Perpignan : la préscolarisation comme médiation culturelle
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Perpignan : la préscolarisation comme médiation culturelle
Perpignan : la préscolarisation comme médiation culturelle © Fédération Nationale des Francas / LARES / Recherche-action « Accompagnement des parents dans leur mission éducative » - Janvier 2001 Description du site Deux quartiers de Perpignan (100 000 habitants) très différents : Saint Jacques, au centre ville, occupé majoritairement par des populations gitanes (les populations maghrébines tendant à déménager), avec un habitat vétuste, mais des occasions d’ouverture vers les administrations, le centre ville etc. La cité Nouveau Logis, au nord de la ville, isolée, avec très peu de brassage social (80 % de gitans catalans, 10 % de maghrébins et 10 % d’espagnols et gitans espagnols), sans aucune présence institutionnelle en dehors du centre de préscolarisation, où interviennent des assistantes sociales et la PMI. Description des actions Actions de préscolarisation des enfants gitans de Perpignan, dans deux quartiers : une cité de transit, Nouveau Logis, et le quartier Saint-Jacques (centre ville). Il s’agit d’amener les familles à confier leurs enfants avant l’âge légal de scolarisation, pour éviter les obstacles dus aux décalages culturels trop importants. Public : enfants de 3 à 5 ans, pour qui les centres constituent une première expérience de collectivité, une première coupure avec la maman. Centre de préscolarisation Nouveau Logis : une école maternelle et primaire de rattachement, située à deux kilomètres ; 1 responsable d’origine maghrébine, trilingue, BAFA, une animatrice gitane, une animatrice d’origine maghrébine, tous habitant la cité. Gestion municipale. Public : une douzaine d’enfants. Démarrage 1990. Centre de préscolarisation Saint-Jacques : 3 écoles de rattachement (maternelle, primaire, et privée maternelle et primaire), 4 animatrices gitanes dont 3 BAFA, 1 médiateur scolaire, tous habitant le quartier. Gestion associative (Association pour la scolarisation des enfants tziganes ASET), en partenariat avec la ville. Démarrage 1993 Coordination : personnel ville, coordination des deux équipes,, organisation des temps de travail commun, de la formation, animation d’une réflexion commune sur le projet. Autres actions à Perpignan Cop de mâ : accompagnement scolaire, signature d’un contrat avec les parents, formulation écrite de ce qu’ils veulent Lis moi des histoires 1 Les objectifs Enfants : Bonne scolarisation des enfants - Socialisation avec des règles de vie différentes de la maison - Autonomie de l’enfant - Respect du cadre horaire - Découverte d’activités, de matériaux, de lieux culturels Familles : mise en confiance – convaincre de l’intérêt d’un apprentissage scolaire minimum – les rendre acteurs à part entière de la vie scolaire de l’enfant – transférer la confiance envers les animateurs vers les enseignants. Constats de départ Faible scolarisation des enfants gitans : Echec global des apprentissages fondamentaux, Echec global des relations avec les familles, Départ des non gitans des écoles primaires du quartier Appel à l’aide de la communauté concernant les problèmes liés à l’héroïne parmi ses jeunes, ou concernant les problèmes de délinquance. Ghettoïsation des quartiers gitans. Les autres populations quittent ces quartiers, où changent d’école. Perceptions des familles Crainte d’une perte d’identité gitane, déjà très mise à mal ; sédentarisation et assistanat ont contribué à un développement de la consommation qui se transforme en compétition entre les familles, exacerbant les conflits claniques. Trou dans la transmission culturelle, concernant le mode de vie passé des gitans (sédentarisés depuis l’arrêté de Pétain après 1940). Surenchère de cadeaux, jouets, et plaisirs alimentaires De moins en moins d’interventions éducatives auprès d’enfants des autres familles. Absence de modèles de « réussite sociale » dans la communauté. Apparition des mariages mixtes. L’appartenance au quartier semble prendre le pas sur l’appartenance ethnique : les autres sont moins bien, plus aidés, moins attachés à la culture gitane… Difficultés énoncées par les familles Les enfants ne parlaient pas français en arrivant au CP ; crainte qu’ils soient mis à part, honte ; sentiment d’infériorité des enfants et des parents. Crainte de confier les tout petits. Refus de déléguer l’éducation alors que les mamans ne travaillent pas. Difficulté à supporter les pleurs d’un enfant. Divergences ethniques Méfiance du monde des païos (non gitans) ; Difficulté à travailler dans le monde des païos ; difficulté à confier ses enfants (« on croyait qu’ils tapaient nos enfants ») ; Aucun interdit posé aux jeunes enfants, avant 5 ans ; refus de laisser pleurer les enfants . Abandons précoces de la scolarité (au mieux, 13-14 ans): les garçons ne conçoivent pas sortir de leur communauté, les filles ne doivent pas être regardées au moment de la puberté. Mariages précoces 2 Rythme de vie plus festif. Pression communautaire et conflits claniques. Répartition traditionnelle des rôles, les femmes ayant quasi exclusivement des responsabilités domestiques. Extrême méfiance à l’égard des institutions (CAF, PMI etc.), qui pourrait suspendre les droits… même si les familles connaissent généralement bien leurs droits. Sentiment d’une dévalorisation dans ces institutions, les hôpitaux. Le fossé entre les cultures s’est élargi : « avant, on était plus solidaire ; on gardait les enfants des français, on se connaissait. » Méthodes et outils Formation BAFA en direction des femmes gitanes du quartier Saint-Jacques : pour 9 femmes gitanes, formation BAFA adaptée aux exigences communautaires (disponibilité domestique le midi, pas de relations aux hommes…), et salariat à la clé (3 CEC dans les structures de préscolarisation, 1 CEC ATSEM et médiatrice dans une école, 2 contrats saisonniers dans la ludothèque du quartier, 2 contrats saisonniers dans des centres de loisirs maternels. Prise en compte du vécu culturel Evolution du cadre horaire Projets de développer un CLSH, une ludothèque Projet de valorisation de la culture gitane par l’intervention des anciens (vannerie, langue Kalo) Alphabétisation Sorties proposées aux enfants, sur Nouveau Logis : sortir de la cité, découvrir des lieux. Activité primordiale autour du livre, alors que l’écrit est quasi absent dans les familles. Sorties bi mensuelles à la bibliothèque. Chaque jour, un livre est lu en français et en catalan. Utilisation de jeux éducatifs, d’observation, de raisonnement, de rapidité… Le catalan est la langue dominante dans les centres. Les enfants ne comprennent pas que les animateurs s’expriment en français, différemment entre dedans et dehors. Au nouveau logis, le français est plus utilisé, car un des animateurs ne parle pas catalan. Activités communes avec les écoles : temps de fête, venue des classes au centre, qui valorise les élèves gitans (les « grands ») et sécurise les animateurs. Après midi passés dans les classes au troisième trimestre, par petits groupes, avec un animateur Présence des animateurs dans les écoles, à la rentrée. Aide administrative aux familles, orientation, feuilles d’imposition ; « bénévolat hors des heures de travail, qui fait partie du suivi, ici ». Sorties enfants-familles les vendredis après midi. Projection dans le temps. Compétences, posture Les animateurs sont des relais d’information, en position de médiation culturelle, pour les enseignants : information réciproque, contacts avec les familles, relance des enfants absentéistes. Préparation commune entre animateurs et enseignants, limités par le volontariat des enseignants (pas de temps spécifiques). On a plus adapté l’école que normalisé les gitans. Apprendre à dire non Travailler collectivement en réunion, s’opposer, énoncer son avis : « on peut s’engueuler, on avance ». 3 Partenariat Relations fréquentes avec l’inspecteur d’académie Relations avec les chargés de mission ZEP Gestion par la ville, Direction de l’Action Educative et de l’Enfance, liens avec l’élue déléguée aux affaires scolaires. Le pilotage du projet, au Nouveau Logis, associe la directrice de l’école maternelle et les habitants, partie prenante et initiateurs du projet, avec l’ASET, l’inspecteur d’Académie, l’adjointe, les services de la ville, la PMI, la Préfecture (cellule RMI), l’office HLM. Le pilotage du projet, sur Saint-Jacques, était depuis l’origine plus difficile, les enseignants n’étant pas demandeurs, le rôle des habitants étant plus floue, l’équipe d’animation moins claire sur sa fonction. Le projet de l’école Blum (nouveau logis) inclut le projet de préscolarisation, malgré les réticences de l’IA. Résultats attendus ou inattendus Deux animatrices ont passé le permis de conduire 3 animatrices s’impliquent dans la vie du quartier, par le biais du comité local de développement social : on a donc impulser la prise de responsabilités des femmes en dehors de la sphère domestique. « Envie de liberté des femmes » Augmentation des effectifs scolaires, et de l’assiduité. Les enfants préscolarisés sont perçus comme très différents des autres enfants gitans à l’entrée à l’école. « Les mères commencent à refuser des choses à leurs enfants. Elles suivent nos conseils, presque toutes. » Prise en compte du bébé comme une personne. Levée de certains tabous sur le corps, la nudité. Facteurs de réussite Visites de la directrice de l’école maternelle sur le quartier, relation de confiance, invitation au partage d’un café ; les relations sont des « relations entre femmes », selon l’enseignante. Proximité des centres : « dès que l’enfant pleure, on va vers les familles ». Création et soutien du projet par un responsable communautaire Le directeur du centre nouveau logis est « médiateur » : non gitan mais parlant le catalan, présent sur le quartier depuis l’enfance. Difficultés Difficulté, pour les animatrices, à se positionner dans les groupes scolaires. Vulnérabilité ou susceptibilité à l’égard des païos. Disparités entre les écoles, au niveau de l’implication dans le projet. Multiplicité des écoles de rattachement sur Saint-Jacques, implique une multiplicité d’échanges, des difficultés à préparer l’entrée à l’école, sans savoir laquelle, les parents se déterminant au dernier moment ; phénomène de double inscription pour jongler entre les écoles en fonction des relations aux enseignants. Problèmes de disponibilité des enseignants ; difficultés à obtenir des décharges partielles pour les directeurs d’école. Précarité du projet dépendant du contexte politique. Situation délicate des animateurs, travaillant entre les volontés institutionnelles et les exigences communautaires. Se positionner en tant qu’animateur et non en tant que membre de la 4 communauté. Ne pas reproduire les méthodes éducatives dominantes dans la communauté. « Au début, les autres mamans disaient qu’on était des païos ; on s’expliquait, on le vivait mal ; elles venaient regarder le goûter, pour voir ce qu’on donnait aux enfants ». Représentation des parents à l’égard de leurs enfants, sensés ne pas pouvoir se concentrer, ni comprendre les règles de vie, choisir entre plusieurs activités… Aménager les espaces de lecture ; exiguïté des locaux pour accueillir les classes ; problèmes de coûts de transports. Réfléchir au bilinguisme Manque de relais éducatifs dans la communauté gitane Difficulté des écoles à intégrer « l’individualité des enfants ». L’école a changé de population, mais pas de méthodes éducatives : « on se bat pour des projets expérimentaux, avec des postes à profil, des nouvelles méthodes pédagogiques ». Souhait de scolariser les enfants par petits groupes au collège, alors que le collège explose les groupes. L’orientation des élèves au collège est plus fonction de l’étiquette sociale que des compétences scolaires : une jeune fille ayant obtenu le BAC devait initialement aller en SEGPA ; le problème se reproduit dix ans plus tard pour son frère. Les parents demandaient aux animatrices de choisir l’école où inscrire l’enfant. Dans les faits, ce sont les enfants qui choisissaient. La transition entre préscolarisation et école maternelle reste difficile pour les mamans : « après quelques jours d’école, elles nous demandent de les reprendre. » Le salariat des animatrices peut être mal perçu, d’un point de vue économique, du fait de la baisse des prestations sociales. 5