Enjeux et défis d`une éducation au plurilinguisme
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Enjeux et défis d`une éducation au plurilinguisme
Synthèse Journée de sensibilisation « Vers une éducation au plurilinguisme » 16 octobre 2014 à Rillieux-la-Pape Avant tout, il faut remercier la ville de Rillieux-la-Pape et l'équipe du Grand Projet de Ville pour avoir saisi l'importance de cette problématique et pour avoir si bien organisé cette journée. Il faut souligner aussi la très grande richesse des apports, aussi bien théoriques que pratiques, que les différents intervenants nous ont transmis. Nous les remercions ici. Il faut se féliciter enfin du nombre et de la très grande diversité du public, professionnels et bénévoles représentatifs de nombreux domaines : éducation, petite enfance, socio-culturel, santé, social ... et de tous les âges des jeunes et adultes que nous accompagnons. Que retenir de cette journée ? Axée sur la question du rôle et de la place des langues des enfants et de leur famille dans la société, cette journée se voulait être un partage de ce qui est une nouvelle façon d'appréhender cette problématique. Affaire collective, qui concerne la sphère privée aussi bien que la sphère publique, aussi bien l'individu que le groupe, les langues sont bien au cœur du projet de « vivre ensemble », but de toute éducation. Pourtant, le plurilinguisme des enfants de migrants et ses manifestations restent aujourd'hui encore à l'écart de l'espace institutionnel. Nous ne nous saisissons presque pas de cette caractéristique culturelle d'une part très importante de notre public, alors qu'elle touche à la construction du langage à travers la notion de répertoires de langues, à la construction psychique, à l'estime de soi et de sa famille, donc, au développement de l'individu en tant qu'acteur de la société. Le sujet d'aujourd'hui nous parle ainsi de la place de l'individu dans l'espace scolaire, social puis professionnel et nous concerne tous, en tant que professionnels. Mais nous sommes les héritiers d'une époque pas si ancienne où les langues régionales ont été combattues et héritiers aussi d'une époque plus récente ou l'assimilation « à la française » allait de paire avec le renoncement à l'expression de son identité familiale, culturelle et à sa langue maternelle. Ainsi, la problématique du plurilinguisme, qui impacte le développement de l'enfant reste encore pour une bonne part invisible, difficile à saisir et soulève de nombreuses questions. Cette journée nous a montré pourquoi nous avons intérêt à investir et explorer cette dimension particulière de notre public. Sur le plan linguistique bien sur, sur le plan psychique aussi, sur le plan social tout autant, travailler avec toutes les langues en présence est une façon très riche et stimulante de rentrer en communication, en lien avec des familles qui sont encore dans le processus de la rencontre des cultures. C'est une façon de stimuler les échanges verbaux, de restaurer le statut de l'oralité, le plaisir de la parole, y-compris dans les familles. C'est un levier pour construire avec les migrants et descendants de migrants une société ouverte et accueillante. Ce sont aussi autant d'occasions d'utiliser, de transmettre et d'enrichir la langue française, indispensable outil de cohésion sociale. Mais c'est en même temps une façon de ne pas laisser les langues se réduire à un marquage identitaire, dont on mesure bien les dangers actuellement. Les données de la recherche et des terrains d'expérimentation nous autorisent et peuvent maintenant nous aider à nous lancer dans des dispositifs simples et innovants. Il faut toutefois avoir conscience que ce nouveau discours, basé sur la prise en compte des langues des familles est à l'opposé du discours qui est encore présent dans les représentations de nombreux professionnels, des familles et des enfants eux-mêmes. Il faut donc, pour cette raison notamment, mais aussi parce que le langage et la socialisation sont une affaire collective, travailler en partenariat avec les familles, les associations et les enfants à ce que ce nouveau discours soit entendu, compris et accepté par le plus grand nombre. Pour nous aider à nous engager, nous avons pu profiter, cet après-midi, de quatre ateliers, représentatifs de pistes qui restent à explorer, à développer encore. A chaque fois, l'activité consistait à faire du lien, à construire du sens, à élaborer cet espace qui parfois semble séparer les cultures mais qui ne demande qu'à être occupé, investi. Bien souvent, c'est l'enfant seul qui parcourt ce véritable « no man's land », allant de la maison à l'école, de la famille au centre aéré, d'une culture à l'autre, sans mode d'emploi, charge à lui de se débrouiller. Les ateliers nous ont proposé de nous centrer sur cet entre-deux, qui peut être un lieu insécurisant pour l'enfant, parce que lieu de différence forte et parfois de contradiction apparente entre le monde des adultesparents et celui des adultes-institutions. Avec « la boite à histoire », nous avons vu comment le professionnel peut s'autoriser le détour par une autre langue pour entrer progressivement par l'oralité dans la littérature et stimuler les échanges verbaux. Véritable expérience esthétique, l'écoute d'une histoire connue dans une langue inconnue interroge et fait réfléchir sur la langue en général et sur la symbolisation. La boite à histoire permet de rappeler que toutes les langues ont la même valeur pour la transmission des récits. L'atelier « Langues de chat » nous a plongé dans la comparaison des langues, domaine de réflexion et d'observation qui s'ouvre aux plus petits comme aux plus grands. Les langues deviennent un terrain de jeux et ne sont plus un repoussoir. La découverte de la diversité graphique et sonore des langues stimule les capacités de discrimination et place l'enfant dans un rôle d'explorateur. Là encore, c'est une situation qui illustre l'omniprésence des langues dans la société et qui normalise le plurilinguisme. L'atelier interculturel sur « les contes et la variation culturelle » a été une occasion d'approcher la subtile diversité des langues et des cultures (notamment avec l'expérience du conte en farsi). Découvrir ce qui « pareil ou pas pareil » chez l'autre, ce qui fait écho et se qui se distingue ou s'oppose, trouver des liens, des ressemblances, c'est faire l'expérience de la diversité dans ce qu'elle a de plus riche : la complémentarité. Au passage, on voit bien comment cela peut stimuler et restaurer le rôle du récit, qui se perd aujourd'hui dans les pseudos-situations de communication audiovisuelle. Enfin l'atelier « biographie langagière » nous a invité à nous découvrir d'abord nousmêmes, êtres plurilingues, pour mieux nous débarrasser de nos représentations par trop idéalistes (castratrices?) de nos compétences de langues. Ainsi, nous sommes plus capables d'entreprendre le même type de travail avec les enfants, les parents, toujours dans le but de faire prendre conscience de la validité de compétences souvent ignorées, sinon même parfois déniées. Les conférences de ce matin et ces quatre ateliers ont ouvert des pistes qu'il faudra prolonger sur nos terrains respectifs. Nous avons maintenant de nouvelles lunettes pour voir autrement ce qui se joue pour l'enfant entre les cultures. Au-delà des langues, nous avons en effet compris que c'est tout le processus de rencontre des cultures qui se joue à chaque fois que l'enfant change d'espace culturel. Nous devons penser nos situations professionnelles, les analyser, les construire avec ce point de vue qui vient s'ajouter à ceux que nous utilisons déjà. C'est un plus dans notre boite à outils... A l'échelle du territoire de la ville de Rillieux, nous avons intérêt à agir de façon conjointe, en nous concertant, afin de délivrer un message cohérent pour amener le plus grand nombre à partager les codes culturels, notamment la langue française, nécessaires pour vivre ensemble. Travailler avec les langues comme objet de savoirs, de cultures, comme objets esthétiques est une façon de lutter contre les mouvements de rejets, les conflits et l'exclusion. C'est un projet pour une société qui refuse de s'appauvrir et de se refermer. C'est une façon de travailler au dialogue et, concrètement, une voie pour préserver la diversité dont nous avons besoin pour aller plus loin, ensemble. Jean-Luc VIDALENC Animateur formateur au CASNAV, et membre du comité de recherche de DULALA