Le Verger - biblio

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Le Verger - biblio
Le Verger
et autres nouvelles
G.-O. Châteaureynaud
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 58
établi par Bertrand Louët,
professeur certifié de
Lettres modernes
Sommaire – 2
SOMMAIRE
C O M P L ÉM ENT S D ’ I NF O RM A TI O NS
SU R L ES Q U E STI O N NA I RES ..............................................
3
Avez-vous bien lu ? (pp. 108-109) ...................................................................................................................................................................3
Le Verger (pp. 110-111)....................................................................................................................................................................................3
Les camps ou la destruction de l’humanité (pp. 112-113) ............................................................................................................................5
Le Gouffre des années (pp. 114-115)................................................................................................................................................................6
La Belle Charbonnière (pp. 116-117)................................................................................................................................................................9
Paradiso (pp. 118-119).....................................................................................................................................................................................9
C O M P L ÉM ENT S
SU R L E GRO U P EM ENT DE TEX TES
C O M P L ÉM ENT S
À L A L ECTU RE DE L ’ I M A GE ................................................................ 14
B I B L I O GRA P H I E ,
......................................................... 11
FI L M O GRA P H I E , SI T ES CO M P L ÉM EN TA I RES
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2005.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
www.hachette-education.com
............................................ 15
Le Verger et autres nouvelles – 3
COMPLÉMENTS D’INFORMATIONS
S U R
L E S
Q U E S T I O N N A I R E S
A v e z - v o u s
b i e n
l u
?
( p p .
1 0 8 - 1 0 9 )
Chacune des quatre parties du questionnaire renvoie à l’une des quatre nouvelles dont elle reprend le
titre. On s’attachera à encourager les élèves à citer précisément le texte à l’appui de leurs réponses.
Ce questionnaire de lecture peut être complété par la rédaction d’un bref résumé des nouvelles ou
d’une fiche de recension (présentation de l’œuvre, de ses thèmes et de ses personnages).
L e
V e r g e r
( p p .
1 1 0 - 1 1 1 )
La représentation des camps de la mort
1. On pourra se référer à des documents photographiques ou à des dessins (comme ceux d’Art
Spiegelman dans Maus) qui rendent compte de l’univers concentrationnaire et, en particulier, des
rampes d’arrivée sur lesquelles parvenaient les convois de déportés. Une image du portail d’entrée
d’Auschwitz, revêtu de la devise Arbeit macht frei (« Le travail rend libre ») d’une ironie glaçante,
pourra aussi être analysée.
3. Le point de vue narratif peut aisément être exposé aux élèves, à partir de n’importe quel manuel.
On remarquera que, dans cette nouvelle, le narrateur choisit un point de vue externe, dans le cadre
d’un récit à la 3e personne. Il ne donne jamais son avis, comme s’il ne jugeait pas. C’est cela qu’on
appelle « l’impassibilité narrative ». On pourra faire référence à Flaubert : par exemple, au début de
L’Éducation sentimentale, page dans laquelle le narrateur est absent mais où les pensées et les sentiments
du personnage, Frédéric Moreau, sont telles qu’elles le font apparaître comme ridicule et indécis,
mieux que ne le ferait n’importe quel commentaire du narrateur. Il en va de même ici ; en fait, ce
procédé aboutit à ce que le jugement sur ce qui est décrit et raconté se forme directement dans l’esprit
du lecteur, qui s’approprie ainsi la critique des camps.
Une fable ou conte allégorique (question 7)
Le paradis, ou jardin d’Éden, est évoqué dans la Genèse (2. 5-25 et 3. 1-24). C’est un lieu idéal qui
contient tous les animaux et les végétaux et dans lequel l’homme et la femme vont nus car ils sont
innocents et vivent en harmonie avec la nature. Ce n’est qu’après avoir goûté au fruit défendu de
l’arbre de la Connaissance qu’ils sont chassés par Dieu du paradis.
Cet endroit mythique est un lieu protecteur où l’on ne craint ni le froid, ni la faim, ni la haine.
On n’y connaît pas non plus la douleur et la peine. Dans les cloîtres, le jardin central figure ce
jardin idéal originel et on y trouve toujours un puits au milieu de la végétation. Le verger du
récit, avec sa mare, son pommier, son herbe tendre et son enfant nu, est donc une figure presque
transparente de ce paradis perdu dont l’homme a été chassé, d’autant plus perdu ici qu’il pousse
au milieu de la boue.
Réflexion
Si c’est un homme de Primo Levi
Primo Levi est un ingénieur chimiste italien d’origine juive, né à Turin en 1919. Il s’installe à Milan
en 1942 et est arrêté pour faits de résistance en février 1944 puis déporté à Auschwitz où il sera
détenu jusqu’à la libération du camp par l’armée soviétique en janvier 1945.
À son retour, il se marie, a deux enfants et dirige une entreprise de produits chimiques.
En 1947, avec Si c’est un homme, il publie l’un des tout premiers témoignages sur l’horreur des camps.
Primo Levi publie ensuite douze livres, avant de se donner la mort en 1987.
Une partie de son œuvre et de son action est une longue démarche de sa part pour témoigner et
informer sur le phénomène concentrationnaire. Comme il l’écrit dans sa préface à Si c’est un homme, à
propos de ce que lui et ses compagnons ont subi dans les camps, le « besoin de raconter aux “autres”, de
Compléments d’informations sur les questionnaires – 4
faire participer les “autres” avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d’une
impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c’est pour répondre à un tel besoin que
j’ai écrit mon livre ; c’est avant tout en vue d’une libération intérieure ».
Primo Levi demande aussi, dans cette préface : « Puisse l’histoire des camps d’extermination retentir pour
tous comme un sinistre signal d’alarme. » Il apporte ainsi un premier élément de réponse à notre
question : le ton du témoignage, correspondant à une nécessité intérieure, répond au devoir de
mémoire, pour prévenir la répétition du massacre barbare, de l’échec de civilisation qu’a constitué la
politique concentrationnaire de l’Allemagne nazie.
Mais son livre est un témoignage : « Aucun des faits n’y est inventé », déclare-t-il. Il n’en va pas de
même de l’œuvre de Roberto Benigni, qui est une fiction, et de celle d’Art Spiegelman, qui est une
bande dessinée et un témoignage au second degré : un fils y donne en effet la parole à son père.
La vie est belle de Roberto Benigni
Voir les commentaires sur l’image, p. 14.
Maus d’Art Spiegelman
Dessinateur et graphiste américain, Art Spiegelman est né à Stockholm en 1948 et a grandi à New
York, où il vit aujourd’hui. Après des études d’art et de design, il travaille en 1966 dans une entreprise
de confiserie où il crée des cartes, des autocollants, des emballages de bonbons, tout en faisant ses
débuts dans la bande dessinée underground. À San Francisco, il est le cofondateur, avec Bill Griffith, de
la revue de bande dessinée Arcade (1975-1976). Puis, de retour à New York, il publie des dessins et
des bandes dessinées dans divers journaux (New York Times, Village Voice, Playboy…) et enseigne à
l’École des arts visuels. En 1980, il fonde avec son épouse, Françoise Mouly, le magazine Raw, dans
lequel Maus paraît en série.
Dans cet ouvrage, Art Spiegelman fait témoigner son père, juif polonais rescapé avec son épouse des
camps de concentration. L’idée est d’avoir représenté les personnages sous la forme d’animaux
symboliques, à la manière des Fables de La Fontaine (les Juifs sont des souris, les Allemands des chats,
les Polonais des porcs), et d’avoir conduit le récit sur un double plan :
– les relations complexes du père et du fils, dans lesquelles le narrateur est à la fois tendre et critique
vis-à-vis de son père ;
– le récit des vicissitudes subies par le père et sa femme (Anja), des premiers pogroms en Pologne
jusqu’à la libération des camps par les Russes et les Américains.
Dans le tome II (p. 35), notamment, Vladek raconte la disparition de son ami Mandelbaum. Il en
garde une arrière-pensée de culpabilité car lui a survécu et non son ami. Ce thème est très présent
parmi les survivants, comme en témoigne aussi Primo Levi qui affirme : « nous, les survivants, ne
sommes pas les vrais témoins » (Les Naufragés et les Rescapés, quarante ans après Auschwitz, ArcadesGallimard, 1989) et qui ajoute que les vrais témoins seraient ceux qui ont disparu.
Au total, cette bande dessinée – la première et la seule à ce jour à avoir été couronnée du Prix
Pulitzer – atteint une sombre grandeur, dont le ton, toujours juste, n’est jamais complaisant.
Comment parler de la Shoah ?
À la question posée de savoir quel ton adopter pour parler de la Shoah, on pourra inviter les élèves à
voir que ces œuvres apportent plusieurs réponses possibles :
– celle du témoignage, réaliste et, si l’on ose dire, « froid, objectif », qui montre sans afficher
d’émotion, de manière à placer le lecteur en situation d’être lui-même juge des événements
rapportés ;
– celle de la fiction, qui présente l’avantage de pouvoir opposer à l’horreur des camps la grâce, la
beauté de la vie, représentée par les relations du père et du fils dans le film de Benigni et par le verger
dans la nouvelle de Châteaureynaud. Ainsi, la fiction permet de montrer ce qui doit être préservé,
défendu, pour que ne triomphe jamais la barbarie ;
– celle de la fable enfin, qui, conformément aux lois du genre, érige le récit en vision morale, en
enseignement de ce qu’il faut faire et ne pas faire.
On soulignera aussi que des arts différents (la littérature, le témoignage, le cinéma, la bande dessinée)
sont convoqués pour raconter et, en quelque sorte, rendre sensible à chacun cette terrible histoire et
dire comme Primo Levi, mais chacun avec son langage : « N’oubliez pas que cela fut. »
Le Verger et autres nouvelles – 5
Enfin, on pourra aussi convoquer d’autres œuvres, plus ou moins faciles d’accès : le film La Liste de
Schindler de Steven Spielberg, très facile à comprendre, ou L’Espèce humaine de Robert Antelme, livretémoignage d’un accès plus ardu.
Toutes ces manières de faire, ces tons différents sur un même sujet concourent, au final, aux mêmes
deux objectifs, toujours affirmés et rappelés par leurs auteurs : ne pas oublier, trouver le moyen de
penser cette barbarie, pour y survivre et en empêcher la reproduction.
Écriture
De nombreux épisodes peuvent être imaginés en plus de ceux déjà mis en scène par le récit. On peut
imaginer que la manne se tarisse, qu’un compagnon se joigne à l’enfant, qu’un animal nouveau
apparaisse, qu’un élément dangereux se présente dans la bulle, que l’enfant assiste à un nouvel
assassinat… De même, de nombreuses raisons peuvent motiver le départ de l’enfant : la solitude,
l’ennui, la peur, l’envie de retrouver ses compagnons, etc.
On laissera les élèves libres d’imaginer l’épisode de leur choix ; en revanche, on veillera à ce qu’ils
respectent le point de vue narratif et la tonalité d’ensemble du récit, c’est-à-dire un registre neutre et
descriptif.
L e s
c a m p s
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l a d e s t r u c t i o n
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d e
l ’ h u m a n i t é
L’horreur barbare (questions 10 à 13)
On insistera sur l’aspect technique et mécanique de ce passage. Tout se passe comme si les soldats (qui
sont pourtant des êtres humains) réagissaient de manière purement pratique, et pas du tout morale ou
éthique, face à la situation. Placés en position de techniciens de surveillance et de répression, ils
surveillent et ils répriment : ainsi ils tirent à la mitrailleuse sur un enfant nu qui court, sans se
demander s’il est légitime ou acceptable de réprimer et poursuivre ainsi un enfant dévêtu.
Cette scène doit être étudiée et analysée comme donnant la clé du fonctionnement spécifique de la
barbarie nazie qui aboutit à déshumaniser les victimes et les bourreaux.
Les victimes d’abord ne sont pas traitées comme des hommes : on leur prend leurs affaires, leur
identité, leurs cheveux, tout ce qui les différencie les uns des autres, puis on les traite en masse et
comme du bétail, plus mal même car, ainsi traitée, une bête se laisserait mourir, tandis que des êtres
humains s’acharnent à survivre avec la dernière des énergies.
Quant aux bourreaux, ils ignorent la logique d’ensemble de ce système et sont transformés en
machines à exécuter des ordres inhumains (battre puis tirer sur des enfants, des femmes, des vieillards).
Ils sont un maillon de cette chaîne qui a mené au crime (celui qui arrête les gens n’a fait qu’une
arrestation, celui qui ferme le wagon que fermer une porte…). On est là au cœur de la mécanique
totalitaire qui transforme chaque individu en esclave en en faisant un complice irresponsable et
impuissant. Chacun y perd son libre arbitre et sa dignité.
Responsabilité collective et responsabilité individuelle (questions 14 et 15)
La responsabilité collective relève de la loi, qui fixe pour une collectivité donnée ce qui peut être fait
et ce qui ne peut pas l’être. Ainsi, par exemple, le règlement de l’armée française stipule-t-il que le
soldat obéit aux ordres de ses supérieurs mais qu’il a conjointement pour devoir de s’opposer aux
ordres qui seraient manifestement illégaux.
Dans le cas qui nous intéresse, celui de la Shoah et du Verger, on voit bien que le système totalitaire
nazi a conduit à abolir la part de responsabilité individuelle de chacun en supprimant la loi : en effet,
les camps de concentration étaient des espaces sans droits, sans lois, où régnaient l’arbitraire et le
pouvoir du plus fort. Par conséquent, la seule solution possible pour les individus ne souhaitant pas
coopérer à cette horreur est la fuite (demander une mutation), dans la mesure où toute forme de
résistance conduirait immédiatement à la mort.
Pour autant, pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses personnes ont pris
individuellement leurs responsabilités face au désastre dans lequel s’étaient plongés les régimes
allemands et français : la Résistance française, les insurgés et immigrés allemands et, plus discrètement,
des personnes qui, dans toute l’Europe, au lieu de participer à la traque et à la dénonciation des juifs,
Compléments d’informations sur les questionnaires – 6
ont au contraire, courageusement et souvent au péril de leur vie, contribué à les sauver en les cachant
et en les aidant à fuir. Après la guerre, l’État d’Israël a reconnu ces personnes et leur a décerné le titre
de « justes parmi les nations ». Ceux qui résident en Israël reçoivent une pension de l’État.
Cette question de la responsabilité individuelle, de savoir si elle se fond ou non dans la responsabilité
collective, comme ce fut le cas souvent pendant la Seconde Guerre mondiale, déborde bien
évidemment cette période historique et vaut pour toutes les époques.
En tout état de cause, on notera que le système politique ou la situation (guerre, troubles divers) qui
supprime la responsabilité individuelle est dangereux(euse) et qu’il (elle) est l’un des critères du
totalitarisme.
L e
G o u f f r e
d e s
a n n é e s
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La thématique de la maison (questions 9 à 11)
On commentera les propos sur le rôle des maisons dans l’entretien avec l’auteur et on rappellera que
ce thème est présent dans plusieurs de ses nouvelles (comme l’Inhabitable) et qu’une maison est même
le personnage principal de son roman La Faculté des songes.
Ici, le thème de la maison renvoie, au fond, à celui des origines, du paradis enfantin perdu, effacé par
un bombardement qui est une « gomme à paysages », comme le signale l’auteur.
On remarquera que la maison exprime à la fois la personnalité et la condition sociale de ceux qui
l’habitent (on pourra aisément le montrer en s’appuyant sur la description de l’intérieur comme de
l’extérieur de la maison dans la nouvelle).
Ce thème, fréquemment présent dans les œuvres littéraires, est important dans la littérature
fantastique, le prodige fantastique se réalisant souvent dans un lieu qui lui est propice, voire qui le
suscite. L’exemple le plus frappant est celui du roman noir anglais, dont l’action a souvent pour cadre
des châteaux moyenâgeux lugubres ; on peut aussi citer Omphale de Théophile Gautier, qui fait
apparaître une courtisane de la Régence en plein XIXe siècle, dans un pavillon de jardin au décor…
Régence et rococo.
La maison devient ainsi une image des fantasmes et des rêves du personnage, comme la forme
extérieure et visible de son âme. D’ailleurs, à l’origine, la nouvelle Le Gouffre des années devait s’insérer
dans le roman La Faculté des songes, qui met en scène le personnage de Manoir (vivant à l’époque
contemporaine), comme une rêverie de ce personnage.
On le voit bien, le personnage de la nouvelle est à la recherche de la maison de ses origines. La
maison est ainsi le support de la mémoire et du voyage dans le temps. Comme dans les récits
fantastiques, elle est, pour son décor, le support de prodiges et de faits étranges.
Réflexion : jouer sur le temps (questions 12 et 13)
Présentation des œuvres et de leurs auteurs
• Patrick Rambaud est né à Paris, le 21 avril 1946. Il débute comme critique de cinéma sur France
Inter, puis se spécialise dans la presse écrite et cofonde en 1970 le mensuel satirique Actuel. Il s’y fait
connaître en parodiant de nombreuses personnalités littéraires et universitaires, puis en publiant un
recueil (Le Style mode d’emploi) et un pastiche de Marguerite Duras (Virginie Q) en 1988.
Parallèlement, il devient « nègre », c’est-à-dire qu’il écrit des livres que d’autres signent de leur nom.
En 1997, il publie sous son nom le roman La Bataille (Grasset), récit de la bataille d’Essling (bataille
napoléonienne méconnue), et son œuvre est récompensée à la fois par le Prix Goncourt et celui de
l’Académie française. Deux tomes vont suivre, toujours inspirés de l’épopée napoléonienne : Il neigeait
et L’Absent.
Il publie en 2005, aux éditions Grasset, L’Idiot du village, récit dans lequel le narrateur glisse peu à peu
une cinquantaine d’années en arrière. Ce drôle d’ouvrage, nostalgique et comique, s’inspire en partie
de l’esprit de Marcel Aymé.
• Marcel Aymé est surtout célèbre au collège pour ses Contes du chat perché. Mais bien d’autres de ses
œuvres méritent d’être redécouvertes, en raison de leur humour loufoque et parfois grinçant.
Marcel Aymé est né dans l’Yonne en 1902 et mort à Paris en 1967. Confié à ses grands-parents
maternels après la mort de sa mère, il connaît peu son père et grandit à Villers-Robert. Pensionnaire
Le Verger et autres nouvelles – 7
au collège de Dole, il y est un élève médiocre, mais il obtient néanmoins son baccalauréat en 1918.
Après des études d’ingénieur interrompues par une grave maladie, il s’installe à Paris où il exerce
différents métiers avant d’écrire et de connaître un grand succès avec La Jument verte, dont l’action se
déroule dans un village qui, par ses controverses entre cléricaux et laïques, ressemble à celui de son
enfance. Dès lors, il travaille aussi pour le cinéma et le théâtre.
Pendant l’Occupation, il continue de travailler pour le cinéma et n’hésite pas à donner des nouvelles
et des romans aux journaux collaborationnistes, sans pour autant prendre parti en faveur de la
Collaboration, de telle sorte qu’il n’est pas inquiété à la Libération.
Longtemps considéré comme un auteur amusant, Marcel Aymé est aujourd’hui reconnu comme un
grand écrivain, notamment à travers son théâtre, ses romans et ses recueils de nouvelles, comme Le
Passe-Muraille, paru en 1943. Sans avoir jamais pris position, il s’affirme cependant comme un esprit
critique, insolent et au ton inimitable et réactionnaire, notamment dans Le Confort intellectuel paru en
1949.
Dans Le Décret, Marcel Aymé s’amuse à mettre en scène une situation dans laquelle le gouvernement a
pris un décret obligeant chacun à vivre un temps donné, calculé en fonction de son utilité sociale. Il
en résulte un trafic des temps de vie entre riches et pauvres, d’une part, et un décalage chronologique
et de rythme entre les individus, d’autre part, générateurs d’effets cocasses multiples. Par exemple, un
personnage peut vivre un jour sur deux ou bien seulement l’après-midi, etc. Au final, chacun vit
selon un calendrier qui lui est propre et plus personne ne se rencontre.
La nouvelle critique la bureaucratie et fait la satire de l’époque de l’Occupation et des injustices
sociales, les tickets de temps étant une allusion à peine voilée aux tickets de rationnement, nécessaires
pour se procurer de la nourriture en cette période de restrictions.
• Né en 1811 à Tarbes, dans une famille aisée et lettrée, Théophile Gautier fait ses études à Paris au
collège Charlemagne et publie ses premières poésies en 1830. Il est aussi animateur du mouvement
romantique, puis de celui du Parnasse. À partir de 1836, il exerce une intense activité de journaliste, à
La Presse puis au Moniteur. Il est l’auteur de nombreux contes fantastiques, du Roman de la momie, du
Capitaine Fracasse et de Mademoiselle de Maupin. Il meurt à Neuilly en 1872.
Omphale est une courte nouvelle dans laquelle un jeune homme venu faire ses études à Paris loge chez
son oncle qui l’héberge dans une chambre au décor qui évoque la Régence (1715-1723). La pièce est
décorée par une grande tapisserie représentant Hercule et sa maîtresse Omphale et, chaque soir,
Omphale descend de sa tapisserie et visite le jeune homme… En réalité, il s’agit d’une ancêtre de
l’oncle qui s’est fait représenter sous les traits d’Omphale, comme cela était à la mode dans la noblesse
à l’époque de la Régence…
Ici, Gautier évoque cette époque du début du règne de Louis XV, tout simplement parce qu’elle est
synonyme d’érotisme et de licence des mœurs. C’est une sorte de lieu commun littéraire qu’il utilise
dans le cadre du procédé fantastique de l’animation de tableau. Le jeu avec le temps permet donc de
mettre en scène, de manière satirique et parodique, l’éducation amoureuse du jeune homme.
• Né en 1945, Jean-Marie Poiré, après des études de lettres, débute comme assistant opérateur et
travaille avec Claude Autant-Lara, Édouard Molinaro, Gérard Oury. Puis il devient scénariste et
rencontre la troupe du Splendid dont il adapte la pièce Le père Noël est une ordure. Il continue ensuite à
travailler dans le genre comique et burlesque.
Dans Les Visiteurs, film sorti en 1993, Jean-Marie Poiré propulse deux personnages du Moyen Âge, le
comte de Montmirail et son fidèle écuyer, Jacquouille la Fripouille, à l’époque contemporaine. Ces
deux « visiteurs » commettent évidemment gaffe sur gaffe car ils ne cessent pas d’être ébahis devant les
objets les plus quotidiens de notre société moderne : un robinet, un parapluie, la Cellophane…
Ici, le jeu avec le temps a un double effet : comique d’abord, qui résulte du décalage constant entre les
personnages des « visiteurs » et l’univers moderne dans lequel ils ont été projetés ; émouvant ensuite,
Godefroy de Montmirail et Jacquouille la Fripouille rencontrant leurs très lointains descendants. La
lointaine petite-fille du chevalier combattant est ainsi devenue une petite-bourgeoise de province,
épouse d’un dentiste très conventionnel, tandis que le descendant de l’écuyer est un parvenu
prétentieux et arrogant qui a racheté le château familial des Montmirail transformé en hôtel de luxe.
On voit l’effet du temps et de l’histoire sur les valeurs ancestrales et le film diffuse une discrète
nostalgie à travers la satire, un peu réactionnaire et passéiste – on l’accordera –, des valeurs de notre
société moderne.
Compléments d’informations sur les questionnaires – 8
La comparaison
On voit bien que la comparaison est possible, dans la mesure où chacune de ces œuvres a recours au
même procédé fantastique, sous une forme ou une autre, du voyage dans le temps et des questions
que cela peut poser. Mais, au total, la comparaison s’arrête là.
• Chez Châteaureynaud, la question du voyage dans le temps est un procédé mais n’est pas central
dans la problématique de la nouvelle : le personnage est à la recherche de ses origines, qui ont disparu
à l’occasion d’un bombardement, et cette courte nouvelle le montre retrouvant avec émotion la
maison de son enfance, sa mère, ses jouets, qui le bouleversent davantage que de rencontrer le petit
garçon qu’il a été. Son voyage est comme un rêve répondant à une question obsédante : celle des
origines.
• On retrouve ce thème dans le livre de Rambaud et, bien sûr, dans Les Visiteurs : le narrateur de
L’Idiot du village se croise lui-même enfant et les « visiteurs » rencontrent leurs descendants. Mais ce
thème n’est pas au centre de ces deux œuvres.
Rambaud – il s’en explique – crée une situation à la Marcel Aymé et explore avec une nostalgie
amusée la France des années 1950. Son personnage devient ensuite le conseiller d’un journaliste à qui
il dit l’avenir, qu’il connaît puisqu’il en vient.
Quant aux Visiteurs, le film se veut surtout burlesque et rend un hommage comique au Moyen Âge.
• Dans Le Décret et Omphale, le mécanisme de dérèglement temporel n’est pas identique :
– dans Le Décret, les personnages finissant par vivre selon des calendriers différents, il en résulte un
désordre incommensurable qui est une métaphore de l’inégalité des conditions sociales et une
moquerie contre la bureaucratie : tout se passe comme si le chaos provenait de la prétention de
l’administration à vouloir modifier le cours naturel des choses ;
– dans Omphale, Gautier utilise l’époque de la Régence dans un but parodique : il singe le roman
d’éducation et le roman licencieux du XVIIIe siècle, en masquant cela sous un argument fantastique
qui est ici de pure façade, comme pour atténuer l’érotisme de son récit.
Le registre de ces deux derniers récits est d’ailleurs essentiellement comique et ironique.
• On peut enfin ajouter que le voyage dans le temps pose des problèmes rationnels et logiques
évidents :
– on peut citer, par exemple, la chevalière de Manoir dans Le Gouffre des années. Cet objet est le signe
de reconnaissance des Manoir et existe en un seul exemplaire. Ainsi Manoir devenu vieux est-il
obligé de raconter à Manoir enfant que la chevalière a été réalisée en deux exemplaires. On notera
aussi que, lorsqu’il la montre à l’enfant comme preuve de son appartenance à la famille, l’enfant ne
porte pas la sienne, de sorte que l’on ne voit pas les deux bagues ensemble ;
– il en va de même dans Les Visiteurs, où la rencontre possible des deux bagues des Montmirail (l’une
portée par Godefroy, l’autre rangée dans la vitrine de l’hôtel, ex-château de la famille) provoque une
tempête et fait tomber la foudre qui foudroie la bague et une voiture.
Face à ces apories, les œuvres répondent ainsi par des ruses et des pirouettes visant à endormir la
méfiance du lecteur qui, au fond de lui-même, sait bien que le voyage dans le temps est impossible,
mais se plaît à y croire le temps de la lecture ou de la projection du film.
Écriture
Le sujet pose le problème logique classique : le petit Manoir doit survivre au bombardement, sinon le
Manoir adulte ne pourrait pas exister…
On veillera à la compréhension de ce cadre par les élèves et à la nécessité de trouver une solution
pour escamoter le Manoir adulte après le bombardement.
Dans cette optique, plusieurs options sont possibles : on pourra, par exemple, s’inspirer du film Les
Visiteurs, dans lequel Béatrice de Montmirail se rend progressivement compte que Godefroy n’est pas
son cousin disparu et devenu fou mais bien son très lointain ancêtre, et faire ainsi dialoguer entre eux
les deux personnages de l’enfant et de son double adulte. On pourra aussi centrer le devoir sur la
manière dont le petit garçon est le seul à réchapper du bombardement, faute de quoi il ne pourrait pas
devenir le Manoir adulte, et sur la disparition mystérieuse du Manoir adulte.
Les élèves peuvent aussi décider de sortir de ce cadre et faire mourir le Manoir adulte – ce qui
bouleverserait le futur. On veillera dans ce cas à ce qu’ils inventent une histoire cohérente.
Le Verger et autres nouvelles – 9
L a
B e l l e
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La mise en scène du Moyen Âge
1. et 2. La représentation traditionnelle du Moyen Âge s’appuie, en règle générale, sur un décor de
forêt et des personnages de paysans et de chevaliers. On pourra, si on a déjà étudié le film dans le
cadre de la nouvelle Le Gouffre des années, faire un parallèle avec les scènes du début des Visiteurs.
3. Dans La Poétique, Aristote explique que la dignité tragique impose que les personnages mis en
scène soient éloignés des spectateurs soit géographiquement, soit chronologiquement. Ces critères
sont aussi ceux de l’exotisme qui repose sur l’éloignement des personnages avec les spectateurs
auxquels ils sont présentés. À notre époque, on note un regain d’intérêt pour le roman historique et,
d’une manière générale, pour toute œuvre qui nous présente le passé. En témoigne le succès d’auteurs
comme Jean-Christophe Rufin (Rouge Brésil, L’Abyssin) ou Dan Brown (Da Vinci Code). La Belle
Charbonnière pourrait s’inscrire dans ce courant ; l’auteur s’en est expliqué dans l’entretien qu’il nous a
accordé, où il définit le Moyen Âge comme une sorte d’âge originel, avant la sécurité de la
civilisation, et le compare à des souvenirs de son enfance.
Réflexion : étranges figures féminines
On a déjà présenté Théophile Gautier plus haut (p. 7 de ce dossier). Dans les deux nouvelles citées,
Omphale et La Cafetière, l’auteur met en scène deux figures féminines opposées et caractéristiques du
romantisme.
Omphale est une belle marquise de la Régence, aux mœurs assez lestes, pour ne pas dire légères, et au
tempérament très affirmé. Robuste et charnelle, elle aime le plaisir et la vie joyeuse. Elle évoque un
personnage de courtisane ou de demi-mondaine que l’on trouve de manière récurrente dans les
œuvres romantiques (on pense, par exemple, à La Traviata de Verdi, aux personnages féminins de
Musset et à certains personnages de Balzac).
Inversement, dans La Cafetière, Gautier met en scène un personnage qui, en rêve et pendant son
sommeil, rencontre et danse avec une jeune femme extrêmement belle et diaphane, qui s’évanouit dès
qu’il veut lui parler. Au réveil, il étreint une cafetière brisée. Il revoit ensuite cette jeune femme sur
un portrait et apprend qu’il s’agit de la sœur de son hôte, morte il y a un an. La nouvelle s’achève sur
ces mots : « Je venais de comprendre qu’il n’y avait plus pour moi de bonheur sur la Terre ! »
Toutes les deux fatales, ces femmes entraînent celui qui les aime sur les pentes du désespoir, mais elles
s’opposent car l’une est d’une grande sensualité, tandis que l’autre est presque immatérielle.
La Belle Charbonnière poursuit cette tradition de figures féminines qui procurent comme un philtre à la
fois le bonheur et la souffrance, la vie et la mort.
Écriture
Une suite de texte étant demandée, on s’attachera à la cohérence narrative : récit à la 3e personne,
cadre et sentiments de La Belle Charbonnière…
On pourra soit la présenter comme regrettant une malédiction l’attachant à son île et à une certaine
solitude, soit au contraire la montrer sereine et heureuse d’échapper à la contrainte du temps et des
attachements humains.
P a r a d i s o
( p p .
1 1 8 - 1 1 9 )
L’inquiétante étrangeté (questions 8 à 12)
La notion d’« inquiétante étrangeté » renvoie, d’une part, à la littérature fantastique, dont elle est l’une
des dominantes, et, d’autre part, à la psychanalyse freudienne, Sigmund Freud ayant donné ce titre à
l’un de ses ouvrages en 1919.
On constatera d’abord que le cadre de la nouvelle est un cadre plutôt rassurant (vacances, plage, soleil,
nature, foule nombreuse). Il ne s’agit pas en effet du cadre traditionnel de la littérature de la peur (lieu
isolé et désolé, obscurité…), mais, malgré tout, des éléments discordants apparaissent progressivement
et transforment ce cadre enchanteur en un univers hostile et inquiétant, dont les éléments sont
détaillés dans les différentes questions.
Compléments d’informations sur les questionnaires – 10
Au total, le personnage central se retrouve seul, face à lui-même ; il est même confronté, à travers le
personnage de Livia la simple, dont le cerveau s’est écoulé par l’oreille, à une métaphore de ce qu’est
sa vie : une perte de conscience et de son intelligence résultant de la vacuité de sa vie.
On pourrait alors presque dire que la nouvelle est la traduction des inquiétudes et des tensions
intérieures éprouvées par le personnage, qui hésite entre une vie purement hédoniste, vouée à un
plaisir pur et sans suite qui a une dimension morbide (représentée par Livia et les jeux finaux), et
l’accomplissement de sa vraie vocation, qui va pouvoir advenir après l’échec de sa première journée à
Paradiso.
En ce sens, ce récit a une dimension psychanalytique : il raconte l’évolution inconsciente d’un
personnage, son avènement à l’âge adulte en quelque sorte.
La satire du tourisme (questions 13 à 16)
La satire est un genre littéraire qui mêle le comique et l’intention critique. On note que l’intention
critique est très présente, la narration se moquant de la manière dont les passagers du bateau voyagent,
mais ici la dimension comique est peu présente, voire absente, et les rares éléments comiques
(quiproquo autour de la valise, bêtise de Livia) se renversent rapidement en événements dramatiques
et inquiétants.
On se demandera de quel tourisme l’auteur fait ici la satire :
– le tourisme de masse ;
– le tourisme de pur confort ;
– le tourisme de découverte.
En répondant aux questions, on se rendra rapidement compte que les « voyageurs » arrivent dans un
lieu dont le caractère factice est constamment souligné, en particulier par des tournures emphatiques
et par la multiplication de qualificatifs élogieux (« c’est beau », « c’est merveilleux ») qui ne renvoient à
rien.
On ajoutera ensuite que les relations du héros avec les habitants de l’île sont fondées sur le
malentendu et l’absence de sincérité : tout se passe comme s’ils n’arrivaient pas à se comprendre ni à
communiquer, depuis l’épisode de la valise jusqu’aux rencontres avec les beaux jeunes gens.
En contrepoint, le seul personnage avec qui il a un vrai échange est Livia, mais elle a perdu sa
cervelle, c’est-à-dire sa personnalité. Ainsi, dans l’île, la seule qui parle avec vérité est celle qui n’a plus
de conscience, comme pour signifier que, par la relation touristique, l’île entière est devenue factice.
On est bien au cœur du paradoxe du touriste : plus il recherche l’« authenticité » ou le « pittoresque »,
plus ceux-ci lui échappent et sont remplacés par des imitations factices, fausses et pâles. Au total, en
voyageant, on ne fait que se trouver soi-même – ce qui arrive finalement au héros de cette nouvelle,
car il projette ce qu’il est sur ce qui l’entoure.
Écriture
17. On pourra choisir deux options pour ce travail de rédaction :
– soit une description satirique, dans laquelle le « lieu de rêve » sera désigné comme une caricature,
une imitation des publicités et des brochures de tourisme ;
– soit, au contraire, la description d’un véritable lieu édénique.
18. Ce travail est un travail argumentatif. On veillera à ce que les élèves précisent leur point de vue et
l’appuient sur des exemples précis. L’idéal serait de leur demander d’opposer deux points de vue ou
manières de voyager : l’un qui « forme » et l’autre qui « déforme », en les invitant à utiliser leurs
réflexions sur l’inquiétante étrangeté et la satire du tourisme présentes dans ce récit.
Le Verger et autres nouvelles – 11
COMPLÉMENTS
S U R
L E
G R O U P E M E N T
D E
T E X T E S
Il existe une littérature très abondante sur la Shoah et de nombreux documents. On citera en
particulier les livres suivants :
– Primo Levi, Si c’est un homme, Robert Laffont, 1997 (Pocket pour l’édition de poche).
– Robert Antelme, L’Espèce humaine, coll. « Tel », Gallimard, 2000 (paru en 1957).
– David Rousset, Les Jours de notre mort et Le Phénomène concentrationnaire.
– Christine Arnothy, J’ai quinze ans et je ne veux pas mourir, « Le Livre de Poche », L.G.F., 1964.
La filmographie est tout aussi importante. On citera en particulier :
– Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.
– La Liste de Schindler de Steven Spielberg.
– Je suis vivante et je vous aime de Roger Kahane.
On trouvera un remarquable dossier historique sur le site du Mémorial de la Shoah
(http://www.memorial-cdjc.org/getHomeAction.do). Ce site comporte une bibliographie très
précise et des documents et des activités téléchargeables de très grande qualité.
◆ Quelques thèmes autour du groupement de textes et de l’histoire de la Shoah
Le racisme et l’antisémitisme
La première des questions est celle du racisme et de l’antisémitisme : on sait que la base de l’idéologie
raciste consiste à considérer l’autre comme biologiquement inférieur et donc étranger à la nature
humaine. À la source du racisme se trouve en fait la peur irrationnelle et non maîtrisée de l’autre, à
laquelle le discours pseudo-scientifique de la différence des « races » donne des bases en apparence
rationnelles. En réalité, l’anthropologie a démontré l’unité du genre humain, c’est-à-dire l’égalité et
l’identité des hommes, quelles que soient leur ethnie, leur origine ou leur religion.
Aujourd’hui, en France en tout cas, la loi fait du racisme et de l’antisémitisme et de son expression un
délit pénalement répréhensible, manifestant par là que le rôle de la civilisation est de contenir,
d’apaiser, et non d’attiser la peur de l’autre et les pulsions de mort.
La déshumanisation
Cette dimension du racisme, qui refuse le statut d’homme à celui qu’il poursuit, qui le déshumanise,
est extrêmement présente dans les textes du groupement. Le titre de l’œuvre de Primo Levi Si c’est un
homme, qui pose la question de l’appartenance à l’humanité, en témoigne. Les sévices, les humiliations
répétées à l’encontre des déportés (les mettre nus, les battre, les tondre, leur ôter leur nom et le
remplacer par un numéro…), le massacre en masse et en groupe, l’absence de pitié à l’égard des plus
faibles (enfants et vieillards), la rupture volontaire des liens familiaux déshumanisaient les victimes. Les
actes des tortionnaires nazis envers les déportés juifs ne répondaient pas à une logique guerrière, mais
à une logique raciste barbare et délirante : il fallait, en ne les traitant pas comme des hommes, montrer
que les juifs (et les autres déportés) n’étaient pas des hommes et donc pouvaient être traités comme du
bétail.
La déshumanisation est bien l’un des enjeux de la Shoah : les victimes, les bourreaux, les témoins, tout
le monde est plongé dans l’horreur et exilé de la condition humaine face à un tel déchaînement
organisé et à si grande échelle de barbarie et de cruauté. C’est l’une des questions du texte de
Marguerite Duras, notamment lorsque Robert L. « accuse l’homme ».
Le totalitarisme et la barbarie
On peut aisément faire apparaître que chaque texte met en scène des actes d’une brutalité et d’une
sauvagerie absolument inouïes, perpétrés soit par une collectivité de personnes (la machine
d’extermination nazie), soit par des individus déshumanisés (les soldats qui dialoguent dans Le Verger).
Ce qu’il y a de frappant ici, c’est le fait que ces actes ne sont pas isolés ou commis en cachette, mais
qu’au contraire ils sont répétés et commis en plein jour, au vu et au su de tout le monde. La violence,
les exactions, le vol, la torture deviennent ainsi non pas tolérés, mais encouragés, comme des moyens
d’asservir et d’annihiler les déportés. La cruauté et le traitement inhumain ne sont plus, comme dans
toute société normale, des déviances mais au contraire la base de l’organisation sociale du camp. Ces
Compléments sur le groupement de textes – 12
extraits montrent dans toute sa nudité macabre ce que produit nécessairement une organisation
politique totalitaire qui laisse libre cours et encourage la barbarie de ses agents. Le résultat recherché
d’une telle organisation sociale et des camps est, à long terme, la destruction lente et inexorable de
l’autre et, finalement, de la personne humaine en général (Duras).
La vie et la survie dans les camps
Au total, dans des conditions extrêmement dures, en danger constant de mort, chacun s’est organisé
pour survivre. Le mot organiser devient un des termes du vocabulaire des camps. Le petit enfant du
Verger, qui partage sa pomme avec la file de détenus, en témoigne : la quête de la nourriture, de la
moindre épluchure, du moindre relief de repas est déterminante dans les camps. La moindre parcelle
de nourriture est ainsi une aubaine, une chance infinie.
Le film de Benigni est réalisé bien après la Shoah. Il n’est pas un témoignage direct ni une œuvre
didactique. Il s’agit de la contribution d’un créateur à la réflexion sur la Shoah. Sur l’image proposée,
l’univers des camps est reconnaissable grâce à l’arrière-plan avec les baraquements, aux vêtements
rayés des personnages et aux travaux inhumains qui leur sont imposés. Guido transporte une enclume,
ce qui est matériellement impossible. L’objet est donc ici une métaphore, qui témoigne de
l’inhumanité du traitement imposé quotidiennement aux déportés. La force du film tient dans la
reconstitution par des symboles de l’univers concentrationnaire et de ce qu’on y a subi et fait subir.
Le retour et la mémoire
Seul le texte de Marguerite Duras expose le retour d’un rescapé et pose donc la question du
« comment vivre après » : quel témoignage et quel sens donner à ce temps de la déportation ?
En ce sens, l’enfant du Verger, qui ne trouve d’autre choix que de rejoindre la file de ses compagnons,
en train de se diriger vers la chambre à gaz pour y être assassinés, témoigne de ce difficile, voire
impossible retour.
Le texte de Duras esquisse cette lente rééducation du rescapé qui doit réapprendre à vivre dans des
conditions normales : parler, manger normalement. Pour tout dire, celui qui revient doit reprendre
pied dans l’humanité, dont, dans les camps, il a été exclu.
Le récit a donc ici une double fonction : cathartique – il fonctionne comme une sorte d’exorcisme,
de libération (ce qui est sur le papier n’est plus en moi…) – et testimoniale – portée par le fils qui fait
parler son père et qui veut connaître ses origines. Cette double fonction est bien sûr présente dans
chacun des textes. Chaque auteur insiste sur la nécessité de savoir, de se souvenir pour que cela ne se
reproduise pas, pour que cela soit à jamais dénoncé et empêché. Chaque texte appelle donc à se
souvenir de ce que le racisme, l’intolérance, la barbarie produisent.
◆ Travaux et analyses
8. Shoah, qui désigne aujourd’hui l’extermination de plus de cinq millions de juifs au cours de la
Seconde Guerre mondiale, est un mot hébreu que Claude Lanzmann fut le premier à utiliser alors
qu’il cherchait un titre pour son film documentaire.
Le sujet étant assez vaste, il est formulé de manière à inviter les élèves à centrer leurs recherches sur un
point ou un aspect précis. On indiquera que la liste fournie n’est pas limitative et que d’autres dimensions
de la question peuvent tout aussi bien faire l’objet de recherches ou d’une présentation comme :
– la géographie des camps ;
– la présentation d’un musée, d’un mémorial ;
– l’étude d’une œuvre ou d’un témoignage ;
– etc.
9. David Rousset nous invite à ce qu’on appelle « le devoir de mémoire », c’est-à-dire la nécessité de
se souvenir de l’existence des camps, par égard pour les victimes, mais aussi et surtout pour s’armer
contre la réapparition d’une telle catastrophe, d’une telle barbarie qui est un échec de la civilisation.
L’existence des camps nous avertit donc contre :
– le totalitarisme et la dictature qui, en interdisant tout esprit critique, toute liberté de parole, ont
rendu possible cette barbarie à une échelle industrielle ;
– le racisme et l’antisémitisme : l’idéologie nazie s’est construite sur la haine des « vrais Allemands »
contre les « faux Allemands », juifs au premier chef, mais aussi tout ceux qui pouvaient, d’une manière
ou d’une autre, incarner une différence (communistes, opposants, homosexuels, gitans…) ;
Le Verger et autres nouvelles – 13
– l’indifférence : en France, par exemple, la police de Vichy s’est rendue coupable de l’organisation de
convois massifs de déportations, avec l’aide de la milice et parfois de la population qui trouvait là
matière à solder les querelles de voisinage les plus infimes. Tout cela fut rendu possible par le fait que
chacun a obéi aux ordres, sans jamais s’interroger sur la légitimité et l’objectif de toutes ces
arrestations, comme s’il était normal d’entasser dans des wagons à bestiaux des hommes, des femmes,
des enfants et des vieillards.
10. Sur Primo Levi, on se reportera à la notice citée plus haut pour guider les élèves. On pourra leur
indiquer les pistes bibliographiques suivantes :
– Ferdinando Camon, Conversations avec Primo Levi, Gallimard, 1991.
– Myriam Anissimov, Primo Levi ou la Tragédie d’un optimiste, Jean-Claude Lattès, 1996.
Compléments à la lecture de l’image – 14
COMPLÉMENTS
À
L A
L E C T U R E
D E
L
’IMAGE
◆ Photographie extraite du film La vie est belle de Roberto Benigni (p. 125)
L’auteur
Roberto Benigni, cinéaste italien né en Toscane en octobre 1952, passe son enfance dans l’Italie
rurale. Il travaille en tant qu’apprenti magicien pendant sa scolarité à Florence puis, à vingt ans, il
entre dans une troupe de théâtre romaine. Il devient ensuite la vedette d’un show télévisé où il brille
par son humour irrévérencieux, et dont il est banni en 1980 pour s’être moqué du pape Jean-Paul II.
Lorsqu’il réalise son premier long métrage en 1983, la comédie Tu mi Turbi, il a déjà travaillé avec
Bernardo Bertolucci, Costa-Gavras et Marco Ferreri. En 1986, il joue dans Down by Law de Jim
Jarmusch – sa première expérience américaine – et remporte ensuite un certain succès avec deux
comédies : Le Petit Diable (1988) et Le Monstre (1994).
L’œuvre
En 1997, son film La vie est belle connaît un retentissement international et reçoit de nombreuses
récompenses. Roberto Benigni y incarne un père (Guido) déporté avec son fils (Giosué) et qui tente
de le protéger de la réalité des camps de concentration nazis en lui faisant croire qu’il s’agit d’un jeu,
de vacances un peu étranges, et en le faisant rire.
Roberto Benigni n’est pas le premier à traiter sous forme de fable la difficile question du nazisme. On
peut, par exemple, rapprocher son œuvre du Dictateur (1939-1940) de Charlie Chaplin ou, moins
connu, du dessin animé Der Gros Méchant Loup (1942) de Tex Avery.
L’un et l’autre proposent une caricature d’Adolf Hitler et utilisent les armes de la satire et de la
comédie pour dénoncer ses crimes. Le dessin animé de Tex Avery, par exemple, se conclut sur un
appel à peine voilé à participer à l’effort de guerre américain contre le nazisme.
Toutefois, Benigni est le premier à proposer une fable poétique sur la Shoah. Le titre de son film
révèle son intention : montrer que la vie et l’espoir prennent, en définitive, le dessus. Son art est ici au
service de cette philosophie et l’image extraite du film en témoigne : l’horreur des camps est présentée
par des métaphores, des symboles, afin de mieux mettre en valeur la personnalité et l’humanité des
personnages que l’on défend ici contre la déshumanisation nazie.
On peut aussi retenir du film ce centrage de l’histoire autour de la relation du fils et du père, que l’on
retrouve au cœur de Maus, la bande dessinée sur la Shoah d’Art Spiegelman (Flammarion, 1991).
Questions & travaux
– Après avoir visionné le film, comparez l’image des camps présentée dans le film et dans la nouvelle
Le Verger.
– Choisissez une autre image extraite du film et faites-en le commentaire.
– Le début du film, avant l’arrestation et la déportation, contribue-t-il au message général du film ?
Le Verger et autres nouvelles – 15
BIBLIOGRAPHIE, FILMOGRAPHIE,
S I T E S
C O M P L É M E N T A I R E S
◆ Sur la nouvelle et le fantastique
– Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Le Seuil, 1970.
– J.-P. Aubrit, Le Conte et la Nouvelle, Armand Colin, 2002.
◆ Œuvres de G.-O. Châteaureynaud (liste non exhaustive)
– Singe savant tabassé par deux clowns, Grasset, 2005 (Bourse Goncourt de la nouvelle 2005).
– L’Ange et les Démons, Grasset, 2004 (ouvrage pour la jeunesse).
– Au fond du paradis, Grasset, 2003, et L.G.F., 2005 (sur l’insularité et l’identité).
– Le Démon à la crécelle, Grasset, 1999, et L.G.F., 2002.
– Le Goût de l’ombre, Actes Sud, 1997 (recueil de nouvelles).
– Les Ormeaux, Éd. du Rocher, 1996.
– Le Styx et autres nouvelles, Littéra, 1995.
– Le Château de verre, Julliard, 1994, et Pocket, 1996 (sur le Moyen Âge).
– Le Kiosque et le Tilleul, Julliard, 1993, et Actes Sud, 1997 (recueil de nouvelles).
– Le Jardin d’Éden, Nompareille, 1992 (à rapprocher du Verger ?).
– Le Combat d’Odiri, « Je bouquine », Bayard, 1991 (ouvrage pour la jeunesse).
– Le Jardin dans l’île, Presses de la Renaissance, 1989, et Zulma, 2005 (recueil de nouvelles).
– La Fortune, Le Castor astral, 1987 (articles sur sa conception du fantastique, ses auteurs de
prédilection, souvenirs d’enfance sur son père et textes divers).
– Le Héros blessé au bras, Grasset, 1987, et Actes Sud, 1999 (recueil de nouvelles).
– Le Congrès de fantomologie, Grasset, 1985, et Pocket, 1994.
– La Faculté des songes, Grasset, 1982, et Pocket, 1995 (où apparaît le personnage de Manoir).
– Mathieu Chain, Grasset, 1978, et Pocket, 1993.
– La Belle Charbonnière, Grasset, 1976 (recueil de nouvelles).
– Les Messagers, Grasset, 1974, et Actes Sud, 1997.
– Le Fou dans la chaloupe, Grasset, 1973, et Julliard, 1993.
◆ Sur la Shoah
Récits et témoignages
– Primo Levi, Si c’est un homme, Pocket, 1990.
– Primo Levi, La Trêve, coll. « Les Cahiers rouges », Grasset, 1988.
– Primo Levi, Les Naufragés et les Rescapés, quarante ans après Auschwitz, Arcades-Gallimard, 1989.
– Primo Levi, Le Devoir de mémoire (entretien avec Anna Bravo et Federico Cereja), n° 50, éd. des
Mille et Une Nuits, Fayard, janvier 1995.
– Robert Antelme, L’Espèce humaine, Gallimard, 1957 (rééd. 2000).
– Marguerite Duras, La Douleur, P.O.L, 1985.
– Jorge Semprun, L’Écriture ou la Vie, Gallimard, 1994.
Histoire
– François Bédarida, Le Génocide et le Nazisme : histoire et témoignages, Pocket, 1992.
– François Bédarida (sous la direction de), La Politique nazie d’extermination, Albin Michel, 1989.
– Georges Bensoussan, Histoire de la Shoah, coll. « Que sais-je ? », PUF, 1996.
Bibliographie, filmographie, sites complémentaires – 16
– Anne Grynberg, La Shoah : l’impossible oubli, coll. « Gallimard Découvertes », Gallimard, 1995.
– Myriam Anissimov, Primo Levi ou la Tragédie d’un optimiste (biographie), Jean-Claude Lattès, 1996.
– Ferdinando Camon, Conversations avec Primo Levi, Gallimard, 1991.
– Raul Hilberg, La Destruction des juifs d’Europe, Fayard, 1988.
◆ Filmographie
– 1956 :
– 1959 :
– 1970 :
– 1977 :
– 1978 :
– 1983 :
– 1985 :
– 1994 :
– 1998 :
– 1998 :
– 1998 :
Nuit et Brouillard d’Alain Resnais.
Le Journal d’Anne Frank de George Stevens.
Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophuls.
La Vie devant soi de Moshe Mizrahi.
Holocauste de Marvin Chomski.
Au nom de tous les miens de Robert Enrico.
Shoah de Claude Lanzmann.
La Liste de Schindler de Steven Spielberg.
La vie est belle de Roberto Benigni.
Je suis vivante et je vous aime de Robert Kahane.
Train de vie de Radu Mihaileanu.
◆ Autres œuvres citées dans le recueil
– Patrick Rambaud, L’Idiot du village, Grasset, 2005.
– Marcel Aymé, « Le Décret », dans Le Passe-Muraille, Gallimard, 1943.
– Théophile Gautier, « Omphale » et « La Cafetière », dans La Cafetière et autres nouvelles,
coll. « Bibliocollège », Hachette Livre, 2000.
◆ Sites Internet
Sur G.-O. Châteaureynaud
– http://prixrenaudot.free.fr/chateaureynaud.htm
– http://www.encres-vagabondes.com/rencontre/chateaureynaud.htm
Sur la Shoah
– http://www.memorial-cdjc.org/getHomeAction.do
– http://www.fondationshoah.org