Les médias et la justice : L`impact des médias sur l

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Les médias et la justice : L`impact des médias sur l
Les médias et la justice
L’impact des médias sur l’opinion publique en matière
de criminalité et justice pénale
Les médias et la justice
Les médias et la justice : L’impact des médias sur l’opinion publique en
matière de criminalité et justice pénale.
Recherche et rédaction : Eric Bélisle
Groupe de défense des droits des détenus de Québec © 2010
Le Groupe de défense des droits des détenuEs de Québec est un organisme à but non lucratif
fondé en 1977 qui regroupe des hommes et des femmes préoccupés par la question de la
détention.
Le Groupe de défense des droits des détenuEs de Québec considère que le système correctionnel
doit remplir pleinement son rôle en offrant aux personnes contrevenantes les outils et
programmes nécessaires à leurs démarches de réinsertion et de réhabilitation.
Un des objectifs de l’organisme est de présenter au public une image juste et réaliste de la
criminalité, de l’incarcération et du système judiciaire et correctionnel.
Groupe de défense des droits des détenuEs de Québec
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-2-
Les médias et la justice
Table des matières
INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 4
Première partie : L'influence des médias et la couverture médiatique de la
criminalité
L’impact de la couverture médiatique sur l’opinion publique ................................................................ 6
La répartition des crimes et la couverture médiatique de la criminalité ............................................................... 6
Le phénomène des vagues de crime ..................................................................................................................... 8
La peur du crime................................................................................................................................................... 9
Une idée profondément ancrée ........................................................................................................................... 10
Populisme pénal.................................................................................................................................................. 11
La représentation du crime par les médias ............................................................................................ 13
Méthodologie...................................................................................................................................................... 13
Analyse ............................................................................................................................................................... 13
Les catégories d’infraction ................................................................................................................................. 14
Les infractions .................................................................................................................................................... 14
Deuxième partie : le traitement de la nouvelle - l'analyse du contenu
Le contenu de la nouvelle......................................................................................................................... 19
Le glissement du conditionnel au présent........................................................................................................... 19
Connotation, signes d’exclusions et récit ........................................................................................................... 20
Le titre et la mise en pages ................................................................................................................................. 22
Une image vaut mille mots ................................................................................................................................. 25
Les chroniques d’opinion......................................................................................................................... 26
Quelques exemples… ......................................................................................................................................... 28
CONCLUSION............................................................................................................................................. 33
Annexe 1 : Infractions au Code criminel et autres lois, Québec, 2006 : Comparaison des articles
relevés avec les infractions réelles. ........................................................................................................ 34
Annexe 2 : Infractions au Code criminel seulement, Québec, 2006 : Comparaison des articles
relevés avec les infractions réelles. ........................................................................................................ 35
Annexe 3 : Les catégories d’infractions au Code criminel, réalité vs médias (graphique) ............... 36
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................ 37
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Les médias et la justice
INTRODUCTION
On dit souvent des médias qu’ils constituent le quatrième pouvoir. Cette expression trouve
ses origines dans l’ouvrage De la démocratie en Amérique, d’Alexis de Tocqueville, datant de
1833. L’auteur avance la classification des pouvoirs suivants : le pouvoir central, dans lequel on
retrouve la séparation des pouvoirs classiques (législatif, exécutif et judiciaire), le pouvoir local,
le pouvoir associatif (lobbies) et les médias.
Par confusion, on dit souvent que le quatrième pouvoir fait suite aux trois pouvoirs
classiques. Certains ont rajouté à cette liste un cinquième pouvoir, qui serait celui de l'opinion
publique (qui se détacherait de la presse, malgré une influence non des moindres de la presse sur
la formation de l'opinion publique).1
Il est difficile de dire exactement d’où provient l’influence des médias sur l’opinion. Les
journalistes diront que la couverture de l’actualité répond aux besoins des lecteurs. D’autres
diront que les médias « imposent » leur vision de l’actualité. Si les médias tentent bien sûr
d’intéresser le lecteur, la ligne entre l’information et le sensationnalisme se fait mince : « il est
parfois difficile de déterminer où finit le souci de son public et où commence le
sensationnalisme. »2
Il est clair cependant que les médias doivent faire un choix parmi l’ensemble des faits
judiciaires afin de déterminer lesquels seront publiés ou non. Certains délits passent
inévitablement sous silence en raison de leur caractère « banal » et du faible intérêt qu’il suscite
chez les gens. Cette sélection influence-t-elle la perception du crime chez la population?
Notre analyse se penchera plus particulièrement au niveau des médias écrits. Dans la
première partie de ce texte, nous tenterons de voir quelle est l’influence des médias sur l’opinion
publique en matière judiciaire et pénale. Nous analyserons également la représentation des
crimes par les médias. La seconde partie traitera plus particulièrement du contenu même des
articles touchant le domaine judiciaire et carcéral. Nous verrons quels sont les différents
glissements médiatiques qui peuvent influencer l’opinion du lecteur.
1
2
: Wikipédia
: ROSS, Line. L’écriture de presse : l’art d’informer. Montréal, Gaëtan Morin Éditeur, 1990, p. 41
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Première partie
L’influence des médias et la couverture
couverture médiatique de la criminalité
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Les médias et la justice
L’impact de la couverture médiatique sur l’opinion publique
Les médias occupent une place importante dans nos vies et font partie des sources
d’information qui permettent aux gens de se forger une opinion. En matière de criminalité, près
de 95 % des gens citent les médias comme première source d’information sur ce sujet.3 Le
dernier sondage sur la justice au Canada nous révèle que les répondants accordent plus
d’importance à l’information provenant des médias qu’à celle divulguée par le gouvernement.4
C’est donc dire le rôle important que jouent les médias en matière de perception de la
criminalité et du système judiciaire. D’autant plus qu’en ce qui concerne le milieu carcéral, c’est
souvent la seule façon pour la population de savoir ce qui se passe derrière les murs.
Quelques chercheurs se sont penchés sur la question de l’impact des médias sur l’opinion
publique. Il semble que les médias influencent la perception des gens de quatre façons : en
rapportant plus fréquemment les crimes extrêmes ou atypiques, en accordant beaucoup de place
aux crimes graves, en choisissant davantage des crimes comportant des victimes vulnérables et
des criminels invulnérables et en rapportant de façon pessimiste ce qui a trait au système de
justice.5
La répartition des crimes et la couverture médiatique de la criminalité
Les évènements judiciaires rapportés par les médias ne sont certes pas inventés, mais ils ne
reflètent pas la réalité. On constate que les faits divers que les médias choisissent de rapporter ne
sont pas ceux qui, dans les faits, sont les plus importants en termes de fréquence, de tendance ou
de représentativité des personnes contrevenantes en cause.6
La criminalité occupe une place de choix dans les médias. « La proportion varie d’un pays
à l’autre, mais la plupart des études révèlent que la criminalité représente de 10 % (dans les
journaux de qualité) à 30 % (dans les tabloïdes) du contenu moyen de l’ensemble des journaux.
Les bulletins de nouvelles nationaux accordent plus de place à la criminalité, et les nouvelles
locales encore davantage. »7
Non seulement la criminalité occupe une place de plus en plus grande dans les médias, mais
ce sont les crimes les plus graves et souvent les plus exceptionnels qui prennent la plus grande
place. L’auteur et journaliste Dan Gardner compare la criminalité réelle à celle présente dans les
médias à une pyramide inversée. Dans les faits, se sont les crimes que l’on peut qualifier de
« moins graves » qui constituent la majorité des crimes et qui forment la base de cette pyramide.
3
: DUBOIS, Judith. La Couverture médiatique du crime organisé—Impact sur l’opinion publique? Ottawa,
Gendarmerie Royale du Canada, 2002. p. 3
4
: LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et
confiance du public, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2007, p. 14.
5
: DUBOIS, Judith. Op. Cit. p. 6
6
: Idid. p. 5.
7
: GARDNER, Dan. Risque : La science et les politiques de la peur, Montréal, Les Éditions logiques (version
française), 2009, p. 250.
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Les médias et la justice
Plus l’on monte, moins les crimes sont fréquents et on retrouve à son sommet l’homicide, qui est
sans contredit le crime le plus grave, mais le moins commis.
Or, l’image de la criminalité présentée par les médias inverse cette pyramide : les meurtres
et autres crimes graves occupent une large part des faits divers alors que les crimes bénins sont
peu ou rarement rapportés.
Les règles d’écriture de presse forcent le journaliste à rapporter la nouvelle de la façon la
plus concise possible. Ainsi, les médias vont souvent se contenter de décrire le crime et sa
victime, sans que se questionne outre mesure sur le risque d’en être victime, sa fréquence, les
motifs du délit et les politiques qui pourraient protéger les victimes. « En réalité, les médias
accordent très peu d’attention à la criminalité, mais ils ne cessent jamais de parler des crimes »8
Le fait que la perception du public en ce qui concerne la distribution relative des crimes se
rapproche davantage de la représentation des médias que de celle de la police démontre un réel
impact de la presse sur l’opinion publique.9
À long terme, cette répartition médiatique s’imprègne inconsciemment dans l’imaginaire
collectif et crée l’illusion d’une criminalité pire qu’elle ne l’est en réalité. Il y a là danger d’un
véritable cercle vicieux.
Comme le souligne le criminologue et journaliste Georges-Andrée Parent, « un des effets
de la “survisibilisation” des crimes dans les médias (une certaine criminalité surtout), que ce soit
pour les décrire ou sous le prétexte de les prévenir ou d'assister les policiers dans leur enquête, est
certainement la peur qu'elle peut engendrer. Plus on diffuse une certaine image du crime, plus on
fait peur... Et plus on fait peur, plus le public réclame des policiers et des pouvoirs pour le
policier... Et plus il y a de policiers, plus on enregistre de crimes... Et plus il y a de crimes, plus
on en parle, plus on achète de journaux... Nous sommes encore ici plongés dans la relation
complice médias-police. »10
Non seulement les médias présentent-ils une vision déformée de la criminalité, ils ont
également tendance a présenter une image « stéréotypée » des victimes. « Les médias accordent
beaucoup plus d’attention aux incidents dont les victimes sont des enfants, des femmes ou des
personnes âgées, selon une tendance ayant un effet particulièrement trompeur dans les cas de ces
dernières puisque ce sont les citoyens les moins susceptibles, et de loin, d’être victimes d’un
crime. ».11
Dans les faits, les personnes âgées de 65 ans et plus sont moins susceptibles que les
personnes plus jeunes d’être victimes d’une infraction avec violence. En 2007, les aînés
représentaient 2 % de toutes les victimes de crimes violents déclarés par la police. Bon nombre
de gens seraient également surpris d’apprendre que la proportion de femmes victimes d’homicide
s’élevait, en 2008, à 24 % et que ce taux poursuit une tendance générale à la baisse depuis le
début des années 1960. De leur côté, les enfants risquent dix fois plus d’être victimes d’un
accident mortel que d’un meurtre : le taux de mortalité en raison d’un homicide chez les enfants
âgés de 1 à 14 ans s’élevant à 0.4 /100 000, contre 10.6 pour les mortalités causées par un
8
: GARDNER, Dan. Op Cit. p. 250.
: DUBOIS, Judith. Op. Cit. p. 5
10
: PARENT, Georges-André. « Les médias : source de victimisation », dans Criminologie, Vol.23, nº2, Montéral,
1990, p.62-63.
11
: GARDNER, Dan. Op Cit. p. 254
9
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Les médias et la justice
accident. Pourtant, ce sont les victimes qui sont les plus souvent représentées dans les délits
rapportés par les médias.
Le phénomène des vagues de crime
Bon nombre de chercheurs ont étudié le phénomène des vagues de crime dans les médias,
qu’on pourrait expliquer ainsi :
« Les journalistes découvrent quelques crimes se ressemblant, on en fait
état puis on parle d'une vague. Chaque jour, les médias recherchent des
nouveaux cas, ce qui incite les policiers à en enregistrer davantage, les témoins à
en déclarer plus et les victimes à rapporter des incidents qu'ils auraient tus en
d'autres temps. Résultat : on crée un sentiment de peur généralisé. Sociologues,
psychologues, criminologues et autres spécialistes s'emparent du phénomène et
en font un problème social. Les procureurs sont plus alertes dans ce genre de
dossier, les juges ont tendance à donner des sentences qu'ils veulent plus
dissuasives et les politiciens s'emparent de la chose et concoctent des politiques
ou des lois venant renforcer le contrôle social. »12
Durant les années 1984-85 à Montréal, à la suite de la disparition de trois enfants, les
journalistes révélaient une « vague » de meurtres d’enfants. À la fin des années 80, on parlait
d’une « vague » d’attentats contre les chauffeurs d’autobus de Montréal. Or, « dans tous ces cas,
les statistiques ont démontré que les crimes enregistrés ne correspondaient absolument pas à la
vague de crimes décrite dans les médias. Dans les cas des chauffeurs d'autobus de la STCUM,
une recherche a même établi qu'il y avait eu moins d'attentats pendant la “vague” qu'au cours de
la période correspondante l'année précédente! »13
L’ensemble des études sur les vagues de crime étudiées par Georges-Andrée Parent arrive à
la même conclusion : « l'augmentation du volume de reportages consacrés aux crimes de la vague
ne correspond pas à une augmentation statistique équivalente de ces crimes et les vagues de
crimes cessent le jour où les médias cessent d'en parler. »14
Un sociologue américain, Barry Glassner, a démontré que la couverture médiatique aux
États-Unis dans les années 1990 a servi de diversion pour certains politiciens. « Lorsque la
couverture médiatique laisse croire à une vague de criminalité imminente dirigée par des
“superprédateurs” issus de quartiers pauvres, le réflexe n’est pas de s’interroger sur l’utilité de
sabrer dans les programmes sociaux au cours des dernières années et de leur influence sur la
criminalité dans les centres urbains. La question n’est pas non plus de savoir si les
“superprédateurs” existent réellement ou si la violence a bel et bien augmenté. La population
aura le réflexe de demander plus de sévérité face aux délinquants ».15
Toujours aux États-Unis, on a assisté dans les années 1980 à une montée de l’inquiétude
dans l’opinion publique au sujet d’enlèvement d’enfants par des pédophiles. Alors que les
12
: PARENT, Georges-André, Op. cit., p. 64-65.
: Ibid, p. 65.
14
: Ibid, p. 65-66.
15
: LAMALICE, Olivier. Opinion publique, incarcération et système pénal aux États-Unis : les influences de la
classe politique et des médias, Ottawa, ministère de la Sécurité publique du Québec, 2006, p. 26.
13
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Les médias et la justice
médias et certains dirigeants politiques répètent que 50 000 à 75 000 enfants étaient arrachés à
leurs parents chaque année, personne ne se questionne sur la provenance de ce nombre, ni sur le
risque réel qu’un enfant soit enlevé. Le public se faisant de plus en plus craintif, le Congrès des
États-Unis a chargé un organisme fédéral de faire la recherche nécessaire sur les disparitions
d’enfants. Suite à l’analyse des données, les auteurs dénombrent 115 cas d’enlèvement d’enfants
par un étranger ou une connaissance lointaine, ce qui représente un risque d’enlèvement à
0.00016 %. Nous sommes loin des 50 000 cas rapportés par les médias.16
La peur du crime
La surmédiatisation des crimes sensationnels a également un impact sur la perception des
gens à l’effet qu’ils puissent être victimes du crime.
Pour la majorité, la peur du crime est un concept abstrait puisque « les gens, pour se former
une idée de la criminalité en dehors des lieux qu’ils fréquentent, ne peuvent le faire qu’à partir
d’une expérience relativement abstraite, en s’appuyant sur des informations qui, en fait, sont
constituées de fragments d’images, d’opinions entendues, se mêlant à des impressions
personnelles. »17
Les médias de masse, plus particulièrement la télévision, ont un effet insécurisant. On a
démontré que « les personnes qui regardent beaucoup la télévision auraient davantage tendance à
croire que leurs voisins ne sont pas sûrs, à assumer que le taux de criminalité est en hausse et à
surestimer les risques qu’elles soient victimes d’un acte criminel. »18
« Pire, les médias propageraient souvent des idées fausses quant à la criminalité,
influençant négativement le sentiment de sécurité, notamment en oblitérant les statistiques
démontrant que la criminalité est en baisse. »19 Alors qu’une hausse de la criminalité fera l’objet
d’une attention médiatique quasi assurée, les médias passent souvent sous silence les baisses.
« Imaginez qu’un organisme gouvernemental publie un rapport sur
la violence conjugale qui révèle que sa fréquence s’est accrue des deux
tiers depuis 10 ans et a atteint un niveau sans précédent. Et imaginez
maintenant que les médias ne disent pas un seul mot sur ce rapport.
Aucun article, aucune lettre du lecteur en colère, aucun reportage
analysant cette tendance inquiétante. Évidemment, c’est impossible. Et
pourtant, en décembre 2006, le Bureau des statistiques judiciaires des
États-Unis a publié un rapport montrant que les cas de violence
conjugale aux États-Unis avaient diminué de près des deux tiers au cours
des 10 années précédentes et n’avais jamais été aussi peu nombreux.
Cette bonne nouvelle renversante est presque complètement passée
inaperçue. »20
16
: GARDNER, Dan. Op Cit. p. 247.
: LOUIS-GUÉRIN, Christiane. « La peur du crime : Mythes et réalités », dans Criminologie, Vol.11, nº2,
Montréal, 1980, p. 72.
18
: LAMACE, Olivier. Op. Cit., p.19.
19
: Ibid, p. 20.
20
: GARDNER, Dan. Op Cit. p. 251
17
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Les médias et la justice
On a pu observer une situation semblable au Canada. Les médias ont fait grand état en mai
2008 d’une hausse de 3 % de la criminalité chez les jeunes à la suite de la publication d’un
rapport de Statistique Canada portant sur la criminalité juvénile en 2006. Or, les médias ont
complètement passé sous silence les dernières statistiques sur la criminalité, parues en juillet de la
même année, qui indiquaient une baisse de 2 % en 2007 et qu’outre la hausse exceptionnelle de
2006, le taux de criminalité chez les jeunes poursuit une tendance globale à la baisse depuis 1991,
année record de la criminalité.
Le fait qu’on retrouve pratiquement à tous les jours dans la presse des faits divers de nature
judiciaire alors qu’on ne parle qu’une fois par année du taux de criminalité réel (lorsque les
nouvelles statistiques sont disponibles) peut certainement expliquer qu’une majorité de gens croit
à tort que la criminalité est à la hausse.
Le Sondage national sur la justice de 2007 révèle que 57,8 des répondants croient que le
taux de criminalité à augmenté au cours des cinq dernières années au Canada et 29,9 % pensent
qu’il est demeuré le même. Seuls 12,3 % avaient vu juste en affirmant qu’il avait diminué.21
Le constat est similaire du côté des jeunes contrevenants : 78 % croient que la criminalité
juvénile a augmentée au cours des cinq dernières années et 17 % croient qu’elle est demeurée
identique. Seuls 5 % ont donné une réponse conforme à la réalité en indiquant qu’elle avait
diminué. Mentionnons que dans ce dernier sondage, 79 % des répondants ont identifié les médias
comme principale source d’information sur le système de justice pénale pour les jeunes. « Très
peu (8 %) se fondent sur des sources spécialisées, par exemple des cours universitaires, des
rapports gouvernementaux ou des livres ». 22
Une idée profondément ancrée
Les médias ont un tel impact qu’il semble difficile de renverser le point de vue des gens sur
le système judiciaire. À preuve, dans le cadre du sondage sur la justice, on a demandé aux
répondants de se prononcer sur les statistiques relatives à la libération conditionnelle. Après
avoir indiqué aux gens que 55 % des délinquants admissibles à une libération conditionnelle ont
été refusés en 2005, la majorité (soit 71 %!) a dit croire que la proportion des délinquants remis
en liberté conditionnelle était supérieure à ce nombre. Une majorité doute également des données
relatives à la criminalité, croyant que celle-ci a augmenté. Pourtant, comme l’indiquent les
auteurs de l’enquête, « bien que certaines données (p. ex., le taux de criminalité) soient tributaires
de facteurs méthodologiques comme les erreurs de déclaration, le nombre de détenus libérés
chaque année par la Commission nationale des libérations conditionnelles est incontestablement
exact ».23
Aussi, selon ce même sondage, 66 % des gens croient que le gouvernement est dans la
bonne voie avec sa stratégie S’attaquer au crime. Toutefois, seuls 8 % des répondants ont
21
: LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et
confiance du public,. Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2007, p. 16.
22
: LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Le Sondage national sur la Justice de 2008 : le Système de justice pour
les jeunes au Canada et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, Ottawa, Ministère de la Justice
du Canada, Ottawa, 2008, p. 11 & 18.
23
: LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et
confiance du public, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2007, p. 15 & 32.
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Les médias et la justice
affirmé être très au fait de cette stratégie. Pire encore, même après avoir reconnu leur
méconnaissance sur la stratégie du gouvernement, les répondants n’ont pas changé leur opinion
quant à sa justesse.
Que dire également de cet exemple où une « victime qui spécifie que la version des
journaux de l’évènement qu’elle relate est fausse, ce qui ne l’empêche pas de croire ce que les
journaux racontent au sujet d’autres vols »!24
Populisme pénal
On a aussi démontré que la représentation médiatique d’évènements criminels a des
conséquences sur l’établissement des politiques pénales par les politiciens usant de « populisme
pénal ».
Le populisme pénal est un terme définissant « une politique ou une série de politiques
populaires qui tentent de répondre à des demandes populaires – qu’elles aient été exprimées ou
non. Ainsi, un politicien usant de populisme pénal tentera de récolter un maximum de votes en
tablant sur la peur du crime, un évènement criminel souvent exceptionnel, mais surmédiatisé.
[…] Or, les politiques populistes peuvent être mises en œuvre malgré leur détachement de
légitimité scientifique, préférant le registre émotionnel aux critères rationnels. »25
Des chercheurs ayant étudié la question du populisme pénal ont dénombré aux États-Unis
trois évènements médiatiques majeurs qui ont influencé les réactions populaires et politiques face
à la sévérité pénale au cours des années 80 et 90 : le décès par surdose d’un joueur étoile de
baseball, la récidive d’un criminel noir profitant d’une permission de sortie en 1988 et le meurtre
d’une jeune adolescente par un ancien détenu en 1993. « Comme c’est fréquemment le cas dans
les médias, trois évènements tragiques, mais se révélant tout de même des événements isolés et
non une tendance lourde, ont influencé l’opinion publique qui, elle a amené des changements
importants dans les politiques pénales. »26
Au Québec, nous relevons également le même type d’évènements médiatiques marquants.
Nous pouvons citer pour exemple l’histoire Bastien-Livernoche qui a amené une réforme en
profondeur du système correctionnel. Cet évènement, bien qu’il s’agisse d’un cas extrême et
isolé, est encore aujourd’hui souvent rappelé dans les médias et demeure ainsi fort présent dans
l’imaginaire collectif.
Les tenants du discours de « la loi et l’ordre » usant de populisme pénal, qu’ils soient
politiciens, journalistes ou autre, font donc régulièrement appel aux émotions en prenant appui
sur la désinformation des médias et en se servant d’évènements criminels marquants pour faire
passer leur idéologie et leurs politiques.27 En voici quelques exemples :
Dans un article du Journal de Québec relatant une conférence de presse de Mario Dumont,
on peut lire : « Le chef adéquiste croit que ce n’est finalement qu’une question de temps pour que
24
: SOUBIRAN-PAILLET, Francine. « Presse et délinquance ou comment lire entre les signes », dans
Criminologie, Vol. 11, nº2, Montréal, 1980, p. 74
25
: LAMACE, Olivier. Op. Cit., p. 10
26
: Ibid., p. 20
27
: Ibid., p. 25
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Les médias et la justice
se produise un autre événement déplorable, comme l’avait été la mort atroce du jeune Alexandre
Livernoche, tué par un détenu en absence temporaire… »28
Ou encore, dans un article du Journal de Québec au sujet de la réduction temporaire de
quatre mois de la fréquence des vérifications (appels téléphoniques et visites à domicile) auprès
des personnes en sursis, on amorce l’article par une citation de monsieur Pierre-Huges Boisvenu
qui affirme : « Est-ce que ma fille Julie est morte pour rien? Est-ce que le petit Livernoche est
mort pour rien? ».29
Le populisme pénal fait généralement appel à l’émotion ou à la peur. La stratégie utilisée
est fort simple : la personne fait appel à l’émotion en s’accolant à un évènement tragique dans le
but d’obtenir l’appui et d’éviter toute contradiction. « Un autre trait rependu de ce type de
marketing politique réside dans la tenue de conférence de presse où des responsables politiques
se présentent en compagnie de parents éplorés et l’adoption de loi baptisée du nom d’enfants qui
sont morts dans des circonstances à la fois exceptionnellement terribles et rares ».30 De cette
façon, on tente de donner l’image que ceux qui s’opposent à l’idée avancée manquent de
compassion envers les familles des victimes. C’est pourtant loin d’être vrai.
Bref, comme l’a révélé le sondage national sur la justice de 2007, le public est mal informé
sur la réalité et les politiques gouvernementales en matière de lutte à la criminalité. Il en résulte
un manque de confiance envers le système de justice pénale.
La majorité des répondants ayant cité les médias comme principale source d’information
sur le sujet, bien au-devant des sources officielles gouvernementales, nous pouvons déduire que
les médias sont en partie responsables de cette désinformation.
Ayant une perception erronée de la criminalité, les gens sont donc plus réceptifs aux
discours populistes en matière pénale. C’est ce qui permet aux auteurs du sondage de dire
« qu’en raison du manque de confiance à l’égard du système de justice pénale, toute mesure qui
vise à lutter contre le crime serait probablement bienvenue, quelle qu’en soit la forme ».31
Cette tendance a également été soulevée par Sotirovic (2001) qui dénote que « l’usage que
font les gens des médias joue un rôle dans la relation entre leurs connaissances des évènements et
la façon dont ils en sont affectés. Cette relation influencerait la préférence des citoyens pour
deux types de politique envers le crime : punitive ou préventive. D’après Sotirovic, la préférence
pour des politiques préventives requiert un processus de réflexion complexe alors que la
préférence pour des politiques punitives serait directement liée à un sentiment de peur. »32 Ce qui
est loin d’être rassurant…
28
: « L’ADQ passe à l’offensive », dans Le Journal de Québec, 27 janvier 2005.
: « Surveillance réduite des détenus en sursis : « Ma fille est-elle morte pour rien ? », dans Le Journal de Québec,
10 janvier 2006
30
: GARDNER, Dan. Op Cit. p. 267
31
: LATIMER, Jeff et Norm DESJARDINS. Sondage national sur la justice de 2007 : lutte contre la criminalité et
confiance du public, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2007, p. 33.
32
: DUBOIS, Judith. Op. Cit., p. 7
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Les médias et la justice
La représentation du crime par les médias
L’équipe du GDDDQ jette assidument un regard sur l’actualité judiciaire et correctionnelle.
De prime abord, nous constatons que la couverture médiatique accordée aux faits divers
sensationnels semble disproportionnée. Afin de confirmer ou d’infirmer notre impression, nous
avons entrepris de recenser et d’analyser rigoureusement la couverture des faits divers pendant un
mois.
Le résultat est frappant et sans équivoque : les médias ne reflètent pas l’image réelle de la
criminalité.
Méthodologie
L’équipe du GDDDQ a recensé tous les articles de nature judiciaire parus entre le 12
janvier et le 12 février 2009 dans Le Soleil et Le Journal de Québec. Seuls les faits divers
concernant le Québec ont été retenus afin de les comparer avec les statistiques sur la criminalité
au Québec. Par conséquent, les faits divers qui se sont produits à l’extérieur du Québec ne sont
pas analysés.
Les données réelles de la criminalité proviennent des statistiques sur la criminalité au
Québec en 2006 qui constituaient les dernières statistiques officielles disponibles sur le site du
ministère de la Sécurité publique du Québec en date du 12 février 2009.
Analyse
Un total de 141 articles ont été recensés durant cette période. Fait qui ne surprendra
certainement personne, la majorité (62 %) des articles sont parus dans Le Journal de Québec,
contre 38 % dans Le Soleil.
Répartition des articles recensés
par journaux
Le Soleil
(38%)
- 13 -
Journal
de Qc
(62%)
Les médias et la justice
Les catégories d’infraction
De prime abord, on constate une surreprésentation des crimes contre la personne et des
infractions relatives à la conduite de véhicule alors que les crimes contre la propriété et les autres
infractions au Code criminel sont largement sous-représentés.
En effet, 62 % des articles recensés traitaient d’une infraction contre la personne. Pourtant,
les crimes contre la personne représentaient 11 % des infractions en 2006 au Québec. À
l’inverse, seulement 9 % des faits divers étaient en lien avec un crime contre la propriété alors
qu’en réalité, cette catégorie d’infraction représente 56,5 % des délits commis, soit la grande
majorité.
Comparaison de la couverture médiatique aux données
réelles de la criminalité
Médias
Réel
Infractions au
Code criminel
seulement
Médias Réel
9,2%
62,4%
4,3%
56,5%
11,1%
20,8%
12,1%
82,2%
5,6%
Ensemble des
infractions
Crimes contre la propriété
Crimes contre la personne
Autres infractions au C.c
70,0%
19,6%
10,3%
Les infractions
La disparité entre les infractions rapportées dans les journaux et les données officielles sur
la criminalité nous permet de mettre en lumière l’impact des médias sur la représentation que se
font les lecteurs des crimes commis et, par conséquent, des personnes contrevenantes.
Lorsque l’on porte attention aux affirmations d’une majorité de personnes au sujet de la
criminalité ou des personnes contrevenantes, on remarque que certains propos reviennent plus
fréquemment. À titre d’exemple, sur un forum Canoë en lien avec un article portant sur
l’incarcération, dans les 3 premières pages seulement, les répondants ont décrit les prisonniers
comme étant des meurtriers à 9 reprises, des violeurs à 3 reprises et des récidivistes à 5 reprises.
Le vol n’a été mentionné qu’une seule fois.
On remarque une grande similitude entre ces propos et les faits divers rapportés par les
médias. Si l’on regarde les cinq principaux crimes relatés dans les articles répertoriés, on en
dénombre quatre qui sont des crimes contre la personne et aucun crime contre la propriété. Dans
les faits, le ratio réel est de 4 crimes contre la propriété et un crime contre la personne. Les
tableaux suivants nous démontrent le « top 5 » des crimes relatés par les médias versus les
données réelles sur la criminalité.
- 14 -
Les médias et la justice
Rang
1
2
3
4
5
Les 5 principales infractions (Réel 2006)
Infractions
% Rang médias
--Vols de 5 000$ ou moins
22,9
Introduction par effraction
14,2 19 (0,7 %)
--Méfaits
9,9
Voies de fait
9,28 4 (11,4 %)
8 (2,8 %)
Vols de véhicules à moteur
8,32
Les 5 principales infractions (selon les médias)
Rang réel
Rang
Infractions
%
1
Homicide
25,5 30 (0,02 %)
2
Agression sexuelle
15,7 13 (1,1 %)
3
Conduite avec facultés affaiblies
12,8 10 (3,3 %)
4
4 (9,3 %)
Voies de faits
11,3
5
7 (4,2 %)
Drogues et stupéfiants
5,7
La comparaison des 5 principales infractions nous permet de constater l'attention
médiatique disproportionnée accordée aux crimes graves et sensationnels. C'est le crime le plus
grave, soit l'homicide, qui occupe le premier rang des faits divers répertoriés, et ce, malgré le fait
qu'il représente seulement 0.02 % de l'ensemble des infractions et qu'il occupe le dernier rang de
crimes commis. S'en suit l'agression sexuelle, qui se hisse au deuxième rang avec 15,7 % des
articles relevés. Dans les faits, cette infraction compte pour 1,1 % des crimes enregistrés en
2006. La conduite avec facultés affaiblies fait aussi l'objet d'une surreprésentation dans les
articles relevés. Seules les voies de fait occupent un rang similaire à la réalité, malgré une
proportion légèrement plus élevée dans les médias qu’en réalité.
En outre, on constate que certains délits sont carrément absents des faits divers rapportés
par les médias. S’il est tout à fait normal que les délits les plus rares n’aient pas fait l’objet de
couverture médiatique durant la période mentionnée, on s’étonne de l’absence de certains crimes,
qui forment pourtant la grande majorité des infractions réelles. C’est le cas notamment des vols
et des méfaits.
Les délits passés sous silence par les médias
Rang
% réel
Infractions
réel
1
22,9
Vols de 5 000$ ou moins
3
9,9
Méfaits
15
1,1
Vols de plus de 5 000$
16
1,0
Harcèlement criminel
Autres infractions au CC
17
0,8
19
0,7
Possession de biens volés
21
0,4
Appels téléphoniques indécents
24
0,3
Prostitution
29
0.02
Autres crimes contre la personne
31
0
Négligence criminelle causant la mort
- 15 -
Les médias et la justice
Si l’on applique aux données que nous avons analysées l’exemple de la pyramide avancée
par Dan Gardner, on remarque immédiatement cette disproportion dans la présentation des
crimes.
- 16 -
Les médias et la justice
À la lumière de ces constatations, il est évident que les médias accordent une attention
particulière à certains délits, le plus souvent « extrêmes » et spectaculaires alors qu’ils passent
sous silence certains délits que l’on pourrait qualifier de moins sensationnels.
Il serait intéressant de pousser cette analyse en recensant les faits divers relatés par les
médias pendant une année complète. Ceci nous permettrait d’obtenir un portrait encore plus près
de la réalité. Malheureusement, le GDDDQ ne dispose pas des ressources nécessaires pour faire
un tel travail.
Malgré tout, nous pouvons croire que les résultats demeureraient similaires à ceux observés
sur une période d’un mois, puisque nos résultats concordent tout de même avec les observations
avancées par divers auteurs qui se sont penchés sur la question.
- 17 -
DEUXIÈME PARTIE
Le traitement de la nouvelle – l’analyse du contenu
- 18 -
Les médias et la justice
Le contenu de la nouvelle
Nous avons vu précédemment que la répartition des crimes par les médias est
disproportionnée en comparaison avec la réalité et que cela avait certes un impact sur la
perception de la criminalité par la population. Voyons maintenant comment, au-delà de la
couverture des crimes dans les journaux, le « contenu » des articles peut aussi influencer
l’opinion publique vis-à-vis le système judiciaire.
Il importe d’abord de distinguer deux types d’articles que l’on retrouve dans les journaux :
ceux de faits et ceux d’opinions. En théorie, l’article factuel rapporte les faits avec un souci
d’objectivité et de neutralité alors que celui d’opinion (par exemple l’éditorial ou une chronique)
comporte d’évidentes marques de subjectivités.
Cette distinction ne se manifeste cependant pas toujours clairement aux yeux du lecteur par
des choix assez affirmés de typographie ou de localisation dans le journal. Cette indistinction est
encore plus grande sur le Web. On reproche parfois même aux articles factuels un manque
d’objectivité « car l'apparence de relation brute des faits peut masquer, délibérément ou non, une
orientation partisane, philosophique ou idéologique : le choix des thèmes traités ou au contraire
passés sous silence, l'ordre adopté dans la succession des informations au sein du journal, d'une
page ou d'un article, la sélection et la hiérarchisation des idées au sein d'un article, ce qui est
énoncé explicitement ou implicitement, le choix des noms, verbes et adjectifs aux connotations
diverses, sont autant de procédés rédactionnels susceptibles d'influer sur l'interprétation du
lecteur. »33
Le journaliste peut aussi faire, consciemment ou non, certains glissements médiatiques qui
peuvent avoir un impact sur la perception des gens et, par conséquent, l’opinion publique. En
voici quelques-uns assortis d’exemples en lien avec le domaine qui nous intéresse.
Le glissement du conditionnel au présent
Il importe de rappeler que la présomption d’innocence est l’un des fondements premiers de
notre système juridique. Ainsi, tant que la personne n’a pas été déclarée coupable par un tribunal,
elle est présumée innocente. Le journaliste doit donc porter attention à la manière de rapporter
les faits et l’emploi du conditionnel est tout indiqué en ce sens. Par exemple, le journaliste doit
écrire « M. X aurait agressé » et non « M. X a agressé ». Il faut garder à l’esprit que ce qui est
rapporté est la version d’une personne, à savoir une victime, un témoin, un policier ou encore
l’accusé. Cette version peut n’être vraie qu'en totalité, en partie ou d’aucune façon. C’est au
tribunal d’en décider et non au journaliste.
En France, l’affaire d’Outreau – ou des personnes ont été faussement accusées de faire
partie d’un réseau de pédophilie – a fait ressortir plusieurs glissements médiatiques qui ont
rappelé l’importance de la rigueur des journalistes dans le traitement de la nouvelle. Une analyse
du traitement médiatique de cette affaire qui a fait scandale peut être consultée en ligne au
www.le-tigre.net/La-presse-et-Outreau-2001-2006.html.
33
: Wikipédia
- 19 -
Les médias et la justice
Connotation, signes d’exclusions et récit
Le choix des mots employés dans le texte joue également sur l’imaginaire des lecteurs.
Lorsqu’il écrit son texte, le journaliste va employer, parmi plusieurs choix possibles, un terme
précis plutôt qu’un autre. En linguistique, on parlera de dénotation et de connotation.
« La connotation désigne tous les éléments de sens qui peuvent s'ajouter à cette référence
[…] Par exemple, si on s'intéresse au mot “flic”, le sens dénotatif est le même que celui de
policier. Mais à ce sens s'ajoutent des connotations péjoratives et familières. Un même mot
pourra donc avoir des connotations différentes en fonction du contexte dans lequel il est
utilisé »34
« Parler de “toxicomane” équivaut à provoquer un déclic chez le lecteur, à reproduire un
certain nombre d’images négatives. Le “récidiviste” relève du même mécanisme. Son apparence
ne dit pas obligatoirement sa qualité, mais prononcer le qualificatif de “récidiviste” amène là
encore à l’adoption d’un réflexe de méfiance, de vigilance, comme à l’égard de n’importe quel
exclu. » L’utilisation des guillemets par le journaliste vient d’autant plus renforcer la connotation
du terme employé.35
Le danger est d’autant plus grand lorsqu’il s’agit de qualificatifs employés de manière
subjective. Par exemple, il est dit qu’une personne qui commet deux fois un même délit peut être
qualifiée de « récidiviste » et que celui qui en commet plus de « multirécidiviste ». On constate
toutefois que les journalistes emploient ces termes de façon très arbitraire et avec peu de
constance.
Dans un article (Le Soleil, 12 février), on qualifie une personne de multirécidiviste après
une 3e infraction. Pourtant dans d’autres articles trouvés au hasard, on parle toujours d’un
récidiviste après une 6e, une 9e et même une 11e infraction (Le Soleil, 17 janvier 2009 et 11 mai
2004).
Le terme multirécidiviste a une connotation plus négative que récidiviste et son utilisation
évoque chez le lecteur l’image d’un criminel endurci. Dans un cas comme l’autre, l’emploi des
ces deux termes est tout autant autorisé dans le cas où une personne est l’auteur de plusieurs
récidives, sauf que l’on remarque un manque de constance dans l’emploi de ces termes et il
semble que les journalistes choisissent bien souvent ce qualificatif selon l’image qu’ils veulent
donner de l’individu.
De même, l’utilisation, parfois subtile, d’expressions orientées démontre un glissement vers
la subjectivité. On remarque ce fait particulièrement au niveau des sentences. En effet, lorsque
le journaliste écrit que l’individu n’a écopé que de 6 mois, il laisse sous-entendre qu’il s’agit
d’une sentence moindre que celle à laquelle il aurait dû être condamné ou qu’elle est
insatisfaisante. Il en est de même lorsqu’on écrit que justice à été rendue quand une personne est
reconnue coupable. L’inverse se veut beaucoup plus rare. Supposons un instant qu’une personne
soit accusée faussement d’un délit et qu’elle soit finalement reconnue non coupable par le juge,
écrira-t-on que justice a été rendue?
On peut mentionner également l’emploi du terme « peine à purger dans la collectivité » qui
est régulièrement employé à la place de « sentence d’emprisonnement avec sursis ». Comme une
34
35
: Ibid.
: SOUBIRAN-PAILLET, Francine. Op. Cit., p. 63.
- 20 -
Les médias et la justice
majorité de gens ignore ce qu’implique ce type de sentence, plusieurs croient, à tort, que
l’individu retrouve sa liberté. Le terme « dans la collectivité » invoque dans l’esprit de plusieurs
la liberté de circulation et non pas l’emprisonnement à domicile.
Parfois, le journaliste a recours aux stéréotypes afin de créer l’image désirée. « Le
stéréotype est une opinion toute faite, un cliché; […] c’est la représentation d’un objet (chose,
gens, idées), plus ou moins détachée de sa réalité objective […] Structure cognitive acquise et
non innée (soumise à l’influence du milieu culturel, des communications de masse), le stéréotype
plonge ses racines dans l’affectif et l’émotionnel, car il est lié au préjugé qu’il rationalise, justifie
ou engendre. »36 C’est ainsi que le chroniqueur parlera des prisons comme étant des « clubs
med », des « hôtels cinq étoiles » ou des « cages dorées ».
La connotation des mots, l’emploi de stéréotypes, l’ordre dans lequel on relate les faits
amènent le lecteur à se faire une opinion négative ou positive du sujet ou encore à renforcer un
préjugé. « Il y a différentes façons de rapporter un événement et on doit pouvoir tirer des
conséquences de l’articulation du récit de presse en ne perdant pas de vue que des images
précises naissent dans l’esprit de celui qui lit un article des éléments mis en avant par la narration
elle-même. »37 . Les expressions « hôtels cinq étoiles » pour parler des établissements de
détention ou encore des « sentences bonbons » en sont des exemples.
Geogres-André Parent, journaliste du domaine judiciaire et criminologue, s’est penché sur
la question. Dans un article qu’il signe dans la revue Criminologie, il démontre comment le
journaliste, par le choix des mots, dresse un portrait « bon vendeur » de la victime et du criminel.
Le journaliste « diffusera également l’image que se fait du criminel et de la victime son lecteuracheteur, avec ses stéréotypes, ses préjugés et son ignorance ». Comme le relève l’auteur, on
constate que « dans la description des victimes de crime que l’on retrouve dans nos médias, le fait
d’avoir un emploi, être chômeur ou sur le bien-être social, célibataire, marié ou concubin, sont
aussi importants que les variables d’âge et de sexe. »38
On se référera de plus au passé de la victime ou de l’accusé, selon qu’on veuille polir ou
ternir son image. « On parlera de l’ex-boxeur, de l’ex-barmaid, d’ex-prostituée, d’ancien dur à
cuire; comme on pourra parler de l’ex-policier, de l’ex-héros de guerre … »39
Les études analysées par Parent « ont particulièrement fait ressortir le vocabulaire classique
retrouvé dans les médias, surtout populaire, et qui charrie toujours les mêmes stéréotypes. D’une
part l’innocente, la brave, la pauvre, la malheureuse et sans défense victime; d’autre part : le
monstrueux, le sadique, le violent, l’agressif, le dangereux, le sinistre criminel ». Aussi, « on
saura le nombre et l'âge des enfants d'une victime, mais rien sur la famille du suspect, à moins
qu'il ne soit divorcé, séparé ou qu'il ne vive aux crochets de ses vieux parents. Par contre, on
saura que l'accusé a une Corvette, avec l'année et la couleur, surtout s'il est officiellement
chômeur... En sommes, on renvoie au lecteur-consommateur l'image qu'il a du criminel et de la
victime : le public a-t-il cette image parce que les médias la lui projettent ou les médias la
36
: Ibid., p.65
: Ibid., p.74
38
: PARENT, Georges-André. Op. Cit., p. 57-58.
39
: Ibid., p.58
37
- 21 -
Les médias et la justice
diffusent-ils parce que c'est celle que le public veut voir...? C'est l'histoire de la poule et de
l'oeuf! »40
Non seulement on dénote l’impact de la connotation et des stéréotypes sur l’image que le
lecteur se fait du criminel, mais également de la victime. Comme le souligne Parent, il y a le
« méchant criminel, la bonne victime, mais il y a aussi la victime qui a mérité ce qui lui arrive. Si
la victime est un motard, un ex-détenu, un bagarreur, les médias se chargeront de le dire, souvent
avec photo à l'appui (mug shot) accompagnant le casier judiciaire dans les archives de police. Et
comme ces informations ne seront pas fournies par la victime ou ses proches, ce sont les policiers
qui se chargeront de les diffuser. »41
« Une “brave mère de famille” est assassinée par son mari, on la présente comme victime
innocente. Une jeune femme est découverte assassinée, nue en bordure d'une route, on insistera
pour rappeler qu'elle est divorcée, danseuse ou ex-danseuse, qu'elle fréquente les bars et le milieu
de la drogue, qu'elle a un casier judiciaire, même s'il s'agit d'avoir troublé la paix ou de simple
vagabondage... »42
Le stéréotype de la « bonne victime »
« Cette dimension s’ajoute aux faits qu’elle [la victime] a été la mère de jeunes enfants, vivant
dans une petite communauté tricotée serrée où à peu près personne ne barrait ses portes et que
son implication sociale était exemplaire. Tous ces facteurs convergent pour rendre ce crime
particulièrement révoltant. »
[« Libéré dans combien d’années? », J. Jaques Samson, JDQ, 20 mai 2008.]
L’auteur utilise ici le stéréotype de la bonne victime et fait appel à l'émotion du lecteur pour faire
valoir son opinion.
Le titre et la mise en pages
Bien qu’un article factuel puisse être objectif, la ligne éditoriale du média est tout de même
assurée par le rédacteur en chef. Divers moyens peuvent être employés afin de répondre à cet
objectif. Le choix et la taille du titre de l’article (qui n’est pas fait par le journaliste) ainsi que
l’emplacement et la mise en pages de l’article dans le journal en font partie. Il va sans dire qu’un
article à la « une » a un impact plus important qu’un petit encadré en bas de la page 30, par
exemple.
40
: Ibid., p.59
: Ibid., p.59
42
: Ibid., p.60
41
- 22 -
Les médias et la justice
Les nouvelles présentées dans les premières pages d’un journal ont un plus grand impact
chez le lecteur. De même, il est connu que l’attention du lecteur porte davantage sur les pages
impaires (à droite) que sur les pages paires (à gauche). Le prix demandé pour les publicités
reflète cette réalité. La grille tarifaire du Journal de Montréal de 200843 nous en fournit un
exemple.
Position demandée
Majoration du
taux de base
À droite, pages 13 à 49
30%
À gauche, page 12 à 50
20%
À droite, autres pages
10%
Lorsqu’il feuillète un journal, le lecteur lit d’abord les titres, et, si la nouvelle l’intéresse, il
commencera la lecture de l’article. Majoritairement, le lecteur s’arrête au titre. Il est rare qu’une
personne lise intégralement tous les articles d’un journal. Le titre joue par conséquent un rôle
déterminant dans la perception des gens.
Une étude sur l’impact des titres a déterminé que « les sujets qui avaient vu un titre
diffamatoire accompagné d’un article non diffamatoire étaient plus enclins à percevoir tout le
contenu comme diffamatoire que ceux qui avaient lu un titre non diffamatoire accompagné d'une
nouvelle qui l'était. » Et encore, « les résultats indiquent qu’un titre (parfois, le seul élément lu
par les gens) – avec ses caractères gras et sa nature durable – peut en fait être plus lourd de sens
que le reste du texte pour le lecteur. Tout indique qu’un titre qui identifie une personne et la
diffame à tort peut causer des préjudices importants, et ce, sans que le texte principal comporte
des éléments diffamatoires. »44
Comme nous l’avons vu lorsqu’il était question de la connotation, les mots employés dans
le titre peuvent modifier la perception du lecteur et influencer sa lecture des faits.
Prenons un exemple avec le présent dossier où divers titres auraient pu être employés.
« Les médias manipulent l’opinion publique ». Dès le départ, ce titre a une connotation
négative par l’emploi du mot « manipulent ». On invite le lecteur à la méfiance.
« Les médias influencent l’opinion publique ». En remplaçant « manipulent » par
« influencent », le titre apparaît plus neutre. L’affirmation demeure pourtant la même, à savoir
que les médias ont un impact sur l’opinion publique.
« L’influence des médias sur l’opinion publique ». Une simple inversion et le sens a
changé. Ici, le titre suggère qu’il puisse y avoir un impact sans toutefois le confirmer ou
l’infirmer.
« Une recherche analyse l’impact des médias sur l’opinion publique ». Ici, le titre porte
davantage sur la parution d’une recherche que sur ses conclusions.
43
: Journal de Montréal. Guide des normes et tarifs 2008, consulté au
http://portail.journalmtl.com/documents/Tarifs_generaux.pdf
44
: Headlines and Libel : is The ‘Unit’ Approach the Most Effective? Preview By: Pasternack, Steve. Newspaper
Research Journal, Winter 1987, Vol.8 Issue 2, p. 33-41.
- 23 -
Les médias et la justice
Certains titres font directement appel aux sentiments, plus particulièrement lorsqu’il s’agit
d’une citation d’un proche qui est utilisée. Par exemple, comment peut-on ne pas être sensibles à
la cause de la famille d’une victime lorsqu’on titre : « Plus jamais je n’entendrai : “maman, je
t’aime” » (Le Soleil, 12 fev. 2009) ou encore « Mon fils est mort pour rien » (Le Soleil, 31
janvier 2009) ?
Exemples d’utilisation de titres et textes portant à confusion :
« Des droits de sortie pour les détenus s’étant vu refuser leur libération conditionnelle »
[Corus
Nouvelles, 4 juin 2007]
« Des détenus dangereux peuvent quand même visiter leur famille »,
[Caroline Touzin, cyberpresse, 4 juin
2007.]
Dans le premier exemple, on fait erreur sur le titre même du programme dont le nom réel est
« permission de sortir ». La nuance semble subtile, mais non sans importance puisque dans le
titre, on parle d’un droit, alors que dans les faits, il s’agit d’un privilège.
Le second titre, avec les mots « dangereux peuvent quand même » laisse croire que le degré de
dangerosité n’est pas pris en compte lors de l’évaluation de la demande de permission de sortie.
Le lecteur pourrait même croire, en ne lisant que le titre, que des détenus dangereux ont réussi à
visiter leur famille. Il est pourtant clair, selon la loi, qu’un détenu jugé dangereux ne pourra avoir
accès à ce type de permission de sortir.
Aussi, dans le second texte, la journaliste Touzin écrit « Cette permission, prévue dans la
nouvelle loi sur le système correctionnel du Québec, est accordée sur demande ». Le lecteur peut
croire dès le départ que la permission est accordée automatiquement à toute personne qui en fait
la demande! Ce n’est que plus loin dans l’article, qu’on laisse sous-entendre, au travers une
citation de Me Sultan de la CQLC que « cette permission de sortie ne sera pas nécessairement
octroyée ». Pour être exact, il aurait plutôt fallu écrire quelque chose comme : cette permission
est accordée à la suite d’une évaluation positive par la CQLC. La personne incarcérée qui
désire obtenir ce type de permission doit cependant en faire la demande.
----« Facultés affaiblies : Le public veut des peines plus sévères. » [JDQ, 5 décembre 2007]
Ce titre laisse croire que c’est la solution (et la seule!) qui soit souhaitée unanimement par la
population. Or, il s’agit ici d’une pétition de 25 000 signatures devant être déposée à
l’Assemblée nationale. À partir de cette pétition, le journaliste fait une généralisation hâtive.
Aussi nombreux soient les signataires d’une pétition, on ne peut prétendre à partir d’un tel
document qu’il s’agit de la volonté de l’ensemble de la population.
- 24 -
Les médias et la justice
Une image vaut mille mots
Plusieurs articles sont accompagnés d’une ou de plusieurs photos qui ont visent à donner un
sens concret à l’article. Le choix de la photo peut, souvent, influencer le lecteur en « allégeant »
ou en renforçant le contenu de l’article.
Un bon exemple d'allègement [de la dureté] d'une nouvelle par
l'intermédiaire de la photo se trouve dans l'article intitulé "Seule la
moitié des détenus toxicodépendants reçoive le traitement à la
méthadone", publié par El Paìs le 18/03/99. Pour illustrer la nouvelle
d'un communiqué (un informe) de Izquierda Unida qui dénonce les
terribles conditions de vie dont souffrent les prisonniers en Espagne
(isolement, torture, conditions sanitaires insuffisantes...), le journal a le
toupet de montrer en premier plan la piscine olympique de la prison de
Soto del Real (Madrid). Avec une telle photo, on tente évidemment de
contrecarrer et de démentir les dénonciations du communiqué, en
cherchant à faire comprendre que les conditions de vie en prison sont
"luxueuses" (quand en réalité, la piscine en question ne peut être utilisée
que par les gardiens et une minorité de détenus...)45
45
: Groupe d'Apprentissage Collectif de communication populaire. Techniques de désinformation : Manuel pour une
lecture critique des médias, École populaire La Prospe, Madrid, 2003. page 18.
- 25 -
Les médias et la justice
Les chroniques d’opinion
Les chroniques d’opinion étant de nature subjective, c’est dans ces dernières que nous
relevons le plus de glissements médiatiques. Bien qu’il soit vrai que l’objectif de ces chroniques
est de donner l’opinion du chroniqueur sur un sujet, nous pouvons soulever deux mises en garde.
Premièrement, comme vu précédemment, la distinction entre l’article factuel et l’article
d’opinion n’est pas toujours claire dans les journaux. Si la page éditoriale est clairement
identifiée dans certains médias, il est vrai que l’on observe une répartition de nombreuses
chroniques au travers les actualités. Il serait intéressant de connaître le pourcentage de gens
confondant les chroniques et les articles.
Deuxièmement, nous pouvons nous questionner sur « l’expertise » même des chroniqueurs
puisqu’en matière de justice, tous semblent avoir leur mot à dire. Alors qu’il semble inimaginable
de retrouver une chronique rédigée par un économiste dans la section Art & Spectacles, on ne
s’étonne guère que le système judiciaire soit commenté par une multitude de personnes, et ce,
peut importe leur degré d’expertise ou de connaissance du système judiciaire et carcéral. Bien
sûr, toute personne a droit à son opinion sur divers sujets. Mais le danger ici est que le lecteur
considère, à tort, que le chroniqueur soit « expert » dans le domaine pénal et qu'il confonde
l’opinion avec des arguments fondés. Cela peut également conduire à la commission d’erreur
importante de la part de certains chroniqueurs.
Si le chroniqueur est libre d’émettre son opinion sur le système judiciaire et carcéral,
encore faut-il que les faits sur lesquels il s’appuie pour étayer son point de vue soient véridiques.
Or, c’est dans les chroniques que l’on retrouve le plus de glissements médiatiques,
particulièrement celui du passage de la rumeur à la vérité, où, en omettant de citer ou en
présentant une affirmation comme un fait, le chroniqueur laisse croire à une vérité alors qu’il peut
s’agir d’un point de vue personnel ou d’une simple rumeur.
De la rumeur à la vérité
Dans une chronique portant sur le travail par les détenus, le chroniqueur J. Jacques Samson
avance que « L’institution carcérale paie les détenus 3,50$ l’heure, ses équipements ont été
acquis avec des fonds publics et elle peut ainsi présenter des offres de services à 50% du prix
demandé par l’entreprise privée. »
[J. Jaques Samson, MCDO vs Chez Rita, JDQ 27 mai 2007.]
On constate ici deux erreurs majeures. Premièrement, les équipements n’ont pas été acquis avec
des fonds publics, mais plutôt par les Fonds de soutien à la réinsertion sociale dans lesquels il
n’y a aucune contribution des contribuables. Ensuite, il présente comme un fait que les
ateliers peuvent soumissionner à 50% en deçà du prix demandé par l’entreprise privée. Or, cette
affirmation découle de l’entrepreneur qui a dénoncé dans le journal le risque pour son entreprise
de perdre un important contrat au profit de la buanderie de l’Établissement de détention de
Québec. Dans un article du site Internet de TQS, on indique clairement que c’est selon lui. Le
chroniqueur passe ainsi de la rumeur à la vérité. Il n’est nullement mention de la source de cette
information, ni si elle a été confirmée ou non par le ministère de la Sécurité publique.
- 26 -
Les médias et la justice
Dans certains cas, le chroniqueur a recours à certains procédés argumentaires trompeurs,
appelés sophismes, afin d’appuyer sa vision personnelle du système de justice pénale. Le
sophisme, ou argument à logique fallacieuse, est un raisonnement qui apparaît comme rigoureux
et logique, mais qui en réalité n'est pas valide.46
L’appel à l’émotion, la généralisation hâtive, l’appel à la majorité et l’attaque personnelle
sont les plus couramment rencontrés lorsqu’il est question de chronique sur le système de justice
pénale.
Ceci n’est pas sans danger puisque le lecteur se fait une idée du système judiciaire à partir
de commentaires purement personnels et surtout, d’arguments qui peuvent s’avérer non fondés.
C’est sans doute ce qui explique que plusieurs arguments et stéréotypes avancés par certains
chroniqueurs se retrouvent par la suite répétés par la population (dans des tribunes téléphoniques,
le courrier du lecteur, commentaires internet ou autre) alors que l’idée avancée est fausse.
Comme le mentionne Jean-Marc Léger, de Léger Marketing, l’une des dix règles non écrites sur
l’opinion est « qu’une fausseté maintes fois répétée devient vérité »47. C’est ainsi qu’à force de
décrire les prisons comme des « clubs med », cette image est employée par beaucoup de
personnes même s’ils n’ont, pour la majorité, jamais visité un établissement de détention, ni
même porté attention aux rapports sérieux décrivant l’état des conditions de détention, tel le
Rapport du Protecteur du citoyen ou de l’Enquêteur correctionnel.
Au-delà de la validité des faits, la subjectivité peut entraîner deux autres glissements
importants dans les chroniques portant sur les affaires criminelles. Premièrement, on remarque
une tendance à faire un procès médiatique parallèle au véritable procès. Que le chroniqueur croie
une personne coupable est une chose, mais la rigueur journalistique n’imposerait-elle pas
d’attendre que cette personne le soit déclarée par le tribunal avant de le considérer comme tel? En
présentant l’individu comme coupable, non seulement les médias forgent l’opinion publique qui
condamne cette personne avant même la tenue du procès, mais ils portent atteinte à l’un des
principaux fondements de notre système judiciaire voulant qu’une personne soit innocente
jusqu’à preuve du contraire.
Le procès médiatique parallèle
« Libéré dans combien d’années? », [J. Jaques Samson, JDQ 20 mai 2008.]
Le titre de cette chronique (et son contenu) comporte deux fautes importantes : non seulement la
personne accusée n’a toujours pas été reconnue coupable par un tribunal (au moment où l’article
est écrit, le procès n’est même pas débuté!) que le journaliste, en plus de le condamner, parle déjà
d’une hypothétique libération conditionnelle. Pour l’instant, la personne est toujours présumée
innocente et nous sommes encore loin de savoir à quel moment elle deviendra admissible à une
libération… D’autant plus que rien n’indique que la libération sera effectivement accordée.
D’autant plus que lorsqu’une personne est innocentée, elle n’a droit généralement qu’à un
seul article présentant le verdict. Souvent, sa réputation est entachée et la personne est déjà
stigmatisée en raison de la couverture médiatique abondante.
46
47
: Wikipédia.
: LÉGER, Jean-Marc. « C’est mon opinion », dans Le Journal de Québec, 18 mars 2009
- 27 -
Les médias et la justice
Le second danger concerne le prononcé de la sentence. Encore une fois, le commentateur à
droit à son opinion personnelle sur la sévérité des peines. Toutefois, il doit faire attention à ne
pas se substituer aux juges quant à la sentence que devrait (ou aurait dû) recevoir un individu. Le
journaliste n’a ni la formation, ni l’expérience des juges. D’affirmer qu’un individu aurait dû
recevoir telle sentence plutôt qu’une autre relève de l’opinion personnelle et non d’une analyse
approfondie de la situation. Dans sa façon d’écrire, le chroniqueur peut amener le lecteur à
conclure qu’une sentence est inappropriée, alors que tous deux n’ont souvent pas accès à
l’ensemble du dossier, à savoir les facteurs aggravants ou atténuants, la jurisprudence sur le sujet,
les peines prévues par la loi pour le délit en question, etc.
Quelques exemples…
Voici quelques exemples de glissements médiatiques relevés dans les journaux. Pour
chacun des exemples mentionnés, ayez toujours à l’esprit la question suivante : « Que retiendra le
lecteur qui lit cette phrase, quelle image lui viendra en tête »?
Des comparaisons douteuses
Les comparaisons […] avec le système américain mettent toujours en relief le laxisme de celui en
place au Canada.
L’auteur fait ici un sophisme d’observation qui consiste à négliger des faits particuliers qu'il
fallait remarquer. Dans le cas présent, l’auteur tente de démontrer l'inefficacité du système pénal
canadien sur la criminalité en le comparant au système des États-Unis. Or, il omet de comparer
les résultats des politiques pénales des deux pays sur le taux de criminalité, pourtant nécessaires
si l’on veut démontrer l’efficacité de telles mesures.
Il ne s’agit pas de réclamer le rétablissement de la peine de mort (1), mais un durcissement
important des peines d’emprisonnement aurait un effet dissuasif. (2) Le crime en général est
banalisé au Canada. (3)
1- Le chroniqueur propose un faux dilemme. Il s’agit d’un raisonnement fallacieux, qui consiste
à présenter deux conclusions à un problème donné comme si elles étaient les deux seules
possibles, alors qu'en réalité il en existe d'autres.
2- Sophisme d’a priori : la proposition étant acceptée, non comme prouvée, mais comme n'ayant
pas besoin de preuve, comme vérité évidente en soi. L’auteur avance qu’un durcissement des
sentences aurait un effet dissuasif sur le crime comme étant un fait. Il ne s’agit ici que de son
opinion personnelle, d’autant plus que toutes les études sur le sujet ont à ce jour toujours
démontré le contraire.
3- Le chroniqueur utilise un sophisme naturaliste qui consiste à poser un jugement de valeur sur
la base d’un fait : le système judiciaire est moins répressif au Canada qu’aux États-Unis donc
(selon le chroniqueur) on banalise le crime.
[J. Jacques Samson, « Libéré dans combien d’années? », dans Le Journal de Québec, 20 mai 2008.]
- 28 -
Les médias et la justice
L’utilisation de faits marquants, mais isolés pour faire peur
« Mais le gouvernement Charest ne devrait pas oublier que la pourriture du régime québécois
des libérations conditionnelles met sérieusement en cause la sécurité du public. C’est en effet
un régime de broche à fois qui a fait des morts. Alexandre Livernoche, Isabelle Bolduc, Hélène
Morneau, Julie Boisvenu […] Combien faudrait-il de décès pour que Québec sorte de sa
torpeur? »
[Morissette Rodolphe, « Le défi de la Sécurité publique », dans Le Journal de Québec, 25 février 2005]
Le chroniqueur utilise ici l’appel à la terreur, un sophisme par lequel une personne tente de
créer l'approbation de son idée en utilisant des menaces ou des peurs existantes. Comme nous
l’avons vu précédemment, l’auteur fait également appel à des évènements marquants qui ont
influencé l’opinion publique, bien qu’il s’agisse de cas isolés, pour avancer l’idée que les
libérations conditionnelles menacent la sécurité de la population. Pourtant, 95 %* des personnes
admises en libération conditionnelle terminent leur sentence sans récidive. Rien ne semble
indiquer une réelle menace pour la sécurité du public.
* : Source : Commission québécoise des libérations conditionnelles.
L’utilisation de stéréotypes et de préjugés
« Les « lologues » qui administrent le système carcéral canadien… »
« Or ces nobles principes [la réhabilitation et la réinsertion sociale], ajoutés aux chartes des droits
et libertés et à un sous-produit, les chartes des droits des détenus, servent de prétextes à une
multitude d’abus, qui ont conduit aux « sentences bonbons » purgées dans des prisons devenues
des « clubs med » pour criminel au repos. […] Quant à la population, elle rage lorsqu’elle prend
connaissance de nouvelles exagérations dans le traitement des pensionnaires de ces hôtels
douillets pour criminels, mais les élus continuent d’écouter les mêmes naïfs théoriciens de la
réadaptation. »
[Samson, J. Jacques. « La vie de château » dans Le Journal de Québec, 3 mai 2005]
Une panoplie de sophismes sont ici employés, notamment l’appel au ridicule qui consiste
caricaturer les propos adverses jusqu'à les rendre ridicules, et donc facilement réfutable, et
l’Argumentum ad odium où l’auteur tente de rendre odieuse la thèse adverse en la reformulant et
en la connotant de façon péjorative, sans justification apportée sur le fond, en association le plus
souvent des idées et images plutôt que par un raisonnement.
Dans le cas présent, le chroniqueur tente ici de discréditer la thèse de la réhabilitation et de la
réinsertion sociale principalement en ridiculisant les personnes qui l’appuient (lologues, naïfs), en
généralisant des faits exceptionnels et en y accolant des images péjoratives (clubs med, sentences
bonbons, hôtels douillets). Le chroniqueur confond (volontairement) des privilèges avec des
droits, en y accolant au surplus le concept de réhabilitation sociale. D’autant plus qu’il n’existe
aucune charte des droits des détenus alors que le chroniqueur en parle (au pluriel en plus!)
- 29 -
Les médias et la justice
La mise en opposition des droits des détenus avec ceux des victimes
« On se sent tous concernés par ce qui se passe avec les pédophiles et les prédateurs sexuels. On
est tous tannés aussi des choses qui se disent sur les droits des détenus et des prédateurs. Allez
plutôt parler aux familles des victimes » Josée Verner, parti Conservateur
[« Un message clair aux prédateurs sexuels », dans Le Journal de Québec, 18 octobre 2007]
« … il y en aura toujours pour qui le coupable est plus important que la victime. Ils voudront
constamment qu’on investisse temps et argent pour supporter la réinsertion sociale »
[Serge Côté, « Encore dans le mille! », dans Le Journal de Québec, 31 août 2007]
La mise en opposition des droits des personnes incarcérées avec ceux des victimes relève
également du sophisme de l’homme de paille ou encore du faux choix. Dans le premier
exemple, on tente d’inculquer l’image que si vous êtes contre le projet de loi, c’est que vous
n’avez pas de compassion envers les victimes.
Dans le second exemple, l’auteur laisse entendre que si vous défendez la réinsertion sociale, c’est
que la victime n’a pas d’importance pour vous. N’est-il pas possible de croire à la fois au respect
des droits des personnes détenues et des victimes? Au GDDDQ, nous y croyons.
----« L’imposition de peines d’emprisonnement moins lourdes, de meilleures conditions de détention
et des libérations conditionnelles plus généreuses, sont toujours présentées aux Canadiens comme
un signe de leur plus haut degré de civilisation et de progrès social. Cette prétention est encore
plus répandue au Québec. Notre système se préoccupe souvent bien plus des coupables que
des victimes. »
[Samson, J. Jacques. « Noël au Pen », dans Le Journal de Québec, 21 décembre 2004]
Le sophisme de l’homme de paille qui consiste à présenter la position de son adversaire de
façon volontairement erronée est ici employé. Pour ce faire, le chroniqueur formule un argument
facilement réfutable, une pensée absurde ou caricaturale, puis l'attribue à son opposant. C’est
ainsi que croire en un système axé sur la réhabilitation est détourné en « ne pas se préoccuper des
victimes ».
- 30 -
Les médias et la justice
Rendre odieux en généralisant
« Une société qui se protège met toutefois ensuite ce genre d’individus définitivement à l’écart.
Ici, au contraire, s’enclenche dès la condamnation une course pour les remettre en liberté le
plus tôt possible. »
[J. Jacques Samon, « Libéré dans combien d’années? », dans Le Journal de Québec, 20 mai 2008.]
En faisant croire de façon caricaturale que l’objectif de notre système pénal est de remettre
rapidement en liberté les individus (course, le plus tôt possible) et que, par conséquent, ce
système ne vise pas notre protection (au contraire, se protège), l’auteur utilise un autre
raisonnement trompeur, l’argumentum ad odium, une forme d'argument visant à rendre odieuse
la thèse adverse en la reformulant et en la connotant de façon péjorative, sans justification
apportée sur le fond.
----« Les libérations conditionnelles sont devenues la norme, c’est une farce. C’est rendu qu’on
appelle avant pour savoir si la prison est pleine pour être sur de ne pas y rester longtemps »
[Mario Dumont, cité dans le Journal de Québec, 21 novembre 2004]
En plus de faire un appel au ridicule, Mario Dumont fait une généralisation hâtive en
prétendant que la libération conditionnelle est une « norme ». On ne peut prétendre à la norme
lorsque seulement 35,5% des personnes incarcérées au provincial sortent en libération
conditionnelle!
La volonté populaire
« Certains bien-pensants tentent aussi d’imposer l’idée que plus une société est évoluée moins
elle incarcère les individus. Pourtant, chaque fois qu’un crime sordide de la sorte émeut les
citoyens, la volonté populaire se fait entendre. Les attentes d’une majorité par rapport au Code
criminel canadien vont au-delà, de toute évidence, de ce que les élus et les experts qui les
conseillent ont décidé d’y mettre. »
[J. Jacques Samson, « Libéré dans combien d’années? », dans Le Journal de Québec, 20 mai 2008.]
L’auteur du texte tente, par un procédé caricatural douteux, de marginaliser toute idée contraire à
la sienne. Ceux qui prônent moins de prison sont des « bien pensants » qui veulent imposer une
idée. À l’inverse, sa position est celle de la « volonté » du peuple, de la majorité. L'auteur utilise
ici le sophisme d’argumentum ad populum (ou raison de la majorité) selon lequel une idée ou
une affirmation devrait être acceptée comme vraie parce qu'un nombre important de personnes la
considère comme vraie. Or, pour citer Coluche : ce n'est pas parce qu'ils sont nombreux à avoir
tort qu'ils ont raison. [wikipédia]
La formulation pourrait pourtant être totalement inversée et demeurerait tout aussi vraie :
« Certains bien-pensants tentent d’imposer l’idée qu’un durcissement important des peines d’emprisonnement aurait
un effet dissuasif. Chaque fois qu’un crime sordide de la sorte émeut les citoyens, la volonté populaire se fait
entendre. Heureusement, les élus et les experts ont pris soin de baliser le Code criminel afin d’éviter les excès
qu’aurait un tribunal populaire. »
- 31 -
Les médias et la justice
Quand la solution devient le problème – les contradictions des
journalistes et de l’opinion publique
On remarque quelquefois un cercle vicieux dans les médias lorsqu’une solution avancée
précédemment devient un problème qu’il faut dénoncer. Prenons pour exemple le travail des
détenus.
Petit historique :
Depuis 1989, la fabrication des plaques d’immatriculation au Québec est confiée à une
compagnie de la région des Bois-Franc, qui a d’ailleurs le monopole puisque c’est le seul
fabricant du Québec. Lors du dernier renouvellement du contrat en 2008, le coût des plaques est
passé de 1,40 $ (2004-2007) à 2.09 $ (2007-2010). Il s’agit d’une hausse de 49,3 %. Face à cette
hausse, la SAAQ a étudié la possibilité de confier la production des plaques d’immatriculation à
l’atelier de l’Établissement de détention de Québec.
Il n’en fallait pas plus pour que certains politiciens et chroniqueurs, qui ironiquement ne cessent
de réclamer une diminution des dépenses du gouvernement, se scandalisent que le gouvernement
mette fin au contrat avec l’entreprise pour confier la fabrication à moindre coût par des personnes
incarcérées.
Suite aux pressions, le ministre met fin au projet, comme il l’a fait auparavant dans le dossier
opposant la buanderie de l’EDQ à une buanderie privée.
[« Les plaques fabriquées derrière les barreaux? », dans Le Journal de Québec, 5 mars 2008]
On assiste ici au parfait exemple d’une solution que l’on transforme en problème. Combien de
fois lisons-nous dans les médias que les détenus devraient travailler pour l’État afin de «payer
leur dette à la société »? Or, dès qu’il est question du travail des détenus, on parle de concurrence
déloyale avec l’entreprise privée, puisque ceux-ci gagnent en deçà du salaire minimum. Et
lorsque l’Enquêteur correctionnel propose d’attribuer aux détenus le salaire minimum arguant
que le salaire actuel des détenus suffit à peine à payer les effets personnels à la cantine, on s’y
oppose disant qu’ils ne peuvent avoir le même salaire que d’honnêtes citoyens.
Bref, on refuse que les personnes incarcérées gagnent un salaire équivalant aux citoyens, mais on
dénonce le fait qu’en raison du bas salaire qu’il verse aux personnes détenues, le gouvernement
fait une concurrence déloyale à l’entreprise privée.
Dans un cas comme l’autre, chacune des solutions avancées est par la suite transformée en
problème, l’important est qu’il y ait « scandale ».
[« Les salaires des détenus fédéraux sont trop bas », dans Le Journal de Québec, 27 novembre 2006]
[« Les emplois de Paranet menacés par les détenus », dans Le Journal de Québec, 14 mai 2007]
- 32 -
Les médias et la justice
CONCLUSION
En résumé, il faut garder à l’esprit que le domaine judiciaire et criminel est un sujet
sensible et empreint d’émotivité. Malgré cela, il est primordial que le journaliste fasse preuve
d’une grande objectivité dans sa façon de rapporter les faits.
Il est évident que l’opinion publique en matière d’incarcération et de criminalité est
grandement influencée par la couverture médiatique. C’est pour la majorité la seule « fenêtre »
sur ce milieu fermé.
Loin de nous de jeter tout le blâme sur les journalistes. Après tout, eux-mêmes n’ont
souvent pour seule « fenêtre » que les médias. La grande majorité (voir la totalité) des
chroniqueurs n’ont jamais mis les pieds dans un établissement de détention. Leur vision du
système correctionnelle ne peut donc se baser uniquement que sur leur image préconçue,
construite à même les médias.
Si le manque de transparence du ministère de la Sécurité publique ne contribue pas à
améliorer la situation et est à déplorer, la manipulation des faits et l’utilisation de la peur à des
fins idéologiques par certains chroniqueurs et politiciens est tout autant condamnable.
Malgré cela, les exemples énoncés démontrent qu’on peut faire mieux quant à la rigueur
journalistique. La place accordée au sensationnalisme et le fait d’entretenir des mythes et des
préjugés au sujet des personnes judiciarisées, des victimes et du système pénal n’aident en rien la
population. Cette dernière est en droit de savoir les lacunes, mais aussi les succès de notre
appareil judiciaire. Ce n’est qu’en posant un regard objectif que l’on peut viser son amélioration.
- 33 -
Les médias et la justice
Annexe 1 : Infractions au Code criminel et autres lois, Québec, 2006 :
Comparaison des articles relevés avec les infractions réelles.
Réel
nbr
Médias
%
nbr
%
Différence
INFRACTIONS AU CODE CRIMINEL
Infractions contre la personne
Homicide
93
0,02%
36
25,53%
25,51%
Négligence criminelle autres infractions entraînant la mort
19
0,00%
0
0,00%
0,00%
269
0,06%
1
0,71%
0,65%
43 032
9,28%
16
11,35%
2,07%
5 055
1,09%
22
15,60%
14,51%
Tentative de meurtre
Voies de fait
Agression sexuelle
Autres infractions d'ordre sexuel
948
0,20%
3
2,13%
1,92%
Enlèvement ou séquestration
1 315
0,28%
1
0,71%
0,43%
Vol qualifié
7 395
1,59%
8
5,67%
4,08%
Harcèlement criminel
Menaces
Autres crimes contre la personne
Total Infractions contre la personne
4 762
1,03%
0
0,00%
-1,03%
16 857
3,63%
1
0,71%
-2,93%
110
0,02%
0
0,00%
-0,02%
79 855
17,22%
88
62,41%
45,19%
Infractions contre la propriété
Crime d'incendie
3 149
0,68%
1
0,71%
0,03%
Introduction par effraction
65 747
14,18%
1
0,71%
-13,47%
Vol de véhicules à moteur
38 605
8,32%
4
2,84%
-5,49%
4 857
1,05%
0
0,00%
-1,05%
106 598
22,99%
0
0,00%
-22,99%
3 221
0,69%
0
0,00%
-0,69%
Fraude
17 181
3,70%
7
4,96%
1,26%
Méfaits
45 980
9,91%
0
0,00%
-9,91%
285 338
61,53%
13
9,22%
-52,31%
Prostitution
1 501
0,32%
0
0,00%
-0,32%
Infractions relatives aux armes à feu et autres armes
1 561
0,34%
2
1,42%
1,08%
31 563
6,81%
3
2,13%
-4,68%
Actes contraires aux bonnes mœurs et inconduite
1 730
0,37%
1
0,71%
0,34%
Appels téléphoniques indécents
1 914
0,41%
0
0,00%
-0,41%
Vols de plus de 5 000$
Vol 5 000$ ou moins
Possession de biens volés
Total Infractions contre la propriété
Autres infractions au Code criminel
Administration de la loi et de la justice
Autres infractions
3 653
0,79%
0
0,00%
-0,79%
41 922
9,04%
6
4,26%
-4,78%
Conduite avec facultés affaiblies
15 434
3,33%
18
12,77%
9,44%
Délit de fuite
12 325
2,66%
2
1,42%
-1,24%
Total Autres infractions au Code criminel
Infractions relatives à la conduite de véhicules
Autres infractions relatives à la conduite de véhicule
Total Autres infractions relatives à la conduite de véhicules
3 624
0,78%
1
0,71%
-0,07%
31 383
6,77%
21
14,89%
8,13%
19 541
4,21%
8
5,67%
1,46%
821
0,18%
3
2,13%
1,95%
4 888
1,05%
2
1,42%
0,36%
INFRACTIONS AUTRES QUE CELLES PRÉVUES AU CODE CRIMINEL
Infractions relatives aux drogues et aux stupéfiants
Infractions aux autres lois fédérales
Infractions aux lois provinciales
TOTAL
463 748 100,00%
- 34 -
141 100,00%
Les médias et la justice
Annexe 2 : Infractions au Code criminel seulement, Québec,
2006 : Comparaison des articles relevés avec les infractions réelles.
REEL
Rang
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
10
12
13
13
13
16
16
16
16
16
21
22
Infraction
Vol de 5 000$ ou moins
Introduction par effraction
Méfait
Voies de fait
Vol de véhicules à moteur
Administration de la loi et de la justice
Fraude
Menaces
Vol qualifié et extorsion
Agression sexuelle
Vol de plus de 5 000$
Harcèlement criminel
Autres infractions
Crimes d'incendie
Possession de biens volés
Actes contraires aux bonnes mœurs
Appels téléphoniques indécents
Autres crimes contre la personne
Infractions relatives aux armes
Prostitution
Autres infractions d'ordre sexuel
Homicide
MÉDIAS
%
Rang
Infraction
26,20%
1 Homicide
16,10%
2 Agression sexuelle
11,30%
3 Voies de fait
10,60%
4 Vol qualifié et extorsion
9,50%
5 Fraude
7,80%
6 Vol de véhicules à moteur
4,20%
7 Administration de la loi et de la justice
4,10%
8 Autres infractions d'ordre sexuel
1,80%
9 Infractions relatives aux armes
1,20%
10 Autres crimes contre la personne
11 Actes contraires aux bonnes mœurs
1,20%
1,10%
11 Crimes d'incendie
0,80%
11 Introduction par effraction
0,80%
11 Menaces
0,80%
Appels téléphoniques indécents
0,40%
Autres infractions
0,40%
Harcèlement criminel
0,40% Aucune Méfait
0,40% mention Possession de biens volés
0,40%
Prostitution
0,20%
Vol de 5 000$ ou moins
0,02%
Vol de plus de 5 000$
- 35 -
%
33,60%
20,60%
15,00%
7,50%
6,50%
3,70%
2,80%
2,80%
1,90%
1,80%
0,90%
0,90%
0,90%
0,90%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
0,00%
Les médias et la justice
Annexe 3 : Les catégories d’infractions au Code criminel,
réalité vs médias (graphique)
- 36 -
Les médias et la justice
BIBLIOGRAPHIE
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