Embargos américains : les sanctions américaines

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Embargos américains : les sanctions américaines
Embargos américains : les sanctions américaines, menaces et opportunités
Le Crédit Agricole devrait signer dans les prochains jours un accord avec les autorités américaines
dans le cadre du litige des embargos américains et écoper d’une amende de 700 millions d’euros. La
banque française fera son entrée dans une liste croissante d’entreprises non-américaines
condamnées aux Etats-Unis pour violation de réglementations commerciales, environnementales,
anti-corruption, etc. Si ces sanctions représentent une menace non-négligeable pour les entreprises,
elles constituent également une opportunité pour ces dernières.
Ces dernières années, de nombreuses entreprises internationales ont fait l’objet de lourdes amendes
aux Etats-Unis pour des faits de corruption, d’évasion fiscale ou encore de pratiques commerciales
délictueuses. Les banques et la finance ont été particulièrement ciblées par les autorités américaines,
à l’image des amendes de 9 milliards de dollars contre BNP Paribas et de 2,6 milliards contre Crédit
Suisse en 2014. Les autres secteurs ne sont pas en reste. A titre d’exemple, en 2014 également,
l’entreprise pharmaceutique Takeda et le constructeur automobile Toyota ont écopé respectivement
d’amendes de 6 milliards et de 1,2 milliard de dollars.
Un champ d’application quasi illimité de la réglementation américaine
Plusieurs de ces sanctions ont été infligées au titre de l’extraterritorialité, un principe juridique
permettant à un gouvernement d’exercer son autorité au-delà de ses frontières. Si la doctrine
américaine est ancienne, détaillée dans le Restatement (Third) of Foreign Relations Law of the United
States en 1987, l’extraterritorialité connait depuis une dizaine d’années un renouveau aux Etats-Unis.
Son utilisation contre des entreprises étrangères fait régulièrement l’objet de vives critiques. Le
principe est lui-même largement contesté, certains juristes arguant qu’il constitue une violation du
droit international et notamment du principe de compétence territoriale ou personnelle de l’Etat. De
nombreuses voix s’élèvent également contre le protectionnisme des Etats-Unis qu’elles accusent de
viser les entreprises étrangères de façon plus systématique que les entreprises américaines, soulignant
en outre que les sanctions touchent principalement de grands groupes et feraient donc figure de
centre de profit pour l’administration du pays.
Surtout, l’application américaine de l’extraterritorialité est décriée à cause d’un lien jugé parfois
extrêmement ténu entre les entreprises incriminées et les Etats-Unis. Ainsi, dans l’affaire des
embargos américains, le seul lien territorial au cours des transactions de la BNP ou du Crédit Agricole
était l’utilisation du dollar. Appuyée à cette devise qui représente 85% des transactions sur le marché
des changes mondial, l’extraterritorialité étend donc de façon quasi illimitée le champ d’application de
la réglementation américaine.
Les sanctions américaines, une menace
Les grandes entreprises internationales ne peuvent plus ignorer l’extraterritorialité, et par extension
la menace que font peser les sanctions américaines. Le montant des amendes est en effet dissuasif,
d’autant plus qu’elles sont souvent doublées d’une obligation de respecter certaines bonnes pratiques,
dans le cadre de programmes de « compliance ». Ainsi, des risques financiers très importants sont
associés aux risques juridiques : aux amendes s’ajoutent les frais d’avocats, le coût des mesures
correctrices, la chute du cours de l’action, etc. De plus, les risques d’image et de réputation sont
absolument considérables. Suite à son amende record, BNP Paribas avait notamment été exclu par
20% des gérants de fonds d’investissement responsable tandis que 80% des sociétés de gestion avaient
réagi à travers une réduction des investissements ou une mise sous surveillance.
Au-delà de ces risques, certaines entreprises craignent que les sanctions infligées par les Etats-Unis ne
mènent à une surenchère réglementaire ou, tout du moins, à ce que les pays adoptent des
réglementations plus contraignantes. En effet, ces affaires ont exposé les lacunes de certains systèmes
juridiques à la lumière d’une législation américaine très stricte, particulièrement en matière de
corruption et d’éthique des affaires. Le scandale Volkswagen a lui permis de mettre en évidence la
faiblesse des règlementations européennes sur les émissions de véhicules, pourtant régulièrement
citées comme références mondiales.
Les sanctions américaines, une opportunité
Malgré ces menaces, les sanctions américaines constituent également une opportunité. Elles sont tout
d’abord les bienvenues pour la société civile et les consommateurs, ainsi que pour les investisseurs,
car elles alertent sur les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Mais elles le sont
également pour les entreprises elles-mêmes. Les menaces qui pèsent sur elles peuvent en effet les
pousser à adopter de meilleures pratiques, et ce non seulement aux Etats-Unis mais dans l’ensemble
des pays d’implantation. A noter le rôle important des actionnaires et des investisseurs dans le cadre
de ces processus d’amélioration, à travers des démarches d’engagement actionnarial. La minimisation
des risques ESG réduisant les risques juridiques, financiers et de réputation, les sanctions américaines
représentent donc bien une opportunité à long terme pour les entreprises.
Fleur Masterman – Cercle des Analyses Indépendants