Qu`est-ce qui peut pousser un groupe de gens à se mettre d`accord
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Qu`est-ce qui peut pousser un groupe de gens à se mettre d`accord
Les premières pages (2/5) du texte de Rodrigo García à propos de la censure paru dans Barullo en 2015 Le messager des Asturies Qu’est-ce qui peut pousser un groupe de gens à se mettre d’accord pour censurer ? Qu’est-ce qui peut inciter une série d’individus à se regrouper (et à perdre leur individualité, voire à se diluer) dans le but d’interdire certaines des libertés et des droits d’un artiste ? C’est la première question. Permettez-moi de souligner l’idée de groupe, ce qui revient plus ou moins à dire de bande ou de clique. Pris chacun isolément, œuvrant seuls et en leur nom, ils n’oseraient pas faire grand-chose. Ce n’est pas qu’ils manquent de courage, c’est que, loin de la protection du groupe, il leur manque l’émotion, la commotion et l’irrationalité, c’est-à-dire le carburant qui fait avancer ce sinistre moteur. La solitude, en revanche, les met à la merci du grand ennemi : la réflexion. Se connaître soimême. Lors de plusieurs de mes spectacles, voilà comment les censeurs se présentaient à l’entrée des théâtres : en bande, comme les ultras au football. Avec l’intention de saboter les représentations, puisqu’ils n’avaient pas pu les faire interdire. 57 © Les solitaires Intempestifs, 2015 J’ai dû supporter chaque soir des groupes de fanatiques catholiques face aux portes du Théâtre du Rond-Point, à Paris, pour ma pièce Golgotha picnic. Et j’ai dû supporter des groupes de fanatiques défenseurs des animaux face aux portes du Teatro I de Milan et de bien d’autres théâtres où ma pièce Accidens était jouée. C’est toujours pareil. Il n’y a jamais personne à qui associer un visage, un nom, un passé, une histoire personnelle, afin de pouvoir débattre. La masse avance masquée derrière les sigles d’un rassemblement. Emmanuel Levinas dirait que cette foule n’a pas de visage. S’il n’y a pas de visage, il n’y a ni dialogue ni entendement. Comme quand on plonge un cachet d’AlkaSeltzer dans un verre d’eau, l’effervescence de la troupe exaltée grandit en prévision de l’intimidation à venir. Ces bandes Alka-Seltzer/idéologiques ne sont pas sans rappeler une forme de régression, un retour à l’adolescence. Disons que le groupe est le lieu parfait depuis lequel exercer la violence et qu’aux antipodes se trouve la vocation oubliée du solitaire. La solitude est le paysage adéquat à la réflexion, l’endroit où nous nous préparons à la deuxième étape : dialoguer. En usant de notre lumineuse solitude, nous devrions nous interroger sur les raisons occultes qui parfois nous poussent à attenter à la liberté d’expression d’autres individus. D’où vient cette rage ? 58