Une mode malgré elle

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Une mode malgré elle
Parkour
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cette pratique comme d’une discipline. Les jeunes gens s’exercent et
s’affublent du nom de «Yamakasi» (qui signifie «corps fort» ou «esprit fort» dans la langue centrafricaine lingala). Ils font une apparition à sept dans la comédie musicale «Notre Dame de Paris». Puis,
Foucan et Belle quittent les Yamakasi, qui tournent le film «Yamakasi – Les samouraïs des temps modernes» de Luc Besson. Avec
d’autres combattants de la première heure, ils se rebaptisent les
«traceurs».
L’intérêt des médias est énorme, mais les objectifs des acteurs diffèrent. Foucan, voulant aller plus loin encore, développe le concept
de «Free Running», qui contient plus d’éléments esthétiques et
acrobatiques que son homologue, le Parkour, de David Belle. Les
deux formes de déplacement se distinguent par leur idée de base: le
Parkour vise l’efficacité et la rapidité alors que le Free Running recherche davantage l’expression personnelle. David Belle reste fidèle
au Parkour et se tourne vers le cinéma.
Sous l’œil des médias
Une mode malgré elle
Les murs et les grillages n’arrêtent pas un «traceur». Habile, rapide et efficace, il les franchit sans problème. Le spectateur, quant à lui, en reste bouche bée. Récit sur les origines
et le devenir du «Parkour».
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Parkour
Texte: Francesco Di Potenza; photos: Fabian Unternährer
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I
l ne se passe pas une semaine sans qu’un journal ne publie un article sur ce sport spectaculaire ou qu’une chaîne de télévision n’y
consacre un documentaire. Beaucoup de choses sont racontées
sur cette prétendue nouvelle activité. Le Parkour, ou l’art de se déplacer avec efficacité sans aide extérieure, constitue la forme la plus
pure de mouvement. Celui qui le pratique, appelé le «traceur», se
meut dans le paysage en suivant le chemin de son choix tout en
franchissant les obstacles qui s’y trouvent. Il utilise uniquement ses
capacités physiques et n’a droit à aucun équipement excepté de
bonnes chaussures. L’efficacité de ses mouvements joue un rôle primordial. Il ne s’agit ni d’un spectacle ni d’acrobatie mais d’un jeu
fluide avec l’environnement, de la poursuite d’une voie choisie par
ses soins. Le Parkour, sous sa configuration actuelle, a été développé
par le Français David Belle en banlieue parisienne. Cette discipline
est toutefois indépendante du milieu, elle peut être pratiquée autant en pleine nature qu’au centre-ville.
Les premières traces du Parkour remontent à la guerre d’Indochine
(1946-1954), lorsque les soldats cherchaient à optimiser leurs
chances de fuite. Aujourd’hui, même si l’objectif premier de l’exercice n’est plus la fuite, celle-ci traduit bien l’esprit du Parkour: une
forme de déplacement directement liée au contrôle et à la vitesse,
qui suppose un bon entraînement et une bonne connaissance du
corps ainsi qu’une réflexion approfondie sur ses propres capacités
et sur l’environnement. Ni plus ni moins. Retour sur l’histoire d’un
mouvement né en France avant de se propager en Europe, aux
Etats-Unis et dans le monde entier, et qui compte un nombre croissant de pratiquants en Suisse depuis maintenant 10 ans.
Vietnam, a développé des techniques de fuite efficaces. Des capacités qui lui ont servi, plus tard, à sauver des vies en tant que sapeurpompier. Son objectif final. Petit déjà, en effet, il a entraîné sa force
et optimisé ses performances dans le but de se rendre utile.
Dans les années 1980, la famille Belle déménage à Lisses, petite
banlieue parisienne mi-urbaine, mi-campagnarde. A priori un terrain de jeu guère idéal pour les enfants. Peu décontenancé, David
adapte ce qu’il a appris à ce nouveau décor et un groupe d’enfants
découvre le Parkour. Se prenant pour des «ninjas», ils se poursuivent
en surmontant les petits obstacles qu’ils rencontrent dans la cour
d’école. Comme beaucoup d’autres camarades de leur âge. Leur jeu
est pourtant différent. Sous l’influence de David Belle, il évolue au fil
du temps. Les enfants découvrent progressivement le potentiel qui
se cache derrière leur passe-temps; ils donnent une forme à leur art,
le définissent par des mots et des mouvements. Le Parkour devient
un sport.
Les garçons ne sont pas à la recherche de techniques particulières. Celles-ci apparaissent naturellement lors de leur interaction
avec l’obstacle. Tout le monde peut ainsi apporter ses idées au
groupe et étoffer le répertoire de mouvements, comme un puzzle.
Le saut de précision, par exemple, confère un degré de difficulté supérieur ainsi qu’une élégance particulière au simple saut. Chaque
découverte complète l’effet d’ensemble. Les obstacles deviennent
plus importants avec le temps et, juste après avoir conquis le toit de
l’école, le groupe s’attaque à la célèbre œuvre d’art de vingt mètres
de hauteur, la «Dame du Lac».
De la banlieue à la toile
Un jeu devenu sport
Les forêts du nord de la France constituent son terreau: David Belle
y reçoit très tôt l’enseignement de son père, l’entraîneur et célèbre
athlète Raymond Belle. Ce dernier, lorsqu’il était enfant soldat au
Raymond Belle est une sorte de mentor pour David et son ami Sébastien Foucan. Outre les rudiments du Parkour, il leur enseigne que
les possibilités sont infinies à condition de s’entraîner sérieusement
et suffisamment. Le groupe s’agrandit; on commence à parler de
De plus en plus de gens, en particulier les jeunes et les enfants, s’intéressent au Parkour et cherchent à imiter les Yamakasi, bien que le
film de Luc Besson ne soit pas parvenu à transmettre l’essence de
cette discipline. Après le succès du premier film, l’argent joue un rôle
prépondérant et les chemins des Yamakasi se séparent. Cela n’empêche pas la discipline d’augmenter sa présence dans les médias,
notamment grâce au spot publicitaire de Nike pour la télévision. David Belle tourne le clip «Rush Hour» pour la BBC. Le Parkour s’exporte
aux Etats-Unis. En février 2003, «Urban Freeflow» voit le jour en Angleterre et met en ligne un site Internet ainsi qu’un forum. Le
nombre d’utilisateurs grimpe rapidement et UF devient la première
communauté de Free Running en Angleterre.
L’intérêt médiatique se poursuit. En 2003, le documentaire «Jump
London», sorti en DVD et destiné à un large public, contribue à répandre encore plus cette activité. A peu près au même moment, le
Parkour commence à se propager dans l’espace germanophone. Dès
2006, les vidéos pullulent sur Internet, des stars comme Madonna
et de grosses productions cinématographiques («Banlieue 13» avec
David Belle ou «Casino Royale» avec Sébastien Foucan) contiennent
des scènes de Parkour. Divers spots publicitaires s’inspirent de l’art
des traceurs et plusieurs grandes chaînes de télévision diffusent des
documentaires sur le sujet. Le nombre d’adeptes est passé en
quelques années d’un petit groupe d’enfants de banlieue à une
communauté importante à l’échelle internationale. Sans le vouloir,
le Parkour est devenu une mode. n
Filmographie:
Yamakasi – Les samouraïs des temps
modernes, Ariel Zeitoun, Julien Seri.
France, 2001.
Jump London (TV), Mike Christie.
Royaume-Uni, 2003.
Banlieue 13, Pierre Morel. France,
2004.
Casino Royale (James Bond), Martin
Campbell. Etats-Unis, Royaume-Uni,
Allemagne, 2006.
Babylon A.D., Mathieu Kassovitz.
Etats-Unis, 2008.
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Mode
d’emploi
Ce qui paraît tout simple dans les nombreux clips vidéo, spots publicitaires et au cinéma nécessite en réalité un entraînement spécifique. Les traceurs gardent toujours le contrôle. Ils n’oublient jamais
où se situent leurs limites et s’entraînent à les repousser toujours
plus loin.
Texte: Steven Käser, photos: Fabian Unternährer
L
e corps est le principal outil du traceur. Le secret réside dans un entraînement physique et une optimisation de ses performances constants.
Dans son propre intérêt, le traceur cherche autant à éviter les dangers
que les surcharges. «Le Parkour doit être efficace et pas seulement effectif»,
explique dans son ouvrage Markus Luksch, spécialiste des sciences du sport
(voir encadré, p. 25). «Effectif signifie atteindre un but ou réussir quelque
chose en utilisant ses ressources. Efficace signifie atteindre un but en épargnant au maximum ses ressources, c’est-à-dire en obtenant un bon rapport
entre le résultat obtenu et les efforts fournis.» Le terme de ressources est ici
compris au sens large, à savoir l’investissement mental, physique, matériel
et temporel nécessaire pour atteindre un but. Tout effort fourni par le traceur, qui vise à améliorer son déplacement peut être considéré comme un
entraînement de Parkour.
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Parkour
Sécurité totale
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Il n’est pas surprenant que les traceurs soient sans cesse confrontés à des questions concernant les dangers de leur discipline. Leur réponse est la suivante: on
ne fait que ce que l’on est sûr de réussir sans se blesser. Un saut hasardeux n’est
exécuté que s’il n’y a aucun risque de blessure. Celui qui ne «sent» pas un saut
ne le tente pas. Par ailleurs, les traceurs font attention les uns aux autres, ils
s’encouragent à ne pas prendre de risque inutile. Le renoncement explicite à la
compétition et au spectacle contribue à ce que personne ne soit tenté de faire
des choses qu’il n’est mentalement ou physiquement pas encore prêt à réaliser.
En outre, l’entraînement au Parkour se déroule près du sol, surtout chez les débutants. Les vidéos montrant des traceurs sautant d’un toit à l’autre ne sont pas
l’exemple à imiter. Il ne faut pas oublier que ceux-là s’exercent en général depuis
des années, voire des décennies, et qu’ils disposent des capacités nécessaires et
d’une bonne connaissance d’eux-mêmes. Il est très important que, dans les premières années, l’entraînement se déroule sur un terrain sûr car le contrôle passe
avant tout!
Un traceur pratique généralement son art à un haut niveau. Il doit, à ce titre,
se soumettre à un entraînement sérieux et touchant cinq domaines (qui se recoupent):
• Entraînement de la forme physique
• Entraînement des compétences de base
• Entraînement des techniques de base
• Combinaison des techniques
• Entraînement mental
Forme physique
Remarque: Les techniques démontrées
sur les photos de ce dossier ont été réalisées
par des traceurs expérimentés, qui dis­
posent d’un niveau technique et physique
élevé et savent évaluer leurs propres
­capacités. La sécurité et le contrôle sont des
principes fondamentaux du Parkour:
le traceur s’entraîne toujours sur un terrain
sûr, à des hauteurs réduites et en fonction
de ses compétences (voir p. 26).
Le traceur se prépare aux efforts que requiert le Parkour par un entraînement de la force. La réception et l’amortissement des sauts
étant primordiaux, il doit accorder une importance particulière au
renforcement et à la stabilisation des muscles de la jambe. L’entraînement se compose d’exercices statiques (par ex. exercice de la
chaise contre le mur) et dynamiques (par ex. génuflexions).
Il est tout aussi capital de développer une musculature du tronc
stable afin de soutenir le dos lors de la réception et de l’amortissement des sauts. Ceci augmente le contrôle et la stabilité du corps
lors de sauts ou d’autres techniques de franchissement d’obstacles. Les muscles du ventre et du dos doivent être renforcés dans
leur ensemble, car ils sont toujours sollicités au moment de franchir un obstacle. Pour le débutant, le renforcement de l’appareil
musculaire passe par des exercices de contraction (tractions,
planches) non seulement concentriques (soulever le corps en surmontant la force de gravité) mais également excentriques (relâcher lentement et de façon maîtrisée le corps en résistant à la force
de gravité). Enfin, il est recommandé de compléter les exercices de
contraction par des mouvements de bascule ou d’appui (par ex. appuis faciaux).
Ce qui compte dans l’entraînement de la force, ce n’est pas le développement isolé de certains muscles, mais l’interaction coordonnée
de plusieurs groupes musculaires (coordination intermusculaire).
C’est elle qui détermine la qualité des mouvements dans le Parkour.
Les exercices pratiques comme faire la planche contre un mur peuvent donc aussi être intégrés à l’entraînement de la force.
L’endurance est sous-estimée par un grand nombre de traceurs.
Son importance devient évidente lorsqu’on se lance dans une course
de cinq minutes en voulant utiliser plusieurs techniques de franchissement avec assurance et rapidité. L’endurance devient l’obstacle
principal lorsque l’on cherche à parcourir une certaine distance. Son
entraînement porte ses fruits à partir de 30 minutes d’exercice. Les
méthodes traditionnelles telles que la course à pied ou la natation
sont tout à fait indiquées. Mais il y a encore plus efficace, à savoir les
circuits inspirés du Parkour, qui consistent à tracer au préalable un
itinéraire comportant des obstacles et le parcourir en un temps défini. Il est déconseillé d’employer des techniques complexes lors de
l’entraînement en raison de l’épuisement et du risque de blessures
qui en découle. Il vaut mieux se concentrer sur les mouvements
simples et sur les techniques de base. Ceci permet d’entraîner efficacement l’endurance des groupes musculaires sollicités.
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Parkour
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Lors d’un saut de précision, le traceur effectue une réception précise et reste en équilibre sur l’obstacle.
Le Parkour exige une grande mobilité, à l’instar de la gymnastique
artistique ou de l’escalade. Le corps doit être en mesure de développer de la force et se stabiliser en cas de tension maximale. Or, le relâchement du tonus musculaire suivant l’étirement peut, selon le
groupe de muscles concerné, affecter l’appareil locomoteur et nuire
à la performance du traceur.
Les exercices de mobilisation active (par ex. courir en levant les
genoux) augmentent l’amplitude et renforcent les muscles en cas
d’étirement maximal. Ils consistent dans un premier temps à allonger les grands groupes musculaires de manière statique puis de les
renforcer par des mouvements explosifs. Les exercices d’étirement
dynamiques pratiqués dans les sports de combat sont également
indiqués. Nous n’entrerons toutefois pas plus dans les détails étant
donné que le thème de la mobilité et de l’étirement suscite la
controverse dans le milieu scientifique du sport et qu’il comporte
nombre de paradigmes et de résultats de recherches contradictoires.
Compétences de base
Le traceur doit disposer de nombreuses compétences de base afin
de garder le contrôle de tous ses mouvements: courir, se balancer,
garder l’équilibre, grimper, marcher à quatre pattes, se déplacer à la
force des bras, etc. Il fait sans cesse appel à ces compétences car
elles servent à tout franchissement d’obstacle ou presque. Il utilise
par exemple sa capacité à garder l’équilibre après avoir exécuté un
saut de précision sur une barre, pour éviter de chuter. Le traceur n’a
pas besoin d’atteindre le niveau de performance des alpinistes ou
des artistes. Il lui suffit d’avoir les connaissances de base en matière
de grimpe ou d’équilibre, qui lui permettront de franchir efficacement un grand nombre d’obstacles.
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Techniques de base
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On voit souvent des traceurs expérimentés exercer des techniques
de base. Ce sont des mouvements qu’ils semblent maîtriser parfaitement, mais qu’ils estiment utile de consolider en permanence.
D’une part car une technique n’est jamais complètement acquise et
d’autre part car certaines techniques sont négligées en raison de la
pluralité des mouvements et des préférences de chacun. Les techniques de base principales du Parkour sont les suivantes:
Planche
Hissage du corps le long d’un mur
depuis la position de suspension
Lâché Lâché prise d’une position de suspension pour se rattraper plus bas
Saut de fond
Saut vers le bas
Techniques de réception Réception amortie et roulade
Saut de précision
Saut en longueur sans élan avec
réception précise
Saut de bras
Saut contre un mur, réception avec les
mains agrippées au rebord
Saut de chat
Demi-tour
Changement de main
Passement rapide
Tic-tac
Passe-muraille
Franchissement
Franchissement d’un obstacle en plongeant et en poussant sur les bras afin
de passer ses jambes entre ses bras
Saut par-dessus une barrière avec
réception en suspension
Franchissement latéral d’une barrière
en changeant sa prise de main
Sorte de saut de haie par-dessus un
obstacle avec bref contact des mains
Appui sur un mur avec le pied pour se
projeter en avant ou vers le haut
Appui sur un mur avec le pied pour en
agripper le rebord
Saut entre deux obstacles
temps). Dans ces circonstances, il est essentiel qu’il soit en mesure
d’agir et de prendre les bonnes décisions. La question du mental
est complexe et doit être abordée par des professionnels ayant de
l’expérience en psychologie et en pédagogie. Un encadrement
personnel du traceur est nécessaire. C’est un processus tout à fait
individuel qui doit être pris en charge par un entraîneur qui
connaît bien le traceur. n
Steven Käser est cofondateur de ParkourONE, dont le
siège est à Berne. Sa fonction est de faire reconnaître ce
sport à l’échelle nationale et internationale. Avec ses
collaborateurs de ParkourONE, il met en place un grand
nombre d’offres d’enseignement et d’apprentissage.
www.parkourone.com
«mobile» publiera au cours de l’année 2010 un cahier
pratique présentant les divers moyens de pratiquer le
Parkour à l’école ou dans un club.
Les techniques utilisées dans ce sport rassemblent la plupart des
mouvements que l’homme est capable d’exécuter sans aide extérieure. Celles décrites ci-dessus n’ont qu’une valeur illustrative.
Elles constituent des formes simplifiées et généralisées du franchissement d’obstacles. Une fois que le traceur maîtrise ces techniques, il doit les adapter aux situations et aux obstacles. Il ne
s’agira alors plus de trouver un endroit pour s’exercer au saut de
bras mais de savoir comment franchir l’obstacle qui se trouve devant lui.
Combinaison des techniques
Les courses et circuits évoqués ci-dessus incitent à trouver des solutions et à adopter une attitude créative vis-à-vis de l’environnement, de même qu’ils permettent d’assimiler les mouvements et de
les combiner. Ces courses ont un point de départ et d’arrivée définis
et sont souvent ludiques. Ainsi, le but peut être de franchir plusieurs barres en utilisant différentes techniques ou de contourner
un bâtiment sans toucher le sol («contournement»).
Ce type de défi permet de tester les compétences de base et les
techniques acquises. Il montre au traceur les techniques auxquelles
il peut se fier ou celles qui lui sont particulièrement utiles.
Lors d’un passement rapide, le traceur franchit rapidement un obstacle d’une hauteur de hanches/poitrine. (Photos: Roger Widmer)
Le point
«Dynamique et individuel»
Markus Luksch est étudiant en anthropologie biologique, en philosophie et en géographie et spécialiste en sciences du sport. C’est en
cette qualité qu’il a publié l’ouvrage «Tracers Blackbook» (en allemand).
Mental
Le mental joue un rôle particulier dans le Parkour. Il n’existe pas de
compétition comme dans les autres sports, réduisant dès lors la
pression extérieure. En revanche, il peut y avoir une grande pression intérieure. Les traceurs se fixent souvent des objectifs afin
d’évaluer leurs progrès. Etant donné le caractère éprouvant de
cette discipline et les atteintes possibles à l’intégrité physique, il
est indispensable d’apprécier correctement les effets à long terme
de l’objectif fixé sur la santé. Le respect du corps est un élément
essentiel du Parkour.
Le traceur est fréquemment mis sous pression lors de l’exécution d’une technique ou d’un mouvement (précision, complexité,
«mobile»: Les échanges sur le Parkour se font par Internet. On peut
donc croire que ce sport s’adresse à la génération des «natifs numériques». N’est-il dès lors pas anachronique de publier un livre sur le
sujet? Markus Luksch: Le succès du Parkour s’explique par le fait qu’il
comble un besoin qui se raréfie à mesure que croît la médiatisation.
Il offre des moments authentiques car il nous met en contact avec le
monde réel. Tout ce qui est entrepris a un effet direct et durable sur
le corps. Ce qui n’est guère le cas dans le monde virtuel. Un traceur
recherche quelque chose de solide, une vérité dont il peut se rapprocher grâce à ce sport. Le livre complète la virtualité du Net: cela correspond bien au Parkour.
Que peuvent espérer vos lecteurs? Je ne prétends pas être exhaustif.
Les sciences du sport sont une discipline récente, le Parkour est jeune
et moi-même ne côtoie ce monde que depuis 2006. J’ai beaucoup
appris au contact des autres traceurs. Ces échanges ont été sources
de soutien et de déclics. J’ai vite compris que le Parkour est un processus dynamique, en constante évolution individuelle. C’est pourquoi, il n’est pas possible d’avoir une vue complète. Toutefois, le lecteur doit être sensibilisé aux développements biomécaniques et
moteurs dans la pratique du Parkour. Leur assimilation est un premier pas pour être un traceur encore plus efficace.
Quel est votre public cible? Le livre s’adresse à tous ceux qui s’intéressent au mouvement en général et/ou au Parkour. Son objectif est de
servir d’aide à la réflexion sur son propre mouvement et de favoriser
de nouveaux points de vue et de nouvelles discussions. C’est un livre
pour ceux qui, comme moi, voient dans le Parkour une des cultures
du mouvement les plus excitantes et prometteuses qui soient.
Références bibliographiques
Luksch, M.: Tracers Blackbook – Geheimnisse
der Parkour Technik. Tägertschi, parkourONE,
128 pages.
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L’essentiel est ailleurs
Les deux traceurs suisses de la première heure, Roger Widmer et Steven Käser, expliquent pourquoi
ils ont dû participer à un marathon médiatique ces derniers mois. Ils nous parlent de sécurité, de
respect, d’humilité, et du succès que rencontre le Parkour, notamment auprès des écoliers.
Texte: Francesco Di Potenza; photo: Fabian Unternährer
Parkour
R
oger Widmer, formateur pour adultes et professeur de beauxarts, dirige avec Steven Käser l’entreprise ParkourOne à Berne. A
ce duo vient s’ajouter Felix Isler, chargé de la planification des
événements. ParkourOne est la clef de voute de la plus grande communauté de Parkour germanophone. Elle organise des événements,
des stages dans des entreprises, des ateliers dans des écoles, des cours
de formation continue pour les enseignants ou répond simplement
aux attentes de clubs de sport à la recherche de nouvelles émotions.
Avec succès. «Les réactions sont toujours positives, surtout avec nos
ateliers destinés aux jeunes et aux écoliers», explique Steven Käser. Le
Parkour est une discipline qui a le vent en poupe. Elle met à contribution et enseigne l’ensemble des capacités motrices prévues dans les
plans d’études. En plus, elle ne demande pour ainsi dire aucun équipement et peut être pratiquée n’importe où. Elle se prête même au programme J+S-Kids, qui vise notamment à «encourager les expériences
motrices variées» et à «changer d’environnement».
Pourtant, le Parkour est-il véritablement approprié pour un enfant de cinq ans? «Pourquoi pas?», rétorque Roger Widmer. Surtout
si l’on considère que les enfants aiment s’amuser à surmonter des
obstacles. Les offres en termes de loisirs et de culture proposées par
ParkourOne s’adressent toutefois généralement aux jeunes à partir
de 12 ans. «Cela nous permet de mélanger les jeunes et les adultes»,
poursuit-il. «Nous avons déjà organisé des ateliers avec des enfants
bien plus jeunes, mais dans une tranche d’âge distincte.»
Pour Roger Widmer, l’âge n’est pas un obstacle à la pratique du
Parkour. L’approche est toutefois différente. Si, pour des enfants et
des adolescents, l’accent est mis sur les expériences vécues, l’objectif est plutôt le maintien des capacités physiques, notamment de la
souplesse, pour les personnes plus âgées. En outre, les enfants doivent assouvir leur besoin de bouger de manière ludique. Les fondements du Parkour ne sont d’ailleurs pas très éloignés des «formes
motrices fondamentales» (voir cahier pratique n° 59) reprises dans
le programme J+S-Kids. «Le Parkour ne vise pas à établir des normes
ou à spécialiser ses adeptes à des techniques particulières», précise
Roger Widmer. «Les concurrents ne sont pas jugés, il n’y a ni gagnant ni perdant.»
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Avec doigté
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Le Parkour peut se résumer aux doigts d’une main. «Le pouce prend
son sens selon qu’il pointe vers le haut ou vers le bas. Au Parkour
toutefois, il n’y a ni bon ni mauvais et aucune notion de compétition.
L’index appelle à la prudence et rappelle que sécurité et contrôle passent avant tout.» C’est avec cette image que Roger Widmer, traceur,
coach et responsable de la formation au sein de ParkourOne, présente sa discipline sportive. Cette symbolique des cinq doigts, qu’il a
lui-même créée, a l’avantage d’être claire et compréhensible. Il en-
chaîne: «Le majeur signifie exactement le contraire de son interprétation habituelle: il signifie le respect. L’annulaire se passe d’explication, il désigne les relations entre les traceurs, avec les autres
personnes présentes ainsi qu’avec l’environnement. L’auriculaire
nous rappelle que nous devons rester conscients de nos propres limites.» Un seul mot d’ordre: rester humble. Chez les traceurs, il n’y a
pas de stars.
Vous avez dit spectaculaire?
Le Parkour attire d’abord par ses figures impressionnantes. Pour
ParkourOne, toutefois, les phases de ce type sont secondaires. «Nous
nous intéressons surtout à l’aspect visuel dans son ensemble», explique Roger Widmer. Et d’ajouter: «Le contrôle passe avant tout. La
sécurité est l’élément central lors de la pratique du Parkour.» Rien de
bien spectaculaire. Ces derniers mois, Roger Widmer et Steven Käser
ont participé à un véritable marathon médiatique. Le Parkour jouit
d’une bonne présence dans les médias, qui le considèrent comme
une discipline sportive à la mode réservée aux initiés. Il est pourtant
bien plus que cela. «Bien sûr, le Parkour contient des éléments qui
plaisent aux médias», reconnaît Steven Käser. «Mais l’essentiel est
ailleurs. Le plus important réside dans le sport, le mouvement, et les
aspects qui ont trait au mental. Trois éléments qui peuvent être
transposés dans la vie de tous les jours.» Surmonter des obstacles
peut en effet être pris au sens figuré et s’appliquer à toutes les situations de la vie. Il s’agit alors de vaincre sa peur, d’utiliser ses propres
capacités et de devenir maître de son destin. Face à une situation
nouvelle, le traceur doit se demander comment il peut franchir l’obstacle de la manière la plus efficace possible, en gardant à l’esprit que
d’autres se présenteront. «Il ne sert à rien d’utiliser toutes ses forces
pour franchir le premier obstacle, par exemple en ayant recours à
une technique que l’on ne maîtrise pas complètement. On met alors
sa santé en jeu», prévient Roger Widmer.
Faire face à l’imprévu
L’équipe de ParkourOne tient aussi à transmettre ses connaissances.
Elle organise depuis près d’un an des ateliers à l’Université de Berne,
est en étroite discussion avec l’ASEP pour mettre sur pied des cours
de formation continue, tient des exposés à l’intention des architectes de l’Office fédéral de la construction et de la logistique, organise des cours de formation continue pour la police municipale de
Zurich ainsi que de nombreux ateliers et cours de perfectionnement pour les enseignants. Enfin, elle participe à des projets d’intégration impliquant des jeunes. Toutes ces activités rencontrent un
écho très positif, notamment de la part des enseignants, qui peuvent observer les progrès de leurs élèves souffrant de troubles de
l’attention. Le Parkour leur permet de mieux se concentrer et d’être
beaucoup plus calmes en classe. Ce point réjouit particulièrement
Roger Widmer: «Le Parkour encourage la créativité, l’indépendance
et exige que l’on pense en termes de solutions. Ces réactions positives ne m’étonnent donc pas vraiment.»
Lors de cours de formation continue pour les enseignants, on lui
demande souvent d’organiser des parcours d’obstacles, qui se prêtent bien à la pratique du Parkour. Cela le fait à chaque fois sourire:
«Dans le meilleur des cas, on utilise le matériel disponible, engins,
tapis, et on l’éparpille dans le local mis à notre disposition.» C’est
alors que la recherche du bon mouvement peut commencer. Les
principes de base restent les mêmes: contrôle et sécurité avant
tout, ne jamais se surestimer et atterrir proprement. «Le Parkour se
base sur les expériences vécues», explique Roger Widmer. «C’est un
apprentissage perpétuel: on ne se contente pas de répéter une
technique en particulier.» Bien sûr, il est toujours possible d’améliorer ses roulades ou ses réceptions.
Le Parkour est ancré dans la «vraie» vie, pleine d’imprévus.
«Lorsqu’on pratique le Parkour à l’extérieur, il n’y a plus de hauteur
ou de tracé prédéfinis. Il faut toujours s’adapter à la situation,
prendre des décisions rapidement et savoir surmonter les obstacles
en fonction du contexte.» Une question revient sans cesse: l’équipe
de ParkourOne s’entraîne-t-elle en salle pendant l’hiver? «Evidemment! Mais nous nous concentrons sur les aspects techniques.
Lorsqu’il neige, que le sol est verglacé, le traceur devra adapter son
approche de l’obstacle. Il aura toujours comme objectif de le franchir de la manière la plus efficace.» Comme dans la vraie vie.
Réservé à une élite?
Roger Widmer et Steven Käser trouvent que l’engouement grandissant autour de leur discipline n’a pas que des aspects positifs. Ces
derniers mois, ils ont été très présents dans les quotidiens et les magazines. Ils regrettent les stéréotypes qui collent à la peau du
Parkour, et le fait qu’il soit considéré comme une activité physique
réservée à une élite. D’autres sports ont connu le même sort par le
passé. On disait par exemple que le snowboard ne deviendrait jamais une discipline olympique. «Le Parkour est devenu à la mode,
comme d’autres sports émergents l’ont été avant lui. C’est compréhensible. Finalement, il y a aussi une part de rêve, de style de vie»,
admet Roger Widmer. Dans le même ordre d’idée, les shows organisés par ParkourOne mettent surtout en avant les côtés spectaculaires du Parkour. Mais le but est d’atteindre un large public. Il est
parfois nécessaire de savoir se donner en spectacle et d’être en vogue pour se faire connaître. La philosophie du Parkour, elle, ne
change pas. Pas de compétition, prudence, respect, confiance et humilité. L’essentiel est ailleurs. n
Steven Käser, Felix Iseli
et Roger Widmer
(de haut en bas) souhaitent établir le Parkour
au niveau national et
international.
www.parkourone.com
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