FORMATION SUR LE FILM MUKSIN de Yasmin Ahmad Le mercredi

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FORMATION SUR LE FILM MUKSIN de Yasmin Ahmad Le mercredi
FORMATION SUR LE FILM
MUKSIN
de Yasmin Ahmad
Le mercredi 17 octobre 2012, l’association Collège au Cinéma 37 recevait Boris Henry, professeur en Histoire du
cinéma à Marseille pour parler du film Muksin de Yasmin Ahmad programmé pour les élèves de 6ème/5ème.
ANALYSE DE LA PREMIERE SEQUENCE DU FILM
Le premier plan montre le cahier d’écolier d’Orked : « Au nom de Dieu, le Clément, le tout miséricordieux ». Le
texte est en Chinois puis en Arabe en surimpression ce qui a posé quelques problèmes à Yasmin Ahmad en
Malaisie où la religion est musulmane. Ceci a été perçu comme une provocation.
Yasmin Ahmad (1958-2009), musulmane pratiquante, tenait compte des heures de prière pour le tournage de
ses films. On lui a reproché de montrer dans ses films un Islam pas forcément pratiqué ou alors d’une façon
souple.
Yasmin Ahmad filme d’assez loin avec des plans fixes ou de légers mouvements de caméra. Elle filme souvent
dans des plans plutôt de demi-ensemble ou des plans moyens donc des plans assez large. Dans le film, il y aura
rarement des plans serrés.
Dans le premier plan, nous sommes au fond de la salle de classe et il y a un léger panoramique à la sortie des
élèves.
- Le cadrage :
Yasmin Ahmad choisit les plans en fonction des lignes de force comme par exemple plusieurs plans dans l’école
où il y a des poteaux cadrés de manière symétrique formant une construction géométrique, cadrages que nous
allons retrouver tout au long du film. En effet, elle joue sur les encadrements et les cadres dans les cadres : les
personnages sont vus dans un encadrement de portes, de fenêtres (exemple : la tante de Muksin et de Hussein à
la fenêtre de sa maison). Pour Boris Henry, la mise en abyme des cadres est un élément fort au cinéma et il est
intéressant de jouer sur le fait qu’il y ait un cadre de la caméra et de l’écran : nous pouvons jouer sur la
redondance de ces cadres. Gilles Deleuze dans ses livres L’image-mouvement et L’image-temps explique que
beaucoup de cinéastes ont joué sur le redoublement du cadre : c’est la marque des grands cinéastes (Alfred
Hitchcock, Fritz Lang, John Ford…).
Yasmin Ahmad s’inscrit dans cette tradition
avec, notamment, le plan où les créanciers
viennent chercher le fauteuil où Orked dort (41
min 23 sec) : la caméra est placée derrière
l’embrasure de la porte de façon à ce que nous
voyions l’ombre de la porte et l’extérieur. Cette
mise en valeur est parfois esthétique et parfois
signifiante.
A l’école, les piliers soulignent un enfermement
redoublant l’agression du jeune garçon. Tout
comme Orked jette le cartable par la fenêtre
du bus, le fait qu’il y ait cette lucarne rend la
chose
encore
plus
burlesque,
plus
impressionnante. Cette action permet de noter
le fort tempérament d’Orked.
Quand Orked sort du bus, il y a une haie, qui
représente un cadre.
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- Les trajets :
Le bus scolaire est la première occurrence de trajet, trajets qui reviennent tout au long du film. Il y a une
symbolique du déplacement :
- Le trajet du bus scolaire,
- Le trajet de la vespa rouge,
- Les trajets en vélo,
- Les trajets en voiture des parents d’Orked.
La Vespa, comme le vélo, est une métaphore du transport amoureux ; dans les deux cas, le trajet dit d’autres
choses aux spectateurs : par exemple, pour le premier trajet en vélo de Muksin et Orked, ils passent devant la
maîtresse qui montera sur la Vespa, dont le vélo est une sorte d’équivalent pour enfants et adolescents.
Les moyens de locomotions nous donnent des informations sur le niveau de vie des habitants. Les parents
d’Orked peuvent se payer une voiture et ont une gouvernante, Kat Yam, et les voisins n’ont qu’un scooter.
Le film est subtil et évoque des sujets dont le spectateur s’aperçoit ensuite qu’ils sont plus compliqués qu’il n’y
paraît, comme par exemple la voisine qui défend les coutumes mais qui finalement aura du mal à accepter que
son mari prenne une seconde épouse.
Deux choses intéressantes dans ce film : le ton moqueur et le burlesque. La passion pour Chaplin de Yasmin
Ahmad se ressent dans le film ; les spectateurs peuvent ressentir la cruauté amusée qu’il y a dans les Chaplin et
ce ton moqueur peut être méchant mais jamais méprisant. Le film, par la moquerie et par le côté humaniste, peut
être rattaché à l’œuvre de Chaplin et il est intéressant de voir que ce ton moqueur n’est pas réservé à un seul
personnage.
Il y a un effet de montage (faux raccord sonore – mixage entre le son et l’image) lorsque nous sommes devant
la maison d’Orked et que nous entendons parler les parents alors qu’ils sont à l’intérieur. Nous assistons à
quelque chose de surprenant. De plus, il y a égalité des sexes chez les parents d’Orked. Le père d’Orked
s’affirme quand il est dans son activité professionnelle. Dès la première apparition des parents, il y a un
décalage par rapport aux voisins.
Yasmin Ahmad fait un plan large qui permet de mettre dans le cadre les éléments qui vont constituer une
opposition. Eviter les champs/contrechamps permet de rendre l’opposition palpable au sein même du plan, ce
qui signifie qu’il y a une construction précise des plans.
Quand Orked et sa mère dansent sous la pluie, la mère ressemble à une adolescente. A certains moments, Boris
Henry a plus tendance à penser qu’elles sont sœurs, ce qui marque une opposition aux autres femmes car les
autres parents paraissent plus âgés que les enfants. Il y a une autorité chez les autres parents alors qu’il y a une
complicité entre Orked et ses parents. Le père est à la fois effacé et très présent avec sa fille. Cette famille
semble unie et vit dans la complicité.
Le personnage d’Orked est inspiré de la cinéaste, de sa mère et de sa sœur.
Quand le taxi passe avec Muksin, le spectateur peut se demander si Muksin fait le geste par la fenêtre car il le
faisait déjà avant de voir Orked ou pour se moquer. Nous ne savons pas si ce geste est en lien avec la danse
d’Orked et sa mère puisque c’est en arrière plan. Nous verrons par la suite qu’il le fait en vélo avec Orked et
quand il repart en taxi. Noémie Du Cottier donne une possible explication : en Asie, lorsqu’il pleut, il y a
beaucoup de serpents, ce qui peut donner une signification au geste de Muksin à la fenêtre du taxi.
Cette séquence pose des bases et est programmatique, annonçant un postulat (récit, esthétique, narration). Les
scènes d’exposition vont placer une esthétique et un propos qui se développeront dans le film.
Lorsque le taxi passe avec Muksin à l’intérieur, c’est l’attitude de Orked qui donne l’indice que ce personnage
va être important.
La grande force de ce film est de ne jamais trop en dire et beaucoup de choses restent secrètes.
La mère parle en anglais, le père en malais, ce qui peut paraître étrange. La première langue parlée est le
Chinois puis l’Anglais puis le Malais. Il serait intéressant de demander aux élèves s’ils s’aperçoivent qu’il y a
plusieurs langues parlées pendant le film.
Lucie Jurvillier pense que Muksin est un film qui fonctionne en boucle :
- Muksin arrive en taxi et repart en taxi
- Orked quitte l’école et revient à la fin à l’école.
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Muksin est un film sur la mémoire se terminant par une fin bouleversante avec une sorte de making of mis en
scène. Boris Henry trouve que Yasmin Ahmad maîtrise tout le film et se laisse aller dans l’émotion avec cette
dernière scène. Elle nous livre d’une manière presque naïve la procédure qui a conduit à ce film. Un film est une
construction faite par des gens et la construction est aussi faite par la mémoire. Le pianiste et la chanteuse sont
ses parents. Boris Henry trouve cette fin très forte, et qu’elle donne une autre ampleur au film.
Yasmin Ahmad montre de la bienveillance à la fin quand elle espère que Muksin a eu sa seconde chance sans
pour autant vouloir le savoir. Les élèves vont être confrontés à leur propre histoire.
Le déclenchement du film a eu lieu lorsque Yasmin Ahmad a lu le poème « First Love » de Wislawa Szymborska,
dans lequel il est dit que le premier amour est souvent moins tumultueux et passionné que les suivants mais que
c’est pourtant celui dont on se souvient toute sa vie. Elle s’est remémoré cette histoire et elle a voulu faire ce film.
First Love
by Wislawa Szymborska
They say
the first love is the most important.
That's very romantic
but it's not the case with me.
There was something between us yet there wasn't.
It transpired and expired.
My hands don't tremble,
when I stumble upon small mementos
or a stack of letters wrapped in twine
not even a ribbon.
Our only meeting after all these years
is a conversation between two chairs
at a cold table.
Other loves
still breathe deeply within me.
This one lacks the breath to sigh.
But still, just the way it is,
it can do what the rest are not yet able to do:
unremembered
not even dreamt of
it accustoms me to death.
Boris Henry a été frappé par la fluidité du film lorsqu’il a lu le découpage du film (Dossier pédagogique page
6). Il trouve tout de même que le film a un rythme nerveux avec une certaine douceur.
- Interprétation du rêve (1 h 15)
Muksin s’élève comme un fantôme et est réveillé par son frère qui annonce le décès de leur mère. Noémie Du
Cottier, documentaliste au collège Val de l’Indre de Monts, dit que, selon elle, dans la culture malaise, le fait de
s’élever représente plutôt le côté zen de la réalisatrice.
Yasmin Ahmad a fait des études en Angleterre, travaillé 25 ans dans la publicité. Elle a une culture mixte que
l’on retrouve dans ses films.
Pistes de travail :
Les enseignants peuvent demander aux élèves de reconnaître les éléments de modernité et de faire des
recherches par groupe par thème :
- Histoire de la Malaisie
- Cinéma malais
- Genèse du film
A chaque fois, des regroupements peuvent être faits. Sur Muksin, Yasmin Ahmad était scénariste et a également
fait le casting.
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Boris Henry pense qu’un parallèle peut être fait avec Tomboy de Céline Sciamma (programmé au 2ème trimestre
2012/2013, ndlr) :
Muksin
- C’est Muksin qui arrive
- Les jeux
- L’été
- La manière de filmer à hauteur d’enfant
Tomboy
- C’est Laure qui arrive dans cette nouvelle habitation
- Les jeux
- L’été
- La manière de filmer à hauteur d’enfant
ANALYSE DE LA SEQUENCE DES CERFS-VOLANTS (34 MIN 36 SEC)
Dans Muksin, il y a des représentations de plusieurs familles :
- La famille unie de Orked
- La famille désunie de Muksin et de Hussein
- La famille déchirée de Cow-boy Mun et Rozie
- La jeune famille avec le couple des cerfs-volants
-
-
Plan 1 : la caméra va chercher les personnages dans le champ pour les inclure dans quelque chose.
Plan 2 : dans le plan 1, Orked lui apporte la maîtrise d’une langue et dans ce plan, il lui apprend le
cerf-volant, souvent interprété comme quelque chose de symbolique, qui fait le lien entre le ciel et la
terre. En lui apprenant l’anglais, elle l’intègre à sa famille. Boris Henry pense que parmi les élèves,
certains penseront qu’elle fait la maligne en lui apprenant quelque chose et d’autres diront qu’elle aide
Muksin dans l’apprentissage d’une nouvelle langue. Dans ce plan, Yasmin Ahmad change l’échelle de
plan dans un même plan ce qui est rare chez cette réalisatrice.
Plan 3 : le jeune couple voit Muksin et Orked essayer de faire voler le cerf-volant. Les spectateurs
basculent sur une maison qu’ils ne reconnaissent pas.
La femme a autant de caractère qu’Orked car
elle veut savoir pourquoi elle doit chercher le
cerf-volant. Il lui répond à l’oreille : Noémie Du
Cottier précise qu’en Asie, ils chuchotent
beaucoup et pratiquent des mimiques comme le
jeu de la bouche des parents d’Orked, dans
une autre scène.
Yasmin Ahmad filme souvent de manière
frontale avec les personnages au centre du
plan.
Il y a une construction très stable et forte de
l’image : avec le mur gris derrière qui fait
ressortir le couple en blanc au centre, les
poteaux, la fenêtre, ce qui représente une
composition forte. Les enseignants peuvent
comparer ce plan avec celui de l’école montrant
l’agression du jeune garçon.
Quand ils regardent à l’horizon, ils regardent vers la caméra, ce qui signifie qu’ils s’adressent au public ; c’est un
élément très fort au niveau de la mise en scène.
Le champ contrechamp entre cet homme qui regarde Muksin et Orked et la scène d’après sur Muksin et Orked
est non conventionnel.
Il y a une ellipse sur le jeune couple qui leur apprend à jouer avec les cerfs-volants. Il n’y a pas de figure de
liaison entre les deux plans ; elle monte sur un autre plan qui a le même cadrage ce qui produit une certaine
saute, ce qui donne une nervosité au montage, au film et à cette scène-là. Ce montage, appelé « Jump Cut »
était pratiqué dans la Nouvelle Vague (Exemple : A bout de souffle de Jean-Luc Godard) : c’était le fait de
filmer un plan et de couper ce plan en plusieurs morceaux, ce qui dynamise le plan. Elle a le souci d’être dans
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une dynamique et cette fluidité dans l’histoire peut être liée par des effets de montage qui peuvent paraître
brusques ou saccadés.
Ce plan est intéressant car elle va filmer des endroits vides ou des cerfs-volants, ce qui donne un côté
contemplatif sur les cerfs-volants. Ce plan dit malgré tout beaucoup de choses. Les spectateurs se laissent porter
par la scène ce qui leur permet de regarder les choses différemment et de prendre de la distance.
Hélène Berneron, enseignante au collège Ronsard de Tours, interprète cette scène comme l’histoire entre Muksin
et Orked : l’envol et la chute des cerfs-volants peuvent retracer l’histoire entre Muksin et Orked. Boris Henry
pense qu’il y a plusieurs interprétations possibles de ce plan. Plus globalement, il voit une légèreté qui s’arrête à
un moment : leur relation est insouciante. Muksin y a tout de suite vu de l’amour alors qu’Orked n’a vu qu’une
amitié et pour Boris Henry, le cerf-volant est une parenthèse enchantée qui les amène ailleurs. A la fin du film, le
vélo est abandonné ; ce vélo était le lien entre eux, ce qui permettait de venir la chercher et de la transporter
(transport amoureux). Quand Muksin vient la voir à la fin, il est à côté du vélo. Boris Henry pense que pour que
le vélo ait toute son utilité, il fallait qu’Orked soit dessus. Il pense qu’il y a cette idée de complémentarité dans
les cerfs-volants. S’il n’y avait pas le jeune couple, il n’y aurait qu’un seul cerf-volant : les deux cerfs-volants
représentent deux êtres. Le fait que Muksin écrive le message à Orked sur un cerf-volant n’est pas anodin.
La musique, ainsi que la couleur (le jaune du cerf-volant et le jaune de la voiture) font le lien entre les deux
plans cerfs-volants/voiture des parents qui se gare. Souvent, dans les films, la musique établit un lien entre deux
scènes. La réalisatrice a utilisé la musique Cosi Fan Tutte de Mozart. Cette musique est un quatuor, comme le
jeune couple et Muksin et Orked.
Les enseignants pourront demander aux élèves s’ils voient le lien entre les paroles des chansons et les images. A
plusieurs reprises dans le film, il y a un son ou une musique qui établit un lien entre deux séquences et c’est un
élément intéressant au cinéma. Souvent ce débordement effectué par le son signifie quelque chose :
esthétiquement, il est déjà signifiant car il permet d’établir du lien par le son au lieu de l’image. Le film est
quelque chose de tourner mais également monter par des fondus enchaînés et par la musique.
Il y a un cerf-volant jaune qui peut se rapporter au t-shirt de Orked et le rouge à la chemise de Muksin. Le
jeune couple pourrait être une projection de Muksin et d’Orked des années plus tard.
Cette scène, au prime abord gratuite qui apporte une certaine contemplation, lie Muksin et Orked au jeune
couple. Il y a dans les cerfs-volants un transport amoureux, quelque chose qui élève, qui relie, avec une certaine
légèreté.
Yasmin Ahmad a une culture mixte de l’image :
« Quand j’écris un scénario ou tourne un film, je pense plus aux émotions des personnages qu’à la culture ou la
tradition. Du coup, je choisis les musiques en fonction des émotions qu’elles dégagent sans tenir compte de leur
origine ou de leur langue. C’est pourquoi vous trouverez Mozart, Bach, Beethoven, Schumann et Dvorak à côté
de musiques malaises, indiennes, indonésiennes, de pop thaï ou hongkongaise des années 70. Je sais que
beaucoup de spectateurs du monde entier apprécient cet éclectisme musical et cela m’encourage à continuer. »
(Dossier de presse – Citation de Yasmin Ahmad)
Il serait intéressant de montrer aux élèves d’autres films asiatiques.
- Echo / Variation / Répétition :
Le garçon au cartable est un élément burlesque et plus le spectateur le retrouve, plus il devient grotesque.
La « punition » que les parents du garçon demandent renforce la complicité entre Orked et sa mère. Les parents
connaissent les coutumes, les convenances, mais s’en amusent.
Noémie Du Cottier donne quelques informations sur la Malaisie : 68 % de la population est musulmane, 90 %
des Malais sont polygames. La population accepte les conséquences de la colonisation : les parents pouvaient
choisir l’école (Anglaise, Chinoise, Malaise…).
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Boris Henry d’avoir remplacé Stéphane du Mesnildot au dernier
moment afin de parler du film Muksin.
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