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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
Par Annie Rapin
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Michel-Jack
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d’un
Il possède la plus grande collection de bouteilles de vin
au monde. Ce Deux-Sèvrien de 70 ans souhaite aujourd’hui
léguer son patrimoine à l’humanité.
a silhouette est frêle et gracile,
le sourire fugace, les yeux un
peu hagards. Notre homme
revient de Paris. Il y a encore deux ans,
Michel-Jack Chasseuil était inconnu
des “grands” de ce monde. Une vie
d’ermite, cloîtrée dans une vaste
demeure héritée de la grand-mère, là
où les collines deux-sèvriennes s’ouvrent et se referment comme autant
de refuges avant la plaine. Seulement
depuis deux ans, l’homme a quitté sa
cachette pour retrouver son allure
empressée d’autrefois. Et pour une
bonne raison : à 70 ans, Michel-Jack
Chasseuil est devenu le plus grand
collectionneur de bouteilles de vin au
monde. Pas moins.
L
Capital, Envoyé Spécial, Le
Monde… En l’espace de quelques
semaines, journalistes et personnalités parisiennes ont joué des coudes
pour connaître ce visage sorti de nulle
part. S’il se découvre grâce à l’ouvrage qu’il publie chez Glénat, 100
bouteilles extraordinaires de la plus
belle cave du monde (voir encadré cicontre), il se livre encore davantage
en offrant désormais son expertise…
à de nouvelles convoitises. En Chine,
pays à la culture du vin naissante, on
a fait de lui un consultant.
“Depuis deux ans, les Chinois s’intéressent particulièrement au vin et
investissent beaucoup. Ils ne connaissent rien et veulent tout savoir : com-
ment on constitue une cave, comment
on peut faire à la fois du Nuits SaintGeorges et du Pommard avec le même
raisin… Ils me font venir régulièrement. Le vin est la seule industrie qui
ne connaîtra pas de problèmes car les
Chinois en veulent, beaucoup !” Et ils
ne sont pas les seuls : “les nouveaux
riches russes achètent tout et boivent
tout, ce qui est plus rare. Mais ni eux
ni les Chinois n’égaleront ma collection. Parce que moi, je ne la bois pas
et je ne la vends pas !” Michel-Jack
aurait-il une vie d’ascète ? Pas exactement. Une vie rythmée par la raison, dopée à l’ambition.
C’est à ses grands-pères que
Michel-Jack doit ses premières expé-
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riences du vin : “l’un était maquignon mencé, on vendait du meuble, des Chapelle-Bâton. La cave familiale
et rapportait du vin en barriques qu’il tableaux… et à la fin de la séance, on n’étant plus suffisante, il a creusé,
mettait en bouteilles. L’autre tenait un disait : pour ceux que ça intéresse, il y seul, une longue galerie souter a des bouteilles de vin ! On raine sous son terrain, à l’abri des
café au village. J’ai donc comrestait à trois ou quatre, et voleurs, des incendies et des écarts
mencé à boire du vin dès
on achetait. J’ai appris tous de températures. Un véritable musée
l’adolescence, on m’a appris
les prix, je repérais toutes les à la mise en scène soignée : lanternes
à le respecter”. À son père facbouteilles rares qui avaient recouvertes partiellement à l’or fin,
teur et à sa mère employée au
vu leur prix se multiplier d’une vitrines présentant les bouteilles les
bureau des Postes, il doit son
année sur l’autre.” Michel- plus rares dans des cabinets de curiogoût pour les collections, “les
Jack enfile ainsi des milliers sités luxueux, où l’on trouve par
timbres, mais aussi les minéde perles : Château-Petrus, exemple, aux côtés du cognac Naporaux, les oiseaux…”. Sa curioMargaux, Mouton-Roth- léon 1805, deux lettres signées de
sité sur le monde est ainsi déjà
Traduit
schild… “La plus vieille pièce l’empereur. Un conservatoire que
aiguisée lorsqu’il est appelé à
en sept
de ma collection date de Michel-Jack entend aujourd’hui parfaire ses classes militaires.
langues,
1735. C’est aussi la plus tager : “j’ai réalisé mon rêve en achePromu sergent au bout de huit
le livre de
chère : ce Château Yquem vant cette collection. Maintenant je
mois, puis instructeur pour forMichel-Jack
1811 est coté à 100 000 € ne peux plus acheter de vins car les
mer les jeunes en partance
est une
la bouteille.” Un prix syno- prix ont été multipliés par dix. Plutôt
pour l’Algérie, il devient
première
nyme de qualité ? que de tout vendre aux enchères, je
“l’écrivain public” de soldats
étape
“Aujourd’hui, si le prix est souhaite créer une fondation, à l’éterantillais illettrés, qui lui échanavant
élevé, cela peut vouloir dire nité.” Basée à Paris ou à Saint-Émigent l’écriture de courriers
la création
deux choses : soit il est très lion, la fondation Chasseuil permettra
contre des bouteilles de rhum.
de la
bon, soit il est très rare… au public de découvrir cet extraordiPremières conquêtes de spiriFondation
Pour celui-ci, je dirais les naire patrimoine, avec l’objectif de
tueux.
Chasseuil.
continuer à recueillir les bouteilles
deux !”
Depuis les années 1980, rares, ou en devenir. Un trésor de
40 000 bouteilles
Michel-Jack ne s’est jamais arrêté de l’humanité hissé au rang d’une
collectionner : 40 000 bouteilles ont relique sacrée, à conserver… sans
pris place dans son sanctuaire à La modération.
En 1963, c’est chez Dassault qu’il
choisit d’entrer, comme chaudronnier.
Si le bleu est difficile à enfiler après
avoir été diplômé technicien supérieur
en aéronautique, on fait bientôt appel
à lui dans les étages, comme dessinateur. En 1967, un nouvel horizon s’ouOn imagine comme le Les paillettes d’or dans
vre encore. “On m’a proposé de quitter
choix a dû être cornélien : la Marie-Brizard du Titanic.
le bureau d’études pour aller enseigner
dans son ouvrage, Michel-Jack
l’anglais en Afrique du Sud. En plein
Chasseuil recense cent bouteilles
Apartheid, peu prenaient le risque de
qu’il considère comme les plus
partir… Je me suis lancé.” Il y restera
rares de sa collection : un cognac
trois ans. “Plus de blouse blanche, mais
1789, le Château Latour 1899...
le costume, le carnet de chèques : je
Cent bouteilles dont l’histoire en
suis devenu cadre commercial.” Grands
dit souvent plus long que la géopalaces, grands hôtels, cadeaux à prographie. Citons l’une d’elles : une
fusion, tout est bon pour vendre des
bouteille de liqueur Marie-Brizard,
Mirages… Michel-Jack applique “la
achetée dans une vente aux
technique inculquée chez Dassault”
enchères en 1988 : “cette bouteille devait embarquer à bord du Titanic, à l’insjusque dans les années 1990, années
tar de Louis Renault, le célèbre constructeur automobile. "Viens avec nous, tu vas
où il est rattrapé par le goût, et le cours
le regretter, on va boire de l’or !" lui avait-on dit. Cette cuvée spéciale contenait
du vin. “Dans une salle de vente aux
en effet des paillettes en or, qui avaient la réputation, hormis de briller dans les
enchères, je me suis rendu compte que
salons, de purifier le sang. À son grand regret (de courte durée), Louis Renault ne
le vin avait doublé de prix en un an. Ça
put embarquer ce 10 avril 1912… En revanche, il acheta quatre bouteilles curieua été le déclic”. Hôtel Drouot, Neuilly,
sement restées à terre, dont deux exemplaires me furent vendus par les descenVersailles… Trois fois par semaine,
dants de Renault, pour la modique somme de 2 700 francs les deux !”
Michel-Jack se glisse dans les salles de
100 bouteilles extraordinaires de la plus belle cave au monde, de Michel-Jack Chasseuil, aux éditions
vente, devient un expert sur le marché
Glénat. Prix : 45 €.
international du vin. “Quand j’ai com-
Une liqueur à l’or sauvée des eaux
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