La politique étran- gère de l`Italie face aux débuts de la - BHIR-IHBR

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La politique étran- gère de l`Italie face aux débuts de la - BHIR-IHBR
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
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ISSN 2295-9432
La politique étrangère de l’Italie face
aux débuts de la
crise congolaise.
Pour une histoire des
intérêts italiens au
Congo dans les années
1960
1
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Toutes les contributions (sauf les communications) seront
soumises à des peer reviewers avant d’être publiées. Vincent Genin (ULg)
Introduction
L’opinione pubblica si è in genere
dimostrata assai severa nei confronti dei
belgi, ma la disordinata penosa situazione
attuale, e le appassionate malevoli
critiche del momento, non possono fare
dimenticare l’opera egregia dal Belgio
pazientemente svolta da oltre cinquanta
anni, per la conoscenza, l’organizzazione
e lo sviluppo civile-economico di quelle
regioni, e che aveva fatto del Congo uno
dei paesi africani meglio organizzati e
di più solida struttura economica2. Ainsi
s’exprimait Pasquale Diana, en 1961, dans
un ouvrage consacré à la présence italienne
au Congo, depuis la fin du XIXème siècle et
qui se veut, entre les lignes, un plaidoyer
en faveur de l’action des Belges au Congo.
Bien entendu, il convient de garder un œil
critique sur ces propos. Le marquis Diana,
d’extraction napolitaine, n’avait-il pas été
le Chef de Cabinet du Président du Conseil
Alcide de Gasperi, en 1945, qui, alors,
souhaitait relancer le dessein colonial de la
Péninsule ? Plus significatif, il fut, pendant
1 2 Il nous a été permis d’effectuer cette recherche
grâce à un Stipendium de l’Academia Belgica,
à Rome, où nous avons séjourné durant trois
mois, au printemps 2013. De plus, une bourse de
l’Institut historique belge de Rome nous a donné
les moyens de boucler ce projet de recherche
dans de bonnes conditions.
DIANA (P.), Lavoratori italiani nel Congo belga.
Elenco biografico, Rome, Istituto italiano per
l’Africa, 1961, p. 5.
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plusieurs années, ambassadeur italien à
Bruxelles3. Sa sympathie à l’égard de la
Belgique et de la colonisation n’est donc
pas une surprise.
En 2008, le Professeur Michel Dumoulin,
spécialiste incontesté des relations italobelges, remarquait : « Ainsi, il est tout le
moins surprenant de constater que, au
court du quart de siècle écoulé, un seul
mémoire de licence ait été explicitement
consacré aux relations économiques entre
la Belgique et l’Italie quand bien même
certains travaux portant sur les relations
bilatérales abordent la question des
investissements belges dans la Péninsule
durant l’entre-deux-guerres. La même
surprise est au rendez-vous au sujet de
l’Afrique. En effet, en dehors d’un mémoire
consacré au conflit italo-éthiopien, c’est
en vain que l’on cherche un travail de fin
d’études consacré soit à l’Italie et au Congo
Belge soit aux Italiens dans l’ancienne
colonie »�. Si, depuis ces lignes, certains
historiens se sont certes déjà penchés
sur le rôle de l’Italie (ou d’autres pays,
comme la France4) dans la crise congolaise
à l’échelle de la diplomatie multilatérale,
plus particulièrement celle qui se pense
Artikel |Article |Articolo 6
et s’effectue à l’ONU5, il reste un travail
de fond non-négligeable à effectuer sur
l’attitude plus générale de la politique
étrangère de la Péninsule. En effet, quid
de l’activité de son ambassade à Bruxelles,
à Washington, Londres ou Paris ? Peuton y déceler un caractère d’unité, ou, au
contraire, une diplomatie dispersée ? Une
telle recherche, dont cette contribution ne
se veut qu’une pierre à l’édifice, nécessite
le recours à une source de première
main, à savoir les archives diplomatiques
italiennes, et plus spécialement les rapports
émanant des ambassades, étant donné
que les instructions du Ministère sont,
en règle générale, absentes des fonds
d’archives (c’est le cas en Belgique, par
exemple). Toutefois, malgré les carences
indéniables des archives du Ministero degli
Affari Esteri (la Farnesina), ses dossiers
relatifs à la crise congolaise, inexplorés
jusqu’aujourd’hui, méritaient, à notre avis,
d’être exploités. Leur intérêt est primordial,
d’autant plus que les Documenti Diplomatici
Italiani ne sont pas encore publiés pour
les années 1960 et, en règle générale,
ne consacrent que peu de « morceaux choisis » au Congo. Dans des travaux
ultérieurs, nous développerons d’autres
aspects de l’attitude de Rome à l’égard du
Congo ex-belge, qu’il s’agisse d’un point de
vue diplomatique ou économique, à l’instar
des investissements de l’Ente Nazionale
Idrocarburi dans la colonie belge, au sujet
desquels nous préparons une étude de
fond.
Disons-le d’emblée, le sort du Congo belge
ne figure pas parmi le principaux soucis de
5 3 4 Livre bleu. Recueil biographique, Bruxelles, Larcier, 1950, p. 193.
Nous renvoyons à nos contributions : GENIN (V.),
« La réclamation du droit de préemption de la
France sur le Congo belge au printemps 1960 »,
in Revue d’histoire diplomatique, 2013/1, p. 2338 ; « La politique étrangère de la France face à
la crise congolaise (1960-1961) », in Revue belge
d’histoire contemporaine, vol. XLIII (2013/1),
p. 78-113 ; « La France et le Congo ex-belge
(1961-1965). Intérêts et influences en mutation », in Revue Belge de Philologie et d’Histoire,
2013/4 (à paraître).
ROGNONI (M. S.), « Il Belgio e la crisi congolese
dei primi anni Sessanta : un banco di prova », in
DUMOULIN (M.), op. cit., p. 235-60 ; « L’Italie et
la crise congolaise au début des années 1960 »,
in Guerres Mondiales et Conflits Contemporains,
2012/1, p. 81-94. Sans oublier, toujours de
Rognoni : Scacchiera congolese. Materie prime,
decolonizzazione e guerra fredda nell’Africa
dei primi anni Sessanta, Florence, Polistampa,
2003. Toutefois, cette dernière, travaillant sur la
problématique de la Guerre froide, a tendance à
consulter les archives de l’ambassade italienne
à Washington ou à l’ONU en délaissant Bruxelles et les postes en Afrique, par exemple ; DE
LEONARDIS (M.), « La politica estera italiana,
la NATO e l’ONU negli anni del neo-atlantismo
(1955-1960) », in TOSI (L.) (dir.), L’Italia e le
organizzazioni internazionali. Diplomazia multilaterale nel Novencento, Padoue, CEDAM, 1999, p.
201-233.
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l’Italie de 1960, qui, cette même année,
vient de voir sa dernière colonie, la Somalia
italiana, passer de la tutelle de l’ONU à
l’indépendance, sous l’égide de la « Grande
Somalie », suite à son union au Somaliland
britannique6. Quant aux questions
d’Afrique, plus généralement, elles
passionnent modérément les diplomates
transalpins. Le Directeur Général de la
Politique de la Farnesina, Magistrati, après
une conférence du représentant français
à Rome, Gaston Palewski, au sujet de
l’Afrique, ne note-t-il pas, en mars 1958 :
« tema evidamente non poco eccitante,
ma che egli preferito trattare navigando
lungo le coste dei problemi stessi, senza
addentrarsi in contestazioni evidentemente
troppo delicate »�. Une colonie industrieuse
Néanmoins, il existe une réelle histoire
des Italiens au Congo, depuis la fin du
XIXème siècle et l’implantation des colons
transalpins en Afrique centrale, à l’heure
où l’État Indépendant du Congo de
Léopold II (1885-1908) régit les destinées
de la région7. L’économiste liégeois
Emile de Laveleye, italophile notable,
proche du politicien Marco Minghetti8,
ne correspondait-il pas avec le dirigeant
de la Légation italienne à Bruxelles,
en 1884, sur la nécessité d’établir une
collaboration entre les deux pays en vue
de développer les liaisons ferroviaires au
Congo9 ? En 1960, près de 4000 colons
italiens vivent au Congo Belge, et ont une
6 7 8 9 Sur le déclin colonial italien dès 1945, voir
l’article, trop souvent oublié, de GUILLEN (P.),
« Le déclin de la puissance italienne à la fin de la
seconde guerre mondiale », in Relations internationales, n° 9 (printemps 1977), p. 13-14 ; Pour
vue générale : SEGNÉ (C. G.), « Il colonialismo e
la politica estera : variazioni liberali e fasciste »,
in BOSWORTH (R. J. B.), ROMANO (S.) (dir.), La
politica estera italiana / 1860-1985, Bologne, Il
Mulino, 1991, p. 121-146 ; LABANCA (N.), Oltremare. Storia dell’espansione coloniale italiana,
Bologne, Il Mulino, 2002, p. 427-470.
RANIERI (L.), Les relations entre l’État indépendant du Congo et l’Italie, Bruxelles, ARSOM,
1959 (mémoire, t. XVIII, fasc. 1. Histoire).
DUMOULIN (M.), La correspondance entre Émile
de Laveleye et Marco Minghetti (1877-1886),
Bruxelles-Rome, IHBR, 1979.
ASMAE, n°6, MAE (1861-1887), Serie III (Politica), Belgio, b. 940 (auj. « Moscati VI »), corr.
reçue, 4/12/1884.
Artikel |Article |Articolo 6
réputation d’entrepreneurs impliqués,
industrieux. Ne leur doit-on pas la voie
ferrée Matadi-Léopoldville, en service
après le premier conflit mondial ? L’Italie
est en effet la troisième puissance, après
la Belgique et la Grande-Bretagne, en
matière d’importations, avec pour pivot
leur Chambre de Commerce extérieur de
Léopoldville.
Quant aux relations italo-belges, au début
de 196010, elles ne sont guère au beau fixe.
En effet, quatre ans après la catastrophe du
Bois-du-Cazier, à Marcinelle, où deux-cent
soixante deux mineurs italiens ont perdu
le vie, les conséquences judiciaires de
l’affaire continuent d’engourdir les relations
entre les deux pays. Un procès-fleuve
(1959-1962) incarne la stagnation de cette
situation11. De plus, en février 1960, il fut
un temps question de supprimer le consulat
d’Italie à Charleroi (chose faite en 2011),
fermeture qui serait, selon l’ambassadeur
à Bruxelles, Sergio Fenoaltea12 considéré
comme « un segno di disinteressamento e
di abbandono della nostra emigrazione
10 11 12 Sur la question : DUMOULIN (M.),
« L’historiographie des relations italo-belges
depuis 1918 », in DUMOULIN (M.), op. cit., p.
6-16
; ID., « Les relations italo-belges
entre 1925 et 1940. Dans le contexte de
l’historiographie récente sur l’Italie fasciste », in
DUMOULIN (M.), WILLEQUET (J.) (dir.), Aspects
des relations de la Belgique, du Grand-duché
de Luxembourg et des Pays-Bas avec l’Italie :
1925-1940, Bruxelles, Comité belge de l’Istituto
per la storia del Risorgimento italiano, 1983, p.
5-33. Nous lirons avec des réserves MORELLI
(A.), « La Belgique et l’Italie (1930-1940) », in
1940. Belgique. Une société en crise, un pays en
guerre. Actes du colloque tenu à Bruxelles du 22
au 26 octobre 1990, Bruxelles, CREHSGM, 1993,
p. 121-140.
URBAIN (J.), Le procès de la catastrophe du Bois
du Cazier 1959-1962, mémoire de licence en
histoire, ULB, 2002-2003.
Né à Rome en 1908, Sergio Fenoaltea est
nommé sous-secrétaire d’État à la Présidence du
Conseil des ministres, en 1944. Membre de la
Consulta Nazionale (1945-1946), ambassadeur à
Bruxelles (1959-1961), sénateur social-démocrate en 1976, il décède en 1995 (Annuario diplomatico della Repubblica italiana, Rome, Istituto
poligrafico dello Stato, 1963, p. 381 ; ROMANO
(S.), Memorie di un conservatore. Il raconto di
un secolo nei ricordi di un testimone, Milan, TEA,
2005, p. 62).
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mineraria Belgio da parte del Governo
italiano »13.
Concernant le Congo, il faut attendre la
fin du printemps 1960 pour que Rome se
penche sur la question. L’indépendance
de la colonie belge semblait inconcevable
jusqu’en 1955. Toutefois, depuis cette
date, et plus particulièrement depuis 1956,
époque à laquelle Paul-Henri Spaak pense
à une fédéralisation du Congo, et depuis
la montée de partis indépendantistes, la
question prend de l’acuité. Par ailleurs, la
situation financière de cette possession
prête le flanc à la critique. À partir de
1959, suite à discours royal bien connu, et
l’enflement de la situaiton, l’indépendance
pénétre chaque esprit. L’époque où l’on
lançait bwanna kitoko au passage du roi
Baudouin, en 1955, est bien lointaine.
À l’occasion de la Table ronde belgocongolaise, chargée d’étudier la forme à
donner à la séparation entre Métropole et
Colonie, Fenoaltea estime pouvoir obtenir
du Gouvernement belge qu’un groupe
d’économistes et d’industriels congolais
visite l’Italie14. Rapidement, l’ambassadeur
italien tisse un lien avec un membre de la
Table ronde, Gervais Bahizi (1924-1976),
meneur de l’Alliance Rurale Progressiste
(ARP), jugé comme modéré par les Belges,
et ambitionnant de déployer un plan de
développement destiné au Kivu, « per
il quale vorrebbe cointeressare gruppo
italiano »� ajoute Fenoaltea. Le 19 mai,
Ferdinando Storchi, futur sénateur et
syndicaliste de l’Associazioni Cristiane
dei Lavoratori Italiani, attire l’attention
de Fenoaltea sur le sort des connazionali
italiens du Congo après l’indépendance.
Il ne craint pas une vague d’italophobie,
mais plutôt les conséquences d’éventuelles
luttes tribales. Pour lui, l’activité consulaire
transalpine dans la région doit absolument
« valorizzare opera nostri connazionali, che
potrebbero costituire base nostra futura
attività in Congo »�.
À Washington, l’ambassadeur italien,
Manlio Brosio, est un des agents les plus
13 14 ASMAE, n° 1053, Telegrammi ordinari (dorénavant TO), Belgio (dorénavant B), Fenoaltea au
MAE, 13/2/1960 (n° 4511).
Idem, Fenoaltea au MAE, 28/4/1960 (n° 13689).
Artikel |Article |Articolo 6
attentifs au sort du Congo15. La situation
financière de la colonie attire plus
particulièrement son attention. Il note que
la Banque internationale compte faire un
prêt de 40 millions de dollars, garantis
par la Belgique, auxquels s’ajouteront,
en mai, 9.125.000$ de l’United Trust Cy,
de la Banque Lambert et de la Banque de
Bruxelles16. Mais la situation économique
est mauvaise17. Au sujet de l’indépendance,
les premiers rapports y relatifs sont émis
par l’ambassade italienne à Bruxelles (que)
le 8 juin 1960. Il apparaît que le cœur
des préoccupations se cristallise autour
du sort des colons italiens, sous la plume
du second de l’ambassadeur, le chargé
d’affaires ad interim, Milesi Ferretti :
Appare necessario poter chiarire
connazionali colà dimorati ed
aventi impieghi privati quale sarà
loro posizione dal punto di vista
assicurativo. Anche per corrispondere
sollicitazioni interessati, pregasi
pertanto voler far conoscere se e quali
decisioni sian(m)o [sic] state adottate
in merito opportunità proposta al
Belgio di negoziare accordo reciprocità
al fine assicurare anche a connazionali
in Congo garanzia dello stato Belgio
per le pensioni18
Il apparaît que le sort des colons italiens
employés au Congo pourrait être résolu par
un versement de ceux-ci dans les services
du Ruanda-Urundi19, qui, sous tutelle
belge, ne sera indépendant que le 1er juillet
1962. Concernant la nouvelle ambassade
italienne à Léopoldville (qui ne s’appellera
Kinshasa qu’en 1965), il a été décidé que
l’on y enverrait Piero Franca20. Quant à la
situation sur place, elle semble sereine. Le
8 juillet, c’est-à-dire une semaine après la
déclaration d’indépendance du Congo, et
au lendemain des premières mutineries au
15 16 17 18 19 20 Sur ses activités, il est indispensable de recourir
à BROSIO (M.), Diari di Washington (1955-1961),
Bologne, Il Mulino, 2008 ; ROGNONI (M.S.),
« L’Italie..., op. cit., p. 81.
ASMAE, n° 2006, Ambasciata a Washington,
Congo belga, b. 43, Brosio au MAE, 6/5/1960 (n°
5903/2003).
Idem, Brosio au MAE, 11/3/1960 (n°
2958/1058).
Idem, TO, B, Ferretti au MAE, 8/6/1960 (s.n.).
Idem, Fenoaltea au MAE, 8/7/1960 (n° 23874).
Idem, Grazzi à Fenoaltea, 15/6/1960 (n° 12448).
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sein de la Force Publique, le vice-consul
italien à Élisabethville (chef-lieu de la
province du Katanga), Tito Spoglia21, est
en contact téléphonique permanent avec
Bruxelles. Toutefois, les communications
entre Léopoldville, Élisabethville et les
colons italiens du Kasai oriental et du Kivu
sont rompues. Plus préoccupant : tous les
messages envoyés depuis Élisabethville
doivent transiter par Bruxelles avant de
parvenir à Rome. Spoglia s’est renseigné à
bonne source et a sondé ses homologues
du corps diplomatiques à Élisabethville :
le consul britannique a prévu, en cas de
troubles, que les femmes et les enfants
partiraient en direction du Sud, vers la
Fédération de Rhodésie-Nyassaland22 ;
l’Américain a calmé ses compatriotes en
leur rappelant que des avions étaient
prêts à se poser à Élisabethville, Kamina
et Stanleyville. Pour sa part, Spoglia se
propose de lancer un message, en cas
d’émeutes : les femmes et les enfants
seraient orientés vers des pays limitrophes.
Toutefois, le vice-consul semble avoir peu
d’emprise sur ce genre de situation. En
effet, il s’avère que les premiers colons
à avoir quitté le Katanga n’observent
aucune cohérence : certains se dirigent
vers la Rhodésie, d’autres vers Brazzaville
ou, d’autres encore, en direction du
Tanganyika23. Cette question est d’autant
plus aigue que la colonie italienne du
Katanga est particulièrement appréciée
pour sa compétence (entrepreneurs,
ingénieurs, menuisiers etc.) et sa bonne
21 22 23 Né à Atina (Frosinone) en 1923, Tito Spoglia
était vice-consul à Élisabethville depuis 1958.
Il est écrit, à son sujet : « Caduto al suo posto
di lavoro durante i disordini dei primi giorni
dell’indipendenza. Alla sua memoria è stata conferita la medaglia d’oro al valor civile » (DIANA
(P.), op. cit., p. 413-14) ; VAN DER LINDEN (F.),
« La participation italienne au développement en
Afrique centrale », in Bulletin de l’ARSOM, VIII, 2,
1962, p. 184.
Mise en place en 1953 sur un mode différent
de la colonie ou du dominion, cette fédération tentative de retardement du départ britannique d’
Afrique australe - ne subsistera qu’une décennie.
Elle englobait la Rhodésie (Zimbabwe en 1980),
la Zambie et le Malawi, républiques indépendantes en 1964 et 1965. Sur la Fédération et sa dissolution voir FRANGULIS (M. A-F) (dir.), Dictionnaire diplomatique, Paris, Académie Diplomatique
Internationale, vol. 2, 1957, p. 983-984, ainsi
que le vol. VII édité en 1968, p. 955-962.
ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 8/7/1960 (n°
23890).
Artikel |Article |Articolo 6
intégration, comme le rappelle un hôtelier,
Renato Di Pietro, éprouvant une certaine
sympathie pour Tshombé�.
À Léopoldville, le consul général italien,
Vittorio Mascia, relève, le 18 mai 1960, que
la tension, dans le contexte des élections
congolaises du 15, est montée d’un cran.
Les colons italiens sont inquiets ; des
femmes et des enfants quittent déjà le
pays. Il a demandé aux Belges de renforcer
les troupes métropolitaines et de nommer
un ministre qui résiderait au Congo « fino
l’indipendenza »�. Lors de la cérémonie
organisée à l’occasion de la déclaration
d’indépendance du Congo, le 30 juin,
la délégation italienne est sensiblement
réduite, étant donné qu’elle s’est annoncée
avec beaucoup de retard, si bien que
celle-ci devra solliciter l’hospitalité du
consulat de Léopoldville. Le Président
de la République italienne, Giovanni
Gronchi, s’entretient avec le premier
ministre congolais, Patrice Lumumba.
Ils s’échangent des vœux de bonne
collaboration, tout diplomatiques24.
Le 6 juillet, la Force Publique se mutine à
Thysville. Un italien est blessé : Giuseppe
Ferretti25. Quant à l’apparente quiétude
katangaise, elle est fort éphémère.
Le 8 juillet, tout semblait calme. Le
10, l’ambiance devient électrique, et
dégénère. La Force Publique se mutine à
Élisabethville ; plusieurs colons italiens
sont « malmenati e arrestati ma subito
liberati »�. On commence à évacuer
femmes et enfants. Puis, le 10, vers 9h40,
Sergio Fenoaltea reçoit un appel de Rome,
lourd de conséquence :
Questo ministero esteri mi communica
in questo momento che console
d’Italia ad Elisabethville è stato ucciso.
Attendiamo di momento in momento
ulteriori notizie e dettagli26 Cette nouvelle retentit comme un coup de
tonnerre dans un ciel serein. Tito Spoglia
a été assassiné. Après quelques instants
d’incertitude, confirmation est donnée par
24 25 26 Idem, Mascia au MAE, 21/6/1960 (n° 21347),
2/7/1960 (n° 23046).
Idem, Mascia au MAE, 6/7/1960 (n°23641).
Idem, TO, B, Fenoaltea au MAE, 10/7/1960 (n°
24097).
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l’ambassade de France à Bruxelles, semblet-il mieux informée, par des canaux plus
efficaces, sous la direction de Raymond
Bousquet27. Cet acte, ce « sacrifice » (bien
involontaire) du consul - que Tshombé
décrira comme un atto di simpatia !28 provoquant un effet domino, précipite
l’évacuation des italiens d’Élisabethville29,
encadrés par leur consul, De Franchis. Ce
dernier envoie, le 13, un rapport rassurant
à Rome, en soulignant que les esprits ne
s’échauffent pas, en grande partie grâce
à la présence des troupes belges. Mais
les communications avec la Péninsule
sont toujours coupées ; les instructions
ministérielles, pour parvenir au Katanga,
doivent transiter par Karthoum30. Le 25, on
apprend que 500 italiens ont émigré vers
la Rhodésie31. Quelques jours auparavant,
Egidio Ortona, représentant italien à l’ONU,
parlait déjà de la « dislocazione » de la
colonie italienne au Congo32. De Franchis
leur rend visite, à Salisbury, chef-lieu de la
Rhodésie, et tient un réunion de ce que l’on
baptise le Comitato italiano pro-rifugiati33.
Artikel |Article |Articolo 6
un rôle de premier rang à Fenoaltea, qui
sera un des Italiens - sinon l’Italien - le
mieux informé de la question congolaise
en Europe. Cet état de fait est en grande
partie du au fait que les communications
entre l’Italie et le Congo sont pour le moins
précaires, sinon inexistantes. Segni ajoute :
« V.E. è pregata di restare in contatto con il
governo locale onde far qui pervenire i suoi
giudizi su gli sviluppi della situazione anche
in rapporto alla possibilità d’interventi da
parte nostra nel consiglio di sicurezza di
cui facciamo parte »�. L’information qui
sera recueillie par Fenoaltea, comme il le
signale, pourrait refluer jusqu’au niveau
le plus élevé, et le plus critique : celui de
l’ONU35.
Le témoignage d’un jeune colon
italien, Bruno Secchia, épicier prospère
d’Élisabethville, dont la famille s’installa au
Congo au début du XXème siècle, nous donne
un aperçu de l’ambiance du moment :
« Le 9 juillet 1960 à dix heures du
soir, nous jouions au billard à l’hôtel
du Katanga, quand on a entendu les
premiers coups de feu, l’ordre avait été
donné de se réunir, tous les Italiens
devaient se réunir au consulat d’Italie.
Ce que nous avons fait, en passant par
la maison chercher un peu de linge et
des affaires de toilette. Et nous avons
reçu l’ordre d’aller au collège avec les
voitures, de mettre les voiture dans
la cour [...] Nous avons pris le dernier
convoi qui partait pour la Rhodésie et
nous sommes arrivés en Rhodésie,
nous avons été très bien accueillis à
la frontière directement avec du café,
des sandwichs ; puis nous avons été
dirigés dans des familles [...] nous
ne sommes pas restés longtemps :
trois jours. Nous avons décidé avec
deux autres copains de rentrer sur
Élisabethville. Naturellement, les vieux
se moquaient de nous en disant : ‘Oui,
vous êtes les premiers à vous enfuir,
maintenant vous êtes les premiers
à rentrer parce que tout est calme’.
Le ministre italien des Affaires étrangères,
Antonio Segni, estime que cette mort
est « dovuta alla confusa situazione
determinatasi nel Congo »�. Selon le
ministre, les énergies doivent converger
en direction des colons italiens du Congo,
que, à son grand regret, « non possiamo
assistere con la prontezza che vorremno
che è necessaria »34. D’ailleurs, la plupart
des intérêts italiens dans la région, durant
la période intense de la crise, dépendra
presque toujours de l’étranger, dont les
Belges. Enfin, Segni compte faire jouer
27 28 29 30 31 32 33 34 Idem, Fenoaltea au MAE, 10/7/1960 (n° 24099).
Idem, TO, Élisabethville, De Franchis au MAE,
13/7/1960 (n° 24912).
Sur les suites de la mort de Spoglia et l’ambiance
qui régnait à Élisabethville, au sein de la colonie
italienne, il convient de consulter le témoignage, certes un peu confus, du futur conseiller
de Tshombé, SPANDRE (M.), « Rêver de voir
l’Europe », in GIORDANO (R.) (dir.), op. cit., p.
140 et sv.
ASMAE, TO, Élisabethville, De Franchis au MAE,
13/7/1960 (n° 24912).
Idem, De Franchis au MAE, 26/7/1960 (n°
26195).
Idem, TO, ONU, Ortona au MAE, 16/7/1960 (n°
25089).
Idem, TO, Élisabethville, De Franchis au MAE,
26/7/1960 (n° 26310).
Ibidem.
35 Sur l’Italie à l’ONU à cette époque : VILLANI
(A.), L’Italia e l’ONU negli anni della coesistenza
competitiva : 1955-1968, Padoue, CEDAM, 2007,
p. 119-126 ; VISMARA (M.), L’azione politica delle
Nazioni Unite 1946-1976, vol. 2, Padoue, CEDAM,
1983, p. 1177-1179.
6
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
Nous sommes arrivés l’après-midi
à quatorze heures à Élisabethville :
c’était vraiment la ville morte, comme
on voit dans les westerns un peu, avec
l’asphalte qui fume [...] On sentait une
atmosphère vraiment de film western,
quand le bandit arrive et que tout le
monde se cache »�.
Le 11 juillet, Moïse Tshombé proclame
la sécession du Katanga, en opposition à
l’état central de Léopoldville, dirigé par le
Président Joseph Kasavubu et, surtout,
le premier ministre, Patrice Lumumba.
Rapidement, ce Katanga, que la Belgique
se garde de reconnaître officiellement, au
risque de rompre avec l’ensemble de la
communauté internationale à l’ONU, est
considéré comme un îlot pro-occidental
en Afrique centrale, sous les auspices
de la toute-puissante Union Minière du
Haut-Katanga (UMHK). Le Département
belge des Affaires étrangère réagit
promptement à cette nouvelle donnée.
Le Directeur des Affaires Politiques,
Amaury Holvoet, reçoit les ambassadeurs
britannique, français, italien, néerlandais,
américains, luxembourgeois et de RFA,
pour leur stipuler que Bruxelles s’oppose
à la sécession. Bien que, comme on le
sait, de nombreux mouvements venus du
Gouvernement belge, jusqu’en avril 1961,
iront dans le sens voulu par Tshombé36.
Au surplus, Holvoet demande que les
représentants assurent que leur pays
feront de même : seul le britannique,
John Nichols, répond par l’affirmative37.
L’heure est à l’action, certes, mais aussi à
la réflexion. Il faut digérer cette actualité
bousculée.
À l’ambassade italienne à Bruxelles, la
tension monte dans le bureau de Sergio
Fenoaltea. Cet ambassadeur de seconde
zone est, depuis une semaine, par la force
des circonstances, poussé sur le devant de
la scène diplomatique internationale. Il se
rend fréquemment au Cabinet du ministre
belge des Affaires étrangères, le PSC Pierre
36 37 Relevons que, dans les rapports diplomatiques
italiens, en majeure partie des télégrammes,
les noms congolais sont fort souvent malmenés.
Ainsi, sommes-nous confronté à des « Lovumba »
et des « Tshonibe ».
ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 11/7/1960 (n°
24233).
Artikel |Article |Articolo 6
Wigny, et converse longuemment avec son
chef de cabinet, Constant Schuurmans.
Le matin du 9 juillet, Wigny avait déjà
rassuré l’Italien sur le fait que les troupes
belges en mission au Congo contribueront
à rapatrier tous les européens restés sur
place. La principale crainte de Fenoaltea est
que cette évacuation ne se limite qu’aux
seuls Belges. Par ailleurs, il tente d’obtenir
plus de détails sur la mort de Spoglia à
Élisabethville où, selon le diplomate, les
Belges sont au pouvoir. Selon lui38. Hodie mihi cras tibi : le temps des
votes et des épées de Damoclès
Dès le 14 juillet 1960, à l’heure de la
rupture des relations diplomatiques
Léopoldville-Bruxelles (jusqu’en décembre
1961), un autre acteur, et de poids, fait son
entrée dans la question congolaise : l’ONU.
Ce-même jour, une première résolution du
Conseil de Sécurité, à laquelle s’oppose,
par abstention, le représentant français, est
votée39. Cette décision, qui sera appliquée,
tend à mener à une prochaine intervention
militaire de l’ONU au Congo (ONUC) et
au retrait des troupes belges de la zone.
La Belgique ne peut que s’y plier40. Quid
de Rome ? L’Italie vote en faveur de la
résolution, mais il s’agit plutôt d’un acte
raisonné que d’un élan passionnel. On
constate que le représentant italien à
l’ONU, Egidio Ortona, a tenté d’amender la
résolution, de telle façon qu’elle soit plus
acceptable pour les Belges41. D’ailleurs,
il s’agit davantage d’un « oui, mais... »
que d’un « oui » franc et clair. En effet, un
rapport d’Ortona nous apprend qu’il a joint
un texte à son vote, accompagné d’une
déclaration, dans lesquels il rappelle que la
sécurité du Congo ne pourrait être assurée
par les troupes de l’ONU ; au surplus, il
note que les troupes belges sont les plus
aptes à maintenir l’ordre42. Le représentant
belge à l’ONU, Walter Loridan, remercie
38 39 40 41 42 Idem, Fenoaltea au MAE, 14/7/1960 (n° 24759).
ORTONA (E.), Anni d’America, Bologne, Il Mulino,
1980, p. 393.
ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 15/7/1960 (n°
24871).
ASMAE, n° 1056, TO, ONU, vol. I, 1960, Ortona
au MAE, 14/7/1960 (n° 24610).
Idem, Ortona au MAE, 14/7/1960 (n° 24758).
7
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
Ortona pour ces mots ; ce dernier, quant
à lui, tente de justifier son « oui », entre
autres raisons, parce qu’il ne fallait pas
de « procrastinazione » à une heure aussi
grave.
Rome a bien conscience que s’isoler, au
nom de l’œuvre coloniale belge, de l’action
occidentale en Afrique noire, et, surtout, de
la solidarité à l’égard d’un autre membre
de l’OTAN, pourrait lui nuire singulièrement
sur d’autres tableaux, à l’instar du Marché
Commun. Si, en 1960, les grandes crises
du Marché n’ont guère encore pointé
(question du préalable anglais, en 1961,
crainte d’un axe Paris-Bonn43, en 1962,
rejet de l’adhésion britannique par la
France en 1963 etc.), cette Union reste
toutefois fragile. Par ailleurs, n’oublions
pas que l’Italie est également partie
prenante dans une question qui figure
à l’ordre du jour de l’ONU, à savoir celle
du Haut-Adige44. Elle doit donc agir cum
43 44 GENIN (V.), « La Belgique face au traité de
l’Élysée (1962-1963). Axe Paris-Bonn ou influence de Bruxelles ? », in Revue d’Allemagne et
des pays de langue allemande, t. 45 (2013/1), p.
185-200.
ASMAE, n° 2024, Ambasciata a Parigi, b. 92,
1960/R4/3 - Alto-Adige. Le contentieux austroitalien sur le Haut-Adige remonte au traité de
Versailles, à l’issue duquel il a été décidé que
cette région (jadis le Sud Tyrol) serait annexée
à l’Italie, jusqu’au col du Brenner. Toutefois, la
grande question, au lendemain du premier conflit
mondial était plutôt celle de la Vénétie julienne,
et, bien entendu, le sort de Fiume. Après 1945, la
polémique autour de la zone revient avec acuité.
En effet, un accord austro-italien (De GasperiGruber) 1946 accorde une liberté linguistique
et scolaire, qui s’avère rapidement insuffisante.
Dès 1959, le Sudtiroler Volkspartei reproche à
Rome de ne pas respecter ces accords, et trouve
l’appui du gouvernement de Vienne. Des attentats mettent fin au calme relatif du Haut-Adige,
et poussent Vienne, vers 1960, à renégocier le
statut de la région, l’éphémère Alpenvorland des
nazis, dont les germanophones demandent une
plus grande autonomie au gouvernement italien.
Il fallut le Pacchetto de 1971 pour que la situation
se stabilise (CACACE (P.), Venti anni di politica
estera italiana (1943-1963), Rome, Bonacci,
1986, p. 525-527 ; DUROSELLE (J.-B.), Histoire
des relations internationales de 1919 à 1945, t.
1, Paris, Armand Colin, 2001, p. 16 et sv. Sur le
débat historiographique : SCARANO (F.), « Di chi
è l’Alto Adige ? Una disputa tra storici italiani e
tedeschi », in Limes, n° 5, 2002, p. 199-207).
Artikel |Article |Articolo 6
magna cautela45. Se tailler une place
bien propre sur la scène internationale,
en reconnaissant les États nouvellement
indépendants, tout en ne bradant pas,
par la même occasion, sa place, encore
récente, donc fragile, au sein de l’ONU et
de l’OTAN46. Comme le note Fenoaltea,
attirant l’attention su ripercussioni negative che
potrebbero avere su sviluppi politici
europeistici nostri atteggiamenti in
votazione ONU, quali apparissero
prescindere da particolari legami
Europa a ei o addirittura contraddirvi :
è un problema che non si pone agli
Stati Uniti d’America, ma si pone a
noi47 Par ailleurs, depuis le Ministère italien
des Affaires étrangères, Emmanuele
Grazzi48 communique à ses ambassadeurs
à Paris et à Bruxelles la résolution de
l’ONU49. Le principal regret exprimé par
Rome est le fait que les Belges n’aient
pas déclaré, en guise de prétexte de
l’envoi de leurs troupes, qu’il s’agissait
d’une action humanitaire, et Grazzi
ajoute « abbiamo detto a Fenoaltea di
suggerire, se ancora in tempo, governo
belga di emanare qualche dichiarazione di
45 46 47 48 49 Le lien entre le Congo et le Haut-Adige figure
clairement sous la plume d’Ortona : « Io (mi)
sono trovato in sostanza dissociato da potenze
colonialiste, ma associato a stati uniti, africani
e latino-americani – ovviamente francesi e belgi
averbbero preferito mia astensione. Ho curato
però in opportuna dichiarazione di voto di spiegare sopratutto che avevo approvato risoluzione su basi circonstanze esposte da delegato
belga secondo cui truppe belghe sarebbero state
ritiratte solo dopo che fossero risitabiliti in Congo
ordine e sicurezza a seguito intervento Nazioni
Unite. Ho anche ovviamente tenuto presente
opportunità assumere, in circonstanze determinatasi, atteggiamento che non affermasse (manca)
paesi membri del largo gruppo afro-asiatico in
vista di contatti che dovremo intensificare con
loro […] questione Alto Adige » (ASMAE, n° 1056,
TO, ONU, vol. I, 1960, Ortona au MAE, 14/7/1960
(n° 24666)).
ROGNONI (M.S.), « L’Italie..., op. cit., p. 85.
ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 20/7/1960 (n°
25522).
Celui qui, en octobre 1940, avait présenté
l’ultimatum de Mussolini au général Metaxas,
suite au refus duquel la guerre fut déclenchée
entre l’Italie et la Grèce.
ASMAE, TO, B, Grazzi à Bruxelles et Paris,
16/7/1960 (n° 15018).
8
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
tale tenore »�. Par ailleurs, la diplomatie
italienne tente de convaincre Bruxelles
de ne pas reconnaître unilatéralement le
Katanga, afin de ne pas mettre en danger
les colons. En tout cas, il semble qu’une
attitude commune soit prônée par Rome50.
Il semble qu’entre le 15 et le 20 juillet, la
Farnesina hésite dans l’attitude à adopter
à l’égard de cette question. La lenteur de
la prise de décision italienne n’est sans
doute pas indépendante de la situation
politique interne de la Péninsule. En effet,
le Gouvernement de Fernando Tambroni
(Démocrate chrétienne), soutenu par
les voix du Movimento Sociale Italiano
(MSI), classé très à droite, a été installé
en mars 1960, mais, en cette mi-juillet,
sa stabilité est plus que précaire. La
situation s’est envenimée depuis un mois,
et l’imprimatur donné par Tambroni aux
assises du MSI à Gênes, ville dont il n’est
pas nécessaire de rappeler l’implication
dans la Résistance et reconnue pour son
antifascisme. De Rome à la Calabre, des
manifestations de protestation se font
jour, et sont réprimées roguement par les
autorités. Peu à peu abandonné par la DC
et discrédité, Tambroni démissionne le 19
juillet. Il est fort probable que cette tension
politique et sociale, ayant donné lieu à
regain d’antifascisme remarquable, ait
été une des causes, sinon la cause, dans
le caractère quelque peu brouillon de la
diplomatie italienne à l’ONU, bien que Segni
ait conservé son maroquin51. L’hypothèse,
du moins, mérite d’être énoncée.
Le 21 juillet, à la veille du vote d’une
seconde résolution, le secrétaire
général italien des Affaires étrangères,
Carlo Alberto Straneo, donne plusieurs
instructions à son ambassadeur à Bruxelles,
suite à une délibération du conseil des
ministres transalpin. En substance :
50 51 Ibidem.
CRAINZ (G.), Storia del miracolo italiano. Culture, identità, trasformazioni fra anni cinquanta
a sessanta, Rome, Donzelli, p. 169-179 ; GINSBORG (P.), A History of Contemporary Italy.
Society and Politics, Palgrave, MacMillan, 2003, p.
254-259 ; VILLANI (A.), op. cit., p. 122.
Artikel |Article |Articolo 6
1. Affirmation ferme de la nécessité
de maintenir les troupes belges au
Congo, afin de protéger les colons,
en attendant l’arrivée des troupes de
l’ONU
2. Laisser en suspend la question des
bases.
3. Ne pas ne prononcer sur
l’indépendance du Katanga (notons
que Rome ne condamne pas la
sécession).
4. Esercitare azione di freno su colleghi
del consiglio di sicurezza non
favorevoli ad azione belga52.
Manifestement, depuis le vote du 14, en
faveur de la résolution, Rome change
sensiblement son fusil d’épaule. Elle
soutient davantage Bruxelles et s’engage
même à faire du prosélytisme dans ce
sens ; toutefois, servir la Belgique, c’est
également se servir : le maintien des
troupes belges est la planche de salut la
plus rapide et la moins risquée en vue
d’évacuer les lavoratori italiani. Quant
au Katanga, il est à l’ordre du jour d’un
échange entre Tshombé et le second de De
Franchis, Benardelli. Le premier katangais
compte sur Rome pour « appoggiare
aspirazioni autonomismo attuale governo
Katanga »53. Quant à d’Aspremont Lynden,
homme-clé de la Mission Technique belge
au Congo, et futur ministre des Affaires
africaines, en septembre 1960, s’il ne
sollicite pas ouvertement la reconnaissance
italienne du Katanga, il précise à
Benardelli que Bruxelles souhaite soutenir
une consitution confédérale du Congo
« contando appoggio paesi occidentali
altrimenti tra sei mesi regnerebbe caos e
Congo entro un anno diventerebbe preda
piu deletterio communismo ». Le message
à destination de Rome est à peine sibyllin.
Cette attitude se comprend par un rappel
élémentaire de realpolitik. L’Italie ne peut
pas rompre avec Bruxelles sur le dossier
congolais, même au sein de l’ONU. En
effet, en ce dernier tiers du mois de juillet,
52 53 ASMAE, TO, B, Straneo à Bruxelles, 21/7/1960
(n° 16821).
Idem, TO, Élisabethville, De Franchis au MAE,
26/7/1960 (n° 26358).
9
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
l’évacuation de l’ensemble des colons
italiens du Congo, et plus particulièrement
du Katanga et du Ruanda-Urundi, dépend
des forces Belges. Les opérations sont
assurées par trois DC7, qui, chaque
jour, rapatrient les colons italiens. Rome
doit donc impérativement ménager les
Belges. Ou, du moins, ne pas s’y opposer
ostensiblement54. C’est ce qu’elle fera
au cours de la résolution de l’ONU du 22
juillet, pour laquelle elle vota toutefois,
en souhaitant un « retrait rapide » (et
non « immédiat », épithète initial) des
troupes belges du Congo55. L’ambassadeur
italien à Paris, Léonardo Vitetti, estime
que soutenir la sécession, ce serait donner
raison à l’URSS sur ses appréhensions à
l’égard de l’Ouest, d’une part, et, d’autre
part, livrerait en pâture aux Soviétiques le
reste du Congo, économiquement affaibli56.
Lorsque Pierre Wigny revient de New-York,
il ne dissimule pas son amertume, et parle
de « satisfaction mitigée ». Certes, Paris
et Londres semblent derrière Bruxelles,
mais Rome s’en est clairement distanciée57.
Le 29, tous les Italiens de l’Est du Congo
ont été évacués, dix jours après ceux de
Léopoldville58. Dans un autre registre, les
Italiens sont mobilisés par l’ONU afin de
fournir, dans la veine du rôle qui leur était
alloué au Congo, une aide sanitaire, par
la constitution d’une Unità medica militare
italiana per il Congo. Une centaine de lits
seront fournis par Rome, à destination de
Stanleyville59.
54 55 56 57 58 59 Idem, TO, B, Fenoaltea au MAE, 22/7/1960 (n°
25834).
Une précision. Maria Stella Rognoni, dans un
de ses articles, souligne que, le 9 août 1960, à
l’occasion d’une troisième résolution du Conseil
de sécurité (cfr. infra), la France s’abstient et
« avait été parfaitement en ligne avec la position
de Paris dès le début de la crise ». Pas tout à fait.
En effet, si Paris s’est abstenu le 14 juillet, le 22,
en revanche, elle a voté en faveur de la résolution, afin de ne pas s’isoler, et avec l’accord,
certes mâtiné d’amertume, de la Belgique (ROGNONI (M.S.), « L’Italie..., op. cit., p. 87 ; GENIN
(V.), « La politique étrangère..., op. cit., p. 9192).
ASMAE, n° 2024, Ambasciata a Parigi, b. 92,
1960/R8/3-21, Congo belga, Vitetti au MAE,
22/7/1960 (tél. n° 647).
ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 24/7/1960 (n°
26093).
Idem, TO, Léopoldville, Mascia au MAE,
19/7/1960 (n° 25395).
Idem, TO, ONU, Ortona au MAE, 17/7/1960 (n°
25126) ; 22/7/1960 (n° 25793).
Artikel |Article |Articolo 6
Il apparaît de plus en plus, notamment aux
yeux de l’opinion belge, que le seul soutien
ferme que la Belgique ait pu trouver dans
la crise congolaise, c’est bel et bien celui
de la France. L’Italie ne figure nulle part.
Elle occuperait, à la rigueur, la place d’une
puissance qui s’est abstenue de réagir
et d’accabler Bruxelles ; de se joindre à
la curée. Cette tendance se confirme à
la lecture de l’éditorial de Paul Struye,
dans Libre Belgique, intitulé « La fosse
aux lions », et dans lequel il ne trouve de
grâce qu’au général de Gaulle, et suggère
une remise en cause de l’OTAN60. De
plus, particulièrement bien informé, par
un nommé Paganelli, Fenoaltea apprend
que Pierre Wigny s’est rendu à Paris le
1er août, sans plus de précision. En fait,
il s’agissait, d’une démarche destinée à
davantage sensibiliser le Quai d’Orsay
à la question congolaise et, in fine, à ce
que les Six s’unissent dans le même sens.
Toutefois, Wigny n’en recueillit aucun
fruit61. L’ambassadeur italien à Paris,
Vitteti, confirmera cette visite, à la suite
de laquelle il rencontre Maurice Couve
de Murville, ministre français des Affaires
étrangères. Il en ressort, sur la question
charnière du Katanga, que « L’attegiamento
francese su queste questioni è molto cauto
e lo è particolarmente per quanto concerne
il Katanga che, Couve mi ha detto, deve
essere considerata e trattata come una
questione interna del Congo ». Paris, qui,
par ailleurs, relativise la menace d’influence
soviétique sur l’Afrique centrale62, attiédit
donc son soutien aux Belges63.
Quelques jours après le retour de Wigny
à Bruxelles, comme on le sait, une grave
crise ministérielle, qui ne trouvera son
terme que le 10 août, sera en particulier
due à la question épineuse de la
reconnaissance ou non du Katanga par la
Belgique. Le roi Baudouin a songé à former
un cabinet d’affaires, auquel auraient
participé Paul Van Zeeland et Paul-Henri
60 61 62 63 Idem, TO, B, Fenoaltea au MAE, 3/8/1960 (n°
27378).
GENIN (V.), « La politique étrangère..., op. cit.,
p. 95.
ASMAE, n° 2024, Ambasciata a Parigi, b. 92,
1960/R2/52 Francia. Miscellanea di politica estera, Vitteti à Segni, 23/7/1960 (n° 226).
ASMAE, n° 2024, Ambasciata a Parigi, b. 92,
1960/R2/8 Francia-Belgio, Vitteti au MAE,
1/8/1960 (n° 1043/992).
10
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
Spaak. Toutefois, ces deux derniers ne
parviendront pas à se concilier. Voici ce que
retire Fenoaltea - un peu optimiste - de
la situation, et de la crise, dans ses liens
avec la politique intérieure belge, et des
solutions envisagées :
Questo (Quanto?) a suo sbocco se
e quando essa dovesse verificarsi
per Governo unione nazionale con
participazione dei tre partiti nonchè
di personalità ex o extra parlamentari
(Van Zeeland, Snoy ecc. : a tal
proposito si fa anche ipotesi di
ritorno di Spaak) [...] D’altra parte
socialisti e in particolare loro base
non sembrano favorevoli immediata
assunzione responsabilità di Governo :
quei dirigenti che lo sono, ba(o)dano
[sic] piuttosto a una partecipazione
a dua con i social cristiani che a un
Governo altro con i liberali ; in tale
senso è del resto orientata anche
una parte dei social cristiani fra cui
viene generalmente annoverato lo
stesso presidente partito Lefevre. Ed
è il timore di aprire la strada a tale
eventualità che ha sino ad ora frenato
velleità partito liberale di scindere,
anche se tardivamente, propria
responsabilità da politica in Congo
imponendo dimissioni ai suoi ministri64. Aux yeux du diplomate italien, la crise
pourrait se résorber à l’automne. De plus,
il estime que toute démarche du Roi ne
serait pas une bonne initiative ; cela lui
semble d’ailleurs improbable65. Estime-t-il,
in petto, que le Roi n’aurait pas du susciter
cet éventuel cabinet d’affaires ? Ou, doiton comprendre que Fenoaltea savait que la
volonté de rallier la France à la Belgique sur
le dossier congolais, le 1er août, était une
volonté expresse de Laeken ? La question
reste ouverte, mais ces hypothèses ne
sont pas à exclure. Plusieurs documents
secrets de la Farnesina, et de ce fait
indéchiffrables, rédigés durant la dernière
semaine de juillet, pourraient éclaircir de
point.
64 65 ASMAE, TO, B, Fenoaltea au MAE, 7/8/1960 (n°
27971).
Ibidem.
Artikel |Article |Articolo 6
Le vote du 9 août. Un changement
de cap ?
À partir de la mi-août 1960, la première
phase de la crise congolaise s’est
consumée. La deuxième axe son focus
sur la question du Katanga, certes latente
jusque là. S’il est permis de gloser sur le
retrait des troupes belges, l’application
du traité d’amitié belgo-congolais du 29
juin 1960 ou le sort des bases de Kamina
et Kitona, le Katanga reste un point
d’interrogation, un terrain miné sur lequel
chacun attend que l’autre s’aventure,
et, finalement, s’y brûle les ailes. Sergio
Fenoaltea est particulièrement attentif à
la rumeur, souvent relayée par la presse,
selon laquelle la Belgique proposerait à
l’ONU de lancer la procédure menant à la
tenue d’un référendum dans la province
sécessionniste du Katanga. Toujours sur
ses gardes, il se rend au cabinet de Pierre
Wigny, et obtient plus de réassurances,
tout en n’excluant pas que le secrétaire
général des NU, Dag Hammarsjoeld,
pourrait mettre ce projet en application66.
Le 13 août, une nouvelle visite rendue à
Wigny nous livre un élément intéressant,
qui n’est certes pas une découverte, mais
une preuve supplémentaire de la politique
bicéphale de la Belgique à l’égard du
Katanga. S’il ne faut pas le reconnaître
officiellement, une reconnaissance de
facto est prônée a mezza voce. Le ministre
assure l’Italien que Tshombé n’est pas
un uomo di paglia et, plus important :
« se Tshombé si dimostrerà e prudente e
intelligente, autonomia del Katanga si potrà
affermare e riflettersi su altre province
rendendo possibile assicurare equilibrata
unità congolese nel quadro federativo
e confederativo 67». Comment être plus
clair ?
Dès le mois de septembre 1960, la
situation, à plus d’un égard, évolue
sensiblement. Une nouvelle phase s’ouvre,
et, sort de notre propos, que nous avons
délibérément arrêté à la mi-août. En effet,
d’une part, à Bruxelles, l’échec du cabinet
d’affaires reconduit certes le gouvernement
du PSC/CVP Gaston Eyskens. Mais, au
66 67 Idem, Fenoaltea au MAE, 7/8/1960 (n° 27972).
Idem, Fenoaltea au MAE, 13/8/1960 (n° 28955).
11
|FORUM ROMANUM BELGICUM | 2013 |
début de septembre, le ministre des
Affaires africaines, August de Schryver,
est remplacé par Harold d’Aspremont
Lynden, favorable à la sécession du
Katanga. Patrice Lumumba, pour sa part,
le 5 septembre, est limogé par le Président
Kasavubu et remplacé par Joseph Iléo.
Enfin, concernant les soutiens étrangers
à la Belgique, il s’avère que les mois de
septembre et d’octobre représentent un
tournant dans l’attitude de la France. Si,
jusqu’ici, cette dernière n’a pas dissimulé
sa compréhension, voire sa sympathie,
à l’égard de la Belgique, il semble que,
de peur que cette attitude ne lui porte
préjudice dans le dossier algérien, qui sera
bientôt porté devant l’ONU, elle opère un
reflux et ne soutienne plus que mollement
sa voisine belge.
Quant à l’Italie, cœur de notre propos,
après avoir voté en faveur des résolutions
de l’ONU en juillet 1960, elle change, certes
temporairement, de cap, lors du vote du
9 août, qui décide de l’évacuation des
troupes belges du Katanga et de l’entrée de
l’ONUC dans cette province. En effet, Rome
s’abstient à ce troisième vote. La principale
raison de cette abstention est intimement
liée à l’image que la Péninsule voulait
dégager aux yeux de la communauté
internationale. Par cette abstention, elle
souhaitait montrer que, pour elle, le
champ d’action de l’ONU avait des limites
qu’il ne fallait pas dépasser. Il s’agissait
surtout, dans le cas congolais, d’éviter que
l’ « ONU non ha connessione alcuna con
problemi costituzionali Congo chez debbono
considerarsi questione interna da regolarsi
tra congolesi »68. C’était bien entendu une
allusion subtile à l’attitude que celle-ci
aurait à adopter dans le dossier suivant
à l’ordre du jour : le Haut-Adige. Quant
au prétexte invoqué par Ortona pour son
abstention, ce dernier invoque, non sans
sincérité, la nécessité que le retrait des
troupes belges se fasse progressivement,
au gré de l’arrivé de l’ONUC69. Il se dégage
de cette attitude bicéphale, dichotomique,
une constante de la diplomatie italienne,
qui, disons-le d’emblée, n’en a pas
l’apanage. En effet, si elle suit l’ONU
68 69 ASMAE, TO, ONU, Ortona au MAE, 9/8/60 (n°
28189).
Idem, Ortona au MAE, 9/8/60 (n° 28191).
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dans la plupart de ses décisions, en ne
souhaitant pas apparaître, quinze ans
après le fascisme, comme un « mauvais
élève » de l’échiquier international,
l’Italie n’en oublie pas pour autant ses
intérêts nationaux. Elle pratique ainsi
l’« intériorisation », à savoir l’importance
donné aux questions nationales dans les
enjeux internationaux ; realpolitik oblige.
Cette abstention, émanant de la volonté
de Segni et de Fanfani, nouveau Président
du Conseil depuis juillet, n’était pas du
goût d’Egidio Ortona, représentant italien
au Conseil de sécurité, ayant reçu ses
instructions du secrétariat général du
Ministère, par téléphone70. Comme il le
souligne : « J’ai voté avec la France, écrasé
sous le poids de lourdes préoccupations.
Nous sommes les deux seuls à nous
abstenir. Le ministère sera content, mais
moi j’ai perdu 70% de ce que j’avais gagné
avec les Afro-asiatiques et que j’avais
cherché à cultiver même par le biais de
mon action dans le DAG. J’en suis triste
et indigné. C’est ainsi que l’on détruit
le travail patient de plusieurs mois »71.
Manifestement gêné par ce vote de
discipline à l’égard de son administration,
Ortona tient à rappeler que, malgré tout,
il est d’accord « con le linee principali del
testo »72 de la résolution du 9 août...
Par la suite, dès septembre, suite à
l’énergique remise en cause du secrétaire
général de l’ONU par Moscou, Rome se
rapprochera fermement, cette fois-ci, des
résolutions du Conseil de sécurité. Et elle
plaidera fermement en faveur de l’unité du
Congo, option à laquelle Paris se ralliera...
avec un temps de retard73.
Une nouvelle phase de la crise congolaise
s’ouvre.
70 71 72 73 Ibidem.
ORTONA (E.), op. cit., p. 393.
ASMAE, TO, ONU, Ortona au MAE, 10/8/60 (n°
28391).
GENIN (V.), « La politique étrangère..., op. cit., p.
98 et sv.
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