Sport et discriminations : les contradictions d une

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Sport et discriminations : les contradictions d une
DOSSIER - SPORT ET DISCRIMINATIONS EN EUROPE
Sport et discriminations : les contradictions
d une pratique universelle
William
Le sport est-il un espace de non discrimination ou au contraire
participe-t-il à un processus de différenciation, dans la mesure où il
sépare et hiérarchise les sportifs selon leur niveau de pratique ?
P
ratique populaire et volontaire, le sport
accepte tout le monde, quelle que soit
l’origine culturelle ou sexuelle. Il peut dès
lors être considéré comme un espace de non
discrimination. Mais à l’inverse, le sport de
compétition peut aussi se voir comme une
pratique de différenciation à partir du moment où
il sépare et hiérarchise les sportifs selon leur
niveau de pratique. Cependant, cette exclusion
des «€moins bons€», qui peut paraître comme une
discrimination€produite par l’épreuve sportive, ne
se réalise pas a priori à partir de critères sociaux,
de naissance, de religion ou de «€race€». Ce constat
est d’autant plus vrai que le règlement impose
une égalité de traitement en créant des catégories
d’âge, de poids, de niveau, permettant ainsi que
«€le meilleur gagne€€» quelle que soit son origine.
Dans tous les pays européens, le sport de
compétition est ainsi présenté comme un espace
de rencontre d’athlètes provenant d’horizons
différents qui se mesurent physiquement dans un
cadre réglementaire, institutionnel et éthique
partagé. C’est ainsi que plus de % des citoyens
de l'UE voient dans le sport un moyen de lutter
contre les discriminations.
Cependant, l’épreuve de la réalité met à mal ces
principes éthiques. Le réseau Football against
racism in Europe (FARE) recense quasi
quotidiennement à travers l’Europe des actes
racistes dans le football. Du fait de leur
appartenance réelle ou supposée à un groupe
particulier, les sociologues constatent aussi que
certaines catégories de sportifs et de supporters
en Europe sont victimes d’injustices, de racisme et
de discrimination, mettant à jour les
contradictions du sport. Plusieurs formes de
discrimination peuvent alors être observées dans
le domaine des activités physiques et sportives€:
en fonction de l’apparence corporelle ou du
handicap, selon le sexe et/ou l’orientation
sexuelle, l’âge, l’ethnie ou l’origine nationale,
l’origine sociale, la religion.
Une confusion
entre racisme
et discriminations
Malgré des variations, la discrimination dans le
sport se réalise très souvent sur les «€stigmates€»
comme les marques, signes extérieurs d’étrangeté
ou de différence. Mais la confusion entre racisme
et discrimination est aussi une problématique fréquente dans les débats européens. En effet, on
peut discriminer sans être raciste. Le racisme se
fonde sur deux dimensions€: d’une part, l’infériorité des personnes suivant leur appartenance à des
prétendues races différentes€; d’autre part, la spécificité intellectuelle physique, affective des
personnes de «€races€» différentes. Ainsi, il est fréquent d’entendre que les «€Noirs sont doués pour
le sport€ ». Dans ce cas, il s’agit d’une opinion
raciste mais qui n’empêche pas le recrutement des
«€Noirs€» dans les clubs sportifs. La naturalisation
des capacités sportives des Noirs renvoie ainsi à du
racisme car il n’existe aucune propriété physiolo-
Sport and discrimination :
the contradictions inherent
in a universal practice
Is sport non-discriminatory, or is it involved in a process
of differentiation, in so far as it separates and grades
sportspeople according to their level?
A
s a popular, voluntary activity
sport is open to everybody,
whatever their cultural origin or
gender. It can therefore be seen as
non-discriminatory. On the other
hand, competitive sport can be seen
as discriminatory when it separates
and grades sportspeople according
to their level. However, this
exclusion of the “not so good”,
which may seem like discrimination
by means of sporting contests, is
apparently not based on social,
birth, religious or racial criteria. That
is even more evident when the
regulations ensure equal treatment
by creating different categories of
age, weight and level which mean
that “the best man wins” whatever
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REVUE
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his origin. In every European country
competitive sport is presented as a
meeting place for athletes from
different origins to measure
themselves physically within a
framework of shared rules,
institutions and ethics. That is why
% of EU citizens see sport as a
means of combating discrimination.
However, these ethical principles do
not stand the test of reality. The
Football Against Racism in Europe
(FARE) network finds racist acts in
football across Europe nearly every
day. Sociologists observe that certain
categories of athletes and supporters in Europe are victims of
injustice, racism and discrimination
because of their real or imagined
SPORT ET DISCRIMINATIONS EN EUROPE
Gasparini
Professeur et
sociologue,
Université de
Strasbourg1
Professor and
sociologist,
Strasbourg
University1
gique spécifique chez les athlètes noirs ou de qualités intrinsèques supérieures. Pourtant, des
études européennes de plus en plus nombreuses
mettent l’accent sur l’ethnicité dans le sport, contribuant paradoxalement et involontairement à
racialiser les questions sociales.
En ce sens, l’explication sociologique de l’exclusion
dans les activités sportives en termes de classes
sociales s’efface au profit d’analyses ethnicistes
sous couvert de lutte contre les discriminations.
Or, au-delà des discriminations ethniques constatées sur les terrains, les principaux facteurs de
l’exclusion dans les activités sportives restent malgré tout souvent liés au genre, à la position sociale
et aux différentes formes de handicap.
. Professeur des universités et sociologue, Directeur
de l’Equipe de recherche «€Sciences sociales du sport€»
et directeur adjoint de l’Ecole doctorale «€ Sciences
Humaines et Sociales. Perspectives européennes€ »,
Université de Strasbourg (France). Il est l’auteur de
nombreux ouvrages sur l’intégration par le sport
www.unistra.fr
link to a particular group, which
reveals the contradictions in sport.
Several forms of discrimination can
be seen in the field of physical and
sporting activities: because of physical appearance or disability, gender
or sexual orientation, age, ethnic or
national origin, or religion. It can
vary, but discrimination in sport is
very often linked to “stigmata” such
as brands, outward signs of otherness or difference.
There is some confusion
between racism
and discrimination
The confusion between racism and
discrimination is a frequent problem
in European debate. It is possible to
discriminate without being racist.
Racism has a dual basis: on the one
hand, seeing people as inferior
because they belong to so-called different races; on the other hand, the
intellectual physical and affective
characteristics of people from different “races”. The observation that
“blacks are good at sport” is frequently heard. This is a racist
opinion but in this instance it does
not prevent clubs from recruiting
“blacks”. The assumption that black
people have sporting talent is racist,
because black athletes do not possess any specific physiological or
intrinsically superior quality. Yet an
increasing number of European studies emphasise ethnicity in sport,
with the unwitting paradoxical
effect of racialising social questions.
The sociological explanation for
exclusion from sporting activities in
terms of social class is giving way to
ethnic analyses on the pretext of
combating discrimination. Going
beyond the ethnic discrimination
visible on sports grounds, however,
the main causes of exclusion from
sporting activity are still often linked
to gender, social position and different kinds of disability.
. Professor and sociologist, head of the
research team: “Social Sciences in Sport”
and assistant head of the post-graduate
school “Social and Human Sciences. European Perspectives”, Strasbourg University,
France. He is the author of numerous works
on integration through sport

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