Niger news du 06-07-09 - Fondation Jean

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Niger news du 06-07-09 - Fondation Jean
Etat d’exception au Niger
Par Guy Labertit*
(Fondation Jean-Jaurès, 6 juillet 2009)
Après avoir dissous l’Assemblée nationale du Niger, le 26 mai 2009, au lendemain de l’avis
de la Cour constitutionnelle qui relevait qu’en voulant changer la Constitution le chef de
l’Etat, Mamadou Tandja, violait son serment, celui-ci a poursuivi sa fuite en avant en
annonçant dans un message à la Nation, le 29 mai dernier, la convocation du corps électoral
pour un référendum constitutionnel fixé au 4 août prochain.
La fuite en avant du chef de l’Etat
La Cour constitutionnelle a rendu, le 12 juin, un arrêt annulant le référendum. Dès lors, le
Président de la République du Niger, après que le Conseil de la République, le 13 juin, a
refusé, faute de consensus, de lui accorder de légiférer par ordonnances, s’est enfermé dans
une logique que l’on peut qualifier de dictatoriale.
Dans un nouveau message à la Nation, le 26 juin, il s’est arrogé des pouvoirs exceptionnels,
prétendument au nom de l’article 53 de la Constitution dont le recours ne se justifie qu’en cas
de menace à l’indépendance du pays ou à son intégrité territoriale. Cet article qui permet au
chef de l’Etat de gouverner par ordonnances ou décrets suppose aussi que l’Assemblée
nationale soit consultée. Or il l’a, lui-même, dissous un mois auparavant !
Le 29 juin, il a également dissous la Cour constitutionnelle et remanié son gouvernement car
la Convention démocrate et sociale (CDS) de Mahamane Ousmane, Président de l’Assemblée
nationale, rompant avec un jeu politique ambigu, avait décidé, quelques jours plus tôt, de
quitter ce gouvernement où elle détenait huit portefeuilles.
Fort de ce qu’il appelle son « bon droit », Mamadou Tandja, faisant fi de son isolement
politique interne et des réserves diplomatiques émanant tant du continent africain que du reste
du monde, a désigné les membres d’une nouvelle Cour constitutionnelle à sa dévotion. La
Commission électorale nationale indépendante (CENI) qui, dans un premier temps, s’était
refusée à organiser le référendum du 4 août prochain, s’est étrangement ravisée au motif
qu’une nouvelle Cour constitutionnelle avait été mise en place.
Une forte opposition politique interne au projet présidentiel
Ancien Premier ministre (1993-94) et ancien Président de l’Assemblée nationale (1995-96),
Mahamadou Issoufou, à la tête de la principale force d’opposition politique, le Parti nigérien
pour la démocratie et le socialisme (PNDS, membre de l’Internationale socialiste), préside le
Front de défense de la démocratie (FDD) créé dès le 24 mai dernier. Il rassemble les sept
centrales syndicales, une multitude d’organisations issues de la société civile et d’autres
forces politiques dont l’Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès (ANDP) de feu
Moumouni Djermakoye.
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De son côté, l’ancien Premier ministre du Président Tandja, Hama Amadou, à ce poste de
2000 à 2007, a recouvré la liberté provisoire en avril dernier après dix mois de détention pour
des détournements présumés de fonds. Ses partisans ont créé, le 20 juin, un nouveau parti, le
Mouvement démocratique nigérien (MDN) qui a rejoint la cause du FDD.
La CDS ayant quitté le gouvernement, le Président Tandja est politiquement isolé et ne peut
compter que sur l’appui d’une partie du Mouvement national pour la société du
développement (MNSD), ancien parti unique avant la transition démocratique.
Les forces qui s’opposent à la volonté du chef de l’Etat de se maintenir au pouvoir au-delà des
deux mandats autorisés par la Constitution mènent leur action de façon très légaliste. Le
pouvoir assigne régulièrement en justice partis et syndicats pour les contraindre à repousser
leurs manifestations et pour entraver la mobilisation. Le dirigeant du FDD, Mahamadou
Issoufou, a été interpellé le 30 juin et entendu à la Direction de la gendarmerie. Si cette
stratégie du pouvoir a été payante pour la journée « Pays mort » du 1er juillet, relativement
peu suivie, la manifestation du 5 juillet, organisée dans la capitale Niamey à l’appel du FDD
et à laquelle a participé la CDS, a été un succès historique au regard de son ampleur et de sa
détermination.
Des condamnations diplomatiques encore molles
En Afrique, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a
rapidement réagi et la délégation envoyée à Niamey a été reçue sans aménité par le Président
nigérien. L’Union africaine (UA), qui a également envoyé une délégation dans la capitale
nigérienne, s’est dit « extrêmement préoccupée » par la voix du Président de sa Commission,
le Gabonais Jean Ping, mais elle n’a pas mis le Niger à l’ordre du jour de son sommet qui
vient de se tenir à Syrte en Libye. Actuel président en exercice de l’UA, le chef de l’Etat
libyen Khadafi ne cesse de prodiguer ses soutiens et encouragements à ses homologues qui
mettent à mal les constitutions.
En Amérique, les Etats-Unis et le Canada avaient exprimé leurs réserves dès le mois de mai.
A Washington, le porte-parole du département d’Etat, Robert Gibbs, a réagi à la dissolution
de la Cour constitutionnelle soulignant que « ces décisions sapent les efforts du Niger depuis
dix ans pour faire progresser la bonne gouvernance et l’Etat de droit ».
La France, qui a attendu le 4 juin pour exprimer ses premières réactions, a réitéré ses réserves
après la dissolution de la Cour constitutionnelle, jugée, le 30 juin, comme « un signal négatif
pour la démocratie nigérienne et la stabilité du pays ». Le ministre des Affaires étrangères
Bernard Kouchner a, peu après, depuis Dakar, marqué ses distances avec le processus en
cours au Niger, de même que la Commission européenne qui a menacé de revoir sa
coopération avec ce pays.
Mais l’ensemble de ces expressions diplomatiques ne semblent pas à la hauteur de la gravité
de la situation au Niger où le Président Tandja, qui pouvait se targuer d’avoir restauré une
démarche démocratique dans son pays depuis 1999, renoue avec les vieux démons de l’Etat
d’exception et choisit de s’engager, à 71 ans, dans une étrange carrière de dictateur.
* Conseiller du Président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Afrique et l’Amérique latine.
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