droit pour télécharger - CCB - Collège Coopératif en Bretagne

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droit pour télécharger - CCB - Collège Coopératif en Bretagne
CHAMBRE RÉGIONALE
DE L’ECONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE
COLLÈGE COOPÉRATIF RHÔNE-ALPES
éclats de vie,
dits et écrits
Manager
les différences
RESPECT
INTÉGRATION DES FEMMES ET DES HOMMES HANDICAPÉS
Sommaire
Dire et écrire sur « comment faire mieux » …………………………………………2
Dit et écrit à Lyon ……………………………………………………………………………4
Les histoires ……………………………………………………………………………………5
Dit et écrit à La Côte-Saint-André ………………………………………………… 14
Les paroles…………………………………………………………………………………… 15
Une autre histoire ……………………………………………………………………… 20
Nos éléments d’analyse ………………………………………………………………… 22
Nos propositions ………………………………………………………………………… 24
Remerciements …………………………………………………………………………… 27
éclats de vie, dits et écrits
Dire et écrire sur « comment faire mieux »
Un pas dont le présent recueil présente la trace.
Trace, ou plus exactement traces singulières, déposées par des marcheuses et
marcheurs en souffrance, restituées au plus juste.
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le projet européen « Manager les différences - RESPECT », construit sur la thématique
de l’accès à l’emploi durable des personnes en situation de handicap, constitue le cadre
de la présente action conduite en 2004/2005 par la Chambre Régionale de l’Economie
Sociale et Solidaire et le Collège Coopératif Rhône-Alpes, attachés, dans ce projet, à
éclairer la question du lien entre les formes d’entreprises de ce secteur et les pratiques
de l’intégration : Entreprendre autrement, Manager différemment ?
Dire et écrire est une action, en direction des personnes, qui s’inscrit dans un programme
comprenant d’autres actions1 adressées à deux publics clés des processus d’intégration :
les dirigeants et DRH des entreprises de ce « secteur », les conseillers d’insertion et
experts. C’est par cette inscription qu’elle prend sens. Comme c’est par le croisement
des actions de ce programme que naîtront des ressources appropriées pour, qu’au sein
de l’Economie Sociale et Solidaire, les politiques d’intégration s’affirment plus fort et que
les pratiques progressent.
Elles m’enseignent que vie et travail ne peuvent être disjoints, et qu’ils se nourrissent l’un
l’autre ou se dessèchent ensemble.
Elles me signalent, et signalent à celles et ceux qui sont en responsabilité au sein des
entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire, l’importance des attentions à porter
durablement à tous les éléments visibles et moins visibles -je pense ici aux effets de la
douleur, des temps différenciés d’exécution des tâches-, constitutifs de la situation de
travail existante ou à venir.
Elles rappellent enfin qu’au quotidien le minuscule de l’un est le majuscule de l’autre, et qu’il
importe de ne pas baisser les bras, pour qu’ici le parking existant soit accessible, là, les
lettres de nos mots soient agrandies, pour que, finalement, les humains que nous sommes,
vivent mieux. Chacun et ensemble.
Michel Ronzy
Notre intention, en mettant en œuvre, cette action, était de passer d’un premier
moment d’investigation -2003- où, travaillant les paroles confiées, nous avons produit
et présenté une connaissance plus argumentée de la situation de l’intégration au sein
des entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire ; à un deuxième moment -2004/2005où nous décidons d’inviter, en toute liberté, des personnes en situation de handicap,
salariées au sein de l’une des trois composantes suivantes : coopératives, associations
mutuelles, personnes rencontrées lors du premier moment, et d’autres, à se lancer dans
cette aventure consistant à dire et écrire ce qui, selon elles, pourrait faire que cela aille
mieux. Autrement dit, à énoncer une parole proposante, que nous donnerons à entendre
-c’est notre engagement- à celles et ceux qui ont la responsabilité « de faire ».
Deux groupes, ont pu être réunis sur la région Rhône-Alpes, un à Lyon, le second à la Côte
Saint-André en Isère pour vivre cette action / expérience. Non sans mal. Il nous a fallu, en
effet, nous frayer un chemin jusque vers « nos » destinataires –personnes en situation de
handicap salariées d’entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire- qui n’existent pas en
tant que « public » identifié, et c’est bien ainsi, tout simplement pour leur remettre notre
invitation. De même, il nous a fallu dire et redire ce qu’était cette invitation : un engagement
libre à faire ensemble un pas de découverte et de réflexion. Un pas seulement, dans le cadre
de ce projet, un pas dont nous savons déjà qu’il a été gros d’autres pas, plus buissonniers
ceux-ci, sortes de figures libres dont les participants ont pris l’initiative.
< 2 > Dire et écrire sur « comment faire mieux »
1
- Actions dont on peut dire qu’elles visent, toutes, à identifier, caractériser/formaliser, ce qui a été levier
(ressource) d’une action réussie d’intégration, dans la perspective de le transférer, de l’enrichir, bref de le
constituer durablement en ressource.
Dire et écrire sur « comment faire mieux » < 3 >
éclats de vie, dits et écrits
Les histoires
Dit et écrit à Lyon
Cinq rencontres ont eu lieu de juin 2004 à janvier 2005 animées par Martine Caillat et
Michel Ronzy. Après la présentation des objectifs de cette action et de la démarche
adoptée : nombre de rencontres, expression orale sur des thèmes proposés puis, pour
ceux qui le souhaitent, écriture de textes, nous avons pris le temps nécessaire à la
construction d’un climat de bienveillance au sein du groupe, pour que l’envie de dire
puis d’écrire se produise.
Une personne n’est pas revenue après la première séance : elle n’a pas bien compris
ce pourquoi nous sommes là, fortement préoccupée par une recherche d’emploi. Cet
événement, somme toute banal, a un grand retentissement dans le groupe : son départ
est vécu comme une exclusion et ce qui se passe semble faire écho à la propre histoire
de certains.
Nous évoquons d’abord le parcours professionnel de chacun mais très vite, les histoires
personnelles apparaissent en filigrane pour prendre presque le pas sur ce parcours. Le
lien entre vie professionnelle et vie privée est trop prégnant. Chacun prend donc le
temps de raconter son parcours personnel, son handicap dans la vie de tous les jours
pour pouvoir revenir sur sa vie de handicapé dans le monde du travail. Une personne ne
peut pas écrire : trop d’émotion et de colère. Martine la rencontre, seule. Elle évoque
son histoire. Martine l’écrit.
Une litanie de verbes, mots et sigles raconte leur « parcours du combattant » souvent
inimaginable : tolérer, frustration, fini, ballotté, noir, émotion, chômage, incompétence,
argent, fragilité, avenir, solitude, temps, douleur, regard, énergie, colère, stages, Adipsh,
Ohé Prométhé, Cotorep, Anpe, Assedic…
Notre conviction est faite . Faire mieux, vivre mieux, appelle un préalable : s’arrêter,
entendre les récits de vie de ces hommes et de ces femmes ainsi que ce qu’ils proposent,
les laisser prendre place en soi, se constituer en ressource. Une de ces ressources, qui
fondent les volontés et font apparaître, ce que l’on ne voyait pas jusqu’alors, des voies
et prises pour engager une progression.
Martine Caillat
Michel Ronzy
HISTOIRE DE MALIKA
C’est l’histoire d’une femme dont la tête ne dort plus la nuit. Pourtant, tout avait bien
commencé. Tout avait commencé comme dans les histoires….
Malika s’était marié et attendait son premier enfant. Elle mit au monde une fille et, comme
toutes les mères, s’émerveillait devant son bébé. Mais son mari était très inquiet. Il
trouvait que sa fille avait les yeux « à la chinoise ». Malika s’offusquait. Pourquoi tenaitil de tels propos ? « Il dit n’importe quoi ! »
Le lendemain de la naissance, le médecin les a reçus tous les deux. Il leur annonça
qu’il soupçonnait une trisomie 21 chez leur fille. Elle serait mongolienne mais il fallait
attendre le résultat du cariotype dans une quarantaine de jours pour en être sûre.
Malika était abasourdie, assommée. Le beau devenait laid. Le monde devenait enfer.
Elle refusa énergiquement cette éventualité et décida de quitter sur le champ l’hôpital
avec son bébé.
De retour chez elle, elle espéra une erreur et attendit les résultats de l’examen. Elle n’avait
même pas le pouvoir de pleurer. Elle pria beaucoup pour que ce cauchemar s’arrête, et
dans les moments de grande détresse, ses prières réclamaient la mort de l’enfant.
Elle ne dort plus dans sa tête la nuit.
Mais il lui faudra admettre la vérité avec le temps et l’entourage ne l’aidera pas dans
cette quête car lui aussi niait la réalité. Pour la protéger, probablement. Elle connaîtra
ces moments de désespoir au cours desquels on ne sait plus ce qu’on fait. On prend
un oreiller pour étouffer le bébé puis on le pose en s’effondrant en larmes, épuisée,
hébétée, perdue, seule, terriblement seule.
A l’issue de cette lutte contre un adversaire invisible, elle décida de se battre. Ce fut le
début d’un difficile parcours : se battre avec l’école qui ne veut pas de l’enfant, supporter
le poids du regard des autres quand elle le porte dans ses bras, vivre avec les accusations
du mari (c’est de ta faute), être sur les listes d’attente des institutions spécialisées, voir
arriver avec crainte les anniversaires qui sonnent le glas des situations acquises, faire
des démarches, toujours des démarches car tout est provisoire et fragile.
Elle ne dort plus dans sa tête la nuit.
< 4 > Dit et écrit à Lyon
Les histoires < 5 >
éclats de vie, dits et écrits
Un jour, c’est l’accident de travail et Malika cesse son activité pendant un an. Elle espère
un reclassement professionnel car elle désire rester dans le même secteur de travail.
Elle le connaît bien et aime ce qu’elle fait. Elle donne beaucoup mais elle reçoit tout
autant. Pensez donc ! Vingt deux ans qu’elle travaille là ! Et maintenant, on lui demande
de se faire reconnaître « travailleur handicapé » !
Elle demande un reclassement professionnel à la Cotorep qui ne s’occupe de rien, qui
s’en moque. Elle relance sans cesse et se retrouve sur la liste d’attente d’une école
pour une formation pour handicapé. Deux ans d’attente pendant lesquels elle vit du
chômage : 3500 F par mois. Puis remise à niveau pendant six mois qui sera rémunérée
et elle entre en 1ère année de BEP.
Handicapé ?
Malika se demande ce qu’elle fait là, dans cette formation. Elle se met à apprendre
l’anglais à son âge et pour quoi faire ? Et les équations ? Il faut chercher une deuxième
inconnue ? Mais où est la première ? Comme il vaut mieux en rire que pleurer, elle
propose de faire appel à Starsky et Hutch pour résoudre le problème. Elle n’oublie pas
non plus les études de textes et découvre les alexandrins, le champ lexical… Et sa
demande de travail dans tout çà ?
Elle le connaît bien ce mot-là. Il fait partie de sa vie, de sa chair. Il est synonyme de
provisoire, fragile, solitude. Elle porte son enfant handicapé depuis des années et si
elle est handicapée elle-même, comment va-t-elle faire ? Elle monte un dossier pour
être reconnue travailleur handicapé. Mais elle est licenciée alors qu’elle attend un
reclassement. Elle ne comprend pas car elle n’a jamais entendu qu’elle ne pourrait pas
retravailler. Elle se met à chercher un autre emploi dans le même secteur d’activité tout
en essayant de faire avancer son dossier d’invalidité, avec pugnacité. Cela veut dire
qu’elle n’a pas l’esprit libre. Elle pense à ce dossier. Elle téléphone et téléphone encore
et encore. C’est qu’il y a trois enfants à assumer à la maison, seule, car le mari n’est
plus là depuis longtemps. Enfin, après un an d’attente, elle sera reçue dix minutes par
un médecin qui la classera dans la catégorie B.
Elle ne dort plus dans sa tête la nuit.
C’est le début des stages proposés par les associations telles que ADAPT, ALPES. Des
niaiseries, dit-elle. A quarante ans, elle découpe du papier comme à l’école maternelle.
Ainsi font, font, font, les petites marionnettes,
Ainsi font, font, font, trois petits tours et puis s’en vont.
Malika ne s’en ira pas comme les marionnettes. Elle reviendra demain. D’ailleurs, c’est
elle la marionnette et ce n’est plus elle qui tire sur les ficelles. A quoi sert ce stage ? A
rien ! Malika demande des explications au directeur. Le découpage, c’est simplement
pour nous occuper car il faut bien faire quelque chose toute la journée ! Cette activité a
aussi pour objectif de resocialiser les stagiaires.
Elle ne dort plus dans sa tête la nuit.
Au cours de cette formation, elle reçoit une proposition de travail : un contrat à durée
indéterminé. En accord avec le directeur de l’école, elle accepte mais deux mois après,
elle démissionne devant les problèmes d’insécurité et d’agression qu’elle connaît. Elle
demande à réintégrer sa formation. Le directeur refuse : il faut repasser devant une
commission de la Cotorep. Encore quelques mois d’attente et elle reprend tardivement
sa formation qu’elle échouera. Elle trouvera un emploi pour deux ans, un remplacement
de congé maternité chez un employeur chez qui elle a fait un stage durant ces quelques
mois de formation. Dans un an, elle n’aura plus d’emploi. Elle y pense beaucoup. La
précarité de sa situation lui prend toute son énergie. Elle ne veut plus être ballottée ou
dans le noir. Elle n’admet pas l’idée d’être dépendante. Elle a toujours été autonome.
Elle espère qu’on va enfin la comprendre, entendre ce qu’elle dit, entendre ce qu’elle
demande : un travail. Mais la Cotorep ne l’aide pas : elle ne lui propose pas de stage, pas
de formation. Elle lui demande de s’adresser à l’ANPE et à CAP Emploi Ohé Prométhée.
Le parcours du combattant continue !
On comprend pourquoi Malika ne dort plus dans sa tête la nuit depuis si longtemps.
« Me resocialiser ? » se dit Malika, « alors que j’ai travaillé dans un service de soins à
domicile pendant 22 ans ! » Elle ne se sent pas reconnue et ne supporte plus d’être avec
des paumés : drogués, alcooliques…Elle s’angoisse, doute d’elle. Elle se rend au siège
de l’association et se fâche : « Mon handicap, il est là » (elle montre son dos), « pas
là ! » (elle montre sa tête).
Elle ne dort plus dans sa tête la nuit.
< 6 > Les histoires
Les histoires < 7 >
éclats de vie, dits et écrits
ROSE, LA PETITE FILLE DE BRETAGNE
LA ROUTE FLEURIE
C’est l’histoire d’une petite fille, Rose, qui est née dans un pays de lande et de genêt. Mais
les fées bienfaitrices ont oublié de se pencher sur son berceau car Rose ne voit pas. Le
malheur veut aussi que sa mère meurt alors qu’elle n’a que deux ans et demi, la laissant
là avec son père, son frère et ses trois sœurs. Comme dans les contes, le père se remarie
et un autre garçon naît de cette union. Rose va à l’école mais elle n’arrive pas à suivre
parce qu’elle voit mal, très mal. Elle se retrouve en pension gratuite dans une école pour
aveugles à une vingtaine de kilomètres de sa maison. Elle y restera de huit ans à vingt
ans. Elle n’en sort que pour les vacances d’été après un mois de juillet passé en colonie
de vacances avec ses camarades de pension.
Il existe une chanson qui commence par « la route fleurie s’en va sous le ciel bleu… »
A la maison, elle ne peut pas sortir. Elle n’a aucun contact avec l’extérieur. Elle n’a pas
beaucoup d’affinité avec ses frères et sœurs et aucune relation affectueuse avec ses
parents. Ils n’ont jamais essayé de comprendre son handicap. Ils ne lui en ont jamais parlé.
De plus, son père l’effraie et elle n’osera jamais lui parler de sa mère. Quant à la belle-mère,
elle reste distante. Rose est exclue de la vie familiale ce qui la rend de plus en plus sauvage
et solitaire. Elle rejette ce handicap qu’elle n’acceptera jamais et qu’elle tolèrera tout juste.
Les mots la tourmentent : accident, alcoolique, récidiviste, assassin, mort, blessures,
souffrance, se battre, vivre.
Jeune fille, elle sort de pension avec le certificat d’études ignorant combien les études
sont importantes pour elle. Mais, en raison de son handicap, le père la traite comme une
débile mentale. Heureusement, une de ses sœurs l’aide et elle obtient une qualification de
standardiste. Elle travaille.
Elle rencontre son mari, aveugle. Son père, mécontent, lui dit : « Il y a assez d’une
handicapée dans la famille ! » Elle a deux filles. Quand elle s’aperçoit que la deuxième a
des problèmes de vision, elle s’arrête de travailler pour être présente et l’aider. Mais le
mari supporte mal le handicap de sa fille. C’est le divorce. Il meurt peu de temps après.
Elle assume donc seule l’éducation de ses enfants.
Un jour, elle rencontre enfin un homme qui l’écoute et accepte son handicap. Elle
découvre qu’elle peut s’intégrer dans le milieu associatif et sportif. Elle tolère alors mieux
son handicap. Elle fait du bénévolat n’ayant plus de travail puis commence un parcours
du combattant pour trouver un emploi : stage, Ces,.formation comme auxiliaire de vie(
métier qu’elle ne pourra pas exercer longtemps), standardiste /accueil/animation dans
une maison de retraite et démarches innombrables, épuisantes et insensées pour obtenir
une formation demandée par l’employeur – Promofaf, DRJSL, CIF, Cotorep, Ohé, Adipsh
– Finalement la formation est annulée et Rose perd abusivement son emploi.
Il existe une histoire dans laquelle la route s’est recouverte des fleurs du deuil pour
l’enfant qui s’en est allé vers le ciel bleu.
Eveline est restée pour entrer dans le monde des handicapés, pour vivre et se
battre aux côtés de son autre fils blessé et de son mari traumatisé. Il lui fallait donc
réapprendre à penser, à parler, à découvrir son corps meurtri, terriblement douloureux
et polytraumatisé et ne jamais oublié dans cette histoire la mort de son enfant.
Il faut se reconstruire physiquement et mentalement. Ce travail n’est toujours pas
achevé aujourd’hui.
Un jour, elle décide de réintégrer le monde du travail. Ne pouvant plus exercer son métier,
elle doit trouver une formation adéquate. L’Anpe l’oriente vers Ohé Prométhé et lui parle
du Cif. La Cotorep, informée des démarches, ne se manifeste pas. Convoquée à des
entretiens par l’intermédiaire de l’Anpe, elle trouve un emploi de secrétaire médicale.
L’intégration est difficile : relation avec le chef, personnel non informé de son statut
d’handicapé, poste de travail non aménagé, divergences financières avec l’employeur.
Les opérations et les soins continuent.
Elle se surprend à se sentir en marge de la société peut-être pour se protéger. Elle s’isole
souvent. Le temps n’efface rien. A côté de la douleur physique, la douleur mentale s’est
installée insidieusement et définitivement.
Elle doit affronter la vie comme les valides seulement… elle est handicapée !
Chante, chante : « La route fleurie s’en va sous le ciel bleu »…
Et comme les fées ne sont toujours pas descendues sur terre, Rose démarche toujours
pour trouver un emploi. Quand viendront-elles ?
< 8 > Les histoires
Les histoires < 9 >
éclats de vie, dits et écrits
LA PISCINE
Victime d’un grave accident de la route, je restais définitivement atteinte de séquelles
irréversibles. Malgré l’excellent travail de l’équipe médicale pour me maintenir en vie,
je rentrais définitivement dans le monde des handicapés.
Durant une année et quelques mois, aidée de l’équipe des soignants, et une force de
caractère dont je suis assez fière, j’ai appris à reconsidérer ce corps totalement meurtri
et inopérant. Donc après avoir vécu à l’hôpital et dans des grands centres de cures,
mon espoir était de vivre, de me fondre parmi les gens valides.
Il faut expliquer mon intérêt pour le sport avant cet accident. Vivant aux pieds des
Alpes, je m’adonnais aux joies du ski trois jours par semaine, et, le reste du temps, je
complétais mon activité sportive par du tennis et de la gymnastique en salle.
J’étais désappointée, meurtrie, et profondément affligée.
Comment pouvais-je être aussi stupide d’imaginer être semblable à cet homme ! Un peu
de bonheur retrouvé m’avait « plongé «dans un univers irréel.
Durant cette longue période de rééducation, je pensais réellement reprendre une vie dite
normale. J’étais aveuglée par ce besoin de normalité. Je ne me rendais même pas compte
de mon état. Il fallait que je m’accepte avec mes différences. Mais plusieurs années après
cet incident, je n’ai toujours pas admis mes infirmités. J’aménage ma nouvelle et définitive
existence dans ce monde d’hommes et de femmes définitivement étrangers.
Eveline Roland
On peut comprendre mon impatience dans la reprise d’un sport. Ainsi, lorsque j’ai enfin
été capable de marcher sans l’aide d’une tierce personne, j’ai décidé de faire de la
natation, seul sport autorisé par l’équipe médicale. Très impatiente, et aveuglée par
mes progrès physiques, je décidais de m’inscrire à la piscine la plus proche de mon lieu
d’habitation. Malgré l’enthousiasme et l’excitation, je décidais de faire part de mon état
au directeur de l’établissement, en ne lui cachant pas mon impossibilité de rentrer et de
sortir de l’eau sans l’aide d’un maître nageur. D’autre part, il me fallait utiliser un masque
pour protéger mes yeux brûlés très sensibles.
Malgré mes exigences, ce Monsieur, fort compréhensif et sensible à ma requête,
accepta mon inscription. C’est ainsi que je nageais avec un plaisir féerique deux fois
par semaine durant un trimestre. Il faut savoir que pour une personne qui a tant de
mal à se déplacer, l’eau annihile toute douleur et poids. Quelle merveille de manœuvrer
son corps avec une telle facilité et sans souffrance. Je jouissais d’un tel bonheur, qu’il
m’arrivait d’oublier mes infirmités.
Ma félicité m’a laissé imaginer mon invisibilité dans le monde des valides. Il faut dire
que le personnel de la piscine jouait son rôle à merveille, et nous avions même tissé des
liens d’amitiés. Mon kinésithérapeute, que je voyais moins, notait des progrès autant
physiques que psychiques.
Cependant, un jour, un monsieur vint me voir, pour me signifier, « qu’il y avait des lieux
tout à fait adaptés à mon cas, et qu’il serait bon de les fréquenter «. A cet instant, je
suis restée pétrifiée, anéantie, muette, dans l’impossibilité de lui répondre. Je le
regardais s’éloigner, avec, comme seule réponse, mes larmes, et totalement abattue.
J’ai ramassé ma serviette, et suis partie à la maison remplie d’une tristesse déchirante.
< 10 > Les histoires
Les histoires < 11 >
éclats de vie, dits et écrits
RESSENTIS D’UNE RECHERCHE D’EMPLOI
Diagnostic.
Maladie orpheline, évolutive, héréditaire.
Limité. Plus courir. Marche difficile. Debout pénible.
Douleurs, traitement, effets secondaires.
Au chômage.
Inscrit aux Assedic.
Attente d’un rendez-vous.
Date indéterminée…
Période de carence.
Aucun revenu.
Travailler rapidement pour ne pas mettre en danger le budget familial.
Reconversion ?
Le statut de Travailleur Handicapé m’est-il favorable ?
Taire mon handicap ?
Me faire embaucher dans une entreprise en cachant ma maladie.
Me mettre en arrêt longue maladie avec hospitalisation.
Pour voir mon dossier Cotorep avancer.
Chômeur = impasse
Etre informé rapidement des démarches à entreprendre.
Attendre un mois avant d’être entendu.
Connaître les entreprises et les administrations sensibles au problème du handicap.
Rencontrer des personnes dans mon cas.
Administrations quasiment inaccessibles au téléphone.
Monde où tout est cloisonné.
Personne ne sait ce que fait l’autre dans le domaine du handicap.
Je vais à la pêche aux informations.
Je me tourne vers vous dans l’espoir de…
Merci de me répondre même si c’est pour me dire « je n’en sais rien » ou « allez voir ailleurs ».
J’en ai l’habitude.
Au moins, je saurai que vous avez lu !
M’en sortir si je reçois un minimum d’aide et de conseils.
Apprécierai franchise.
SOLITUDE
C’est l’histoire d’une jeune femme qui connaît la solitude née des non-dits de son histoire.
Elle vit une enfance dans l’isolement, ignorante des circonstances de l’accident qui lui a
ravi sa mère et qui l’a handicapée à vie alors qu’elle est encore bébé.
De cette enfance, elle se souvient des accompagnements de sa belle-mère chez le
kinésithérapeute ou chez le bottier pour les chaussures orthopédiques et les attelles. Et
le casque porté pendant neuf années ! Elle n’était pas comme tout le monde.
Opérations à dix ans, à dix-neuf ans. Scolarité laborieuse. Nouvel accident de voiture
et traitement médicamenteux à vie. Elle a du mal à envisager un avenir professionnel.
Elle part pour une mission humanitaire au Liban travailler auprès d’enfants défavorisés.
Mais elle a beaucoup de difficulté à aller vers les enfants, à les accepter pleins de vie.
C’est une épreuve insupportable.
Elle découvre à quoi sert une famille et réalise que tout individu a besoin de relations
pour vivre. Cette prise de conscience l’entraîne dans plusieurs années de grave
dépression. Il lui faut faire le deuil de sa mère aimante, accepter son handicap, prendre
conscience de sa peur à aller vers les autres.
Durant toutes ces années-là, elle travaille, en France, de petits boulots, obtient un
contrat emploi solidarité de standardiste. Elle sollicite Ohé Prométhée pour une aide
dans ses démarches à trouver un emploi à l’issue de ses deux ans de C.E .S Mais ce
sera « un coup d’épée dans l’eau ». Par contre, ses démarches avec l’Adipsh aboutiront
et un suivi des démarches administratives est en place avec l’employeur.
Les relations dans le travail lui sont difficiles à vivre. Elle a besoin d’un soutien. La
moindre pression la stresse. La moindre tension la perturbe. Il lui faut analyser, mettre
des mots sur ce qu’elle vit pour réagir positivement.
Aujourd’hui, la solitude est toujours présente. Pour lutter contre, louer une chambre de
son appartement est une des réponses. Présence précieuse pour rythmer sa vie.
Reste un projet pour que l’avenir repousse la solitude vers des frontières acceptables…
Salutations
< 12 > Les histoires
Les histoires < 13 >
éclats de vie, dits et écrits
Dit et écrit à La Côte-Saint-André
Les paroles
À la demande du CCRA, un atelier d’écriture a été créé à l’automne 2004 à La Côte-SaintAndré, avec des personnes accompagnées par l’APAJH et ISSUE, deux associations bien
implantées localement. Les participants à l’atelier ne se connaissaient souvent que de vue
avant de se lancer dans l’aventure. C’en était une, puisqu’il s’agissait d’une part d’exprimer
leur vécu et leurs espoirs à partir d’une différence, celle d’un handicap, d’autre part de le
faire à travers l’écriture, un mode d’expression qui souvent fait peur, est semé d’embûches
ou de blocages.
La présence de l’écrivain animateur a sans doute contribué à rassurer chacun, et les liens
qui se sont noués ont permis de profiter très vite d’un véritable esprit d’équipe. La méthode
utilisée a consisté à partir des mots qui habitent chacun et lui viennent à l’esprit quand il
repense à un premier emploi adapté, au démarrage d’une nouvelle activité accompagnée,
ou à une démarche administrative difficile. Cette liste de mots ainsi constituée a été enrichie
par une recherche de vocabulaire qualifiant le monde sensoriel : couleurs, sons, etc, auquel
on ne pense pas toujours faire appel quand on écrit.
Avec cette provision de mots un premier texte a été réalisé, racontant une des expériences
évoquées ci-dessus. Les autres séances d’atelier ont été consacrées à un travail d’écriture
sur le regard des autres, tel qu’on le ressent ; sur les propositions ou revendications que
l’on porte à l’égard des employeurs et des administrations ; sur les changements qui
peuvent aussi se décider et s’opérer en soi-même ; sur la façon d’exprimer tout cela de
façon synthétique et pour un public plus large, en trouvant la juste distance, à travers la
rédaction d’un article pour un journal local.
La lecture de ces textes en fin de chaque séance allait permettre au groupe d’écouter et de
s’approprier la parole de chacun. Il est sûr que bien des expériences évoquées ont provoqué
des temps de partage, de discussion, au risque d’oublier parfois l’objectif commun : l’écrire !
C’est le rôle de l’animateur que de ramener le groupe à sa raison d’être : le passage à
l’écrit. De l’aider aussi à respecter et intégrer le rythme d’écriture de chacun : s’attendre,
là aussi.
Des lignes de force ressortent nettement. Ce ne sont pas toujours des concepts mais des
images qui, heureusement, habitent ces textes. On entend ainsi parler de tempête sous le
crâne, de galère noire, de naître une seconde fois, de faire le ménage dans son cerveau…
Ces images ont une force que n’ont pas toujours nos expressions rationalisées. Elles sont
pourtant insérées dans une réflexion. C’est la différence que porte en elle une parole.
Hervé Bienfait
< 14 > Dit et écrit à La Côte-Saint-André
D’ABORD EN QUELQUES MOTS…
Compliqué
Pas clair
Peur d’oublier quelque chose qui pourrait…
Rature, peur des ratures
Pas pour moi
Pas compréhensible
Noir
Interpeller
Solliciter
Aider
Ressusciter
Gérard
Mal vu
Difficulté
Colère des gens autour
Réapprendre à marcher, à manger
Deuxième naissance (9 mois de coma)
Me débrouiller seul
Difficulté
Couleur rouge
Jean-Luc
Philippe
Phobie (qu’est-ce qui va encore me tomber
dessus ?)
Durée d’emploi (toujours trop courte)
Compréhension des tâches
Occupation
Damien
Vigilance
Faire le pas, la démarche
Passer la porte
Plein d’étapes
Lettre de motivation
Présentation
Galère
Tourner en rond
Vert et bleu au jardin
Jean-Luc
Angoisse
Révolte
Colère
Soulagement
Pourquoi ?
Reconnaissance
Galère noire
Les paroles < 15 >
éclats de vie, dits et écrits
UN MOMENT DIFFICILE REVIENT EN MÉMOIRE
C’était au mois de novembre 1981. J’étais en voiture, sur cette petite route de campagne,
quand un gibier a traversé. J’ai voulu l’éviter, et la voiture a fait des tonneaux. Je suis resté
six mois dans le coma. Quand j’en suis sorti, j’étais une autre personne. Il m’a fallu un fauteuil
roulant. Plus tard, avec de la volonté, j’ai pu remarcher. Au bout de quelques années, je suis
allé voir une assistante sociale, qui m’a dirigé vers un centre à la Côte-Saint-André. Là, j’ai
appris qu’il y avait un jardin. Je me suis inscrit, et depuis, j’y retourne volontiers. C’est grâce
au centre et au jardin que j’ai pu remarcher. C’était une deuxième naissance.
Jean-Luc
Les démarches administratives sont une corvée pour moi. Je devais franchir le pas, interpeller
une administration pour une aide financière, car mes finances étaient dans le rouge. Il fallait
solliciter une personne, lui faire part de mes problèmes, me mettre à nu devant elle, moi qui
suis de nature à ne rien demander à personne…
Malgré mon angoisse, je décidai d’aller l’affronter. Je me retrouvai donc à la permanence
de la CAF, sans conviction aucune. En arrivant, je constatai que je n’étais pas le seul
à faire cette démarche, ce qui m’encouragea. Quand mon tour arriva, j’avais le ventre
noué par l’angoisse, j’avais peur d’être l’exception à la règle. Je pris mon courage à
deux mains pour expliquer mon cas. Devant moi, une personne assez froide me répondit
qu’il fallait remplir un dossier de cinq pages, et que cela passerait en commission. Mon
sang se glaça. Je serais donc obligé de remplir ce dossier compliqué, pas clair, de
mes propres mains ! Avec l’angoisse de faire des ratures, et surtout d’oublier le plus
important. Je devais solliciter quelqu’un qui puisse m’aider moralement, et apaiser
cette tempête sous mon crâne.
Avec l’APAJH j’eus cette satisfaction, et cela m’enleva une bonne épine du pied. J’avais
l’impression de ressusciter, d’entamer une nouvelle vie. Le noir qui était dans ma tête
semblait s’estomper.
Philippe
C’était, je pense, en 1997. J’avais démissionné de mon CAT et il me fallait refaire une demande
de reconnaissance de travailleur handicapé auprès de la COTOREP. J’étais resté encore un
an au Foyer du CAT et, conseillé par mon éducateur (je n’avais pas bien compris la situation),
j’ai effectué la démarche. Quelques mois plus tard, je n’ai plus touché mon AAH, alors que
j’étais père de famille. Heureusement, je percevais encore une petite pension d’invalidité !
J’ai contacté le maire de mon village, qui m’a proposé quelque temps après de contacter un
service d’accompagnement. Cela m’a permis d’accélérer la démarche et de retrouver mon
AAH. Résultat, c’est une leçon : comme vous l’a dit Jean-Luc, il faut toujours rester vigilant !
< 16 > Les paroles
Angoisse, parce qu’à l’époque j’en étais prisonnier
Galère noire, et surtout angoisse noire.
Révolte, parce qu’un peu paranoïde
Colère, parce que humain
Pourquoi ? Analyser la situation
Soulagement, au niveau financier
Reconnaissance, merci pour l’aide
Gérard
Après avoir travaillé plusieurs mois dans différents ateliers de serrurerie et charpente,
suite à une opération, j’ai été amené à changer d’activité et à choisir quelque chose de
moins physique. Après une galère de deux ou trois ans d’assurance, de chômage et de
petits boulots, j’ai poussé la porte de l’Alpe et, sur une annonce et le conseil d’une personne,
j’ai décidé de faire le pas et de me présenter au « Jardin ». Aimant le contact humain et
l’approche des personnes, j’avais là une possibilité de les faire bénéficier de mon expérience
professionnelle. Après quelques entretiens l’association m’embauchait comme animateur
en insertion sociale et professionnelle.
Jean-Luc
En janvier 2004, j’ai été embauché par mon voisin, qui est responsable d’une entreprise
de maçonnerie. La veille, je me suis demandé (comme c’est souvent le cas) ce qui allait
m’arriver, que ce soit en bien ou en mal, surtout en mal. Pour mon voisin, mon embauche
tombait à pic, vu qu’il était seul avec un employé et manquait de main d’œuvre pour un
chantier situé quelque part dans la région lyonnaise.
Le premier jour, tous deux m’ont expliqué la préparation du mortier (eau, sable, ciment), ainsi
que d’autres choses. Quand ma tâche était terminée, je cherchais toujours quelque chose à
faire, par exemple le ramassage du matériel qu’on avait utilisé.
Si le deuxième jour a été semblable au premier, le troisième, par contre, a été un désastre.
J’étais monté sur un échafaudage, et c’est seulement là, une fois monté dessus, que j’ai senti
que j’étais sujet au vertige. Quand je suis redescendu, je ne tenais pas debout, je me suis
pris une dizaine de fois au moins la tête dans les échafaudages, ce qui a fini par provoquer
en moi une crise de nerfs. Du coup, mon voisin, compréhensif, m’a mis illico à l’écart du
chantier, jusqu’à la fin de la journée.
Au retour, il m’a dit que ce n’était pas la peine de revenir le lendemain. Mais, bien que
la durée de cet emploi ait été trop courte, mes relations avec lui sont demeurées au
beau fixe.
Damien
Les paroles < 17 >
éclats de vie, dits et écrits
Le regard des autres,
cela peut commencer par soi.
Comment on se situe par rapport aux autres…
Par exemple, si quelqu’un vous énerve,
il le sentira peut-être…
Eh bien, après une longue période négative,
un beau jour,
vous lui dites bonjour en souriant
et il vous répondra.
Peut-être pour ses raisons.
Le pire ennemi de soi, c’est soi-même.
LE REGARD DES AUTRES
Les autres qui regardent
si l’on est capable de supporter, de travailler…
Être dans un fauteuil roulant, dans un magasin, et faire les courses,
ne jamais être aidé pour prendre les articles dans les rayons.
Pas aidé non plus à la maison, pour les bains, etc.
Avoir une maladie non reconnue, être handicapé,
avoir du mal à marcher, ce qui n’est pas reconnu non plus.
Je veux travailler et pas recevoir de l’argent de la COTOREP,
même s’il est dur de supporter les douleurs.
Lydie
Gérard
Le regard des autres a toujours été un problème, car je suis d’un tempérament cool, ne
suis pas assez incisif : tout le monde pense que je n’ai pas de caractère, et dans la vie
d’aujourd’hui c’est une tare. Il faut faire sa place, se forger une image de battant, si l’on veut
survivre. Il faut être le meilleur, comme l’animal dans un troupeau ; le plus faible est laissé de
côté, ou devient le bouc-émissaire des autres.
Le regard des autres :
Accepter la différence
Soutien
Encouragement
Incompétence
Mésentente
Mépris
Damien
Il y a parfois le regard froid, le désintérêt
de certaines personnes, étrangères à la famille.
Mais j’ai gardé aussi de bons copains
qui m’ont bien encouragé et remonté le moral,
ainsi que mes parents qui n’ont jamais baissé les bras.
J’ai des parents formidables.
J’ai eu l’impression de n’intéresser personne,
on ne tenait pas à discuter avec moi…
Mais j’ai gardé de bons copains d’enfance
Qui m’acceptent comme je suis.
J’ai l’impression parfois
de voler l’argent de la société
ou de vivre sur son compte.
Mais comme j’ai travaillé j’ai cotisé,
et donc je touche de l’argent.
Se forger une identité, avoir un travail, et non pas se trouver en maladie, ce que me reproche
un peu ma propre famille. J’ai beau leur expliquer ma situation, ils ne comprennent pas.
J’aimerais mieux qu’ils me soutiennent comme le fait l’APAJH, moralement et financièrement.
Mais il n’en est rien. Il me faut me débrouiller ailleurs, aller voir des étrangers et des
administrations pour obtenir un soutien moral et financier, mais m’entendre dire que je gère
mal mes affaires.
Mais les ressources auxquelles j’ai droit du fait de mon handicap sont assez faibles. Peutêtre devrais-je retravailler, pour me forger une nouvelle identité, me valoriser, me sentir
mieux dans ma peau ? C’est de toute façon mon espérance, le but que j’essaie d’atteindre.
Philippe
Jean-Luc
< 18 > Les paroles
Les paroles < 19 >
éclats de vie, dits et écrits
Une autre histoire
IL ARRIVE PARFOIS QU’UN ROCHER BIEN PLACÉ DÉTOURNE
LE COURS D’UN FLEUVE…
Il y a de la pudeur chez JC, pudeur qui n’est ni une réserve, ni un isolement, mais une façon
d’être en simplicité, présent à ce qui se passe, présent à celles et ceux qu’il rencontre. Nul
besoin de mots éclatants pour dire ce qu’il a enduré et endure sans doute encore dans son
corps, dans son être. Nul besoin de l’escamoter non plus. Besoin de vivre seulement.
Vivre, se former, dans la difficulté de l’apprentissage,
Accepter de chercher beaucoup, apprendre la patience,
Etre tenace, encore plus tenace,
Se forger sa voie.
Saisir l’appui que lui offrent les services spécialisés. D’abord, un stage à la Cotorep, qui se
passe bien : JC y traite les appels téléphoniques, des appels en nombre. C’est dur, mais cela se
passe bien et le bilan de son travail est positif. Puis, un détachement de l’Atelier Protégé qui le
reçoit, au sein d’une caisse de retraite mutualiste qui prépare la mise en film de ses archives :
JC trie, met en ordre, reconstitue les carrières, il le fait bien, atteint la performance requise 80
dossiers/jours. Mais la mission se termine, JC entreprend alors de compléter sa formation.
Communication, bureautique, minitel, législation du travail, correspondance, gestion des
appels téléphoniques sur console informatique, accueil « savoir être, savoir paraître », stages
d’application y compris un stage d’immersion dans la langue anglaise à Birmingham.
Le cours du fleuve est détourné, juste un peu, juste assez. JC sait quelle a été sa part. Il sait
aussi que plusieurs bras ont été nécessaires pour bien placer ce rocher de la réussite. Bras
des services spécialisés, bras de la Macif…. autres bras ?
JC apprécie d’accueillir les sociétaires et des les orienter en fonction de leurs demandes,
petites ou grandes histoires de vie, et de sa connaissance fine de la machine MACIF
JC apprécie les conditions matérielles de son travail et la qualité de ses relations avec ses
collègues et responsables.
JC, en une certaine façon, est fier de travailler pour la 1ère Mutuelle de France. Il prend sa
part à une activité économique performante et rigoureuse au sein de laquelle l’entraide
mutualiste est effective : ici, « on ne va pas te laisser de côté ».
JC conjugue cette phrase avec cette autre qu’il dit plusieurs fois « ne pas hésiter à se
remettre en question. » Il le dit pour lui d’abord, et il le dit aussi comme une invite que chacun
peut entendre
Façon de se tenir prêt. Prêt à se mettre, et à mettre « en mouvement ». Vivant.
Sa palette pour orienter et accueillir, deux activités qui lui conviennent bien, s’enrichit. Mais
le diplôme lui échappe. JC pense que « cela n’empêche pas ».. Il a déjà tenu avec succès, ici
et là, ces fonctions, alors, il continue, cherche, cherche, dépose des CV.
Un jour, cela prend. Un jour, s’établit le contact avec la MACIF.
Ensuite
JC téléphone
JC est reçu en entretien
JC prend son poste d’agent d’accueil
JC bénéficie d’une formation interne
JC effectue sa période d’essai
JC devient titulaire : embauché, reconnu
Ici, JC sourit.
< 20 > Une autre histoire
Une autre histoire < 21 >
éclats de vie, dits et écrits
Nos éléments d’analyse
DES EMPLOYEURS
L’employeur embauche souvent une personne handicapée par intérêt, pas par engagement.
Or, on sait très bien que sans la volonté de l’employeur, et sans la reconnaissance du
handicap dès l’embauche, la réussite de l’intégration est compromise.
L’employeur ne cherche pas à connaître le travailleur handicapé.
A l’embauche d’un salarié handicapé, il perçoit des aides de l’Etat pendant deux ans. Il
le sait bien ! Mais il ne participe pas à l’aménagement du poste de travail et ne remplit
pas les dossiers AGEFIPH pour obtenir des subsides pour financer cet aménagement.
Cependant, les apparences sont sauves : on emploie un handicapé !
L’employeur avouant ne pas embaucher d’handicapé parce qu’il ne peut pas ou ne sait
pas est préférable à celui qui embauche pour profiter du système.
Dans l’entreprise, les délégués du personnel ne sont pas informés du handicap d’un salarié.
Au niveau des DRH, la personne handicapée est soumise à l’engagement de celui avec
qui elle est en relation. En cas de changement de personne, tout est remis en question.
DE L’EXERCICE DU TRAVAIL ET DE SES CONDITIONS
La personne handicapée a besoin d’un surcroît de temps ce qui est, la plupart du temps,
nié dans le monde du travail. Le rythme de travail trop soutenu a des conséquences
sur l’état de santé, l’évolution de la maladie. La douleur est mal prise en compte ou ne
l’est pas du tout dans le monde du travail et le monde handicapé.(« Ne serait-ce pas
psychique ? ») On n’en parle jamais. Pourtant, elle est bien réelle, « elle ne s’arrête pas
à la porte de l’entreprise », et rend moins performant. Beaucoup de temps perdu dans
d’innombrables visites médicales, renouvellement de papiers : le combat au quotidien
épuise.
Quelques réflexions :
« Je ne vais pas m’étendre sur mes conditions de travail », dit l’une des participantes,
« je n’en ai pas envie et j’en suis encore très troublée » .
Les conditions de travail font exploser le poste et il y a obligation de résultat.
« Je ne peux pas être rentable », s’insurge une autre, « je ne peux qu’aller dans une
association. Je n’ai pas le choix. Et pourrais-je avoir un jour un vrai contrat, CDD ou
CDI ? Je n’ai connu que les CES ! »
< 22 > Nos éléments d’analyse
Des réflexions significatives :
« Je suis performante parce que je travaille à mi-temps. Je ne le pourrais pas à plein
temps ce qui veut dire que le reste du temps, je suis fatiguée, voire très fatiguée. »
« L’employeur a accepté que je sois un peu plus lente mais, peu à peu, au bout de
quelques mois, cette bienveillance a disparu. »
« Il est difficile de dire sa difficulté quand on est en situation d’infériorité. » Difficile
« d’oser dire ses propres limites », dire et redire.
« J’arrive plus tôt au travail pour me mettre en route. Les collègues me le reprochent : “ce
n’est pas bien ce que tu fais !“ ».
Tensions. Marginalisation.
DES DISPOSITIFS
Il manque quelque chose face aux institutions. Avec les administrations et les associations,
il y a des murs à franchir. Elles ne parviennent pas à informer correctement.
Dès que la personne handicapée entre dans le monde du travail, quelqu’un de l’ADIPSH
doit l’accompagner et l’aider : « On ne voit personne ou très peu. C’est grave. »
A l’ANPE, impossible de rencontrer la personnes chargées des dossiers des travailleurs
handicapés : « N’importe qui peut s’occuper de votre cas ! » Néanmoins, le dossier
n’avance pas car « il est très compliqué ! »
La COTOREP est à plusieurs centaines de mètres du métro et il n’y a pas de parking pour
les Handicapés. Par contre, il y en a un pour le personnel.
QUELQUES PISTES POUR QUE CELA AILLE MIEUX
◗ Sensibiliser les employeurs à l’accueil des travailleurs handicapés.
◗ Former les collectifs, les DRH, les cadres, les délégués du personnel à l’accueil du
travailleur handicapé et il n’aura pas à raconter sa vie, à dévoiler son intimité.
◗ Egalité devant l’emploi : des handicaps font plus peur que d’autres.
◗ Aménagement du temps de travail.
◗ Aménagement du poste de travail.
◗ Rendre les administrations accessibles (Assedic, CPAM, Cotorep…). Elles ne répondent
pas au téléphone ou rarement. Il faut se déplacer pour prendre rendez-vous.
◗ Améliorer la qualité de l’orientation des personnes lorsqu’elles ont à se former pour
se reconvertir.
◗ Créer des associations pour avoir du poids face aux institutions.
Nos éléments d’analyse < 23 >
éclats de vie, dits et écrits
Nos propositions
DES CHANGEMENTS DANS LES ADMINISTRATIONS
◗ Simplifier les papiers administratifs, qui sont trop difficiles à comprendre, et donc à remplir.
◗ Proposer davantage de permanences, tenues par des personnes davantage formées à
l’écoute des gens, et plus accueillantes.
◗ Rendre plus rapides les démarches, plus facile le contact des personnes concernées.
◗ Mettre plus d’argent à disposition (budget de l’Etat).
DES CHANGEMENTS CHEZ LES EMPLOYEURS
◗ Certains mériteraient qu’on leur impose le respect envers les travailleurs handicapés.
◗ Aménager davantage de postes. Qu’il y ait davantage de machines mises à la disposition
des personnes handicapées, et donc plus de travail pour elles.
◗ Instaurer une aide de l’Etat : allégements fiscaux, etc.
DES CHANGEMENTS EN SOI-MÊME
◗ Ne pas être fataliste.
◗ Être à l’écoute des autres.
◗ Sortir de chez soi.
◗ Relativiser, prendre du recul.
◗ Faire le ménage dans son cerveau.
◗ Se soigner.
◗ Être plus fort, se cultiver, apprendre à faire de nouvelles choses. Nouveau métier ?
« Je pense que tout vient de l’angle de vue selon lequel on se place. Je m’explique : il faut
faire un gros travail sur soi-même pour vivre avec les autres. C’est très difficile, voir risqué,
mais il n’y a pas d’autre chemin si l’on veut vraiment vivre sa vie. J’ai eu la chance de ne
pas travailler ces dernières années, je le reconnais, mais je ne vis pas dans la facilité pour
autant. Nous sommes tous interdépendants, l’autre est un peu une partie de moi-même, et
réciproquement. J’ai une grande paix dans mon cœur. “La paix du cœur est le paradis des
hommes“, disait Platon. »
DES CHANGEMENTS DANS LE REGARD DES AUTRES
◗ Sensibiliser la population envers les personnes handicapées (campagnes médiatiques…),
afin de faire accepter la différence.
◗ Moins de discrimination, plus d’écoute et de compréhension.
◗ Moins d’isolement de la personne handicapée.
◗ Ne pas laisser les handicapés de côté. Pas de moquerie.
« À la sortie de l’hôpital, certaines personnes, certains même de mes amis, avaient presque
pitié de moi. Par contre, d’autres qui ne me connaissaient pas et n’étaient pas au courant
de mon accident, se moquaient de moi. Mais ils ne savaient ce qui peut leur arriver…
Maintenant les gens sont plus compréhensifs. J’ai fait des progrès pour la marche. J’essaie
encore de cacher le plus possible mes problèmes, mais aujourd’hui j’ai autour de moi
beaucoup de personnes qui me comprennent. »
< 24 > Nos propositions
Nos propositions < 25 >
Remerciements
Aux marcheurs
Du groupe de Lyon
Malika Gacem, Emmanuel Goineau, Rose Hémon, Jérôme Faure, Jean-Christophe
Mortier, Eveline Roland et plus occasionnellement Siré Bérété.
Du groupe de La Côte-Saint-André
Philippe Chenevas, Damien Bouvier, Gérard Charron, Jean-Luc Thévenon, Jean-Luc
Mottin, Lydie.
Aux marcheurs accompagnateurs
Hervé Bienfait, écrivain, animateur d’atelier d’écriture.
Martine Caillat, conteuse et formatrice à l’art du conte, animatrice d’atelier de
parole et d’écriture, collectrice de récits de vie.
Michel Ronzy, chargé du département Economie Sociale et Solidaire au Collège
Coopératif Rhône-Alpes et responsable du projet Manager les différences.
Aux facilitateurs de ce parcours
Lionel Chavanne, André Dumas, ADIPSH Cap Emploi - Villeurbanne.
Gilles Davaze, Collège Coopératif Rhône-Alpes - Lyon.
Jean-Pierre Frayssines, Association ISSUE - La Côte Saint-André.
Anne-Marie Abattu, Pascal Defranoux, François Galatioto, APAJH Accompagnement
- La Côte Saint- André.
ADIPSH : Association Départementale pour l’Insertion Professionnelle et Sociale
des personnes Handicapées.
ISSUE : Passage offrant la possibilité de sortir, ou action de chercher un chemin,
une issue, ou encore comme un aboutissement, une fin, un résultat, une heureuse
issue. Cette définition donne l’objet de cette association proposant des activités,
comme supports à la relation.
APAJH : Assocation pour Adultes et Jeunes Handicapés.
< 26 >
Remerciements < 27 >
conception : Cnossos

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