Le tarande dans la littérature européenne de Théophraste à Rabelais

Transcription

Le tarande dans la littérature européenne de Théophraste à Rabelais
« Animal estrange & merveilleux »
Le tarande dans la littérature européenne de Théophraste à Rabelais
1
Introduction
A partir du seizième siècle, la culture européenne est traversée par un mouvement
progressif de « ratiocentrisme », qui représente l’un des fondements idéologiques du
monde contemporain. Au lieu de générer une vision lucide et, en même temps, profonde de
l’esprit humain, cette force propulsive mène graduellement à une séparation, parfois
dramatique, entre le(s) savoir(s) scientifique(s) et les domaines de l’imaginaire.
La scission s’aiguise de nos jours, en engendrant une conception dichotomique de la
psyché, conception qui se fonde sur la surévaluation de l’intelligence quantitative et sur la
sous-estimation de la connaissance qualitative. Ainsi, assiste-t-on, en général, à une sorte
de refoulement collectif des éléments inconscients : les ombres de Dyonisius
s’évanouissent à la lumière d’Apollon et souvent elles resurgissent, de façon violente,
grâce aux banalisations et aux ridiculisations d’un irrationalisme bon marché.
Pour s’éloigner de ce paradigme historique, dont la crise est aujourd’hui manifeste, on
ne suggère pas un retour - d’ailleurs improbable et impossible - aux origines. On propose
plutôt d’étudier la tradition de l’Europe littéraire à partir du monde fourmillant des images
de frontière telles que les mythes, les symboles et les animaux merveilleux: ces éléments,
qui oscillent, pendant des siècles, entre le réel et l’imaginaire, offrent, avant la révolution
« scientiste », une représentation vivante et fidèle de la complexité de la culture
européenne, où l’élan lumineux de la raison et le tourbillon ténébreux de la phantasia se
superposent.
C’est dans cette perspective que l’on étudiera l’exemple, certes marginal, du tarande,
bête inexistante surgie de la plume de Théophraste et identifiée au renne à partir du
seizième siècle. L’évolution livresque de ce renne caméléonesque connaît trois phases de
développement: après avoir vécu, jusqu’au treizième siècle, dans des œuvres qui ne sont
pas proprement littéraires, le tarande entre dans le domaine de la fiction à partir de Manuel
Philes et il devient, chez Rabelais, l’emblème de la matière textuelle.
2
1. De Théophraste à Eustathe de Thessalonique
Avant d’analyser les traits distinctifs du tarande dans la littérature ancienne, il est
nécessaire d’esquisser un cadre chronologique pour introduire les auteurs et les textes qui
témoignent, du IVe siècle avant Jésus-Christ au XIIIe après Jésus-Christ, de l’existence de
cet animal merveilleux.
Théophraste, le célèbre disciple d’Aristote, décrit le premier le tarandos dans son
ouvrage perdu d’histoire naturelle sur les animaux qui changent de couleur1. Bien que
Plutarque et Athénée mentionnent ce livre, c’est grâce à Photius que l’on connaît le long
passage sur le tarande. Cet extrait, qui est contenu dans la section 278 de la Bibliotheca
(Βιβλιοθήκη, tr. « Bibliothèque »)2 de l’érudit byzantin, est devenu le fragment 172 dans
l’édition Wimmer des œuvres de Théophraste3.
La tarande figure ensuite au chapitre 30 du De mirabilibus auscultationibus (Περὶ
θαυµασίων
ἀκουσµάτων,
tr.
« Sur
les
contes
merveilleux »)4,
un
recueil
paradoxographique attribué à Aristote par erreur. Même si l’on suppose l’existence d’un
noyau aristotélique authentique, cette œuvre a probablement été écrite et réélaborée à
maintes reprises entre le IIIe siècle avant Jésus-Christ et le IIe siècle de notre ère5.
Dans son traité De ebrietate (Περὶ µέθης, tr. « Sur l’ivresse », 174-175)6, où il est
question du rôle et de la signification du vin dans La Bible, l’exégète Philon d’Alexandrie
utilise les figures polychromiques du caméléon, du poulpe, du tarandos et de la colombe
pour montrer que le monde événementiel est instable et que la connaissance sensible est,
par conséquent, équivoque et fallacieuse7.
1
Le titre original de ce traité est Περὶ τῶν µεταβαλλόντων τὰς χρόας.
Photius, Bibliothèque, texte établi et traduit par René Henry, Paris, Les Belles Lettres, 1977, vol. VII, p.
157-158.
3
Théophraste, Opera quae supersunt omnia, texte établi et traduit en latin par F. Wimmer, Paris, Firmin
Didot, 1866, p. 458.
4
Aristote, Racconti meravigliosi, texte établi et traduit par G. Vanotti , Milano, Bompiani, 2007, p. 68.
5
Gabriella Vanotti, « Introduzione », in Aristotele, op. cit., p. 5-10 et p. 52.
6
Philo, III, texte établi par F. H. Colson et G. H. Whitaker, Harvard University Press - William Heinemann
LTD, Cambridge-London, 1960, p. 408.
7
Jean Damascène rapporte, de façon lacuneuse, ce passage de Philon d’Alexandrie dans sa bibliothèque
d’auteurs religieux, dont le titre est Sacra parellela (Ἱερὰ, tr. « Passages sacrées », 531, in Patrologiae
Graecae Tomus 95, Turnhold, Brepols, 1860, p. 1583-1584).
2
3
Pline l’Ancien décrit le tarandrus dans son chef-d’œuvre encyclopédique Historia
naturalis (tr. « Histoire naturelle », VIII, 34)8, Claude Elien9 lui consacre le bref chapitre
16 du livre II du De proprietate animalium ( Περὶ ζᾡων
ἰδιότητος, tr. « Sur les
caractéristiques des animaux »)10 et Solin en parle dans la section 30 (25-26) de son
compendium géographique Collectanea rerum memorabilium (tr. « Recueil de choses
mémorables ») ou Polyhistor (tr. « L’érudit »)11.
Vers la fin du IVe siècle après Jésus-Christ, le renne caméléonesque est mentionné
dans le proto-bestiaire du commentaire, attribué par erreur à Eustathe d’Antioche12, sur les
six livres de la création (Εἰς τὴν Ἑξαήµερον
ὑπόµνηµα, tr. « Commentaire sur
l’Hexaemeron »)13.
Il est enfin présent dans deux dictionnaires (le Lexicon14 d’Hésychios d’Alexandrie et
le glossaire géographique Ethnika15
d’Etienne de Byzance),
dans
le recueil
paradoxographique Collectanea rerum mirabilium (Ἱστοριῶν παραδόξων συναγωγή, tr.
« Recueil de contes merveilleux », 25c)16 et dans le commentaire d’Eustathe de
8
Pline l’Ancien, Histoire naturelle - Livre VII, texté établi et traduit par A. Ernout, Paris, Les Belles Lettres,
1952, p. 66.
9
En ce qui concerne Claude Elien, Schoefield dit que « we are of course prepared to encounter much that
modern science rejects, but the general tone with its search after the picturesque, the startling, even the
miraculous would justify us in ranking Aelian with the Paradographers rather than with the sober exponents
of Natural History » (A. F. Schoefield, « Introduction », in Elien, On the characteristics of animals, texte
traduit par A. F. Scholfield, Harvard University Press – William Heinemann Ltd, Cambridge-London, 1958,
p. XIII).
Bien que Schoefield ait en partie raison, il est en général difficile de définir les limites entre science et
merveilleux dans une culture où la science (au sens de connaissance phénoménique du monde) comprend le
merveilleux (au sens d’expérience nouménale du réel) et vice-versa.
10
Elien, De Natura animalium, texte établi par F. Jacobs, Jena, Fromann, 1832, p. 37.
11
Solin, Collectanea rerum memorabilium, texte établi par T. Mommsen, Berlin, Weidmann, 1958, p. 134.
12
Declerck dit à ce propos : « La tradition attribue à Eustathe d’Antioche un commentaire sur les six jours de
la création ; ce texte fut publié en 1629 par Léon Allaci […]. Le commentaire a vraisemblablement été rédigé
entre 375 et 400, de sorte que l’attribution à l’évêque d’Antioche ne saurait être prise au sérieux » (José H.
Declerck, « Introduction », in Eustache d’Antioche, Opera quae supersunt omnia, texte établi par J. H.
Declerck, Turnhout, Brepols, 2002, CCCCXVI).
13
Patrologiae Graecae Tomus 18, Turnhold, Brepols, 1857, p. 740.
14
Le titre original de ce dictionnaire est Γλῶσσαι, tr. « Lexique ». En ce qui concerne le tarande, voir
l’article τά ρανδος (Hésychios d’Alexandrie, Lexicon, texte établi par M. Schmidt, Amsterdam, Hakkert, vol.
IV, 1965, p. 130)
15
Le titre original est, Ἐθνικά, tr. « Ethniques ». La première version de ce dictionnaire est perdue : une
partie du texte a survécu grâce à un épitomé tardif. En ce qui concerne le tarande, voir l’article Γελωνός
(Etienne de Byzance, Ethnika, texte établi par A. Meineki, Graz, Akademische Druck-u. Verlagsanstalt,
1958, p. 201-202).
16
Antigonus Carystius, Rerum mirabilium collectio, texte établi par O. Musso, Napoli, Bibliopolis, 1985, p.
30-31.
Olimpio Musso démontre que ce texte, attribué jadis à Antigone de Carystos, a en réalité été composé à la
cour de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète vers le Xe siècle de notre ère. La structure de cette œuvre
4
Thessalonique sur la Descriptio orbis (Περιήγησις, tr. « description de la terre ») de Denys
le Périégète (et, plus précisément, dans la glose au vers 310)17.
Mais quelles sont les caractéristiques de cet animal qui ne figure, dans les littératures
grecque et latine, que treize fois pendant une période de dix-sept siècles ?
Le manque d’informations et les conditions parfois lacuneuses dans la transmission
des textes justifient le fait que le nom connaît trois formes différentes. Les modifications
concernent la lettre initiale (t- ou p-) et/ou le groupe final (-dos ou -dros) : la majorité des
auteurs utilise le substantif tarandos, qui est transformé en tarandros par Philon
d’Alexandrie et dans la variante latine tarandrus par Pline l’Ancien. Seulement Solin use
du nom parandrus.
En ce qui concerne le lieu d’origine, tous les auteurs mentionnent la Scythie à
l’exception du Pseudo-Antigone, qui passe sous silence ce détail, et de Solin, d’après
lequel le parandrus serait originaire d’Ethiopie, terra mirabilis par antonomase18. Aristote,
Philon d’Alexandrie, le Pseudo-Eustathe, Etienne de Byzance et Eustathe d’Antioche
tiennent en outre à préciser qu’il est possible de rencontrer le tarande dans le territoire des
Gelons.
Etant donné que ces textes ont un but descriptif et proto-scientifique, on a décidé de
proposer ci-après quatre tableaux récapitulatifs pour présenter, d’une manière claire et
immédiatement perceptible, toutes les informations disponibles.
Les tableaux concernent respectivement les propriétés générales du tarande (Tableau
1), ses caractéristiques physiques (Tableau 2), les lieux et les objets dont il imite l’aspect
(Tableau 3) et la présence, dans les passages mentionnés, d’autres animaux qui changent
de couleur (Tableau 4).
suggère que l’auteur anonyme a probablement utilisé quatre sources différentes, dont l’une serait un traité
perdu d’Antigone de Caryste (« Sulla struttura del Cod. Pal. Gr. 398 e deduzioni storico-letterarie »,
Prometheus 2, 1976, p. 1-10).
17
Denys le Périégète, Graece et Latine, cum vetustis comentariis et interpretationibus, texte établi par G.
Bernhard, Hildesheim-New York, Georg Olms Verlag, 1974, vol. I, p. 147.
18
Si l’on compare le morceau de Solin au passage de Pline, on comprend immédiatement que la source
directe de la Collectanea rerum memorabilium est l’Historia naturalis. Les deux inexactitudes de la version
de Solin (le nom parandrus et la contextualisation géographique) sont probablement dues à la consultation
d’une copie lacuneuse de l’ouvrage plinien: la première faute est probablement due à une imprécision
orthographique (parandrus au lieu de tarandrus); la deuxième erreur est probablement due à l’omission du
génitif Scytharum après le substantif tarandrus. Etant donné que Pline parle, au chapitre qui précède celui sur
le tarande, du caméléon, originaire d’Afrique, Solin a probablement pensé que le lieu d’origine du tarande
était le continent africain.
5
Tableau 1 : Les propriétés générales du tarande
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
8)
Rare
Rare à cause de sa taille
Difficile à voir
Difficile à capturer
Métamorphose incroyable et merveilleuse du poil
Animal merveilleux
Poil polychromique
Métamorphose engendrée par la peur
1
x
Th.
Ps.- Ar.
Phil.
Pl.
El.
Sol.
Ps.- Eu.
Hés.
Et.
Ps.-Ant.
Eu.
2
3
x
(2/11 ; 18,18 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(7/11 ; 63,64 %)
(7/11 ; 63,64 %)
(3/11 ; 27,27 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(2/11 ; 18,18 %)
4
x
5
x
x
x
x
x
x
7
x
8
x
x
x
x
x
x
x
6
x
x
x
x
x
x
x
x
x
Tableau 2 : La description physique du tarande
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
8)
9)
10)
11)
12)
13)
14)
15)
Th.
Ps.- Ar.
Phil.
Pl.
El.
Sol.
Ps.- Eu.
Hés.
Et.
Ps.-Ant.
Eu.
Taille du bœuf
Tête semblable à celle du cerf, mais plus grande
Tête semblable à celle du cerf
Aspect du cerf
Longueur du poil égale à celle de l’ours
Couleur de l’ours
Couleur de l’âne
Aspect de l’âne
Taille du taureau
Cornes rameuses
Sabot fourchu
Corps couvert de poils
Gibbosités osseuses sous la peau
Peau épaisse et dure
Quatre pattes
1
x
x
x
x
2
x
3
4
5
6
7
(8/11 ; 72,73 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(5/11 ; 45,45 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(3/11 ; 27,27 %)
(3/11 ; 27,27 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(1/11 ; 9,08 %)
(3/11 ; 27,27 %)
(1/11 ; 9,09 %)
8
9
10
x
11
x
x
x
x
x
12
x
13
x
14
x
15
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
6
Tableau 3: Les éléments dont le tarande imite la couleur
1)
2)
3)
4)
5)
6)
7)
Lieux
Régions
Pierres
Arbres
Plantes
Arbrisseaux
Fleurs
Th.
Ps.- Ar.
Phil.
Pl.
El.
Sol.
Ps.- Eu.
Hés.
Et.
Ps.-Ant.
Eu.
1
x
x
(5/11 ; 45,45 %)
(2/11 ; 18,19 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(4/11 ; 36,36 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(2/11 ; 18,18 %)
(1/11 ; 9,09 %)
2
3
x
4
5
x
x
x
x
x
x
x
x
6
7
x
x
x
x
x
x
Tableau 4: La présence d’autres animaux qui changent de couleur
1)
2)
3)
4)
5)
Th.
Ps.- Ar.
Phil.
Pl.
El.
Sol.
Ps.- Eu.
Hés.
Et.
Ps.-Ant.
Eu.
Caméléon
Poulpe
Colombe
Thoes
Lycaon
(10/11 ; 90,91 %)
(7/11 ; 63,64 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(1/11 ; 9,09 %)
(2/11 ; 18,18 %)
1
x
x
x
x
x
x
x
2
x
x
x
x
x
x
x
x
x
x
3
4
5
x
x
x
x
7
En ce qui concerne le premier tableau, la plupart des auteurs soulignent non seulement
que le tarande est difficile à voir ou à capturer (points 3 et 4), mais surtout que la
métamorphose du pelage est un élément merveilleux et incroyable (points 5 et 6).
Du point de vue lexical, il est, à ce sujet, intéressant de remarquer l’utilisation
constante, dans les textes grecs, de l’adjectif « δυσθήρατον » (tr. « difficile à prendre »,
chez le Pseudo-Aristote, Philon d’Alexandrie, le Pseudo-Eustathe, Etienne de Byzance et
Eustathe de Thessalonique), du substantif « θαῦµα » (tr. « merveille », chez Etienne de
Byzance) et de ses dérivés, c’est-à-dire les adjectifs « θαυµαστὸν » (tr. « merveilleux »,
chez Théophraste et le Pseudo-Antigone) et « θαυµάσιος » (tr. « merveilleux », chez le
Pseudo-Aristote, Philon d’Alexandrie, Etienne de Byzance et Eustathe de Thessalonique).
Ces remarques linguistiques suggèrent l’existence d’un groupe assez homogène de
textes, formé par les passages du Pseudo-Aristote, de Philon d’Alexandrie, du PseudoEustathe, d’Etienne de Byzance et d’Eustathe de Thessalonique. Cette idée est confirmée
par quatre éléments : primo, la structure, la disposition et la longueur des cinq extraits sont
semblables ; secundo, Etienne de Byzance affirme explicitement qu’il utilise, comme
source, l’œuvre d’Aristote ; tertio, Eustathe de Thessalonique résume, dans son
commentaire, l’article d’Etienne de Byzance ; quarto, le deuxième tableau montre que ces
auteurs mentionnent les mêmes caractéristiques physiques du tarande.
Ainsi, peut-on supposer que le passage du pseudo-Aristote (qui, selon Flashar19,
s’inspire directement de Théophraste) représente la source de Philon d’Alexandrie20,
d’Etienne de Byzance et, probablement, du Pseudo-Eustathe.
Le deuxième tableau suggère, en outre, l’existence d’un autre groupe homogène, dont
font partie les textes de Théophraste, de Pline et de Solin, lequel s’inspire directement de
Pline. Malgré cela, il reste difficile de repérer les sources d’Hésychios d’Alexandrie et de
Claude Elien.
19
Aristote, Mirabilia, texte traduit et commenté par Hellmut Flashar, Berlin, Akademie-Verlag, 1990, p. 82.
Bien que l’on ne connaisse pas précisément la date de composition de l’ouvrage du Pseudo-Aristote, il est
très probable que Philon d’Alexandrie se soit inspiré de ce texte. Non seulement les deux passages sont
semblables, mais encore l’exégète attribue les informations sur le tarande à une source qui n’est pas
mentionnée.
Philon dit, en outre, que le tarande vit dans le territoire des Geloois (et non pas des Gelonois) : cette faute
suggère qu’il utilise une copie lacuneuse d’une œuvre précédente. Si cette hypothèse était valable, la date de
composition du chapitre 30 du De mirabilibus auscultationibus serait comprise entre le troisième et le
premier siècle avant Jesus-Christ.
20
8
Dans une épître, le premier affirme d’utiliser des dictionnaires précédents (surtout
celui de Diogénien) pour composer son lexique de vocables rares21.
En ce qui concerne le deuxième, un autre détail textuel peut être utile. Seulement
Théophraste, Pline l’Ancien, Hésychios d’Alexandrie et Claude Elien affirment que les
Scythes utilisent la peau du tarande pour produire des armes de défense très solides
(précisément, des cuirasses selon Théophraste, Pline l’Ancien et Hésychios d’Alexandrie,
et des boucliers selon Claude Elien). Vu que Claude Elien ne mentionne jamais d’auteurs
latins dans son ouvrage, il est probable qu’il réélabore librement les informations présentes
dans le livre perdu de Théophraste.
Le Pseudo-Antigone déclare, enfin, de s’inspirer d’Aristote : son passage est toutefois
très différent du texte apocryphe que l’on connaît. Cet élément suggère l’existence d’une
version différente de l’œuvre aristotélique, ce qui pourrait confirmer les hypothèses de
Vanotti exposées en précédence.
Pour conclure, on résume, dans le schéma suivant, ce que l’on vient de dire au sujet de
la circulation et de la réécriture des textes sur le tarande:
Philon
Elien
Ps.-Eustathe
Etienne
Ps.-Antigone
Ps.-Aristote
Solin
Pline
Théophraste
21
Hésychius, Lexicon, texte établi par M. Schmidt, Amsterdam, Hakkert, 1965, p. 1-2.
9
2. Manuel Philes, Fazio degli Uberti et Luigi Pulci
Bien que le tarande soit mentionné, au XIIIe siècle, dans quelques textes dont le
caractère est encyclopédique (par exemple dans le Tresor de Brunetto Latini22), à partir de
cette période il commence à figurer dans les œuvres fictionnelles.
Il se cèle, par exemple, dans le poème « ΠΕΡΙ ΤΑΡΑΝ∆ΟΥ » de Manuel Philes, qui
fait partie de l’œuvre didactique Περὶ ζᾡων ἰδιότητος (tr. « Sur les caractéristiques des
animaux »)23, un bestiaire en 2015 vers dédié à l’empereur Michel IX Paléologue :
1
5
10
Ζῶον τὶ καὶ τάρανδος ἐν Σκύθαις µέγα.
Ταύρῳ γὰρ ἄν τις ἐµφερῆ τοῦτον κρίνοι,
τὸν ὄγκον ἀθρῶν τῶν µελῶν καὶ τὸν δρόµον.
Κλέπτων δὲ τὴν αἴσθησιν ὡς χαµαιλέων,
εἰς ποικίλα χρώµατα τὴν τρίχα τρέπει.
Τὸν ἄστατον γὰρ καὶ παλίµβολον βίον
καὶ τῶν πονηρῶν ζωγραφεῖ τὰς ἐµφάσεις,
οἳ παρακερδαίνουσι τοὺς ἁπλουστέρους,
πλανῶντες εἰκῆ ταῖς τροπαῖς τῆς καρδίας.
Τούτου, βασιλεῦ, τὴν δορὰν θώραξ φέρων
ὑπῆρξε παντὸς εὐτονώτερος βέλους24.
Ce poème se compose de trois parties : l’auteur décrit, en premier lieu, les
caractéristiques physiques du tarande (v. 1-5) ; il en propose ensuite une interprétation
morale (v. 6-9) ; il révèle enfin, à la figure du roi/lecteur, que les Scythes en utilisent la
peau pour produire des cuirasses (v. 10-11).
Trois éléments suggèrent que Manuel Philes exploite, comme source principale, le
passage de Claude Elien : primo, le titre de l’ouvre, qui reprend directement celui de
Claude Elien ; secundo, la comparaison avec le taureau (v. 2-3), présente seulement chez
Claude Elien ; tertio, la remarque finale (v. 9-10). L’utilisation du substantif « θώραξ » (tr.
« cuirasse », v. 10) suggère toutefois que Philes dispose au moins d’un autre texte, étant
donné que ce terme figure seulement chez Théophraste et chez Hésychios d’Alexandrie.
22
« Parande est une beste en Ethiopie, grans comme buef, et a chief et cornes comme cerf et color de ours ;
mais li Ethiopient dient que Parande mue sa droite color par paor, selonc la teinte de la chose qui li est plus
prochienne. Ce meismes font polipes en mer et camelion en terre, de quoi li contes fait mention cà en
arriere » (Brunetto Latini, Li livres dou Tresor, Paris : Imprimerie Impériale, 1863, p. 250).
23
Manuel Philes utilise le titre de l’ouvrage de Claude Elien, qui en constitue la source principale.
24
Poetae bucolici et didactici, Paris, Firmin Didot, 1862, p. 29.
10
En ce qui concerne la moralisation, le tarande incarnerait, selon l’écrivain byzantin, la
vie instable (« ἄστατον », v. 6) et changeante (« παλίµβολον », v. 6) ainsi que l’aspect
(« ἐµφάσεις », v. 7) des mauvais, qui trompent les faibles à travers les variations de leur
âme et de leurs sentiments.
Dans ce contexte, l’utilisation du verbe « ζωγραφεῖ » (v. 7), qui signifie peindre
(γραφεῖ) sur le vif (ζω), dénonce la fonction du tarande : non seulement il représente une
sorte de symbole vivant, c’est-à-dire un être double, partagé entre le signe fictionnel
(γραφεῖ) et la vie réelle (ζω), mais il correspond encore à l’image extérieure et visible
(« ἐµφάσεις », v. 7) d’un élément intérieur et invisible (« ταῖς τροπαῖς τῆς καρδίας », v. 9).
Ainsi, l’être paradoxal (au sens étymologique du terme) se métamorphose-t-il en être
du paradoxe. L’ambigüité de l’expression « Κλέπτων δὲ τὴν αἴσθησιν » (« trompant la
perception ») est à ce moment évidente : comme le caméléon, le tarande trompe
l’« αἴσθησιν », c’est-à-dire la perception des sens et, en même temps, de l’intellect, parce
qu’il se cache à la vue humaine grâce aux mutations de son pelage et qu’il écrase, sous les
yeux de la raison, les limites qui séparent la réalité et la fiction, le monde et le signe, le
visible et l’invisible.
Vers la moitié du quatorzième siècle, Fazio degli Uberti consacre douze vers au
tarande dans le Dittamondo, un poème didactique, géographique et allégorique en six
livres. Cette œuvre inachevée s’inspire de la Comedia de Dante : en transformant le voyage
dans l’outre-tombe en voyage dans le monde, Fazio degli Uberti cherche à composer une
œuvre encyclopédique, qui se fonde surtout, en ce qui concerne les sources, sur les écrits
de Ptolémée et de Solin.
Dans les livres I et II, le narrateur-personnage décrit le début de son voyage, pendant
lequel il rencontre deux figures allégoriques aux caractéristiques opposées (la Vertu, qui
encourage son entreprise, et une femme horrible, probablement la lâcheté, qui cherche en
vain à le dissuader de partir), deux hommes (un ermite qui confesse le protagoniste et un
« lume d’Almagesto25 », c’est-à-dire Ptolémée, qui décrit la conformation générale de la
terre)26 et enfin Solin. Comme Virgile dans le chef-d’œuvre dantesque, ce dernier propose
25
Fazio degli Uberti, Il Dittamondo e le rime, Bari, Laterza, 1952, p. 20.
On pourrait supposer que la confession de l’Ermite et la descriptio orbis de Ptolémée préparent le
protagoniste au voyage respectivement du point de vue spirituel et du point de vue intellectuel.
26
11
de servir de guide à Fazio et de l’accompagner dans son aventure exemplaire et
extraordinaire. Avant de partir les deux voyageurs tombent sur une femme « di gentile
schiatta27 », « vecchia in vista et trista per costume28 ». C’est une représentation
allégorique de l’Italie, qui leur raconte son histoire millénaire.
La structure des livres suivants est plus simple : l’auteur décrit respectivement
l’Europe (livres III-IV), l’Afrique (livre V) et l’Asie (VI).
Le tarande apparaît au capitolo XXIV du livre V, et plus précisément, dans la partie
consacrée à l’Ethiopie orientale :
31
34
37
40
«Ancora vo’ che ne la mente tempre
la forma del parando, a ciò che tue,
se gli altri noti, questo metti in tempre.
La sua grandezza è simile d’un bue
E tal qual cervo mostra la sua testa,
salvo ch’ello ha maggior le corna sue.
Nel Nilo vive più ch’a la foresta;
e tal qual vedi il pel de l’oro fatto,
di quel proprio color par che si vesta».
Indi mi disse la natura e l’atto
De la sua vita, sì come la conta,
Ch’assai mi piacque e parsemi gran fatto29.
La localisation géographique, les éléments macro-textuels mentionnés en précédence
et l’utilisation de la forme parandro suggèrent clairement que la source de Fazio degli
Uberti est la Collectanea rerum memorabilium de Solin.
Il faut toutefois remarquer que la caractéristique principale du tarande, c’est-à-dire le
changement caméléonesque du pelage, est apparemment absente du texte : à la suite de
l’exhortation du guide (v. 31-33), l’auteur se borne à décrire, sous les yeux du lecteur,
l’aspect physique de l’animal par le biais de trois comparaisons avec d’autres bêtes (le
bœuf, v. 34, le cerf, v. 35-36. et l’ours v. 38-39).
La conclusion (v. 40-42) ne met en scène qu’un silence relatif : les discours étonnants
et merveilleux prononcés par Solin (v. 40-42) renvoient directement à la source (v. 41) et
ils dénoncent (ou pour mieux dire ils dévoilent) la présence de l’hypo-texte dans le texte.
Non seulement la métamorphose occultée représente ainsi le travail de réécriture, c’est-àdire la mimesis qui transforme et réinvente l’objet imité, mais elle rend complètement
27
Fazio degli Uberti, op. cit., p. 34.
Ibid., p. 34.
29
Ibid., p. 405.
28
12
visible, une fois encore, un élément qui est souvent impossible à voir : la parole qui se
cache derrière la parole.
Au chant XXV du Morgante, Luigi Pulci décrit le tarande d’une manière
complètement différente et peut-être complémentaire par rapport à Fazio degli Uberti.
Dans le bestiaire merveilleux qui occupe la dernière partie du chant (huitains 311-332)30, le
diable Astarotte ne mentionne en effet que le trait distinctif de la métamorphose incroyable
du pelage :
322.1
Ed una fera tarando è chiamata
La qual, dov’ella giace, il color piglia
Di quella cosa che ella è circondata,
Sì che a vederla la vista assottiglia31;
A la lumière de ce passage, il serait impossible de repérer la source précise de Pulci:
en effet, l’auteur ne souligne que la caractéristique principale du tarande pour mettre en
pleine lumière l’élément merveilleux dans le cadre d’une énumération tératologique. Ce
mécanisme de focalisation synthétique et paradoxale est toujours présent dans le microbestiaire du chant XXV, dont les sources seraient, d’après Meriano32, le livre IX de la
Pharsalia de Lucan, les livres XXIII et XXV du De animalibus d’Albert le Grand et le
livre VIII de l’Historia naturalis de Pline dans la traduction de Cristoforo Landino.
Pour comprendre, de façon plus profonde, la fonction et la signification du renne
caméléonesque chez Pulci, il est toutefois nécessaire de contextualiser le passage à
l’intérieur du Morgante.
Après avoir mangé une plante éthiopique qui donne le pouvoir de l’invisibilité,
Rinaldo, Ricciardetto et Astarotte participent au repas de la reine Blanda à Saragosse: étant
donné que personne ne peut les voir, ils se moquent des présents, mais Rinaldo rencontre
sa bien aimée Luciana (XXV, 295-304)33. Après le départ, Rinaldo parle avec Astarotte de
son ancien amour pour Luciana et du pavillon très beau qu’elle lui avait donné. Cet objet
est décrit dans la partie conclusive du chant XIV (44-91)34. Bien que le diableteau ne
puisse pas l’observer directement, il arrive à le voir à travers son « occhio
30
Luigi Pulci, Morgante, Milano - Napoli, Ricciardi, 1955, p. 923-933.
Ibid., p. 927.
32
C. E. Meriano, I due bestiari del “Morgante”, Lingua Nostra, XIII, 1952, p. 2-3.
33
Luigi Pulci, op. cit., p. 918-921.
34
Ibid., p. 363-385.
31
13
mentale35 » (XXV, 308, 7) : en effet, un démon « vede ove e’ rivolge sua intenzione36 »
(XXV, 308, 5). Après avoir confirmé que le drapeau est magnifique, il ajoute toutefois que
Luciana a oublié bien des animaux et, à la requête du héros, il énumère toutes les bêtes
manquantes. Ainsi, la parole paradoxale du bestiaire complète-t-elle les images
vraisemblables du pavillon, en rendant visibles les animaux « incogniti alle genti37 »
(XXV, 311,2).
En ce qui concerne la dispositio, les deux objets artistiques (et, par conséquent, les
deux passages du Morgante) mettent en scène deux idéologies de la représentation
opposées ou, pour mieux dire, complémentaires. Le pavillon est une sorte de microcosme
partagé en quatre sections qui correspondent aux quatre éléments : le feu (XIV, 45), l’air
(XIV, 46-63), la mer (XIV, 64-71) et la terre (XIV, 72-86). Par contre, le bestiaire propose
une rhétorique de l’énumération et du dérèglement, qui offre une image luxuriante mais
désordonnée du cosmos. L’ouvrage de Luciana imite et, en même temps, idéalise le réel,
tandis que le discours démon recrée et, en même temps, matérialise l’imaginaire.
Quel est le rapport entre ces éléments et le tarande ? Non seulement il figure, une fois
encore, dans un contexte, certes large, de réécriture explicite et de réflexion implicite sur
l’écriture, mais encore l’expression « a vederla la vista assottiglia38 » (XXV, 322, 4)
permet d’affirmer que cet animal symbolise le fonctionnement textuel de la partie finale du
chant, qui se fonde entièrement, comme l’on vient de remarquer, sur la dialectique entre le
visible et l’invisible.
Voilà le véritable point de contact entre les textes de Manuel Philes, Fazio degli Uberti
et Luigi Pulci: le tarande est une sorte de symbole/oxymoron méta-textuel qui rend visible
l’invisible, qui représente l’irreprésentable. Il incarne le paradoxe, le pouvoir et le jeu de la
littérature qui, à travers le signe/image de l’écriture, montre ce que le monde cache à la
vue.
35
Ibid., p. 922.
Ibid., p. 922.
37
Ibid., p. 923.
38
Ibid., p. 927.
36
14
3. François Rabelais
Au moment où Georg Elyot (en 1548), Georg Agricola (en 1549) et Conrad Gesner
(en 1551) déclarent que le tarande est en réalité un animal inexistant et qu’ils l’identifient
au renne ou rangifer39, Rabelais en fait le emblème de l’île Medamothi. Cet épisode, ajouté
dans l’édition 1552 du Quart livre, joue un rôle tout à fait fondamental dans l’économie de
l’œuvre : ici, « le texte rabelaisien revient sur lui-même et tisse sa prise de conscience dans
la trame de la fiction, en images verbales40 ».
Dans ce cadre fictionnel et, en même temps, métafictionnel, l’idée que « les tarandes,
comme les caméléons, incarnent la mimesis41 » simplifie excessivement le texte : une telle
lecture transforme un symbole complexe en allégorie rassurante, une figure polyvalente et
polymorphe en émissaire d’une métathéorie littéraire qui ne figure ni dans ni parmi les
lignes du chef-d’œuvre rabelaisien.
Pour chercher à comprendre l’éventail de significations qui se cache derrière la figure
du tarande, il est en premier lieu nécessaire d’analyser attentivement le passage consacré à
cet animal au chapitre III, dont les proportions sont tout à fait gigantesques (mot-clé de
l’écriture rabelaisienne) par rapport aux textes mentionnés en précédence :
Tarande est un animal grand comme un ieune taureau, portant teste comme est d’un cerf, peu plus
grande: avecques cornes insignes largement ramées: les piedz forchuz: le poil long comme d’un
grand Ours: la peau peu moins dure, qu’un corps de cuirasse. Et disoit le Gelon peu en estre trouvé
parmy la Scythie: par ce qu’il change de couleur selon la varieté des lieux es quelz il paist &
demoure. Et represente la couleur des herbes, arbres, arbrisseaulx, fleurs, lieux, pastiz, rochiers,
generalement de toutes choses qu’il approche. Cela luy est commun avecques le Poulpe marin, c’est
le Polype: avecques les Thoes: avecques les Lycaons de Indie: avecques le Chameleon: qui est une
espèce de Lizart tant admirable, que Democritus a faict un livre entier de sa figure, anatomie, vertus,
& proprieté en Magie. Si est ce que ie l’ay veu couleur changer non à l’approche seulement des
choses colorées, mais de soy mesmes, selon la paour & affections qu’il avoit. Comme sus un tapiz
verd, ie l’ay veu certainement verdoyer: mais y restant quelque espace de temps devenir iaulne, bleu,
tanné, violet par succès: en la façon que voiez la creste des coqs d’Inde couleur scelon leurs passions
changer. Ce que sus tout trouvasmes en cestuy Tarande admirable est, que non seulement sa face &
peau, mais aussi tout son poil telle couleur prenoit, quelle estoit es choses voisines. Près de Panurge
vestu de sa toge bure, le poil luy devenoit gris: près de Pantagruel vestu de sa mante d’escarlate, le
poil & peau luy rougissoit: près du pilot vestu à la mode des Isiaces de Anubis en Aegypte, son poil
apparut tout blanc. Les quelles deux dernières couleurs sont au Chameleon deniées. Quand hors
39
Pour avoir des informations plus précises à ce sujet et voir la note 5 de l’article de Marie-Madelaine
Fontaine, « Le Tarande du Quart livre », in Francois Marotin et Jacques-Philippe Saint-Gerand (éds.),
Poétique et narration, Paris, Champion, 1993, p. 413.
40
Michel Beaujour, Le jeu de Rabelais, Paris, L’Herne, 1969, p. 132.
41
Ibid., p. 132.
15
toute paour & affections il estoit en son naturel, la couleur de son poil estoit telle que voiez es asnes
de Meung42.
Au chapitre IV, Pantagruel parle en outre du tarande dans la lettre qu’il envoie à son
père Gargantua. Il dit à ce propos : « J’ay ici trouvé un Tarande de Scythie, animal
estrange et merveilleux à cause des variations de couleurs en sa peau et poil, scelon la
distinction des choses prochaines. Vous le prendrez en gré. Il est autant maniable et facile à
nourrir qu’un aigneau43 ».
Pour ce qui est du lieu de provenance, seulement le Pseudo-Aristote, Philon
d’Alexandrie, le Pseudo-Eustathe, Etienne de Byzance et Eustathe de Thessalonique
spécifient que le renne caméléonesque est originaire du territoire des Gelons. Etant donné
que le commentaire du pseudo-Eustathe est publié pour la première fois en 1629, il est
probable que Rabelais ne connaisse pas cette source.
En ce qui concerne la description générale de l’animal, Rabelais s’inspire de
préférence de l’Historia naturalis de Pline l’Ancien. Les tableaux précédents sont, à ce
sujet, très éloquents :
Tableau 1 : Les propriétés générales du tarande
1
2
3
4
Pl.
5
x
Rab.
6
7
8
X
x
X
x
Tableau 2 : La description physique du tarande
Pl.
1
2
x
x
x
x
x
x
x
Rab.
3
4
5
6
7
8
9
x
10
11
12
13
14
x
x
x
x
x
x
15
Tableau 3: Les éléments dont le tarande imite la couleur
1
Pl.
x
Rab.
x
42
43
2
4
x
5
6
7
8
9
x
x
x
x
x
x
Rabelais, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1994, p. 541-542.
Ibid., p. 546.
16
Tableau 4: La présence d’autres animaux qui changent de couleur
1
Pl.
x
Rab.
x
2
x
3
4
5
X
x
X
x
6
Quinze éléments sur dix-neuf (c’est-à-dire le 78,95 %) de la description rabelaisienne
sont présents chez Pline44. L’auteur français ne passe sous silence que deux détails du texte
plinien: le tarande n’est pas difficile à capturer45 et il a la taille d’un taureau.
Seulement Claude Elien et Manuel Philes mentionnent cette dernière caractéristique.
Bien que l’editio princeps de l’œuvre de Claude Elien date de 1555 et qu’elle soit ainsi
successive à la publication du Quart Livre, la traduction latine de cette œuvre, imprimée à
Lyon en 1533 chez Gryphius, confirme que le tarande est « dorso & magnitudine tauro
simile46 ».
Au contraire de l’Historia naturalis, Rabelais dit que le tarande est semblable au
poulpe et qu’il imite la couleur des pierres. La première image revient souvent chez les
auteurs anciens ; la deuxième idée ne figure que dans les textes de Solin et de Théophraste,
dont le fragment 172 a été publié pour la première fois en 1557 par Henri Estienne.
Marie-Madelaine Fontaine est convaincue que, malgré cela, Rabelais s’inspire surtout
de Théophraste. Elle nie la centralité du texte plinien étant donné que l’auteur latin serait «
incapable de donner à Rabelais l’une des remarques centrales de sa réflexion : le fait que
des causes internes, la ‘paour et [les] affections’, entrainent la modification, sans à
proprement provoquer la bête à mimer les lieux47 ». Elle ajoute en outre que « l’expression
du mimétisme encadre au contraire l’essentiel du raisonnement chez Rabelais [et que]
Théophraste […] fournit […] cette remarque essentielle48 ».
Les causes du mimétisme du tarande et, en particulier, l’expression « paour et
affections » renvoient plutôt à un autre ouvrage ancien : il s’agit du De sollertia animalium
44
Un autre élément du texte est présent, sous une forme différente, chez Rabelais : bien que ce dernier ne
dise pas explicitement que les Scythes utilisent le tarande pour faire des thorakas, il affirme que la peau de
l’animal est « peu moins dure, qu'un corps de cuirasse » (Ibid., p. 541).
45
On rappelle que, selon Pantagruel, il est, en effet « autant maniable et facile à nourrir qu’un aigneau »
(Ibid., p. 546).
46
Claude Elien, Historia, traduit par Petrus Gyllius, Lyon, Gryphius, 1533, p. 179.
47
Marie-Madelaine Fontaine, op. cit., p. 414. Il faut ajouter que cela n’est pas complètement précis. Pline se
borne à mettre en lumière la couardise du tarande, qui « colorem omnium arborum, fruticum, forum
locorumque reddit metuens in quibus latet […] » (Pline l’Ancien, op. cit., p. 66).
48
Ibid., p. 414.
17
(978 E-F)49 de Plutarque, où l’auteur remarque que le caméléon change de couleur à cause
de la crainte, tandis que la métamorphose du poulpe est engendrée par un acte de volonté.
Dans le tarande rabelaisien, les images plutarquiennes du caméléon et du poulpe se
superposent : en effet, cet animal merveilleux représente un être ephemeros, qui subit le
changement à cause de la « paour », et, en même temps, un être polytropos, qui peut
décider de métamorphoser son apparence50.
Il est en outre intéressant de remarquer que la dialectique entre le visible et l’invisible,
dont, comme l’on a déjà dit, le tarande est l’un des symboles à partir de Manuel Philes, est
le cœur métaphorique de l’île Medamothi.
Primo, le nom de cette terre (la première étape du voyage dans l’édition de 1552)
signifie, selon la Briefve declaration, « nul lieu en Grec51 » : les personnages abordent,
donc, une île métaphoriquement inexistante et invisible. Il est toutefois impossible de ne
pas voir cette terre « belle à l’œil et plaisante à cause du grand nombre de Phares et haultes
tour marbrines52 ».
Secundo, le roi Philophanes, c’est-à-dire « couvoiteux de voire et estre veu53 », est
« absent pour le mariage de son frere Philotheamon avecques l’Infante du Royaulme
d’Engys54 ». Le terme engys, qui translittère la préposition « aupres55 » en grec ancien,
montre le caractère paradoxal de cette justification narrative : un régnant, qui voudrait être
visible, est invisible parce qu’il assiste au mariage de son frère avec la princesse d’une
terre limitrophe. Mais qu’est-ce qui confine avec une île et surtout avec l’île « nul lieu »?
Sous les yeux du lecteur, le texte se déguise en Ulysse, déguisé en « personne » en
présence de Polyphème, le cyclope monoculaire qui va être aveuglé …
Tertio, les ouvrages achetés par Frère Jean, par Panurge, par Epistemon et par
Rhizotome sont capables de représenter des éléments apparemment irreprésentables. Paul
J. Smith dit, à ce propos, que « les tableaux de Medamothi sont, pour la plupart, des
adynata, dont le caractère ‘impossible’ ressort avec évidence si l’on a présente à l’esprit
49
Plutarque, Moralia, traduit par Harold Cherniss and William C. Helmbold, London-Cambridge : William
Heinemann LTD – Harvard University Press, 1967, vol. XII, p. 434-437.
50
En ce qui concerne la figure du poulpe et la différence entre ephemeros et polytropos voir Marcel Detienne
et Jean-Paul Vernant, Le astuzie dell’intelligenza nell’antica Grecia, Bari, Laterza, 1999, p. 27-37.
51
Rabelais, op. cit., p. 705.
52
Ibid., p. 540.
53
Ibid., p. 706.
54
Ibid., p. 504.
55
Ibid., p. 706.
18
l’ouverture du Della Pittura de Leon Battista Alberti, dont l’autorité reste intacte pendant
des siècles56 ».
Cela n’est pas complètement correct : la copie de « l’ouvrage faict à l’aiguille par
Philomela57 » dévoile les intentions de l’auteur, qui trompe, comme le tarande,
l’« αἴσθησιν » du lecteur.
A la lumière du texte rabelaisien et d’une longue tradition, on serait tenté de croire que
Philomèle envoie à sa sœur Procné une toile historiée. Le texte des Métamorphoses
d’Ovide, où ce détail figure pour la première fois, montre cependant que cette idée est
imprécise. Dans le livre VI (v. 576-582) Ovide dit, en effet, que Philomèle
576 Stamina barbarica suspendit Pallade telae,
Purpureasque notas filis intexuit albis
Indicium scleris, perfectaque tradidit uni,
Utque ferat dominae gestu rogat ; illa rogata
580 Pertulit ad Prognen, nec scit qui tradat in illis.
Evolvit vestes saevi matrona tyranni
germanaeque suae carmen miserabile legit58.
Philomèle tisse, donc, sur une toile blanche (« filis albis », v. 577), des marques rouges
(« purpureas notas », v. 577) d’un discours en vers (« carmen miserabile », v. 582) que sa
sœur lit (« legit », v. 582). Dans le Quart Livre, la copie de l’ouvrage, dont l’auteur parle
n’est que la reproduction visuelle d’un poème en rouge et blanc59!
La nature textuelle de ce tableau suggère, par analogie, que les autres œuvres
« impossibles » (qui représentent « le visaige d’un appelant […], le protraict d’un varlet
qui cherche maistre, […] les Idées de Platon, et les Atomes de Epicurus, [et] Echo60 »)
sont, en réalité, des métaphores concrétisées ou, pour mieux dire, des transfigurations
picturales d’une matière verbale. Le jeu de l’auteur consiste à figurer illusoirement
l’écriture sous forme visuelle : le dicton horatien Ut pictura poesis se transforme en Ut
poesis pictura.
Ainsi, la logique du passage (et en général la logique de l’écriture rabelaisienne) estelle synthétique, cumulative et encyclopédique : non seulement l’auteur exploite au moins
56
Paul J. Smith, Voyage et écriture, Genève, Droz, 1987, p. 168.
Rabelais, op. cit., p. 541.
58
Ovide, Metamorfosi, Torino, Einaudi, 1994, p. 238.
59
Pour montrer la densité du texte rabelaisien, on peut remarquer que, tout à la fin du chapitre et de ses
métamorphoses, le tarande devient justement rouge à coté de Pantagruel et blanc à coté du pilote. L’auteur
s’empresse de souligner que ces couleurs « sont au Chameleon deniées » (Rabelais, op. cit., p. 542).
60
Ibid., p. 540-541.
57
19
cinq sources différentes61, mais il construit encore le chapitre II du Quart livre sur le sujet
apparemment paradoxal de l’invisibilité visible, qui symbolise la matière littéraire et dont
le renne caméléonesque est, depuis Manuel Philes, un emblème.
L’idée d’une poétique du montage pourrait contribuer, à notre avis, à montrer les
limites du « monisme intertextuel » : toute œuvre est partagée entre les connaissances
directes de l’auteur et les concrétions de l’imaginaire, qui déterminent, de façon
dialectique, la matière littéraire. Si la comparaison et l’analyse des textes ne mène pas à
l’étude d’une tradition (ou d’une micro-tradition) caractérisée en même temps par la
synchronie des signifiants et la diachronie des significations, l’effort herméneutique est
vain : ainsi, serait-il préférable une approche trans-textuelle, qui réélabore le concept
d’intertexte à la lumière de la temporalité complexe de la tradition européenne.
Pour revenir au Quart livre, on peut remarquer que, dans l’épisode de l’ile Medamothi,
cette esthétique de l’assemblage est représentée explicitement dans la tapisserie des « vie et
gestes d’Achille62 », qui se fonde, comme le passage sur le tarande, sur la collation d’au
moins cinq sources différentes63.
L’auteur met directement en rapport l’œuvre « en soixante et dixhuict pieces64 » et le
rangifer aux couleurs changeantes à la fin du chapitre IV, où Pantagruel envoie à son
père « le Tarande couvert d’une housse de satin broché d’Or : avecques la tapisserie
contenente la vie et gestes de Achilles : et les troys Unicornes capparassonée de drap d’Or
frizé65 ». La structure syntaxique de ce passage (et en particulier la préposition
« avecques ») signale que le tarande et la « vie et gestes d’Achilles » forment un groupe de
deux éléments, qui s’oppose aux trois Unicornes.
Grace à la proximité linguistique et fictionnelle de l’objet artistique, on peut imaginer
que le renne caméléonesque « imite » les différents épisodes historiés : cette mimesis
61
On rappelle que les sources probables sont : 1) Le Pseudo-Aristote vel Philon d’Alexandrie vel Etienne de
Byzance vel Eustathe de Thessalonique ; 2) Pline ; 3) Claude Elien vel Manuel Philes ; 4) Théophraste vel
Solin ; 5) Plutarque.
A la lumière de la fortune de ces textes à la Renaissance et des dates des editiones principes, on pourrait
supposer que Rabelais utilise au moins les textes du Pseudo-Aristote, de Pline, d’Elien, de Solin et de
Plutarque.
62
Rabelais, op. cit., p. 541.
63
« Et commençoit la tapisserie au nopces de Peleus et Thetis, continuant la nativité d’Achilles, sa jeunesse
descripte par Stace Papinie : ses geste et faicts d’armes celebrez par Homere : sa mort et exeques descriptz
par Ovide et Quinte Calabrois : finissant en l’apparition de son umbre, et sacrifice de Polyxene descript par
Euripides » (Ibid., p. 541).
64
Ibid., p. 541.
65
Ibid., p. 547
20
engendre idéalement un mouvement des images, ce qui représente le principe fondamental
de la narrativité. Toutefois, cette « impulsion poïétique » est circulaire, étant donné que
l’animal du mouvement narratif ne peut que continuer à mimer la série fixe des pièces de
tapisserie.
L’idée d’une textualité rotatoire est présente explicitement dans un passage de la lettre
de Pantagruel, où le protagoniste, en tant qu’auteur, dit à son père/lecteur : « Au reste, j’ay
ceste confiance en la commiseration et ayde de notre Seigneur, que de ceste nostre
peregrination la fin correspondera au commencement66 ». En effet, le Quart livre débute
par le départ vinosus de la troupe pantagruélique67 et il se termine par l’expression « Sela
beuvons68 »: dans le Cinquiesme livre, la fin du voyage correspond au mot de la bouteille,
c’est-à-dire « Trinch69 ».
Pourquoi Rabelais propose-t-il une telle représentation de l’œuvre littéraire ? Le
Prologue de Gargantua permet d’éclairer ce choix :
Et posé le cas, qu’au sens litteral vous trouvez matieres assez joyeuses et bien correspondentes au
nom, toutefois pas demourer là ne fault comme au chant des Sirenes: ains à plus hault sens
interpreter que par adventure cuidiez dict en gayeté de cueur […].
Croyez vous en vostre foy qu’oncques Homere escrivent l’Iliade et Odyssée, pensast es allegories
[…] ? Si le croiez: vous n’approchez ne de pieds ne de mains à mon opinion […]70.
La circularité rabelaisienne s’oppose à la linéarité allégorique qui transforme les
symboles complexes et ouverts du texte en signes simples et monosémiques dans le (faux)
but de révéler une « doctrine plus absconse71 ». Tandis que, dans Gargantua, l’auteur
démystifie la lecture, l’interprétation et l’écriture par le biais d’une ironie méta-textuelle,
dans le Quart livre il de-allégorise, d’un point de vue intra-textuel, la matière littéraire à
travers les cadeaux symboliques que Pantagruel/auteur envoie à Gargantua/lecteur72.
66
Ibid., p. 546.
Ibid., p. 537-540.
68
Ibid., p. 701.
69
Ibid., p. 833.
70
Ibid., p. 6-7.
71
Ibid., p. 7.
72
En ce qui concerne la licorne (animal allégorique par antonomase dans les bestiaires médiévaux), Smith
confirme que, chez Rabelais, « les observations naturalistes de Pantagruel, mais surtout cet étonnant silence
dont il entoure la licorne médiévale, implique la démystification de celle-ci » (op. cit. p. 150).
67
21
Si, dans la tradition ancienne, le tarande est donc une rareté tératologique et que, de
Manuel Philes à Luigi Pulci, il met en scène la valeur méta-sémique et métalittéraire du
rapport dialectique entre le visible et l’invisible, il symbolise, chez Rabelais, le
polymorphisme, le mouvement vertigineux et même le fonctionnement profond du texte,
qui renonce à l’allégorie et à l’allégorisme pour transformer la parole et l’écriture en
matière multiforme et ce nonobstant « maniable », comme le tarande.
Christian Delorenzo
22
Bibliographie
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Napoli, Bibliopolis, 1985.
• Aristote, Mirabilia, texte traduit et commenté par Hellmut Flashar, Berlin,
Akademie-Verlag, 1990.
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Bompiani, 2007.
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interpretationibus, texte établi par G. Bernhard, Hildesheim-New York, Georg
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