Colloque du XXème anniversaire de l`Inserm « Recherche médicale

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Colloque du XXème anniversaire de l`Inserm « Recherche médicale
Colloque du XXème anniversaire de l'Inserm
« Recherche médicale, santé, société »
27 – 28 octobre 1984, la Sorbonne
Demain, la "contragestion"
Etienne-Emile Baulieu
(photo Inserm, Michel Depardieu)
A nos esprits d'hommes comblés, la contraception peut paraître un problème réglé et maîtrisé. Or il
n'en est rien et l'on doit parler d'échec de la contraception puisque, chaque année, plus de 50 millions
d'avortements sont pratiqués dans les pays en voie de développement. Ils sont la conséquence des
échecs des méthodes contraceptives modernes proposées aux couples de ces pays afin d'enrayer la
croissance démographique. On oublie trop rapidement que les problèmes de croissance
démographique ne sauraient être surmontés par le seul recours à des méthodes contraceptives. Elles
peuvent y contribuer certes, mais ne constituent que l'un des moyens d'un faisceau complexe de
mesures entrant dans une politique démographique dont les effets ne sont sensibles que dans le long
terme.
Orwell a eu raison de nous faire peur. Plusieurs « Big brothers » nous attendent au coin de l'histoire.
Leur champ de manœuvre, c'est la misère des hommes, trop nombreux, affamés et perdant leur
liberté. La Conférence mondiale sur la population de Mexico, au mois d'août, au-delà de la bataille
sévère des systèmes idéologiques et économiques antagonistes, a enfin reconnu la nécessité du
double effort mondial de structuration économique et de contrôle démographique.
Le contrôle de la fertilité humaine ne sera jamais du seul ressort de la biologie, et l'influence des
médecins, aussi grande soit-elle (et je souhaite qu'elle le reste), n'est qu'un des paramètres parmi
d'autres (et c'est normal). La libération des femmes est la pierre de touche qui sert à mesurer les
progrès de l'humanité, au niveau social comme au plan personnel : la contraception et l'interruption de
grossesse sont des droits imprescriptibles.
Biologiquement, les moyens seront plus nombreux et plus accessibles en l'an 2000 qu'aujourd'hui, de
façon très significative et de quatre manières. On utilisera encore la contraception hormonale, initiée
par Pincus, en particulier en se servant de formes-retard facilement injectées ou insérées sous la
peau, ce qui permettra à la demande une protection de plusieurs mois ou de plusieurs années par
suspension de l'ovulation. Différemment, mais de manière complémentaire ou alternative, des
préparations à effet antiprogestérone (telles que le RU 486, que nous venons de proposer)
permettront d'arrêter le cycle ou une grossesse au début, en cas de besoin, permettant d’éviter
l’exposition prolongée de l'organisme aux hormones. Il s'agit de « contragestion » (contre la gestation
ou grossesse), agissant en empêchant le produit de conception (de fécondation) de se développer. Il
est probable qu'il sera toujours difficile d'utiliser un vaccin antigrossesse, dont on craindra toujours les
conséquences immunologiques au long cours.
Je crois que la place du stérilet, avec toutes ses variantes « médiquées », c'est-à-dire porteuses de
produits qui en augmentent l'efficacité, restera importante, car beaucoup de femmes préfèrent une
intervention apparemment seulement mécanique à des médicaments, aussi bien tolérés soient-ils.
C'est l'affaire de chacune, et souvent les options changent au cours de la vie. La difficulté restera la
mise en place, car les questions d'infrastructure sanitaire dans les pays en voie de développement ne
sont pas près d'être résolues.
Pour les hommes, on suivra dans quinze ans les mêmes principes qu'aujourd'hui. Le nombre de
spermatozoïdes, des centaines de millions à chaque émission, alors qu'un seul suffit pour fertiliser la
cellule souche féminine, fait qu'il sera toujours difficile d'avoir une méthode à 100% efficace, en
contrôlant de façon réversible la production. A mon avis, il n'y a pas de méthode hormonale pour
contrôler la reproduction masculine. Il en est probablement de même si l'on veut abolir l'activité des
spermatozoïdes. Les dérivés du médicament chinois Gossypol seront ou bien inefficaces, ou bien trop
actifs et, par la même, débordant leur objectif (en altérant d'autres cellules de l'organisme). Il reste,
malheureusement, un seul principe qui me semble à la fois valable au présent et dans l'avenir : celui
qui consiste à arrêter les spermatozoïdes, comme le fait la section du canal déférent (vasectomie). J'y
suis opposé, dans la mesure où, actuellement, la méthode est irréversible et, à mon avis, il n'est pas
raisonnable de conseiller à quelqu'un de se faire stériliser de manière irréversible. On ne sait jamais...
Je ne crois pas que les progrès de la microchirurgie, qui permettront la réanastomose du canal,
pourront être mis à la disposition du plus grand nombre, ne serait-ce que pour des questions
évidentes de compétence chirurgicale, toujours très chère. Je crois plutôt à des mécanismes
réversibles, impliquant l'utilisation de valves miniaturisées, faciles à placer, que l'utilisateur pourra
ouvrir ou fermer. En fait, le vrai problème de la contraception masculine n'est pas technique : demain,
l'instrumentation nécessaire sera à notre disposition.
La question sera alors : les femmes voudront-elles laisser aux hommes la maîtrise de la contraception
? J'ai toujours été (et je reste) en faveur de la recherche, et donc du perfectionnement en matière de
contraception féminine. Non pas évidemment par machisme déclaré ou latent, comme le croient des
féministes démodées, mais justement
par féminisme fondamental, car je pense inadmissible de laisser la décision à l'homme, compte- tenu
que nous ne modifierons pas la division des rôles en matière de reproduction. Le plus urgent, c'est de
progresser dans la contraception féminine et non pas dans la contraception masculine, ce qui ne veut
pas dire que je n’encourage pas celle-ci.
Ainsi, les véritables problèmes continuent et continueront à se poser au niveau de l'utilisation. Par
exemple, dès maintenant, nous savons suspendre l'ovulation pour des mois avec des préparations
hormonales injectables retard. Les femmes sont-elles prêtes à ne pas avoir de règles pendant des
années ? C'est une question de mœurs, ce qui veut dire une question de société qui se pose à
chacune (et à chacun). Autre question : avec l'antiprogestérone, nous pouvons, chez une femme
«exposée», interrompre la fin d'un cycle, qu'il y ait eu fécondation ou non, c'est-à-dire qu'elle soit
enceinte ou non, ce qu'elle ignore si l'on n'attend pas le retard des règles et un diagnostic biologique.
Il y aura certainement des femmes qui ne voudront pas utiliser une telle possibilité, pourtant très
remarquablement commode et sûre, parce qu'elles sont contre le principe de l'avortement. Je sais
qu'il y a ambiguïté et que beaucoup en profiteront, comme beaucoup jouent sur l'ambiguïté des
mécanismes d'action du stérilet qui, dans un nombre de cas important, est en réalité une méthode
abortive. Alors ? Tout se mélange, les questions personnelles, l'acceptation ou le refus des mœurs de
l'époque, et l'ignorance tellement répandue de la réalité biologique. De toute façon, les composantes
varient d'une personne à l'autre et pour une même personne, selon les circonstances.
Alors ? Prédictions finales : en 2000, encore, la contraception hormonale sous diverses formes, celle
qui suspend l'ovulation. Encore le stérilet. Ces deux méthodes déjà existantes seront stationnaires ou
en déclin, car deux autres techniques seront utilisées: l'antiprogestérone, véritable méthode
alternative pour les femmes, dont la mise au point révolutionnera le contrôle de la fertilité ; la
stérilisation réversible des hommes, par interruption du déférent. Il n'y aura jamais assez de choix
possibles, si l'on veut un véritable contrôle des naissances. Pourtant, il restera toujours des femmes
qui laisseront «faire la nature ». Passivité ? Philosophie ? Sagesse ? Il restera à la société de décider,
car une fois que les moyens existent, tout dépend de l'éducation et des choix : ce ne sont pas les
savants qui dirigent. Ils découvrent, ils proposent et c'est bien suffisant.