avoir une tête bien pleine, encore faut-il qu'elle soit bien faite. En sorte que la culture désigne l’ensemble des connaissances acquises qui permettent de développer le sens critique, le goût, le jugement. Quand on parle de la culture mexicaine ou de la culture gay, le terme de culture a un sens ethnologique ou sociologique : la culture désigne l'ensemble des techniques et des savoirs, des coutumes et des institutions, des croyances (comme la religion) et des représentations (comme l'art) forgées par une communauté. La culture, c’est donc l'ensemble des faits symboliques et des institutions qui ajoutent à la nature une signification dont celle-ci semblait dépourvue. Le terme de culture s'utilise alors au pluriel (« les cultures ») pour désigner les manières d’être, les pensées, les habitudes de tout ordre qui distinguent un peuple ou un groupe d’un autre. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun Il ne faut pas confondre culture et civilisation : si la culture renvoie aux usages et croyances humaines, le mot « civilisation » que l’on emploie au singulier comporte une connotation laudative, c’est-à-dire l’idée d’un mouvement continu de l’humanité vers plus de connaissances et de lumières. La notion de civilisation a partie liée avec celle de progrès, progrès scientifique, technique, politique, mais aussi moral : la civilisation est l’état d’avancement des mœurs, des connaissances, et s’oppose à l’état sauvage (état primitif, naturel, animal, de la « forêt ») et à la barbarie (celui qui n'est pas civilisé). Dans cette optique, on serait plus ou moins civilisé selon les époques et les continents. Certaines sociétés seraient plus civilisées que d’autres. Certaines cultures seraient supérieures à d’autres. Ainsi a-t-on longtemps pensé que les sociétés dites primitives étaient moins civilisées que les sociétés industrielles. Le mot « culture » revêt ainsi trois acceptions principales : la culture comme connaissances acquises par l'éducation et l'instruction; la culture comme l’ensemble des activités et des résultats des activités qui témoignent d’une capacité à s’écarter de la nature et à la transformer ; la culture au sens des différentes manières dont les hommes se sont appropriés un territoire. L'idée de transformation et d’amélioration est commune à ces trois acceptions, - transformation de soi, de sa nature, transformation de la nature, de l'environnement, de la réalité extérieure. 2) Problématique Un premier problème concerne le statut de la culture dans son rapport avec la nature : faut-il opposer nature et culture, et définir la culture comme une « anti-nature » (l’expression est de Clément Rosset dans son ouvrage éponyme) ? Un second problème, tout aussi essentiel, concerne l’usage du mot « culture » au singulier ou pluriel : la culture au singulier renvoie à une série de caractères qui définissent l’homme en général, tandis que les cultures désignent des systèmes de normes et d’instituions qui qualifient des nations ou des groupes, dont l’une des vocations serait de les particulariser. La culture qui unifie l’humanité n’est pas la culture qui sépare, voire oppose, les nations, les catégories sociales, etc. Les cultures (habitudes d'une population, d'un peuple transmises par l'éducation) sont particulières ou générales ; la culture est universelle (il n'existe pas de sociétés sans langue, mœurs, croyances, interdits, techniques, lois, techniques, arts, etc.). La culture au singulier renvoie à l'idée d'une unification du genre humain qui pousse l'homme à s'arracher à tout ce qui, en lui, relève de sa particularité naturelle, à se civiliser ; les cultures au pluriel marquent l'appartenance de l'homme à une culture particulière qui contribue à façonner son identité, au risque de l'enfermer dans celle-ci. La culture est-elle, pour l'homme, un facteur d'unité et d'unification, ou n'est-elle pas plutôt un facteur de division et de dispersion ? La diversité culturelle est-elle une richesse et une chance pour l'humanité, ou faut-il y voir un obstacle ? Comment s’articulent, dans la culture, l’universel et le particulier, la culture et les cultures ? L'universel : est universel ce qui est valable pour tous les éléments d'une totalité donnée, partout et toujours, ce qui donc tend à l'unité. Par exemple, est universel le jugement « Tous les hommes sont mortels » (ce jugement est valable dans tous les cas sans exception). Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun Le général : le général, qui provient du terme « genre », s'applique à un vaste groupe (on parle d'une règle générale); se distingue de l'universel dans la mesure où il souffre quelques exceptions. Les règles de grammaire, par exemple, ne sont pas universelle quoique générales, elles ne sont pas valables pour tous les cas d'une langue donnée (il y a des exceptions), mais ont un degré de généralité. On parle de l'intérêt « général » (celui, par exemple, d'un pays ou d'une corporation). Le particulier : est particulier ce qui est valable pour une partie seulement d'une totalité, ce qui appartient en propre à un individu, ce qui est unique. Par exemple, est particulière la proposition : « Quelques Grecs sont des philosophes ». Journal d'achat et de vente de logements « de particulier à particulier ». Le singulier : est singulier ce qui est valable pour un individu ou une totalité individuée : « Socrate est philosophe », « L'armée soviétique a remporté la bataille de Stalingrad ». Est singulier donc, ce qui fait qu'un être est unique, original, se distingue vraiment des autres. I) NATURE ET CULTURE En premier lieu, peut-on distinguer en l’homme ce qui relève de la nature et ce qui relève de la culture, ce qu’il y a d’originaire et d’artificiel dans la nature actuelle de l’homme ? La culture que l’homme semble devoir ajouter à la nature vient-elle compléter ou parachever celle-ci ? Ou bien la culture en constitue-t-elle l’antithèse, la négation ? L’opposition de la nature et de la culture estelle pertinente ? A) LA CULTURE, UNE ANTI-NATURE On peut d'abord envisager le rapport nature-culture en termes d'opposition et définir l’acquis par opposition à l’inné, l’humanité par contraste avec l’animalité. La culture désigne alors la formation par laquelle l'homme parvient à réaliser certaines dispositions qu'il contient en germe, en s'arrachant à la nature. A.1) La nudité humaine (le mythe de Prométhée, texte de Platon n°1, in Protagoras) L'homme est un animal inachevé, indéterminé, qui doit s'éduquer lui-même. Ce qu'il y a d'humain en l'homme n'apparaît pas originellement : l'homme est le seul être dans la nature qui a à devenir ce qu'il est, en sorte que l'humanité, pour l'homme, est un idéal, un horizon à atteindre. L'animal est, au contraire, un être de pure nature; guidé par l'instinct, il est d'emblée tout ce qu'il peut être. L'animal est achevé car la nature prend soin de lui à la naissance : il est équipé, peut se défendre à l'aide de ses crocs, de ses griffes, etc. L'homme a été partiellement abandonné par la nature, comme l'enseigne Platon dans le mythe du Protagoras (320 c-321 c). Épiméthée est chargé de la répartition des capacités entre les diverses espèces; il veille à équilibrer les dons, de sorte qu'aucune espèce ne soit menacée d'extinction : les oiseaux ont des ailes pour fuir dans les airs, les rongeurs savent creuser des Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun galeries où trouver refuge; aux uns il donne la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force. Quand il eut dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait, Épiméthée constata qu'il avait oublié l'espèce humaine. Prométhée offrit alors aux hommes la maîtrise du feu et des techniques qui vont leur permettre de travailler et ainsi de compenser leurs faiblesses. Mais les hommes ne connaissent pas l'art de vivre ensemble, de s'organiser, de se respecter mutuellement. Zeus, craignant alors la disparition du genre humain, fit don aux hommes de deux vertus permettant justement de vivre ensemble, de pratiquer l'art politique : la pudeur et la justice. La cité définit le territoire humain entre celui des dieux et celui de la sauvagerie animale. Contrairement à l'animal voué à l'état de nature dans toute sa violence, l'homme doté de la raison et du langage peut renoncer à l'état de guerre, entrer dans l'état politique et y construire le souverain qui agit au nom du peuple. L'homme est donc originellement nu, imparfait, inachevé; il lui appartient de s'achever luimême, de faire advenir son humanité, et le moyen de cet achèvement est justement la culture. La pauvreté de son hérédité naturelle est l'envers d'une fabuleuse capacité à inventer; l'inachèvement de sa nature lui offre une plasticité illimitée qui l'élève au-dessus de l'animal. Cette capacité quasi infinie d'acquérir progressivement de nouvelles qualités et perfections, de dépasser le mécanisme et les bornes de l'instinct, Rousseau l'appelle, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, la perfectibilité, qui s'oppose à la fixité de l'animal (l’animal ne peut pas dépasser ce que la nature a fait de lui). A.2) L’homme, le seul animal à s’être domestiqué lui-même (repère : « En puissance / en acte ») D'où l'importance de l'éducation qui conduit l'homme vers son humanité. A l'état sauvage, l'homme n'est qu'un animal ou un monstre, comme en témoigne l'étude par le docteur Itard de l'enfant sauvage, Victor de l'Aveyron, qui se comporte comme un animal. Il est biologiquement homme, mais pas encore humain : même l'usage de ses sens n'est pas encore humain, car notre sensibilité elle-même est une création culturelle, elle a besoin d'être éveillée, de passer de la puissance à l'acte. Dans cette optique, Aristote distingue ce qui est «en puissance», pas encore réalisé, mais déjà là, de ce qui est « en acte », c'est-à-dire réalisé, effectif. La puissance (dynamis) représente tout ce qui est à l'état de possibilité – le virtuel, le potentiel, des promesses d'existence non encore réalisées; l'acte (énergéia) désigne les réalités achevées, définies. Un chêne, par exemple, est déjà tout entier en puissance dans un gland, mais seul l'arbre pleinement développé mérite ce nom. De la puissance à l'acte, il y a élévation, accès à un niveau supérieur de l'Être, réalisation de la finalité interne de la nature. L'acte est «entéléchie», c'est-à-dire parachèvement. Il y a donc plus de perfection dans la réalisation de quelque chose ou de quelqu'un, que dans sa simple possibilité. L'acte est un triomphe, un accomplissement. En sorte que l'humanité de l'homme est le produit de la culture. Ce qui définit la nature humaine, c'est son éducabilité, sa capacité d'être formé. On peut dresser un animal pour lui Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun apprendre à imiter son maître, mais l'éducation n'est pas de l'ordre du dressage, car elle a pour but de conduire l'homme à la fin que vise la nature – la liberté -, mais qu'il ne peut atteindre sans la culture et l'éducation du fait de son inachèvement naturel. Dans ses Réflexions sur l'éducation, Kant observe que le petit homme, du fait qu'il n'a pas d'instinct, n'a pas de guide naturel qui lui permettrait de se conduire lui-même. Rappelons que le latin educare signifie « conduire vers ». Contrairement à l'animal, un enfant laissé seul mangerait n'importe quoi, même ce qui pourrait lui nuire. L'homme est ainsi le seul animal qui a besoin d'un maître pour l'éduquer. Pourquoi faut-il éduquer l'homme ? Afin de le «dépouiller de sa sauvagerie », affirme Kant ! L'enfant doit apprendre à discipliner ce qu'il peut y avoir de désordonné chez lui. La discipline (partie négative de l’éducation) doit habituer l’enfant à supporter la contrainte des lois afin d'apprendre à se maîtriser; l’éducation doit commencer par un travail sur soi où il s'agit d'apprendre à maîtriser ses instincts et désirs. Civiliser veut dire « polir » notre nature : on civilise les penchants en apprenant à les dominer. Etre poli, c’est justement avoir été poli par l’éducation. L’instruction (partie positive) consiste à former et à enrichir l’esprit par la transmission du savoir et par l’étude. Le défaut de discipline est plus grave que le défaut d'instruction, car il est difficile de corriger un manque de discipline, alors que le manque d'instruction peut se combler par la suite. En somme, si la culture est l'horizon final de l'humanité réalisée, en ce sens qu'elle est à la fois une action (l'acte de cultiver ou de se cultiver) et le résultat de cette action (la culture comme état, comme quand on dit de quelqu'un qu'il est cultivé), la culture ne se contente pas de se substituer à la nature, elle fait de la nature sa subordonnée, son instrument, en vue de sa propre réalisation. La culture est la norme vers laquelle l'homme doit tendre et faire tendre la nature. A.3) Un être à part On a longtemps considéré que l'homme était un être à part, un être d'exception, jouissant d'un statut éminent au sein de la nature. A la différence des autres êtres vivants, l'homme aurait l'immense privilège de pouvoir penser, douter, parler, être libre, inventer, etc. Dire que l'homme est un être part revient à affirmer qu'il est séparé du reste de la nature par un certain nombre de qualités spécifiques et qu'il est supérieur en dignité aux autres êtres vivants. La locution « à part » signifie, en effet, ce qui est écarté, mis à l’écart d’un ensemble (ici, la nature), voire isolé. Un être « part », c’est donc, par extension, quelqu’un de spécial et de très différent des autres, comme lorsqu’on parle d’un cas à part ou d’une personnalité tout à fait à part. L’homme est ainsi un être à part dans la nature, au sens où il a vocation à la dominer et à s'en détacher; l'homme est un animal dénaturé; il y a en lui quelque chose de divin, de sacré, de transcendant qui lui confère une dignité que ne possède pas les autres créatures. Les trois grandes religions monothéistes occidentales (le judaïsme, le christianisme et l'islam) considèrent l'homme comme une créature à part, d'exception, hors nature, douée d'une âme et du libre arbitre, à l'image de Dieu. L'être humain a un statut ontologique radicalement différent de Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun celui des autres créatures dont il est isolé. Exemple du mythe de Noé : l'intégralité de la création est rassemblée dans une arche comme si la Terre était un vaisseau humain flottant au milieu du cosmos. La nature serait un existant à s'approprier et à domestiquer. L'homme n'est pas un être de nature, mais un être invasif qui doit accaparer totalement la nature, un être d'anti-nature donc, doté d'un équipement surnaturel : «La Terre et ce qui la remplit appartiennent au Seigneur. Les cieux sont les cieux de l'Éternel, mais il a donné la Terre aux humains» (Psaumes 115,16). Descartes, dans Le discours de la méthode, assigne à l'homme la tâche d'être «comme maître et possesseur de la nature». Selon Descartes, une césure ontologique existe entre le sujet pensant qu'est l'homme et les autres êtres; seul l'homme pense, parle, tandis que les animaux ne sont que des machines. Descartes opère une distinction qualifiée de dualiste entre l'esprit ou res cogitans (la chose qui pense), et la matière ou res extensa (la chose étendue). En quoi donc l'homme est-il un être part ? Qu'est-ce qui le singularise et le différencie radicalement des autres espèces vivantes ? L'homme est une chose qui pense, c'est-à-dire qui «doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent.» (René Descartes, Méditations métaphysiques, méditation seconde). La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (26 août 1789) s'inscrit dans le sillage de la métaphysique cartésienne et constitue l'apogée de l'humanisme : l'être humain est érigé en sujet exclusif de droit; il est naturellement détenteur de droits considérés comme sacrés, universels, aliénables et imprescriptibles. L'homme est bien un être à part en ce qu'il est à la fois sujet et fin. Cette pensée est formalisée par Kant : seul l'homme est une fin en soi, une valeur intrinsèque, une personne morale digne de respect; le monde a été créé pour l'homme qui a vocation à s'arracher à la nature et à être à lui-même sa propre créature par l'éducation. D’où la préférence éthique au genre humain. C'est la liberté ou la bonne volonté, c'est-à-dire la capacité à agir de façon désintéressée, qui qualifie l'homme comme être moral. L’être pensant est le seul qui soit capable de surmonter sa propre nature et de se donner à lui-même la loi qu’il doit suivre. L’autonomie du sujet moral est le fondement de sa dignité. Le critère de la liberté permet ainsi de comprendre que l'homme est bien un être à part et que, pour cette raison, il nous faut respecter inconditionnellement l'humanité, même en ceux qui n'en manifestent plus que les signes résiduels (les malades mentaux, les vieillards, les enfants…). B) LA NATURE COMME NORME Si la notion de culture implique un certain travail exercé sur une nature donnée, une transformation de la nature susceptible de produire des propriétés nouvelles ou, tout au moins, de développer des qualités d’abord virtuelles, on peut envisager, dans un deuxième temps, cette transformation comme une perversion, c'est-à-dire finalement une dénaturation. La culture n'est plus tant l'idéal vers lequel tout un chacun doit tendre pour se réaliser qu'une dérive par rapport à l'équilibre originel. L'opposition de la nature et de la culture peut alors jouer cette fois en faveur de la nature qui devient une norme, tandis que la culture incarne l'ordre de l'artifice. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun B.1) Le paradigme naturaliste Pour les Grecs et les sociétés traditionnelles, la nature est un cosmos, c’est-à-dire un univers ordonné et hiérarchisé qui constitue pour l’homme un monde achevé. La nature est conçue comme un commencement, un fondement, une norme, c’est-à-dire une référence et un idéal. Elle est, dans cette optique, modèle d'organisation, de régularité (rythme des jours et des nuits, succession des générations qui recycle la mort en vie…), de rigueur hiérarchique (les sociétés animale), de beauté (cosmos = parure)… Le mot « nature » vient du latin nasci qui signifie « croître », « pousser ». La nature désigne ici un principe de développement et de croissance, mais aussi l’univers dans son ensemble conçu comme une totalité autonome. La nature (ou le naturel) renvoie à tout ce qui est inné en l’homme, c’est-à-dire provient de l’hérédité biologique ou psychologique. Ainsi, ma nature, c’est mon tempérament, mon caractère. La culture, par opposition, concerne ce qui est acquis, tout ce que nous devons à notre éducation et aux traditions externes : habitudes, coutumes, croyances, modes de vie, etc. Depuis les commencements de l'âge industriel l'homme a la nostalgie de la nature. L'homme moderne projette sur la nature toutes les qualités dont il croit la culture dépourvue : la beauté, la bonté, l'innocence, la pureté, la vérité, la liberté. La nature, la terre sont vécues comme maternelles. La nostalgie de la nature signifie dans la psyché collective le désir inconscient de retourner au ventre maternel, désir qui met entre parenthèses le traumatisme de la naissance, que la culture et l'histoire représentent. Face au naturel et contre lui, il y a l'artificiel, le contraint, l'inquiétant, l'anormal, le monstrueux. Et lorsqu'on veut stigmatiser un crime ou un comportement, on dit qu'il est "contre nature". Ainsi l'homme moderne idéalise-t-il son origine, qu'il voit comme pureté ou perfection. Mais il s'agit là d'une nature idéale, parfaite et donc introuvable. L'appel à un modèle naturel n'est que la construction abstraite et vide d'un envers du mal actuel : c’est ce que Canguilhem, dans Le normal et le pathologique, appelle « l’illusion de rétroactivité ». La nature est une idée qui a pour fonction de dénoncer le devenir comme une dégradation. Paradoxalement, le sentiment, l'amour de la nature appartiennent au monde de la culture : le berger qui, jadis, gardait ses moutons dans la montagne aimait sans doute moins la nature que le citadin d'aujourd'hui pour lequel la nature n'est plus de l'ordre de la nécessité mais de la liberté. L'homme projette sur la nature ses désirs, ses angoisses, ses lois, ses rêves. Il n'y a dans la nature ni ordre, ni beauté, ni hiérarchie autres que celles que nous y projetons nous-mêmes. Qui plus est, il y a du mauvais dans la nature – la monstruosité, la maladie, la mort, etc. La nature ne constitue pas un modèle ni au sens de premier exemple, ni au sens de valeur idéale : en réalité, le naturel n'est ni bon ni mauvais en soi puisque ces valeurs n'ont de sens que par et pour l'être humain. Il peut y avoir un danger à ériger la nature en tant que norme. Tout ce qui échappe à la norme naturelle sera en effet décrit comme " anormal ". Par exemple, dans le domaine des mœurs, l'idée de nature comme norme sert à rejeter certains comportements comme antinaturels; Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun l'homosexualité sera ainsi rejetée comme étant contre nature sous le prétexte qu'elle n'assure pas la reproduction de l'espèce. Or, ce n'est pas au nom de la nature, mais au nom d'une certaine conception culturelle de la nature que telle ou telle pratique se voit condamnée. La norme naturelle devient alors une simple convention idéologique rétrograde qui sert de pur réactif. B.2) Le primat de l’inné sur l’acquis La biologie contemporaine, sous la forme notamment de la sociobiologie, nous invite à penser que l’homme est un élément parmi d’autres dans le règne de la nature et prétend trouver dans l’infrastructure génétique les motifs ultimes de nos comportements, voire de nos choix moraux et esthétiques. Pour les sociobiologistes, le fond héréditaire de l’éthique et de la culture est plus fort que l’acquis dû aux multiples influences des divers milieux dans lesquels nous baignons en permanence. La culture et l’histoire sont considérées comme des prolongements de la nature. L’universalité de certains traits de l’être humain renvoie à l’idée de nature humaine : le biologiste Edward O.Wilson postule que des activités humaines généralement perçues comme d’origine culturelle sont en fait enracinées dans notre héritage génétique : l’altruisme, la formation des couples, la communication… Ainsi tous nos comportements, y compris ceux qui sont en apparence les plus “spirituels”, sont-ils le résultat de l’adaptation sélective de notre nature biologique au milieu qui nous entoure. La spécificité de l’humain est alors contestée au profit de l’affirmation d’une continuité parfaite des espèces. Une discipline comme la génétique des comportements, par exemple, entend dévoiler d’éventuels déterminismes dissimulés derrière nos modes de vie. De vastes entreprises de recherches sont consacrées aux origines de l’homosexualité, de l’intelligence, de l’agressivité, de l’alcoolisme, de la schizophrénie ou de la dépression. Par exemple, le 29 novembre 1996 paraissait dans la revue américiane Science une étude de Klaus Peter Lesch, professeur de neurobiologie à l’université de Würzburg, relatant une découverte : la mise au jour de l’origine génétique de certaines formes graves d’anxiété névrotique. Ces dernières seraient dues à de petites différences entre les gènes, semblables à celles qui expliquent la couleur des cheveux ou des yeux. Les biologistes parlent ainsi de familles de schizophrènes, de maniaco-dépressifs, etc. Mais ce type de recherche fait problème sur le plan éthique et philosophique. Dire qu’un comportement, quel qu’il soit, est déterminé par une origine génétique, n’est-ce pas se défausser sur la nature de ce que l’on considérait jadis appartenir à la sphère de la responsabilité humaine ? En 1965, des recherches menées sur une éventuelle origine génétique de l’agressivité avaient conduit certains chercheurs à émettre l’hypothèse d’un “chromosome du crime” (on avait trouvé, chez certains débiles mentaux ayant fait preuve de violence, une anomalie des chromosomes sexuels XYY au lieu de XY). Des avocats s’empressèrent aussitôt de demander l’acquittement des criminels porteurs de cette particularité au motif qu’ils n’étaient pas responsables de leur lourde hérédité ! De plus, prétendre que la schizophrénie, l’alcoolisme, la dépression seraient innées, n’est-ce pas revenir à l’idée ancienne qu’il existerait des déviants par nature, des familles de “tarés” ? Ces Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun maladies ne sont-elles pas avant tout déterminées par l’histoire individuelle et familiale ? Ne va-ton pas se mettre à examiner l’ADN d’un individu avant de le recruter, voire se mettre à tester les embryons pour éliminer ceux qui seraient manqués ? B.3) Un animal comme les autres Dans cette perspective, l'homme n'est pas un être à part au sens où il aurait un statut ontologique et moral supérieur : il est, comme toute chose, un fragment du monde, un vivant parmi les autres vivants, un animal à part entière, l'une des déclinaisons de l'évolution. Il y a une continuité, et non pas une rupture, entre l'homme et la nature, l'homme et l'animal. Les animaux ont-ils une culture, si l'on entend par culture «un ensemble de comportements, comme l'outil, le langage, la capacité d'élaborer des règles et des concepts cognitifs généraux, la morale, les choix esthétiques, qui se propagent entre des individus et se perpétuent entre les générations, sans passer par l'hérédité et les gènes» (G.Chapoutier, F.Kaplan, L'Homme, l'Animal et la Machine) ? Exemple de phénomène culturel : l'usage du français transmis aux enfants par leurs parents; un enfant élevé dans une autre langue par des parents adoptifs parlera une autre langue que celle de ses parents génétiques. Dans L'Homme, l'Animal et la Machine (CNRS éditions, 2011), Georges Chapoutier et Frédéric Kaplan montrent, en s'inspirant de l'éthologie (science des comportements), qu'il existe une certaine continuité entre animalité et humanité dans le domaine de la culture; on peut trouver, chez certains animaux, des «ébauches» de tout ce qui se fera la culture humaine. Exemple d'une troupe de singes dont le comportement était suivi par des chercheurs dans une île du Japon. On nourrissait ces singes en leur livrant sur la plage des patates douces qui étaient souvent mêlées au sable; une femelle découvrit un jour que la nourriture était bien meilleure si on lavait préalablement les patates douces dans l'eau avant de la consommer; ce comportement de lavage fut ensuite adopté par toute la troupe et se transmit aux générations successives. Depuis, des ébauches de cultures animales ont été trouvées dans presque tous les secteurs des cultures humaines. Les animaux fabriquent et manient des outils : les chimpanzés utilisent des brindilles pour pêcher, dans les termitières, les termites dont ils sont friands; ils peuvent casser des noix sur des pierres et même stabiliser la pierre par une autre pierre, constituant ainsi un « méta-outil », c'est-à-dire un outil qui sert à fabriquer d'autres outils. Le sens moral n'est pas non plus le privilège de l'espèce humaine, comme nous le verrons dans le chapitre «la morale». Frans de Waal, qui a beaucoup observé les chimpanzés, montre qu'on y trouve de nombreux comportement «moraux» : négociations, punitions, récompenses, pardon, altruisme. Il existe, enfin, des choix esthétiques chez les animaux : préférences pour certaines couleurs – généralement les plus vives -, certains motifs, certaines formes; danse de certains animaux, etc. Absence néanmoins d'œuvres d'art; les préférences esthétiques des animaux s'enracinent dans l'inné et se démarquent ainsi de la culture humaine qui, à partir de préférences innées, forge des œuvres d'art éminemment culturelles. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun De là l'idée que si l'homme n'est pas supérieur aux autres êtres vivants, s'il se révèle même, à maints égards, bien plus nuisible et méchant que les autres espèces, il n'est pas le seul à posséder des droits, mais, avec lui, tous les êtres susceptibles de plaisirs et de peines. Dans son livre La libération animale, Peter Singer souligne, dans une optique utilitariste en rupture avec la tradition humaniste, que c'est la capacité à éprouver du plaisir ou de la peine qui qualifie la dignité d'un être et le constitue en personne juridique. D'où l'extension de la protection du droit à tous les êtres susceptibles de souffrir. Peter Singer prône ainsi l'«antispécisme» et la fin de l'anthropocentrisme chrétien et cartésien, au nom de la continuité entre l'homme et l'animal. Sur un plan moral, il en conclut qu'un chimpanzé, un chien, un cochon sains valent plus qu'un nourrisson débile ou qu'un vieillard grabataire qui ne pourra jamais atteindre le niveau d'intelligence d'un chien. Aujourd'hui, l’humanitaire, l’écologie aboutissent non point à une sacralisation de l’humain, comme le pense Luc Ferry, mais à sa banalisation : nous n’acceptons plus que l’homme soit maître et possesseur de la nature. La préoccupation écologique, qui est, d'une certaine manière, une laïcisation de l'humanisme, atteste que nos contemporains croient de moins en moins en l’humanité comme en une valeur absolue et séparée, et la perçoivent de plus en plus comme une espèce parmi d’autres. L’homme n’est pas Dieu, la défense des intérêts de l’humanité doit tenir compte également des intérêts des autres espèces animales. Les hommes sont davantage pitoyables que sacrés : ils méritent notre compassion, notre respect, notre douceur, plutôt que notre vénération. C) LA NATURE CULTURELLE DE L’HOMME L'opposition radicale de l'inné et de l'acquis apparaît, en réalité, insatisfaisante, car la distinction entre l'inné et l'acquis, entre l'homme, être biologique, et l'homme, être social, se révèle quelque peu stérile. La culture ne se superpose pas à la nature en restant distincte d'elle. C.1) Le dialogue de la nature et de la culture Comme l’explique Edgar Morin dans Le paradigme perdu, La nature humaine, chaque homme est une « totalité bio-psycho-sociologique ». Les comportements innés humains sont tellement mêlés à l’acquis qu’il est difficile de faire la part de l’un et de l’autre. Nos comportements sont l’effet d’une interaction complexe entre notre nature héréditaire et les milieux qui nous entourent. L'inné n'a pas de sens sans l'acquis et l'acquis n'a pas de sens sans l'inné. L'exemple des enfants sauvages montre qu'on ne peut pas saisir la nature à l'état pur, en isolant, par exemple, un enfant à sa naissance. Il n'est en effet pas naturel de faire vivre un enfant dans un isolement absolu. Il a besoin de la présence et des soins de sa mère. Les comportements naturels demandent eux aussi du temps et une certaine maturation organique : la marche, par exemple. Les psychologues nous enseignent aujourd'hui que les relations entre un être humain et le milieu environnant dans lequel il grandit contribuent de façon décisive au développement des fonctions psychiques et intellectuelles. Dans La construction du cerveau, Prochiantz explique que le système nerveux de l’homme se construit au fil d’une véritable histoire où les accidents de sa vie Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun sociale viennent le marquer de façon décisive. Le neurobiologiste Jean Didier Vincent va même jusqu’à affirmer que « le cerveau est une histoire ». De même, la culture pénètre, transforme, voire parachève la nature : par exemple, chez un enfant bien élevé, des conduites acquises, culturelles, deviennent spontanées, naturelles. La technique, en outre, montre Aristote (Physique, Chapitre X, 192), imite la nature, en la prolongeant, en la parachevant, en l'aidant à actualiser tout ce qu'elle ne peut actualiser par elle seule. La technique n'est là que pour suppléer à une nature défaillante. Ainsi, par exemple, le médecin répare-t-il la nature du malade en restaurant la fin en vue de laquelle cette nature est orientée (la santé); l'oculiste, en corrigeant la myopie, permet à l'œil d'atteindre sa finalité propre – la vision. Qui plus est, la culture fait elle-même partie de la nature : un être culturel, c’est un être naturel transformé. Il y a à la fois continuité biologique entre l’homme et la nature, et discontinuité historique que la culture, sans pour autant sortir de la nature, introduit. La discontinuité résulte alors de la continuité, la culture est un produit de la nature, de sorte que l’homme reste un animal, même “dénaturé”. L’homme est un être d’antinature parce qu’il y a, dans sa nature, quelque chose qui le prédispose à cela. Patrick Tort montre que la même sélection naturelle, qui élimine les moins aptes pour la vie, a aussi sélectionné la morale, qui refuse cette élimination. La morale constitue elle-même un avantage sélectif. Une humanité morale est plus apte à survivre qu’une humanité génétiquement incapable de se moraliser. Patrick Tort appelle cela l’effet réversif par quoi la nature produit la morale qui refuse ou transforme la nature. L’homme est cette espèce biologique (Homo sapiens) et sociale (l’humanité) qui se dresse contre la nature qui la produit et la contient. En somme, la nature produit cet être étrange, l’Homme, qui peut rompre avec la nature. Cette notion d’effet réversif permet de rendre compte de la liberté humaine. La liberté humaine est une marge d’indétermination, un pouvoir de choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la nature, la sélection naturelle. Des individus jouissant d’une marge accrue d’indétermination, quoique génétiquement déterminée, auraient davantage de chances, dans la lutte pour la vie, de vaincre, de se reproduire, de s’adapter. De sorte que la liberté, comme la morale, serait un avantage sélectif : nous serions libres, et moraux, grâce à la nature. C.2) La coutume, une seconde nature (texte n°2 de Pascal, in Pensées, fr. 89, 92, 93) Dans le fragment 89 des Pensées, Pascal montre que « la coutume est notre nature » (fragment 89). Le mot « coutume » est ici l’équivalent de « culture ». Il devient impossible de distinguer ce qui, en l’homme, relève de la nature et ce qui relève de la culture. Ainsi risque-t-on de prendre pour naturel ce qui est l’effet d’une coutume. L’habitude crée en nous une seconde nature : à force de croire, on finit par prendre nos croyances pour la réalité. Ce qu’on appelle nature n’est autre que ce à quoi on est accoutumé. Pascal en conclut que « la coutume est une seconde nature qui détruit la première…J’ai grand peur que cette nature ne soit-elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature. » De là l'idée que la nature humaine est introuvable et que l'homme n'est que déguisement. C'est Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun ce souligne Pascal : « Il n'y a rien qu'on ne puisse rendre naturel; il n'y a pas de naturel qu'on puisse faire perdre » (Pensées, fragment 94). Cette nature humaine a été perdue depuis le péché originel, perte qui est symbolisée, dans la Bible, par le fait qu'Adam et Ève découvrent leur nudité et éprouvent le besoin de masquer celle-ci en se couvrant de « peaux de bêtes ». La culture vient masquer l'incomplétude naturelle de l'homme. En sorte que ce que nous croyons « naturel » dans l'homme n'est en réalité, la plupart du temps, qu'une institution qui relève de la culture, de ce que Pascal appelle la « coutume ». La coutume, qui supplée à la déficience de naturel en l'homme, tend à se faire passer pour une seconde nature. C'est la coutume qui est toujours première et qui fait les métiers, les titres, les hiérarchies, etc. La nature, loin d'être une donnée brute et originaire, est déjà une première coutume. Pascal donne l'exemple, dans le fragment 93, du sentiment d'amour des enfants envers leurs parents : « Les pères craignent que l'amour naturel des enfants ne s'efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ? » C.3) Le génie de l’équivoque (texte n°3 de Merleau-Ponty, in Phénoménologie de la perception) [Notion connexe : la liberté] Merleau-Ponty montre, dans Phénoménologie de la perception, se demande s'il existe une nature humaine universelle. Est-il possible de faire le partage, dans une conduite humaine, entre ce qui relève de la culture et ce qui est naturel ? Trouve-t-on, sous l'écume des conventions sociales, une nature humaine universelle, un monde intérieur commun à tous les hommes ? Merleau-Ponty souligne que nature et culture sont toujours déjà là en l'homme : la culture est une seconde nature en quelque sorte. Pour parvenir à cette conclusion, l'auteur procède selon trois moments. Il commence par énoncer sa thèse de façon négative, en refusant deux idées : celle qui consisterait à affirmer («Il n'est pas plus naturel...institutions») que le comportement humain est plus naturel que la dénomination dans le langage; les comportements qui nous paraissent les plus spontanément normaux et naturels sont, en réalité, des conventions culturelles. La deuxième idée refusée est celle d'une superposition de strates naturelles et culturelles («Il est impossible...spirituel fabriqué»). Le texte s'achève positivement sur la thèse de Merleau-Ponty : génie de l'ambiguïté, à la fois totalement naturel et totalement culturel, l'homme n'est jamais là où on l'attend («Tout est fabriqué...définir l'homme»). « Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots ». A quelle conception répandue s'oppose ici Merleau-Ponty ? Merleau-Ponty conteste l'idée très répandue que les sentiments, les émotions, les gestes, les mimiques relèvent d'une nature humaine universelle, qu'ils sont innés, héréditaires, inscrits dans notre corps. Ainsi l'amour, la maternité, la paternité. Or, de même que les mots que nous utilisons pour désigner les choses sont arbitraires (le mot français «table» ne correspond pas plus à l'objet que nous appelons généralement ainsi, que le mot mesa en espagnol), de même nos sentiments sont façonnés par notre culture d'appartenance. Les codes servant à signifier les sentiments sont conventionnels, c'est-à-dire inventés. Ainsi la mimique de la colère n'est-elle pas la même chez un Japonais et chez un Occidental : le Japonais en colère sourit, tandis que l'Occidental rougit, tape du pied, pâlit. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme ». Comment ces deux aspects peuvent-ils être indissociables dans toute personne ? Donnez deux exemples pour illustrer votre réponse. La plupart des phénomènes humains sont indissociablement naturels et culturels; les parts respectives du déterminisme biologique et du conditionnement social et culturel sont difficiles à démêler dans l'explication des comportements humains. Par exemple, la différence entre les sexes est naturelle, au sens où l'on naît homme ou femme. Pourtant, dès sa naissance, un être humain est soumis à de multiples influences qui déterminent son devenir. La représentation et les fonctions de la différence entre les hommes et les femmes varient considérablement d'une société à une autre, ce qui fait dire à Simone de Beauvoir, dans le Deuxième sexe, qu'on ne naît pas femme mais qu'on le devient. En quoi consistent ce « détournement » et cet « échappement » qui pourraient définir l'homme ? Contrairement à l'animal, l'homme n'est prisonnier d'aucun code naturel déterminé; il est capable de s'écarter du réel pour le juger, de se distancier de ses appartenances naturelles ou même historiques, culturelles. Il ne se réduit pas à la «simplicité de la vie animale», au sens où l'«échappement» dont parle Merleau-Ponty pour définir la différence spécifique de l'homme correspond à une complexification des relations de l’être humain à son milieu et à un changement de finalité de ses conduites : l’homme donne une finalité à sa vie, et échappe par là même au déterminisme naturel. Il introduit de la complexité, et donc une certaine rupture, là où il n'y a, le plus souvent, que mécanismes aveugles, stéréotypés. Alors que le comportement animal est somme toute rigide, l'homme est capable d'innovation; il lui est loisible de se redéfinir sans cesse, de se perfectionner à l'infini, sans qu'il soit a priori possible de lui assigner quelque limite que ce soit. TRANSITION : La différence spécifique de l'homme réside donc dans son caractère proprement inclassable, indéterminé. Les deux dimensions, naturelles et culturelles, de l’existence humaine s’interpénètrent. De ce point de vue, si nature humaine il y a, elle ne doit pas être envisagée comme une structure immuable, mais comme une possibilité permanente de se redéfinir soi-même. Si l'on entend par culture l'aptitude proprement humaine à s'arracher à la nature, c'est-à-dire à transformer la nécessité en liberté, la culture nous offre le paradoxe d'une nature de substitution, d'une nature construite, d'une seconde nature. Double appartenance, et en même temps double irréductibilité, de l'homme à la nature et à la culture. II) CULTURE ET CULTURES Le deuxième problème porte sur l’articulation de l’universel et du particulier, de la culture et des cultures, du respect de l’autre et de la reconnaissance de valeurs universelles. C’est, en d’autres termes, le problème de l’unité et de la diversité humaines. La diversité observée et irréductible des cultures est-elle incompatible avec les idéaux universalistes ? Est-il possible d’affirmer à la fois l’unité du genre humain et la capacité, pour les hommes, de partager certaines fondamentales ? le respect de l'autre et la reconnaissance de valeurs universelles Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun A) L’UNIVERSALISME Une première approche dite universaliste établit qu’il existe des valeurs universelles qu’il convient de promouvoir à l’échelle de la planète (les droits de l’homme, par exemple). Dans cette optique, on insistera sur ce qui, au-delà, des cultures particulières, unit les individus. L’universalisme postule donc que l’unité du genre humain l’emporte sur les différences qui séparent ou opposent les individus ou les communautés. Mais la prétention universaliste n’est-elle pas dangereuse ? A.1) Universalisme et humanisme [Notions connexes : la politique, le droit, la justice, la morale] En premier lieu, lorsque Descartes écrit, en 1637, dans le Discours de la méthode, que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », il veut dire par là que tous les hommes sont doués de raison - faculté de distinguer le vrai du faux -, même s’ils ne font pas tous et toujours un bon usage de cette faculté, et qu’ils peuvent donc non seulement communiquer mais encore s’entendre sur des valeurs et exigences communes. La raison est présente en tout homme, elle est la même pour tous, elle est donc universelle et est propre à l’homme. L’existence même des sciences est la preuve qu’au-delà des différences qui divisent, voire opposent, les hommes, ils peuvent parler, dialoguer, se comprendre, se mettre d’accord sur des vérités. Tous les hommes possèdent une culture. En effet, le phénomène est universel, la marque même de l'espèce humaine. Il n'y a pas de peuples à l'état sauvage au point d'ignorer tout symbole, tout rite, toute règle, même si parfois la pauvreté, le dénuement de certains peuples peuvent donner l’illusion d’une vie purement animale. A la fin de Tristes tropiques, Lévi-Strauss oppose aux riches Bororo et aux Mbaya (peuples qui vivent dans la partie est du Brésil) les misérables Nambikwara; ces derniers, dont un observateur superficiel dirait qu’ils vivent comme des bêtes, n’en ont pas moins des techniques de jardinage, un habitat, des parures qui, si rudimentaires soient-ils, les situent d’emblée du côté de la culture. Selon Lévi-Strauss, les différentes cultures se construisent à partir d'un fonds commun de possibilités logiques à travers lesquelles les hommes pensent et agissent sur leur milieu de vie. Ce qui distingue les cultures ce sont seulement leurs façons d'utiliser ces ressources logiques communes. En Occident, on privilégie surtout l'action, l'innovation, le rendement; l'Inde, au contraire, privilégie les techniques spirituelles afin d'atteindre la paix intérieure. En sorte que la diversité culturelle peut se comparer à un jeu de cartes dans lequel les règles communes produisent, à partir de donnes différentes au départ, une infinité de parties différentes dans lesquelles les pertes et les gains vont finir par s'équilibrer. De même, tous les hommes, sans exception, aspirent à partager un certain idéal de justice, idée que les théoriciens du droit naturel reprendront ensuite : l’exigence de justice est partout la même et renvoie à l’idée de loi non écrite accessible à tous car inscrite au fond du cœur humain. Ce qui fait dire à Montesquieu, dans les Lettres Persanes : « La justice est éternelle et ne dépend pas des conventions humaines » (lettre 83). Le droit naturel est constitué de principes qui se confondent avec la raison et qui permettent éventuellement de rejeter le droit positif. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun Montesquieu énonce quatre lois reconnues et respectées dans toutes les sociétés humaines : la nécessité de respecter les lois ; l’obligation de réciprocité des bienfaits ; le devoir de respect de nos parents ; le fait que le mal doit répondre au mal. La second et la troisième règles (l’obligation de réciprocité des bienfaits, le devoir de respect de nos parents) sont une variante du principe fondamental de réciprocité : « Fais à autrui seulement ce que tu accepterais que l’on te fasse ». Ainsi, ce principe permet de condamner l’esclavage : ceux qui le défendent ne voudraient pas les subir eux-mêmes. Ce principe d’universalité, Kant en fera le fondement de la morale : une loi n’est morale que si elle est susceptible d’être acceptée par tous ; l’universalité est un objectif, une tâche à réaliser ; même si tous les hommes ne se reconnaissent pas, de fait, dans les mêmes valeurs, ils devraient pouvoir s’entendre sur des normes, sur les critères auxquels tout homme est susceptible de se référer pour porter des jugements de valeur. A.2) L’idée de nation La culture, dans cette perspective universaliste, désigne ce qui, en l'homme, lui permet de s'arracher à une communauté, à une identité donnée pour parler, penser, agir. Ainsi, dans les grandes œuvres de la culture, il y a un effort pour dépasser sa culture particulière et pour rejoindre l'humanité de l'homme : ces œuvres parlent à tous. On retrouve cette idée dans celle de nation telle qu’Ernest Renan la conçoit dans Qu’est-ce qu’une nation ? L’identité culturelle n’est pas un carcan dans lequel l’individu est englué ; la langue, les coutumes, la tradition n’exercent pas sur les individus un empire absolu. Le sentiment national résulte, avant tout, d’une libre décision. La nation est l’objet d’un pacte fondateur implicite : « Une nation est donc une grande solidarité constituée par le sentiment des sacrifices que l’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire. Elle suppose un passé : elle se résume pourtant dans le présent par un fait intangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours. » Au-delà des particularités ethniques, culturelles, historiques qui séparent les individus et les rend plus ou moins imperméables les uns aux autres, il est possible de transcender ces particularités et de les élever à la dimension de l’universel qu’incarne précisément l’idée de nation. Les nations ne se réduisent pas à ce que les Allemands appellent le Volkgeist – communauté organique de sang et de sol ou de mœurs et d’histoire : c’est le concours volontaire des individus qui forme les nations. La nation est une communauté politique authentique, une communauté intersubjective. L’homme est capable de s’arracher à son contexte, de s’évader de la sphère nationale, de parler, penser et créer librement. La culture ne se réduit donc pas à la somme des cultures particulières. La nation est le produit d'une libre décision, d'un contrat qui permet au peuple de former un tout et de tendre à l'unité. Les affiliations identitaires sont alors renvoyées à la sphère privée, au même titre que toutes les autres croyances particularisantes (comme les croyances religieuses). L'adhésion à la nation est censée sauver du communautarisme considéré comme un ethnicisme. Il faut donc s'élever au-delà des particularités pour mettre en avant ce qui nous rapproche. Promotion, ici, de l'universel. D'où l'exigence de neutralité de l'État et de l'espace public comme condition de la départicularisation : en se tenant à distance de toute détermination Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun culturelle, l'État se hisse au niveau de l'universalité et de l'intérêt général ou public; il est impartial, il n'est pas partie prenante des intérêts privés ou d'une identité particulière). Appartenir à une nation, c'est donc avant tout accomplir un acte de la volonté, souscrire à un engagement de vivre ensemble en adoptant des règles communes, en envisageant donc un avenir commun. Pour parvenir à une véritable liberté, il faut émanciper les individus du poids des traditions, grâce à des lois générales qui ne sont pas l'expression d'une culture particulière et qui visent le respect de principes à portée universelle. De même, pour parvenir à une véritable égalité, il faut que la loi traite tous les citoyens de la même manière. La loi ne peut accorder des privilèges, des droits spécifiques, ou discriminer les individus. Pour parvenir à une véritable fraternité, il faut que les individus manifestent une volonté de vivre ensemble. Il faut éviter les tensions communautaires. Pour réaliser la liberté, l'égalité, la fraternité, il faut faire abstraction des cultures particulières. A.3) L’universalisme récusé : l’ethnocentrisme (textes n° 4 de Lévi-Strauss) On peut reprocher à l’option universaliste de ne pas être vraiment universaliste, mais d’ériger en valeur universelle ce qui n’est, au fond, qu’une valeur particulière. Dans cette optique critique, l’universalisme serait une figure de l’ethnocentrisme. L’ethnocentrisme consiste à ériger, de manière indue, les valeurs propres à laquelle j’appartiens en valeurs universelles. L’ethnocentriste croit que ses valeurs sont les valeurs et considère sa propre civilisation comme supérieure comme supérieure, voire comme la seule à mériter le titre de « civilisée ». Ainsi le racisme, le colonialisme. L’universalisme ressortit ici une conception expansionniste, dominatrice de la culture qui participe d'une volonté d'uniformisation et d'abolition de toute différence culturelle. Ce n'est pas tant la pluralité des cultures qui est un obstacle à l'unité du genre humain que la volonté de réduire cette diversité par l'imposition d'un modèle dont la valeur ne peut être reconnue que dans une culture donnée. C'est l'affirmation de la supériorité d'une culture sur une autre qui génère le conflit. Claude Lévi-Strauss, dans Race et Histoire, montre que le concept de supériorité culturelle découle d'un préjugé fondamental, qui est l'ethnocentrisme : c'est la tendance à ne voir de modèle de l'humain que dans sa propre culture. L’ethnocentrisme consiste donc à ériger les valeurs propres à la société à laquelle j’appartiens en valeur universelle. Ainsi chaque société a-t-elle toujours tendu à confondre « sa » propre civilisation avec « la » civilisation, allant jusqu’à rejeter en dehors de l’humanité les hommes qui relevaient d’autres cultures. Les Grecs appelaient « barbares » les hommes qui étaient étrangers à leurs institutions et par la suite les Occidentaux n’ont vu longtemps que « sauvagerie » dans les cultures exotiques : «on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit» (Lévi-Strauss, Race et histoire). « C’est dans la mesure même où l’on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l’on s’identifie le plus complètement avec celles qu’on essaye de nier. En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord celui qui croit en la barbarie » (LéviStrauss,). Ainsi l'Occident a-t-il inventé le sauvage. L'Europe et l'Amérique l'ont exhibé, l'ont montré, dans des zoos, des expositions ou des scènes de music-hall pour convaincre les populations blanches de leur évidente et définitive supériorité sur le monde. Lévi-Strauss accuse l'humanisme occidental universaliste d'avoir isolé l'homme de tout ce qui n'était pas sa culture, en le coupant ainsi aussi bien des autres cultures que de la nature. Cette valorisation, par l'humanisme occidental, de la culture et de l'affirmation de l'homme à travers son arrachement à la nature serait à la source de la destruction moderne de la nature par la technique, mais aussi de l'anéantissement des autres cultures, notamment sous la forme de la colonisation. B) LE RELATIVISME (repère : « absolu / relatif ») [Notions connexes : la vérité, la morale] A l’encontre de l’universalisme, le relativisme considère que tous les jugements, quels qu’ils soient, sont relatifs à un temps, à un lieu, à un contexte. Le relativisme conduit ainsi à nier l’existence de valeurs universelles. Ici, l’accent est mis non sur la culture au singulier en tant que principe d’unification du genre humain, mais sur les cultures dans leur diversité irréductible. B.1) La culture comme somme des cultures particulières : communautarisme et nationalisme culturel Selon Herder (1744-1803), dans Une autre philosophie de l’histoire, chaque nation a son propre rythme, sa propre cohérence, sa propre interprétation de l’universel. Les cultures sont des constellations symboliques qui ne peuvent être comprises que du point de vue d’une logique qui leur est propre. Toutes les cultures et nations ont un mode d’être unique et irremplaçable. Il faut alors parler non de la culture mais de ma culture, c’est-à-dire de l’esprit du peuple auquel j’appartiens, qui imprègne ma pensée et les gestes les plus simples de mon existence quotidienne (notion romantique de Volkgeist). Il s’agit donc de faire preuve d’une intelligence sympathisante à l’égard des cultures autres en s’abstenant e les juger ou de les déprécier. Thèse qu’on peut qualifier de culturaliste, qui prône un pluralisme tolérant et bienveillant et qui a contribué à fonder l’ethnologie. L’humanité doit alors se décliner au pluriel puisqu’elle n’est rien d’autre que la somme des particularismes. L'idée de nation peut alors être construite selon le modèle de la race : c'est une communauté de « sang », c'est-à-dire une entité biologique, sur laquelle l'individu n'a aucune prise. On naît français, allemand ou russe, et on le reste jusqu'à la fin de sa vie. Ce sont alors les morts qui décident pour les vivants et le présent de l'individu est déterminé par le passé du groupe. Les nations sont des blocs imperméables : la pensée, les jugements, les sentiments, tout est différent d'une nation à l'autre. De là l’approche dite communautariste. Le communautarisme est un terme créé aux ÉtatsUnis dans les années 1980 pour désigner une conception selon laquelle l'individu n'existe pas indépendamment de ses appartenances, soient-elles culturelles, ethniques, religieuses ou Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun sociales. Il est impossible de se détacher de son histoire et de sa culture. La communauté précède l'individu (conception dite « holistique »), l'idéal partagé est plus important que la défense de la liberté individuelle. Impossibilité, par un exemple, pour un individu de changer de religion et de communauté. Le terme de communautarisme est utilisé de façon péjorative pour qualifier l'attitude ou, plus généralement, le mode de vie d'une communauté minoritaire devant lesquels les idéaux républicains, égalitaires et laïcs devraient s'effacer au nom d'un droit à la différence revendiqué par ces mêmes minorités. Ici, il s'agit d'une posture de fermeture sur soi. B. 2) Le relativisme On peut alors en conclure qu’il n’y a pas d’absolu, mais qu’il n y’ a que des valeurs régionales, relatives. Repère : « absolu / relatif ». Est absolu ce qui est « détaché, délié » (latin absolutus), ce qui n’a pas de relations, de rapports. Est absolu l’être qui n’est défini que par lui-même. Est donc absolu tout ce qui existe d’une manière inconditionnée, indépendamment d’une cause extérieure, par soi-même. Par exemple, on dira que le bonheur est une fin absolue ayant une valeur en ellemême ; Dieu est absolu au sens où toutes les créatures émanent de lui ou en dépendent ; seul Dieu ne dépend de rien ; le pouvoir absolu est un pouvoir non partagé, indépendant, total. L’adjectif « relatif » désigne, au contraire, ce qui ne peut être pensé sans être mis en relation avec un autre objet dont il dépend. Est relatif ce qui est non séparable, non séparé, ce qui existe en autre chose ou en dépend. Le relativisme affirme donc l’impossibilité de l’absolu, de l’universel. Il faut distinguer le relativisme cognitif, qui trouve sa source chez les anciens sceptiques et sophistes, qui affirme la vérité est relative aux affinités de chacun et à notre environnement culturel, en sorte que nous n’avons accès à aucune vérité absolue. Et le relativisme moral, esthétique ou politique, qui soutient qu’il n’y a pas de valeurs universelles et que toutes les opinions se valent. Sous sa forme radicale, le relativisme nie la possibilité pour les hommes de se comprendre lorsqu’ils appartiennent à des sphères culturelles distinctes. Sur le plan anthropologique, le relativisme va de pair avec le pluralisme, comme on le voit chez Lévi-Strauss : - pluralisme, chaque culture devant être appréciée conformément à sa propre logique, et relativisme, puisqu’il ne peut y a avoir de valeurs universelles, sauf à pécher par ethnocentrisme. Il faut s’interdire de juger, car juger c’est classer. Les cultures sont incommensurables entre elles ; il faut donc renoncer à évaluer les cultures car il ne peut exister de système de référence absolu permettant de classer et hiérarchiser les cultures selon un grille morale universelle : « Aucune société n’est foncièrement bonne ; mais aucune n’est foncièrement mauvaise. Toutes offrent certains avantages à leurs membres, compte tenu d‘un résidu d’iniquité dont l’importance paraît approximativement constante » (Tristes tropiques). Pour illustrer cette thèse, Lévi-Strauss emploie l’image des trains en mouvement : chaque culture est un train qui va dans une direction mais tous ne circulent pas sur des voies parallèles ; le voyageur est solidaire de son train et ne peut juger les autres cultures qu’en fonction d’un mouvement qui n’a rien d’absolu. Une culture immobile paraît reculer si nous avançons. Tout est donc relatif au point de vue de l’observateur : « La richesse d’une culture, ou du déroulement Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun d’une de ses phases, n’existe pas à titre de propriété intrinsèque : elle est fonction de la situation où se trouve l’observateur par rapport à elle, du nombre et de la diversité des intérêts qu’il y investit » (Le regard éloigné). En ce sens, la diversité des cultures exclut les universaux moraux. Les règles morales sont valides par rapport à leurs propres systèmes de signification ; on ne saurait juger des autres cultures en se fondant sur les valeurs d’une culture spécifique (la culture ou civilisation judéo-chrétienne, par exemple). En généralisant, on pourrait aller jusqu’à dire que les autres individus évoluent dans des univers intellectuels et spirituels radicalement différents du mien ; je ne peux les comprendre sans adhérer globalement à leurs présupposés. Question qu’on reverra à propos du langage, où il s’agira de savoir si l’existence des langues n’est pas un obstacle à l’unité du genre humain et à la compréhension entre les individus. Les anthropologues nous apprennent ainsi que les usages apparemment les plus barbares et les plus répugnants ont tous leur raison d’être par la fonction qu’ils remplissent dans la société. Ainsi l’anthropophagie ou la coutume de déterrer les morts suscitent-elles notre répulsion. Mais est-il plus moral de neutraliser l’ennemi public par la torture, la mort ou la prison que par la consommation rituelle et symbolique de son corps ? B.3) Les limites et dangers du relativisme : du relativisme au racisme Si tout se vaut et que toutes les cultures ou pratiques culturelles sont mises sur un pied d'égalité, il devient alors impossible de dénoncer aucune injustice, aucune violence, pour peu que celles-ci fassent partie d’une quelconque tradition autre que la sienne (l’excision, les sacrifices humains, etc.). De quel droit, en effet, vouloir faire de la tolérance, de la justice, de la liberté, des droits de l’homme des valeurs absolues, si toutes les valeurs sont relatives et si toutes les cultures se valent ? Le maintien et la valorisation de la diversité culturelle peut conduire, qui plus est, à l'affirmation de l'incommunicabilité de toutes les cultures, ce qui rend évidemment impossible le dialogue entre les cultures. Le risque est grand, avec le relativisme, de nier l'idée d'une humanité universelle et de réduire l'homme à son être culturel et social qui se voit interdit toute distanciation vis-à-vis de sa culture et de sa société au nom de la survie du groupe. Le relativisme, dans sa version la plus radicale, encourage le confinement culturel en refusant toute idée d’horizon commun de l’humanité et toute perspective universaliste. Il n’y a point d’hommes, il n’y a que des Français, des Mexicains, des Italiens, des Juifs, etc. Ainsi, au Québec, les autorités provinciales, souhaitant protéger la forme de société culturellement française, ont promulgué des réglementations interdisant à la population francophone d'envoyer leurs enfants dans des écoles anglaises. Toute ouverture de l'individu hors de l'héritage culturel est alors perçue comme une aliénation, en sorte que le surinvestissement de l'identité ethnique conduit à l'enfermement dans l'anéantissement de l'identité individuelle. Le droit à la différence risque ainsi de se transformer en droit à l'oppression des individus par le groupe. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun Plus grave encore, le relativisme conséquent renonce à l’unité de l’espèce humaine. L’absence d’unité permet l’exclusion, lequel peut conduire à l’extermination. Le racisme peut ainsi trouver une justification théorique dans l’approche relativiste, au nom du principe de diversité. C’est ce que montre Pierre-André Taguieff dans son livre Le racisme : il n’y a pas un racisme, mais au moins deux variantes typiques dont les logiques sont opposées : d’un côté, le racisme de « domination », ethnocentrique, inégalitaire, prétendant justifier, au nom de l’universalisme, l’assimilation, la domination, l’exploitation (le colonialisme en général); d’un autre côté, le racisme « différentialiste », qui met l’accent sur la différence entre les races et qui conduit à une logique d’extermination systématique de l’autre (ex: nazisme). On le voit, l’absolutisation de la différence entre les cultures peut mener tout droit à la négation de l’idée de nature humaine qui autorise toutes les formes de barbarie. C) UN HUMANISME CRITIQUE ET ELARGI Comment, dès lors, écarter, simultanément, les dangers de l’universalisme ethnocentriste et impérialiste et ceux du relativisme ? Comment donner un sens nouveau à l’exigence universaliste et à l’humanisme ? C.1) Ne pas renoncer à l’unité du genre humain Contre les dérives du relativisme et du racisme « différentialiste », il convient, en premier lieu, de ne pas renoncer à l’unité du genre humain. C’est ce que fait Lévi-Strauss qui, malgré son approche relativiste des cultures, affirme la vocation universaliste de l’ethnologie. Le but dernier de l’ethnologie, en effet, est d’« atteindre certaines formes universelles de pensée et de moralité » (Anthropologie structurale deux). Lévi-Strauss attribue une place dominante à l’universel malgré la critique qu’il fait de l’universalisme ethnocentriste et de l’humanisme occidental. Il existe, selon lui, une nature humaine, constante et universelle : « Les différences superficielles entre les hommes recouvrent une profonde unité » (ibid.). Et Lévi-Strauss d’ajouter, dans Tristes tropiques : « les hommes ont toujours et partout entrepris la même tâche en s‘assignant le même objet et qu’au cours de leur devenir, les moyens seuls ont différé ». Ainsi, ce que chaque être humain a en commun avec tous les autres, c’est la capacité de refuser les déterminations. La liberté est le trait distinctif de l’espèce humaine, liberté entendue comme capacité à s’arracher à la nature et à tous les contextes particuliers dans lesquels nous sommes englués. On e souvient que pour Rousseau, c’est la perfectibilité qui est la caractéristique première de l’humanité. Dans cette perspective, l’universalisme s’oppose certes au relativisme, dans sa forme radicale notamment, mais pas au pluralisme. Il s’agit d’affirmer à la fois l’unité du genre humain et la capacité, pour les hommes, de partager certaines valeurs fondamentales, comme les droits de l’homme, par exemple. Il est alors préférable de parler de « condition humaine » plutôt que de « nature humaine ». Les traits constitutifs de cette condition qui nous qualifie sans nous définir n’est pas incompatible avec l’attachement culturel de l’individu. Il convient de distinguer le point de vue anthropologique fondé sur l’observation des faits (les hommes sont différents et se définissent par leur aptitude à la différenciation culturelle mais aussi psychologique) et le point de Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun vue du droit et de la morale. Certes, aucune règle ne vaut pour toute société, mais l’existence de la règle est un fait universel. Les principes fondamentaux de la vie en société sont partout les mêmes (l’interdit de l’inceste, l’obligation de l’échange, l’encadrement de la violence, etc.), même si le contenu et l’extension des prescriptions varient considérablement suivant les cultures et les époques. C.2) Le multiculturalisme Nous avons vu que l’idée de nation renvoyait à deux conceptions diamétralement opposées : celle qui fonde la nation sur la race ou sur une identité culturelle immuable et indépassable ; celle qui fait de la nation le fruit d’un contrat, c’est-à-dire d’une libre volonté de vivre ensemble. L'antinomie des deux conceptions de la nation peut cependant être surmontée si nous acceptons de penser la nation comme culture. De même que la « race », la culture préexiste à l'individu, et on ne peut changer de culture du jour au lendemain (à la manière dont on change de citoyenneté, par un acte de naturalisation). Mais la culture a aussi des traits communs avec le contrat : elle n'est pas innée mais acquise ; et, même si cette acquisition est lente, elle dépend en fin de compte de la volonté de l'individu et peut relever de l'éducation. En quoi consiste son apprentissage? En une maîtrise de la langue, en une familiarisation avec l'histoire du pays, avec ses paysages, et avec les moeurs de sa population d'origine, régies par mille codes invisibles (il ne faut évidemment pas identifier la culture avec ce qu'on trouve dans les livres). Un tel apprentissage prend de longues années, et le nombre de cultures que l'on peut connaître à fond est très restreint ; mais on n'a pas besoin d'y être né pour le faire : le sang n'y est pour rien, ni même les gènes. Du reste, tous ceux qui ont la citoyenneté par naissance ne possèdent pas forcément la culture de leur pays : on peut être français de souche et néanmoins ne pas participer à la communauté culturelle. Une culture n'est pas une entité statique, close sur elle-même, clairement définie, se refermant sur ses membres. Une culture est le produit de processus historiques multiples d'interaction avec d'autres cultures. Lorsqu'elle ne sont pas durcies par les conflits et le mépris social, les cultures ne sont pas ces puissances réifiées, imperméables, invincibles. Dans la conception que l’on se fait de la nation, l’approche multiculturaliste telle que la définit Charles Taylor dans son livre Multiculturalisme. Différence et démocratie, permet d’éviter l’écueil communautariste et assimilationniste. La question que pose le multiculturalisme est bien de savoir quel type de droits il est légitime d'accorder aux minorités culturelles. Quelle est la portée de l'autonomie dont doivent disposer les minorités nationales ? Il s'agit d'accommoder la diversité plutôt que de la supprimer ou de la limiter, de ménager, pour les identités minoritaires, une place et une visibilité dans l'espace public qui correspondent à leur importance sociale, culturelle, etc. Il s’agit de concilier la protection des droits universels avec la reconnaissance publique des cultures particulières. Il faut distinguer le multiculturalisme du nationalisme. Le multiculturalisme estime que la défense de l’identité de l’individu est légitime, mais il ne rapporte pas cette identité exclusivement à une identité nationale. L’identité de l’individu repose sur son appartenance à des communau- Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun tés (et non seulement sur son appartenance à la nation). La diversité des communautés culturelles représente une richesse. Le multiculturalisme représenterait une meilleure manière de réaliser les objectifs de l’universalisme républicain puisqu'il permet : Une meilleure garantie de la liberté, par le soutien aux communautés d’appartenance, qui sont nécessaires pour la construction de l’autonomie de l’individu (l’appartenance et les traditions ne s’opposent pas nécessairement à l’autonomie). Une meilleure garantie de l’égalité, par une politique de lutte contre les discriminations culturelles; les groupe minoritaire subit une injustice qui doit être corrigée. Défense du droit à la différence. Une meilleure garantie de la fraternité, par la reconnaissance mutuelle des différentes cultures. C.3) L’horizon universaliste et l’idée de civilisation Nous ne devons pas abandonner l’horizon universaliste sans lequel l’idée même de droit de l’homme perd toute sa signification. La plus grande compréhension à l’égard des différences culturelles, la plus grande tolérance envers l’altérité va de pair avec la promotion d’un idéal de justice universalisable. Ce qui est universel, c’est notre appartenance à la même espèce. Et l’idéal de justice qu’incarnent les droits de l’homme n’est qu’un autre nom donné à cette prise en considération du genre humain. La nature humaine, dans sa prétention à l'universalité, renvoie à l'idée d'une égalité fondamentale des hommes, d'une homogénéité de l'humanité au-delà de la diversité constatable. Le concept de nature humaine est un concept qui mène à poser les hommes comme égaux, quelles que soient leurs différences. L’unité du genre humain relève d’une exigence morale fondamentale qui est nécessaire contre l’exclusion, l’oppression, le sous-développement ou la misère. L’universalité est un instrument d’analyse, un « principe régulateur permettant la confrontation féconde des différences ». Les droits de l’homme ne sont pas une culture; ils définissent les principes formels qui permettent de juger des cultures, à commencer par la nôtre. Ils permettent de déterminer ce qui n’est pas acceptable, ils définissent les critères qui permettent de juger. Les droits de l’homme, loin de se réduire à un pur produit de la civilisation occidentale, fournissent le ciment qui permettrait l'unification des cultures : au-dessus de la diversité culturelle, il y a des valeurs supérieures dont le respect doit s'imposer à toutes les cultures sans exception. La culture des « droits de l'homme » a permis à l'Occident de se critiquer et de se réformer dans ses propres pratiques. De ce point de vue, un peuple est d'autant plus civilisé qu'il respecte sa propre culture ainsi que celle des autres. Toutes les cultures sont-elles capables d'un tel dialogue ? Toutes les cultures se valent-elles ? Ont-elles toutes intégré ces valeurs universelles ? Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun CONCLUSION GÉNÉRALE La culture désigne le soin - l'entretien à l'égard de sa propre nature (c'est notamment la fonction des droits de l'homme), de la nature extérieure (c'est la tâche de l'écologie), de sa propre culture (c'est la mission de l'école qui doit veiller à la conservation du passé et de notre héritage culturel) et de la culture des autres (c'est ce à quoi veille en particulier des institutions comme l'UNESCO). Dès lors, une société n'est vraiment civilisée que si elle est capable de faire coexister des cultures différentes. La civilisation n'est pas un fait comme la culture, mais un processus historique, un idéal moral, un horizon à atteindre. De ce point de vue, la civilisation serait plutôt synonyme de progrès, tandis que la culture serait synonyme de tradition. La civilisation comprend les valeurs morales et politiques qui ne sont pas inscrites spontanément dans le tissu culturel. Aujourd'hui, il est difficile de ne pas associer à l'idée de civilisation celle des Droits de l'homme et du citoyen. C'est bien au nom des Droits de l'Homme que sont condamnées certaines coutumes archaïques portant atteinte à l'intégrité physique et morale des personnes (excision...). De ce point de vue, la nature humaine est un concept régulateur de notre rapport à autrui qui confirme que, quelle que soit son étrangeté, cette étrangeté que nous constations dans sa langue, dans ses coutumes, dans sa représentation du monde, l'autre est un alter ego. La nature humaine est cela même que l'homme doit conquérir dans et par l'éducation, pour ce qui regarde l'individu, et dans le devenir historique, pour ce qui concerne l'espèce humaine. SUJETS DE DISSERTATION - La culture rend-elle l’homme plus humain ? - L’homme est-il un être à part ? - Peut-on dire d’une civilisation qu’elle est supérieure à une autre ? - Peut-on juger la culture à laquelle on appartient ? - La pluralité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ? - Peut-on parler à bon droit d’hommes “sans culture” ? - La diversité des cultures contredit-elle l’existence de valeurs universelles ? DÉFINITIONS A CONNAITRE - La culture : l'ensemble des faits symboliques qui ajoutent à la nature une signification dont celle-ci semblait dépourvue; la formation spirituelle ayant élevé le goût, l’intelligence et la personnalité à la dimension de l’universel; au sens sociologique, la culture est un ensemble complexe incluant connaissances, techniques, traditions, et caractérisant une société ou un groupe donné (il n’y a donc pas de sociétés humaines sans culture). Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun - La civilisation : au sens moral, impliquant un jugement de valeur, la civilisation est la conquête spirituelle de l’homme par lui-même, par opposition aux énergies qui seraient purement animales ou «barbares»; processus de perfectionnement orienté vers un progrès du genre humain. - L'ethnocentrisme : tendance à considérer le groupe socio-culturel auquel on appartient comme un centre, un modèle de référence, une norme, et à rejeter ainsi la diversité culturelle. - Le relativisme culturel : conception selon laquelle il n’existe pas de valeurs universelles et de civilisation supérieure à une autre ; toutes les cultures se valent et sont respectables. - L’universalisme : à l’encontre du relativisme, l’universalisme insiste sur l’existence de valeurs et de droits universels (les droits de l’homme, par exemple), l’identité de la nature humaine, l’unicité de la raison, etc. Repères : universel/général/particulier/singulier, en puissance/en acte - L'universel : est universel ce qui est valable pour tous les cas sans exception, partout et toujours, ce qui est reconnu pour tous les hommes. - Le général : ce qui correspond à la grande majorité des cas ou ce qui a été constaté à chaque fois, mais dont nous ne pouvons pas affirmer qu'il en sera toujours ainsi sans exception. - Le particulier : est particulier ce qui est valable pour une partie seulement d'une totalité, ce qui appartient en propre à un individu. - Le singulier : est singulier ce qui est valable pour un individu ou une totalité individuée, ce qui fait qu'un être est unique, original et se distingue vraiment des autres. - En acte / en puissance» : «En puissance» renvoie à une promesse, une potentialité, à quelque chose qui est possible mais qui n'est pas encore réalisé. «En acte» renvoie à une réalité, au fait que la promesse ou la possibilité a été effectivement tenue et mise en œuvre. - Absolu (du latin absolutus, « détaché, délié ») : ce qui ne dépend de rien ni d’aucune condition (ou cause) antérieure, étrangère ; une valeur absolue n’est déterminée par aucun autre principe, elle s’impose d’elle-même, indépendamment du contexte, de la tradition ou des conséquences. - Relatif : ce qui ne peut ni être ni être pensé sans être mis en relation avec un autre objet dont il dépend. CITATIONS A RETENIR « L’homme est l’animal qui n’est pas encore fixé de manière stable » (Nietzsche, Par-delà bien et mal, § 62). « C’est dans le problème de l'éducation que gît le secret de la perfection de la nature humaine » (Kant, Réflexions sur l’éducation). « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme » (Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception). « Il n'y a rien qu'on ne puisse rendre naturel; il n'y a pas de naturel qu'on puisse faire perdre » (Pascal, Pensées, fragment 94). « La coutume est une seconde nature qui détruit la première…J’ai grand peur que cette nature ne soit-elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature ». « Le barbare, c’est d’abord celui qui croit en la barbarie » (Lévi-Strauss, Race et histoire). « L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours » (Ernest Renan, Qu’est-ce qu’une Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun nation ?). BIBLIOGRAPHIE - Alain Finkielkraut, La défaite de la pensée, Gallimard, 1987. Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation, PUF, 1971. Emmanuel Kant, Traité de pédagogie, Hachette Classiques, 1981 Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Gonthier, 1961. Amin Maalouf, Les Identités meurtrières, Grasset et Fasquelle, 1998. Jean-Luc Marion, Certitudes négatives, chapitre I « L’indéfinissable ou la face de l’homme », Grasset, 2010. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Garnier-Flammarion. Charles Taylor, Multiculturalisme. Différence et démocratie, Flammarion, 2009. Tzvetan Todorov, Nous et les autres. La réflexion française sur la diversité humaine, Seuil, 1989. Film : - François Truffaut, L’enfant sauvage. Lycée franco-mexicain – Année scolaire 2015-2016 Cours Olivier Verdun 27