Homélie de la Messe chrismale – Lundi 21 mars 2016

Transcription

Homélie de la Messe chrismale – Lundi 21 mars 2016
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Messe chrismale 2016
La miséricorde, clef de lecture des Ecritures
Dans la synagogue de Nazareth, Jésus commente le prophète Isaïe et le cite.
Or, il faut remarquer que sa citation n’est pas tout à fait exacte, en tout cas elle tronque les
paroles du prophète.
Isaïe « proclame une année de bienfaits accordée par le Seigneur, et un jour de vengeance pour
notre Dieu ».
Jésus, quant à lui, « annonce une année favorable accordée par le Seigneur », mais il n’est pas
question, sur ses lèvres, du jour de vengeance.
A partir de cette écoute des textes, je souligne plusieurs choses.
D’abord, Isaïe, s’il parle et de bienfaits et de vengeance, ne les situe pas au même niveau : les
bienfaits sont d’une année, la vengeance d’une seule journée.
Et surtout, les auteurs des uns et de l’autre ne sont pas identiques : alors que c’est le Seigneur
qui donne cette année et ses bienfaits, la vengeance n’a pas Dieu pour auteur : il est question
d’une « jour de vengeance pour notre Dieu » et non « par notre Dieu ».
La première chose est donc de toujours demeurer attentifs à ce que disent précisément les textes,
au risque de leur faire dire autre chose que ce qu’ils écrivent.
Pourtant, Jésus n’a pas un tel scrupule, sa citation est en effet incomplète.
Plus de vengeance sur ses lèvres, uniquement des bienfaits.
En cela, n’est-il pas fidèle à ce que déjà les prophètes et l’Ancien Testament proclamaient ?
Est-ce Dieu qui veut la vengeance ? Ne sont-ce pas plutôt les hommes qui croient qu’ils
respectent Dieu en voulant que les méchants soient punis ?
Au nom de Dieu, les prophètes disent de lui qu’« il ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il
vive ? »
La liberté de Jésus dans sa manière de citer l’Ecriture est le chemin qu’il indique à chacun. Qui,
mieux que lui, est à même de dire la Parole, d’en donner sa pleine signification ?
Vous connaissez cette belle parole de saint Irénée de Lyon : « Le Fils est l’exégète du Père ».
« Depuis le commencement – écrit Irénée – le Fils est l’exégète du Père, puisqu’il est depuis le
commencement auprès du Père : au temps voulu, il a montré aux hommes pour leur profit les
visions prophétiques, la variété des charismes, ses ministères et la glorification du Père, de
façon cohérente et claire […].
C’est pourquoi le Verbe s’est fait le dispensateur de la gloire du Père au profit des hommes pour
qui il accomplit de telles économies : ainsi il montre Dieu aux hommes, et présente l’homme à
Dieu. »
C’est bien ce que nous célébrons durant cette année jubilaire, nous recevons la révélation du
visage du Père, la manifestation de son nom, et « ce nom est miséricorde ».
Jésus montre, par sa parole, par sa manière de recevoir et de commenter les Ecritures, la
plénitude du Père, avant tout sa miséricorde.
A contrario de cette liberté, qui ne tord par les mots de la Bible mais y souligne le visage de
Dieu, la veille de l’ouverture du temps de la Passion, le cinquième dimanche de Carême, nous
voyions l’attitude des scribes et des pharisiens qui sont prisonniers de leur manque de liberté
dans leur rapport à la Loi : la femme adultère, la loi demande qu’elle soit lapidée.
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Loin de condamner ces hommes, il faut plutôt voir leur désir de fidélité à Dieu, à la Loi donnée
par Dieu.
Finalement, l’attitude de Jésus exprime ce combat intérieur pour la fidélité : n’est-il pas, lui,
fidèle à son Père ? Certes oui, et nous avons aussi en mémoire ces appels, en particulier dans
l’évangile de saint Matthieu, à respecter le plus petit commandement, le plus petit trait de la loi.
En ne condamnant pas la femme adultère, Jésus ne nie pas son péché, mais il montre quelle est
la nature de la loi, saint Paul y reviendra souvent, la loi est un pédagogue, elle est un appel, une
visée, et elle pose aussi une limite.
Mais, si elle veut être davantage, si elle entend sceller le tout de la vie d’une personne et de la
fidélité à Dieu, la loi devient mort, elle tue ceux qu’elle veut servir et elle met à mal toute
confiance aimante en Dieu.
Ne citant pas tout du texte d’Isaïe, appelant la femme adultère à se relever, Jésus ne se montre
pas infidèle à la loi, autrement dit infidèle à Dieu son Père, mais il manifeste à la fois qui est
Dieu et ce qu’il veut pour nous.
« La justice de Dieu, c’est sa miséricorde » écrira ainsi, bien plus tard, saint Thomas d’Aquin.
La loi informe certes, mais c’est la grâce qui sauve, et tel est Jésus, il est la grâce du Père en
faveur des hommes, il est la grâce qui relève et remet en route.
Alors, Jésus, en citant le prophète, nous dit comment cette grâce nous sauve, et comment ce
salut passe aussi par nous, par nos mains, par nos engagements, ceci se vit dans les œuvres de
miséricorde, et elles sont alors mentionnées : « Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer
aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les
opprimés. »
Au cœur de la mission des chrétiens, il y a l’écoute des Ecritures, leur interprétation, et leur
proclamation.
Aujourd’hui – et je le souligne tout spécialement en cette année jubilaire – le Seigneur désigne
la miséricorde comme étant la clef de lecture des Ecritures.
Nous le savons, la fidélité au texte n’est pas dans la redite servile des mots et des phrases, mais
dans leur connaissance exacte et dans la manière, les manières, de les entendre aujourd’hui –
aujourd’hui, cet autre mot qui est au cœur de l’Evangile proclamé – entendre les Ecritures, les
comprendre et les annoncer.
Il faut ici rappeler ce grand texte publié en 1994 par la Commission biblique pontificale :
L’interprétation de la Bible dans l’Eglise.
Cet enjeu de l’herméneutique des textes est aussi le grand défi qui se pose aux musulmans dans
leur rapport au Coran.
Bien que les choses soient bien entendu différentes, il s’agit pour eux comme pour nous de
vivre une vraie fidélité à Dieu.
La liturgie a voulu que ces textes, ainsi que ces quelques versets de l’Apocalypse : « Que la
grâce et la paix vous soient donnés », ces textes sont lus pour ce jour de la messe chrismale et
ce jour où, vous, frères prêtres, vous renouvelez les promesses de votre ordination,
renouvellement que je fais aussi avec vous bien entendu.
De cette manière, la liturgie désigne ce à quoi nous sommes appelés en priorité : libérer, guérir,
apaiser… tout simplement être les témoins de la miséricorde, en étant, nous-mêmes, des
hommes de miséricorde.
Elle est là notre vraie fidélité, celle qui met ses pas, ses comportements, ses paroles, dans la
fidélité du Seigneur.
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Craignons au contraire de suivre la fausse fidélité, celle des scribes et des pharisiens, celle de
ceux qui font de l’Eglise une douane et non cette maison dont l’année sainte l’appelle à tenir
ses portes ouvertes.
Nous ne manquons pas à l’honneur de Dieu en accueillant celles et ceux qui peinent sur le route
de leur vie, ceux qui sont tombés et se demandent s’ils peuvent se relever, ou même s’ils ne
sont pas condamnés à rester au sol.
Ne sommes-nous pas aussi de ceux-là ?
Certes, non pour de graves fautes morales, pour des blessures infligées à d’autres personnes,
mais pour ces attitudes où l’on n’aura pas su trouver les mots justes, où l’on aura donné
l’impression de négliger une personne, ou bien même où on l’aura réellement négligée, comptée
pour quantité négligeable.
Il est inévitable que dans nos relations nous agissions de la sorte.
Mais mesurons ce que cela produit, et ce l’est d’autant que l’auteur de telles blessures exerce
une responsabilité importante, l’archevêque que je suis formule cela pour lui-même bien
entendu.
La souffrance de ces situations est grande ; souffrance infligée à autrui, souffrance de sentir que
l’on n’a pas été à la hauteur de l’attente, souffrance de nous le voir reprocher aussi.
Nous aussi, prêtres, évêques, et aussi diacres et femmes et hommes exerçant un ministère dans
l’Eglise et en son nom, nous avons besoin de la miséricorde du Père, nous avons besoin de nous
la manifester les uns aux autres.
Les huiles qui sont bénies et consacrées aujourd’hui sont des signes de miséricorde et de
tendresse.
Nous les prendrons au bout de nos doigts pour les répandre sur ceux que le Seigneur nous
confie ; le faisant, pensons à ce à quoi ce geste nous appelle.
Mais aussi, que ces huiles soient une grâce du Seigneur à chaque fois qu’elles marquent nos
mains.
N’ayons pas peur d’être trop parcimonieux ou économes dans leur usage.
La barbe d’Aaron en était tout imprégnée, alors pourquoi pas nos mains, parfois nos bras, voire
la manche de nos aubes.
Qui n’a besoin de la douceur de l’huile et de l’odeur de ses parfums ?
Mgr Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
Lundi 21 mars 2016
Messe Chrismale