Yiddish comics - Atelier Autonome du Livre
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Yiddish comics - Atelier Autonome du Livre
Culture BANDE DESSINÉE Yiddish comics du passé et de construction des mémoires contemporaines dans ce champ de création ». Quel boulot ! Cinq ans ont été nécessaires pour trouver les 230 documents, qui reconstituent près d’un siècle de création entre États-Unis et Europe, en passant par Israël. L’ensemble impressionne autant par l’intérêt des œuvres que par la multiplicité des supports, des matériaux. Croquis préparatoires, planches originales, albums publiés, mais aussi magazines aux unes reluisantes ou journaux aux feuilles jaunies… Le tout, dans un espace tortueux et réduit. De quoi avoir le tournis (et se sentir un peu à l’étroit). Heureusement, le parcours chronologique permet au visiteur de trouver ses repères. Deux regards complémentaires sont proposés : ces bandes dessinées relèvent à la fois du neuvième art et du témoignage sociologique. Dans les deux cas, la transmission et l’innovation sont traquées, désignées. MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE DU JUDAÏSME homme vole par-dessus la ligne Maginot, chope Hitler par le colback, le soulève d’un poing et gronde : « J’aimerais te foutre un coup absolument non-aryen dans la mâchoire ! » Mais le temps presse. En plus du Führer, il lui faut également livrer Staline à la Société des Nations ! Une sacrée mission, qu’il exécute en cape et collants, un S majuscule barrant son poitrail moulé, la mèche négligemment gominée. Ironie d’une impression médiocre, le voilà vêtu de rouge et brun. On est en 1940, Superman va sur ses 2 ans. Le fils chéri de l’Amérique a pour pères Jerry Siegel et Joe Shuster, jeunes Juifs new-yorkais. Cette planche est l’une des stars de l’exposition élaborée par le Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris, « De Superman au Chat du rabbin, bande dessinée et mémoires juives » (1). Ambitieux, le propos est double : il s’agit, explique la commissaire d’exposition, Anne-Hélène Hoog, de montrer le « rôle majeur de nombreux artistes et auteurs juifs dans l’évolution de la bande dessinée et du roman graphique aux États-Unis et en Europe » ainsi que « la part croissante du phénomène de réinterprétation Le Gimpl de Samuel Zagat, en 1917. Prenons l’exemple des cartoons yiddish. Forte d’une tradition de presse et de caricature, la culture yiddish ignore pourtant les comic strips (historiettes d’une case ou d’une DC COMICS L’ L’exposition « De Superman au Chat du rabbin », à Paris, retrace l’épopée juive de la bande dessinée à travers l’Ancien et le Nouveau Monde. Foisonnant et passionnant. Dans la bande dessinée de Jerry Siegel et Joe Shuster, Superman s’en prend à Adolf Hitler. 24 / POLITIS / JEUDI 22 NOVEMBRE 2007 bande) à l’anglo-saxonne. Au début du XXe siècle, l’immigration juive aux ÉtatsUnis permet la rencontre de ces deux éléments: le comic strip yiddish était né, d’abord dans la presse et la langue communautaires, puis nationales. « Le biais de la narration visuelle, écrit le spécialiste Edward Portnoy, permettait d’aborder de nombreux aspects essentiels de l’existence des immigrants juifs », écartelés entre Ancien et Nouveau monde. Portant chapeau haut de forme et barbe longue, Gimpl brandit le drapeau étoilé lorsque les États-Unis entrent en guerre en 1917. En guêtres, canotier et costume rayé, le rondouillard Abie The Agent préfère débattre de la Première Guerre mondiale plutôt que de retrouver sa fiancée. Mais tous les deux sont aussi marqués par leur condition d’étranger : le premier cafouille au base-ball, le second trimballe un accent carabiné. Pseudo et superhéros, tel sera le credo de la seconde génération. L’heure est aux Superman, Batman et autres Captain America, créés par de jeunes dessinateurs juifs. Ils délaissent leurs origines pour se mettre à la page américaine, se faire porte-parole d’une nation. « Les superhéros compensent une double fragilisation, écrit Anne-Hélène Hoog : celle des individus peinant à surmonter, d’une part, la précarité engendrée par la crise de 1929 et la criminalité croissante […], d’autre part, l’ébranlement de la démocratie par la montée du fascisme et du national-socialisme en Europe. » Parmi ces nouveaux talents, Will Eisner joue un rôle à part, de pivot. Créateur du Spirit en 1940, il a réalisé sept ans plus tôt The Forgotten Ghetto, où est évoqué le quotidien d’un quartier juif et CINÉMA Les toits de Paris Culture EXPOSITION Ligne d’inconduite populaire de New York. Serait-ce la première ébauche d’une œuvre majeure, sur le même thème, qui débute en 1978 avec Un pacte avec Dieu ? L’espace exigu des cases éclate, la page devient un tout, le trait se fait expressionniste. Se jugeant trahi par Dieu, un croyant marche sans se soucier de la pluie : les lignes verticales créent un espace où tout dégouline, où tout suinte le désespoir. Avec génie, mêlant souvenirs et fiction, Will Eisner restitue l’univers des immigrés juifs d’avant-guerre. La galerie Horizons propose les dernières sculptures d’Esteban Royo. Une œuvre d’une malice élégante, qui oscille entre la drôlerie et la noirceur. ON EST EN 1957. À la fin de l’année. Miles Davis entre dans un studio, trompette à la main, pour regarder des images. Celles montées par Louis Malle pour Ascenseur pour l’échafaud. Le film sortira quelques mois plus tard. En attendant, bec en bouche, Miles Davis improvise sur les images. Sans marioler sur le cuivre. Il y aurait le même goût pour l’improvisation chez Esteban Royo, sans faire le mariole devant le matériau. C’est que le matériau ne rigole plus. Il est décati, carambouillé au vent mauvais des aléas de l’existence. Barcelonais d’origine, installé à Paris depuis cinq lustres, Royo est un récupérateur d’objets crounis, bazardés sur les bas-côtés, les trottoirs, dans le sursis des déchetteries. Un siège de vélo, quelques centimètres de corde, un phare de voiture, un miroir fatigué de refléter, des chutes de bois, des morceaux de ferraille, crochets, rabots, bris de planches, débris domestiques, quignons de tôles. De la dépouille en (1) Du 17 octobre 2007 au 27 janvier 2008 au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris. Voir www.mahj.org (2) À noter, la parution d’une bande dessinée retraçant la vie d’un shtetel polonais et sa disparition : la Fille de Mendel, de Gusta Lemelman et Martin Lemelman, traduit de l’anglais et du yiddish par Isabelle Rozenbaumas, éditions Ça et là, 237 p., 21 euros. JEAN-LUC PAILLÉ Car, entre-temps, la Seconde Guerre mondiale a eu lieu. Outre-atlantique, la Shoah bouleverse les cœurs et les plumes. Elle n’est pas (encore) un sujet : elle aiguillonne la vigilance en terre américaine. L’ironie veille au grain. En 1949, Al Capp invente une bien étrange bestiole. Imaginez une tortue toute en rondeurs. En guise de carapace, une cible à même la peau. Un sympathique bouc émissaire dont le nom, le Kigmy, est sans équivoque : « Kick me » signifie « tape-moi ». Fondé par un auteur juif, le légendaire magazine MAD se choisit comme symbole la tête d’un enfant benêt et souriant, tiré d’une propagande nazie… Jusqu’aux superhéros qui manifestent discrètement leur attachement à la culture juive. En 1955, pour la première fois, la Shoah est mise en scène : dans Master of Race, Bernard Krigstein et Al Feldstein imaginent la rencontre d’un rescapé des camps et de son bourreau. Le style mêle une ligne grave et des éléments très « américains », entre film noir et bande dessinée d’action. Dix-sept ans après, Art Spiegelman choisit l’autobiographie, devenue fréquente dans le milieu underground, pour évoquer le génocide. D’abord le suicide de sa mère, une rescapée, puis les histoires de ghetto que lui raconte son père pour l’endormir, avant de publier en 1986 son chef-d’œuvre, Maus. La route était ouverte pour une nouvelle génération (2). En Amérique et ailleurs. Car il y a aussi l’ailleurs : France, Israël, Italie, Espagne… Et l’après, voire l’avant. Et tous et toutes. De Crumb à Pratt, de Sfar à Katchor, de Gotlib à Stan Lee… L’exposition se mue parfois en labyrinthe exhaustif et « exhausting » (notamment pour les non-anglophones). Le fil du propos se perd, mais reste toujours, à chaque détour, l’immense plaisir des yeux. Et la possibilité de se plonger dans l’un des albums en accès libre. Quel bonheur de se poser sur un banc et de bouquiner au calme. Avant de repartir à la recherche du Golem et de splendides trésors. MARION DUMAND transe de banalité. S’agit après de négocier avec le support, ses torts et travers. Pour filer ailleurs, caler l’ordinaire sur un braquet large, façon costaud fort des Halles. Une improvisation, donc, mais avec les idées en place, l’impérieuse nécessité de tordre le coup à la matière. Qui doit plier sans rompre. Affaire de détournement malicieux, affaire d’impertinence turbulente pour redonner de l’élan à tout ce bazar. Recomposer, avec les angles droits, les courbes mutines, le mélimélo craquant des ressorts. Fouineur, glaneur, le récupérateur devient artiste, gigotant dans l’interprétation libre. Esteban Royo expose ses dernières créations à la galerie Horizons. Elles n’échappent pas à sa ligne d’inconduite, à un état d’esprit parfois férocement incorrect, toujours dans l’élégance. En balai-brosse et jeannette, le Poil est capital prend des allures sévèrement burnées, Cher Ami hérisse un pinceau au-dessus d’une sombre silhouette christique, Sentar cabeza, tel un repose-siège, propose son galbe érotique, Une autre Vénus poursuit la tentation par une fière patine au bout de laquelle une boîte se donne en guise de tête, tandis qu’Un silence impose sa masse totémique. Des œuvres qui beuglent allégrement dans les espaces, flirtent avec la lumière. Soulevant les jupes de l’art à coups d’interrogations, le matériau est un menuet ; l’occasion aussi, et surtout, d’une réflexion qui ne s’épargne pas du grotesque, de l’absurde triomphant phagocyté par le ridicule. Une jacasserie martyrisée. Royo est ce casseroleur qui assaisonne à l’aigre-doux des plats qui transpirent d’inquiétude. Une selle de vélo, dépourvue de son cadre, s’affiche en Énigme ; le Guerrier, avec son buste de fer à cheval, tout d’acier masqué, est encastré dans le bois ; deux cordes parallèles se jaugent crûment coincées dans un caisson ; l’Heure s’étire comme la Ballade des pendus. Du noir, piquant, et une masse d’âpre drôlerie. Sans doute parce qu’Esteban Royo ne triche pas avec la sculpture. JEAN-CLAUDE RENARD Esteban Royo, galerie Horizons, 21, rue PierreFontaine, Paris IXe, 01 42 82 97 20. Mardi, jeudi, vendredi, samedi de 15 h à 19 h, ou sur rendezvous. Jusqu’au 2 décembre. En France, en 2003, la canicule a entraîné la mort de 15 000 personnes supplémentaires. 15 000 personnes dont une partie ont décliné seules, sans soins, sans assistance… Pour ceux qui auraient oublié ce drame, Hiner Saleem se charge de donner un visage à des victimes isolées. Isolées comme sous les toits de Paris, dans ces immeubles haussmanniens où les rares chambres de bonnes non transformées en duplex abritent des papis qui peinent à gravir les escaliers jusqu’à leur tanière, ou des jeunes paumés. Des gens de peu qui tardent à payer le loyer et se font virer au bout du compte. Étuve l’été. Frigo l’hiver. Hygiène moyenne toute l’année. Le dernier film de ce cinéaste d’origine kurde, aujourd’hui parisien, relate la lente agonie d’un vieil homme (Michel Piccoli) qui, de plus en plus mal en point, finit par se rendre aux toilettes en rampant. Hormis quelques moments de joie – la piscine avec son voisin de palier (Maurice Benichou), les visites de la serveuse du rade en bas (Mylène Demongeot) ou de la jeune fille d’à côté (Marie Kremer) – ce film vu du couloir a toutes les apparences d’une punition. D’autant qu’Hiner Saleem a pris le parti d’éviter tout dialogue. Le spectateur a donc tout le loisir de phosphorer sur la nonprise en charge des exclus dans nos sociétés de consommation. Overdose. Accident. L’évidence se passe de commentaires. Les Toits de Paris aurait pu en rester à l’illustration sociologique d’une réalité cruelle. Mais cette absence de parole est cinématographiquement fertile. Car le film n’est pas muet : il est grognements, rires, gloussements, mines, soupirs, bruits de pas, de la chute d’un corps trop lourd sur un lit, d’un toc à la porte, du ploc de la pluie sur le parquet… Mimes et reconstruction d’un remue-ménage étouffé, étranglé. Vitreux comme parfois le gris des tôles dans cette capitale d’indifférence. I. M. Cinéma, mon amour Une collection de livres sur le cinéma s’adressant aux jeunes, c’est une idée. Y traiter de l’amour et des amoureux à l’écran, c’est un pari. Charlotte Garson, rédactrice aux Cahiers du cinéma, s’en sort remarquablement. Sur un sujet si banal au cinéma, dont les enjeux sont pourtant toujours importants, Charlotte Garson se tient à la bonne distance, sans fétichisme ni niaise confusion entre la « vraie vie » et la représentation. Les questions de mises en scène, de corps et de visages d’acteurs, de narrations et d’apparitions… sont toutes habilement évoquées à propos de la rencontre, du coup de foudre, du baiser, des retrouvailles… Amoureux est un livre d’intelligence. Amoureux, Charlotte Garson, Actes Sud Junior et La Cinémathèque française, 90 p., 16 euros. JEUDI 22 NOVEMBRE 2007 / POLITIS / 25