Texte n°4 : Excipit de la Peste, Camus

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Texte n°4 : Excipit de la Peste, Camus
Texte n°4 : Excipit de la Peste, Camus
Introduction
Camus écrit son roman la Peste dès 1942, en exil, et le fait publier en 1947 ; c’est une œuvre dont la
création s’enracine dans la période de la guerre. Elle appartient au « cycle de la révolte » dans l’œuvre
d’Albert Camus (après le cycle de l’absurde). L’auteur refuse l’idée désespérante que la vie n’a pas de sens :
la révolte est une réponse à l’absurde.
Le roman prend la forme d’une chronique, c’est-à-dire d’un récit objectif et chronologique de faits réels.
Chronique d’une épidémie dans la ville algérienne d’Oran. Il raconte les différentes réactions des
personnages face au fléau.
I – Une scène de liesse
A – La dimension collective et anonyme
Dans la foule des oranais, personne n’est individualisé, Il s’agit de la joie de toute ville délivrée d’un fléau :
 De nombreux singuliers collectifs (« nuit » x3, « ville » x3, « foule »)
 Ils renvoient à la population, avec par exemple des métonymies (« dans la nuit libérée » et
« la ville les salua »)
 Des termes singuliers, noms de lieux ou de sentiments mis à la place des habitants (« rumeur »,
« allégresse »)  l’indivision crée une forme d’anonymat
 Le nom de la ville (Oran) n’est pas évoqué
 Désancrage  la scène n’est pas située dans l’espace ou le temps
B – Les sensations privilégiées
1) La perception de la nature
Il y a un mélange entre les sensations du passé et les sensations du présent :
 Passé : rappel de la scène de la baignade, évocation du temps d’automne d’autrefois quand la mer
était plus calme
 Présent : « les étoiles durcissaient comme des silex » ; « l’air était immobile et léger » ; « grand ciel
froid »  évocation de l’Hiver, qui renvoie symboliquement à la fin de la peste (le froid tue les
microbes, l’air est apaisé, moins humide et lourd qu’en automne)
2) La dimension sonore
Champ lexical important : « rumeur », « grondement », « sourde exclamation », « au milieu des cris »,
« cris d’allégresse », … Cela renvoie à l’unicité de la ville, qui exprime son soulagement en criant (c’est une
démarche non-intellectuelle)
3) La dimension visuelle
Il y a une progression ; les expressions relatives à la nuit cèdent la place à celles de la lumière : apparition
d’ « étoiles », puis de « boulevards et places illuminés », de « premières fusées » et jusqu’à des « gerbes
multicolores »
II – Rieux et les Oranais
Le narrateur ne refuse pas la joie de la foule, mais reste à l’écart.
A – Une distance physique et temporelle
1) Séparation dans l’espace et position dominante
Il y a une notion d’espaces supérieur et inférieur : la terrasse de Rieux surplombe la ville
 Clivage entre « ciel » et « terre »
 Rieux « montait » les escaliers
 Le terme « rumeur » est définit ici par un bruit étouffé qu’on entend de loin
 « La rumeur battait le pied des terrasse »  La rumeur de la foule arrive en-dessous de Rieux, ce
qui crée une position dominante
 Toutefois, il n’y a rien de péjoratif : Rieux un l’intellectuel (la raison) et la ville est la passion
 Notations qui visent à écarter Rieux du reste de la ville : « au loin », « son grondement parvenait
jusqu’à Rieux » et « les cris se répercutaient longuement »
2) Rapport différent au temps et au monde
Les Oranais vivent dans le présent, ils ont oublié le passé et ne songent pas à l’avenir.
Rieux reste en contact du passé et pense à l’avenir : il est en hauteur et en extérieur, à la fois de la ville
mais aussi du temps.
 Penser au passé : 3 souvenirs que l’on découvre par la focalisation interne :
o Rieux se rappelle de la fois où il était déjà venu sur la terrasse : il s’agit d’une analepse.
o Rieux se souvient des gens morts qu’il avait aimé
o Rieux pense à tous les morts de cette histoire (« ces pestiférés »)
 Penser à l’avenir : la mémoire du passé rend possible une connaissance qui sépare Rieux de la
foule, et qui lui permet de pressentir l’avenir et de songer à la permanence du mal.
Cette distance physique est temporelle est donc une matérialisation d’une distance morale, qui sépare 2
attitudes radicalement opposées de l’existence : la foule qui choisit le plaisir immédiat et qui se comporte
comme un corps, et l’individu conscient (Rieux) qui choisit une réflexion tourmentée par les souvenirs du
passé et par la crainte de l’avenir.
B – Une réflexion sur l’humanité sous le signe de l’indulgence et du tragique
1) Du particulier au général
Le comportement de la foule s’applique aux lois sur la nature humaine. CAMUS est un moraliste ; en
regardant des exemples il tire des lois sur la nature humaine :
 Passages au présent de vérité générale
o « Les hommes ETAIENT toujours les mêmes » (pas du présent mais même emploi)
o « On APPREND au milieu des fléaux »
o « Le bacille de la peste NE MEURT NI NE DISPARAIT jamais »
 Présence par 4 fois de l’expression « des hommes », qui évoque l’espèce humaine et sa nature
2) « L’innocence »
L’expression « les hommes étaient toujours les mêmes » paraît pessimiste, sauf que ce n’est pas Rieux qui
la prononce, mais le vieux. Ce jugement négatif évolue vers du positif :
 Il y a des vérités, mais aussi de l’indulgence : adverbe « mais » dans l’expression « mais c’était leur
force et leur innocence »
 Leur force est de pouvoir oublier et de ne pas apprendre
 Leur innocence est qu’ils n’y peuvent rien
 Antithèse entre le savoir et l’ignorance : « il SAVAIT que cette foule en joie IGNORAIT »
 « Il y avait plus de choses à admirer que de choses à mépriser » : un comparatif dont les deux
expressions comparées sont construites par parallélisme et une antithèse
Ainsi Rieux déculpabilise les hommes en les montrant victimes de l’injustice et de la violence.
III – Révolte et écriture
A – L’origine du récit : « Rieux décida alors de rédiger le récit qui s’achève ici ». C’est à ce moment final que
nous comprenons qui est l’auteur ; c’est la fin de l’action et de l’écriture. Le temps des personnages, le
temps passé se bouclent sur le temps présent de l’écriture ; cela permet ‘d’ouvrir une réflexion sur le but
de l’écriture.
B – Une réflexion finale sur le sens du récit
1) La Peste métaphore du mal : elle apparaît sous un aspect concret et un aspect abstrait
a – aspect concret : la Peste est une maladie bien visible, et cela est bien accentué dans les derniers
paragraphes (champ lexical important : « pestiférés », « bacille », « médecin ».
b – aspect abstrait
La Peste représente le mal en général et plus particulièrement le mal de la guerre. Il est question de la
« terreur » et de son « arme inlassable »  un mal moral qui évolue au cours du texte. Celui-ci apparaît
d’abord comme provoqué par les hommes, mais dans le dernier paragraphe la vision du mal évolue.
Le « bacille » semble avoir une volonté personnelle (« il attend patiemment » ; « la peste réveillerait ses
rats »). Dans cette dernière expression, la Peste apparaît comme une divinité ou un chef de guerre
conduisant son armée. Il pourrait s’agir du nazisme, mais pas forcément.
2) Le choix de la révolte par l’écriture
a – un rythme majestueux
Une phrase très longue est présente dans le texte, de « au milieu des cris » (l.19) jusqu’à « plus qu’à
mépriser » (l.27). Elle est construire selon le système PROTASE/ACME/APOCLOSE (ascension/point
culminant/descente) :
- Protase de « au milieu des cris » jusqu’à « dans le ciel »
- Acmé : « le Docteur Rieux décida de rédiger le récit qui s’achève ici »
- Apoclose : anaphore de « pour »
b – un message essentiel qui définit la révolte par l’écriture en 3 composantes
La construction en protase/acmé/apoclose crée une solennité cherchant à mettre en relief certains points
importants. Au terme de l’œuvre, Rieux formule ce qu’est la révolte : une attitude positive devant le mal.
Trois composantes :
- Avoir le courage de transmettre et de ne pas se taire (« pour ne pas être de ceux qui »)
- Ecrire c’est satisfaire son devoir de mémoire (« et qu’on peut lire dans des livres que »)
- Faire passer le message qu’il ne faut pas désespérer (« plus de choses à admirer que »)  acte de
foi humaniste
Conclusion : une fin sans désespoir mais sans illusion. eE tableau de la libération de la ville est décrit sans
jugement négatif, mais est assombri par les réflexions de Rieux. La foule ignorante et innocence apparaît
fragile ; la victoire sur le mal est provisoire, ce n’est donc pas vraiment un dénouement heureux avec un
retour définitif à la stabilité. De plus, l’entreprise de l’écriture est présentée comme le bon choix, un choix
révolté, mais elle ne viendra pas à bout du problème du mal qui reste entier.

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