La LOLF, dix ans après - Institut de l`entreprise

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La LOLF, dix ans après - Institut de l`entreprise
POLITIQUES PUBLIQUES
La LOLF, dix ans après
François ecalle
Chargé de cours, université Paris-I
La loi organique relative aux lois de finances (la LOLF) fêtera le 1er août 2011
son dixième anniversaire. Il faut admettre que sa contribution à l’amélioration des
performances de l’État est décevante et il faudrait donc revoir profondément le
« dispositif de performance » qu’elle a institué.
A
u début de 2002, j’ai présenté la LOLF dans cette revue 1 en lui attribuant trois objectifs : renforcer les pouvoirs du Parlement ; enrichir
l’information budgétaire et comptable ; améliorer les performances de
l’État.
Sur le rôle du Parlement, je me limiterai à l’observation suivante : pour contribuer
à améliorer les performances de l’État, il faudrait qu’il examine attentivement les
résultats obtenus par l’administration, présentés dans les rapports transmis par le
gouvernement à l’occasion des lois de règlement du budget, et qu’il les rapproche
des projets soumis avec les lois de finances initiales 2. Or le Parlement s’investit
encore trop peu dans cette analyse a posteriori des résultats de l’État, notamment
à l’occasion des lois de règlement, et peut donc difficilement contribuer à orienter
utilement son action 3.
1. « Réforme du budget, réforme de l’État ? » François Ecalle, Sociétal, 1er trimestre 2002.
2. À chaque programme budgétaire sont associés un projet annuel de performance qui en présente notamment les
objectifs, en annexe du projet de loi de finances initial, et un rapport annuel de performance qui présente notamment les résultats atteints, en annexe du projet de loi de règlement.
3. « La place de la performance dans l’action de l’État et son contrôle par le Parlement : l’exemple de la loi de règlement du budget de 2008 », Observatoire de la dépense publique, Institut de l’entreprise, 2009.
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L’information budgétaire et comptable a été sensiblement améliorée : l’État publie
des comptes certifiés par la Cour des comptes ; les projets et rapports annuels de
performances constituent un gisement exceptionnel de données ; de nombreux
autres rapports annexés aux lois de finances et de règlement sont aussi très riches.
Des progrès sont certes encore nécessaires : les comptes font l’objet de réserves de
la part du certificateur ; la comptabilité d’analyse des coûts est encore trop fruste ;
de nombreux indicateurs sont peu fiables, non pertinents ou non mis à jour, etc. La France figure néanL’information
moins probablement parmi les pays de l’OCDE où
obtenue grâce à
l’information budgétaire et comptable est la plus comla mise en œuvre
de la LOLF
plète et la plus fiable 4.
n’a pas assez
contribué à
Cet enrichissement de l’information ne contribue
améliorer
cependant pas beaucoup à l’amélioration des perforles performances
de l’Etat.
mances de l’État. Au regard de cet objectif, le bilan de
la LOLF est très décevant.
Une faible contribution de la LOLF
à l’amélioration des performances
La contribution de la LOLF à l’amélioration des performances de l’État repose,
en principe, sur deux piliers : une plus grande souplesse de gestion pour les responsables administratifs, d’un côté, et la mise en œuvre d’une démarche de performance permettant de faire passer la gestion publique d’une logique de moyens à
une logique de résultats, d’un autre côté.
Des règles de gestion un peu plus souples
Avant la LOLF, les crédits budgétaires étaient cloisonnés, par nature de dépenses
(entretien, frais de personnel, loyers…), dans environ 800 chapitres. Depuis la
LOLF, ils sont répartis entre environ 130 programmes associés à des politiques
publiques (aide au développement, enseignement scolaire du 1er degré…), au sein
4. Une étude publiée dans le OECD Journal of budgeting en 2009 plaçait ainsi la France devant l’Allemagne, la
Suède et la Norvège.
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desquels ils sont fongibles. Le responsable d’un programme peut ainsi désormais
choisir entre acheter ou louer, réparer des équipements ou investir dans des matériels neufs.
Cette fongibilité n’est certes pas totale car les crédits de personnel peuvent être
utilisés pour payer des dépenses d’une autre nature, mais pas l’inverse. Elle a néanmoins facilité la gestion budgétaire. La fixation de plafonds d’emplois globaux au
niveau de chaque ministère a aussi été un élément de souplesse.
Les contrôles a priori sur l’engagement des dépenses ont été sensiblement allégés, le nombre de visas préalables ayant été divisé par plus de dix en dix ans. Les
« gels de crédits » opérés discrétionnairement par le ministère chargé du Budget
en cours d’année ont été remplacés par une mise en
réserve transparente de crédits en début d’exercice 5.
Les restrictions
budgétaires
Enfin, le budget triennal donne désormais aux gespoussent les
tionnaires de crédits une visibilité qui s’étend au-delà
administrations
centrales à
de l’horizon annuel de la loi de finances.
l’affectation
précise des crédits
Il subsiste cependant d’importantes rigidités. En paraux échelons
ticulier, les responsables nationaux des programmes
locaux.
délèguent une partie de leurs crédits à des responsables
locaux, sous la forme de « budgets opérationnels » au
sein desquels les crédits devraient aussi être fongibles.
Or, en fait, les administrations centrales imposent souvent une affectation précise
à ces crédits et cette pratique se développe avec les restrictions budgétaires 6.
Au niveau local, la spécialisation des crédits par programme, inhérente à la LOLF,
est difficile à concilier avec la dimension territoriale de beaucoup de politiques
publiques. Toutefois, cette contradiction entre la logique géographique, incarnée
par les préfets, et la spécialisation des crédits par programmes rattachés à des
ministères, défendue par les ministères autres que celui de l’Intérieur, a toujours
existé et ne peut être levée que par la décentralisation au profit des collectivités
locales.
5. « Rapport sur les résultats et la gestion budgétaires pour l’année 2008 », Cour des comptes, 2009.
6. « Rapport d’information sur la mise en œuvre de la LOLF », commission des Finances de l’Assemblée nationale,
2008.
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Surtout, les marges d’action des responsables administratifs, locaux et même nationaux, sont fortement limitées par une gestion des ressources humaines très centralisée et une mobilité des agents très faible. Or, la répartition territoriale des agents de
l’État est mal adaptée aux besoins. Par exemple, leur nombre pour 1000 habitants
par département se situe sur une échelle de 1 à 9 hors des aires urbaines. La révision
générale des politiques publiques devrait se traduire par des redéploiements entre
services, mais seulement 1 % des agents changent de
ministère ou de service au sein d’un ministère au cours
d’une année 7 du fait de ces rigidités.
Les marges de
manœuvre des
responsables
administratifs,
Une démarche de performance
locaux ou
nationaux, sont
sans prise sur la gestion publique
limitées par
une gestion
En contrepartie de règles de gestion plus souples, les
des ressources
gestionnaires de programmes budgétaires sont « reshumaines très
centralisée.
ponsables » des résultats obtenus. Ceux-ci sont mesurés par des indicateurs quantitatifs de performance
qui correspondent à des objectifs fixés dans les projets
annuels de performance. Objectifs et indicateurs s’inscrivent dans le cadre d’une
stratégie associée au programme.
Il apparaît de plus en plus clairement que ce dispositif a peu d’impact sur la répartition des crédits et sur le fonctionnement des administrations 8. La démarche de
performance se traduit par un volume considérable de chiffres et de littérature,
mais elle reste très virtuelle.
Elle est peu intégrée aux procédures de discussion et de décision budgétaires,
au sein du gouvernement comme au Parlement. Aucun pays n’a certes établi un
lien automatique entre performances des services et dotations budgétaires 9 mais,
comme le souligne la mission d’information de l’Assemblée nationale, « si la performance ne saurait commander la budgétisation, elle devrait à tout le moins
contribuer à l’éclairer 10 ».
7. « Rapport annuel sur l’état de la fonction publique », ministère chargé de la Fonction publique, 2008 et 2009.
8. Cf. notamment les rapports des commissions des Finances des Assemblées, les rapports de la Cour des comptes
sur les résultats et la gestion budgétaires, les rapports du comité interministériel d’audit des programmes.
9. « La budgétisation axée sur la performance dans les pays de l’OCDE », OCDE, 2007.
10. Rapport du 24 juin 2009 de la mission d’information de l’Assemblée nationale.
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La démarche de performance est aussi « vécue comme génératrice de procédures
supplémentaires totalement déconnectées de la réalité de la gestion 11 ».
La « justification au premier euro » ( JPE) est un exemple de disposition introduite
par la LOLF dont les effets sont très éloignés des attentes. Le guide pratique de la
LOLF édité par le ministère du Budget rappelle qu’elle résulte de l’abolition d’une
pratique contestable antérieure à la LOLF : dans leur quasi-totalité les crédits
étaient alors considérés comme des « services votés » et les parlementaires ne se
prononçaient que sur les mesures nouvelles. Cette présentation est d’abord trompeuse car les parlementaires ont toujours eu le droit de revenir sur des mesures ou
des crédits déjà votés.
Très virtuelle,
la démarche de
performance
est souvent
vécue comme
génératrice
de procédures
supplémentaires
déconnectées de
la réalité.
Surtout, la JPE consiste, en théorie, à « justifier » les
crédits demandés, dans les projets annuels de performance, par leurs déterminants physiques (volume
d’activité…) et financiers (coûts unitaires…), en permettant ainsi au gouvernement puis au Parlement
d’avoir une « approche en base zéro ». Or, cette
approche est tout aussi mythique que les anciens
« services votés ».
La JPE est en fait une décomposition purement
comptable des crédits de chaque programme, consistant, par exemple, à « justifier » les dépenses de personnel par le produit des effectifs et du salaire par tête.
Il n’y a souvent pas d’analyse des déterminants des coûts et, même quand il y en
a une, elle ne justifie économiquement en rien l’utilité de ces crédits. Si de hauts
fonctionnaires étaient payés pour creuser des trous et les reboucher, la JPE justifierait très bien les crédits nécessaires et leur augmentation (il suffit que le nombre
de trous augmente).
Des résultats incertains
L’objectif assigné à cette démarche de performance est d’améliorer la qualité
des services rendus par l’État et l’efficacité de ses interventions en maîtrisant les
dépenses publiques.
11. Idem.
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De nombreux indicateurs de performance, souvent fondés sur des enquêtes de
satisfaction auprès des usagers, mesurent la qualité des services publics, mais il reste
encore à en faire une synthèse, ce qui pose certes de délicats problèmes méthodologiques, et à en examiner l’évolution dans le temps. Les évaluations de politiques
publiques sont trop rares et hétérogènes pour qu’une appréciation globale de leur
efficacité soit possible. L’amélioration de la qualité de l’action publique reste donc
à démontrer.
La maîtrise des dépenses de l’État n’est pas beaucoup plus simple à mesurer en
raison des modifications incessantes apportées au périmètre des dépenses budgétées. Si l’impact de ces changements de périmètre donné par le ministère du
Budget est retenu, la croissance des dépenses du budget général a été à peu près égale à l’inflation (1,5 %
Du fait
par an) de 2004 à 2009 et l’objectif de croissance zéro
d’incessantes
modifications de
en volume a été globalement atteint. Toutefois, si ces
leur périmètre,
dépenses budgétaires ont crû d’environ 20 Md€, à
la maîtrise des
périmètre constant, les dépenses fiscales ont crû de
dépenses de l’Etat
25 Md€, à périmètre constant, sur cette même période,
n’est pas plus
simple à mesurer.
ce qui relativise beaucoup ce résultat.
La LOLF évincée par la RGPP
Surtout, la maîtrise des dépenses de l’État et l’amélioration de la qualité des
services publics ne reposent plus depuis 2007 sur la LOLF, mais sur la révision
générale des politiques publiques (RGPP) qui a pris la suite des audits de modernisation et d’autres démarches analogues dont l’objectif était similaire.
La RGPP avait à l’origine pour ambition d’améliorer la gestion mais aussi de
remettre en question l’utilité de presque la moitié des dépenses publiques. Elle
devait pouvoir conduire à supprimer des politiques ou des services publics. En
fait, aucune politique importante n’a été remise en cause et la RGPP a donné lieu
à environ 500 décisions pouvant pour la plupart être rangées dans deux grandes
catégories : des réorganisations administratives (fusions de services, mutualisation
de certaines fonctions…) et des améliorations ponctuelles de la qualité et de la
productivité dans les services (par exemple, le développement des communications
par Internet avec les usagers dans une administration particulière).
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Cette deuxième catégorie de mesures devrait pourtant résulter de la démarche de
performance de la LOLF. Un responsable de programme guidé par des objectifs
adéquats devrait proposer lui-même aux usagers de communiquer par Internet
avec ses services. Une telle mesure ne devrait pas être décidée par un comité présidé par le président de la République. Ce comité reprend certes parfois des initiatives locales mais, sauf à considérer que la RGPP est seulement une opération de
communication de décisions locales, il y a contradiction entre l’autonomie des responsables de programme voulue par la LOLF et la centralisation de ce dispositif.
La RGPP a
donné lieu à 500
décisions dont
une partie aurait
dû résulter de
la démarche de
performance de
la LOLF.
Alors que les responsables de programme sont au
centre du dispositif de performance de la LOLF, et
qu’ils ont néanmoins du mal à se positionner comme
tels au sein des ministères, la RGPP leur retire souvent
une partie de leurs faibles pouvoirs, en leur imposant
des mesures de gestion de leurs services et en intégrant
ces mesures et leur reporting dans un cadre différent de
celui des programmes budgétaires 12.
En outre, la RGPP et la LOLF ne sont pas les seuls
vecteurs de changements structurels au sein de l’administration. Il faut y ajouter
les démarches propres à certains ministères comme le Grenelle de l’environnement. La LOLF risque donc d’être « recouverte par d’autres vagues de priorités et
de réformes 13 ».
Distinguer l’efficacité des politiques et
la productivité des services
Les propositions visant à améliorer la démarche de performance de la LOLF ne
manquent pas et sont pour la plupart pertinentes : rationaliser la carte des programmes ; consolider la place de leurs responsables dans les ministères ; inciter
plus fortement les agents à améliorer les performances ; fiabiliser et stabiliser les
indicateurs ; fixer des cibles pertinentes et mettre en place un contrôle de gestion ;
adapter les systèmes d’information, notamment pour mettre en place une comp12. « Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’État », Cour des comptes, 2010.
13. « Rapport d’activité du comité interministériel d’audit des programmes », 2009.
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tabilité d’analyse des coûts ; placer les indicateurs de performance au centre du
dialogue de gestion avec les services déconcentrés et les opérateurs ; généraliser les
contrats avec les opérateurs en les articulant avec les objectifs des programmes ;
clarifier les objectifs stratégiques ; appliquer la démarche de performance aux
dépenses fiscales ; harmoniser les indicateurs associés à des actions similaires ;
développer les comparaisons, etc.
Leur mise en œuvre ne suffira probablement pas et le dixième anniversaire de
la LOLF devrait être l’occasion d’une réforme plus profonde reposant sur une
clarification des objectifs de ce dispositif de performance. Il partage en effet
avec la RGPP deux objectifs implicites qu’il faut distinguer et atteindre par des
démarches différentes : l’amélioration de l’efficacité des politiques publiques, d’une
part ; l’augmentation de la productivité des services qui les mettent en œuvre,
d’autre part.
Trois catégories de politiques publiques peuvent être distinguées : la production de
biens et services non marchands ; les interventions, par des transferts monétaires
en faveur des ménages et entreprises, qui peuvent
éventuellement prendre la forme de dépenses fiscales ;
Sans réforme
la régulation des activités privées.
profonde et
clarification
Ces politiques publiques ont des objectifs tels que la
de ses objectifs,
croissance de l’emploi, la réduction de la pauvreté, la
la LOLF risque,
dix
ans après sa
préservation de l’environnement, la sécurité publique,
création, de
la santé de la population. Elles sont efficaces si elles
passer au second
contribuent à se rapprocher de ces objectifs (au
plan des priorités
de l’Etat.
moindre coût dans une acception plus économique de
la notion d’efficacité).
Leur définition relève du pouvoir politique et la mesure de leur efficacité repose
sur une évaluation de leur impact au regard de ces objectifs. Cette évaluation est
difficile car la réalisation de ces objectifs dépend de nombreux facteurs qui sont
largement indépendants de l’action publique : la conjoncture économique, les évolutions technologiques, les préférences des consommateurs, l’influence des médias
sur les comportements, les caprices de la météo…
Les responsables de programme n’ont pas la moindre prise sur ces facteurs et ne
peuvent pas être jugés sur le taux de pauvreté, la qualité de l’air ou le taux de survie
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des entreprises aidées, indicateurs pourtant retenus dans des projets annuels de
performance.
Il faut leur demander, dans la limite des crédits qui leur sont attribués, de produire des services (des formations validés par des diplômes, par exemple) ou de
mettre à disposition des biens (des routes en bon état…). Dans le cas des politiques d’intervention, il s’agit d’effectuer des paiements (de prestations sociales, de
subventions…) en respectant des règles, et la production se mesure en nombre de
paiements ; dans le cas des politiques de régulation, il s’agit surtout de produire des
décisions administratives d’autorisation ou d’interdiction (permis de conduire…).
La productivité (ou l’efficience) des services concernés rapporte la quantité de
biens et de services produits, en tenant compte de leur qualité (par exemple, l’accueil des bénéficiaires d’aides), aux moyens mis en œuvre (ou à leur coût).
La LOLF mélange
objectifs et
indicateurs de
productivité,
de qualité et
d’efficacité.
Or, le dispositif de performance de la LOLF mélange
les objectifs et indicateurs de productivité, de qualité
et d’efficacité. La frontière entre ces trois catégories
est certes discutable, mais presque 50 % de ces objectifs et indicateurs sont supposés mesurer l’efficacité
des programmes et ne peuvent en rien contribuer à
améliorer la gestion des services. Comme en réalité
ils ne permettent pas non plus d’évaluer les politiques
concernées, ils ne servent à rien.
Un rapport stratégique annuel sur l’efficacité
des politiques publiques
La définition des politiques publiques relève de la responsabilité du pouvoir politique et devrait être fondée sur des évaluations de l’efficacité des mesures anciennes,
a posteriori, et des mesures nouvelles, a priori.
Ces évaluations sont difficiles, notamment parce qu’elles supposent de mesurer
l’impact propre de chaque politique. Pour évaluer l’efficacité d’une aide à l’emploi,
il faut ainsi déterminer la croissance de l’emploi qui aurait été observée sans cette
aide… Cela suppose de mettre en œuvre des techniques statistiques sophistiquées
ou des expériences contrôlées. Pour évaluer des mesures anciennes ou simuler l’impact de mesures nouvelles, il faut souvent des données précises dont la collecte est
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longue. L’évaluation des politiques publiques nécessite du temps et des moyens et
il est impossible de toutes les évaluer chaque année.
Dans ces conditions, le volet « efficacité des politiques publiques » de la LOLF
pourrait reposer sur un « rapport stratégique annuel » du gouvernement comprenant deux parties : l’exposé de la stratégie retenue pour chaque programme ; les
évaluations de l’efficacité des politiques publiques associées aux programmes, dans
la mesure où ces évaluations ont été réalisées.
Les orientations stratégiques de chaque programme pourraient être utilement
rappelées chaque année, et actualisées en tant que de besoin. La partie « évaluation » du rapport comporterait, pour chaque programme, les principaux résultats
des évaluations a priori des mesures nouvelles, obligatoirement en cas de réforme
substantielle, et des évaluations a posteriori, selon leur disponibilité, des mesures
anciennes. Le gouvernement pourrait présenter non seulement ses propres analyses, mais aussi celles d’autres organismes (en leur demandant éventuellement
d’en faire une synthèse reprise sans modification).
Ce rapport stratégique annuel présenterait aussi les réformes relatives à l’organisation des services qui concernent plusieurs programmes et dépassent donc le niveau de responsabilité
La LOLF pourrait
d’un gestionnaire de programme. C’est le cas d’une
faire l’objet
grande partie des mesures décidées actuellement dans
d’un « rapport
stratégique
le cadre de la RGPP.
annuel »
exposant la
Rappelons enfin qu’il ne suffit pas d’évaluer les polistratégie retenue
pour chaque
tiques publiques pour prendre de bonnes décisions.
programme
et
Une meilleure diffusion de la culture économique en
les évaluations
France est aussi une condition nécessaire à l’amélioraréalisées.
tion des performances de l’État 14.
Des projets et rapports annuels sur la productivité des services
Les projets et rapports annuels de performance de la LOLF devraient être recentrés sur les objectifs et indicateurs directement maîtrisables par les responsables de
14. Maîtriser les finances publiques ! Pourquoi, comment ?, François Ecalle, Economica, 2005.
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programme. Le principal objectif à leur assigner devrait être d’accroître la quantité
et la qualité des services rendus dans le cadre de leur programme, pour un montant
donné de crédits, donc d’en améliorer la productivité (ou l’efficience).
Déterminer ces objectifs et les indicateurs associés présente certes d’importantes
difficultés, mais des solutions existent et il faut concentrer les efforts sur ce problème au lieu de s’évertuer en vain à mesurer chaque année l’efficacité de toutes les
politiques publiques.
D’abord, la définition des services produits par les administrations, et leur traduction en indicateurs quantitatifs, est souvent un exercice complexe. Comment définir et quantifier les services produits par les armées ? Il existe des réponses, déjà
retenues dans les rapports de performance, comme la disponibilité opérationnelle
des troupes et des matériels. La qualité des services est, de manière générale, difficile à mesurer, mais les enquêtes de satisfaction auprès des usagers en donnent
souvent une mesure appropriée.
De plus, la production de services, marchands ou non, est souvent une coproduction entre le producteur et l’utilisateur. La « production » d’élèves diplômés par
un établissement d’enseignement dépend des performances propres de ses agents
mais aussi des capacités des élèves. Les études montrent ainsi que les caractéristiques socioprofessionnelles de leurs parents ont un
impact déterminant, mais il est possible de mesurer la
valeur ajoutée des établissements en la corrigeant de
Au lieu D’évaluer,
chaque année,
ce biais. Il existe donc des moyens pour résoudre, au
toutes les
moins partiellement, ce type de problème.
politiques
publiques, mieux
Ensuite, les objectifs des administrations sont souvent
vaudrait se
concentrer sur
multiples et la nature des tâches demandées aux agents
des indicateurs
est
complexe. Des indicateurs qui ne reflètent pas la
directement
pluralité et la complexité des attentes et des tâches rismesurables par
les responsables
quent d’induire des comportements non souhaitables.
des services.
Une enquête de la Cour des comptes 15 sur le contrôle
fiscal a ainsi montré que le dispositif de performance
mis en place incite les vérificateurs à sanctionner les contribuables et les fraudes
les plus faciles à appréhender et non les plus répréhensibles. Il s’agit donc de
15. « Les méthodes et résultats du contrôle fiscal », Cour des comptes, rapport public annuel, 2010.
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construire des indicateurs plus sophistiqués, par exemple en pondérant les services
rendus (le nombre de contrôles par exemple) par leur degré de complexité. Enfin,
pour apprécier la productivité des services, il faut pouvoir déterminer les moyens
qui leur sont affectés, ce qui suppose une comptabilité d’analyse des coûts suffisamment fiable.
Malgré ces difficultés, des objectifs et des indicateurs chiffrés devraient être établis
dans des projets annuels de productivité des programmes présentés par le gouvernement avec les projets de loi de finances initiale. Ils devraient ensuite être déclinés en objectifs et indicateurs spécifiques aux budgets opérationnels locaux et aux
opérateurs chargés d’exécuter les programmes. Le suivi de leur réalisation devrait
faire l’objet d’un véritable contrôle de gestion. Les résultats obtenus devraient être
présentés et analysés, au regard des objectifs, dans des rapports annuels sur la productivité des services.
Comme le souligne un rapport du Conseil d’analyse économique 16, l’amélioration
des performances de l’État requiert une approche microéconomique et une
démarche conduisant à modifier les comportements dans les unités de gestion
élémentaires. Les deux piliers de la LOLF, souplesse
de gestion et appréciation des responsables sur la base
L’amélioration
de leurs résultats, doivent reposer sur les niveaux les
des performances
plus bas des structures administratives.
de l’Etat requiert
une approche
au plus près
De haut en bas de ces structures, les responsables
du terrain
devraient être incités financièrement à augmenter la
permettant de
productivité des services. La prise en compte de la
modifier les
comportements
performance dans la gestion des ressources humaines
dans les unités
de l’État reste très limitée malgré quelques progrès
de gestion
récents. Ce n’est pas étonnant dans la mesure où la réaélémentaires.
lisation des objectifs de performance actuels échappe
au contrôle des « responsables » de programme ou de
budgets opérationnels et où il est donc difficile d’en faire dépendre leur rémunération. Recentrer ces objectifs sur la productivité des services devrait permettre
de lier plus facilement performance et rémunération. Si la variabilité d’une partie
des primes en fonction des résultats est souhaitable, il ne s’agit cependant pas
pour autant de systématiser une rémunération à la performance dont les études
16. « Performance, incitations et gestion publique », D. Bureau et M. Mougeot, CAE, 2007.
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de l’OCDE montrent qu’elle n’a pas toujours obtenu des résultats positifs dans les
administrations. Les dispositifs d’intéressement collectif semblent souvent plus
adaptés 17.
Même si les gains de productivité des services peuvent être mesurés annuellement,
ils ne peuvent servir à apprécier la gestion des responsables de programme que s’ils
sont replacés dans une perspective pluriannuelle. La stabilité des emplois de direction est aussi une condition nécessaire à l’amélioration des performances de l’État.
L’articulation entre ces deux démarches de performance
La procédure budgétaire d’allocation des crédits entre les programmes devrait être
alimentée par ces deux démarches de performance. Les rapports stratégiques sur
l’efficacité des politiques devraient permettre d’éclairer les grandes réformes qui se
traduisent par des révisions profondes des politiques publiques ou de l’organisation
de l’État et dont l’enjeu financier représente au moins, par exemple, 3 % du coût
des programmes concernés. Les projets de productivité des services devraient avoir
pour objectif de réaliser les gains de productivité annuels de l’ordre de 1 à 3 % qui
peuvent être attendus dans des activités de services,
ces gains prenant la forme d’une baisse des dépenses
Dans une vision
ou d’une augmentation du volume de production.
pluriannuelle,
les rapports
Les rapports stratégiques devraient sans doute accomstratégiques
seraient présentés
pagner plutôt le budget triennal, pour éclairer la vision
par les ministres
pluriannuelle des finances publiques, et les projets
au Parlement.
de productivité les lois de finances annuelles. Étant
Les projets de
donné que des rapports d’évaluation sont remis tout au
productivité,
sensibiliseraient,
long de l’année et que les stratégies des programmes
dans le cadre
peuvent
être ajustées tous les ans, des projets stratéannuel des lois de
giques annuels associés aux lois de finances seraient
finances,
les responsables
néanmoins aussi utiles.
à la gestion
quotidienne.
Les rapports stratégiques devraient être présentés par
les ministres au Parlement. Les projets et rapports de
17. Cf. le rapport d’information de 2009 de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et « Performancerelated pay policies for government employees », OCDE, 2005.
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productivité des services auraient surtout pour but de responsabiliser les « responsables » de programme sur leur gestion quotidienne. Ils devraient donc d’abord
être présentés par ces derniers aux ministres, puis par ceux-ci au Parlement, avec
éventuellement des commentaires distincts.
Conclusion
Si les règles de gestion ont été assouplies, la logique de performance ne guide
pas vraiment le fonctionnement des services de l’État ; le bilan de la LOLF est
à cet égard décevant. Celle-ci est certes jeune et de nombreuses améliorations
de son dispositif de performance sont possibles et souhaitables, mais une profonde réforme est nécessaire. Elle devrait conduire à distinguer la responsabilité
du pouvoir politique – définir les politiques publiques à mettre en œuvre sur la
base d’évaluations de leur efficacité – et la responsabilité des gestionnaires de programmes – augmenter la quantité et la qualité des services rendus dans le cadre
de ces programmes et dans la limite des crédits attribués par le pouvoir politique.
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